C. DES PISTES URGENTES POUR SOUTENIR LA COMPÉTITIVITÉ DU TRANSPORT AÉRIEN FRANÇAIS

Le rapport du député Bruno Le Roux 13 ( * ) , élaboré à l'issue d'une intense concertation avec l'ensemble de la profession, propose de nombreuses pistes consensuelles pour améliorer la compétitivité du pavillon français, allant de la simplification administrative à la limitation des droits de trafic pour les compagnies du Golfe, en passant par une révision de la fiscalité du secteur. Votre rapporteur n'a pas pour objectif de rapporter ici l'ensemble des propositions qui y sont formulées : il souhaite simplement mettre en avant quatre sujets susceptibles d'être traités à court terme.

1. Affecter la totalité de la taxe d'aviation civile au budget annexe et en exonérer les passagers en correspondance

Le BACEA est structurellement déséquilibré par l'affectation d'une part du produit de la TAC au budget de l'État : les quotités de TAC affectées respectivement au BACEA et au budget général sont fixées à 80,91 % et 19,09 % . En 2015, le montant de TAC prélevé par l'État s'élève ainsi à 88,2 M€, pour un produit total de la TAC estimé à 461,9 M€.

Le rapport Le Roux propose de corriger cette situation dès le budget 2015, afin que les prélèvements spécifiques sur le transport aérien, du moins ceux résultant de la TAC, restent directement affectés à ce secteur

Parallèlement, il recommande d'exonérer les passagers en correspondance de la TAC, afin de remettre la place de Paris au niveau de ses concurrents les plus agressifs , qu'il s'agisse des plates-formes européennes (Amsterdam, Francfort et Londres) ou non européennes comme les aéroports du Golfe et d'Istanbul.

Votre rapporteur est favorable à ces évolutions, réclamées de longue date par la profession. Il souligne qu'elles impliquent un effort financier de l'État non négligeable , mais qui n'est pas démesuré par rapport à de nombreux autres soutiens sectoriels.

2. Sortir le transport aérien de l'assiette de la taxe de solidarité

Le rapport Le Roux préconise également de faire évoluer l'assiette de la taxe de solidarité, prélevée sur les billets d'avion pour financer l'aide aux pays pauvres . Depuis sa mise en place en 2006, outre la France, seuls six pays africains (Niger, Maurice, Mali, Cameroun, Madagascar, Côte d'Ivoire), le Chili et la Corée du Sud ont introduit cette taxe sur l'aviation.

La France est le seul pays d'Europe à l'avoir adoptée : elle rapporte environ 200 millions d'euros par an, dont 70 millions pour la seule compagnie Air France, qui sont ensuite reversés à l'organisation internationale Unitaid pour financer la lutte contre les grandes pandémies (sida, paludisme tuberculose) dans les pays pauvres. Pour répondre aux besoins croissants, les taux de cette taxe ont d'ailleurs été augmentés de 12,7 % au 1 er avril 2014 .

Bien que ces objectifs d'aide au développement soient louables et partagés, le transport aérien français ne peut plus supporter cette taxe dans un environnement devenu fortement concurrentiel. Les représentants de la profession demandent que son assiette soit élargie à des modes de transports concurrents (comme le ferroviaire à grande vitesse), mais ceux-ci connaissent également des difficultés et une concurrence accrues.

Pour cette raison, le rapport Le Roux propose d'asseoir la taxe de solidarité sur une toute autre assiette, celle de la grande distribution . L'argument invoqué est que « les citoyens sont, d'une certaine façon, plus en relation avec l'ensemble de la planète en consommant quotidiennement qu'en voyageant occasionnellement ». En outre, il estime que l'importance du chiffre d'affaires de la grande distribution (environ 310 milliards d'euros en 2012) peut permettre la mise en place d'une contribution spécifique sans la fragiliser et sans impacter le consommateur final. Il souligne également que, bien que cette activité soit non délocalisable et peu soumise à la concurrence étrangère, elle bénéficie très largement du crédit d'impôt compétitivité-emploi (CICE) : il n'est donc pas illogique qu'elle permette à un autre secteur économique confronté à de réels enjeux de compétitivité d'être allégé. Une autre piste envisagée est celle d'une augmentation de la taxation du secteur bancaire , via une hausse du plafond de la part de la taxe sur les transactions financières (TTF).

En tout état de cause, votre rapporteur soutient l'idée d'un transfert d'assiette de la taxe de solidarité afin de mieux répondre aux enjeux de compétitivité du transport aérien.

3. Dessiner une trajectoire équilibrée pour l'évolution des redevances aéroportuaires

Le rapport Le Roux plaide également en faveur d'une modération des redevances aéroportuaires, payées notamment par Air France à Aéroports de Paris (ADP), dont la compagnie représente plus de 50 % du trafic. Il est ainsi explicitement écrit que « l'objectif doit résolument être un gel, et à terme une baisse du niveau des redevances, pour autant que continuent à se décliner les modèles économiques en vigueur pour les acteurs en présence ».

En d'autres termes, le rapport se prononce en faveur d'un retour à la caisse unique pour ADP dans le cadre du troisième contrat de régulation économique 14 ( * ) (CRE 3) pour la période 2016-2020, en négociation. Pour rappel, le CRE actuel, qui couvre la période 2011-2015, avait exclu les activités de diversification immobilière et les activités commerciales et de restauration du périmètre régulé, au 1 er janvier 2011. Ce changement avait été décidé par le Gouvernement à la fin de l'année 2009, en contrepartie d'un gel des redevances en 2010 - année difficile pour le transport aérien - et d'une hausse modérée des tarifs sur toute la durée du CRE 2 (2011-2015).

CAISSE UNIQUE, CAISSE DOUBLE ET CAISSE AMÉNAGÉE

Les redevances aéroportuaires représentent environ 55 % du chiffre d'affaires d'un aéroport . Elles sont payées par les compagnies aériennes et ces coûts incompressibles sont répercutés dans le prix des billets d'avion. L'ordre de grandeur des charges aéroportuaires pour un vol varie entre 20€ et 40€ par passager , selon la destination. Le niveau de ces charges est en augmentation tendancielle, alors que les prix des billets d'avion évoluent à la baisse.

Pour autant, ces redevances ne permettent pas à elles seules d'assurer le financement du service public aéroportuaire (piste, aérogare, etc.). Un financement complémentaire est trouvé par les revenus des activités extra-aéronautiques : commerces et restauration en aérogare, parkings automobile, immobilier locatif sur l'aéroport, immobilier de diversification.

Afin de contenir le niveau des charges aéroportuaires payées par les compagnies, le régulateur économique (DGAC) tient compte des profits générés par les activités extra-aéronautiques, dont les tarifs sont libres, pour réguler l'évolution des redevances , c'est-à-dire modérer leur hausse.

C'est le principe de la caisse unique (« single till » ), qui prévaut généralement dans les aéroports français : le périmètre d'activités pris en compte par le régulateur pour apprécier la rémunération de l'exploitant et donc le niveau des redevances, comprend le service public aéroportuaire et la totalité des revenus des activités extra-aéronautiques. Ce principe trouve sa justification dans le fait que les clients de ces activités extra-aéronautiques sont aussi les passagers des compagnies.

A contrario, on parle de caisse double (« dual till » ) lorsque la totalité des activités extra-aéronautiques est exclue du périmètre régulé. La caisse aménagée (« adjusted till » ) correspond à une situation intermédiaire, lorsqu'une partie des activités aéronautiques est exclue du périmètre régulé et ne contribue plus à moduler la hausse des redevances aéroportuaires.

Il est vrai qu' ADP est actuellement sous la pression de l'agence des participations de l'État (APE), qui détient 50,6 % du capital : l'objectif affiché est d'atteindre une rentabilité des capitaux investis (ROCE) en ligne avec le coût moyen pondéré du capital (CMPC), estimé à environ 6 %. Il faut savoir qu'aujourd'hui, ce niveau n'est pas encore atteint par ADP puisque le ROCE se situe autour de 3%. Cependant, les transporteurs aériens critiquent l'évaluation du CMPC, qui n'est pas effectuée par un organisme indépendant , comme cela peut être le cas dans d'autre pays. De son côté, ADP argue que les redevances aéroportuaires représentent une part infime des charges d'Air France (environ 1,8 %), sans commune mesure avec le poste « carburant » par exemple.

Quoiqu'il en soit, il existe un réel dialogue entre les deux entreprises . Il n'est pas dans l'intérêt d'ADP de peser excessivement sur la compétitivité de son principal client, qui alimente le développement du hub parisien. On se retrouve dans la situation délicate de la régulation d'un monopole naturel , et la solution consiste probablement en un juste équilibre entre une évolution raisonnable des redevances et une optimisation des investissements d'ADP pour ne pas accroître les dépenses au-delà du strict nécessaire.

Votre rapporteur privilégie donc une approche plus modérée que le rapport Le Roux sur ce point. Il s'agit avant tout de veiller à ce que la chaîne de valeur dans son ensemble reste équilibrée . La question se posera sans doute différemment le jour où l'État envisagera de céder une partie du capital d'ADP.

4. Revoir le dispositif de la taxe sur les nuisances sonores aéroportuaires (TNSA)

Le rapport Le Roux relaye des préoccupations consensuelles quant à l'évolution de la TNSA 15 ( * ) , dont les taux sont adaptés aux besoins de chaque aéroport et qui a vocation à s'éteindre une fois les besoins satisfaits .

La réglementation avait évolué en 2010-2011 dans un sens favorable aux riverains afin d' accélérer l'insonorisation des logements . Le montant de dépenses est ainsi passé de 56 millions d'euros en 2011 à 87 millions en 2013 au total pour les 11 aérodromes concernés. Ces mesures ont eu un effet d'entraînement notable sur la demande.

Depuis 2013, on assiste à une réduction progressive des taux applicables à certains aéroports , y compris pour les aéroports parisiens alors même que la révision des plans de gêne sonore (PGS) d'Orly et de Roissy-Charles-de-Gaulle, achevée en décembre dernier, entraîne une extension des zones éligibles. Parallèlement, le produit national de la taxe a été plafonné à 49 millions d'euros en loi de finances initiale pour 2014, puis 48 millions dans le PLF 2015.

Votre rapporteur est sensible aux préoccupations relayées par l'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (ACNUSA) : il est peu compréhensible que le principe pollueur-payeur soit ainsi dénaturé . En outre, la file d'attente des dossiers d'indemnisation ne cesse de s'allonger, et le risque est de pérenniser à terme le dispositif, au lieu de traiter rapidement les besoins pour supprimer ensuite la taxe, ce qui inquiète l'ensemble des acteurs concernés. Un meilleur ciblage de la taxe en fonction des besoins ainsi qu'une réflexion sur le niveau du plafonnement seraient de nature à fournir une solution de compromis acceptable .


* 13 Rapport du groupe de travail « Compétitivité du transport aérien français » présidé par Bruno Le Roux, député de Seine-Saint-Denis, remis au Premier Ministre le 3 novembre 2014.

* 14 Le contrat de régulation économique (CRE) d'Aéroports de Paris définit : les engagements de l'entreprise en matière d'investissements ; les objectifs de qualité de service, assortis d'incitations financières (bonus/malus) ; et surtout le plafond d'évolution des tarifs des redevances aéroportuaires les plus significatives, au regard des objectifs précédents et du périmètre régulé.

* 15 Cette taxe, recouvrée depuis 2005, assure le financement de la lutte contre le bruit, notamment de l'insonorisation des logements riverains des onze aéroports nationaux couverts par un plan de gêne sonore (PGS) Elle est fondée sur le principe du pollueur-payeur, les avions les plus taxés étant les plus bruyants. Perçue à chaque décollage d'aéronef de plus de 20 tonnes, la gestion de son produit en est confiée aux exploitants de ces aéroports, après consultation des commissions consultatives d'aide aux riverains.

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