EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du 26 novembre 2014, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Christian Cambon, vice-président, a procédé à l'examen des crédits de la mission « Aide publique au développement » inscrits dans le projet de loi de finances pour 2015.

M. Henri de Raincourt, rapporteur . - Avant d'entrer dans la description des crédits eux-mêmes, dans quel contexte l'aide publique au développement s'inscrit-elle en 2014-2015 ?

À la suite des assises du développement, un projet de loi d'orientation et de programmation de la politique du développement et de la solidarité internationale a été présenté. Notre commission a beaucoup contribué à l'amélioration de ce texte, qui reste un document-cadre assez général. Il a le mérite d'exister et de conforter le rôle du Parlement dans la discussion de cette politique, longtemps restée l'apanage du Gouvernement.

Cette loi fixe un certain nombre de principes généraux :

- elle affiche deux priorités transversales : la place des femmes et la lutte contre le changement climatique ;

- elle décline dix secteurs prioritaires d'intervention et confirme le principe des partenariats différenciés, c'est-à-dire la mobilisation d'outils et de financements différents selon l'état de développement du pays partenaire.

Examiner cette loi en 2014 était d'autant plus important que le monde connait des mutations particulièrement fortes et rapides. La pauvreté a diminué de manière spectaculaire et des progrès considérables ont été accomplis dans de nombreux secteurs, mais ces progrès ont été inégaux entre régions du monde, entre pays et entre groupes de populations, les personnes vivant dans des zones rurales restant particulièrement désavantagées.

Le décollage de l'Afrique est indéniable, les changements sont structurels, mais là aussi avec une répartition très inégale et un terrible paradoxe : la pauvreté recule globalement mais le nombre de personnes pauvres augmente.

En Afrique et sur les autres continents, plusieurs pays sont spectaculairement sortis du « tiers-monde » pour devenir des « grands émergents ». Ces pays mettent d'ailleurs eux-mêmes en place des politiques de soutien à certains de leurs partenaires, souvent en lien avec leurs intérêts économiques, ce qui contribue à expliquer que les niveaux d'aide progressent au niveau mondial. De fait, de nouveaux contributeurs apparaissent, que ce soient des pays que nous n'aurions pas imaginé dans ce rôle quelques années en arrière (la Chine, le Brésil, l'Arabie Saoudite ou le Qatar,...), mais aussi des fondations privées. Par exemple, la seule fondation « Bill et Melinda Gates » a accordé environ 3 milliards de dollars de subventions pour la seule année 2012.

Par ailleurs, l'année 2015 marque la dernière année des objectifs du millénaire pour le développement (OMD), fixés en 2000 par les 189 Etats des Nations unies. Un nouveau Sommet devrait avoir lieu en septembre 2015 pour adopter un nouvel ensemble d'objectifs qui devraient, selon les projets du Secrétaire général des Nations unies, faire converger dans un seul agenda les objectifs du développement durable (ODD) et les OMD.

En 2015 aura également lieu la conférence COP 21 ou « Paris Climat 2015 » qui manifeste aussi cette convergence entre développement et développement durable, en l'occurrence le changement climatique. Si cette problématique concerne l'ensemble de la planète, on voit bien qu'elle contient un fort aspect d'aide au développement. C'est par exemple la logique du « Fonds vert pour le climat » qui est destiné à aider les pays en développement à entrer dans une ère moins carbonée, en réduisant leurs émissions de gaz à effet de serre et en s'adaptant aux effets du réchauffement. La France s'est engagée, par la voix du Président de la République, à apporter un milliard de dollars pour ce Fonds, les Etats-Unis viennent d'annoncer 3 milliards et le Japon 1,5 milliard. Pour autant, nul ne sait encore très précisément comment ce milliard sera financé... Il s'agira certainement, c'est ce que pratiquent beaucoup de gouvernements, du « recyclage » d'enveloppes déjà programmées et il s'agira largement de prêts...

Appréhender le développement par le développement durable est évidemment une orientation fondamentale mais il serait très réducteur de se limiter à cette question, pour importante qu'elle soit.

Je vous rappelle que, d'ici à 2050, la population de la planète passera de 7 à 9,2 milliards d'habitants, celle de l'Afrique doublera, mais qu'en même temps, la population vieillira et s'urbanisera. De ce fait, l'aide au développement doit rester focalisée sur les services de base rendus à la population : l'éducation, la santé, les services publics en général. Si l'éducation n'est pas au rendez-vous, un pays ne peut pas réussir sa transition démographique car les jeunes ne peuvent pas accéder au marché du travail.

Par ailleurs, cette croissance démographique nécessitera une augmentation de la production alimentaire mondiale de l'ordre de 60%. Aujourd'hui, il reste déjà un important retard à combler en la matière : seuls des progrès faibles et inégaux ont été réalisés en matière de réduction de la malnutrition et un peu plus de 800 millions de personnes continuent de souffrir de faim chronique, c'est-à-dire qu'elles n'ont pas régulièrement accès à une nourriture en quantité suffisante pour mener une vie active. En outre, plus de 2 milliards de personnes souffrent de carences en micronutriments.

Cet enjeu alimentaire est d'autant plus important que les pays touchés par la malnutrition sont souvent aussi ceux dont la croissance démographique est la plus forte, singulièrement en Afrique. N'oublions pas les conséquences dramatiques des émeutes de la faim !

Dans ce schéma d'ensemble, comment se présente l'aide française au développement ?

Les crédits de la mission « Aide publique au développement » ne constituent qu'une partie de l'aide telle qu'elle est comptabilisée par l'OCDE. Troisième contributeur mondial en volume en 2010, avec 9,75 milliards d'euros d'APD nette, la France n'est plus que cinquième en 2013 avec 8,54 milliards. Et notre APD ne devrait s'élever qu'à 7,9 milliards d'euros en 2014, ce qui constituerait une quatrième année de baisse consécutive. En quatre ans, elle aura donc baissé globalement d'environ 18%. Elle est censée remonter sensiblement en 2015 en raison des prêts que la France devrait accorder à la Banque mondiale et au futur Fonds vert pour le climat.

Après avoir représenté 0,5% du RNB en 2010, l'APD française a chuté à 0,41% en 2013, loin de l'objectif international des 0,7% que n'atteignent que la Norvège, la Suède, le Luxembourg et le Danemark mais aussi, pour la première fois, le Royaume-Uni qui a fait un effort particulier en 2013 en matière de développement.

Pour autant, si l'objectif des 0,7% reste symboliquement important, notamment pour nos pays partenaires, la statistique en elle-même doit être maniée avec précaution car elle amalgame un certain nombre de dépenses très diverses dont le lien est parfois ténu avec le développement.

Au total, même si la tendance est clairement baissière depuis plusieurs années, nous n'avons pas à rougir de la politique de la France ; la politique du développement est une grande réussite de notre pays et elle contribue grandement à son rayonnement international.

Au sein de l'APD, les seuls crédits budgétaires de la mission ne représentent que 34% de l'effort total : 2,8 milliards d'euros pour 2015. Reflet de ce que je vous disais précédemment sur l'ensemble de l'aide, les crédits de la mission suivent une tendance peu favorable. Dans la loi de programmation des finances publiques 2011-2014, les crédits étaient stables autour de 3,3 milliards ; dans celle pour 2012-2017, ils l'étaient autour de 3,1 milliards mais, dans le projet de loi en cours d'examen au Parlement pour la période 2014-2019, ils démarrent à 2,8 milliards en 2015 pour descendre à moins de 2,7 en 2017. Ainsi, le plafond des crédits pour 2017 est inférieur de 650 millions d'euros à celui de 2011, soit une baisse de 20% en six ans. D'ailleurs, la mission APD sera l'une des plus touchées parmi les missions de l'Etat dans la programmation en cours.

Bien sûr, on peut comprendre que, dans des circonstances exceptionnelles, des mesures exceptionnelles soient prises. Elles doivent toutefois conserver ce caractère exceptionnel et donc rester limitées dans le temps, ce qui risque malheureusement de ne pas être le cas en l'espèce. Le signal politique d'une érosion continue des crédits n'est pas particulièrement pertinent ; nous devons être conscients des difficultés mais regretter tout de même cette situation peu favorable.

Il est vrai que le Gouvernement explique que la baisse n'est pas aussi forte en réalité qu'en apparence, car elle est compensée par l'accroissement de la part des financements innovants affectée au développement.

Or je souhaite rappeler avec force que, lorsque le Président Chirac a lancé le chantier de la taxe de solidarité sur les billets d'avion, il était convenu de toute part - cela a été formalisé dans une résolution des Nations unies de décembre 2010 sur les mécanismes innovants de financement du développement - que ce type de financements devait venir compléter les financements classiques, non s'y substituer.

Je regrette que le Gouvernement, alors même qu'il fait des efforts sur cette question, entre dans cette logique de la substitution. Annick Girardin disait ainsi devant notre commission : « les crédits baissent ... mais ce mouvement est atténué par le reversement de la quote-part des financements innovants ». Nous ne devons pas nous satisfaire de cette situation qui ne peut qu'être utilisée par Bercy pour rogner de plus en plus les crédits budgétaires. Cela me semble donc être une mauvaise voie et un mauvais signal.

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure . - Le Gouvernement a réalisé, depuis 2012, des efforts importants quant aux financements innovants consacrés au développement :

- le 1 er avril dernier, il a ainsi augmenté les tarifs de la taxe de solidarité sur les billets d'avion de 12,7% afin de rattraper l'inflation accumulée, alors que ces tarifs n'avaient pas évolué depuis 2006. De ce fait, alors que les recettes de la taxe étaient stabilisées autour de 180 millions d'euros depuis 2011, elles atteindront 208 millions en 2014 et 222 millions en 2015 selon les prévisions qui nous ont été transmises.

Depuis le 1 er janvier 2014, les recettes de cette taxe affectées au développement sont cependant plafonnées à 210 millions, plafond qui sera appliqué en 2015 : un écrêtement de 12 millions devrait de ce fait être constaté. Je salue l'effort du Gouvernement pour revaloriser les recettes de la taxe ; il me semble cependant que nous aurions pu éviter ce plafond alors que cette taxe a justement été conçue pour contribuer au développement. On ne peut que le regretter.

- le Gouvernement a ensuite concrétisé, dès août 2012, un projet ancien : la taxe sur les transactions financières. Elle devrait rapporter 780 millions d'euros en 2014 dont 15% seront théoriquement affectés au développement mais là aussi un plafond s'applique. En pratique, 100 millions seulement devraient abonder cette année le fonds de solidarité pour le développement.

En 2015, le Gouvernement poursuit l'effort engagé en 2012, en portant la part affectée au développement de 15% à 25%. Mais le message est quelque peu brouillé car le plafond effectif n'est pas relevé dans les mêmes proportions. Il était prévu de le porter de 100 millions à 130 millions ; un amendement adopté à l'Assemblée nationale le porte à 140 à ce stade du débat parlementaire. Le Gouvernement a annoncé une augmentation du plafond qui passera à 160 millions à partir de 2016, ce qui constitue un nouveau signe encourageant.

Pour en venir plus directement aux crédits de la mission APD, ils s'élèveront à 2,8 milliards d'euros en 2015. Ils baissent globalement de 2,9%. Les évolutions sont cependant contrastées selon les lignes.

Il faut savoir que la mission compense à l'AFD et à des organisations internationales le coût pour elles des décisions d'annulations de dette prises par les Etats. Les crédits destinés à cette compensation refluent de 54 millions en 2015, soit une chute de 33%. Cette évolution est cependant positive - ce qui n'est pas le moindre des paradoxes -, puisqu'elle traduit le fait que le nombre de pays surendettés diminue.

Sans cette ligne de crédits tout à fait particulière, la mission Aide publique au développement baisse de 1%.

En outre, les dépenses de personnel du programme 209, celui géré par le Quai d'Orsay, baissent de 2,1%, ce qui symbolise la volonté du Gouvernement de préserver au maximum les crédits d'intervention. Pour autant, la diminution des crédits de personnel ne doit pas se faire indistinctement ; elle doit plutôt passer par des réformes structurelles permettant une mutualisation poussée entre les réseaux français à l'étranger, au premier rang desquels celui de l'AFD et les SCAC. Cette mutualisation ne peut qu'accroitre notre efficacité sur le terrain. Je crois que le ministère aurait tout intérêt à travailler en ce sens.

Les financements multilatéraux, y compris à destination du Fonds européen de développement (FED), baissent légèrement (-0,8%), mais là aussi avec des évolutions contrastées.

Ainsi, la participation de la France au FED devrait progresser de 3,4% pour atteindre 704 millions d'euros ; elle représentera ainsi un quart des crédits de la mission. Nous aurons l'occasion d'examiner plus avant le FED lorsque nous devrons, début décembre, autoriser la ratification du 11 ème FED pour la période 2014-2019 ; je ne m'y étends donc pas davantage aujourd'hui.

La deuxième contribution multilatérale la plus importante est destinée à l'Association internationale de développement (AID), guichet concessionnel de la Banque mondiale. La contribution de la France, qui passe de 1,2 milliard sur 2012-2014 à 1 milliard sur 2015-2017, baissera de 19% pour atteindre 323 millions en 2015. Cette évolution est compensée par le fait que la France accordera un prêt à taux zéro de 430 millions à l'AID. On peut bien sûr s'interroger sur la pertinence de prêter à un organisme qui lui-même prête aux pays en développement. Il est vrai que l'effet de levier est ainsi amplifié. La France soutient cette idée. Nous nous interrogeons tout de même sur l'idée d'utiliser l'AFD comme intermédiaire financier de cette opération : si l'Etat empruntait lui-même, son coût serait certainement moins élevé.

La troisième contribution multilatérale est destinée au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Elle baisse de 14% pour atteindre 187 millions en 2015. Selon le Gouvernement, cette baisse de 30 millions sera là encore compensée par une augmentation des financements innovants à destination du Fonds mondial, ce qui permettra de stabiliser la contribution globale de la France à 360 millions en 2015. L'augmentation des financements innovants devrait apporter au total une quarantaine de millions d'euros supplémentaires en 2015. Il n'est pas certain que cela suffise à couvrir l'ensemble des engagements de la France auprès des organisations internationales qui doivent être financés par les financements innovants.

Du côté des aides bilatérales (hors compensation du traitement de dettes), les crédits sont globalement stables (-0,4%) à 873 millions.

Je désire distinguer deux lignes particulières au sein de cette enveloppe :

- la bonification des prêts de l'AFD tout d'abord, qui progresse de 2,3% et atteint dorénavant 178 millions. Cela représente le coût pour l'Etat de la différence entre le taux auquel l'AFD emprunte sur les marchés et le taux auquel elle prête. L'augmentation de ce « coût-Etat » reflète la forte progression de l'activité prêts de l'AFD : les seuls prêts bonifiés sont passés de 1,4 milliard en 2007 à 1,9 milliard en 2013 ;

- les dons-projets ensuite, qui sont préservés en crédits de paiement (306 millions) et progressent même en autorisations d'engagements (+0,9%). Selon la loi d'orientation, les dons-projets bénéficient principalement aux pays pauvres prioritaires. Nous pouvons donc nous réjouir que l'enveloppe qui leur est dédiée soit préservée en 2015 malgré les contraintes financières que nous connaissons. Cela reflète clairement les priorités budgétaires du Gouvernement.

On peut également saluer la poursuite en 2015 de l'augmentation de la part des dons-projets qui transitent par les ONG, conformément à l'engagement du Président de la République de doubler le montant de ce type de financement de l'APD d'ici la fin du quinquennat.

Les deux lignes budgétaires que je viens d'évoquer (bonifications et dons-projets) représentent environ 55% des aides bilatérales de la mission, ce qui relativise l'idée que nos outils sont dispersés.

Nous avons déjà discuté en commission de l'équilibre entre les prêts et les dons : les prêts apportent une réelle plus-value à l'aide au développement, notamment dans les pays émergents grâce à son effet de levier particulièrement intéressant. Les dons doivent cependant rester à un niveau suffisant pour permettre de financer des projets dans les pays pauvres prioritaires, pays qui peuvent beaucoup moins bénéficier de prêts.

Ce débat agite l'Assemblée nationale, comme notre commission, depuis plusieurs années. Cette année, les députés ont déposé et fait adopter, contre l'avis du Gouvernement, un amendement tendant à diminuer les bonifications de prêts de 35 millions pour abonder les dons-projets de la même somme. Nous ne proposons pas de revenir sur cet amendement. Il ne constitue certes pas une réponse adaptée, d'une part, parce que l'AFD a déjà engagé un certain nombre de ces prêts, d'autre part, parce qu'il nous semble un peu vain - voire contre-productif - d'opposer ces deux outils qui sont complémentaires. Pour autant, notre commission estime que les dons-projets ont trop baissé dans les dernières années et ont atteint un seuil critique. C'est pourquoi ces 35 millions ne seront pas superflus ! Pour les bonifications de prêts, le Gouvernement peut très bien faire porter l'effort sur une autre ligne budgétaire puisque techniquement c'est le programme 110 dans son ensemble qui est affecté.

En tout état de cause, on voit bien avec la crise provoquée par le virus Ebola que les dons-projets sont indispensables. Si la communauté internationale s'est mobilisée en matière de santé depuis une dizaine d'années, en levant des financements nouveaux qui se sont révélés précieux pour l'achat de médicaments, d'équipements ou pour la vaccination, la crise actuelle démontre l'absolue nécessité de ne pas négliger le soutien aux services publics, en l'espèce les systèmes de santé. Pour combattre une telle maladie ou pour lutter efficacement contre la mortalité maternelle et infantile, la population doit avoir confiance dans un système qui l'accueille facilement et efficacement. Ces actions passent par la coopération technique et par des subventions ou des aides budgétaires globales qui pourraient y être affectées.

En ce qui concerne plus précisément Ebola, la France prend toute sa part dans les actions menées par la communauté internationale, ainsi que la ministre de la santé a récemment pu le rappeler en séance devant le Sénat. Elle répond à des besoins d'urgence, par exemple en finançant plusieurs centres de traitement des malades en Guinée, y compris en zone reculée comme en Guinée forestière, et elle agit aussi sur le moyen terme en finançant, à Conakry, un centre d'expertise de l'Institut Pasteur chargé de diagnostic et de formation. Ces projets contribuent aussi au rayonnement de la France. Le Gouvernement a annoncé une première enveloppe de 30 millions sur la gestion 2014 et il a déposé un amendement en seconde délibération à l'Assemblée nationale pour redéployer 40 millions au sein du programme 209 sur 2015.

Par ailleurs, cet amendement diminue le programme 110 d'un montant de 11 millions. L'ensemble des missions du budget de l'Etat sont en effet mises à contribution ; nous l'avons vu ce matin sur la mission « Défense ».

Enfin, je voudrais conclure cette première intervention en tant que co-rapporteur de l'aide au développement en rappelant une position souvent avancée par notre commission. L'aide au développement doit être appréhendée de manière globale. Tout ce que fait la France pour stabiliser certains pays constitue aussi - à n'en pas douter - une contribution au développement. Sans stabilité, sans sécurité, il ne peut y avoir de développement ! Ce n'est pas une condition suffisante mais elle est nécessaire.

Pour toutes les raisons que nous venons d'évoquer, y compris les points auxquels nous serons attentifs, nous vous proposons d'apporter un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Aide publique au développement » du projet de loi de finances pour 2015.

M. Christian Cambon, président . - Le chiffre de 0,7% est clairement inatteignable ! Mais sur le fond, nous devons continuer notre plaidoyer pour clarifier la comptabilisation de l'aide publique au développement. Il est nettement préférable de faire toute la lumière sur les chiffres et de dire la vérité, plutôt que de mélanger des dépenses qui n'ont rien à voir entre elles.

Par ailleurs, il faut que nous soyons bien conscients que la taxe de solidarité sur les billets d'avion, du fait que très peu de pays l'ont mise en oeuvre, pèse très fortement sur Air France dans la concurrence qu'elle livre aux autres compagnies internationales. Il s'agit tout de même de 80 millions d'euros pour la compagnie. Il faut donc être vigilant.

Nous devons intensifier les évaluations des programmes financés par l'aide publique au développement, comme nous y invitent les accords internationaux. L'expérience britannique est très instructive à cet égard.

M. Alain Néri . - Comme nos rapporteurs le disaient, nous pouvons être fiers du rayonnement de la France. Or nous sommes parfois trop modestes, alors même que nous menons des politiques volontaristes, en matière de santé ou d'éducation.

M. Daniel Reiner . - Modestes mais surtout déclinistes !

M. Alain Néri . - Je crois que nous devons arriver à un meilleur équilibre en faveur des actions bilatérales car le multilatéral dilue les responsabilités. En outre, certains communiquent mieux que nous, tout en contribuant moins...

Je salue la décision visant à orienter davantage de crédits vers les ONG ; cela me parait positif.

Enfin, nous avons pleinement raison de nous engager dans la lutte contre le virus Ebola. Mais il existe aujourd'hui un autre virus, contre lequel lutte la France, le virus de la barbarie ! Tout ce que nous faisons pour la combattre devrait pouvoir être comptabilisé dans nos efforts en faveur du développement. Et nous serions alors en pointe au regard du 1,1 milliard que coûtent les Opex.

M. Daniel Reiner . - Comment avance le projet européen de taxe sur les transactions financières ? Quel est son calendrier de mise en oeuvre ?

M. André Trillard . - On peut s'étonner que la France prête à un organisme international qui lui-même prête aux pays en développement... J'imagine en outre que le financement français sera dilué, sans pouvoir être identifié, et ne bénéficiera pas à nos entreprises.

En ce qui concerne Ebola, nous devons savoir raison garder. Cette épidémie a entraîné 5 000 morts à l'échelle mondiale ; d'autres maladies sont bien plus mortelles ou dramatiques, ne serait-ce que la tuberculose ou le choléra. Tout le monde court les plateaux de télévision mais on oublie un peu vite les centaines de milliers de morts consécutifs à ces autres maladies.

M. Robert del Picchia . - Il est très important de savoir comment l'argent est utilisé et il est dommage que, dans le domaine du développement, l'opinion publique ne puisse pas mesurer précisément les projets réalisés grâce à l'aide. De leur côté, les ONG devraient aussi fournir des efforts de transparence et d'évaluation, car on ne sait pas toujours très bien comment elles sont contrôlées.

Ne pourrions-nous pas financer les programmes contre Ebola par le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, dans lequel nous avons engagé des sommes importantes ?

M. Christian Cambon, président . - Mission impossible ! Ce fonds est quasiment sacré...

M. Robert del Picchia . - C'est regrettable. Enfin, ne pourrions-nous pas utiliser les fonds du développement pour faire pression sur les Etats qui refusent obstinément de payer des retraites aux Français qui ont pourtant travaillé dans le pays une bonne partie de leur vie, parfois toute leur vie ?

Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - La question des ONG est un vrai problème. Lors d'une mission en Afghanistan, j'étais frappée de voir des coopérants dans de grosses voitures rutilantes...

Ebola n'est pas le seul virus qui devrait nous mobiliser ; il en existe d'autres, moins médiatiques mais tout aussi dangereux. La rage pose encore d'importants problèmes dans certains pays et j'ai malheureusement constaté que l'Institut Pasteur au Cambodge n'avait même pas les moyens humains de remplir les dossiers de demandes de fonds, par insuffisance de crédits.

Enfin, je voudrais rappeler que les femmes constituent le premier moteur du développement et il est essentiel de flécher des crédits en ce sens.

M. Henri de Raincourt, rapporteur . - La politique de développement est essentielle pour la paix et la sécurité dans le monde dont, je le rappelle, le centre de gravité se déplace. Si nous ne sommes pas capables d'aider les pays à se développer eux-mêmes, nous serons confrontés à des problèmes insolubles. Nul besoin de rappeler que les côtes africaines sont à quelques kilomètres de l'Europe. Toute loi sur l'immigration sera vide de sens si on n'aide pas les Africains à se nourrir. Toutes les lois du monde ne créeraient alors que des frontières en papier !

Je suis d'accord sur le fait que nous devons faire connaître ce que nous faisons. Nous pouvons par exemple nous appuyer sur la coopération décentralisée : les collectivités locales gèrent des opérations concrètes et efficaces que connaissent souvent les populations.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - J'ajoute que les problèmes de corruption sont également très importants.

M. Henri de Raincourt, rapporteur . - Ne tombons pas dans les clichés et ne généralisons pas ! Des progrès importants ont été réalisés sur ce sujet et nous ne devons pas décrédibiliser l'ensemble de l'aide au développement.

Nous devons montrer que la politique de développement est globale et, quand la France mène des actions en faveur de la paix et de la sécurité, elle contribue aussi au développement.

S'il est vrai que le Fonds sida est telle une vache sacrée, on ne doit pas oublier les résultats extrêmement positifs qu'il a permis en termes de prise en charge des malades partout dans le monde.

Enfin, personne ne peut nier le rôle central joué par les femmes dans le développement. C'est en effet un sujet important.

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure . - La transparence et le contrôle des ONG se sont renforcés ces dernières années. L'AFD leur demande des comptes pour les projets financés par elle. J'ajouterai qu'augmenter la part de l'aide transitant par les ONG ne peut que les faire grandir, ce qui entraîne ipso facto professionnalisation et amélioration des procédures.

M. Henri de Raincourt, rapporteur . - Je rappelle en outre que beaucoup d'ONG se sont fédérées dans Coordination Sud, qui assure un travail de représentation et de formation tout à fait important.

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure . - En ce qui concerne les questions de retraite soulevées par Robert del Picchia, la solution passe certainement par la conclusion d'un accord bilatéral.

M. Robert del Picchia . - Les choses traînent...

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure . - En matière d'évaluation et de transparence, éléments indispensables à la politique de développement, des progrès ont là aussi été réalisés. Par exemple, le ministère a ouvert un site internet qui vise à présenter tous les projets financés par pays partenaire. Le site concernait d'abord le Mali et il est progressivement étendu à tous les pays pauvres prioritaires.

En ce qui concerne Ebola, le Gouvernement a engagé des actions à la fois de prévention et de prise en charge des malades. Il est clair que l'emballement médiatique peut créer une psychose. Pour la première fois, ce virus a touché des zones urbaines au moment où les migrations sont nettement plus faciles qu'auparavant. Il est le révélateur des défaillances catastrophiques des systèmes de santé dans des économies défaillantes et il a des conséquences plus larges : par exemple, la perte de confiance dans les hôpitaux amène un certain nombre de femmes à accoucher à domicile, ce qui ne peut qu'aggraver la mortalité infantile et maternelle.

La taxe sur les transactions financières a rapporté environ 780 millions d'euros en 2014 à la France. Des discussions sont en cours au niveau européen pour mettre une telle taxe en place à l'horizon 2016 mais uniquement dans le cadre d'une coopération renforcée entre une dizaine de pays. Certains pays refusent en effet son principe ; pour le Royaume-Uni, cette taxe pourrait s'ajouter aux impôts existants sur la City londonienne, ce que le pays ne veut pas accepter. Les négociations portent à la fois sur l'assiette de la taxe et son taux mais aussi sur la répartition des recettes ainsi générées...

Pour reprendre le slogan de Pascal Canfin, pas de sécurité sans développement et pas de développement sans sécurité. Il est certain, comme je l'ai indiqué en conclusion de la présentation du rapport, que ces deux sujets sont indissociables.

Enfin, la coopération en matière de justice est importante dans la lutte contre la corruption et, pour la mettre en place, il est nécessaire d'avoir une politique adaptée de visas, notamment envers les étudiants. Acceptons le fait que ceux-ci ne constituent pas une menace migratoire.

M. Henri de Raincourt, rapporteur . - La taxe sur les transactions financières a été un grand combat, très difficile à mener, car de nombreux pays s'y opposaient et continuent de le faire. La France a voulu montrer l'exemple. Il n'est tout de même pas complètement anormal que les services financiers, qui bénéficient le plus de la mondialisation, contribuent un tout petit peu à l'aide au développement. C'est pour cela que l'assiette de la taxe doit être large et son taux faible.

À l'issue des débats, la commission a donné, à l'unanimité, un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Aide publique au développement ».

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