B. UN DROIT AU LOGEMENT QUI PEINE À ÊTRE APPLIQUÉ

1. Le bilan mitigé du droit au logement opposable
a) Des principes forts

Le caractère effectif du droit au logement conditionne celui d'autres droits fondamentaux tels que le respect de la vie privée et familiale ou le droit à la santé.

S'il n'est pas inscrit en tant que tel dans la Constitution ou dans le Préambule de 1946, le droit au logement a été consacré par le juge constitutionnel .

Dans sa décision du 19 janvier 1995, le Conseil constitutionnel, se fondant sur les alinéas 10 et 11 du Préambule de la Constitution de 1946 13 ( * ) ainsi que sur le principe à valeur constitutionnelle de sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation, a considéré que « la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent est un objectif de valeur constitutionnelle » 14 ( * ) . Il a ajouté « qu'il incombe tant au législateur qu'au Gouvernement de déterminer, conformément à leurs compétences respectives, les modalités de mise en oeuvre de cet objectif à valeur constitutionnelle ; que le législateur peut à cette fin modifier, compléter ou abroger des dispositions législatives antérieurement promulguées à la seule condition de ne pas priver de garanties légales des principes à valeur constitutionnelle qu'elles avaient pour objet de mettre en oeuvre » .

L'article 1 er de la loi du 5 mars 2007, aujourd'hui codifié à l'article L. 300-1 du code de la construction et de l'habitation, a donné au droit au logement un caractère opposable 15 ( * ) : « Le droit à un logement décent et indépendant [...] est garanti par l'Etat à toute personne qui, résidant sur le territoire français de façon régulière et dans des conditions de permanence définies par décret en Conseil d'Etat, n'est pas en mesure d'y accéder par ses propres moyens ou de s'y maintenir. Ce droit s'exerce par un recours amiable puis, le cas échéant, par un recours contentieux [...]. »

La procédure applicable à l'exercice du droit au logement opposable

La loi Dalo s'applique à six catégories de ménages dits prioritaires :

- les demandeurs de logements sociaux confrontés à des délais de réponse anormalement longs ;

- les personnes dépourvues de logement ;

- les personnes menacées d'expulsion sans relogement ;

- les personnes hébergées de façon continue dans une structure d'hébergement ou logées temporairement dans un logement de transition, un logement-foyer ou une résidence hôtelière à vocation sociale ;

- les personnes logées dans des locaux impropres à l'habitation ou présentant le caractère d'une habitation insalubre ou dangereuse ;

- les personnes ayant à leur charge un enfant ou une personne handicapée ou qui sont elles-mêmes handicapées et sont logées dans une habitation manifestement sur-occupée ou dans un logement indécent.

Placées dans l'une de ces situations, ces personnes peuvent saisir une commission départementale de médiation qui rend sa décision dans un délai de trois ou six mois.

Lorsque le demandeur a été reconnu prioritaire, le préfet a la charge de lui attribuer un logement. Le périmètre dans lequel ces personnes peuvent être relogées doit avoir été défini après concertation avec les maires des communes concernées et tenir compte d'objectifs de mixité sociale.

Si aucune offre de logement correspondant à sa situation n'a été faite dans un délai de trois ou six mois, le demandeur peut alors faire valoir sa demande auprès du tribunal administratif.

Une procédure similaire s'applique pour les personnes qui demandent un hébergement. Les délais sont dans ce cas réduits à six semaines.

b) Une mise en oeuvre qui demeure partiellement effective

Le bilan de la mise en oeuvre du droit au logement opposable (Dalo) demeure cependant mitigé . Fin 2011, sur 251 937 recours logements déposés, 79 737 avaient donné lieu à une décision de relogement. Pour 33 628 personnes déclarées prioritaires, le relogement s'était effectué dans le cadre de la procédure Dalo. Pour 18 275, il avait eu lieu avant le passage en commission ou indépendamment de la mise en application de la décision.

Le rythme mensuel des recours effectués auprès des commissions de médiation a augmenté de façon continue depuis 2008 16 ( * ) . Au premier semestre 2012, près de 7 000 recours étaient formés chaque mois. Ils sont inégalement répartis sur le territoire : l'Ile-de-France concentre près de six recours sur dix ; les régions Provence-Alpes-Côte-d'Azur, Rhône-Alpes et Midi-Pyrénées en enregistrent également une grande partie. Les familles monoparentales et les personnes seules représentent la plus grande partie des requérants.

Au premier semestre 2012, si l'on ne tient pas compte des décisions devenues sans objet, notamment en raison du relogement du demandeur avant l'intervention de la commission, les commissions de médiation ont rendu dans 40 % des cas des décisions favorables et 60 % conclu au rejet de la demande.

Si les retards en matière de relogement sont difficiles à apprécier de façon précise dans chaque département, certains territoires rencontrent de façon certaine des difficultés. En Ile-de-France, au 30 juin 2012, 27 534 ménages reconnus prioritaires depuis au moins six mois n'avaient pas encore de solution de relogement.

Tableau n° 3 : Ratio entre les ménages logés ou n'étant plus à reloger dans la période et les ménages reconnus prioritaires dans la période

2011

Premier semestre 2012

Part de la région dans les recours logement en 2012

Ile de France

49,1 %

33,6 %

57,7 %

Provence-Alpes-Côte-D'azur

59,0 %

60,9 %

15,6 %

Rhône-Alpes

104,2 %

103,6 %

4,3 %

Nord-Pas-de-Calais

95,8 %

72,2 %

3,4 %

Midi-Pyrénées

80,5 %

55,0 %

3,3 %

Languedoc-Roussillon

99,9 %

80,1 %

3,3 %

Aquitaine

77,6 %

65,8 %

2,1 %

Outre-Mer

50,8 %

12,9 %

2,0 %

Pays de la Loire

105,3 %

84,1 %

1,7 %

Alsace

96,3 %

81,0 %

0,9 %

Picardie

78,1 %

97,7 %

0,9 %

Centre

84,5 %

68,1 %

0,9 %

Bourgogne

69,2 %

60,3 %

0,8 %

Haute-Normandie

130,6 %

66,2 %

0,7 %

Corse

50,4 %

121,7 %

0,5 %

Lorraine

70,4 %

51,1 %

0,5 %

Champagne-Ardenne

102,6 %

95,7 %

0,4 %

Bretagne

82,7 %

113,3 %

0,4 %

Basse-Normandie

119,0 %

69,0 %

0,3 %

Auvergne

85,4 %

57,7 %

0,2 %

Poitou-Charentes

103,7 %

86,4 %

0,2 %

Franche-Comté

106,7 %

94,1 %

0,1 %

Limousin

161,5 %

40,0 %

0,1 %

France

61,7 %

50,0 %

100,0 %

Source : Comité de suivi de la mise en oeuvre du droit au logement opposable

Ces difficultés apparaissent encore plus prononcées pour l'exécution des décisions relatives à l'hébergement : au premier semestre 2012, seules 29 % d'entre elles avaient été appliquées. Le comité de suivi Dalo va jusqu'à estimer que la diminution récente des recours formés en matière d'hébergement pourrait trouver son explication dans la difficulté à appliquer ensuite les décisions.

Près de 5 600 recours ont été formés devant le juge administratif en 2010 puis en 2011 . Le projet de loi de finances pour 2014 prévoit une dotation de 34,4 millions d'euros destinée au paiement par l'Etat des astreintes auxquelles il est condamné dans le cadre du contentieux Dalo. Ce chiffre, en augmentation par rapport à l'année 2013, ne traduit pas nécessairement le montant des astreintes prononcées par le juge chaque année dans la mesure où il peut exister un décalage entre le prononcé des décisions et la liquidation des astreintes.

2. Les enjeux d'un meilleur fonctionnement

Les freins à l'application de la loi « Dalo » s'expliquent en partie par les difficultés que rencontrent les préfets pour mobiliser les contingents de logements sociaux auxquels ils peuvent faire appel afin d'assurer les relogements. Le déploiement du logiciel SyPLO (système priorité logement) devrait permettre aux services de l'Etat d'avoir plus de visibilité pour traiter les demandes des publics prioritaires. Mais le relogement des bénéficiaires du Dalo ne peut devenir effectif qu'à la condition d'une mobilisation accrue de l'ensemble des acteurs concernés, en particulier des bailleurs sociaux et des collectivités territoriales.

En créant une nouvelle catégorie de public prioritaire, la loi « Dalo » a introduit un phénomène de concurrence qui constitue un élément de complexité supplémentaire dans la mise en oeuvre des procédures de relogement. Plusieurs des intervenants auditionnés par votre rapporteure ont en outre insisté sur le sentiment de stigmatisation dont leur font part certains bénéficiaires du Dalo.

La possibilité de faire appel à un accompagnement social adapté apparaît alors d'autant plus nécessaire pour assurer une insertion durable dans le logement. C'est tout l'enjeu de la mission confiée au fonds national d'accompagnement vers et dans le logement (FNAVDL), dont le financement repose sur les astreintes payées par l'Etat au titre du Dalo.

Votre rapporteure note que le projet de loi de finances pour 2014 prévoit, dans le cadre du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale, un abondement du FNAVDL de 4 millions d'euros. Cette ressource apparaît d'autant plus bienvenue que le périmètre d'action du fonds a été étendu à l'ensemble des publics rencontrant des difficultés particulières d'accès à un logement indépendant alors qu'il ne couvrait jusqu'à présent que les bénéficiaires du Dalo.


* 13 Alinéa 10 : « La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. »

Alinéa 11 : « Elle garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence. »

* 14 CC, 19 janvier 1995, n° 94-359 DC.

* 15 Loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale.

* 16 Les données chiffrées sont issues du sixième rapport du comité de suivi de la mise en oeuvre du droit au logement opposable, publié en novembre 2012.

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