EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. LA SITUATION DE L'ACCÈS AU LOGEMENT ET DE L'HÉBERGEMENT

A. LE MAL-LOGEMENT, COROLLAIRE DE LA PRÉCARISATION D'UNE PARTIE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE

1. La précarisation croissante d'une partie de la population
a) L'augmentation et la diversification des situations de pauvreté

Les répercussions sociales de la crise économique que traverse notre pays depuis 2008 contribuent à la précarisation d'une partie croissante de la société.

Selon les données de l'Insee pour l'année 2011, 8,7 millions de personnes, soit 14,3 % de la population française, vivaient en dessous du seuil de pauvreté , c'est-à-dire avec moins de 977 euros par mois 1 ( * ) . Le taux de pauvreté est en augmentation quasiment continue depuis 2008. La moitié de ces personnes disposent de moins de 790 euros par mois.

Tableau n° 1 : Evolution des indicateurs de pauvreté entre 2008 et 2011

2008

2009

2010

2011

Nombre de personnes pauvres
(en milliers)

7 836

8 173

8 617

8 729

Taux de pauvreté (en %)

13,0

13,5

14,1

14,3

Seuil de pauvreté
(euros 2011/mois)

985

989

984

977

Niveau de vie médian des personnes pauvres (euros 2011/mois)

803

801

798

790

Intensité de la pauvreté* (en %)

18,5

19,0

18,9

19,1

* L'intensité de pauvreté correspond à l'écart entre le niveau de vie médian des personnes pauvres et le seuil de pauvreté : en 2011, le niveau de vie médian des personnes pauvres est inférieur de 19,1 % au seuil de pauvreté.

Source : Insee

Ce sont les jeunes de 18 à 29 ans et les personnes sans emploi , notamment en raison de l'allongement des durées de chômage, qui sont le plus touchés par la pauvreté. Mais la détention d'un travail ne suffit pas à protéger de la précarité et le taux d'actifs en situation de pauvreté est en hausse : il est passé de 7,5 % en 2010 à 8 % en 2011.

Les familles ne sont pas non plus épargnées. L'observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale (ONPES) souligne ainsi que près d'un tiers des familles monoparentales et 21 % des familles nombreuses vivaient en dessous du seuil de pauvreté en 2009 2 ( * ) .

La hausse du taux de pauvreté s'accompagne d'une progression des inégalités . En 2011, les 10 % de ménages les plus aisés avaient un revenu annuel 3,6 fois supérieur à celui des 10 % les plus pauvres, contre 3,5 fois en 2010 et 3,4 fois en 2009.

Cette situation crée au sein de la population un sentiment diffus d'inquiétude quant au risque de précarisation et d'exclusion. Selon le baromètre annuel du Secours populaire pour 2011, 85 % des Français redoutent qu'à l'avenir leurs enfants soient confrontés à la pauvreté .

b) Des dépenses de logement de plus en plus contraintes

L'insuffisance des revenus disponibles conduit à une augmentation de la part des dépenses contraintes et à des arbitrages de plus en plus fréquents au détriment de certaines dépenses, notamment d'alimentation ou de santé, qui passent alors au second plan.

Le logement constitue aujourd'hui le premier poste de charges des Français . Il représentait en 2011 26 % de leurs dépenses de consommation courante contre 20 % en 1984 3 ( * ) .

Selon l'étude d'impact annexée au présent projet de loi, le taux d'effort médian des ménages , c'est-à-dire le rapport entre leurs dépenses de logement et leurs revenus, s'élève à 18,5 % en 2010 .

Il est particulièrement élevé chez les locataires du parc privé et chez les personnes qui accèdent à la propriété, pour lesquels il s'établit aux alentours de 27 %. Un cinquième des locataires du parc privé ont aujourd'hui un taux d'effort de plus de 40 % et un tiers ont un taux d'effort supérieur à 31 %. Les revenus de ces locataires progressent en outre moins vite que ceux de l'ensemble des ménages.

Cette situation est bien évidemment renforcée par l'augmentation continue des prix de l'immobilier au cours des dernières années.

Comme le souligne Claude Bérit-Débat dans son rapport sur le projet de loi relatif à la mobilisation du foncier public en faveur du logement 4 ( * ) , les loyers ont augmenté de 3,4 % par an depuis 1984 , un rythme équivalent à celui de l'évolution du revenu disponible mais deux fois supérieur à celui de l'inflation.

Cette hausse est particulièrement soutenue dans les grandes agglomérations et en région parisienne. Au 1 er janvier 2013, les loyers au mètre carré pratiqués à Paris et dans sa proche banlieue étaient deux fois plus élevés qu'en province 5 ( * ) .

Parce que la hausse des prix est d'autant plus durement ressentie par les ménages les plus modestes, le logement devient un facteur de creusement des inégalités sociales .

Avec la mauvaise qualité d'une partie du parc immobilier français et la hausse des prix de l'énergie, l'augmentation des prix du logement accentue les phénomènes de précarité énergétique .

Ainsi que l'indique une étude du centre de recherches pour l'étude et l'observation des conditions de vie (CREDOC) 6 ( * ) , la précarité énergétique est d'autant plus forte pour les ménages partis chercher des logements moins onéreux en dehors des centres urbains : ceux-ci sont en effet plus éloignés des services et commerces et généralement de moins bonne qualité énergétique.

2. Les difficultés à empêcher les ruptures
a) Des mécanismes de solvabilisation et de prévention imparfaits

Les aides personnelles au logement (APL) ont été versées en 2010 à 6,3 millions de bénéficiaires pour un montant mensuel moyen de 212 euros. Cela représente une dépense totale de 15,9 milliards d'euros, soit près de 40 % de l'ensemble des aides publiques destinées au logement.

Si ces aides contribuent à limiter le taux d'effort des locataires, leur pouvoir de solvabilisation s'est détérioré au cours des dernières années. C'est ce que souligne un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) publié en 2012 7 ( * ) .

En effet, la sous-actualisation du barème conduit aujourd'hui à une déconnexion entre le niveau des aides apportées et la réalité du marché du logement. En outre, le manque d'efficacité dans la gestion et dans les modalités de versement des allocations contribue à rendre l'évolution du montant des aides peu stable et par conséquent insuffisamment prévisible.

L'Igas souligne également que, les aides étant versées sous condition de décence du logement et du paiement effectif du loyer, elles devraient pouvoir jouer un rôle de levier dans la lutte contre l'habitat indigne et contre les expulsions locatives. Or ce potentiel n'a jusqu'à présent pas suffisamment été exploité.

Le dispositif de prévention des expulsions , s'il a été renforcé au cours des dernières années, notamment avec la mise en place des commissions de coordination des actions de prévention des expulsions locatives (Ccapex), demeure encore perfectible.

Ainsi que le souligne un rapport du Conseil d'Etat publié en 2009 8 ( * ) , la législation relative à l'expulsion s'inspire de trois principes essentiels qui traduisent la complexité du jeu des acteurs en présence :

- informer et mobiliser l'ensemble des intervenants le plus en amont possible de la procédure ;

- impliquer l'Etat au stade de l'enquête sociale en amont du passage au tribunal ;

- rendre obligatoire l'intervention du juge pour obtenir l'expulsion et octroyer à celui-ci de larges pouvoirs d'appréciation.

Les données fournies par l'étude d'impact annexée au présent projet de loi ne permettent cependant pas de conclure à l'effectivité pleine et entière de ces mesures.

Tableau n° 2 : Données relatives aux procédures d'expulsion sur la période 2004-2011

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

Contentieux locatif avec demande de délivrance de titre exécutoire

145 158

140 587

143 356

149 412

147 484

150 107

155 874

156 696

Décisions de justice prononçant l'expulsion

109 993

110 434

112 195

115 205

118 711

Nombre de commandements de quitter les lieux

58 926

53 976

55 392

56 461

58 904

57 336

58 739

55 957

Nombre de demandes de concours de la force publique

41 570

40 976

38 910

41 627

41 054

41 878

42 917

41 466

Nombre de décisions accordant le concours de la force publique

18 751

23 054

25 302

26 741

25 652

23 995

26 502

27 998

Nombre d'interventions effectives de la force publique

7 588

10 182

10 824

10 637

11 294

10 652

11 670

12 759

Source : Etude d'impact annexée au projet de loi.

Les impayés de loyers sont à l'origine de la quasi-totalité des demandes de résiliation du bail et d'expulsion introduites par les bailleurs auprès du juge d'instance. Leur nombre est difficile à apprécier. Dans son rapport de 2011 sur la politique d'hébergement 9 ( * ) , la Cour des comptes cite les données de l'Insee pour l'année 2006 : il y en aurait eu 500 000, contre 286 000 en 2002. Or les fonds de solidarité pour le logement (FSL), dont la responsabilité repose sur les départements depuis la loi de décentralisation de 2004 10 ( * ) , disposent trop souvent de moyens limités pour jouer pleinement leur rôle d'aide au maintien dans le logement.

b) Les situations de mal et de non logement

L'accès et le maintien dans un logement décent et indépendant sont par conséquent rendus difficiles pour un nombre croissant de personnes.

La Fondation Abbé Pierre estime à 3,6 millions le nombre de personnes mal logées 11 ( * ) .

700 000 d'entre elles n'ont pas de domicile personnel dont une grande partie de personnes hébergées chez des tiers. Au sein de cette catégorie, 150 000 personnes vivent dans la rue ou dans des structures d'hébergement . Elles étaient 86 000 en 2001.

Si elle n'est pas aisée à apprécier statistiquement, la réapparition des bidonvilles est aujourd'hui une réalité . Repoussées à la périphérie des villes, les personnes qui y vivent sont dès lors beaucoup plus éloignées de toute forme d'accès aux soins, à la scolarité et aux droits.

1 685 510 demandes de logement social étaient enregistrées au 1 er septembre 2012 dont 30 % venant de ménages déjà logés dans le parc social. Sur l'ensemble de l'année 2011, 480 000 logements sociaux ont été attribués.

L'insuffisance de l'offre de logements dans le parc HLM explique l'allongement des files d'attente. Si les objectifs affichés sont ambitieux (construction de 150 000 logements sociaux par an), l'évolution des aides publiques n'est pas encore à la hauteur, en particulier pour ce qui concerne les logements financés par le biais des prêts locatifs aidés d'intégration (PLAI).

Or, afin de proposer une réponse adaptée aux ressources des demandeurs, c'est sur les logements très sociaux que doit être concentré l'effort. La Fondation Abbé Pierre estime ainsi nécessaire de doubler la part de logements PLAI dans la production de logements sociaux neufs afin d'atteindre 40 % des 150 000 logements construits.

Dans ce contexte, la création par la loi du 18 janvier dernier 12 ( * ) du fonds national de développement d'une offre de logements locatifs très sociaux (FNDOLLTS), qui sera alimenté par la majoration des prélèvements effectués sur les budgets des communes n'ayant pas atteint sur leurs territoires le taux légal de logements sociaux, mérite d'être saluée.


* 1 Le seuil de pauvreté est défini à 60 % du revenu médian qui était en 2011 de 19 550 euros par an.

* 2 ONPES, rapport 2011-2012.

* 3 Credoc, « Le logement social - un levier pour redonner du pouvoir d'achat et favoriser la mobilité ? », note de synthèse n° 8, septembre 2013.

* 4 Rapport n° 167 (2012-2013) de la commission des affaires économiques sur le projet de loi relatif à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social, M. Claude Bérit-Débat.

* 5 Données citées dans l'étude d'impact annexée au présent projet de loi.

* 6 Credoc, Consommation et modes de vie : « La précarité énergétique pose la question du coût du logement en France », n° 258, mars 2013.

* 7 Il existe trois catégories d'aides personnelles : l'allocation de logement familiale, l'allocation de logement sociale et l'aide personnalisée au logement.

* 8 Conseil d'Etat, Rapport public 2009 : « Droit au logement, droit du logement ».

* 9 Cour des comptes, Rapport d'évaluation de la politique publique de l'hébergement des personnes sans domicile.

* 10 Loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.

* 11 Ce terme recouvre des situations diverses : absence de domicile, hébergement chez un tiers, habitat de fortune, hôtel, surpeuplement, notamment.

* 12 Loi n° 2013-61 du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social.

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