II. EXAMEN DU RAPPORT

Au cours de sa séance du mercredi 21 novembre 2012, la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire a examiné le rapport pour avis sur les crédits « transports routiers » de la mission « Écologie, développement et aménagement durables » du projet de loi de finances pour 2013.

M. Ronan Dantec , rapporteur pour avis. - Il me revient de vous présenter les crédits « routes » du projet de loi de finances pour 2013. Certains pourraient penser qu'il est paradoxal de confier les routes aux écologistes. Je voulais donc dire ici l'intérêt que j'ai trouvé à l'exercice, à la fois parce que nous avons quand même évidemment besoin de routes, mais aussi parce que le budget routes, ce ne sont pas que des dépenses, mais aussi des recettes dont l'affectation vers le rééquilibrage modal est stratégique.

Quelques mots de contexte. Ce budget précède la redéfinition du SNIT. Nous en avons déjà largement évoqué les enjeux et les difficultés lors de l'audition de Frédéric Cuvillier et lors de notre débat sur les transports terrestres rapportés par Roland Ries. Nous devons parler des infrastructures elles-mêmes, de leur articulation en réseau, mais aussi de leurs usages et des outils dont nous disposons pour choisir les infrastructures et infléchir les usages qu'en font nos compatriotes. Nous devons réunir un très grand nombre d'informations et coordonner des actions d'échelle temporelle très variable, depuis les infrastructures elles-mêmes, qui demandent une prospective à long terme, jusqu'aux actions normatives, qui changent immédiatement certaines conditions du transport, en passant par les enjeux de moyen terme que représente le plus ou moins bon entretien des routes, par exemple.

Or, j'ai été surpris de ce que les services de l'Etat n'appréhendent pas mieux « l'économie générale » de la route. Nous manquons d'une vision stratégique de ce que coûtent et de ce que rapportent les routes dans leur ensemble, toutes collectivités publiques confondues.

Le Grenelle de l'environnement a fixé un cap, avec des objectifs quantitatifs de réduction des gaz à effet de serre et des objectifs qualitatifs sur le choix des infrastructures et la réorientation de la dépense publique. Je reconnais très volontiers, et vous constaterez que je ne fais pas de politique au sens étroit du terme, qu'il y a eu du bon avec le Grenelle de l'environnement : il y a même un « avant » et un « après » Grenelle, quoique l'impact en ait varié selon les domaines. Le président de la République vient de fixer un nouvel objectif très ambitieux : réduire de 40 % nos émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030. Cependant, le bilan carbone des transports s'alourdit, du fait de l'augmentation des déplacements : nous sommes encore loin du compte !

C'est dans ce contexte que j'ai souhaité aller au-delà d'une simple présentation des chiffres et apporter une contribution au débat que nous mènerons sur le SNIT.

D'abord sur « l'argent de la route », c'est-à-dire les crédits d'Etat que je vous présenterai, mais plus largement l'argent que nous prélevons sur la route, en particulier sur les concessionnaires autoroutiers et sur les transporteurs routiers. A quoi vont servir  les crédits « routes » de ce projet de loi de finances ? Peut-on prélever davantage sur l'usage de la route, pour accélérer le report modal ?

Ensuite, sur la sélection des projets d'infrastructures et l'utilisation des outils incitatifs : les infrastructures sur lesquelles nous mettons des moyens sont-elles bien celles dont nous avons besoin ? Comment en décide-t-on ? Comment en débattrons-nous dans le cadre du SNIT ?

Enfin, utilise-t-on suffisamment les outils dont nous disposons pour infléchir les comportements, en particulier le levier du bonus/malus et les normes dites « environnementales » ?

D'abord, l'argent de la route, en particulier les grands chiffres de ce budget. Au sein du programme 203 « Infrastructures et services de transports », 731 millions sont consacrés au développement des infrastructures routières et 661 millions à l'entretien et à l'exploitation des 11 500 kilomètres du réseau routier national non concédé, dont 9 000 kilomètres de routes nationales. Ces chiffres sont satisfaisants, parce que la partie « entretien préventif et grosses réparations » progresse de près de 11 %, à 115 millions d'euros, qui vont servir à l'entretien courant, à des travaux d'amélioration de la sécurité et aux services, notamment l'information des usagers de la route. L'Etat limitera strictement l'augmentation de capacité du réseau routier au traitement des points de congestion, des problèmes de sécurité ou à des besoins d'intérêt local en limitant les impacts sur l'environnement : c'est conforme aux engagements du Grenelle de l'environnement. Il s'agit principalement d'élargissements de routes existantes, de déviations ou d'achèvement de rocades.

Autre point de satisfaction, les crédits de l'AFITF augmentent, du moins sur le papier : nous en avons débattu sur les transports terrestres, il faut que les 400 millions de l'écotaxe poids lourds soient au rendez-vous pour que la hausse soit effective.

M. Gérard Cornu . - C'est bien le problème !

M. Ronan Dantec , rapporteur pour avis. - Nous y serons tout aussi vigilants que vous et je n'oublie pas que, comme vous l'avez dit, le produit de la taxe pourrait être minoré par les reports de trafic sur les autoroutes, ce qui était l'un des objectifs de l'écotaxe poids lourds évoqué lors du Grenelle. Ces reports vont accroître les revenus des sociétés d'autoroute, ce qui rend légitime d'en récupérer une partie. Frédéric Cuvillier a annoncé une augmentation de la redevance domaniale de 200 millions d'euros, cela ne représentera qu'une faible ponction sur les bénéfices des autoroutes. Ces moyens supplémentaires devront être alloués aux alternatives à la route, en particulier aux trains d'équilibre du territoire (TET).

Les sociétés concessionnaires, privatisées en 2005 pour 15 milliards d'euros, ont dégagé l'an passé un résultat net cumulé de 1,94 milliard d'euros. Un tel rendement dans les infrastructures de transports à si brève échéance, c'est plutôt rare ! Cette privatisation n'est-elle pas devenue si profitable qu'on puisse légitimement y voir une forme de captation de l'investissement public d'hier, voire d'aujourd'hui ?

Quoi qu'il en soit, nous devons être vigilants lorsque les sociétés concessionnaires proposent de prolonger la durée de leur concession en échange de travaux pour améliorer le service, pour respecter certaines normes environnementales, ou encore en échange de nouveaux segments et « petits bouts manquants » de voies, ce que le Conseil d'Etat a accepté dans le principe. Ces propositions sont habiles : l'Etat manque de moyens, les sociétés d'autoroutes en ont beaucoup, pourquoi ne pas prolonger un peu la bonne affaire, quitte à y consacrer une partie des bénéfices : c'est de la bonne gestion d'une affaire bien rentable... Est-ce dans l'intérêt général ? Je ne le pense pas, et je préfèrerais voir les autoroutes revenir dans le giron public, puisqu'elles sont une véritable « manne ». Comment en débattrons-nous ? Des questions se posent pour le transfert de nouveaux segments de routes à des sociétés concessionnaires, où l'intérêt pour la collectivité ne va pas de soi - je pense en particulier à l'A63 (ex RN 10)  au sud de Bordeaux, à la RN 154 Orléans-Dreux, ou encore à la route centre Europe Atlantique (RCEA) entre Moulins et Mâcon. Je serai très attentif sur ce point.

Deuxième sujet : la sélection des projets d'infrastructures, et plus largement les choix qui président à l'allocation des ressources.

Le Grenelle de l'environnement a largement débattu des critères devant présider au choix d'infrastructures et à l'allocation des ressources publiques. La loi « Grenelle I » a énoncé et hiérarchisé six critères tenant aux émissions de gaz à effet de serre, aux perspectives de saturation et à la sécurité, à la performance environnementale, à l'accessibilité multimodale, au développement économique, à l'aménagement des territoires et enfin à l'accessibilité des personnes à mobilité réduite. Cette nouvelle « ligne » préside-t-elle à la sélection des projets, à la répartition des ressources dont nous disposons ? A ma grande surprise, j'ai constaté que les nouveaux critères n'étaient pas véritablement intégrés. Pour instruire les dossiers, l'administration utilise toujours une instruction cadre de 2004, rédigée pour prendre en compte le rapport « Boiteux II » de 2001 ! Cette lenteur est décalée avec l'agenda politique du Grenelle et la demande sociale. L'administration m'a répondu que les services travaillaient à une « actualisation » de cette instruction, sans plus de précision. Le risque, c'est que cette grille de critères économiques, sociaux et environnementaux, ajustée au Grenelle de l'environnement, ne soit pas disponible pour la commission « Mobilité 21 », dont la commande politique est précisément de hiérarchiser les projets.

Je n'ai pas l'illusion qu'une grille parfaite existe, je sais bien qu'il faut toujours tenir compte de facteurs particuliers d'aménagement du territoire. Mais nous sommes en retard sur la stratégie d'ensemble et le défaut d'analyse ne peut que faire perdurer le choix « au doigt mouillé »... L'existence même de l'AFITF sanctuarise des crédits pour les infrastructures, c'est indispensable à la visibilité des investissements, mais nous devons y ajouter davantage d'analyse, pour préciser notre stratégie et mieux arbitrer entre les projets.

Voyez le 44 tonnes, exemple même où la stratégie d'ensemble n'est pas claire. On finance le report modal, mais on va autoriser les poids lourds de 44 tonnes sur 5 essieux à circuler sur nos routes jusqu'en 2019 : qu'est-ce qui aura le plus d'impact ? On aide les autoroutes ferroviaires mais des 44 tonnes vont traverser notre territoire du nord au sud : quel sera le bilan croisé de ces deux mesures, pour le report modal ? Et pour l'état de nos routes ? Ne risque-t-on pas que les 44 tonnes dégradent nos routes bien davantage qu'on ne pourra les réparer grâce aux moyens supplémentaires que nous consacrons aux « grosses réparations » ? Je ne fais que poser les questions, mais pour constater que ces calculs ne sont pas faits, faute d'une vision globale.

Le « bleu » budgétaire n'hésite pas à souligner l'« orientation résolument intermodale » de ce budget : est-ce véritablement le cas ? Pour le savoir, il faudrait comparer l'ensemble des mesures : les investissements, les actions spécifiques, bien sûr, mais aussi les actions incitatives et l'ensemble des normes qui ont une incidence sur l'usage des infrastructures. Je partage l'opinion exprimée par Rémy Pointereau sur les transports terrestres : les infrastructures de transports sont des équipements si utiles qu'on ne peut pas les regarder seulement en termes de dette, il faut considérer leur utilité très largement, bien au-delà de leur rentabilité à court terme.

Des changements d'ordre normatif peuvent modifier les conditions de rentabilité de grandes infrastructures. Je pense aux autoroutes ferroviaires, par exemple celle entre le Luxembourg et l'Espagne. Dès lors qu'une telle infrastructure existe, ne faut-il pas interdire ou rendre plus contraignante la traversée de notre territoire par la route sur le même parcours ? La contrainte n'est-elle pas un moyen d'accélérer la mise en place des infrastructures que nous voulons, en sécurisant les recettes à venir  ? Ici encore, je n'ai pas les réponses, mais je regrette que l'analyse présentée par l'Etat ne soit pas plus globale, qu'elle ne permette pas suffisamment de comparer ce qui se passe sur plusieurs plans, pour que nous puissions apprécier l'effet conjoint des investissements et des normes. C'est un débat important dans le cadre du SNIT, autant s'y préparer !

Autre sujet, qui mérite un chapitre à lui seul : le bonus-malus écologique automobile. L'Etat y a mis beaucoup de moyens : 1,45 milliard d'euros en quatre ans, à quoi s'ajoutent les 800 millions de la prime à la casse entre 2009 et 2010. Plus de deux milliards, pour quels résultats ? Le taux d'émission de CO2 des véhicules neufs vendus sur notre territoire a beaucoup baissé. Mais la baisse est générale en Europe, y compris dans les pays qui n'ont pas de bonus-malus écologique. La comparaison des courbes montre que nous sommes allés un peu plus vite que d'autres pays, mais est-ce que cela valait les deux milliards d'euros d'argent public que nous y avons mis ? Ici encore, j'ai été surpris d'une très grande faiblesse du « bleu » budgétaire, pour constater ensuite, lors des auditions, que l'Etat manque d'évaluation précise du dispositif : les effets sont mesurés dans leur grande masse, avec une marge d'incertitude sur les causes, mais pas du tout à l'échelle micro, celle de la décision d'achat et de l'influence effective sur le comportement de l'acheteur. A partir de quel niveau un bonus est-il efficace ? L'Etat ne peut pas le dire, parce qu'il manque de sondages qualitatifs précis sur la question.

Ensuite, le bonus-malus est-il utile à l'industrie automobile française ?

M. Gérard Cornu . - Non !

M. Ronan Dantec , rapporteur pour avis. - Effectivement, on peut en douter ! Le mécanisme devrait inciter les constructeurs à produire des véhicules peu polluants. Mais nos constructeurs automobiles sont en retard, ce qui fait préférer des véhicules plus « propres » mais importés. Le bonus-malus, dans son calibrage, est-il adapté aux gammes de véhicules de nos constructeurs ? Et surtout peut-il les inciter à faire évoluer leur gamme vers des véhicules plus propres ? Nous ne le savons pas bien, ici encore faute d'analyse précise.

Finalement, je dois constater que nous n'avons pas une vision assez fine de cet outil auquel nous consacrons beaucoup de moyens. Je le déplore, parce que c'est seulement avec une idée précise du bon réglage et des effets, qu'on pourrait envisager des alternatives. Pour atténuer la pollution, par exemple, ne faudrait-il pas, au-delà des véhicules neufs, ouvrir le bonus aux véhicules d'occasion récents les moins polluants ? Ne doit-on pas différencier le mécanisme pour les véhicules diesel, sachant qu'ils polluent davantage l'atmosphère, du moins jusqu'à la norme Euro VI ? Pour le savoir, il faudrait disposer d'analyses bien plus précises.

Ces remarques valent pour bien d'autres mécanismes incitatifs, en particulier pour les tarifs autoroutiers, où la directive Eurovignette 3 permet d'aller bien plus loin qu'aujourd'hui dans la modulation en fonction de critères environnementaux. Même chose pour l'écotaxe poids lourds : faut-il, comme l'ont fait les Allemands, aider les routiers à moderniser leur flotte en y consacrant une partie des fonds collectés par l'écotaxe ?

Vous avez compris mon message : ce budget va dans le bon sens, je vous invite à lui donner un avis favorable ; cependant, nous devons aller bien plus loin dans l'analyse de notre action, pour lui donner plus d'efficacité - et nous devons le faire sans tarder puisque nous allons redéfinir le SNIT !

M. Rémy Pointereau . - Je félicite le rapporteur et me réjouis de l'entendre défendre si bien les routes et les autoroutes, qu'il va jusqu'à qualifier de « manne » ! Ceci dit, notre débat d'aujourd'hui a tant de points communs avec celui sur les transports terrestres, qu'on aurait probablement mieux fait de les tenir le même jour.

Je crois que nous avons encore beaucoup à faire pour mieux relier les chefs-lieux de nos départements aux chefs-lieux de région.

Ensuite, sur le fret ferroviaire, il faut tenir compte de la distance et du produit transporté : ce n'est qu'à partir d'environ 700 kilomètres que le fret ferroviaire est efficace et c'est bien plus vrai pour des produits comme les céréales, faciles à transporter par rail, que pour d'autres marchandises. Or, quand vous regardez comment les choses se passent dans la réalité, vous constatez que beaucoup de fret se fait sur de petites distances, dans de petites zones de chalandise.

M. Gérard Cornu . - Effectivement, il est dommage d'avoir séparé les deux débats entre les transports routiers et terrestres, tant ils se recoupent.

Monsieur le rapporteur, tout le monde est d'accord pour renforcer le fret ferroviaire, nous le disons tous ! Cependant, je vous invite à regarder aussi du côté de la performance de nos entreprises de fret ; car si vous ne faites qu'aménager de nouvelles infrastructures sans que nos entreprises améliorent leur compétitivité, vous ne ferez qu'ouvrir un boulevard à la concurrence étrangère !

Nous avons créé le bonus-malus, j'étais circonspect dès le départ sur les arbitrages et je m'en étais ouvert au ministre de l'époque. L'idée est bonne, mais son efficacité dépend de nombreux facteurs. D'abord, le mécanisme devait être équilibré, entre le bonus et le malus. Or, les consommateurs sont allés du côté du bonus, c'est bien normal et c'est ce qu'il fallait mieux prévoir, comme j'en avais averti le ministre : les consommateurs adaptent leur comportement, c'est logique. Le mécanisme a donc été déséquilibré, depuis le début. Le Gouvernement actuel le renforce, mais je doute sérieusement que le bonus-malus s'équilibre enfin ! C'est la même chose pour l'écotaxe poids lourds : les routiers vont s'adapter et les recettes seront moindres que prévues.

Ensuite, je crois que le bonus-malus peut faire du mal à notre industrie automobile. A force de « malusser » les voitures puissantes, en particulier les voitures françaises, on décourage leur achat, avec tous les dégâts que cela entraîne pour nos constructeurs ! Pour avoir travaillé longtemps dans le secteur, je sais qu'il faut être très prudent avec les ventes d'automobiles, je sais aussi que des usines importantes sont en très grand danger. On peut se voiler la face, mais si des usines ferment parce que vous découragez l'achat des voitures qu'elles produisent, ne venez pas pleurer ensuite ! Je partage donc vos interrogations, Monsieur le rapporteur : il ne faut pas aller trop loin avec le bonus-malus, ou bien on peut faire le plus grand mal à nos constructeurs automobiles !

M. Ronan Dantec , rapporteur pour avis. - Je n'ai pas dit cela !

M. Francis Grignon . - Vous prônez une approche globale, qui pourrait être contre ? Mais c'est bien plus compliqué que vous ne le supposez. Pour le fret, nous en débattons régulièrement au sein du conseil d'administration de la SNCF : les facteurs à prendre en compte sont si nombreux, que l'équation en devient aléatoire. Il y a la conjoncture : avec la crise économique, le fret ferroviaire a baissé partout, c'est un fait. Il y a la géographie et en particulier la localisation des industries : en Allemagne, elle est bien mieux répartie sur le territoire que chez nous, cela simplifie les choses et c'est ce qui, pour partie, a rendu possible le magnifique hub ferroviaire de Duisbourg, que nous ne reproduirons jamais en France ! Il y a encore les infrastructures existantes, le matériel roulant, les sillons, et bien sûr les distances opérées par le fret dans la réalité : en France, 70% du fret se fait sur moins de 30 kilomètres, vous devez en tenir compte ! Alors dans ce contexte, c'est vrai que nous ne savons pas mesurer l'effet global d'une mesure telle que l'autorisation du 44 tonnes.

Merci donc pour votre appel à plus de globalité, mais c'est bien ce que nous nous efforçons tous de faire depuis le Grenelle de l'environnement...

M. Jean-Jacques Filleul . - Votre propos était très intéressant, monsieur le rapporteur, c'est vrai que nous manquons de vision globale, que c'est un mal bien français dont nous souffrons depuis fort longtemps. Nous en sommes conscients et nous en parlons pour le fret ferroviaire, mais parce que la situation y est devenue catastrophique. Trop longtemps, on a laissé la SNCF décider seule, comme si c'était elle le véritable ministère des transports. Même chose pour les routes : trop de décisions ont été prises en dehors de toute considération pour l'économie dans son ensemble.

Je veux signaler un problème qui s'aggrave d'année en année : les collectivités locales, singulièrement les petites, n'ont plus les moyens d'entretenir leurs routes. Dans mon département, des maires me disent qu'ils vont devoir abandonner certaines voies, faute de pouvoir les entretenir : quel recul ! Nous devons trouver des solutions avant qu'il ne soit trop tard. Cela suppose des innovations de la part des entreprises de travaux publics, qui doivent s'adapter au contexte. Mais il faut également mieux répartir les moyens : les petites routes subissent les poids lourds, pourquoi ne pas réserver à leur entretien une partie de l'écotaxe poids lourds ? Ne peut-on pas imaginer un fonds de péréquation dédié, pour aider à intervenir là où c'est nécessaire ? Le passage des 44 tonnes aura des effets sur l'ensemble du réseau, même si l'on ne sait pas dire exactement lesquels ni où - mais nous devons nous tenir prêts, en particulier pour aider les communes et les départements, qui n'ont déjà plus les moyens d'entretenir correctement leur réseau !

Je vous rejoins également pour dire que nous avons besoin d'autoroutes ferroviaires : sans elles, il est inutile d'espérer un véritable report modal. Cependant, sur certains parcours, les voies actuelles sont déjà saturées, les sillons disponibles y sont si rares qu'on en refuse déjà aux TER : il est illusoire de penser y faire passer une autoroute ferroviaire ! Ce qui manque donc pour le ferroutage et pour le fret ferroviaire en général, c'est une véritable ambition de l'Etat, pour prendre ce problème à bras-le-corps.

M. Michel Teston . - Ce budget préserve l'essentiel et il va dans le bon sens. Alors que Lionel Jospin et même Jean-Pierre Raffarin avaient refusé de vendre les autoroutes, Dominique de Villepin a commis ce que je n'hésite pas à qualifier de faute politique majeure : celle de privatiser les autoroutes, au vil prix de 15 milliards d'euros dont 4 seulement sont allés au financement des infrastructures via l'AFITF, alors que la rente autoroutière était estimée à 32 milliards à l'horizon 2030 ! C'est cet argent qui nous manque aujourd'hui pour régénérer et développer nos réseaux : nous en sommes à rechercher des moyens de tous les côtés, alors qu'il nous faut de grandes ambitions ! L'écotaxe poids lourds est une très bonne mesure, dont nous espérons bien qu'elle rapportera ce qu'on en attend. Nous serons très attentifs à son utilisation, car c'est bien aux infrastructures de transports qu'elle doit servir, c'est bien en priorité au report modal que l'AFITF devra l'employer.

M. Alain Le Vern . - Une taxe est utile si elle est vertueuse : avec le bonus-malus, ce que l'on voit d'abord, c'est que la consommation moyenne des voitures a diminué par deux en dix ans ! L'écotaxe poids lourds produit des effets avant même d'être entrée en vigueur : dans ma région, un motoriste lance un programme de recherche pour améliorer les performances de ses moteurs, en prévision de l'écotaxe.

Le véhicule électrique représente également un enjeu important dont il faut parler : comment équipe-t-on les routes pour que le « plein électrique » y devienne facile ?

M. Robert Navarro . - Nous nous répétons d'année en année en déplorant le recul du fret ferroviaire et les difficultés du report modal. Il n'y a en fait que deux moyens pour progresser : le cabotage maritime et le ferroviaire. Tant que les armateurs et les chargeurs ne trouveront pas d'intérêt à passer par nos ports, le trafic continuera à se faire par le Nord de l'Europe, y compris pour les marchandises à destination du sud de la France ! Nous avons besoin d'un effort continu pour améliorer l'attractivité de nos ports, ou bien nous perdons notre temps. Même chose pour le fret ferroviaire : la difficulté ne vient pas de ce que les deux-tiers du fret se font à courte distance, nous le savons bien, mais de ce que la SNCF a baissé les bras ! Il faut en faire beaucoup plus pour inciter les chargeurs à remettre les camions sur les trains, voilà la vérité ! C'est toute l'économie des transports qu'il nous faut changer...

M. Jean-François Mayet . - Effectivement, le fret dépend directement des ports maritimes, qui sont à la base de toute la chaîne logistique. Je connais une entreprise qui a dû fermer à Châteauroux parce que sa logistique n'avait pas d'autre solution que Rotterdam, voilà où l'on en est dans notre pays !

Le fret ferroviaire n'est pas attractif parce qu'il est trop cher, c'est aussi simple que cela. Mais ne pensez pas que vous changerez les choses en le rendant obligatoire : nous n'avons pas les infrastructures ! Des calculs ont été faits pour l'axe Lille-Marseille : si l'on devait mettre tous les camions sur des trains, le trafic serait quasiment ininterrompu, ce qui est parfaitement impossible en l'état actuel de nos infrastructures... Avant d'envisager la moindre obligation, il nous faut d'abord plus de sillons, voire des lignes dédiées : nous en sommes très loin. Cela dit, nous avons également bien des progrès à faire en matière de compétitivité, car si nous devions ouvrir demain matin les infrastructures dont nous rêvons, ce serait quasiment au seul bénéfice de la concurrence étrangère !

Mme Odette Herviaux . - Je remercie le rapporteur pour la qualité de son analyse. Nous savons bien que l'intermodalité dépend de facteurs nombreux et qu'elle est complexe à promouvoir. C'est ce que nous avions constaté par exemple à Hambourg, dans notre mission sur les ports maritimes : si les quatre cinquièmes du fret y transitent par le rail, c'est bien sûr parce que ce port hanséatique dispose d'une vaste plateforme multimodale, mais aussi parce que le fret ferroviaire bénéficie en Allemagne d'une organisation d'ensemble qui le rend plus régulier, plus sûr et moins cher que le transport routier !

Je m'interroge sur l'utilisation que vous suggérez de normes contraignantes en matière de ferroutage : d'autres pays européens ont-ils adopté de telles règles ?

M. Yves Chastan . - Il y a déjà bien longtemps que nous demandons plus d'analyse et de vision d'ensemble sur les transports, c'est bien sûr nécessaire à la cohérence des politiques publiques.

Je rejoins Rémy Pointereau : nous avons des progrès à faire sur les liaisons au chef lieu du département ! Dans certains cas, les problèmes sont insolubles : comment fait-on dans un département comme l'Ardèche, qui n'a plus qu'une route nationale au sud du département, qui n'a quasiment plus de train et où le chef-lieu n'est plus relié au réseau routier national ? Notre réseau routier a été déclassé, nous en avons la charge, alors qu'à l'évidence il sert de délestage au réseau national de la vallée du Rhône : est-il bien normal que l'Etat se soit désengagé à ce point ? L'Ardèche démontre également qu'il y a des départements où le désenclavement passe nécessairement et principalement par la route.

M. Henri Tandonnet . - Le bonus malus mobilise effectivement beaucoup de moyens alors qu'on s'en remet pour une grande partie aux aléas de la consommation : ne serait-il pas plus utile, avec le même argent public, de cibler plutôt les investissements ?

J'espère, ensuite, que l'aménagement du territoire figurera parmi les tout premiers critères du SNIT. Si le critère de la population l'emporte et si les métropoles captent tous les investissements, nos territoires ruraux continueront de s'appauvrir, sans perspective...

M. Raymond Vall , président . - Je m'associe à ces propos : effectivement, l'aménagement du territoire doit être prioritaire dans le SNIT, ou bien nous manquons à tous nos devoirs. L'Etat se désengage des routes : il n'a plus que 9 000 kilomètres de routes nationales à entretenir et laisse tout le reste du réseau non autoroutier aux collectivités locales ! Dans certains cas, la route principale du département n'est même plus dans le réseau national : le département est censé l'entretenir, mais il n'en a pas les moyens et la région a trop d'engagements ailleurs pour l'y aider. Dans ces conditions, quel scandale de voir l'Etat refuser de s'engager davantage dans le plan de modernisation des itinéraires routiers (PDMI) !

Devant notre commission, le président de la SNCF s'est engagé à ne plus démonter de lignes, c'est une bonne chose ! Mais il faut aller plus loin, car des lignes qui ne sont quasiment plus utilisées sont parfois les seuls axes possibles pour développer le fret : il ne faut pas les démonter, mais bien les conforter, ne serait-ce que pour préserver l'avenir. Nous avons un choix historique devant nous : ou bien on maintient a minima le réseau existant, ce qui suppose de l'entretenir, ou bien on laisse mourir une partie du territoire national, c'est bien de cela qu'il s'agit. Nous avons saisi l'Etat sur les PDMI, il ne faut rien lâcher, c'est bien notre rôle à la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire !

M. Ronan Dantec , rapporteur pour avis. - Je vous remercie les uns et les autres pour vos propos amènes, mais je tiens à vous rassurer : je reste pleinement écologiste et c'est en écologiste que je vous parle des routes ! C'est bien pourquoi j'ai insisté sur le report modal : ce budget en fait un maître-mot et mon objectif, c'est d'aller plus loin !

Je vous rejoins tout à fait, monsieur le Président, sur les enjeux d'aménagement du territoire : ils sont au coeur même du débat sur la mobilité. Nous avons effectivement un choix historique à faire et c'est bien toute la question du SNIT : comment passer d'un catalogue, à une stratégie ? Je ne vous ai pas dit autre chose : je constate que l'Etat manque de vision globale, alors que nous en avons le plus grand besoin pour définir la stratégie, alors que le débat sur le SNIT est en cours !

Madame Herviaux, les Suisses ont interdit aux poids lourds le transit dans les vallées alpines : les camions doivent monter sur les trains, c'est une obligation et c'est un exemple ; d'autres innovations réglementaires sont également possibles, il faut en débattre.

Je suis en désaccord avec M. Cornu sur le bonus-malus : la question n'est pas que le malus soit trop fort sur les voitures les plus polluantes que des constructeurs continuent de fabriquer, alors que c'est une impasse à moyen terme. Le problème, c'est que l'absence de vision stratégique nous empêche, avec cet outil, d'accompagner la nécessaire mutation environnementale de notre production automobile. Si nos constructeurs vendent moins de véhicules, c'est parce que leur gamme n'est peut-être pas assez compétitive sur les véhicules les moins polluants. Soit on nie cette réalité et les choses ne vont faire qu'empirer, soit on la reconnaît, et on aide alors nos constructeurs dans leur mutation environnementale, en réglant en particulier le problème du diesel. Cela dit, je suis d'accord pour dire que le bonus-malus devrait être à l'équilibre, il en serait plus efficace pour aider les changements. Vous l'avez donc compris : je ne renie rien de mon engagement écologiste !

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits « transports routiers » de la mission « Écologie, développement et aménagement durables » du projet de loi de finances pour 2013.

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