B. D'IMPORTANTES DIFFICULTÉS DE GESTION DES FRAIS DE JUSTICE

1. La progression différenciée des frais de justice selon les domaines d'intervention

La maîtrise des frais de justice à compter de 2006 est apparue comme l'heureuse surprise de la LOLF. En effet, le passage de crédits évaluatifs à des crédits limitatifs a permis, dans un premier temps, de contenir la progression des frais de justice qui avaient connu une explosion au cours des années précédentes.

Cette maîtrise a été le résultat de deux facteurs principaux. D'une part, les magistrats, sans perdre leur liberté de prescription, ont été sensibilisés à l'impact budgétaire des différentes opérations qu'ils peuvent demander dans le cadre d'une procédure (expertises, analyses, écoutes téléphoniques...).

M. Laplaud, procureur près le tribunal de grande instance de Bordeaux, a ainsi expliqué à votre rapporteur que si, auparavant, le magistrat -ou les services de police- pouvaient demander dans le cadre d'une enquête la réalisation d'analyses ADN sur un grand nombre de personnes, les prescripteurs s'efforçaient désormais d'utiliser ce type d'analyses à meilleur escient, d'une façon moins globale et systématique, en tenant compte des éléments de l'enquête. Il apparaît que le rôle d'impulsion et la vigilance des chefs de juridiction sont, en la matière, déterminants.

D'autre part, le ministère de la justice s'est efforcé de négocier les tarifs des différentes tâches correspondant aux frais de justice, afin de réduire le coût unitaire de chaque opération, en recourant à la mutualisation et aux appels à la concurrence.

Evolution des frais de justice depuis 2004 (en euros)

2004

2005

2006*

2007

2008

Frais de justice pénale

320 170 439

376 730 003

262 368 022

260 704 830

269 465 595

Frais de justice civile et prud'homale

56 501 572

60 550 124

22 988 085

22 980 767

24 031 250

Frais de justice commerciale

30 107 154

37 472 377

23 234 210

25 283 192

30 290 149

Autres frais de justice

12 287 767

12 618 837

70 831 855

79 652 042

77 946 516

Total frais de justice

419 066 932

487 371 341

379 422 139

388 620 831

401 731 510

Source : ministère de la justice - La modification de la nomenclature budgétaire au 1er janvier 2006 rend délicate certaines comparaisons. La modification majeure concerne le transfert de l'ensemble des frais postaux dans l'action « Soutien ». Les frais de justice relevant de l'action « Soutien » correspondent dans le tableau ci-dessus à la ligne « Autres frais de justice »".

Ainsi, alors que de 2003 à 2005, la dépense de frais de justice a connu une progression de 42,74 %, l'année 2006 a marqué une rupture avec cette tendance structurelle à la hausse, les frais de justice ayant diminué de 22,15 %. En 2007, la dépense a globalement augmenté de 2,42 % (388,62 millions d'euros).

Cependant, en 2008, les dépenses de frais de justice se sont élevées à 401,73 millions d'euros, par rapport à une enveloppe de 405 millions d'euros ouverte en LFI, soit une augmentation globale de 3,55 % par rapport à l'année 2007 (387,96 millions d'euros en 2007).

Les frais de justice de l'action pénale ont constitué 75 % du volume global soit un peu plus de 269,4 millions d'euros. Les frais de justice de l'action civile ont représenté 54,32 millions d'euros et ceux de l'action soutien 75,75 millions d'euros.

L'enveloppe allouée pour l'année 2009 au titre des frais de justice s'élève à 409 millions d'euros.

Les crédits prévus par le projet de loi de finances pour 2010 au titre des frais de justice s'élèvent à 395 millions d'euros. Cette dotation comprend le financement des dépenses supplémentaires induites par la réforme de la médecine légale (14 millions d'euros) 7 ( * ) .

Par ailleurs, cette enveloppe devrait permettre d'absorber le coût de la réforme relative à la sécurité routière (tests salivaires avec dépistage de consommation de stupéfiants) ainsi que le plein effet de la revalorisation tarifaire des interprètes, intervenue en avril 2009.

• Les frais de justice pénale

Les frais de justice pénale restent une composante très majoritaire des frais de justice (67,08 % du volume global 2008). Ils ont progressé de 3,4 % entre 2007 et 2008, mais demeurent inférieurs de plus de 14 % par rapport à la période 2004-2008.

Evolution des principaux postes de dépense de frais de justice en matière pénale (2004/2008)

Nature de dépenses

2004

2005

2006

2007

2008

Evolution 2004/2008

Evolution 2007/2008

Frais médicaux (hors analyses génétiques à compter de 2005 )

77 008 404

70 300 768

61 437 081

65 009 964

72 316 996

-6,1%

11,2%

Analyses génétiques

23 877 053

20 496 279

16 786 642

17 532 396

-26,6%

4,4%

Réquisitions opérateurs (hors location matériel)

65 953 218

69 084 726

38 280 064

34 606 456

33 257 430

-49,6%

-3,9%

Huissiers

14 345 983

14 520 557

14 345 983

14 517 961

15 065 323

5%

3,8%

Traduction interprétariat

13 923 265

14 994 863

13 207 273

14 214 382

15 124 014

8,6%

6,4%

Frais en matière de scellés

19 830 836

26 923 087

18 311 214

17 117 247

15 209 950

-23,3%

-11 ,1%

Enquêtes sociales rapides, de personnalité, contrôle judiciaire

10 737 727

20 278 123

19 818 320

20 992 261

22 572 027

110,2%

7,5%

Source : ministère de la justice.

Parmi les postes de dépense qui connaissent une progression, on peut distinguer :

- les frais médicaux . Il s'agit du premier poste de dépense pour les frais de justice. La dépense est passée de 65 millions d'euros en 2007 à 72,31 millions d'euros en 2008. Les frais médicaux correspondent principalement aux frais d'examens psychiatriques, médico-psychologiques ou psychologiques ainsi qu'aux frais d'examens toxicologiques, biologiques ou radiologiques.

Si ces dépenses tendaient à baisser entre 2003 et 2006, elles ont de nouveau augmenté en 2007 et 2008 (11,2 % en 2008). Ces frais font pour la plupart l'objet d'une tarification par le code de procédure pénale. A cet égard, les revalorisations successives, intervenues au 1 er août 2006 et au 1 er juillet 2007, de la lettre C (consultation généraliste) qui détermine le tarif de certaines prestations en matière de frais de justice (examen médical de garde à vue, examen médical des victimes avec fixation de l'ITT), constituent une des principales causes de cette augmentation.

On observe que cette hausse est particulièrement significative des frais liés à la mise à exécution et à l'application des peines (+38,9 %).

- les frais d'analyses génétiques , pour lesquels la dépense a évolué de 16,79 millions d'euros en 2007 à plus de 17,5 millions d'euros en 2008. Cette dépense concerne à la fois les frais d'analyses génétiques sur individus et les frais d'analyses génétiques à partir de traces biologiques.

Depuis 2005, la direction des services judiciaires a notifié trois marchés publics dans le domaine des analyses génétiques sur individus. Ces mises en concurrence ont permis d'obtenir une réduction significative du coût unitaire des analyses (67 euros HT en 2005, 23 euros HT en 2007 et 17 euros HT en 2008). L'augmentation de la dépense correspond donc principalement au développement des analyses génétiques effectuées sur les traces.

- les frais d'enquêtes sociales rapides, d'enquêtes de personnalité et de contrôle judiciaire . La dépense, pour l'ensemble de ces mesures, s'élève en 2008 à 22,5 millions d'euros, alors qu'elle était de 20,9 millions d'euros en 2007. Cette augmentation s'explique principalement par le recours accru au contrôle judiciaire (32.506 mesures en 2005, 33.946 en 2006, soit + 4 % - selon l'annuaire statistique de la justice pour l'année 2008).

- les frais relatifs aux honoraires d'huissiers , pour lesquels la dépense évolue de 14,52 millions d'euros en 2007 à 15,06 millions d'euros en 2008. Cette hausse résulte de la revalorisation des tarifs alloués aux huissiers audienciers (décret n° 2007-1388 du 26 septembre 2007).

- les frais relatifs aux traductions et à l'interprétariat, qui font apparaître une dépense de 14,2 millions d'euros en 2007 et de 15,1 millions d'euros en 2008. Cette augmentation reflète l'internationalisation croissante de l'activité judiciaire.

D'autres postes de dépense sont cependant en diminution :

- les frais de réquisition des opérateurs de télécommunications . La très forte progression des frais de justice, au cours des dernières années, était due avant tout à cette catégorie de dépense, qui connaît depuis 2006 une tendance à la baisse, la dépense étant passée de 69 millions d'euros en 2005 à 38,28 millions d'euros en 2006, à 34,60 millions d'euros en 2007 et à 33,25 millions d'euros en 2008.

Cette baisse est le résultat des efforts importants déployés en vue de la maîtrise des coûts dans le domaine des réquisitions téléphoniques. Ainsi, une tarification a été mise en place en 2006 et en 2007 en matière de production et de fourniture de données de communications électroniques (décret n° 2006-358 du 24 mars 2006, arrêté du 22 août 2006), et en matière d'interceptions de communications électroniques (décrets n° 2007-1519 et n° 2007-1520 du 22 octobre 2007, arrêté du 22 octobre 2007).

Outre la tarification, une architecture technique plus adaptée à la mise en oeuvre des écoutes téléphoniques a été recherchée.

La plate-forme dite « mini plate-forme d'interceptions des SMS et de recueil des données de connexion des communications interceptées » , permet depuis septembre 2007 aux officiers de police judiciaire de recevoir sur leur poste de travail, via le réseau Intranet, les SMS ainsi que les données de connexion associées aux interceptions sur le réseau mobile. De plus, ces informations sont disponibles automatiquement alors qu'elles faisaient auparavant l'objet d'une réquisition spécifique et payante.

- les frais de gardiennage de scellés . Après une forte hausse en 2005, ce poste de dépense connaît une baisse depuis 2006. D'un montant de 26,9 millions d'euros en 2005, la dépense s'est élevée à 15,20 millions d'euros en 2008. Un audit de modernisation sur la gestion des scellés a été conduit en 2007. Il conclut à la nécessité d'instaurer un contrôle effectif de la durée de garde des véhicules en fourrière et de généraliser la vente des véhicules durant l'instruction.

• Les frais de justice civile et commerciale

Ils connaissent une évolution contrastée. En matière commerciale (30,29 millions d'euros en 2008) la dépense connaît une forte augmentation (+19,8 %), alors qu'en matière civile et prud'homale (24,03 millions d'euros en 2008), la progression est contenue à 4,57 %.

L'évolution des frais de justice commerciale s'explique par une double réforme :

- la réforme des procédures collectives, qui a supprimé la possibilité pour le greffier de commerce de demander aux parties une provision pour frais de procédure. Cette provision est désormais avancée par le Trésor ;

- la réforme du tarif des greffiers de commerce, qui prévoit le paiement des frais en début de procédure et non plus à l'issue de celle-ci.

• Les frais de justice relevant de l'action « soutien »

Les frais postaux ne relèvent plus, depuis 2006, de l'action pénale ou civile, mais de l'action « soutien ». Cette action regroupe, outre les frais postaux, certaines indemnisations résultant de décisions judiciaires, certains frais mis en paiement au niveau de l'administration centrale (marché Air France pour les transfèrements judiciaires, indemnisation de la détention provisoire depuis le 1 er juillet 2006, marchés relatifs aux analyses génétiques...).

L'action « soutien » diminue en 2008 de 2,14 %. Cette évolution correspond aux dépenses ordonnancées par l'administration centrale, telles que les frais en matière d'analyses génétiques, qui ont connu une forte diminution en 2008 (-54%), le tarif unitaire de l'analyse obtenu dans le cadre du marché 2008 ayant diminué de 23 % par rapport à celui obtenu au titre du marché 2007.

Le projet de plateforme nationale des interceptions judiciaires

La mise en place d'une plate forme nationale des interceptions judiciaires a pour objet de faire face aux évolutions technologiques en matière de communications électroniques et de rationaliser les coûts en matière de frais de justice liés aux réquisitions adressées aux opérateurs de télécommunications ainsi qu'aux sociétés privées de location de centrales d'écoute. Ce projet est mené par la délégation aux interceptions judiciaires (D.I.J), rattachée au secrétariat général du ministère de la justice et des libertés.

Cet outil centralisé, dédié aux interceptions judiciaires et à la fourniture de données techniques associées, devrait être opérationnel en 2012. Cependant dès la fin du 1er semestre 2008, la rationalisation des procédures et des coûts est entrée partiellement en application, avec le déploiement d'une mini plateforme.

La « mini plateforme » , ou système de transmission des interceptions judiciaires (STIJ), permet aux officiers de police judiciaire (OPJ), après avoir obtenu pour chaque interception de téléphonie mobile, un numéro d'identifiant auprès du système de transmission des interceptions judiciaires, de récupérer sur leur poste de travail les SMS ainsi que les données de connexion associées aux interceptions sur le réseau mobile (date, heure, durée de la communication, numéro appelé, numéro appelant). Avec la mini plateforme, ces informations sont disponibles automatiquement alors qu'elles faisaient auparavant l'objet d'une réquisition spécifique et payante.

Le coût d'investissement pour la mise en oeuvre de la mini plateforme s'élève à 1 million d'euros pour une économie représentant chaque année environ 1,5 million d'euros.

La plateforme nationale des interceptions judiciaires prend en compte l'ensemble du spectre des réquisitions judiciaires en matière de communications électroniques.

Sans modifier le cadre juridique existant, selon lequel les interceptions judicaires de communications électroniques sont autorisées par un magistrat du siège (juge d'instruction ou juge des libertés et de la détention), elle mettra à disposition des OPJ de la police et de la gendarmerie ainsi que des agents de la douane habilités à effectuer des enquêtes judiciaires, les données relatives au trafic et au contenu de l'ensemble des communications électroniques (téléphonie fixe et mobile, fax, flux Internet).

Elle agira en qualité de tiers de confiance centralisé, située en aval des opérateurs et en amont des OPJ et agents de la douane judiciaire, respectant ainsi le secret de l'enquête et de l'instruction. En effet, les fonctionnaires chargés de la mise en oeuvre de ce dispositif ne peuvent accéder au contenu des informations retransmises.

Comme dans l'organisation actuelle, l'exploitation des données enregistrées ainsi que leur transcription relèveront de la compétence exclusive des OPJ et des agents de la douane judiciaire, qui agiront à partir de leur poste de travail informatique.

Les objectifs de cette plateforme sont les suivants :

- adapter les moyens d'interception aux évolutions des usages et des technologies en matière de communications électroniques ;

- assurer la fiabilité, l'authenticité et la confidentialité des informations recueillies, conservées et restituées par une architecture centralisée utilisant des réseaux de collecte et de distribution de données de l'Etat ou gérés par l'Etat ;

- diminuer le montant des frais de justice consacrés aux réquisitions judiciaires en matière de communications électroniques en supprimant les coûts supportés par la location de lignes de renvoi, de réseaux intermédiaires de distribution et de centrales d'écoutes ;

- instaurer un nouveau circuit de paiement des mémoires de frais, permettant de décharger les juridictions du traitement des mémoires de frais ;

- dématérialiser et conserver numériquement les scellés de données interceptées ;

- assurer un suivi statistique, notamment à des fins budgétaires.

Une enveloppe budgétaire de 3 millions d'euros est prévue, pour la réalisation de cette plateforme, sur le programme 310 « conduite et pilotage de la politique de la justice » pour le budget 2010.

* 7 Cette réforme s'inscrit dans le prolongement du rapport des inspections I.G.A.S / I.G.S.J sur l'organisation de la médecine légale. Les travaux menés en collaboration avec le ministère de la santé ont abouti à un schéma de structuration de la médecine légale qui s'articule autour de 2 pôles : la thanatologie et la médecine du vivant (examens des victimes et examens en garde à vue). Implantée au niveau régional, la thanatologie s'effectuera dans des structures dédiées avec un personnel parfaitement formé aux besoins judiciaires ; 33 centres de thanatologie sont envisagés. La médecine du vivant sera rattachée à des structures hospitalières dont la taille sera proportionnée à l'activité judiciaire. Ce schéma d'organisation s'accompagne également d'une réforme du financement de la médecine légale. Si le paiement s'effectue aujourd'hui à l'acte, le financement des structures dédiées sera effectué sur la base de conventions entre le ministère de la justice et celui de la santé. Seuls les médecins appartenant au réseau de proximité continueront d'être rémunérés à l'acte. La persistance de deux réseaux et la prise en charge par le ministère de la justice de coûts de fonctionnement qu'il ne supportait pas auparavant, sont deux facteurs susceptibles d'accroître le montant des frais de justice.

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