2. La situation économique est très préoccupante

a) La Macédoine était la plus pauvre des six républiques yougoslaves

La Macédoine contribuait à hauteur de 5-6 % au PNB de l'ancienne fédération yougoslave. Elle était bien la république la moins développée, avec, par exemple, un taux d'analphabétisme de l'ordre de 10 %.

Ses structures ne sont pas celles d'un pays occidental.

L'agriculture est sous-productive et familiale

Le climat est méditerranéen et les parcelles sont de petite taille (entre 1 et 4 hectares). La vallée du Vardar permet de bénéficier d'un climat moins sec, mais la Macédoine reste néanmoins très sensible aux sécheresses (années 1992-1993). Spécialités : tabac (23.000 tonnes en 1992), soit 42 % de celle produite par l'ancienne Yougoslavie. Culture du blé, de l'orge et du maïs.

L'élevage ovin est prédominant (2,25 millions de têtes, soit 1,10 ovin par habitant (35 % de l'ex-Yougoslavie).

L'industrie macédonienne était loin d'être inexistante, couvrant une gamme étendue de produits. Même si la Macédoine dispose de mines de charbon, de fer et de cuivre, elle était très dépendante - en ce qui concerne ses ressources énergétiques (électricité) de la Serbie.

Le Gouvernement macédonien a entamé dès 1990 une politique audacieuse de restructurations et de privatisation, tout d'abord du commerce de détail. Cette politique a été menée en accord complet avec le FMI et la Banque mondiale.

b) une situation aggravée par le double embargo, mais pour l'instant toujours stable

La fin de la fédération yougoslave et l'embargo du 31 mai 1992 de l'ONU contre la Serbie et le Monténégro ont été très vivement ressentis par la Macédoine qui commerçait beaucoup avec son voisin du Nord (75 % des exportations de la Macédoine en 1989). Á cet embargo, s'est ajoutée la fermeture des frontières imposée par la Grèce.

Après plus d'un an de blocus grec, la Macédoine subit gravement la crise économique qui l'a contrainte à réorienter tous ses échanges. Les Macédoniens ont dû modifier profondément leurs comportements. Pour autant, le Gouvernement macédonien n'a pas modifié sa politique. Dimitar Bercev, directeur du département économique du ministre macédonien des Affaires étrangères a estimé le coût annuel du blocus à un demi-milliard de dollars dans le mémorandum transmis à la Commission européenne en vue de son procès contre la Grèce devant la Cour européenne de Justice.

La conséquence première de l'embargo a été de couper le cordon ombilical reliant Skopje et Salonique, le grand port grec sur l'Egée. Le robinet du pétrole a été verrouillé, comme se sont interrompues les seules liaisons ferroviaires du pays, construite sur un tracé Nord/Sud. Cette mesure a été d'autant plus durement ressentie que l'axe stratégique nord-sud, via la vallée du Vardar, qui relie la Méditerranée à l'Europe centrale, était déjà entravé par les sanctions internationales contre la Serbie, le principal partenaire commercial d'avant l'indépendance.

Les estimations qui ont été publiées donnent une idée de la gravité de la récession économique qui frappe la Macédoine 8 ( * ) : la production industrielle aurait chuté de 9,5 % en 1994, les deux-tiers des usines ne tournant plus qu'à 40 % de leurs capacités ; l'inflation aurait atteint 123,9 % ; le taux de chômage s'élèverait à 38,3 %, avec 185.000 sans emplois. Cette dégradation économique fait suite à une situation déjà difficile, née de la désorganisation des échanges résultant de la désagrégation de la fédération yougoslave. Or, il n'est pas inutile de rappeler que, dès la période 1975-1985, la situation économique globale de l'ex-Yougoslavie s'était déjà fortement dégradée.

Par force, la Macédoine a reconverti ses flux commerciaux d'est en ouest. Les échanges ont emprunté des routes transversales inadaptées, à travers la Bulgarie et l'Albanie, redécouvrant en quelque sorte l'antique Via Egnatia des Romains qui reliait, sur un millier de kilomètres au sud des Balkans, l'Adriatique à l'Asie Mineure. Cette route, grande comme une route départementale française, passe par un col situé à près de mille mètres d'altitude. En conséquence, les produits turcs, italiens ou slovènes ont supplanté les marchandises grecques. Mais le surcoût est énorme. Le coût de l'acheminement d'une tonne de pétrole par Salonique était de 19 dollars; il est désormais de 57 dollars, via Burgas en Bulgarie. Autre exemple, le coût d'exportation d'un frigidaire "Frinko" est passé de 125 à 187 dollars par tonne. Les attentes aux frontières sont aussi considérables: jusqu'à 15 heures à Gjusevo, et 3 jours à Zlatarevo, les points de passage avec la Bulgarie, et parfois une semaine sur le pont surencombré de Giurgu qui enjambe le Danube entre la Bulgarie et le Roumanie.

Les autorités macédoniennes se sont mis en contact avec la Turquie, la Bulgarie et l'Albanie pour moderniser les infrastructures routières et créer une infrastructure ferroviaire sur un axe Durres (port en Albanie sur la mer Adriatique) - Mer Noire (Turquie).

Les Macédoniens, dont le pouvoir d'achat s'est effondré, avec un PNB par habitant qui serait passé de 1.078 dollars en 1990 à 640 dollars en 1994, ont dû s'adapter. Les citadins ont resserrés leurs liens avec leurs familles rurales, et certains sont repartis à la campagne. La Macédoine a la « chance » d'être encore un pays agricole, quasi autosuffisant. On trouve ainsi de tout sur les marchés d'alimentation.

Une économie parallèle s'est aussi développée, comme a surgi une élite "maffieuse" qui profite de toutes sortes de trafics, en particulier en violation de l'embargo contre la Serbie.

La Macédoine a été accusée d'être un maillon essentiel de la nouvelle route de la drogue. De la Turquie à l'Albanie, les routes les plus courtes passent par la Grèce ou la Macédoine, via la Bulgarie, pour l'héroïne produite en Iran, en Afghanistan ou au Pakistan. Des ports albanais, comme Durres, la drogue s'embarque vers les grands marchés de l'Ouest, selon des experts de l'ONU. "Nous nous trouvons sur ce qu'il est convenu de nommer la route de la drogue", a admis Peter Dzundev, chef de la commission macédonienne contre la Toxicomanie à une mission spécialisée du Gouvernement français. Mais pour le ministre de l'intérieur, "il n'y a plus depuis deux ans de danger d'un circuit stable via la Macédoine" , car "les contrôles renforcés ont rendu nos frontières plus ou moins transparentes". Des problèmes demeurent toutefois avec la Bulgarie, devenue une "plaque tournante". II n'a fait état que "de cas individuels" de trafics de drogue comme le prouveraient les "saisies limitées à 2 à 5 kg maximum", et l'absence d'explosion sur le marché local. La Macédoine cultive le pavot, "uniquement dans un but pharmaceutique", selon les autorités, et exclusivement destiné à une usine chimique locale Alcaloïd. Pour la revue spécialisée française, Observatoire géopolitique des drogues (OGD), la mafia albanaise s'est taillée un sanctuaire en Macédoine. L'OGD affirme, sans livrer de preuves, que l'argent de la drogue sert à acheter les armes d'une future insurrection au Kosovo et la création d'une "Grande Albanie". Ces accusations ont été reprises par les autorités grecques, d'abord par un document du ministère des Affaires étrangères, déposé le 29 mai 1995 par le ministre M. Carolos PAPOULIAS en réponse à un député de l'opposition conservatrice, puis par un rapport du ministère de l'Ordre public. Devant la délégation sénatoriale, M. FRCKOVSKI a repris les déclarations qu'il avait faites en février 1995; il a démenti cette accusation en assurant que la "mafia albanaise" avait été pour la plus grande part, démantelée en Macédoine et a affirmé qu'Interpol confirmait cette déclaration; les narco-trafiquants éviteraient la Macédoine en passant par la Roumanie (au nord) et par la Grèce et l'Albanie (au sud).

L'aide internationale a aussi commencé à se manifester, avec le déblocage attendu d'un prêt du FMI de 50 millions de dollars. Une aide de 23 millions d'écus (1 écu = 6,5 F environ) a été approuvée fin 1994 par la Commission européenne dans le cadre du programme Phare. Mais elle est pour l'instant bloquée. La Macédoine a trouvé un avocat de poids, en la personne du financier international Georges Soros qui, devant une commission du Congrès américain, a estimé le 13 février 1995 que "l'économie macédonienne est menacée d'effondrement sous le poids du blocus grec". "Et si la Macédoine sombre, nous aurons une troisième guerre balkanique" `, a-t-il averti.

La délégation sénatoriale a pu vérifier, en se rendant à la frontière grecque au poste de Gevgeljia (6 mars), de l'effet de la fermeture des frontières. À ce poste frontière situé sur l'autoroute Belgrade-Athènes, une vingtaine de voies destinées à la circulation automobile sont totalement vides. Seuls quelques véhicules de tourisme passent, au rythme de deux-trois par heure.

En revanche, au nord du pays, en se rendant sur la route de Pristina (Kosovo), la délégation sénatoriale a pu se rendre compte de la non-efficacité de l'embargo décrété contre l'ex-Yougoslavie. Á neuf heures du soir, il y avait trois kilomètres de queue de camions. Ces véhicules sont soumis à différents contrôles, certes, mais il y a quand même continuation - très ralentie - d'échanges commerciaux, surtout depuis le régime allégé de sanctions dont bénéficie Belgrade depuis août 1994.

La Macédoine reste très dépendante de la République Fédérale de Yougoslavie en ce qui concerne l'énergie.

* 8 Ces chiffres, cités par une dépêche de l'AFP. de février 1995, ont été jugés excessifs par les autorités macédoniennes rencontrées.

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