M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, beaucoup de sous-entendus, voire d’inexactitudes, ont été proférés depuis le début de ce débat. Je fais donc ce rappel utile : je ne suis nostalgique ni de l’Union soviétique ni de la Grande Russie de Catherine II, qui n’était en rien un État éclairé.

Puisqu’il faut le redire, car des propos mensongers viennent d’être tenus, je le redis : nous avons condamné dès les premières heures du conflit l’injustifiable agression militaire déclenchée par Vladimir Poutine en Ukraine. Cette attaque constitue un crime contre la paix et contre le droit international, et des crimes de guerre ont été commis.

Dès lors, nous adressons notre profonde solidarité au peuple ukrainien, qui résiste et se défend pour préserver la souveraineté de son pays.

Des dizaines de milliers de soldats, ukrainiens et russes, ont eu le corps mutilé et l’esprit traumatisé à vie, d’immenses territoires ont été défigurés, des villes entières marquées des stigmates de la guerre, parfois rasées, et aucune perspective de paix ne se profile.

Malgré 200 milliards d’euros versés à l’Ukraine, dont la moitié en aide militaire, malgré, en face, un État russe qui affiche un taux de croissance insolent de 2,6 % cette année et qui a multiplié son budget militaire par trois, la ligne de front est globalement figée depuis des mois.

Pour autant, la guerre ne s’apaise pas. Tandis que l’Ukraine peine à recruter, Poutine n’hésite pas à envoyer sa jeunesse à la boucherie et enrôle de force, y compris dans les prisons. Et je veux à mon tour saluer la mémoire d’Alexeï Navalny, assassiné le mois dernier en détention : il dénonçait les bellicistes qu’il faudra, disait-il, juger un jour.

Aujourd’hui, monsieur le Premier ministre, votre gouvernement nous invite à souscrire à l’intensive propagande belliciste. Si le Président de la République estimait, il y a de cela moins de treize mois, qu’un accord entre Ukrainiens et Russes était possible selon, je le cite, « 10 000 formules différentes », il envisage aujourd’hui la seule option de l’escalade guerrière,…

M. Gabriel Attal, Premier ministre. Il dit l’inverse !

Mme Cécile Cukierman. … qui hypothèque toute perspective de paix, et il n’« exclut rien » face à la seconde puissance nucléaire mondiale.

Cette fuite en avant vous a conduit à signer un traité de défense avec l’Ukraine qui est marqué par l’absence préoccupante de limites claires sur le volet Coopération militaire et de défense, la liste des domaines visés étant qualifiée de « non exhaustive ». Oui ou non, des militaires seront-ils envoyés en Ukraine ? Devrons-nous attendre la parole d’Emmanuel Macron, demain soir, pour en être informés ?

De même, l’accord prévoit le soutien à l’intégration de l’Ukraine dans l’Otan, ce qui relève pour la Russie, nous le savons, d’un casus belli.

Emmanuel Macron assumerait l’« ambiguïté stratégique » en évoquant la possibilité de l’envoi de troupes occidentales en Ukraine. Les réactions des chancelleries européennes sont tombées avec fracas : les États-Unis, l’Allemagne et la majorité des États membres de l’Otan ont tous catégoriquement rejeté cette approche.

Nous alertons quant à l’affirmation selon laquelle « une « partie de nos intérêts vitaux a une dimension européenne » : une telle déclaration bouscule de fait notre doctrine de dissuasion nucléaire au profit d’un nouveau parapluie nucléaire français placé au-dessus de l’Union européenne.

Quelle irresponsabilité que de croire que l’arme nucléaire peut exister pour autre chose que pour un État-nation ! Quelle ineptie de penser que nous partagerions les intérêts vitaux de la Pologne ou de Chypre !

L’« ambiguïté stratégique » de l’Otan est ainsi définitivement annihilée, tandis que la France, quant à elle, sort un peu plus affaiblie, raillée, ridiculisée de cette énième position changeante du Président de la République sur cette guerre.

Monsieur le Premier ministre, mesurez-vous l’effroi de ces millions de nos concitoyens qui assistent impuissants à la mise en mouvement de l’engrenage guerrier ? Comprenez-vous ces jeunes et ces familles qui ne peuvent accepter d’être un jour impliqués en esprit et en chair dans un conflit que personne ne cherche à régler par la négociation ?

À Prague, le Président de la République a persisté et signé. Face aux aveux du chancelier allemand sur son refus de livrer des missiles de longue portée à l’Ukraine, refus motivé par des problématiques de ciblage, Emmanuel Macron rétorque qu’il ne faut « pas être lâches ». Que signifie ce terme ? À qui s’adresse-t-il ?

Cette dérive de l’exécutif, qui place la France à la limite de la cobelligérance, s’inscrit dans une stratégie globale et mortifère de surarmement.

Les budgets de défense des États membres de l’Union européenne atteindraient près de 236 milliards d’euros en 2022, soit 11 % de plus qu’en 2021, et 284 milliards d’euros en 2025.

Selon une récente étude de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), depuis l’invasion de l’Ukraine, 63 % des commandes d’armement émanant des pays membres de l’Union européenne ont été passées aux États-Unis.

Cette guerre est aussi une chance pour les financiers de Bruxelles. En effet, les deux tiers des 50 milliards d’euros d’aide à destination de l’Ukraine qui ont été récemment débloqués seront versés sous forme de prêts, à rembourser intégralement – et avec intérêts !

Non, mes chers collègues, la guerre ne libère jamais ! Elle asservit les peuples.

À en croire la communication publique des états-majors allemand, suédois et désormais français, l’éventualité d’un conflit contre la Russie n’est plus à exclure. Si un tel conflit advenait, mon groupe est convaincu d’une chose : contrairement à vous, monsieur le Premier ministre, nous pensons que certaines stratégies, en particulier l’escalade, sont à exclure, qui plus est face à une puissance nucléaire.

Dans un conflit nucléaire, il n’y a ni gagnant ni perdant. Seul existe le risque, bien réel, de la destruction du continent européen. Dès lors, il convient de défendre dès maintenant, de manière inlassable, l’élaboration d’une solution globale de sécurité en Europe.

En effet, je vous rejoins, monsieur le Premier ministre, il ne s’agit pas que d’un conflit entre États voisins. Trump, dans ses déclarations, évoque une conditionnalité de l’assistance américaine pour défendre des pays membres de l’Otan et encourage la Russie à faire ce que bon lui semble. De telles déclarations doivent conduire à un sursaut de l’Union européenne.

L’alignement atlantiste n’est plus possible et la négociation d’un cadre de sécurité commune et de paix pour l’ensemble des pays de la grande Europe constitue l’unique stratégie pour éviter à nos peuples de nouveaux sacrifices insupportables.

Une fois que les premiers principes de sécurité commune auront été établis par la communauté internationale, les belligérants devront trouver un accord, un compromis mutuellement acceptable. Ce dernier devra s’articuler autour de deux principes : le droit à la souveraineté de l’Ukraine et des garanties de sécurité pour la Russie.

Parce que la priorité est d’armer le projet de paix de garanties solides et parce que, conformément à la Constitution, nous votons ce soir non pas pour ou contre l’Ukraine, mais pour ou contre votre déclaration et votre politique au service de la résolution de ce conflit, nous voterons contre.

Je le dis solennellement, les communistes n’ont pas de leçons à recevoir sur l’engagement patriotique. La recherche de la paix est possible, et tout le monde sait que les négociations s’ouvriront tôt ou tard. Nous ferons tout pour que cessent la boucherie et l’inhumanité profonde que porte la guerre, car, comme le disait Jacques Prévert, « Quelle connerie la guerre ». (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Guillaume Gontard. Monsieur le Premier ministre, en préambule, nous vous demandons de porter plus fort la voix de la France au Proche-Orient. Nous appelons à la tenue sans délai d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution, sur la situation dramatique à Gaza. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)

Pour consolider le soutien à l’Ukraine au sein de notre population, il est indispensable de ne pas laisser prospérer le sentiment d’un « deux poids, deux mesures » quant à la mobilisation de la France face aux massacres civils qui déchirent actuellement l’humanité.

Monsieur le Premier ministre, même pour nous, Français, qui y sommes pourtant habitués, il est difficile de suivre le Président de la République, qui est passé en moins de deux ans de la crainte d’« humilier la Russie » à la harangue aux Européens sommés de ne pas « être lâches » face à une Russie devenue selon lui inarrêtable… Je n’ose imaginer la perplexité des chancelleries occidentales face à cette nouvelle volte-face !

Si nous déplorons la frilosité du chancelier allemand, qui refuse toujours de fournir les missiles Taurus demandés par Kiev, nous ne sommes pas non plus convaincus que la disruption soit une stratégie diplomatique très efficace. Si la volonté présidentielle était de faire réagir à Berlin, il eût été opportun de s’assurer en amont du soutien des gouvernements de la Pologne, des pays baltes et de la République tchèque, qui fut timide et tardif.

Il conviendrait également de ne pas oublier que, contrairement à nous, l’Allemagne est une démocratie parlementaire digne de ce nom, où il n’existe pas de domaine réservé, soumis aux humeurs du prince-président.

Depuis sept ans, toute notre politique étrangère se révèle parfaitement erratique, il faut le dire, même si nous sommes convaincus de la nécessité d’une unité la plus large possible de notre classe politique. Cette unité est indispensable pour affirmer un soutien massif à l’Ukraine.

Monsieur le Premier ministre, dans ce contexte géopolitique qui menace l’existence même de l’Union européenne, j’espère que vous entendrez le message des écologistes, nous qui avons constamment soutenu le peuple ukrainien et l’action du Gouvernement en ce sens.

Vous êtes à la tête d’une puissante administration, qui compte en son sein un trésor, le Quai d’Orsay, dont l’expertise inestimable constitue l’épine dorsale d’une diplomatie qui a longtemps été l’une des plus influentes au monde. Concentrer la diplomatie à l’Élysée relève d’une absurde et dangereuse dégénérescence de la Ve République. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

Si nous sommes si graves, c’est que, à un tournant de la guerre, nous jugeons que les propos présidentiels sont de nature à effrayer nos concitoyens, à fragiliser le soutien à l’Ukraine et à agacer nos partenaires européens. Une telle cacophonie nationale, européenne et transatlantique est-elle nécessaire pour faire bouger quelques lignes ? Est-il raisonnable d’afficher aux yeux de l’agresseur russe nos divisions, plutôt que l’effort historique entrepris de concert depuis deux ans ?

Nous ne le pensons pas, et nous regrettons la médiocrité du débat public, qui est inutilement polarisé entre un président démesurément martial et certaines oppositions qui se fourvoient dans une illusoire perspective de négociation avec un agresseur qui ne reculera qu’à la suite d’une défaite militaire.

C’est d’autant plus dommage que la stratégie présidentielle est audible : il faut en effet cesser d’afficher, face à un adversaire qui ne comprend que le rapport de force, des lignes rouges que nous ne respectons pas. Aussi saluons-nous la volonté présidentielle d’opérer un sursaut stratégique pour rétablir l’ambiguïté.

De même, nous saluons en bloc et dans le détail le présent accord de coopération, qui nous engage, au-delà du conflit, à aider l’Ukraine à se reconstruire et à soutenir son souhait d’adhésion à l’Union européenne. Nous saluons également l’effort financier supplémentaire qui nous permettra de combler une partie de notre retard.

Nous espérons que s’ouvre une nouvelle phase de notre soutien à l’Ukraine, durant laquelle nous cesserons d’être en permanence à la remorque des demandes de Kiev. Comme l’a rappelé Dmytro Kuleba, ministre des affaires étrangères ukrainien, dans une tribune du journal Le Monde, « jamais l’Ukraine n’a demandé l’envoi de troupes étrangères », ajoutant : « Nous avons toujours eu confiance en nos combattants. Ils sont notre fierté. »

Ce que demande l’Ukraine, ce sont des munitions, de l’artillerie, des obus, des systèmes de défense antiaériens, des bases de réparation et des formations en Ukraine. Aussi saluons-nous la décision d’envoyer des missiles Scalp et des systèmes air-sol et sol-air. Toutefois, il nous semble que la France peut et doit faire plus.

Il y a un an, à cette tribune, nous vous demandions de fournir des chasseurs à l’Ukraine. À l’aune de cette nouvelle donne stratégique, je vous repose donc la question : la France livrera-t-elle à l’Ukraine des avions Mirage 2000D, comme l’ont de nouveau demandé, ces dernières semaines, de hauts gradés ukrainiens ?

Monsieur le Premier ministre, vous avez demandé à la Nation un effort considérable pour moderniser nos armées et reconstituer nos stocks. Cet effort n’a de sens que pour aider l’Ukraine à défendre le continent. Si la France était motrice du soutien à l’Ukraine, cela donnerait plus de force aux injonctions présidentielles à faire preuve de courage.

Nous n’en sommes pas là. Pour pallier l’urgence, ce sont les Tchèques qui ont pris l’initiative de collecter de quoi acheter à l’Afrique du Sud 800 000 obus qui permettront à l’Ukraine de tenir quelques mois, le temps pour les industriels européens de produire ce que nous avons collectivement promis.

Si nous comprenons la logique du président de favoriser la base industrielle européenne, soyons pragmatiques : achetons européen quand c’est possible et achetons à d’autres démocraties quand c’est nécessaire. J’insiste sur ce point, car c’est une source de divergences majeures avec Berlin. Les tensions affichées par le couple franco-allemand nous inquiètent, mais elles nous semblent pouvoir être dépassées.

Si nous partageons de longue date la volonté du président français de renforcer l’autonomie stratégique européenne et de bâtir une Europe de la défense, nous constatons bien que cette dernière ne peut pas, à l’heure actuelle, exister en dehors du cadre otanien. En témoignent les récentes adhésions à l’alliance de la Suède et de la Finlande, après des décennies de neutralité.

A contrario, il ne fait pas de doute pour nous que le chancelier allemand se rendra vite compte que le partenaire américain est fragile. La présidence Biden est chancelante, et la victoire de Donald Trump à la prochaine présidentielle est aujourd’hui le scénario le plus plausible. Au reste, l’identité du futur président ne changera pas grand-chose : la société américaine est profondément fracturée, ce qui paralyse le Congrès. Si l’aide à l’Ukraine finit par être débloquée, elle va de toute façon s’amenuiser.

Quoi qu’il en soit, il nous faut renforcer le pilier européen de l’Otan pour construire l’Europe de la défense de demain. Nous appelons les gouvernements français et allemand à s’entendre sur cet objectif partagé et à recommencer à parler, autant que faire se peut, d’une seule voix. La période l’exige !

Monsieur le Premier ministre, mon intervention serait incomplète si je ne formulais pas un nouvel appel à cesser de financer l’économie de guerre russe et à confisquer les avoirs des oligarques pour les réaffecter au soutien à l’Ukraine. Si nos sanctions ont quelques effets, elles demeurent insuffisantes. Le gaz et l’uranium ne font toujours pas partie du douzième paquet de sanctions voté par Bruxelles en décembre 2023.

Nous avons acheté à l’ennemi pour près de 30 milliards d’euros de ressources énergétiques, soit bien plus que ce que nous avons donné à l’Ukraine. Il y a un an, 90 % de nos entreprises poursuivaient leurs activités en Russie, au premier rang desquelles TotalEnergies.

En économie de guerre, on ne laisse pas son principal énergéticien faire fructifier ses affaires chez l’ennemi. C’est aussi cela, monsieur le Premier ministre, l’esprit de résistance. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)

Dans un entretien donné au Monde et à BFM-TV lundi 11 mars, Volodymyr Zelensky envoyait un message fort : « Vos enfants ne vont pas mourir en Ukraine. […] Mais nos enfants, eux, meurent, simplement parce que nous avons une frontière commune avec la Fédération de Russie. C’est nous qui payons le plus lourd tribut. »

Ce tribut, le peuple ukrainien le paie pour la défense de la démocratie, de l’État de droit, de la liberté et de l’Union européenne. Si nous laissons tomber Kiev, l’Union tout entière sera menacée par l’impérialisme russe, et l’épée de Damoclès d’une Troisième Guerre mondiale planera réellement au-dessus de nos têtes. Pour rétablir la paix, nous n’avons pas le choix : Vladimir Poutine doit perdre cette guerre.

Sans hésitation, les écologistes voteront pour cette déclaration et pour cet accord de soutien à l’Ukraine. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées des groupes SER et INDEP.)

M. le président. La parole est à M. André Guiol, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. André Guiol. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, monsieur l’ambassadeur, mes chers collègues, depuis deux ans, l’Ukraine est sous le feu de son terrible agresseur russe. Alors que la guerre conserve une forte intensité meurtrière, le front semble se stabiliser, après que les Ukrainiens ont connu quelques sérieux revers.

Grâce aux précieuses livraisons d’armes et de munitions en provenance des pays occidentaux, Kiev résiste. Ce n’est donc pas le moment pour les démocraties de s’interroger quant à leur soutien. Le doute ne doit pas s’emparer de nous, alors que Vladimir Poutine n’a aucun état d’âme à poursuivre son projet impérialiste.

Il est aujourd’hui question d’un accord dit de sécurité, signé entre le président Macron et le président Zelensky. Oui, cet accord a un sens : il s’inscrit dans la stratégie de soutien exprimée par la France depuis le début du conflit, ainsi que par l’Union européenne. De plus, il répond aux engagements pris à Vilnius par les pays du G7 en juillet 2023.

Concrètement, l’accord ne fait qu’entériner une réalité, celle de l’assistance civile et militaire que Paris distille régulièrement, tout comme ses partenaires occidentaux, depuis le 24 février 2022.

Bien entendu, au-delà de cet accord et de tous ceux qui ont récemment été signés, notamment avec l’Arménie et la Moldavie, la question est de savoir quelles sont les limites de la mobilisation française.

Ces limites sont-elles dictées par les seuls intérêts ukrainiens ? Certainement pas, car nous voyons combien la Russie, par son terrible appétit, déstabilise profondément l’ordre international.

Faut-il rappeler que la Russie n’est pas seulement l’ennemi de Kiev ? Moscou est devenu, malgré nous, l’ennemi de Paris, de Londres, de Berlin et de nombreuses autres capitales qui représentent le monde libre.

Aussi, gardons le cap d’un soutien sans faille et, s’il le faut, d’une fermeté assumée. J’appelle ceux qui trouvent encore des circonstances atténuantes au dirigeant russe à regarder sans masque le chaos qu’il a suscité : cyberattaques, espionnage, ingérence, propagation de fausses informations, menace de guerre nucléaire, empoisonnements, assassinats de ses opposants, enlèvements, bombardements de civils… Nous sommes non pas dans un roman de Ian Fleming, mais bien dans une réalité difficile.

Cette réalité est avant tout difficile pour les Ukrainiens, qui souffrent et meurent pour la liberté – et pour la nôtre… Nous leur rendons hommage.

Cette réalité est également complexe pour la voie diplomatique : Vladimir Poutine n’a jamais cessé de se comporter comme un belligérant, avec comme boussole le mensonge et une soif insatiable de pouvoir.

Clairement, la Russie assume complètement sa stratégie de guerre totale. Nous avons, pendant un certain temps, péché par naïveté. Aujourd’hui, qui peut penser que Vladimir Poutine compte s’arrêter aux frontières de l’Ukraine ?

Le Kremlin ne s’en cache même plus et active ses menaces à l’encontre de la Pologne et des États baltes. Le cas de la Transnistrie doit nous inquiéter. Nous devons, hélas !, nous préparer au pire.

Dans ses conditions, le RDSE comprend la nécessité pour la France de poursuivre et intensifier son soutien à l’Ukraine. C’est une question de cohérence avec l’état du théâtre des opérations. Nous devons aussi apporter aux Ukrainiens des réponses satisfaisantes dans les domaines de l’ingénierie civile et militaire.

Dans cette tragédie qui se joue aux portes de l’Europe, certains seraient bien avisés de mettre de côté les postures politiciennes et de ne pas prendre en otage les élections européennes. Est-il sérieux de prétendre incarner une alternance crédible quand on s’est affiché avec Poutine sur des tracts de campagne et quand on a refusé de condamner la persécution jusqu’à la mort d’Alexeï Navalny ? En tout cas, c’est inquiétant.

Il est plus responsable de prôner l’unité face au piège de plus en plus grossier que Moscou nous tend, en profitant du contexte politique fragile aux États-Unis.

Certes, nous pouvons débattre des lignes rouges, en particulier celle de la question des troupes occidentales au sol. Personne, je crois, ne souhaite une telle escalade, mais nous devons reconnaître que l’espace entre faiblesse et fermeté est mince, face à un dirigeant russe devenu incontrôlable. Hier, l’attentisme face à l’invasion de la Crimée était critiqué ; aujourd’hui, il faudrait tempérer la riposte, y compris verbale.

Rappelons les prémices de l’agression russe : elle a commencé sur quatre fronts en Ukraine, avec pour grotesque objectif sa « dénazification ». Poutine ne supporte tout simplement pas un contre-modèle à son régime autoritaire. Je le répète, les pourparlers n’intéressent pas le président russe : une pause ne serait pour lui qu’une occasion de reconstituer ses forces militaires.

Nous devons un soutien sans faille à tous les Ukrainiens et à tous les Russes en exil. Nous leur devons de faire preuve de fermeté. Nous le devons également aux pays baltes, qui ont envoyé à Paris des signes clairs, parce qu’ils sont en première ligne.

Nous devons lutter contre la volonté du Kremlin d’inscrire ce conflit dans un rapport de force avec l’Occident, en comptant sur le soutien de ses alliés chinois, nord-coréen, iranien et biélorusse. Face à l’alliance, si naturelle, mais préoccupante, des forces les plus autocratiques, conservatrices et théocratiques, c’est bien notre modèle démocratique européen qu’il faut défendre et imposer par l’unité politique.

À cet effet, notre groupe préférera la responsabilité à l’indifférence et se rangera derrière la déclaration du Gouvernement sur cet accord de sécurité franco-ukrainien.

Nous ne souhaitons pas la guerre, et c’est pour cette raison qu’il nous faut la préparer par la crédibilité de nos forces et de nos positions. Je reprends les mots de Robert Schumann : « La paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent. »

Le groupe RDSE votera cet accord. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et UC. – M. Rachid Temal applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Christopher Szczurek, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

M. Christopher Szczurek. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur l’ambassadeur, mes chers collègues, évoquer un sujet aussi complexe en trois minutes relève fatalement de la gageure. Aussi me contenterai-je ce soir de rappeler des évidences.

Oui, mes chers collègues, la guerre menée par Vladimir Poutine est une guerre d’agression. Elle est une atteinte à la souveraineté politique et territoriale de l’Ukraine et une menace pour la paix dans le reste de l’Europe et dans le monde.

Oui, notre soutien collectif va et doit continuer d’aller à l’Ukraine. La France n’a rien à regretter de ce qu’elle a entrepris en ce sens depuis deux ans ; personne ici ne le remettra en cause.

Oui, le peuple français doit se tenir aux côtés d’un peuple ukrainien à la fois martyr et héroïque, qui résiste avec une dignité et une ténacité qu’admire le monde entier. Depuis deux ans, ce peuple ukrainien pleure des dizaines de milliers de morts et mérite qu’on lui obtienne paix, liberté et sécurité.

Oui, je suis fier, à titre personnel, d’avoir contribué, en tant que premier adjoint au maire d’Hénin-Beaumont Steeve Briois, comme de nombreux élus locaux à travers la France, à apporter une aide concrète et directe aux Ukrainiens en accueillant des délégations d’élus et de familles ukrainiennes.

M. Mickaël Vallet. Vous êtes de bons chrétiens ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)

M. Christopher Szczurek. Ce faisant, nous leur avons permis de s’exprimer et de faire connaître leur vécu aux Français, mais nous leur avons aussi offert un peu de répit, alors que de multiples drames les touchent individuellement et collectivement.

Oui, l’action de la France doit continuer d’être morale, financière, politique et matérielle, mais elle ne peut ni ne doit affaiblir notre pays, notamment d’un point de vue militaire. La France ne doit pas être placée en situation de cobelligérance, au risque d’un embrasement européen, voire mondial.

Oui, comme une majorité de Français et de gouvernants étrangers, nous nous interrogeons sur la posture martiale soudainement adoptée par le président Macron, réprouvée dans le monde entier et manifestement non concertée avec l’Ukraine elle-même, si l’on en croit les déclarations du président Zelensky. À vouloir absolument être « Monsieur Plus », Emmanuel Macron est devenu « Monsieur Trop ».

Pour autant, si son attitude nous interpelle et nous inquiète, elle ne justifie en rien les attaques et les insultes du vice-président du Conseil de sécurité de Russie Dmitri Medvedev à son égard, si ignobles et vulgaires qu’elles ne peuvent susciter la moindre réserve dans leur condamnation. En effet, au-delà de la personne d’Emmanuel Macron, c’est la fonction suprême et la nation française tout entière qui sont dégradées.

Cet accord de défense ne nous paraît pas indispensable pour continuer de soutenir l’Ukraine. Surtout, il comporte plusieurs éléments contraires aux intérêts économiques, agricoles et sociaux de la France, voire inquiétants pour la stabilité du monde.

Nous sommes toujours dans l’attente des réponses sur l’expression « dissuasion active » utilisée dans cet accord : lorsqu’on est une puissance nucléaire, on ne peut employer ce mot avec autant de légèreté.

Monsieur le Premier ministre, notre position sur ce conflit nous apparaît et, je crois, apparaît à des millions de Français comme s’inscrivant dans la grande tradition géopolitique française. Faire croire, pour des raisons bassement électoralistes qui ne trompent personne, qu’elle serait au contraire celle du « parti de l’étranger » est abject en plus d’être mensonger.