M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Philippe Folliot. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur l’ambassadeur, mes chers collègues, à la suite de l’agression russe de l’Ukraine, pour la première fois depuis quatre-vingts ans, deux nations du continent européen sont en guerre ouverte.

Ne nous y trompons pas, cette situation est aussi la résultante de la cécité collective, voire des lâchetés qui ont été les nôtres, après les agressions menées par Poutine contre la Géorgie en 2008 et dans le Donbass et la Crimée en 2014.

La situation sur le terrain est d’une grande complexité pour les deux belligérants. En effet, tous deux sont en voie d’épuisement après plus de deux ans d’un affrontement total, plus de deux ans de sang versé, plus de deux ans au cours desquels un nombre trop important de jeunes soldats ont quitté le front blessés et définitivement marqués, alors que d’innocents civils ukrainiens, femmes et enfants, tombaient sous les bombardements russes.

La répression se radicalise aussi au sein même de la Russie, où toute revendication contraire au narratif erroné de Vladimir Poutine est durement réprimée. À cet égard, nous avons une pensée émue pour Alexeï Navalny.

Cette guerre est duale. Elle mêle les technologies du XXIe siècle et les schémas tactiques d’une guerre de position qui rappelle les affres de la Première Guerre mondiale.

Je vous dresse ce tableau, monsieur le Premier ministre, à partir de ce que j’ai pu constater de mes propres yeux en février 2023. Au cœur de l’hiver, je me suis rendu sur la ligne de front et j’ai eu l’occasion de passer une nuit à quatre kilomètres de Bakhmout. Quelle leçon de vie que de pouvoir retrouver ces valeureux combattants ukrainiens, russophones pour la plupart, qui revenaient du front, épuisés, mais motivés !

Ils m’ont expliqué qu’ils se battaient tout d’abord pour les femmes et les enfants à l’arrière, et ensuite pour leur pays, son indépendance, sa souveraineté et son intégrité. Mais j’ajouterai qu’ils se battent aussi pour nous et pour notre modèle de démocratie fondée sur la liberté et sur le respect du droit, notamment international.

En cet instant, j’adresse une pensée particulière à deux Ukrainiens.

Yehor Cherniev combattait dans l’armée en 2014, avant de devenir député, puis vice-président de la commission de la défense de la Rada, qu’il représente à l’Assemblée parlementaire de l’Otan. C’est un infatigable défenseur de la cause ukrainienne, qu’il porte partout dans le monde.

Quant à Magnit, c’est un homme comme vous et moi. Il était artiste sculpteur avant le conflit, puis il s’est retrouvé à combattre en première ligne. J’ai pu lire dans les yeux de ses camarades tout le respect qu’ils avaient pour lui. Il s’est battu avec force, courage et détermination, mais il a été blessé et il est désormais en convalescence dans un hôpital près de Kiev. Je crois que vous vous joindrez à moi, mes chers collègues, pour lui souhaiter un prompt rétablissement.

Lors de ce déplacement, j’ai pu assister à des tirs opérationnels du canon Caesar, que nous avons livré ; ce fut très instructif. Nous avons beaucoup parlé, au Sénat, en commission notamment, du problème des munitions.

Les soldats ukrainiens m’ont fait part de la difficulté que pose la compatibilité de leurs armes avec les munitions dont ils disposent. Ils font l’éloge de notre canon, de sa précision, de son allonge, de sa mobilité et de sa rapidité de mise en œuvre. Mais, au moment où j’ai échangé avec eux, ils ne réalisaient qu’un tiers de leurs tirs avec les obus de 155 millimètres que nous leur fournissions. Et ils m’ont affirmé avoir testé sept types différents de munitions avant de trouver celles – elles sont américaines – qui leur permettent d’agir en toute sécurité et en toute efficacité.

L’achat de munitions n’est pas un achat ordinaire. Une munition n’est pas un produit interchangeable comme peuvent l’être nos capsules de café : on ne saurait passer aussi aisément d’un fabricant à un autre. Ne nous y trompons pas, si nous avons décidé d’augmenter nos capacités de production, afin de réussir à livrer jusqu’à 3 000 obus par mois, les Russes, eux, en tirent près de 25 000 par jour, quand les Ukrainiens sont limités à près de 5 000 ripostes quotidiennes : nous sommes loin, bien loin, du compte.

Monsieur le Premier ministre, nous nous félicitons que la France ait pris la tête de la coalition artillerie et nous devons poursuivre nos efforts en la matière.

Vous nous avez aussi parlé d’une neuvième coalition internationale pour les frappes en profondeur. Nous souhaitons que notre pays la rejoigne, ainsi que la coalition aviation, et complète son action pour ce qui concerne les indispensables frappes en profondeur, en livrant enfin les Mirage 2000 équipés de missiles Scalp. Ces derniers seraient bien plus utiles sur le front que sous coque, ici, dans nos hangars. Il n’est plus possible de laisser les Ukrainiens se battre dans ces conditions et ne pas posséder l’indispensable maîtrise de la troisième dimension.

La victoire de l’Ukraine est vitale pour nos valeurs, pour la paix et pour la sécurité en Europe. Mais, pour en arriver à cette victoire, il est impérieusement nécessaire que nous, alliés du peuple ukrainien, sortions de notre logique du « trop peu, trop lentement, trop tard ».

Le groupe Union Centriste soutient l’accord bilatéral de sécurité signé le 16 février dernier entre les présidents Macron et Zelensky. Avec ce texte, la France s’engage à fournir durant dix ans une assistance plus globale à l’Ukraine en vue de sa protection, du rétablissement de son intégrité territoriale, de sa reconstruction après la guerre et de son entrée dans la famille européenne, une entrée dont elle paie actuellement le prix – par le sang et les larmes.

Depuis 2022, la France a fourni près de 3,8 milliards d’euros d’aide à l’Ukraine et, en 2024, ce sont près de 3 milliards d’euros supplémentaires qui seront débloqués pour continuer à soutenir ce pays.

L’aide apportée par la France à l’Ukraine ne doit être ni sous-estimée ni surestimée ; il y va de notre crédibilité. Ne cédons pas à la tentation de l’autoflagellation et encore moins à celle de l’autosatisfaction : mettons plutôt des actes sur nos mots.

Nous avons par exemple envoyé à l’Ukraine d’antiques véhicules de l’avant blindés (VAB), qui sont deux à trois fois plus âgés que les soldats ukrainiens qui les utilisent, et de tout aussi anciens chars AMX-10 RC, dont j’ai pu constater sur le terrain, au mois de juillet dernier, dans la région de Zaporijia, qu’ils étaient somme toute d’une utilité relative…

Toutefois, reconnaissons que cette livraison a pu faire sauter un verrou psychologique, chez certains alliés, pour ce qui est de l’envoi de chars lourds. À nous, donc, d’être plus cohérents avec nos paroles et d’améliorer la qualité et la quantité des produits que nous fournissons.

Notre doctrine en la matière doit être d’écouter les Ukrainiens et avant tout, dans la mesure de nos possibilités, de satisfaire leurs demandes. Soyons à l’écoute, soyons au soutien, mais, n’en déplaise au Président de la République, ne contribuons pas, via un engagement au sol non sollicité, à une possible escalade du conflit.

Je souhaite également avoir quelques mots sur la Russie. Soyons lucides ! Nous sommes dans un conflit global avec cette dernière. La Russie profite du conflit ukrainien pour multiplier les fronts et les affronts.

Nous ne pouvons que le constater, à côté des fronts physiques de guerre, elle ouvre des fronts technologiques en dirigeant contre notre pays et ses institutions de fréquentes cyberattaques, tout cela s’inscrivant dans la recherche continuelle d’une expansion de son impérialisme.

L’élection présidentielle américaine exacerbe aussi ce conflit : je vous renvoie aux propos irresponsables de l’un des candidats. L’Otan étant fragilisée par de tels propos, il revient à l’Union européenne, par le biais de l’article 42.7 du traité qui la fonde, d’assumer ses responsabilités plus encore qu’à l’heure actuelle.

Nous ne voulons pas d’une Europe dépendante des États-Unis, menacée par la Russie ou encore vassalisée par la Chine. Nous la voulons fière, volontaire, indépendante, capable d’assurer sa défense et de prendre en main son destin.

Pour la première fois depuis 1958, le Sénat est invité à se prononcer par un vote, en application de l’article 50-1 de la Constitution, sur la ratification d’un traité bilatéral de sécurité. Nous nous félicitons d’avoir ainsi à nous prononcer par un vote : il s’agit d’un intéressant précédent.

Monsieur le Premier ministre, le groupe Union Centriste a toujours soutenu l’Ukraine ; je souhaite d’ailleurs saluer l’engagement de notre collègue Nadia Sollogoub, présidente du groupe d’amitié France-Ukraine du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains, RDSE et RDPI.)

Si l’enjeu est aujourd’hui de valider cet accord, notre groupe y est favorable à l’unanimité.

En revanche, monsieur le Premier ministre, si nous avions à nous prononcer sur la teneur globale de l’intervention qui fut à l’instant la vôtre devant le Sénat, le vote serait bien plus partagé ! Vous avez déclaré que vous ne vous fixiez pas de limites, tout en refusant de faire la guerre à la Russie. Vos propos auraient mérité davantage de précisions, étant donné la très grande ambiguïté de ce positionnement. (Applaudissements sur des travées des groupes UC, Les Républicains, INDEP et CRCE-K.)

En soutenant activement l’Ukraine, la France prend rendez-vous avec l’histoire. En ce triste jour où l’amiral de Gaulle nous a quittés, soyons pleinement à ce rendez-vous ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et INDEP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame, messieurs les ministres, monsieur l’ambassadeur, mes chers collègues, chacun d’entre nous se souvient des journées des 22, 23 et 24 février 2022, au cours desquelles la Russie a lancé sa nouvelle agression – une de plus ! –, contre l’État voisin qu’est l’Ukraine.

Depuis lors, c’est une leçon de courage, de résilience et de résistance que le peuple ukrainien donne au monde entier : résistance physique face aux bombardements et aux morts, résistance morale face aux exactions et à la désinformation.

À l’époque, la Russie imaginait probablement ne faire de la résistance ukrainienne qu’une bouchée ; elle pensait arriver à Kiev en quelques jours. Il n’en a rien été, il n’en est toujours rien, et il n’en sera rien. Car le président Zelensky, au premier chef, a tenu bon, tenu debout. Car le peuple ukrainien tout entier, lui aussi, tient bon, tient debout.

Si l’Afghanistan a été le tombeau de l’Union soviétique, l’Ukraine pourrait bien être, à plus ou moins long terme, celui du régime de Vladimir Poutine.

Le maître du Kremlin pourra bien brandir, dans les prochains jours, des chiffres censés attester de sa soi-disant « réélection », avec beaucoup de guillemets, ce scrutin n’a d’une élection que le nom. Il y aura certes bien des urnes. Il y aura certes bien des bulletins de vote. Mais ceux-ci ont été sélectionnés, tant et si bien que celui qui faisait le plus peur, Alexeï Navalny, a été tout simplement emprisonné et éliminé. Ce ne sont donc pas des élections : c’est une falsification, un village Potemkine électoral.

Néanmoins, ce moment est loin d’être neutre dans le conflit qui nous occupe. Fort de son futur score soviétique, auquel il pourrait peut-être aller jusqu’à croire lui-même, car c’est le propre des régimes autoritaires de s’auto-intoxiquer et de perdre pied avec le réel, Vladimir Poutine pourrait s’enhardir et redoubler ses attaques, tant contre l’Ukraine que contre de nombreux autres acteurs de la communauté internationale.

Il est incontestable en effet que la Russie est devenue une puissance de déstabilisation. C’est vrai dans son environnement immédiat, dans le Caucase, en Géorgie, depuis quinze ans déjà. On pourrait dire bien des choses aussi sur son jeu trouble, ou plutôt si transparent, envers l’Arménie, que la Russie a lâchée en rase campagne.

M. Gabriel Attal, Premier ministre. Très juste !

M. Jean-Baptiste Lemoyne. C’est vrai, plus loin, en Afrique, au cœur du Sahel ou de l’Afrique centrale.

C’est vrai, plus proche de nous, en Transnistrie, cette partie occupée de la Moldavie, ou bien dans les Balkans, où la Russie use de son influence pour semer à nouveau des vents de colère entre les peuples. Et c’est vrai, hélas ! chez nous aussi, via l’entreprise de désinformation conduite sur les réseaux sociaux et les attaques cyber, qui redoublent.

C’est la raison pour laquelle ce débat et ce vote revêtent une importance toute particulière. Ainsi chacun pourra-t-il dire, d’où il est, si soutenir l’Ukraine est important ou ne l’est pas et si ce soutien est indéfectible ou non. Forts de ces prises de position, nous pourrons en tirer des conséquences concrètes, pratiques, immédiates, opérationnelles et dans la durée.

Il est tout à l’honneur de la France que d’avoir suscité un sursaut, un électrochoc, nous évitant de nous réveiller demain, collectivement, avec la gueule de bois.

Ce n’est pas la première fois, du reste, que la France dit les choses directement : nous avons été les premiers à affirmer que l’envoi de chars ne devait plus être un tabou ou à évoquer la nécessité pour l’Ukraine d’être en mesure de frapper en profondeur.

Mes chers collègues, si la cause de l’Ukraine est légitime et fondée, en droit international comme en morale, alors pourquoi ergoter, pourquoi mégoter à propos d’un soutien qui va non seulement au peuple ukrainien, mais aussi, finalement, aux peuples européens eux-mêmes, pour l’avenir ?

N’oublions pas que Vladimir Poutine, comme une partie des anciens cadres soviétiques, n’a tout simplement jamais digéré la chute du rideau de fer, en 1989, ni celle de l’ensemble soviétique, en 1990 et 1991 – ledit ensemble fut façonné, hélas ! par nombre de déplacements ou déportations de peuples par leur soi-disant « petit père », triturant les cartes des territoires en un geste dont on voit l’héritage aujourd’hui dans la volonté affirmée du régime russe de remettre en cause certaines frontières.

Face à ce nouvel impérialisme, il n’y a pas de position intermédiaire pour l’Europe : soit elle est un sujet sur la scène internationale soit elle sera reléguée au rang de simple objet. Soit les nations européennes s’affirment comme un ensemble fort et uni, comme une puissance géopolitique, soit elles seront condamnées à être des proies. Il suffit pour s’en convaincre d’en parler avec nos frères des pays baltes ou de Pologne.

Bien sûr, l’Europe se vit comme un espace de paix. Bien sûr, la construction européenne a permis les décennies de paix qui ont suivi le second conflit mondial. Bien sûr, la construction européenne s’est poursuivie avec la réunification des peuples européens trop longtemps séparés, alors que, il y a encore quelques décennies des Allemands, à l’Est – des VoPos armés –, toisaient, porte de Brandebourg, d’autres Allemands, à l’Ouest.

N’oublions donc pas que nous sommes à la fois les héritiers des pères fondateurs de l’Europe et ceux des combattants pour la liberté des années 1980, des ouvriers polonais de Solidarnosc emmenés par Lech Walesa à l’ouvrier de la liberté lituanienne que fut Vytautas Landsbergis.

C’est pourquoi nous ne saurions confondre paix et abdication, qui plus est dans le monde que nous connaissons, caractérisé par la brutalisation des relations internationales.

Aussi nous faut-il affirmer et surtout garantir notre souveraineté et notre autonomie stratégique, donc nous renforcer et nous réarmer. C’est ce que la France fait avec sa loi de programmation militaire et avec ses troupes projetées sur le flanc est de l’Europe – nous pouvons les saluer.

Aussi nous faut-il, en tant que nations d’Europe, affirmer notre soutien à l’Ukraine, sentinelle du monde libre ; cela, la France l’a fait dès le premier jour, en 2022 : fourniture d’équipements militaires, formation de 10 000 soldats ukrainiens, protection temporaire accordée à 100 000 Ukrainiens. Et je n’oublie pas l’énorme élan de générosité humanitaire qui fut celui des Français, comme des collectivités locales, au travers des outils du centre de crise et de soutien (CDCS) du Quai d’Orsay.

Reste que, après deux ans de guerre, il est indispensable de rétablir un meilleur rapport de force. Croire que la Russie va venir facilement à la table des négociations est en effet une fable. La grammaire de l’ordre international est ainsi faite qu’il faut avoir la force d’âme de ne pas afficher de limites, afin que la partie qui ne s’en fixe pas comprenne bien qu’elle ne pourra pas l’emporter en tablant sur nos prétendues faiblesses.

C’est là tout l’enjeu de l’accord qui est soumis à notre vote : il permettra de muscler le jeu des Européens et de rendre crédible notre engagement.

Avec cet accord, nous soutiendrons plus et mieux l’Ukraine ; surtout, nous le ferons dans la durée, l’horizon retenu étant celui des dix prochaines années. C’est pourquoi le groupe RDPI votera pour.

Au-delà de l’accord signé le 16 février dernier, les propos qu’a tenus le Président de la République le 26 février, appelant à un sursaut stratégique à l’occasion de la conférence internationale de soutien à l’Ukraine réunie à Paris, ont enfin rencontré un écho fort. On peut s’en réjouir. Je parle non pas du clapotis des commentaires, mais des intentions exprimées par de nombreux pays européens, des pays baltes à la Pologne en passant par les Pays-Bas.

Je note d’ailleurs le succès de l’initiative tchèque pour les munitions et celui de la coalition artillerie menée par la France : nous n’entendons pas nous laisser immobiliser.

Cet accord répond par ailleurs aux recommandations de notre commission des affaires étrangères : dans son rapport d’information intitulé Pourquoi lavenir de lEurope se joue en Ukraine, celle-ci disait l’urgence qu’il y a désormais à « avancer sur la production d’armements en Ukraine conjointement avec des entreprises françaises ». Nous y sommes !

Avec cet accord, nous commençons à nous projeter dans la reconstruction, dans l’indemnisation et dans les réformes indispensables aux ambitions européennes de l’Ukraine.

Avec cet accord, la France prend ses responsabilités de puissance sur la scène internationale, que cherchent à dominer les nouveaux empires, celui de l’Est comme celui dit du Milieu.

Avec cet accord, la France assume son statut, celui d’une grande nation, d’un pays fondateur de l’Union européenne et d’un pays membre du Conseil de sécurité de l’ONU – tout cela nous oblige.

Oui, nous devons collectivement être à la hauteur. Cet accord est pour aujourd’hui et il est pour demain. Il est pour notre sécurité ; il est pour la paix. Il est pour l’Ukraine ; il est pour la France. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et UC.)

M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. Claude Malhuret. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame, messieurs les ministres, monsieur l’ambassadeur, mes chers collègues, notre débat intervient à un moment crucial de la guerre en Ukraine, et cela pour au moins quatre raisons.

La première est que l’assassinat d’Alexeï Navalny a fait comprendre aux derniers aveugles que le régime de Poutine n’est pas une démocratie illibérale, une « démocrature », un pouvoir autoritaire ou tout autre euphémisme mensonger, mais une mafia d’État, une gangrène totalitaire implacable au-dedans comme au-dehors, avec laquelle toute discussion, toute négociation, est d’abord une lourde erreur, ensuite une lâcheté, enfin le doigt dans l’engrenage de la capitulation.

La deuxième raison est que les menaces graves qui pèsent sur la Moldavie et les pays baltes viennent prouver aux plus obtus des idiots utiles, qui nous répétaient hier que Poutine n’envahirait pas l’Ukraine et qui nous assènent aujourd’hui qu’il n’envahira que l’Ukraine, que l’impérialisme russe ne s’arrêtera pas à Kiev, mais que, comme l’a dit un jour le boucher de Moscou, « les frontières de la Russie ne se terminent nulle part ».

La troisième raison est que la reprise de l’initiative par les Russes démontre qu’une coalition des États les plus riches du monde n’est pas capable de fournir un stock de munitions égal à celui qui est procuré à l’agresseur par la Corée du Nord et l’Iran. Voilà une réalité dont nous devrions avoir honte et qui commence à être enfin comprise par les dirigeants européens.

La quatrième raison est la proximité de l’élection présidentielle aux États-Unis et l’hypothèse plausible de l’arrêt de l’aide américaine. Cette échéance n’inquiétait pas tant qu’elle restait lointaine. Elle force désormais les Européens à envisager d’assumer la maîtrise de leur propre destin pour la première fois depuis 1945.

Ces quatre constats me rendent-ils pessimiste ? En aucun cas !

Si nous sommes ici aujourd’hui, c’est parce que les accords bilatéraux, tels que celui qui vient d’être signé par la France, se multiplient. Ils s’accompagnent de réunions, de déclarations et de conférences de presse qui témoignent, enfin, d’une prise de conscience par les Européens de l’Ouest de l’urgence d’une riposte résolue, laquelle n’était comprise, jusqu’à présent, que par les pays d’Europe de l’Est, qui sont en première ligne et depuis longtemps déniaisés.

Les pacifistes, les défaitistes, les collabos, bref, les troupes de Poutine en France, comme vous avez eu raison de les qualifier, monsieur le Premier ministre, la cinquième colonne de l’extrême droite et de l’extrême gauche, les poutino-pétainistes et les poutino-wokistes, ceux qui hier, à l’Assemblée nationale, ont voté contre ou se sont abstenus, ceux-là sont évidemment vent debout contre ces accords, comme ils sont déchaînés depuis dix ans pour applaudir à l’annexion de la Crimée, pour refuser l’entrée dans l’Otan de la Suède et de la Finlande, pour refuser la livraison d’armes à l’Ukraine, pour continuer de salir la mémoire de Navalny après sa mort.

Ils taxent le Président de la République d’être un « va-t-en-guerre », eux qui n’ont jamais employé cette expression à propos de celui qui massacre les Ukrainiens avec 500 000 soldats en première ligne, eux qui sont les « va-t-en-capitulation ».

Mme Cécile Cukierman. C’est faux !

M. Claude Malhuret. Collabos des Allemands avec Pétain, collabos de l’URSS avec le soutien au pacte germano-soviétique, collabos de Poutine aujourd’hui, ils sont les partisans de la paix des lâches, qui n’est autre que l’annonce de la servitude. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE-K.)

Mme Cécile Cukierman. Vous mentez, monsieur Malhuret !

M. Claude Malhuret. Ils affirment que le Président de la République « rompt brusquement avec sa politique étrangère en raison de l’approche des élections européennes », petite invective politicienne. Or le chef de l’État a seulement compris que la ligne jusqu’au-boutiste de Poutine n’a jamais changé, qu’elle ne changera pas et qu’elle se durcit chaque jour.

Pour ma part, je préfère mille fois le Président de la République qui parle pour la première fois de la défaite nécessaire de la Russie à celui qui expliquait qu’il ne fallait pas humilier Poutine. Je préfère mille fois le Président de la République qui a compris que l’Occident a eu tort d’abandonner à Poutine la maîtrise de l’escalade, car cela revient à lui concéder l’initiative à chaque étape du conflit.

J’entends « Jordan Selfie », dents blanches, haleine fraîche, le Ponce Pilate de la guerre en Ukraine (Sourires sur les travées des groupes INDEP, RDPI et UC.),…

M. Joshua Hochart. Quel niveau !

M. Claude Malhuret. … nous expliquer qu’il faut fixer des « lignes rouges », par lesquelles nous désignerions à l’avance les limites de notre soutien, alors que la Russie, elle, n’en reconnaît aucune.

Ce Gamelin du Dniepr (Nouveaux sourires sur les mêmes travées.) prétend être un jour Premier ministre de la France. Je lui suggère une économie considérable pour notre pays endetté : supprimer le budget des armées et le remplacer par un répondeur téléphonique, qui dirait, au nom du ministère de la défense : « Message à l’armée russe : ne tirez pas, nous nous rendons. »

Les professionnels de l’agit-prop mentent aux Français en leur disant que leurs enfants vont être envoyés sur le front, alors que l’armée française est une armée de métier et que le ministre de la défense a expliqué que d’éventuelles missions seraient de soutien et de maintenance.

Il paraît aussi que nous sommes isolés ; et l’on reproche à Emmanuel Macron de ne pas s’être assuré au préalable de l’aval de nos alliés quant à ses déclarations.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Pour ce qui est de l’avis des premiers intéressés, les Ukrainiens, ils se félicitent de la position française. Les Polonais, les Baltes, les Moldaves, les Néerlandais, le président tchèque et d’autres encore abondent dans le même sens.

Quant aux États-Unis et au Royaume-Uni, leur humour tout britannique a sans doute échappé aux va-t-en-défaite. Biden, vieux routier de la guerre froide, annonce sans sourciller qu’il n’enverra pas d’Américains en Ukraine au moment même où le New York Times révèle qu’il y a quatorze bases de la CIA dans le pays… Le Premier ministre du Royaume-Uni annonce quant à lui qu’il ne prévoit pas d’envoyer de nouvelles troupes « pour le moment et au-delà de celles qui y sont déjà » – cette phrase se passe d’explications.

Il faut ajouter, à l’intention des semeurs d’affolement qui n’ont à la bouche que le spectre de l’apocalypse nucléaire, que Poutine le sait parfaitement et que, comme ses précédentes lignes rouges qu’il abandonne chaque fois qu’elles sont franchies, la présence de soldats alliés ne l’a pas incité à appuyer sur le bouton malgré sa vingt-sixième menace de le faire depuis deux ans.

Reste Scholz, qui, n’écoutant que son courage, ne jure que par la garantie américaine ; il est la cible de tous les partis allemands, même ceux de sa coalition, pour son immobilisme. Je lui donne rendez-vous en novembre prochain en cas d’élection de Trump pour une comparaison entre les choix de la France, qui appelle depuis des années à une défense européenne, et les siens, lui qui a mis tous ses œufs dans un panier qui aura disparu.

Le nombre de ceux qui comprennent que la défaite de l’Ukraine serait dans la seconde même notre défaite ne cesse de croître. La lassitude de nos concitoyens, attisée chaque jour par les appels à la lâcheté des « paniquocrates », ne les empêche pas d’être toujours largement favorables à la poursuite de l’aide, alors que les traîtres espéraient un lâchage dès l’hiver 2022.

Il reste un point essentiel : passer de la parole aux actes. Et c’est là que le bât peut blesser. L’économie de guerre évoquée depuis six mois par le Président de la République suppose deux conditions : multiplier les commandes d’armement et préparer d’autres sites de production.

Ces conditions ne sont pas encore réunies. La part que la France a prise jusqu’à présent dans l’effort de guerre est importante, mais, en comparaison d’autres pays et au regard du PIB de chacun, elle n’est pas suffisante ; j’espère que cet accord lui permettra de l’être rapidement.

Le discours poutinien, il ne faut pas s’y tromper, évolue exactement comme le discours hitlérien des années 1930, quoique certains tentent de nier la comparaison.

On prétend, tout d’abord, que le pays a été humilié dans le règlement de la guerre froide – c’est la réplique du mythe allemand du « coup de poignard dans le dos » : nous avons été non pas vaincus, mais trahis par nos propres politiciens.

On prétend ensuite que la Russie doit montrer les poings afin de retrouver son rang dans le monde.

On considère enfin, comme Hitler avec les Allemands des Sudètes et de la Pologne, que partout où il y a des minorités russophones la Russie est chez elle.

Cette propagande a été relayée chez nous, à chacune de ses inflexions, par des complices conscients ou inconscients.

Au fameux éditorial de Déat paru en mai 1939, « Mourir pour Dantzig ? », répond aujourd’hui, comme en écho, le « nous ne voulons pas mourir pour le Donbass ». En réponse à cet étalage indécent de lâcheté, je voudrais citer Raymond Aron, qui disait, en 1939 également : « Je crois à la victoire des démocraties, mais à une condition, c’est qu’elles le veuillent. » Cette phrase n’a jamais été autant d’actualité. (Vifs applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains.)