M. Mickaël Vallet. Parole d’expert !

M. Christopher Szczurek. Ainsi, parce qu’il ne sert ni l’Ukraine ni la France, pour toutes les raisons que je viens d’évoquer et pour que la France ne se retrouve pas plus isolée encore sur la scène internationale, les trois sénateurs issus du Rassemblement national s’abstiendront sur cet accord bilatéral de sécurité entre nos deux pays. (Marques dironie sur les travées des groupes SER, UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Sébastien Lecornu, ministre des armées. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de ce débat de qualité, qui montre bien les points de préoccupations des différentes sensibilités politiques, auxquels le ministre des affaires étrangères et moi-même allons répondre.

Je commencerai par formuler une série de remarques sur des éléments qui n’ont pas été soulevés, ou qui ne l’ont été que partiellement au cours des interventions.

Tout d’abord, la question de la formation a été quelque peu négligée. Vous avez beaucoup insisté sur les équipements militaires – j’y reviendrai, car il s’agit en effet du cœur du problème –, mesdames, messieurs les sénateurs, mais une offensive ou une contre-offensive requiert également des troupes bien entraînées.

Or la forte attrition que nous constatons sur le théâtre de guerre, y compris du côté des armées russes, s’explique aussi par un sous-entraînement et une sous-qualification importants des troupes – qui sont, je le rappelle, conscrites, eu égard au débat que vous connaissez sur la conscription en Ukraine et la capacité à lever cette armée.

En matière de formation, la France dispense un tiers de l’objectif total que les Européens se sont fixé : des formations généralistes, souvent de l’infanterie ; des formations spécialisées sur les équipements militaires que nous fournissons – c’est la moindre des choses ; des formations spécialisées sur des savoir-faire militaires – défense sol-air, artillerie, prise en main de l’aviation de chasse…

Nous continuerons de le faire, que ce soit en Pologne, un pays avec lequel nous partagerons un partenariat bilatéral, ou sur le territoire national, dans nos régiments et nos bases aériennes. La question de la formation est absolument clé dans la suite des opérations. C’est pourquoi je tenais à y revenir.

Ensuite, Jean-Baptiste Lemoyne l’a relevé, des initiatives nouvelles ont été mises sur la table à la suite de la conférence de Paris. Si nous ne devions en citer que quelques-unes, je retiendrais celle des frappes dites dans la profondeur, c’est-à-dire derrière la ligne de front – je le précise, puisqu’un narratif russe tente de créer de la confusion à ce sujet –, l’envoi de missiles Scalp ou Storm Shadow, mais aussi l’envoi d’A2SM, c’est-à-dire de bombes air-sol guidées.

Ces armes sont un véritable game changer sur la ligne de front. En effet, elles ont été adaptées sur des avions de chasse de classe soviétique, ce qui permet actuellement de freiner en grande partie les initiatives russes sur la ligne de front.

Par ailleurs, il a été peu question de l’élément clé de la cyberdéfense au cours de vos interventions – ce n’est pas un reproche, je sais que les temps de parole sont limités. Sur ce sujet critique, nous devons aller plus loin. Si, à l’heure actuelle, chaque nation occidentale et alliée agit dans ce domaine pour aider l’Ukraine, force est de constater que nous partageons peu l’effort. Il s’agit d’un axe d’amélioration important.

Nous pourrions aller jusqu’à nous suppléer aux armées ukrainiennes pour les soulager dans la prise en charge, par exemple, de la sécurisation d’une infrastructure d’information ou de sécurité. Voilà un sujet très concret.

De plus, il est nécessaire de produire davantage en Ukraine – vous l’avez peu dit, mais je veux croire qu’il s’agit désormais d’un point consensuel. C’est particulièrement vrai pour le maintien en condition opérationnelle. La cession d’armes à l’Ukraine s’accompagne nécessairement d’une question d’entretien de ces dernières, comme nous l’avons vu avec les canons Caesar.

À vrai dire, plus les équipements militaires sont complexes, plus leur maintien en condition opérationnelle est un défi – les commissaires à la défense du Sénat en savent quelque chose. En effet, le maintien en condition opérationnelle pour nos propres armées représente des sommes importantes et un grand savoir-faire.

Aussi, la production de pièces détachées sur le territoire ukrainien est un élément qui est tout à fait en mesure de faire la différence dans cette guerre au cours des prochains mois. J’aurai l’occasion d’y revenir, monsieur le président Perrin, devant votre commission, car nous devrons bâtir une stratégie de coopération. Celle-ci concernera Arquus, Delair et Nexter, qui sont les trois premières entreprises à s’être portées candidates.

Monsieur l’ambassadeur, il est important pour l’influence française en Ukraine que nos entreprises collaborent, dans le respect, bien sûr, de la propriété intellectuelle de nos équipements. Nous sommes la première nation à prendre ce risque. L’entreprise allemande Rheinmetall a également fait des annonces il y a quelques semaines à cet égard. C’est une bonne nouvelle : nous pourrons répondre dans un format franco-allemand aux interrogations qui ont été soulevées.

Monsieur le président Retailleau a parlé de « la bataille de l’arrière », qui est aussi une bataille industrielle et sur laquelle il me semble utile de revenir. La plupart d’entre vous le savent, mais j’aimerais expliquer pourquoi nous avons du mal à produire plus vite. L’interrogation de Claude Malhuret est valable : pourquoi, au fond, ne parvenons pas, au bout de deux ans, à accélérer notre production ?

Cette question vaut pour la base industrielle et technologique de défense (BITD) française, mais aussi pour l’ensemble des bases européennes, ainsi que pour la base américaine. En effet, si des armes ont été achetées en Corée du Sud et ailleurs, c’est précisément parce que les principaux fournisseurs n’ont pas été en mesure de produire suffisamment vite.

Ce qui vaut pour l’aide à l’Ukraine vaut aussi pour l’approvisionnement de nos propres forces armées et pour le succès de nos exportations. La plupart de nos clients à l’export s’attachent désormais tout particulièrement au critère du délai de production.

Ces difficultés s’expliquent par la baisse de la commande publique militaire entre la fin de la guerre froide, au début des années 1990, jusqu’à récemment – 2017, pour être précis –, qui a entraîné une perte de muscle importante en matière de production. On ne peut pas reprocher à la base industrielle et technologique de défense d’avoir préféré investir dans l’innovation et les sauts technologiques, plutôt que dans la capacité de production.

Cela s’explique également très bien – il faut le dire à nos concitoyens, pour que notre BITD ne soit pas injustement montrée du doigt – parce que les contrats opérationnels auxquels était liée l’armée française depuis près de vingt ans nécessitaient des besoins précis.

Pendant dix ans, les opérations Serval et Barkhane ont eu pour objet de lutter contre le terrorisme islamiste militarisé au Sahel. Il s’agissait principalement d’un combat de forces spéciales, notamment pour la maîtrise du ciel par des hélicoptères de combat, et non pas d’un combat d’artillerie.

Ainsi, les fonctions militaires qui sont indispensables à l’Ukraine pour réussir sa contre-offensive sont des fonctions militaires dont nous-mêmes avons eu peu besoin pendant vingt ans. Voilà pourquoi il faut du temps pour recouvrer notre capacité productive et reprendre du muscle, ce qui est absolument indispensable, bien que la situation soit contrastée en fonction des segments de la production militaire.

Des efforts ont néanmoins été réalisés. À cet égard, je tiens à rendre hommage aux ouvriers, aux techniciens, aux ingénieurs et aux dirigeants des entreprises qui les ont accomplis, d’autant que cela a impliqué de faire les trois-huit et de prendre des risques en matière de trésorerie et d’organisation de la production.

Ainsi, le délai de production des missiles Mistral, qui assurent la défense sol-air de courte portée, a été divisé par deux. Quant à la capacité de production des canons Caesar, qui font véritablement la différence sur le champ de bataille, elle a été multipliée par trois. De même, Thales a doublé sa production de radars GM200, qui permettent de détecter les menaces venant du ciel.

Bref, vous constaterez que, sur toute une gamme de produits, les choses avancent.

Toutefois, la même lucidité m’impose de dire devant la représentation nationale que les choses sont plus complexes pour certains segments. Ainsi, le stock de missiles Aster du système sol-air de moyenne portée/terrestre (Samp/T) Mamba, lancés depuis nos frégates en mer Rouge dans le cadre de missions de sécurisation des espaces maritimes, est tombé très bas.

Je tiens à lever les doutes : en janvier 2023, nous avons commandé plus de 200 missiles, qui coûtent tout de même 3 millions d’euros pièce. Pour ces missiles, MBDA affiche un calendrier de livraison qui s’étale jusqu’à la fin de l’année 2025.

Désormais, les efforts se concentrent sur l’organisation de la production ; nous aurons l’occasion d’y revenir dans le cadre des travaux de la commission de la défense. MBDA nous a assuré que les premiers missiles Aster seront livrés non pas à la fin de l’année 2025, mais au cours de l’année 2024. Cela montre bien que la nouvelle organisation de la production produit ses effets. Reste que nous devons expliquer à nos concitoyens pourquoi elle prend du temps.

Je dirai quelques mots sur les munitions. Dans la famille des obus de 155 millimètres, tout ne se vaut pas. Les obus produits par Nexter sont sans doute plus coûteux et mettent plus de temps à être livrés, mais, contrairement aux obus qui sont vendus moitié moins cher, leur portée est deux fois plus longue.

La fiabilité des équipements n’est pas complètement égale. C’est à nous, Français, grâce à notre industrie de défense, de trouver un point d’équilibre entre délai de production et qualité du matériel. Ce n’est pas aisé, car les normes françaises et européennes de protection pyrotechnique, entre autres, ne sont pas les mêmes qu’en Ukraine. Voilà pourquoi nous réfléchissons à comprimer les temps de production sur le territoire ukrainien.

Monsieur le président Retailleau, en 2023, la France a produit 30 000 obus de 155 millimètres. Notre objectif est d’en produire deux fois plus, avec un point de passage à 48 000 obus. La vraie difficulté demeure l’accès à la poudre ; à cet égard, vous avez à juste titre évoqué l’usine de Tarbes.

Aujourd’hui, il n’existe pas de criticité concernant les corps de bombe. Pour une raison qui m’échappe, la poudre n’est plus produite sur le territoire national depuis la fin des années 1990. Nous l’achetons donc auprès des pays du nord de l’Europe ou de l’Allemagne.

Comme je vous l’avais indiqué lors de l’examen de la loi de programmation militaire, nous avons décidé de relocaliser la production de la poudre à Bergerac, sur le site d’Eurenco. Les choses prennent du temps, mais la première pierre de cette relocalisation sera bientôt posée.

L’accès à la poudre est, selon nous, un enjeu majeur. En témoignent les initiatives qui ont été prises pour tenter de récupérer de la poudre dans les pays tiers en vue d’augmenter nos cadences de production. Ce sujet est clairement identifié, et la direction générale de l’armement y travaille scrupuleusement ; voilà qui devrait répondre à vos attentes.

MM. Folliot et Temal ont appelé à écouter les Ukrainiens. Or ils ont brocardé amicalement le vénérable VAB, celui-là même qui continue de rendre bien des services à notre armée de terre et qui est fortement demandé par les Ukrainiens. Quant à l’AMX-10 RC, il remplit des fonctions plus latérales sur le champ de bataille, là où une contre-offensive et la tenue d’une ligne de front sont impossibles sans protection des troupes.

Je le dis à l’intention des commissaires à la défense : c’est grâce à la loi de programmation militaire, à la « scorpionisation » de l’armée de terre, aux achats de véhicules blindés multirôle (VBMR) Griffon et à l’envoi de VAB que nous parvenons à aider l’Ukraine, selon un schéma gagnant-gagnant qui favorise aussi bien nos stocks que le soutien aux forces ukrainiennes.

Dans le cadre de l’A2SM, un certain nombre d’équipements seront « durcis » prochainement. Nous avons bénéficié d’un bon retour d’expérience des Ukrainiens sur le canon Caesar. L’intelligence artificielle permettra aux artilleurs ukrainiens de faire l’acquisition de cibles beaucoup plus fines ; ils pourront ainsi mieux se protéger et économiser les obus.

L’entreprise Delair, véritable pépite française qui grandit de plus en plus, sera à même de doter les armées française et ukrainienne de drones kamikazes à munitions téléopérées.

Malheureusement, nous avons affaire à un conflit qui dure, ce qui, de fait, nous autorise désormais à réfléchir à des programmes d’armement dont nous bénéficierons autant que l’armée ukrainienne.

En conclusion, j’évoquerai quelques questions plus globales. Le Président de la République a demandé au Gouvernement d’élaborer un nouveau paquet d’aides militaires pour un montant qui s’élève jusqu’à 3 milliards d’euros et qui n’est autre que la traduction concrète de l’accord soumis à vos votes aujourd’hui.

Nous devrons continuer à répondre présent en matière d’artillerie, de défense sol-air et de frappes dans la profondeur, c’est-à-dire, je le répète, après la ligne de front.

Quelles conclusions devons-nous tirer pour notre propre défense des événements qui se sont produits ces derniers mois ? Il convient d’ailleurs de « dézoomer » et d’appréhender la question d’une manière plus globale, en tenant aussi compte de ce qui s’est passé au Proche et au Moyen-Orient.

La loi de programmation militaire, appliquée depuis trois mois seulement, a sanctuarisé de nombreux éléments qu’il convient aujourd’hui de confirmer. Je pense aux munitions, au domaine cyber, qui est d’une particulière actualité, au renseignement et à la dissuasion nucléaire, celle-là même qui avait fait l’objet de débats substantiels à l’époque.

Il faudra sans doute se poser de bonnes questions dans les mois à venir et accélérer des commandes déjà prévues, dont celles des Samp/T de nouvelle génération, qui répondent à un besoin très clair de protection des plus hautes couches de la défense sol-air.

De même, nous devrons porter notre attention sur la militarisation de l’espace, qui a fait l’objet d’une actualité beaucoup plus dure. Les dispositions de la loi de programmation militaire sur le sujet sont nombreuses, mais elles ne sont sans doute pas suffisantes. D’où la nécessité d’une revoyure.

Sachez que je reste à la disposition de l’ensemble des groupes politiques pour échanger sur cette question, dans le format approprié. Les menaces se propagent vite : il faut donc pouvoir être mobile sans pour autant abîmer notre programmation.

Je dirai un mot sur la dissuasion nucléaire. Je tiens à vous rassurer, madame Cukierman : la doctrine française n’a pas changé.

La formule selon laquelle nos intérêts vitaux ont une dimension européenne, employée par le Président de la République, est issue de la doctrine de l’École de guerre. Elle fait aussi écho aux propos qu’avaient tenus en leur temps les présidents Hollande, Sarkozy et Chirac – celui-ci avait été le tout premier à faire référence à cette doctrine en 1996. Je le répète, notre doctrine n’a pas évolué.

Enfin, l’Ukraine nous invite à considérer de manière plus globale ce que nous pourrions faire en matière de réassurance, tant pour la Moldavie, avec laquelle Stéphane Séjourné et moi-même venons de signer plusieurs accords, notamment de défense, que pour l’Arménie, où je me suis rendu aux côtés des présidents Marseille et Retailleau, en particulier. Sachez que nous poursuivons nos actions de formation et l’envoi d’équipements en Arménie.

Une chose est sûre : nous ne pouvons pas débattre de l’Ukraine sans tenir compte de ce qui se passe dans l’ensemble de l’Europe centrale et de l’Europe caucasienne. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC. – M. Christian Cambon applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

M. Stéphane Séjourné, ministre de lEurope et des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, avant de répondre à vos interrogations, je souhaitais vous décrire ce que cet accord bilatéral représente à nos yeux.

Il vise tout d’abord à réaffirmer l’unité des Européens. Les attentes de nos partenaires sont fortes, autant à Berlin qu’à Helsinki, à Varsovie ou à Prague. Les pays européens se sont tous engagés à soutenir l’Ukraine malgré les divisions politiques et les différences partisanes qui existent dans les parlements nationaux comme au sein du Parlement européen. Cette unité se trouve précisément reflétée dans l’accord que nous vous soumettons aujourd’hui.

Mesdames, messieurs les sénateurs, tout d’abord, vous pouvez faire partie de l’opposition au Gouvernement et approuver cet accord. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sophie Primas. Vraiment ? Merci !

M. Stéphane Séjourné, ministre. Il me semblait bon de le réaffirmer.

Ensuite, il s’agit d’un accord pour la paix. En soutenant l’Ukraine, nous sauvegardons notre ADN européen, qui se caractérise par des principes et des valeurs. Nous avons en effet décidé qu’un pays ne pouvait pas en agresser un autre, qu’il ne pouvait violer ni le droit international ni la souveraineté territoriale d’un autre État.

Rappelons une évidence : cette guerre, c’est bien la Russie qui la veut, pas nous ! Et la paix, c’est bien l’Ukraine qui la demande, avec nous. Ne nous y trompons pas.

Enfin, c’est un accord pour l’histoire. Nous sommes à la croisée des chemins : l’agressivité inédite dont a fait preuve la Russie, notamment ces dernières semaines, le prouve. De la poursuite de notre engagement dépendront l’avenir des Européens et la capacité pour nos concitoyens de conserver la maîtrise de leur destin.

Les groupes politiques de cette assemblée ont soulevé plusieurs questions concernant les menaces pour la paix, le risque d’escalade, l’agriculture, l’élargissement des sanctions aux fonds financiers russes et les nouvelles ressources pour aider l’Ukraine.

Je veux tout d’abord répondre à ceux qui nous accusent de menacer la paix en aidant l’Ukraine. Il ne suffit pas, mesdames, messieurs les sénateurs, de lever un drapeau blanc pour arrêter la Russie. (Murmures sur les travées du groupe CRCE-K.)

Écoutez ce que nous dit Moscou : son but stratégique est la soumission complète de l’Ukraine. Hier, dans un entretien, Vladimir Poutine a déclaré : « Pourquoi négocier avec l’Ukraine, alors qu’elle est à court de munitions ? » Tout est dit ! Son objectif est bien de soumettre l’Ukraine, et toute faiblesse de notre part ne fera que le renforcer.

Nous devons tirer les conséquences d’un tel constat : seul un soutien massif et durable à l’Ukraine peut amener la Russie à revoir ses objectifs. Cela suppose non seulement de fournir un soutien militaire à la hauteur et de garantir la production de munitions et d’équipements sur le territoire européen, mais aussi de mettre l’Ukraine en position de force sur le terrain, pour qu’elle puisse négocier une paix juste et durable, selon les conditions qu’elle aura elle-même définies. Ce souhait des Ukrainiens, qui n’ont jamais demandé à être envahis, est aussi le nôtre.

On l’a vu ces dernières semaines : les Européens sont unis autour des accords qui favorisent le soutien à l’Ukraine ; tel est le cas de celui dont vous avez débattu aujourd’hui.

Certains, ici, ont dénoncé un risque d’escalade. J’entends leurs interrogations, mais n’inversons pas les choses. La Russie est le seul agresseur.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Personne n’a dit le contraire !

M. Stéphane Séjourné, ministre. La Russie, seule, agite les peurs en brandissant la menace nucléaire et en menant des campagnes de désinformation et de déstabilisation de nos sociétés.

Cet accord bilatéral permettra de reprendre la main. D’ailleurs, l’accord de sécurité signé par le Président de la République et le président ukrainien, le 16 février dernier, est la suite logique des efforts qui ont été accomplis pour soutenir l’Ukraine dans la durée. Il n’y a donc ni escalade ni fantaisie : la réponse à cette agression est seulement forte et claire.

Depuis le premier jour du conflit, notre soutien à l’Ukraine a été continu, tout d’abord en matière humanitaire – j’y insiste d’autant plus que la Russie vise délibérément des populations et des infrastructures civiles et énergétiques.

Ainsi, la France a mobilisé près de 300 millions d’euros via les ONG, ses partenaires, les organisations internationales qui interviennent sur place et les opérateurs de la solidarité menés par le Centre de crise et de soutien économique du Quai d’Orsay, dans la perspective d’une reconstruction de l’Ukraine.

Évoquons aussi le soutien politique de la communauté internationale, qui, dans sa grande majorité, continue à se ranger derrière l’Ukraine. La France joue un rôle majeur pour que les crimes perpétrés par la Russie ne restent pas impunis. Elle appuie notamment les enquêtes ukrainiennes, comme à Boutcha, et celles de la Cour pénale internationale (CPI), et elle contribue à la formation de magistrats ukrainiens.

Vous avez évoqué un certain nombre de pistes pour renforcer le soutien financier à l’Ukraine, en s’attaquant aux avoirs russes. Nous sommes favorables à cette option, pourvu qu’elle respecte le droit international. En effet, la séquestration des avoirs russes pourrait nous conduire à violer nous-mêmes les normes internationales, ce qui nuirait à la crédibilité de notre argumentaire contre la Russie.

Concernant ces avoirs, la Commission européenne préconise la taxation des intérêts d’emprunt, une solution aussi évoquée par Kaja Kallas, la Première ministre estonienne. Cela permettrait de constituer des ressources propres de l’ordre de 100 milliards d’euros et garantirait aux Ukrainiens davantage de liquidités, et cela le plus rapidement possible.

J’en viens aux sanctions. Ne vous fiez pas aux statistiques publiées par la Russie : plusieurs pans de l’économie ne sont pas couverts par les statistiques, afin d’afficher des taux de croissance importants. En réalité, l’économie russe est devenue une boîte noire assez incohérente, et je doute de l’optimisme affiché par le Kremlin.

Pour notre part, nous constatons que les sanctions prononcées sont utiles, puisqu’elles renchérissent d’ores et déjà le coût de la guerre pour la Russie.

Au-delà de leur effet à court terme, ces sanctions auront des conséquences tout à fait significatives et durables sur la capacité de la Russie à financer son économie de guerre. Les ruptures d’approvisionnement, notamment, sont légion dès lors que le secteur des hautes technologies est affecté. Nous observons également, depuis le début du conflit, un important phénomène d’émigration de travailleurs russes très qualifiés, qui ne peut que nuire à l’économie du pays.

Plusieurs d’entre vous ont exprimé leurs inquiétudes sur un potentiel élargissement de l’Otan à l’Ukraine via l’accord bilatéral de sécurité que nous avons signé. (M. André Reichardt sexclame.) Or celui-ci n’est en aucune manière un accord d’adhésion caché, contrairement à ce que j’ai pu entendre à l’Assemblée nationale – d’ailleurs, je salue les sénateurs pour la qualité de leurs interventions. (Marques de lassitude sur de nombreuses travées.)

Il ne s’agit pas d’intégrer l’Ukraine à l’Union européenne ou à l’Otan, ces projets d’adhésion ayant leur calendrier, leurs conditions et leurs exigences propres. Le Parlement aura d’ailleurs à s’exprimer sur le sujet. Prétendre le contraire, c’est faire croire à nos concitoyens qu’un simple accord bilatéral pourrait se substituer au débat public et aux chambres.

En conclusion (Ah ! sur plusieurs travées.), les mêmes débats ont lieu et les mêmes questions se posent chez tous nos partenaires qui ont signé ce genre d’accord bilatéral, comme le Royaume-Uni et l’Allemagne. Partout, il reste encore à convaincre l’opinion publique. Toutefois, sachez que les États européens manifestent la même constance dans leur engagement envers l’Ukraine, notamment les États baltes et la Pologne, qui craignent eux aussi une attaque de la Russie.

Ne soyons pas dupes de la menace au prétexte que nous serions éloignés de la frontière russe de quelques centaines de kilomètres de plus que d’autres pays européens. Cette guerre touche l’Europe tout entière, d’autant que celle-ci a une certaine idée de la paix. La guerre réveille chez chacun d’entre nous, dans chacune de nos familles, des souvenirs et des traumatismes qui ne sont pas si lointains.

J’en termine : mesdames, messieurs les sénateurs, ce que nous vous demandons par ce vote, c’est tout simplement de continuer à rendre possible le soutien à l’Ukraine. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et UC.)

Vote sur la déclaration du Gouvernement

M. le président. À la demande du Gouvernement, le Sénat est appelé à se prononcer par un vote sur la déclaration relative au débat sur l’accord de sécurité franco-ukrainien et la situation en Ukraine.

Conformément à l’article 39, alinéa 6, du règlement, il va être procédé au scrutin public ordinaire dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement ; aucune explication de vote n’est admise.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 155 :

Nombre de votants 326
Nombre de suffrages exprimés 315
Pour l’adoption 293
Contre 22

Le Sénat a approuvé la déclaration du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC, Les Républicains, SER et GEST.)

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures vingt-cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures cinquante-cinq, est reprise à vingt-deux heures vingt-cinq, sous la présidence de M. Pierre Ouzoulias.)