Mme Michelle Gréaume. Nous pensons qu’il est nécessaire d’augmenter substantiellement les recettes fiscales des pays africains. En effet, si les recettes fiscales représentent en moyenne 34 % du PIB dans les pays de l’OCDE, elles sont deux fois moins importantes dans les pays en développement.

Au-delà du volume des recettes fiscales récoltées se pose la question de la nature de la ponction fiscale. En effet, pour être efficace, celle-ci gagne à être guidée par des critères de justice sociale n’aggravant pas la situation des populations les plus pauvres et les plus laborieuses ; il faut donc mettre à contribution les profits du capital local et étranger.

Se pose enfin la question de la redistribution des recettes pour promouvoir une croissance efficace, répondant aux objectifs de développement économique et social des pays africains.

L’organisation économique internationale, mise en œuvre de fait dans des traités de libre-échange, alimente une course au moins-disant fiscal, particulièrement avancée dans les pays en développement, où la loi permet de distribuer des cadeaux fiscaux à tout va, notamment aux multinationales.

C’est pourquoi nous proposons de flécher 10 % de l’aide publique au développement vers le soutien au renforcement des systèmes fiscaux de ces pays afin de leur donner des moyens budgétaires pérennes pour relever les défis liés au développement et au changement climatique auxquels ils doivent faire face.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Raphaël Daubet, rapporteur spécial. Cet objectif de renforcement des systèmes fiscaux est déjà porté par les programmes 110 et 209. Avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Catherine Colonna, ministre. La mission « Aide publique au développement » comprend déjà des enveloppes importantes pour le renforcement des systèmes fiscaux. Avis défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° II-1332.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. Nous allons procéder au vote des crédits de la mission « Aide publique au développement », figurant à l’état B.

Je n’ai été saisie d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.

Je mets aux voix ces crédits, modifiés.

(Les crédits sont adoptés.)

État B
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2024
Compte de concours financiers : Prêts à des États étrangers

Mme la présidente. Nous allons procéder à l’examen des amendements portant sur les objectifs et indicateurs de performance de la mission « Aide publique au développement », figurant à l’état G.

ÉTAT G

153

Aide publique au développement

154

Renforcer lévaluation et la redevabilité de laction en matière de développement

155

Efficience de l’aide bilatérale

156

110 - Aide économique et financière au développement

157

Assurer une gestion efficace et rigoureuse des crédits octroyés à laide au développement

158

Capacité des fonds multilatéraux à mener avec succès des projets compatibles avec la réalisation de leurs objectifs de développement

159

Effet de levier de l’activité de prêts de l’AFD

160

Frais de gestion du programme 110

161

Contribuer à la mise en œuvre des ODD, en concentrant laide sur les pays prioritaires et les priorités stratégiques françaises

162

Part des prêts de l’AFD qui sont affectés aux priorités thématiques du CICID

163

Part des ressources subventionnées des fonds multilatéraux qui sont affectées aux priorités thématiques du CICID

164

Part des ressources subventionnées des fonds multilatéraux qui sont affectées aux zones géographiques prioritaires

165

Part, dans le coût pour l’État des prêts mis en œuvre par l’AFD, des coûts des prêts à destination des priorités géographiques du CICID

166

209 - Solidarité à légard des pays en développement

167

Améliorer la redevabilité et lefficacité de laide

168

Frais de gestion du programme 209

169

Contribuer à la mise en œuvre des ODD, en renforçant la composante bilatérale et en concentrant laide sur les pays prioritaires

170

Part des crédits bilatéraux du programme et des taxes dédiés aux priorités du CICID

171

Part des crédits du programme et des taxes destinés à des pays prioritaires

172

Part des crédits multilatéraux du programme et des taxes dédiés aux priorités sectorielles du CICID

173

Faire valoir les priorités stratégiques françaises dans laide publique acheminée par les canaux européens

174

Part des versements du FED sur les priorités stratégiques françaises

175

Renforcer les partenariats

176

Évolution de l’APD support transitant par les collectivités territoriales françaises

177

Part de l’APD bilatérale française transitant par la société civile dans l’APD bilatérale française totale

178

Volume de l’activité des opérateurs AFD et Expertise France en gestion déléguée par l’Union européenne

Mme la présidente. L’amendement n° II-1211, présenté par MM. Gontard, Mellouli, Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus et Fernique, Mme Guhl, M. Jadot, Mmes de Marco et Ollivier, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée, Souyris et M. Vogel, est ainsi libellé :

Alinéas 159, 162 et 163

Remplacer le mot :

prêts

par le mot :

dons

La parole est à M. Guillaume Gontard.

M. Guillaume Gontard. L’Agence française de développement indique qu’elle s’inscrit dans une démarche volontaire de publication d’informations, mais elle conditionne celle-ci au respect d’un prétendu secret des affaires.

C’est notamment le cas, lorsqu’elle refuse de rendre publiques des informations sur les marchés passés avec ses emprunteurs, pays et collectivités locales, en s’abritant derrière ce motif.

Alors même qu’un rapport de la Cour des comptes a pointé le manque d’informations relatives aux procédures, aux études d’impact, à l’enquête publique ou au décaissement, l’AFD persiste à s’abriter derrière une notion de secret des affaires qui apparaît en contradiction avec sa mission et dépourvue de tout fondement.

Compte tenu de ses missions, l’AFD est amenée à intervenir dans l’ensemble des pays éligibles à l’aide publique au développement, à faire face aux défis du XXIe siècle en cohérence avec les enjeux du développement durable ou encore à contribuer à l’atténuation des inégalités mondiales. Rien ne justifie d’invoquer le secret des affaires.

Cette logique vaut aussi pour les prêts accordés par l’AFD. Je souligne que, par ailleurs, ces prêts posent problème dans la mesure où ils enferment en réalité les pays bénéficiaires dans le piège de l’endettement, qui s’est encore renforcé avec la remontée récente des taux d’intérêt. Si l’on voulait véritablement augmenter le niveau de développement des pays destinataires, il serait préférable de substituer les dons aux prêts.

En invoquant le secret des affaires, l’AFD confère à son action un caractère commercial en total décalage avec sa mission de développement économique et social. C’est pourquoi nous proposons, au travers de cet amendement, que l’AFD pratique la transparence sur les investissements qu’elle réalise.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Raphaël Daubet, rapporteur spécial. Cet amendement nous semble inopportun, car la modification des indicateurs de performance ne contraint pas l’AFD à consentir des dons plutôt que des prêts.

Toutefois, nous sollicitons l’avis du Gouvernement. En effet, nous souhaitons savoir quand le Gouvernement entend opérer la révision des indicateurs de performance et quels seraient les nouveaux indicateurs envisagés.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Catherine Colonna, ministre. L’AFD est une société de financement qui évolue dans un environnement concurrentiel avec d’autres bailleurs bilatéraux ou multilatéraux. Le secret des affaires est donc nécessaire pour assurer sa compétitivité et, surtout, pour protéger les informations commerciales des entreprises partenaires et bénéficiaires de l’agence.

Quant aux autres questions, nous pourrons y répondre dans le cadre de la préparation du prochain contrat d’objectifs et de moyens de l’agence.

L’avis est défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.

M. Rachid Temal. Nous soutiendrons cet amendement qui nous donne l’occasion de revenir sur un sujet essentiel que nous avions évoqué lors de l’examen du projet de loi de programmation.

En réalité, l’Agence française de développement est une banque : en tant que telle, il est normal qu’elle obéisse à certaines règles. Le groupe AFD est composé de trois structures et nous avions proposé, en 2021, d’en créer une quatrième pour séparer ce qui relève de l’activité de prêt et ce qui relève du don. Ce dispositif aurait eu le mérite de la clarté non seulement sur le sujet qui nous occupe, mais également pour distinguer les pays auxquels on prête et ceux auxquels on verse des dons.

Par conséquent, nous soutiendrons cet amendement, même s’il s’apparente à un amendement d’appel, car nous considérons qu’il faut réformer l’AFD pour séparer l’activité de don et celle de prêt. Cela permettrait d’appliquer une législation différente à chacune des deux activités, ce qui simplifierait la situation et faciliterait la communication.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° II-1211.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° II-166 n’est pas soutenu.

compte de concours financiers : prêts à des états étrangers

État G
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2024
État D (interruption de la discussion)
État G
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2024
État D (interruption de la discussion)

Mme la présidente. Nous allons procéder au vote des crédits du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers », figurant à l’état D.

ÉTAT D

(En euros)

Mission / Programme

Autorisations dengagement

Crédits de paiement

Prêts à des États étrangers

1 287 122 390

1 199 125 194

Prêts du Trésor à des États étrangers en vue de faciliter la vente de biens et de services concourant au développement du commerce extérieur de la France

1 000 000 000

762 002 804

Prêts à des États étrangers pour consolidation de dettes envers la France

287 122 390

287 122 390

Prêts à l’Agence française de développement en vue de favoriser le développement économique et social dans des États étrangers

0

150 000 000

Prêts aux États membres de l’Union européenne dont la monnaie est l’euro

0

0

Mme la présidente. Je n’ai été saisie d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.

Je mets aux voix ces crédits.

(Les crédits sont adoptés.)

Mme la présidente. Nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Aide publique au développement » et du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers ».

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante-cinq, est reprise à dix-sept heures cinquante-huit.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

État D (début)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2024
Discussion générale

3

Mise au point au sujet de votes

Mme la présidente. La parole est à M. Antoine Lefèvre pour une mise au point au sujet de votes.

M. Antoine Lefèvre. Lors du scrutin n° 93 sur l’amendement n° II-31 de la commission des finances portant sur les crédits de la mission « Action extérieure de l’État », Jean-Pierre Bansard, Évelyne Renaud-Garabedian et Jean-Luc Ruelle souhaitaient voter contre.

Mme la présidente. Acte est donné de votre mise au point. Elle figurera dans l’analyse politique du scrutin concerné.

4

État D (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2024
Deuxième partie

Loi de finances pour 2024

Suite de la discussion d’un projet de loi

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2024
Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales - Compte d'affectation spéciale : Développement agricole et rural

Mme la présidente. Nous reprenons la discussion du projet de loi de finances pour 2024, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution.

Nous poursuivons l’examen, au sein de la seconde partie du projet de loi de finances, des différentes missions.

Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales

Compte d’affectation spéciale : Développement agricole et rural

Deuxième partie
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2024
État B

Mme la présidente. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d’affectation spéciale « Développement agricole et rural ».

La parole est à M. le rapporteur spécial. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Christian Klinger, rapporteur spécial de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il faut bien reconnaître que les enjeux portés par la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et par le compte d’affectation spéciale qui y est rattaché sont particulièrement transversaux et que le ministre de l’agriculture fait face, plus encore que certains de ses collègues, à des obstacles objectivement difficiles.

Entre la concurrence économique, les conséquences de la situation géopolitique mondiale, le réchauffement climatique, le manque d’attractivité d’une partie des professions agricoles, les crises sanitaires successives, les handicaps propres à la ruralité, le recul de notre souveraineté alimentaire, un secteur de la recherche qui se désintéresse de l’innovation agricole et j’en passe, c’est peu dire qu’il faudrait un volontarisme politique fort pour contribuer au renouvellement de l’agriculture française.

Or, ces dernières années, ce volontarisme politique a fait défaut, au moins sur le plan budgétaire.

Alors que, régulièrement, le Sénat tirait la sonnette d’alarme sur la situation du monde agricole, les gouvernements successifs se sont entêtés à sous-dimensionner le budget de l’agriculture, ce qui a probablement conduit notre assemblée à rejeter les crédits de la mission l’an dernier.

En 2024, le total des concours publics consacrés à l’agriculture, l’alimentation et la forêt atteindra 25,5 milliards d’euros, un montant qui comprend 9,4 milliards d’euros de cofinancements européens auxquels la France contribue, 8,5 milliards d’euros de dispositifs fiscaux et sociaux, ainsi que les crédits de la présente mission, qui progressent de 38 % par rapport à cette année et s’élèvent à 5,3 milliards d’euros en autorisations d’engagement.

Présenté ainsi, ce budget pourrait donner le sentiment d’un « quoi qu’il en coûte » agricole, mais soyons objectifs : en dehors des crédits destinés à verdir le budget, que je ne minimise pas, mais qui, à court terme, ne répondent pas aux attentes du secteur, et si l’on fait abstraction des compétences transférées, le Gouvernement présente finalement un projet assez proche de l’exécution moyenne des derniers exercices.

Dans une certaine mesure, il s’agit déjà là d’un progrès. En effet, au lieu de vous entêter, monsieur le ministre, à sous-évaluer dans un premier temps les besoins et d’être contraint, comme chaque année, de solliciter des crédits supplémentaires en cours d’exercice, vous avez fait l’effort de présenter un budget initial plus près des besoins réels, tenant compte notamment des aléas, dont vous reconnaissez enfin qu’ils n’ont rien d’aléatoire budgétairement parlant.

En réalité, au vu du sous-dimensionnement antérieur, l’effort financier annoncé constitue un rattrapage utile. Mais la diversité des amendements que nous aurons à examiner le prouve : tous les acteurs de l’agriculture attendent que vous répondiez présent.

Or le fait d’annoncer une revalorisation du budget initial sans répondre aux principales attentes des professionnels risque de susciter des déceptions : alors que nous vous attendons sur le foncier agricole, la rémunération des exploitants, la lutte contre les distorsions de concurrence ou encore la souveraineté alimentaire, vous nous répondez plutôt : haies, protéines et décarbonation.

Cela étant, l’objectivité commande de reconnaître que vous avez consenti un réel effort budgétaire s’agissant du verdissement. Nous y sommes favorables, puisque la commission des finances propose au Sénat d’adopter les crédits de la mission.

Certes, toute l’agriculture ne peut pas s’organiser en fonction de la transition écologique, mais nous ne pouvons plus faire l’économie de politiques adaptées aux nouvelles réalités. Je ne détaillerai pas toutes les facettes de ce verdissement : je sais, monsieur le ministre, que vous le ferez.

Je le répète, cette nécessité conduira bon nombre d’entre nous à voter ce budget. Mais ce vote ne constitue en rien un quitus. Nous comptons bien exercer notre double mission : celle de porter la parole des territoires et celle d’examiner et de voter les textes en séance publique – d’autant que nous sommes, dans les faits, la seule assemblée à le faire…

Puisque le temps m’est compté, je terminerai en évoquant deux points – parmi tant d’autres – auxquels le Sénat est attentif, et qui, me semble-t-il, reflètent cette parole des territoires.

Le premier point, qui aurait mérité d’être davantage mis en exergue dans ce budget, constitue un sujet de préoccupation majeur pour le Sénat : dans moins de dix ans – je sais que vous connaissez très bien ces statistiques, monsieur le ministre –, une petite moitié des agriculteurs actuels sera partie à la retraite. Notre premier devoir est d’améliorer les conditions de leur remplacement. Or, vous le savez parfaitement, les modalités de transmission des installations ne sont, pour l’instant, pas du tout à la hauteur du défi à relever.

Alors, monsieur le ministre, je vous pose la question très directement : dans ce projet de loi de finances pour 2024, parmi ces millions d’euros de crédits « verts », dans le cadre de ce pacte « haies » et de ce plan « protéines végétales », qui sont certes utiles, mais qui ne répondent pas aux attentes immédiates des exploitants qui arrivent ou qui partent, qu’est-ce qui pourrait aider ceux qui hésitent à devenir agriculteurs ? Qu’est-ce qui pourrait motiver ceux qui constatent que le foncier est toujours plus cher, que les rémunérations sont toujours plus faibles et que les débouchés sont toujours plus réduits ?

Le second point qui, à mon avis, aurait mérité d’être davantage mis en évidence dans le cadre de cette mission a trait au nécessaire rétablissement de notre souveraineté alimentaire. Je le reconnais, vous défendez quelques mesures de long terme qui vont dans ce sens. Mais quelles seront les dispositions qui, en 2024, mettront concrètement un terme aux distorsions de concurrence et favoriseront massivement le local ?

Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, notre enthousiasme, lui, n’est pas en hausse de 38 %, même si nous voterons les crédits de la mission. Nous aurions souhaité que ces crédits soient mieux répartis entre les mesures en faveur du verdissement et d’autres attentes parfois plus immédiates et matérielles.

Le nombre d’amendements déposés – une centaine – traduit bien ce goût d’inachevé. Croyez bien que, si votre majorité avait présenté un équilibre budgétaire plus satisfaisant, la commission des finances aurait soutenu davantage d’initiatives de nos collègues.

En tant que rapporteurs spéciaux, nous ne serons donc favorables qu’à quelques amendements choisis avec parcimonie en raison du contexte financier.

Pour le reste, nous nous en remettrons à la sagesse de nos collègues pour ne pas déséquilibrer davantage les comptes publics, même s’il faut reconnaître que bien des situations mériteraient que nous nous mobilisions davantage. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Victorin Lurel, rapporteur spécial de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les situations prises en compte dans le cadre de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » sont si vastes qu’à mon sens il serait vain d’espérer, monsieur le ministre, que vous puissiez porter avec succès toutes les politiques publiques dont vous êtes chargé.

C’est pourquoi je débuterai mon intervention en évoquant plusieurs des aspects positifs que revêt ce budget pour 2024 au regard des précédents exercices.

D’abord, et j’y suis sensible, les moyens humains sont consolidés et stabilisés, afin que le ministère puisse assumer ses nombreuses missions de contrôle : contrôle administratif, écologique, sanitaire, alimentaire et préventif – la liste est fort longue.

Les dépenses du titre 2 augmentent de 4,5 % : au regard des missions, et compte tenu des critères exogènes qui conduisent à la hausse des frais de personnel, il s’agit d’une hausse mesurée, mais finalement bienvenue.

Je me réjouis également de la consolidation de certains dispositifs favorables aux travailleurs, grâce notamment au programme 381 « Allègements du coût du travail en agriculture (TODE-AG) » et au relèvement de certains plafonds d’emplois – même si nous aurions souhaité aller plus loin.

On le sait, l’agriculture est un secteur très concurrentiel : nous devons constamment adapter nos règles et nos pratiques pour éviter que la précarité s’y ancre.

Dans le cadre du régime des travailleurs occasionnels-demandeurs d’emploi (TO-DE), l’exonération de certaines charges ou cotisations en faveur de 71 000 entreprises – soit à peu près la moitié des structures agricoles employant un salarié – garantit le maintien de 31 % du volume global des heures salariées dans le secteur agricole, tout en donnant lieu à compensation à la Mutualité sociale agricole (MSA).

Pour moi, c’est l’un des moyens de lutter contre le travail illégal et ses conséquences, en particulier pour des emplois à faible valeur ajoutée. C’est également un point auquel je prête une attention toute particulière dans les outre-mer, car le salariat agricole y joue un rôle central. Je peux vous garantir que, sans certains salariés occasionnels, il n’y aurait plus du tout de récolte de canne à sucre ou de bananes. Le système devrait d’ailleurs être adapté à ces régions.

Je vous indique, à ce stade, que nous émettrons un avis favorable sur les crédits de la mission en raison d’un bilan des coûts et des avantages globalement positif. Cela n’empêchera pas pour autant certains d’entre nous de défendre, à titre personnel, tel ou tel amendement.

Pour les outre-mer, vous aurez observé à la lecture du rapport que j’ai tenu à préciser le fonctionnement de certains dispositifs et à proposer leur renforcement par la réactualisation de leurs crédits, hélas gelés depuis de trop nombreuses années. Je pense au régime spécifique d’approvisionnement, à l’aide à la transformation du programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité (Poséi) ou encore au soutien aux filières canne à sucre, rhum et banane.

Dans les débats à venir, mon groupe politique présentera des amendements sur ces sujets vitaux pour l’agriculture en outre-mer.

Je me réjouis également – c’est un point que nous développons également dans le rapport – de l’aide apportée aux dix opérateurs rattachés à la mission : la plupart d’entre eux voient leurs moyens consolidés, car ils jouent un rôle significatif en matière de développement durable. Je ne citerai à cet égard que l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) et l’Office de développement de l’économie agricole d’outre-mer (Odéadom).

Au-delà des éléments positifs que je viens de détailler, certains points – que nos propositions seraient en mesure d’améliorer – restent perfectibles. J’aurai l’occasion de le redire lors de l’examen des amendements, nous aurions souhaité que davantage d’efforts soient consentis dans plusieurs domaines : je pense à la filière laitière, à celle du bois, à l’agriculture en outre-mer et aux dispositifs d’aide à l’installation.

S’agissant de la filière laitière, nous serons favorables à un amendement qui encourage l’interventionnisme économique et politique en faveur de la hausse des revenus des producteurs, tant la part de leur rémunération dans le prix du lait demeure bien trop faible. Nous avons le sentiment lancinant, mais fort, qu’il s’agit de l’un des points faibles de ce budget, monsieur le ministre.

Concernant les aides, même s’il faut tenir compte du nouveau partage des compétences entre l’État et les régions dans le cadre de la nouvelle politique agricole commune (PAC) 2023-2027, selon qu’il s’agisse d’aides surfaciques ou non, je constate que beaucoup de nos collègues en attendaient davantage et pensent que vous auriez pu faire plus et mieux.

Le nombre élevé d’amendements sur les mesures agroenvironnementales et climatiques est, me semble-t-il, particulièrement révélateur de cette déception.

Pour terminer, j’aimerais appeler votre attention sur un certain nombre d’éléments.

D’abord, parmi les rares amendements sur lesquels la commission des finances a émis un avis favorable, je tiens à mentionner celui qui vise à lutter contre la précarité alimentaire. C’est une préoccupation des Français, dont le Sénat ne peut se désintéresser.

Ensuite, je vous indique que je n’ai pas décelé dans ce budget les grandes lignes du pacte et du projet de loi d’orientation et d’avenir agricoles que nous attendons tous. Est-ce à dire que ce projet de loi se fera à crédits constants ? Ces orientations ne sont-elles pas encore définitives ? Faudra-t-il rectifier le budget en fonction des choix arrêtés ? Il vous faudra répondre à nos questions.

Je profite de l’occasion pour vous redire que nous avons écarté certaines des orientations proposées par nos collègues sur le foncier agricole ou les aides à l’installation et à la transmission, afin de les examiner de manière cohérente dans le cadre de ce futur projet de loi : pourriez-vous nous indiquer, monsieur le ministre, l’état d’avancement des concertations sur ce texte, tout de même très lié au présent budget ?

Par ailleurs, comme mon collègue rapporteur spécial, je m’interroge sur l’efficacité des mesures censées rétablir notre souveraineté alimentaire. Quand mettrons-nous un terme aux distorsions de concurrence sur les produits importés ? Je dois dire, comme mon collègue, que je ne vois pas bien ce qui y contribuera dans ce budget.

Enfin, nous préconisons une réflexion sur la rebudgétisation du compte d’affectation spéciale « Développement agricole et rural ».

Après avoir insisté sur les facteurs d’amélioration et le redimensionnement du périmètre des crédits de ce budget et sur la tentative, même si elle est timide, de réorienter budgétairement la politique agricole française, la commission des finances vous incite à adopter les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d’affectation spéciale « Développement agricole et rural ».

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Daniel Fargeot applaudit également.)

M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en trois minutes, il est difficile de faire le point sur l’ensemble des dossiers, notamment budgétaires, concernant l’agriculture. Pour ne pas être redondant, j’insisterai seulement sur quelques éléments.

Malgré la hausse très significative – 1,3 milliard d’euros – de ce budget, nous formulerons quatre remarques, qui sont presque des écueils.

La première concerne l’affectation des crédits. Celle-ci manque de lisibilité : plusieurs centaines de millions d’euros de crédits sont inscrits sur des lignes budgétaires qui sont peu ou pas définies. On aurait pu s’attendre, puisqu’il est question de planification, à ce que les objectifs fixés soient clairs et intelligibles. Cette exigence démocratique n’est donc pas satisfaite. En quelque sorte, on nous demande de signer un chèque en blanc, sans que l’on sache véritablement comment les fonds seront utilisés.

La deuxième a trait à l’insuffisance des crédits consacrés aux dispositifs d’accompagnement des agriculteurs. Ces derniers ont pourtant bien besoin d’être conseillés pour que, d’un côté, ils poursuivent leurs efforts en matière de planification écologique et que, de l’autre, ils puissent maintenir leurs capacités de production. Car, à mon avis, faire de l’écologie sans produire nous mènera dans le mur.

La troisième porte, comme je viens de le dire, sur la totale insuffisance et le grand manque de rigueur des objectifs qui permettraient de procéder à une évaluation de ce budget.

Prenons l’exemple du pacte en faveur des haies, qui consiste à planter 50 000 kilomètres de haies. Il constituera une sorte de prime à la médiocrité : ceux qui ne les auront pas enlevées seront confrontés à tout un tas de contraintes, quand ceux qui les ont déjà enlevées auront la possibilité ou pas d’en replanter.

Quatrième remarque : le manque de cohérence. Monsieur le ministre, je ne vous étonnerai pas en parlant d’injonctions contradictoires. Comment voulez-vous que l’on réagisse face à l’annonce d’un plan « protéines végétales » quand on vient, comme moi, de la Haute-Loire où l’on est en train de tuer à petit feu, en entretenant une impasse technique, la lentille verte du Puy ?

Malgré ces critiques, monsieur le ministre, nous vous donnerons quitus et nous voterons les crédits de la mission. Nous tenons absolument à vous remercier, Mme la Première ministre et vous-même, d’avoir écouté le Sénat – nous avions en effet supprimé l’article 16 en première partie du projet de loi de finances – et d’avoir très rapidement accepté de renoncer à l’augmentation de 37 millions d’euros de la redevance pour pollutions diffuses (RPD) et à la hausse de 10 millions d’euros de la redevance pour prélèvement de la ressource en eau.

Ce faisant, vous réparez une totale injustice et vous vous mettez en conformité avec tous les discours que vous avez tenus – tout comme nous – sur la compétitivité et la souveraineté. Comment renforcer notre compétitivité et préserver notre souveraineté si le principe de base est de taxer davantage les agriculteurs ?

La hausse de la RPD aurait été d’autant plus injuste que les paysans contribuent déjà à hauteur de 180 millions d’euros à la réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires via cette redevance, et que seuls 71 millions d’euros, soit moins de la moitié, sont finalement affectés à cet objectif. C’est insuffisant.

Monsieur le ministre, je profite des quelques secondes qui me restent pour vous faire une proposition à laquelle, je l’espère, vous serez favorable.