M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Philippe Vigier, ministre délégué auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Monsieur le sénateur André Guiol, je tiens tout d’abord à excuser Sébastien Lecornu. Actuellement en déplacement en Nouvelle-Calédonie, où il assiste à une réunion des ministres de la défense du Pacifique Sud, il m’a demandé de vous répondre en son nom.

Vous le savez, les fonctionnaires, agents contractuels et ouvriers de l’État du ministère bénéficient de la possibilité de cesser leur activité de manière anticipée et de percevoir l’Acaata au titre de leur exposition à l’amiante.

Par une décision du 10 juin 2020, le Conseil d’État a étendu ce dispositif aux anciens ouvriers de l’État n’ayant plus la qualité d’agent public au moment où ils en font la demande, ce qui a conduit, en 2022, à une modification de la réglementation applicable à ces derniers.

Pour permettre aux anciens fonctionnaires et agents contractuels, notamment aux anciens ingénieurs et cadres technico-commerciaux, de bénéficier du même dispositif, il faut modifier, vous le savez parfaitement, l’article  de la loi de finances pour 2016.

Or cette modification doit faire l’objet d’un travail interministériel avec les ministères de la fonction publique, du travail et de la santé, qui, par définition, sont tous concernés.

Ce travail a d’ores et déjà commencé. Sébastien Lecornu m’a indiqué qu’il était extrêmement attaché – je le suis tout autant – à l’égalité de traitement de toutes les personnes qui ont été exposées à l’amiante. Vous pouvez donc compter sur moi, d’abord pour relayer nos échanges auprès du ministre des armées, puis pour faire avancer ce dossier, car j’ai moi-même travaillé sur une question similaire, à savoir l’exposition au nucléaire en Polynésie.

Nous avons engagé ce travail sur l’amiante, car nous devons cette réparation. Rien ne justifie qu’il existe deux types de salariés, ceux qui sont éligibles à l’allocation et les autres.

Telle est notre notion de l’équité. Telle est celle que défend Sébastien Lecornu.

M. le président. La parole est à M. André Guiol, pour la réplique.

M. André Guiol. Monsieur le ministre, j’ai bien noté la démarche en cours et je m’en réjouis, comme bon nombre de nos collègues sans doute.

En effet, les dégâts potentiels de la fibre d’amiante sur les poumons ne dépendent pas, hélas, du statut des personnels, et encore moins de la nature juridique des établissements concernés.

M. le président. Nous en avons terminé avec les réponses à des questions orales.

Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures trente-cinq, est reprise à quatorze heures cinq, sous la présidence de M. Mathieu Darnaud.)

PRÉSIDENCE DE M. Mathieu Darnaud

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

3

État D (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2024
Deuxième partie

Loi de finances pour 2024

Suite de la discussion d’un projet de loi

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2024
Travail et emploi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2024, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution (projet n° 127, rapport général n° 128, avis nos 129 à 134).

Nous poursuivons l’examen, au sein de la seconde partie du projet de loi de finances, des différentes missions.

SECONDE PARTIE (SUITE)

MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES ET DISPOSITIONS SPÉCIALES

Travail et emploi

Deuxième partie
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2024
État B

M. le président. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Travail et emploi » (et articles 68 et 69).

La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Emmanuel Capus, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la réforme de l’apprentissage a été incontestablement un grand succès. Selon l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), l’apprentissage serait ainsi responsable de la création d’environ 250 000 emplois depuis 2019.

Cette politique souffre toutefois d’une faiblesse qu’il ne faut pas négliger : elle a été conçue sans le financement approprié ou, plutôt, son financement n’est plus adapté à son succès.

Les crédits de la mission « Travail et emploi » demandés pour 2024 reflètent cette réalité. Ils s’élèvent à 22,9 milliards d’euros en autorisations d’engagement (AE) et à 22,6 milliards d’euros en crédits de paiement (CP), ce qui représente une augmentation de 12,7 % en AE et 8,1 % en CP par rapport à 2023.

Au sein de la mission, le programme 103, « Accompagnement des mutations économiques et développement de l’emploi », qui comprend les crédits dédiés aux aides aux employeurs d’apprentis et à France Compétences, connaît la plus forte augmentation.

En effet, la dynamique extraordinaire, pour ne pas dire inespérée, de l’apprentissage ces dernières années s’est traduite, dans une logique de guichet ouvert, par une augmentation importante des charges de France Compétences, qui dépassent largement celles que ses recettes peuvent financer.

Plusieurs dotations exceptionnelles de l’État ont été nécessaires pour soutenir la trésorerie de l’opérateur, avant la création bienvenue d’une dotation pérenne de 1,7 milliard d’euros dans la dernière loi de finances. Pour 2024, cette dotation s’établit à 2,5 milliards d’euros, en augmentation de 820 millions d’euros.

Outre ce soutien accru de l’État, la commission a estimé nécessaire de renforcer la rationalisation des dépenses de France Compétences. C’est pourquoi, en concertation avec la commission des affaires sociales, elle a déposé, par la voix de son rapporteur général Jean-François Husson, un amendement visant à diminuer la participation de France Compétences au financement du plan d’investissement dans les compétences (PIC).

J’en viens maintenant au financement de l’apprentissage, qui constitue la politique phare de la mission « Travail et emploi ».

Si l’on prend en compte l’ensemble des dépenses en faveur de la formation en alternance, c’est-à-dire les aides aux employeurs d’apprentis, les exonérations de cotisations en faveur de l’apprentissage et la dotation de l’État à France Compétences, les crédits dédiés à cette politique dans le budget de l’État s’élèvent à 8,8 milliards d’euros en AE et 8,3 milliards d’euros en CP.

Ces montants, très importants, représentent plus du tiers des crédits de la mission.

L’augmentation du nombre d’apprentis a été permise par la réforme de 2018, notamment par la création de l’aide unique aux employeurs d’apprentis. Ciblée sur les petites entreprises et sur les jeunes sortant prématurément du système éducatif, cette aide était réservée, à l’époque, aux PME embauchant des apprentis de niveau inférieur au baccalauréat.

À la suite de la crise sanitaire, une aide exceptionnelle beaucoup plus large a été créée. Elle peut être versée aux entreprises de plus de 250 salariés et pour l’embauche d’apprentis jusqu’au niveau master.

À la fin de l’année 2022, le montant de ces deux aides a été fixé à 6 000 euros, ce qui actait une sorte de fusion des deux dispositifs.

S’il explique une bonne partie du succès de l’apprentissage, un ciblage aussi large présente également des risques d’effets d’aubaine évidents : l’État finance certaines embauches d’apprentis très qualifiés par de grandes entreprises, alors que toutes et tous n’ont pas nécessairement besoin de ces aides.

C’est pourquoi Ghislaine Senée et moi-même vous proposons, au nom de la commission des finances, un amendement tendant à améliorer le ciblage des aides aux employeurs d’apprentis.

Si cet amendement était adopté, les contrats signés entre une entreprise de plus de 250 salariés et un jeune préparant un diplôme supérieur à bac+2 ne donneraient plus droit au versement de l’aide exceptionnelle.

Il s’agit d’un recentrage relativement modeste. Ainsi, l’adoption de cet amendement serait sans effet sur les PME qui, par définition emploient moins de 250 salariés. Elle serait également sans effet sur les entreprises de plus de 250 salariés qui emploient des apprentis de niveau inférieur à bac+3, comme des jeunes en brevet de technicien supérieur (BTS) ou en diplôme universitaire de technologie (DUT).

Les entreprises concernées par cet amendement, c’est-à-dire uniquement celles de plus de 250 salariés qui embauchent des apprentis de niveau supérieur à bac+2, continueraient à bénéficier de l’ensemble des autres aides à l’apprentissage, notamment des exonérations de cotisations sociales.

Je précise enfin que les employeurs publics qui ne sont pas éligibles à l’aide exceptionnelle et aux aides à l’embauche d’apprentis en général ne sont pas concernés par l’amendement de la commission.

En tout état de cause, la situation qui résulterait de l’adoption de cet amendement resterait largement plus avantageuse que celle, déjà très favorable, qui découlait de la réforme de 2018. Il s’agit donc simplement d’assurer, par un meilleur ciblage, l’efficience des dépenses en faveur de l’apprentissage.

Cette réflexion avait d’ailleurs été menée à l’Assemblée nationale, notamment par le rapporteur spécial de la majorité législative, donc présidentielle.

C’est dire si cette réflexion peut aussi être menée de façon très large et constructive dans notre hémicycle, d’autant que la situation des finances publiques invite à nous interroger sur l’efficience de nos politiques.

Sous réserve de l’adoption de ces amendements, ainsi que de l’amendement que Ghislaine Senée vous présentera dans un instant, la commission des finances propose l’adoption des crédits de la mission.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure spéciale.

Mme Ghislaine Senée, rapporteure spéciale de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’abonde dans le sens d’Emmanuel Capus : nous faisons le constat – partagé, me semble-t-il –, que la politique de soutien à l’apprentissage est plutôt un succès.

Toutefois, nous souhaitons que les petites entreprises et les jeunes moins qualifiés en bénéficient prioritairement, de préférence, par exemple, aux étudiants en école de commerce qui feraient leur apprentissage dans de grandes entreprises.

Dans ces cas, il nous semble que le versement d’une aide présente un risque élevé d’effet d’aubaine : ces jeunes n’ont pas de mal à trouver un emploi et ces entreprises ont moins de mal à recruter ce type de profils. C’est donc à mes yeux autant une mesure d’efficience et d’économies qu’une mesure de justice que nous vous proposons.

Je suis, à titre personnel, plus sceptique quant aux crédits du programme 102, « Accès et retour à l’emploi ». Ces crédits restent globalement stables par rapport à la loi de finances initiale pour 2023, même s’ils connaissent en réalité une augmentation de plus de 11 % par rapport à l’exécution attendue pour cette année.

La principale nouveauté concerne l’augmentation des effectifs de Pôle emploi, principal opérateur rattaché à la mission, dont le plafond d’emplois est rehaussé de 300 équivalents temps plein, pour absorber les responsabilités nouvelles qui lui seront confiées à la suite de la création de France Travail.

La quasi-totalité des dispositifs financés sur ce programme fait l’objet d’un financement stable ou en augmentation, à l’exception notable des crédits alloués aux contrats aidés et aux emplois francs.

Si les crédits alloués aux structures d’insertion par l’activité économique sont en augmentation, je relève que cette augmentation concerne surtout les ateliers et chantiers d’insertion et les entreprises intermédiaires. D’autres structures, comme les associations intermédiaires, demeurent fragiles, en l’absence d’un soutien accru de l’État.

Surtout, cette augmentation apparaît trompeuse, dans la mesure où les financements du fonds de développement de l’inclusion (FDI), qui soutenaient le développement de ce secteur, disparaissent.

J’évoquerai, pour conclure, l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée. Dans nos circonscriptions, nous avons tous été sollicités, ces derniers temps, par bon nombre des acteurs y participant.

En 2020, l’expérimentation a été prolongée jusqu’en 2026. Elle concernera jusqu’à 60 territoires, voire davantage, si le nombre de candidatures le permet. En cohérence avec la montée en charge de l’expérimentation, les moyens alloués progressent de 53,3 % entre 2023 et 2024, pour s’établir à 69 millions d’euros.

Nous avons toutefois été alertés sur le fait que cette hausse pourrait ne pas être suffisante, la poursuite de l’expérimentation nécessitant, selon une estimation, 89 millions d’euros.

À l’Assemblée nationale, plusieurs amendements transpartisans ont été adoptés, qui visent à augmenter les crédits dédiés à l’expérimentation de 11 millions d’euros, portant son financement à 80 millions d’euros.

De son côté, la commission a déposé un amendement abondant ces crédits de 9 millions d’euros supplémentaires – en autorisations d’engagement uniquement –, pour compléter l’enveloppe dans la stricte mesure des besoins exprimés.

Enfin, vous le verrez, mes chers collègues : lors de la discussion des amendements, je ne serai pas toujours du même avis que mon collègue Emmanuel Capus.

Quoi qu’il en soit, la commission propose d’adopter les crédits de la mission « Travail et emploi », modifiés par les deux amendements que nous allons vous présenter.

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Frédérique Puissat, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après une progression de 42 % en 2023, les crédits de la mission « Travail et emploi » augmenteraient encore de 8 % en 2024.

Ces hausses s’inscrivent dans le cadre d’une progression continue de l’apprentissage, qui a été soulignée par mes collègues rapporteurs et qui n’est toujours pas intégralement financée par France Compétences. Elles résultent également de la réorganisation de l’accompagnement des demandeurs d’emploi. En 2024 se constituera en effet le réseau pour l’emploi, au sein duquel Pôle emploi se transformera en France Travail.

Dans ce contexte, la commission des affaires sociales a d’abord considéré que les moyens alloués au service public de l’emploi et à la formation des demandeurs d’emploi devaient être ajustés aux besoins réels de financement.

À cet égard, la progression de 10 % des effectifs de Pôle emploi depuis 2019, bien supérieure à celle de l’ensemble de la fonction publique, devra être évaluée en 2024 en conséquence.

Concernant la formation des demandeurs d’emploi, la commission a considéré que les moyens prévus étaient surestimés.

Le plan d’investissement dans les compétences, le PIC, a connu une sous-exécution moyenne de 361 millions d’euros par an entre 2019 et 2022. Son évaluation et son pilotage n’ont pas été satisfaisants. De concert avec la commission des finances – son rapporteur spécial l’a rappelé –, la commission des affaires sociales propose donc de réduire les moyens alloués au PIC.

Nous considérons en outre que les acteurs du futur réseau pour l’emploi auront à définir de manière concertée les modalités d’accompagnement et de formation des demandeurs d’emploi dans le cadre des instances de gouvernance qui vont se constituer.

Enfin, la dynamique toujours soutenue de l’apprentissage, qui a été soulignée par mes collègues et qui devrait permettre de conclure plus de 800 000 contrats cette année, ne permet toujours pas à France Compétences de financer intégralement ses dépenses d’alternance et de compte personnel de formation (CPF).

À cet égard, saluons les mesures courageuses prises pour réguler les coûts contrats. Il est toutefois regrettable, monsieur le ministre, que le Gouvernement n’ait toujours pas pris le décret permettant d’appliquer le mécanisme de participation financière des usagers au CPF que nous avions voté en loi de finances l’année dernière.

Malgré ces mesures de régulation, France Compétences devra toujours compter sur des emprunts et sur le soutien de l’État pour assumer ses dépenses.

En 2024, quelque 2,5 milliards d’euros de crédits budgétaires lui seront octroyés, sans que cela permette à l’établissement de parvenir à l’équilibre, les prévisions faisant état d’un déficit persistant de 1 milliard d’euros à la fin de l’année 2024.

C’est pourquoi notre commission appelle à sanctuariser les moyens alloués à France Compétences, afin de stabiliser le financement de l’apprentissage.

En parallèle, nous considérons que France Compétences doit diminuer sa participation au PIC. L’organisme a déjà financé ce plan à hauteur de 7,2 milliards d’euros depuis 2019, ce qui correspond à peu près au niveau de ses déficits cumulés. Cette situation ne peut pas perdurer tant que l’apprentissage n’est pas financé.

Il conviendra ensuite de consulter les partenaires sociaux pour cibler les aides aux employeurs d’apprentis, afin de mieux maîtriser la dépense sans fragiliser la dynamique en faveur de l’apprentissage.

Sous réserve de ces observations, la commission a émis un avis favorable sur l’adoption des crédits de la mission et des articles qui lui sont rattachés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps de l’intervention générale et celui de l’explication de vote.

Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de quinze minutes pour intervenir.

Dans la suite de la discussion, la parole est à Mme Corinne Bourcier. (M. le rapporteur spécial applaudit.)

Mme Corinne Bourcier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le plein emploi est un objectif auquel nous souscrivons tous. En effet, le travail est, dans toute société, le pilier fondamental de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. C’est aussi un moyen indispensable, qui favorise tant la cohésion sociale que le financement des ressources de l’État.

En six ans, notre pays a avancé vers cet objectif, le taux de chômage passant de 9,4 % à 7,4 %. Si l’on se doit de reconnaître et de saluer le chemin parcouru, la bataille du plein emploi n’est toutefois pas encore gagnée, et nombre d’entreprises font face à d’importantes difficultés de recrutement.

Pour 2024, les crédits demandés pour la mission « Travail et emploi » s’élèvent à 22,6 milliards d’euros, soit une hausse de 8 % par rapport à 2023 et une augmentation, considérable, de 59 % par rapport à 2019, quand ils s’élevaient à 14,2 milliards d’euros.

Au premier abord, on peut s’interroger sur l’augmentation globale des crédits de la mission : il n’est pas intuitif de comprendre que les crédits augmentent autant, alors que le taux de chômage diminue sensiblement.

La mission prévoit en effet une augmentation des effectifs de Pôle emploi. Ces effectifs serviront à mettre en œuvre la transformation de Pôle emploi en France Travail, mais aussi à améliorer l’accompagnement des demandeurs d’emploi, en réduisant notamment le nombre de personnes suivies par conseiller.

On ne peut que soutenir les objectifs d’un meilleur accompagnement des demandeurs d’emploi et d’un service public de l’emploi plus efficace.

De plus, des effectifs supplémentaires seront nécessaires, dans la mesure où l’opérateur accompagnera désormais l’ensemble des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA), contre 40 % actuellement.

Le souci de la maîtrise des dépenses publiques doit toutefois nous appeler à la prudence : la hausse des effectifs de la fonction publique entre 2019 et 2021 était de 1,6 %, quand elle atteignait 9,1 % chez Pôle emploi sur la même période.

Nous comprenons donc l’interrogation de Mme la rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales quant à une augmentation aussi importante des effectifs, un an avant l’entrée en vigueur de l’accompagnement renforcé des demandeurs d’emploi prévu par la loi pour le plein emploi.

L’augmentation des crédits de la mission est aussi essentiellement destinée au soutien de l’apprentissage, qui représente plus de 38 % du total de ses dépenses.

Nous saluons d’ailleurs l’évolution en la matière : depuis 2018, son développement a connu une augmentation spectaculaire, passant de 320 000 contrats à plus de 800 000 en 2022.

Pour 2023, le nombre de contrats conclus devrait même atteindre 875 000. Nous soutenons cette dynamique, qui va évidemment dans le sens d’une meilleure intégration professionnelle des jeunes. Toutefois, nous partageons les réserves d’autres collègues sur deux points.

D’une part, nous nous inquiétons, nous aussi, de la situation structurellement déficitaire de France Compétences. Malgré une augmentation sensible par rapport à l’année dernière, les 2,5 milliards d’euros alloués par l’État pour 2024 ne suffiront pas. Le déficit cumulé de France Compétences atteint aujourd’hui plus de 7 milliards d’euros ; s’y ajoutera celui de 2023.

Monsieur le ministre, comme vous, nous souhaitons que le Gouvernement parvienne au million de contrats d’apprentissage conclus par an avant 2027, mais il est impératif, en parallèle, de stabiliser les comptes de France Compétences.

D’autre part, nous appelons également à un meilleur ciblage des aides aux entreprises embauchant un apprenti. Le ciblage actuel est très large. S’il contribue évidemment au succès du dispositif, il pèse néanmoins sur les finances publiques, alors que certaines entreprises n’auraient pas besoin de cette incitation pour recourir à l’apprentissage.

À cet égard, nous espérons que sera adopté le brillant amendement du rapporteur spécial Emmanuel Capus.

M. Emmanuel Capus, rapporteur spécial. Et de Mme Senée !

Mme Corinne Bourcier. Notre groupe votera les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mme le rapporteur pour avis et Mme Solanges Nadille applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Anne-Sophie Romagny. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Anne-Sophie Romagny. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la hausse de 8 % des crédits de la mission « Travail et Emploi », à hauteur de 22,6 milliards d’euros, serait principalement due au financement de l’apprentissage.

Cette dynamique se poursuit, le nombre de contrats conclus ayant progressé de 159 % entre 2018 et 2022. Pour 2023, ces contrats devraient être au nombre de 875 000. En 2024, ils dépasseraient les 910 000 !

Or, depuis 2020, ces dépenses sont largement supérieures au produit des contributions des employeurs, ce qui explique le déficit de France Compétences de plus de 2 milliards d’euros en 2023. Malgré les mesures de régulation engagées, ce dernier ne se résorbe pas totalement. Il est pourtant indispensable de veiller à l’équilibre des comptes publics.

Si je salue les aides qui soutiennent la dynamique de l’apprentissage – il ne faut pas le fragiliser –, une concertation doit être engagée rapidement avec les partenaires sociaux pour réévaluer et ajuster leur niveau.

Monsieur le ministre, un autre critère doit être apprécié et débattu : il s’agit du taux de rupture des contrats d’apprentissage, que l’Observatoire de l’alternance estime à 20 %, un chiffre considérable et inquiétant.

Ces ruptures concerneraient très majoritairement les faibles niveaux de qualification. Dans plus d’un tiers des cas, elles interviendraient avant la fin de la période d’essai.

Plusieurs phénomènes peuvent expliquer cette croissance.

Le premier est l’absence de parcours d’intégration des apprentis ou de tuteur professionnel qualifié. Parfois recrutés pour permettre des économies à court terme, les apprentis se retrouvent trop souvent livrés à eux-mêmes et peu accompagnés. C’est un piège pour cette main-d’œuvre quasi gratuite et peu armée face aux aléas du monde du travail ! La responsabilisation des entreprises reste donc un facteur clé de la réussite.

La seconde explication tient à la précarité. L’augmentation du coût de la vie, la raréfaction des logements étudiants ou la métropolisation de l’enseignement supérieur ont un impact direct sur les interruptions d’études et ne sont pas sans conséquence sur les taux d’abandon.

Des solutions en lien avec les régions sont à explorer, à commencer par associer ces dernières au choix de la localisation des futurs centres de formation d’apprentis (CFA), afin d’asseoir un maillage territorial et éviter une raréfaction de l’offre de formation dans les territoires sous-denses.

Il faut aussi former et valoriser les tuteurs en entreprise. À titre d’exemple, la région Grand Est rémunère les tuteurs, ce qui est le gage d’un véritable investissement.

Nous pourrions enfin responsabiliser les entreprises, en cessant d’adresser des apprentis à celles qui ont d’importants taux de rupture, et réévaluer le ciblage ainsi que le niveau des aides.

Monsieur le ministre, agir sur ces ruptures de contrat réduira la dépense publique et en assurera un meilleur ciblage.

Enfin, le dernier point qui me tient à cœur, en tant que présidente de la mission locale rurale du Nord-Marnais, est le soutien à l’insertion des jeunes. Réussir l’insertion d’un jeune, c’est garantir son intégration sociale à l’âge adulte. J’ouvre ici une piste de réflexion : la lutte contre la rupture de parcours ne s’effectuerait-elle pas au sein des missions locales ?

Dans leur rôle de prévention, les missions locales, qui accompagnent déjà les personnes ayant des difficultés d’accès au logement, aux soins et à la mobilité, pourraient prendre en charge ces jeunes, dès l’expression de leur volonté de suivre un apprentissage.

On pourrait aussi leur conférer un rôle de médiation entre le jeune et l’entreprise. En effet, lorsqu’un jeune arrive en mission locale, il est déjà trop tard : sa rupture de parcours est consommée. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme le rapporteur pour avis applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Corinne Féret applaudit également.)

Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous aurions pu nous réjouir de la hausse des crédits de la mission « Travail et emploi » si celle-ci n’était pas la traduction budgétaire des politiques antisociales du Gouvernement, qui s’attaque aux demandeurs d’emploi, aux allocations chômage et aux bénéficiaires du RSA, mettant en musique la loi dite du plein emploi.

Cette course vers le plein emploi – un plein emploi contraint, pour les seuls travailleurs, et en partie fictif, en raison d’une politique active de radiation qui invisibilise le halo du chômage – fait la part belle à l’apprentissage, qui capte l’essentiel des hausses de crédits. Les statistiques de la catégorie D sont ainsi gonflées. Les crédits de l’apprentissage sont sanctuarisés, sans qu’une véritable évaluation de la sortie en emploi à l’issue du dispositif soit réalisée. Ce dernier fait l’objet d’une subvention massive pour les moins qualifiés et donne lieu à des effets d’aubaine pour les plus qualifiés.

Parallèlement, le nombre des autres contrats aidés continue de baisser sensiblement.

Quant à la hausse des crédits du service public de l’emploi, force est de constater qu’elle ne remplit pas les promesses de la création de France Travail : à peine 300 ETP prévus, alors que les conseillers Pôle emploi suivent en moyenne 259 allocataires, loin du portefeuille de 60 allocataires recommandé dans le rapport Guilluy.

Comment croire que l’accompagnement des demandeurs d’emploi sera renforcé ou qu’un coup d’arrêt sera mis à l’intensification des conditions de travail des conseillers à la suite de la création de France Travail, alors que la réforme prévoit que tous les allocataires du RSA seront obligatoirement inscrits sur la liste des demandeurs d’emploi ?

Je ne rappellerai pas le contexte : la conjoncture se retourne, le chômage augmente de nouveau et devrait approcher les 8 % l’an prochain, selon l’OFCE ; la réforme des retraites va accroître le chômage des seniors, mouvement que le ministre de l’économie entend combattre par la seule baisse des durées d’indemnisation.

Le Gouvernement table sur une baisse de 35 000 allocataires de l’allocation de solidarité spécifique (ASS), alors même qu’il recule l’âge légal de départ à la retraite, dans un parfait déni du bilan du précédent recul, qui avait conduit non pas à la réduction du sas de précarité, mais simplement à son déplacement, du fait de la dégradation des conditions de travail, qui sont la véritable cause du faible taux d’emploi.

Toutes les mesures d’économies des réformes passées et à venir de l’assurance chômage doivent permettre à l’Unédic de faire des excédents, afin de mettre cet organisme à contribution pour financer des réformes du marché du travail dont l’efficacité en termes de retour à l’emploi reste à prouver au-delà du très court terme.

Quant à l’allongement du temps de travail, il détruit des emplois (M. Laurent Burgoa sexclame.), et c’est cela que finance l’État dans cette mission, par la hausse de 22 % des exonérations au titre de la déduction forfaitaire sur les heures supplémentaires.

Si les conditions de travail constituent un point aveugle pour le Gouvernement, celui-ci sous-estime également les multiples freins à l’emploi que rencontrent un nombre considérable de personnes en situation de précarité. En effet, cette dernière et la pauvreté restent les véritables obstacles à l’emploi.

Ce manque de considération pour la situation sociale des travailleurs vulnérables s’est illustré par l’affaiblissement des dispositifs d’insertion qui permettent de la prendre en compte.

On note tout d’abord que le dispositif expérimental Territoires zéro chômeur de longue durée fait l’objet d’un abondement de crédits insuffisant, alors qu’il est un réel succès : selon le premier bilan effectué par la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), la moitié seulement des personnes qui en ont bénéficié auraient trouvé un emploi si celui-ci n’avait pas existé.

Il manque encore 9 millions d’euros pour assurer son financement, alors que, selon ATD Quart Monde, le coût de la privation durable d’emploi pour les finances publiques est de 43 milliards d’euros. Nous défendrons un amendement pour doter le dispositif des autorisations d’engagement qui lui manquent, afin de sécuriser sa montée en charge, et nous nous réjouissons que cette disposition ait reçu un avis favorable de la part de la commission.

On constate également l’absence de dotation pour le fonds de développement de l’inclusion, alors même qu’il finance les structures essentielles de l’insertion par l’activité économique, ainsi que l’accompagnement social et l’insertion professionnelle des travailleurs précaires.

A contrario, les crédits pour financer les entreprises d’insertion par le travail indépendant, notamment les plateformes de microentrepreneurs, explosent, alors qu’il conviendrait d’évaluer leur bilan en termes d’emplois et d’accompagnement réel, ainsi que leur capacité à donner des droits et à permettre la sortie de la précarité.

Finalement, ces choix mettent au jour le véritable sens de la mission : perpétrer une politique générale de précarisation des travailleurs et des demandeurs d’emploi, tout en ignorant les critiques grâce un énième et opportun recours à l’article 49.3.

Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires ne partage pas votre projet sociétal fondé sur le travail précaire et productiviste, monsieur le ministre.