M. Laurent Duplomb. Dites plutôt que vous n’appréciez pas le travail tout court ! (M. Daniel Salmon proteste.)

Mme Raymonde Poncet Monge. En conséquence, nous voterons contre les crédits de la mission. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Corinne Féret applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’augmentation de 11 % des crédits de la mission « Travail et emploi » en 2024 s’explique principalement par l’augmentation des dépenses en faveur de l’apprentissage, de France Compétences et des dispositifs d’insertion.

La comparaison entre la France et l’Allemagne sert de justification aux nombreux ballons d’essai lâchés depuis une dizaine de jours par Bruno Le Maire, nouveau ministre du travail… Leur point commun, c’est le moins-disant social.

Après avoir réduit l’indemnisation du chômage, procédé à la réforme des lycées professionnels et du RSA et créé France Travail sur les fonds de l’Unédic, le Gouvernement estime désormais que la hausse du taux de chômage justifie de nouveaux reculs sociaux dans les prochains mois.

La suppression des ruptures conventionnelles, le resserrement des délais de recours contre les licenciements, la réduction de la durée d’indemnisation chômage des seniors et le développement du temps partiel pour ces derniers seraient autant de réflexions du ministre Le Maire.

La lutte pour l’emploi passe par une politique d’investissement et de recrutement dans la fonction publique, plutôt que par une austérité imposée aux collectivités.

Elle passe par une réduction du temps de travail, plutôt que par le soutien aux heures supplémentaires au détriment des comptes de la sécurité sociale.

Elle passe enfin par une réduction de l’âge légal de la retraite, plutôt que par un report de celui-ci de deux ans et par l’augmentation du nombre de trimestres de cotisation exigés.

Selon l’OFCE, votre réforme des retraites a pour effet de maintenir 170 000 actifs supplémentaires sur le marché du travail durant les deux premières années suivant l’entrée en vigueur de la loi.

Les crédits du programme « Accès et retour à l’emploi » sont en diminution de 6 % au motif que le niveau du chômage a baissé, alors que votre réforme de l’assurance chômage augmentera le nombre de chômeurs en fin de droits dans les mois à venir.

En réduisant la subvention de l’État à Pôle emploi de 200 millions d’euros en 2023 et de 80 millions d’euros en 2024, vous organisez le transfert du financement de France Travail à l’Unédic.

Le Gouvernement entend également diminuer le plafond d’emplois de France Travail. Comment justifier cette nouvelle baisse, alors que vous avez accepté de conditionner le bénéfice du RSA à l’accomplissement de quinze heures d’activité hebdomadaires ? Qui encadrera les bénéficiaires du RSA ? Les boîtes privées, qui se gaveront de fonds publics ? (M. Laurent Burgoa sexclame.)

Les crédits de l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée progressent cette année de plus de 50 % pour atteindre le montant de 69 millions d’euros. Cette hausse s’explique par l’augmentation du nombre de territoires participant à l’expérimentation. En réalité, la contribution au développement de l’emploi versée par l’État passe de 102 % à 95 % du Smic.

Vous l’avez rappelé devant nos collègues députés, monsieur le ministre : le plancher d’intervention de l’État est à 53 % du Smic. Mais vous n’avez rien dit du plafond !

Pour notre part, nous rejoignons celles et ceux qui proposent de financer à hauteur de 89 millions d’euros l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée.

En ce qui concerne la formation professionnelle et le compte personnel de formation (CPF), le Gouvernement n’a jamais eu le courage d’assumer la mise en place d’un reste à charge sur les droits à la formation des salariés, et, pour une fois, nous le félicitons.

Nous sommes fermement opposés à l’instauration d’un forfait même d’une dizaine d’euros, car nous réfutons l’argument de la responsabilisation des travailleurs, qui sont libres de l’utilisation de leurs crédits de formation.

En ce qui concerne le développement de l’apprentissage, nous sommes choqués de voir que les entreprises vont bénéficier encore davantage d’exonérations de cotisations sociales.

Le financement de l’apprentissage ne peut reposer exclusivement sur des aides publiques : un engagement de la part des entreprises est nécessaire. Alors que celles-ci profitent déjà d’une aide de 6 000 euros par apprenti, elles bénéficieront, en plus, de 1,7 milliard d’euros d’exonérations de cotisations sociales. Au total, le budget prévoit ainsi 5,5 milliards d’euros pour l’apprentissage.

J’en viens à l’inspection du travail : nous regrettons encore une fois l’augmentation de seulement 2 % des crédits de fonctionnement des services déconcentrés. Si l’effort ne s’accentue pas, il y a peu de chance que ses difficultés se résorbent. Nous avons pourtant besoin d’une inspection du travail forte, pour faire respecter le travail, ainsi que celles et ceux qui travaillent.

Selon le rapport de notre collègue député Pierre Dharréville, entre la fin 2017 et le mois de mars 2022, les agents chargés du contrôle des entreprises ont vu leur nombre baisser de 250 ETP.

Sur le terrain, cela se traduit par un taux de vacance des postes en moyenne de 15 %. Cette situation empêche l’inspection du travail de remplir ses missions en certains endroits du territoire, ce qui crée des ruptures d’égalité.

En conclusion, le Gouvernement prévoit toujours plus de cadeaux pour les patrons et toujours moins de protection pour les travailleurs.

Pour l’ensemble de ces raisons, les sénatrices et les sénateurs du groupe CRCE-K voteront contre les crédits de la mission « Travail et emploi » pour 2024. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Guylène Pantel.

Mme Guylène Pantel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme cela a été souligné à de nombreuses reprises au cours de l’examen de ce projet de loi de finances pour 2024, nos échanges s’inscrivent dans un contexte atypique.

Les impacts des guerres et les conséquences des crises économiques ont un retentissement certain sur la conjoncture aux niveaux régional, national, européen et international.

Nous en avons toutes et tous conscience dans cet hémicycle, et nous le mesurons au contact des artisans, des commerçants, des chefs d’entreprise, des associations et des services publics de nos territoires respectifs : l’augmentation des prix de l’énergie et les problèmes d’approvisionnement handicapent la production ; les intentions d’investissement sont revues à la baisse, par crainte d’une aggravation des événements.

La situation du marché du travail ne doit pas être décorrélée de ce contexte. En effet, de nombreux risques pèsent toujours sur la conjoncture économique, même si le marché du travail affiche des conditions relativement favorables, en dépit de tensions de recrutement persistantes et perturbantes.

Les crédits de la mission « Travail et emploi » évoluent inévitablement en fonction de ces phénomènes, ce qui doit au préalable être salué.

Dans le détail, les crédits de la mission s’élèvent à 22,6 milliards d’euros. Ils enregistrent donc une forte augmentation de 2,6 milliards d’euros en autorisations d’engagement (AE) et de 1,7 milliard d’euros en crédits de paiement (CP).

Les ambitions affichées pour l’exercice 2024 sont ainsi d’accentuer les efforts de remobilisation et d’accompagnement des publics les plus éloignés du marché du travail, par le biais notamment du contrat d’engagement jeune (CEJ) et de l’insertion par l’activité économique (IAE). Le Gouvernement évoque ainsi les politiques publiques pour l’emploi des personnes en situation de handicap, en lien avec les mesures sur l’emploi annoncées lors de la Conférence nationale du handicap.

Examinons maintenant dans le détail les articles rattachés à cette mission « Travail et emploi ».

L’article 68 prolonge de trois ans l’expérimentation, prévue par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel de 2018, de l’extension de l’insertion par l’activité économique au travail indépendant par le biais des entreprises d’insertion par le travail indépendant.

L’article 69 prolonge de deux ans l’expérimentation des contrats dits passerelles, prévue dans la loi du 14 décembre 2020 relative au renforcement de l’inclusion dans l’emploi par l’activité économique.

Ces orientations nous paraissent aller dans le bon sens. Toutefois, notre groupe a déposé plusieurs amendements, afin de faire preuve de plus d’ambition, notamment sur les questions d’insertion professionnelle.

Je pense notamment aux amendements de mes collègues Nathalie Delattre et Philippe Grosvalet visant à renforcer le soutien de l’État à l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée.

Ce dispositif, qui concerne aujourd’hui 58 territoires, dans 38 départements et 14 régions, a donné des résultats positifs ces dernières années. Il doit être renforcé, pour permettre à de nouveaux territoires de le déployer sereinement.

Aussi, nous soulignons la nécessité de renforcer le fonds de développement de l’inclusion (FDI), destiné à soutenir et développer les structures de l’insertion par l’activité économique (SIAE).

Aucune dotation n’est prévue au titre du FDI pour 2024. Ce fonds est pourtant indispensable pour soutenir les SIAE, en période de croissance comme en période de consolidation. Dans le cadre de mes fonctions de conseillère départementale de la Lozère, je constate que ces dernières structures ont particulièrement besoin de ce soutien dans le contexte inflationniste actuel. L’un de nos amendements vise donc à maintenir les crédits de 2023, soit 30 millions d’euros.

Nous souhaitons également profiter de cette discussion pour alerter sur la faiblesse de l’accompagnement des employeurs publics et privés dans l’embauche de personnes en situation de handicap. Force est de reconnaître que les objectifs d’inclusion et d’égalité des droits portés par la loi de 2005 sont encore loin d’être atteints.

Vous l’aurez compris, comme je l’ai déjà indiqué lors de l’examen du projet de loi pour le plein emploi, notre groupe ne vous donne pas totalement quitus, monsieur le ministre, sur ces politiques publiques. À nos yeux, l’expertise locale de proximité doit rester au cœur des politiques de l’emploi : les régions, des départements et des communes jouent un rôle pivot.

Par conséquent, parce que le travail conditionne l’émancipation des individus et la cohésion sociale, mais aussi la dynamique de l’économie française, la responsabilité des pouvoirs publics dans ce domaine est essentielle.

Le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen en a pleinement conscience. Il porte un regard favorable sur les crédits de cette mission, qu’il votera tout en restant vigilant quant aux divers points que j’ai évoqués. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et INDEP.)

M. le président. La parole est à Mme Solanges Nadille. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Solanges Nadille. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui les crédits de la mission « Travail et emploi », véritable priorité du Président de la République et de son gouvernement.

Depuis 2017, la ligne est claire : il s’agit de tout faire pour inverser la courbe du chômage, placer la France dans la dynamique du plein emploi et contribuer à l’inclusion de chacun dans la société par le travail.

Force est de constater que les efforts consentis depuis de nombreuses années portent leurs fruits.

Ainsi, au second semestre 2023, le taux de chômage était à l’un de ses plus bas niveaux depuis près de quarante ans : 7,2 %. Le taux d’emploi atteint aujourd’hui 68,6 % chez les 16-64 ans et le taux de chômage des personnes en situation de handicap baisse de manière significative, pour atteindre 12 % en 2022, soit une baisse de trois points en un an.

Si nous devons nous féliciter collectivement de tels résultats, nous ne devons pas nous reposer sur nos lauriers. La marche est encore longue jusqu’au plein emploi et, bien souvent, les derniers kilomètres sont les plus difficiles à effectuer.

Afin de poursuivre cette dynamique remarquable, le Gouvernement se donne les moyens de ses ambitions.

Les crédits de cette mission sont en nette hausse : il s’agit de mettre en place France Travail, de déployer différentes mesures en matière d’emploi, de formation des jeunes, tout en continuant à améliorer les conditions de travail et de la santé dans le monde professionnel. Les crédits alloués augmentent de 2,6 milliards d’euros en autorisation d’engagement et de plus de 1,7 milliard d’euros en crédits de paiement, pour atteindre un budget total de 22,6 milliards d’euros.

Quatre chantiers sont à mettre en avant.

Premièrement, le soutien à l’insertion professionnelle, par la mise en place de France Travail et le recrutement de 300 ETP supplémentaires pour accompagner au mieux les demandeurs d’emploi.

Deuxièmement, la montée en puissance des crédits alloués à l’insertion des jeunes dans l’emploi, notamment dans le cadre des contrats d’apprentissage et d’alternance.

Troisièmement, la poursuite du plan d’investissement dans les compétences, afin d’accompagner les entreprises et les demandeurs d’emploi vers les secteurs d’avenir de l’économie française. Pour enclencher une dynamique positive sur l’ensemble du territoire, cette politique se doit d’être territorialisée en fonction des besoins spécifiques de chaque région. C’est en ce sens que le groupe RDPI a déposé un amendement visant à mieux prendre en compte les spécificités ultramarines dans le cadre de cette stratégie.

Quatrièmement, et enfin, si la création d’emplois est une priorité, encore faut-il créer un cadre à la fois protecteur et valorisant. Une place importante est donc laissée au dialogue social, pour garantir aux salariés des conditions de rémunération et de travail de qualité. De plus, le Gouvernement continue de déployer les actions prévues dans la loi du 2 août 2021 relative à la prévention en santé au travail.

Vous l’avez compris, mes chers collègues, sans mauvais jeu de mots, le travail porte ses fruits, et il ne faut pas relâcher nos efforts.

C’est pour cela que nous ne soutenons pas la proposition de la commission des finances de restreindre le ciblage des bénéficiaires des aides à l’apprentissage. Si nous comprenons l’objectif, monsieur le rapporteur, il nous paraît prématuré de resserrer les cordons de la bourse, à l’heure où l’apprentissage doit continuer à s’ancrer dans les mœurs et dans les cultures.

Il convient au contraire de continuer de soutenir les employeurs de manière pleine et entière. Une fois qu’une nouvelle culture aura vu le jour en la matière, il faudra évaluer le dispositif et peut-être modifier le ciblage. Mais le temps n’est pas encore venu pour cela.

Enfin, nous notons que le Gouvernement s’est d’ores et déjà engagé, lors de l’examen à l’Assemblée nationale, à allouer 11 millions d’euros supplémentaires à l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée. Nous nous félicitons de cette enveloppe, qui nous semble suffisante, surtout à l’heure où cette politique doit faire l’objet d’une évaluation.

Vous l’avez compris, nous voterons les crédits de cette mission et encourageons le Gouvernement à poursuivre ses efforts pour atteindre le plein emploi d’ici à la fin du quinquennat. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Corinne Féret. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Corinne Féret. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner le budget de la mission « Travail et emploi », dont les crédits pour 2024 s’élèvent à 22,6 milliards d’euros. Ils sont en hausse, certes, mais cela ne suffit pas à masquer le recul de l’accompagnement des plus précaires.

Centré sur ce que vous appelez le plein emploi, vous ne voyez pas, monsieur le ministre, la réalité du « mal emploi » en France, c’est-à-dire l’explosion des contrats courts et la stagnation des salaires.

Pour justifier la réduction de 350 millions d’euros des crédits alloués aux politiques de l’emploi, vous invoquez la baisse du taux de chômage… Or celui-ci repart à la hausse, malheureusement, la Dares ayant annoncé une augmentation du nombre de demandeurs d’emploi de catégorie A, donc n’ayant aucune activité, de 0,6 % au troisième trimestre de 2023.

Cela mériterait que vous admettiez que vous êtes dans l’erreur, tant sur la méthode que sur le fond. Écoutez davantage les partenaires sociaux et l’opposition parlementaire !

Sur la forme, comme chaque année désormais, les débats budgétaires ont été réduits comme une peau de chagrin à l’Assemblée nationale. Les recours au 49.3 soulignent votre incapacité à coconstruire les politiques publiques de l’emploi et de la formation, comme le reste…

Pis encore, vous méprisez le dialogue social. Une nouvelle illustration nous en a été donnée ces derniers jours : alors que les organisations représentatives des salariés et des employeurs ont signé une nouvelle convention d’assurance chômage, le Gouvernement a fait savoir qu’il n’agréerait pas cette dernière, sous prétexte qu’elle ne traite pas des conséquences de sa réforme des retraites. Et le ministre de l’économie, M. Le Maire, d’en rajouter en réclamant que les demandeurs d’emploi de plus de 55 ans perdent le bénéfice de leur durée d’indemnisation rallongée !

Il n’est pas question de toucher à l’indemnisation des seniors tant que l’on n’a pas d’engagement de la part des employeurs : voilà ce que l’on aurait aimé vous entendre dire !

L’idée selon laquelle une baisse des droits des demandeurs d’emploi améliorerait leur entrée sur le marché du travail est un leurre. Le chômage n’est pas un choix ! Les difficultés de recrutement actuelles viennent d’un déficit de compétences pour répondre aux besoins des entreprises, mais aussi des conditions de travail proposées.

On a appris également, ces derniers jours, que le Gouvernement réfléchissait à limiter le recours aux ruptures conventionnelles. C’est oublier que ces dernières permettent aux salariés en souffrance de quitter un emploi la tête haute, sans avoir à attendre un licenciement pour inaptitude et en évitant une démission qui ne permet pas de bénéficier de l’accompagnement de Pôle emploi.

Au lieu de traiter le mal, en l’espèce la souffrance au travail, le Gouvernement semble vouloir contraindre les salariés à démissionner. Et comme si cela ne suffisait pas, il envisage de réduire le délai de prescription pour contester un licenciement, afin de le ramener de douze à deux mois, ce qui anéantirait le droit pour le salarié d’agir en justice. Que de belles avancées sociales !

Sur la forme, donc, rien ne va. Et sur le fond, ce n’est pas beaucoup mieux ! Cela appelle de notre part la plus grande vigilance.

C’est le cas sur un dispositif phare, porté par le programme 102 de la mission : l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée, qui vise à favoriser le recrutement de chômeurs de longue durée par des entreprises à but d’emploi (EBE), partiellement financées par l’État et les départements.

À l’origine, en 2016, l’expérimentation concernait dix territoires, dont celui de Colombelles, que je connais particulièrement bien, puisqu’il est situé dans mon département, le Calvados.

Malgré la progression des moyens alloués, nous avons été alertés sur le fait que cette dernière n’était pas suffisante. Aussi, afin que l’expérimentation puisse se poursuivre, nous proposerons par voie d’amendement de prolonger l’effort, en dotant le dispositif de 9 millions d’euros supplémentaires, pour atteindre le montant total de 89 millions d’euros.

De même, notre inquiétude est vive concernant France Travail. Derrière la promesse d’un service public de l’emploi renouvelé, accompagnant les usagers au plus près de leurs besoins, se cache en réalité la volonté de piloter le marché du travail pour faire coïncider, à marche forcée, l’offre et la demande, quels qu’ils soient.

Cet été encore, lors de l’examen du projet de loi sur le plein emploi, nous vous interrogions, monsieur le ministre, sur les moyens qui seraient débloqués pour déployer la mise en place de l’accompagnement intensif des demandeurs d’emploi dont vous nous parlez tant. Vos réponses étaient pour le moins évasives…

On comprend mieux pourquoi aujourd’hui : seuls 300 ETP supplémentaires pour Pôle emploi sont actés pour 2024, alors que l’organisme compte 53 000 postes, tandis que France Travail devrait être financée par le biais d’une ponction de l’Unédic. Ce n’est pas admissible !

La nouvelle structure aura effectivement besoin de moyens supplémentaires pour assurer l’accompagnement de près de 2 millions d’allocataires du RSA dont elle aura la charge, en plus des chômeurs.

Cependant, prélever une partie des recettes de l’Unédic, qui est déjà lourdement endettée, obligera cette dernière à emprunter à court terme sur les marchés pour honorer ses échéances de remboursement, ce qui lui coûtera 800 millions d’euros sur quatre ans. Avec cette trajectoire financière objectivement contestable, c’est tout l’équilibre économique du régime que vous allez fragiliser à terme.

Votre réforme, à laquelle le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER) s’est fermement opposé et qui prévoit notamment l’inscription systématique des allocataires du RSA à France Travail, ainsi que leur accompagnement obligatoire par le biais du « contrat d’engagements réciproques », nécessite d’importants moyens.

Au printemps, dans son rapport présentant les contours du futur opérateur, Thibaut Guilluy, haut-commissaire à l’emploi, estimait que sa mise en œuvre impliquait de mobiliser entre 2,3 et 2,7 milliards d’euros sur la période 2024-2026. Immédiatement, les départements s’étaient mobilisés, soulignant que le projet exigeait des financements sans commune mesure, notamment pour la phase pilote. On a beau chercher, on ne retrouve toujours pas de financements à la hauteur dans cette mission « Travail et emploi » pour 2024.

L’occasion vous est donnée aujourd’hui, monsieur le ministre, de nous dire clairement comment vous souhaitez financer la transformation structurelle de Pôle emploi en France Travail, pour assurer l’ensemble des nouvelles missions qui lui seront dévolues, mais aussi la mise en place du réseau et la formation des agents.

Comme si cela ne suffisait pas, vous poursuivez votre offensive contre les contrats aidés. Dès cet été, le Gouvernement annonçait la suppression de 15 000 d’entre eux en 2024. Comme il semble loin l’objectif, annoncé il y a deux ans, de financer 100 000 nouvelles entrées en parcours emploi compétences (PEC) et 45 000 en contrats initiative emploi (CIE) pour les jeunes !

Comme l’an dernier, les objectifs sont une nouvelle fois revus à la baisse. Une telle politique aura de graves conséquences, non seulement sur l’activité et les finances d’un certain nombre d’entreprises de l’économie sociale et solidaire, qui interviennent auprès de publics fragiles, mais aussi, bien sûr, sur l’employabilité et l’insertion des personnes les plus éloignées de l’emploi.

En somme, les masques tombent et le manque de moyens dévoile au grand jour la réalité des intentions de ce gouvernement : toujours plus de contraintes et de pression, toujours moins d’accompagnement et de solidarité !

S’agissant de France Compétences, je rappelle que la commission des affaires sociales du Sénat a adopté, l’an dernier, un rapport très complet, intitulé France compétences face à une crise de croissance, dont j’étais corapporteur, avec Frédérique Puissat, notamment. Nous avons formulé quarante propositions pour mieux réguler tant le compte personnel de formation (CPF) que l’apprentissage.

Personne ne peut ignorer que, dès 2020, France Compétences s’est trouvée dans une situation financière très déséquilibrée, qui a entraîné un important déficit. Ce déséquilibre a des causes structurelles, dont les conséquences auraient dû être mieux anticipées.

Le PLF pour 2024 prévoit d’allouer 2,5 milliards d’euros à l’établissement. Avec cette enveloppe, France Compétences estime que l’exercice pourrait se solder par un déficit de moins de 1 milliard d’euros, alors que, dans le même temps, on déplore une nouvelle baisse des niveaux de prise en charge des contrats d’apprentissage – les coûts-contrats –, ce qui ne sera pas sans conséquence dans nos territoires, au risque de mettre en péril certaines formations, voire l’existence de centres de formation d’apprentis.

J’entends le Gouvernement, comme la droite parlementaire, nous expliquer qu’il faudrait faire des économies… Nous leur répondons qu’un budget, ce sont des dépenses, mais aussi des recettes, et que les choix opérés aujourd’hui sont avant tout politiques.

Depuis l’ouverture des débats sur le PLF 2024, le groupe socialiste a formulé de nombreuses propositions en matière de recettes, que le Gouvernement ne veut pas entendre. Finalement, qui sera touché ? Toujours les mêmes : les plus fragiles, ceux qui subissent les contrats précaires et les périodes d’inactivité.

Une part importante des crédits de la mission se résume à des compensations d’exonérations de cotisations sociales. Nous pensons que leur impact mériterait d’être mieux évalué, d’autant plus que ces politiques s’inscrivent dans la durée. Tout cela, en effet, coûte finalement très cher, soit à la sécurité sociale, soit au budget de l’État… Ce désarmement fiscal n’est pas sans conséquence.

Dans la mesure où ce PLF acte une fragilisation du service public de l’emploi, les sénateurs du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain prendront leurs responsabilités en ne votant pas les crédits de la mission « Travail et emploi » pour 2024.

Nous réaffirmons, avec force, que nous sommes opposés à vos réformes, celle de l’assurance chômage comme celle des retraites, car elles concourent à créer plus de précarité et à stigmatiser tantôt les demandeurs d’emploi, tantôt les allocataires du RSA, tantôt la jeunesse, et maintenant les plus de 55 ans. (M. le ministre du travail proteste.) Ce n’est pas la société que nous voulons ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes CRCE-K et GEST.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Mouiller. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les moyens alloués aux politiques de l’emploi et de la formation professionnelle progressent cette année encore, pour atteindre 22,6 milliards d’euros. En cinq ans, les crédits de la mission « Travail et emploi » ont ainsi crû de près de 60 %.

Si nous partageons l’objectif du Gouvernement de tendre vers le plein emploi, nous devons veiller à ce que les dépenses publiques soient efficientes.

Nous avons adopté le projet de loi pour le plein emploi qui permettra, à partir de 2025, de mettre en œuvre un contrat d’engagement pour toutes les personnes privées d’emploi, dont les bénéficiaires du RSA, qui prévoit au moins quinze heures d’activité hebdomadaires.

Le soutien budgétaire aux collectivités locales qui expérimentent déjà ces modalités d’accompagnement renforcé me semble bienvenu : à cet effet, le budget de la mission prévoit 170 millions d’euros de crédits pour l’an prochain.

Pour accompagner les demandeurs d’emploi, l’État, les collectivités et les opérateurs de l’emploi mutualiseront leurs moyens au sein du nouveau réseau pour l’emploi.

Dans cette perspective, nous considérons que les moyens dévolus à Pôle emploi devront être évalués à l’occasion de sa transformation en France Travail. Mme la rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales, Frédérique Puissat, souligne à juste titre que la progression de 10 % en cinq ans des effectifs de Pôle emploi mérite d’être analysée dans le cadre de la mise en œuvre de la réforme.

L’insertion dans l’emploi passe par de nombreux dispositifs qui seront reconduits l’an prochain à un niveau proche de celui de l’an dernier : le contrat d’engagement jeune (CEJ), les dispositifs d’insertion par l’activité économique, les entreprises adaptées, ou encore l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée, dont le budget permettra cette année de répondre aux besoins. Ce sont autant de dispositifs qui, sur le terrain, contribuent à l’accompagnement des personnes en difficulté d’insertion.

Je pense aussi aux missions locales : aux côtés des collectivités, le soutien de l’État, à hauteur de 630 millions d’euros, est reconduit l’an prochain. Là encore, l’année 2024 devra être celle de l’expertise des besoins des missions locales, afin qu’elles puissent assurer l’accompagnement de nombreux jeunes dans le cadre du réseau pour l’emploi.

Concernant la formation professionnelle et l’apprentissage, nous pouvons nous réjouir de la progression continue du nombre d’apprentis.

En revanche, la situation financière de France Compétences est toujours préoccupante. Après plusieurs emprunts bancaires et malgré les 8,6 milliards d’euros de crédits budgétaires versés depuis 2021, l’établissement devrait se voir attribuer 2,5 milliards d’euros l’an prochain, sans que cette dotation lui permette d’équilibrer, cette année encore, son budget.

Nous saluons les démarches engagées depuis 2022 pour réguler les coûts de l’apprentissage : celles-ci permettent de réaliser près de 800 millions d’euros d’économies en année pleine.

L’effort doit désormais porter sur le CPF. Nous demandons au Gouvernement qu’il applique les mesures de régulation des dépenses de CPF que nous avons votées l’an dernier. Monsieur le ministre, cette disposition n’est pas nouvelle : il est temps de faire le nécessaire.

Nous considérons dès lors que le soutien budgétaire à France Compétences doit être sanctuarisé et que sa contribution au plan d’investissement dans les compétences (PIC) doit diminuer. Alors que, l’an prochain, nous atteindrons sans doute les 900 000 contrats d’apprentissage, il convient de stabiliser le financement de France Compétences.

Je dirai enfin un mot sur le PIC : celui-ci a permis de financer la formation des demandeurs d’emploi grâce au déploiement de 13 milliards d’euros de crédits depuis 2019.

Si ce plan a donné davantage de visibilité aux acteurs de l’insertion et de la formation, en particulier les régions, le pilotage est à parfaire et les résultats obtenus peuvent être améliorés.

Le nouveau cycle de financement de la formation des demandeurs d’emploi, qui s’ouvre à compter de 2024, devra reposer sur des objectifs clairs et mesurables, établis sur le fondement des orientations arrêtées de manière concertée par les acteurs du nouveau réseau pour l’emploi, en particulier les collectivités locales – nous serons très vigilants sur ce point.

C’est pourquoi nous partageons les orientations de nos rapporteurs. Compte tenu des résultats observés et de la sous-exécution des moyens alloués au PIC, les crédits pour la formation des demandeurs d’emploi doivent diminuer en 2024.

Pour autant, nous voterons les crédits de la mission « Travail et emploi », sous réserve de l’adoption des amendements du rapporteur spécial de la commission des finances et de la rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales, qui tendent à réduire les crédits destinés à financer la formation des demandeurs d’emploi.

Dans cette période de bouleversements et de changements profonds, nous disposons, certes, des moyens d’atteindre un objectif commun, mais nous souhaitons être présents dans le débat et, surtout, bénéficier des évaluations indispensables à l’amélioration du pilotage de la mission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC. – Mme le rapporteur pour avis applaudit également.)