Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Myriam El Khomri, ministre. Madame la sénatrice, vous posez une très bonne question.

Le système actuel n’est pas équitable pour les établissements où les salariés sont moins bien rémunérés. Il faut donc un accès plus juste aux œuvres sociales et culturelles pour améliorer le pouvoir d’achat des salariés. Vous pointez à juste titre la difficulté issue de la répartition entre les différents établissements en fonction de la masse salariale qui a été imposée par la jurisprudence. Il faudrait laisser beaucoup plus de souplesse aux partenaires sociaux pour décider, dans le cadre des accords conclus dans l’entreprise. Tel est l’enjeu de cet amendement.

Néanmoins, la solution proposée ouvre des possibilités d’affectation qu’il semble nécessaire de bien encadrer. Or vous ne posez aucun critère limitatif : « La répartition peut être opérée notamment au prorata des effectifs de chacun des établissements. » Dans cette rédaction, l’adverbe « notamment » pose problème. Nous gagnerions donc à y retravailler.

Cela étant, je comprends l’intérêt à adopter cet amendement dès la première lecture. C’est pourquoi le Gouvernement s'en remet à la sagesse de la Haute Assemblée sur ce problème important.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Très bonne sagesse !

Mme la présidente. La parole est à Mme Evelyne Yonnet, pour explication de vote.

Mme Evelyne Yonnet. Bien sûr, personne ne peut être contre le fait que tout le monde puisse bénéficier d’œuvres sociales et qu’une entreprise qui a une grosse masse salariale partage son budget avec les autres petites entreprises. Pour ce faire, on peut très bien créer un comité interentreprises, démarche qui paraît plus équitable, et s’appuyer sur la volonté des représentants syndicaux pour rassembler la masse salariale et faire profiter tous les salariés des œuvres sociales.

D’un point de vue juridique, j’ignore si on peut tenir compte seulement des effectifs ; la commission et le Gouvernement ont rappelé la jurisprudence à ce sujet. Il faut donc voir si une telle répartition est possible. Je le répète, dans le droit fil des discussions que nous avons eues hier soir, pourquoi ne pas réfléchir à des accords interentreprises pour partager les subventions et rendre les œuvres sociales accessibles à tous les salariés ?

Je souhaite apporter une précision sur l'article 18 bis. Il faut bien distinguer le budget de fonctionnement et le budget dédié aux activités sociales et culturelles, lequel profite à tout le monde. Cela n’a pas été mentionné, mais il faut préciser que les comités d’entreprise sont gérés par des salariés. À ce titre, ils sont inclus dans le budget de fonctionnement, et non dans le budget dédié aux activités sociales et culturelles. Par conséquent, réunir les deux soulève certaines difficultés.

En outre, le budget dédié aux activités sociales et culturelles est destiné aux salariés, alors que, comme son nom l’indique, le budget de fonctionnement sert au fonctionnement du comité d’entreprise. Cela inclut la formation professionnelle des salariés qui en font partie, les différentes cotisations, apprentissage, etc. Un CE, c’est comme une entreprise.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.

Mme Nicole Bricq. Je n’ai pas de désaccord de fond sur cet amendement. Il s’agit de compléter le code du travail, qui précise qu’une telle opération passe par un accord d’entreprise.

En revanche, je crains que cette disposition ne soit pas très opérationnelle. On modifie la répartition de subventions entre établissements aux fins d’équité, mais on substitue au critère de la masse salariale un critère d’effectifs.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. On peut aussi prévoir un mix !

Mme Nicole Bricq. Selon moi, cela va créer des problèmes entre les élus des différents CE.

C’est l’aspect pratique qui m’effraie. Il faudrait peut-être prévoir une décision unanime, car j’imagine mal les élus de l’instance représentative d’un établissement accepter le partage et je doute que l’on parvienne au résultat espéré.

Comme on dit trivialement, cela ne mange pas de pain de faire figurer cette disposition dans la loi, mais, si cela doit rester sans effet, cela n’a pas grand sens. On peut essayer. Je ne vois pas spontanément comment on peut dire : « On prend moins et vous avez plus ».

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Myriam El Khomri, ministre. Permettez-moi d’apporter un éclairage particulier à la Haute Assemblée. Certains accords d’entreprise prévoient déjà une répartition en fonction du nombre de salariés.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Exactement !

Mme Nicole Bricq. Ah, d’accord !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Ils ont été invalidés et, au regard de la jurisprudence, il faut s’appuyer sur la masse salariale.

Mme Nicole Bricq. On sait tout !

Mme Myriam El Khomri, ministre. C’est légitime et cela se comprend, puisque les cotisations varient selon le montant du salaire. On peut imaginer que, dans certaines entreprises, on s’interroge sur l’accès équitable aux œuvres sociales et culturelles.

Cet amendement vise à tenir compte du critère des effectifs.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 215 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 18 bis.

Demande de réserve

Article additionnel après l'article 18 bis
Dossier législatif : projet de loi relatif au travail, à la modernisation du dialogue social  et à la sécurisation des parcours professionnels
Article 20 (Texte non modifié par la commission) (début)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Myriam El Khomri, ministre. Madame la présidente, en application de l’article 44, alinéa 6, du règlement du Sénat, le Gouvernement demande la réserve de la discussion de l’article 19, des amendements qui y sont rattachés et des amendements portant article additionnel après l’article 19. En effet, le Gouvernement a besoin de procéder à une vérification technique sur l’amendement n° 1043.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur cette demande de réserve ?

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. La commission y est extrêmement favorable.

M. Didier Guillaume. Extrêmement ! (Sourires.)

Mme la présidente. La réserve est ordonnée.

Demande de réserve
Dossier législatif : projet de loi relatif au travail, à la modernisation du dialogue social  et à la sécurisation des parcours professionnels
Article 20 (Texte non modifié par la commission) (interruption de la discussion)

Article 20

(Non modifié)

Au 1° de l’article L. 2135-12 du code du travail, après le mot : « branche », sont insérés les mots : « ou, dans le secteur de la production cinématographique, de l’audiovisuel et du spectacle, les organisations professionnelles d’employeurs représentatives de l’ensemble des professions de ce secteur dont les statuts prévoient qu’elles ont vocation à percevoir ces crédits ».

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David, sur l'article.

Mme Annie David. Madame la ministre, je souhaite profiter de cet article sur le dialogue social dans le domaine de la production cinématographique, de l’audiovisuel et du spectacle pour vous alerter sur les intermittents du spectacle.

Comme vous l’annonciez la semaine dernière, le Gouvernement s’apprête à compenser le manque à gagner pour l’assurance chômage à la suite de l’accord signé au mois d’avril entre les intermittents du spectacle et les organisations patronales. Nous sommes d’accord sur une chose : il faut que cet accord soit appliqué. Il prend en compte bon nombre des revendications des intermittents : date anniversaire, 507 heures sur douze mois, prise en compte des congés maternité et des heures d’enseignement artistique, droits de celles et ceux qui arrivent à la retraite.

Là où nous avons un désaccord profond, c’est qu’il semble que vous ayez au final cédé à la pression patronale. Le régime de sécurité sociale s’appuie sur un principe simple : la solidarité entre employeurs et employés, et entre générations.

Pression, disais-je, car regardons les choses en face : qui a imposé une lettre de cadrage scandaleuse faisant porter sur les épaules des intermittents toute la responsabilité du déficit de l’UNEDIC ? Qui a mis dans la balance les négociations avec le projet de loi que nous examinons ?

Aujourd’hui, alors même que la précarité n’a jamais autant touché les intermittents et que les employeurs n’ont jamais autant bénéficié de baisses de cotisations, votre décision de combler les manques patronaux crée un précédent gravissime.

Comme le signale un collectif de personnalités du spectacle, regroupant notamment Mathieu Amalric, Agnès Jaoui ou Denis Podalydès, la prise en charge de l’assurance chômage par l’État risque de tuer l’intermittence, en la rendant dépendante de budgets fluctuant au gré des majorités politiques.

De fait, les intermittents sont un fabuleux exemple du modèle de flexisécurité que vous entendez imposer aux autres salariés.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Myriam El Khomri, ministre. Je rappelle que le Gouvernement a décidé, avec les annexes 8 et 10, que les professionnels du spectacle pouvaient se mettre d’accord sur des règles spécifiques relatives à l’assurance chômage.

Je rappelle également que, à la suite de l’échec des négociations sur l’assurance chômage, notamment celles du régime général, ma première priorité a été que les demandeurs d’emploi ne souffrent d’absolument aucun report d’indemnisation. Au contraire, j’ai pris des mesures pour que l’ensemble des dispositions puissent être mises en œuvre le plus rapidement possible.

Dès la semaine dernière, je me suis engagée auprès des professionnels à propos du résultat du dialogue social entre les organisations professionnelles du spectacle et les syndicalistes. L’accord conclu a été entériné et sera applicable mi-juillet. Il n’y a pas d’autre discussion à avoir sur ce sujet.

Aujourd’hui, par le dialogue social, les professionnels ont trouvé des voies d’aménagement. C’est dans ce cadre que cet accord sera mis en œuvre. Le Gouvernement montre une nouvelle fois son soutien à tous les professionnels du secteur, non par des paroles, mais par des actes. Nous prendrons les mesures nécessaires, comme je l’ai précisé la semaine dernière.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 20.

(L'article 20 est adopté.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures vingt, est reprise à dix-sept heures trente, sous la présidence de M. Jean-Claude Gaudin.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Article 20 (Texte non modifié par la commission) (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif au travail, à la modernisation du dialogue social  et à la sécurisation des parcours professionnels
Discussion générale

7

Hommage à Jo Cox, députée britannique

M. le président. Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est avec une vive émotion que nous avons appris jeudi dernier le décès de notre collègue députée britannique, Jo Cox, qui a succombé à ses blessures après avoir été agressée. (Mmes et MM. les sénateurs ainsi que M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes se lèvent.)

Le président Gérard Larcher, qui recevait vendredi, au Sénat, une délégation britannique de la ville de cette parlementaire, à l’occasion du soixantième anniversaire de son jumelage avec Rambouillet, lui a rendu hommage à cette occasion.

En son nom, et au nom du Sénat tout entier, et avec notre collègue Éric Bocquet, président du groupe d’amitié France-Royaume-Uni, je veux assurer sa famille et ses proches, ainsi que nos collègues du Parlement britannique, de notre compassion sincère et leur présenter nos condoléances les plus attristées.

Je vous propose d’observer un moment de recueillement en sa mémoire. (Mmes et MM. les sénateurs ainsi que M. le secrétaire d’État observent un moment de recueillement.)

8

Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 28 et 29 juin 2016

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 28 et 29 juin.

Dans le débat, la parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires européennes, monsieur le vice-président de la commission des affaires étrangères, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, le Conseil européen qui se tiendra les 28 et 29 juin prochains ne ressemblera à aucun de ceux qui l’ont précédé.

Il sera en effet le premier à se tenir après un référendum dont le résultat décidera du maintien ou non d’un État membre au sein de l’Union européenne. C’est un choix souverain qui appartient désormais aux seuls citoyens britanniques, mais je veux redire ici, à deux jours de ce scrutin, que nous souhaitons que le choix de l’unité européenne, de la cohésion, de la défense de nos valeurs communes l’emporte et que le Royaume-Uni reste dans l’Union européenne parce que c’est sa place, parce que c’est son intérêt et celui de l’Europe.

Je veux rendre à mon tour hommage, monsieur le président, comme vous venez de le faire, à la députée Jo Cox, une femme qui consacrait sa vie au service des autres et d’un monde plus solidaire et qui s’était engagée avec passion pour le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne. La violence et la haine qui l’ont assassinée et qui veulent détruire la démocratie ne doivent pas l’emporter. Son engagement, ses valeurs ne disparaîtront pas avec elle.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce Conseil européen sera donc celui de l’après-référendum et des décisions qui en découleront. Mais, quel que soit ce résultat, l’Europe devra continuer à avancer et à apporter des réponses aux défis et aux grandes crises auxquels elle est confrontée.

Ce Conseil européen sera également appelé à prendre des décisions sur plusieurs grandes questions, au premier rang desquelles figure la crise migratoire.

Au cours des derniers mois, l’accord entre l’Union européenne et la Turquie et la fermeture de la route des Balkans ont conduit à une diminution considérable des flux de migration en mer Égée.

Cependant, ces flux restent très importants en Méditerranée centrale et s’accompagnent de naufrages dramatiques. Au total, près de 212 000 personnes ont effectué la traversée de la Méditerranée depuis le début de l’année. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés estime à 2 868 le nombre de morts lors de ces traversées.

Ces chiffres recouvrent deux réalités très différentes.

En mer Égée, 1 721 arrivées ont été enregistrées au cours du mois de mai, ce qui est inférieur à la moyenne quotidienne des arrivées à la fin de l’année dernière ou encore en janvier de cette année, laquelle était supérieure à 2 000 personnes par jour.

L’accord entre l’Union européenne et la Turquie et la fermeture des routes des Balkans ont donc produit un effet dissuasif et les autorités turques ont incontestablement engagé la lutte contre les passeurs. Dans le même temps, les autres volets de l’accord avec la Turquie se mettent progressivement en place : 462 personnes ont été réadmises en Turquie depuis la Grèce et 511 Syriens ont été réinstallés depuis la Turquie dans l’Union européenne.

L’aide aux réfugiés syriens en Turquie s’accroît également de la part de l’Europe pour couvrir des dépenses d’alimentation, de santé, d’hébergement et d’accès à l’éducation. Dans le même temps, la solidarité à l’égard de la Grèce, où près de 54 000 migrants sont bloqués, doit également se poursuivre : sur les 300 millions d’euros du nouvel instrument d’aide humanitaire prévus en 2016, 83 millions d’euros ont déjà été versés.

En Méditerranée centrale, les flux ont continué à être très importants. Ils sont comparables à ceux de l’année dernière, soit près de 20 000 personnes au mois de mai, contre 21 000 en 2015, ce qui porte le total des arrivées en Italie à plus de 52 000 personnes depuis le début de l’année.

La priorité est donc de lutter contre les passeurs et contre tous les trafics au large de la Libye, puisque c’est essentiellement de cet État, qui reste un État failli, que proviennent ces migrations. Il faut donc soutenir le Gouvernement d’entente nationale, qui combat l’État islamique en Libye et qui doit pouvoir instaurer la sécurité dans l’ensemble du pays. C’est aussi l’une des missions de l’opération EUNAVFOR MED Sophia, dont le mandat a été élargi, que de contribuer à la sécurité au large de la Libye.

Le Conseil Affaires étrangères a en effet décidé ce lundi, à la suite de l’adoption de la résolution 2292 du Conseil de sécurité des Nations unies du 14 juin, d’élargir le mandat de cette opération à deux nouvelles tâches : le renforcement de la mise en œuvre de l’embargo sur les armes à destination de la Libye et la formation de garde-côtes libyens.

La France prend toute sa part à cet effort au sein de cette opération maritime, sur le plan diplomatique, bien sûr, je l’ai rappelé – nous avons fait adopter cette résolution au Conseil de sécurité –, mais aussi en matière de solidarité avec les pays les plus exposés, c'est-à-dire les pays européens de première arrivée des migrants. Nous sommes aujourd'hui le premier des pays de l’Union en termes de relocalisation de réfugiés depuis la Grèce et l’Italie.

Il nous faut bien sûr continuer à agir en apportant des réponses aux causes profondes des migrations. Le Conseil européen se prononcera donc sur la communication de la Commission du 7 juin dernier portant sur son projet de nouveau cadre de partenariat, lequel vise à davantage concentrer l’action et les ressources de l’Union européenne dans ces activités extérieures pour mieux coordonner à la fois la politique migratoire, mais aussi les éléments de politique d’aide au développement et de politique commerciale.

Ce nouveau cadre de partenariat s’inscrit dans la lignée des décisions prises lors du sommet de La Valette en novembre dernier par l’Union européenne et ses partenaires africains : des pactes sur mesure pourront être élaborés en fonction de la situation et des besoins de chaque pays partenaire, avec des priorités de court terme – sauver des vies en mer, accroître le nombre de retours, permettre aux migrants et aux réfugiés de rester près de chez eux – et de plus long terme – soutenir le développement des pays tiers afin de remédier aux causes profondes de la migration irrégulière.

Les chefs d’État ou de Gouvernement chargeront également la Commission d’élaborer pour cet automne une proposition pour mettre sur pied un plan d’investissement pour ces pays tiers. Ce plan pourrait s’inspirer en partie des mécanismes du plan Juncker et inciter les investisseurs publics et privés à participer à des projets contribuant au développement des pays d’Afrique.

Mesdames, messieurs les sénateurs, l’Europe doit continuer de mieux s’organiser pour lutter contre les trafics d’êtres humains, contrôler ses frontières communes, garantir le droit d’asile, reconduire ceux qui n’en relèvent pas, soutenir la stabilité et le développement des pays d’origine et de transit.

Elle a des premiers résultats, aux termes notamment de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie. Elle doit mettre en œuvre toutes les décisions qui ont été prises concernant le contrôle des frontières et elle doit davantage s’engager avec les pays d'origine.

Outre la question du référendum britannique, le soutien à la croissance, à l’emploi et à l’investissement sera le deuxième enjeu au cœur des travaux de ce Conseil européen. Plusieurs points importants seront traités.

Le Conseil européen devrait adopter des conclusions sur le marché unique, en particulier sur le marché unique du numérique, qui est un enjeu de croissance et d’emploi, en même temps que de protection des créateurs, avec la régulation des plateformes et la protection du droit d’auteur.

Sur l’investissement, le Conseil européen donnera suite à la proposition annoncée par la Commission de prolonger le plan Juncker au-delà des trois ans qui étaient initialement prévus. Nous soutenons cette démarche et nous souhaitons effectivement que ce plan soit amplifié.

En effet, ce plan est d’ores et déjà un succès pour l’Europe et pour la France.

Ce plan est un succès pour l’Europe d’abord puisque, au 16 juin 2016, 266 décisions d’approbation de projets ont été prises par les instances de la Banque européenne d’investissement et du Fonds européen d’investissement, soit 17,7 milliards d’euros de financements permettant de mobiliser plus de 100 milliards d’euros d’investissements à l’échelle européenne, autrement dit plus d’un tiers de l’objectif du plan.

Ce plan est un succès pour la France ensuite puisqu’elle est le premier pays bénéficiaire en termes de montant total des projets approuvés – 2,7 milliards d’euros d’engagements pour 14,5 milliards d’euros d’investissements concernés.

Le Conseil traitera également de l’approfondissement de l’Union économique et monétaire. Les travaux se poursuivent sur la base du rapport des cinq présidents. Le Conseil Ecofin a en effet adopté une feuille de route pour compléter l’Union bancaire.

Le conseil abordera les enjeux de la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales, en particulier les deux révisions récentes de la directive sur la coopération administrative pour apporter plus de transparence sur les pratiques fiscales des multinationales en Europe.

Il traitera de l’agriculture et des mesures additionnelles attendues de la Commission pour faire face aux tensions sur les marchés du lait et de la viande de porc. L’accord conclu entre les ministres de l’agriculture du Triangle de Weimar est, de ce point de vue, une étape très importante.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le référendum constituera bien sûr un point majeur de ce Conseil européen, mais face à l’ampleur des défis auxquels l’Europe est confrontée, il devra aussi, j’y insiste, permettre d’avancer sur les priorités de l’Union européenne en matière de sécurité, de migration, de croissance.

Quel que soit le résultat du référendum, nous devrons tracer de nouvelles perspectives pour l’Europe. La relance du projet européen est nécessaire. Elle devra répondre aux grandes priorités du moment : la sécurité intérieure et extérieure, notamment la lutte contre le terrorisme, qui sera d’ailleurs discutée, au cours du Conseil européen de la semaine prochaine, lors de la présentation de la stratégie globale de sécurité de la Haute Représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ; la consolidation de la croissance et de l’investissement ; la relation de l’Union européenne avec son voisinage, en particulier la Méditerranée et l’Afrique ; la jeunesse, qui est l’avenir de notre continent.

Sur toutes ces questions, nous travaillons en étroite relation avec l’Allemagne et avec nos partenaires, en espérant que cela pourra se faire à vingt-huit et que le Royaume-Uni restera dans l’Union européenne. Nous avons une conviction commune : il n’y a pas de solution dans le repli national.

Unie, l’Europe est plus forte pour faire face aux nombreux défis auxquels elle est confrontée. Tel est le message que nous continuerons de porter, avec l’Allemagne et nos principaux partenaires, quel que soit le résultat du 23 juin. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. le président de la commission des affaires européennes applaudit également.)

M. le président. J’indique au Sénat que la conférence des présidents a décidé d’attribuer un temps de parole de huit minutes à chaque groupe politique et de cinq minutes à la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, la commission des finances et la commission des affaires européennes interviendront ensuite durant huit minutes chacune.

Le Gouvernement répondra aux commissions et aux orateurs.

Puis nous aurons un débat interactif et spontané consistant en une série de questions avec la réponse immédiate du Gouvernement ou de la commission des affaires européennes pour une durée totale d’une heure.

Dans la suite du débat, la parole est à M. Éric Bocquet, pour le groupe CRC.

M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, après l’assassinat de notre collègue Jo Cox, j’ai tenu, en tant que président du groupe d’amitié France-Royaume-Uni et au nom de l’ensemble de ses membres, à adresser un message de solidarité à Sir Julian King, le nouvel ambassadeur du Royaume-Uni en France. Les membres du groupe CRC ont également souhaité adresser leurs condoléances à sa famille, au peuple britannique et à leur faire part de l’expression de notre total soutien au nom de la démocratie et de la liberté.

Comme chacun le sait, les Britanniques devront répondre cette semaine à la question suivante : « Le Royaume-Uni doit-il demeurer membre de l’Union européenne ou la quitter ? »

La campagne pour la sortie de l’Union se déroule dans un contexte propice aux instrumentalisations : attentats de Paris et de Bruxelles, crise des réfugiés. Les eurosceptiques conservateurs ne limitent pas leurs analyses aux critères ethniques et culturels. Le candidat à la direction du parti conservateur, Boris Johnson, souhaite reprendre le contrôle des frontières britanniques pour empêcher les migrants « de tirer les salaires vers le bas et de placer les écoles et le système de santé sous pression ».

De l’autre côté, nous pouvons déplorer que la campagne Remain n’ait pas été une campagne pro-Union européenne. Elle n’a guère défendu en effet l’Union telle qu’elle est, elle a plutôt défendu l’idée d’un statu quo.

David Cameron a prétendu défendre le maintien dans l’Union au nom de l’accord arraché en février, mais il faut bien le constater, cet accord n’a pas été un argument porteur, en particulier parce que la majorité des électeurs favorables au maintien dans l’Union, plutôt situés à gauche de l’échiquier politique, n’est guère enthousiasmée par les mesures de réduction des aides sociales aux migrants. Le camp du maintien dans l’Union a donc été en permanence sur la défensive. À droite et au centre, on a beaucoup insisté sur les conséquences économiques et politiques d’un Brexit. À gauche, on a insisté sur les protections sociales, aussi minimes soient-elles, offertes par l’Union et sur le risque d’une vague néolibérale en cas de sortie.

Au cours du débat sur le Brexit, rares ont été les moments où l’on a pu défendre l’idée d’un projet européen d’avenir. Même si les Britanniques décident de rester, l’accord conclu le 19 février sur les conditions de leur maintien entérine un certain retrait du Royaume-Uni au sein de l’Union. Il obligera les États membres à définir précisément le nouveau modèle dans lequel ils souhaitent inscrire l’avenir de l’Union s’ils veulent redonner une certaine dynamique au projet européen.

Il nous semble que l’Union européenne ne pourra avancer que si elle construit avec l’ensemble de ses composantes un projet européen digne, social et articulé sur l’idée de coopération plutôt que sur celle de compétition dévastatrice. Pour l’heure, nous en sommes encore loin.

Prenons l’exemple de la Grèce. Ce pays subit de plein fouet des mesures d’austérité insoutenables. L’Union européenne a imposé le vote d’une loi budgétaire de 7 000 pages, trois hausses massives de la TVA, la privatisation d’aéroports à des prix bradés, le départ à la retraite à 67 ans, l’augmentation des cotisations maladie, la fin des protections pour les petits propriétaires incapables de payer leurs emprunts, tout cela pour qu’Athènes obtienne un prêt principalement destiné à rembourser les intérêts de sa dette extérieure. Le Fonds monétaire international, le FMI, a beau concéder que celle-ci est insoutenable, l’Allemagne, de son côté, refuse qu’elle soit amputée.

Monsieur le secrétaire d’État, quand le Conseil européen se décidera-t-il enfin à agir réellement en faveur d’un soutien effectif à la Grèce ? L’étude publiée récemment par le Handelsblatt, un quotidien allemand, a montré que 95 % de l’aide à la Grèce est allée à ses créanciers.

Dans le même temps, le président de l’Eurogroupe a admis dans Les Échos des 29-30 avril que lui-même comprenait mal la signification du « déficit structurel » qu’aucun État ne doit excéder : « C’est un indicateur difficile à prédire, difficile à gérer et difficile à expliquer. Une de mes frustrations, c’est qu’il monte et qu’il descend sans que je sache vraiment pourquoi. » Dès lors, pourquoi continuer à appliquer ces sacro-saints principes avec autant d’ardeur ?

Le constat doit être nuancé : tous les gouvernements ne sont pas logés à la même enseigne. Prenons l’exemple de l’Espagne. Aucune sanction ne lui a été infligée alors que son déficit budgétaire dépasse allégrement la limite autorisée par les traités. Est-ce l’approche des élections législatives, dans un contexte particulier mettant en danger les partis traditionnels, qui rendent la Commission plus indulgente ?

L’émergence de deux nouveaux partis, Ciudadanos et Podemos, lesquels ont respectivement obtenu le 20 décembre dernier près de 14 % et un peu plus de 20 % des voix, a effectivement perturbé le jeu politique. Et il n’est pas certain que le scrutin du 26 juin puisse débloquer la situation. Dans ces conditions, il se pourrait que l’Europe connaisse une nouvelle soirée électorale importante, trois jours après le référendum britannique.

Revenons-en à la situation en Grèce, plus particulièrement à la question des migrations. Nous ne pouvons faire fi de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie. Il y a lieu de s’interroger sur les moyens concrets que l’Union met à disposition de ce pays pour faire face à la situation. Je parle ici des moyens non seulement financiers, mais également humains. Il me semble que ces derniers sont largement en deçà des besoins. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous faire un point très concret sur cette situation particulière ?

Permettez-moi ensuite de vous faire part ici de notre inquiétude concernant les mesures prises en Turquie, notamment la loi dite « antiterroriste », et le danger encouru par certaines minorités dans ce pays. Cette loi est en inadéquation avec les normes démocratiques européennes. L’exécutif européen a ouvert la voie le 4 mai dernier à l’exemption de visas, dont Ankara a fait une condition indispensable pour continuer d’appliquer son accord controversé avec l’Union. Nous savons que Bruxelles a assorti son avis favorable de certaines réserves, estimant qu’Ankara devait encore remplir 5 des 72 critères fixés pour l’obtenir, dont une redéfinition de la loi antiterroriste, jugée trop vague. Cela n’est pas sans danger, bien sûr, pour la démocratie.

La Turquie mettra-t-elle de nouveau la pression à l’Union en laissant passer 7 000 réfugiés quotidiennement ? Nous n’accepterons pas d’entrer dans un tel jeu, totalement inhumain et immoral.

Imposer des sacrifices à des peuples au nom de règles comptables strictes et oublier ces dernières aussitôt que certains amis les transgressent, c’est créer un terreau fertile dans lequel grandira sans peine la graine de la xénophobie et du repli sur soi. Il ne faut donc pas nous étonner de certaines réactions épidermiques sur le continent. Il est grand temps que les gouvernements empruntent une autre voie dans la construction du projet européen, et ce quelle que soit l’issue du référendum britannique jeudi prochain. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi qu’au banc des commissions.)