compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Claude Gaudin

vice-président

Secrétaires :

M. Philippe Adnot,

M. François Fortassin,

Mme Catherine Tasca.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures quinze.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 31 mars a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Modification de l’ordre du jour

M. le président. Par lettre en date du 4 avril, le Gouvernement a demandé l’inscription à l’ordre du jour des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à l’information de l’administration par l’autorité judiciaire et à la protection des mineurs le soir du mercredi 6 avril, au lieu de ce soir ; des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires le jeudi 7 avril à dix-huit heures trente, au lieu de ce soir.

Il n’y a pas d’opposition ?…

Il en est ainsi décidé.

3

Saisine du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat que le Conseil constitutionnel a été saisi le 4 avril 2016, en application de l’article 12 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française, d’un recours aux fins de constater que certaines dispositions de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique sont intervenues dans une matière ressortissant à la compétence de la Polynésie française.

Le texte de la saisine du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de cette communication.

4

Décisions du conseil constitutionnel sur deux questions prioritaires de constitutionnalité

M. le président. Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du vendredi 1er avril, deux décisions du Conseil relatives à des questions prioritaires de constitutionnalité portant sur la responsabilité des professionnels de santé et des établissements de santé pour les conséquences dommageables d’actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins (n° 2016-531 QPC) ; la composition de la formation collégiale du tribunal correctionnel du territoire des îles de Wallis-et-Futuna (n° 2016-532 QPC).

Acte est donné de ces communications.

5

Article 35 (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Lutte contre le crime organisé et le terrorisme

Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le scrutin public solennel sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale (projet n° 445, texte de la commission n° 492 rectifié, rapport n° 491, tomes I et II, avis nos 476 et 474).

Avant de passer au scrutin, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote.

Explications de vote sur l’ensemble

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. J’indique au Sénat que la conférence des présidents a fixé, à raison d’un orateur par groupe, à sept minutes le temps de parole attribué à chaque groupe politique, les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.

La parole est à M. François Zocchetto, pour le groupe UDI-UC. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains.)

M. François Zocchetto. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, après plusieurs jours de débat sur le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, voici l’heure du bilan.

Le Sénat aura-t-il marqué ce texte, une fois que nous l’aurons adopté ? Sans hésitation, oui ! De fait, grâce au travail que la commission des lois a mené pendant plusieurs mois sous la houlette de son président, Philippe Bas, et au travail tout aussi important accompli, avec une grande motivation, par son rapporteur, Michel Mercier,… (MM. Jean-Pierre Raffarin, Éric Doligé et Jean-Paul Emorine applaudissent.)

MM. Gérard Dériot et Hubert Falco. Très bien !

M. François Zocchetto. … nous avons ouvert la voie à des avancées importantes dans deux domaines : la sauvegarde des libertés individuelles – principe cher au Sénat – et l’amélioration de l’efficacité de la procédure pénale dans la lutte contre le terrorisme.

En définitive, le projet de loi sur lequel nous nous apprêtons à voter est plus équilibré, plus précis ; en un mot, meilleur.

Monsieur le garde des sceaux, je tiens à saluer l’attitude constructive du Gouvernement… sur ce texte. La précision est utile,…

M. François Zocchetto. … car il n’aura échappé à personne que la semaine de travail que nous venons de passer avec vous contraste avec la précédente, qui a vu l’échec de la révision constitutionnelle. Je dois dire, à cet égard, que l’attitude du Gouvernement et du Président de la République ont laissé un goût amer. (M. Jean-Louis Carrère s’exclame.)

La lutte contre le terrorisme comporte de nombreuses facettes et la réforme constitutionnelle, voulue par François Hollande, faisait partie du dispositif d’ensemble. Dans ces conditions, comment ne pas être déçu par cet échec ? (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains.)

Les choses avaient pourtant bien commencé. Souvenez-vous, mes chers collègues : à Versailles, nous étions tous debout pour applaudir le Président de la République. Tout cela pour voir le projet de révision s’essouffler, à l’image d’une majorité que certains commentateurs se sont plu à décrire comme à bout de souffle…

M. Jean-Louis Carrère. Le projet a été victime des primaires à droite !

M. François Zocchetto. Je tiens à répéter, en réponse aux propos tenus dans cet hémicycle la semaine dernière par M. le Premier ministre lors de la séance de questions d’actualité au Gouvernement, que le Sénat ne peut être tenu pour responsable de cet échec. (Marques d’approbation sur de nombreuses travées de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains. – M. Jean-Louis Carrère s’exclame.) En effet, la majorité sénatoriale a travaillé sérieusement sur ce projet et elle l’a fait sur la base de la parole du Président de la République au Congrès ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Louis Carrère. Sur la base de la guerre Sarkozy-Fillon ! C’est cela, votre obsession !

M. Hubert Falco. Pour une fois que nous voulons suivre le Président de la République !

M. François Zocchetto. J’en arrive à me demander ce que le Gouvernement et le Président de la République attendaient du Sénat. Si c’était pour lui demander un vote conforme, il fallait le dire tout de suite ! Nous nous serions épargné des débats difficiles.

Sur le projet de loi constitutionnelle, le Sénat a adopté son propre texte. Et après ? C’est bien l’objet de la navette parlementaire que de permettre la poursuite du travail.

La réalité est étonnante : le Gouvernement semble vouloir reporter sur le Sénat les errements d’une majorité si divisée que le Président de la République s’en méfie !

Moyennant quoi le Premier ministre est conduit, comme il l’a fait dans cet hémicycle la semaine dernière, à soutenir des raccourcis malheureusement grossiers, voire faux juridiquement. Ainsi ne puis-je pas passer sous silence l’idée que, parce que nous n’aurions pas voté la révision constitutionnelle, le sort du terroriste Abdeslam n’aurait pas pu être scellé. Faut-il rappeler ce principe élémentaire, à savoir que le droit pénal n’est pas rétroactif ? Il n’est pas sérieux de la part du Premier ministre d’avoir voulu faire croire qu’à cause du Sénat ce terroriste ne pourrait pas être puni !

M. Jean-Pierre Sueur. Quand parlerez-vous du projet de loi en discussion ?

M. François Zocchetto. Toujours est-il que, comme je l’ai toujours pensé, les dispositions que nous nous apprêtons à voter sont bien plus importantes et seront bien plus efficaces pour améliorer la sécurité des Français que toute réforme constitutionnelle. Je pense en particulier aux perquisitions de nuit, à la lutte contre le financement du terrorisme et à la lutte contre le trafic d’armes. Nous voilà dans le concret, dans le quotidien des forces de sécurité et des magistrats qui luttent tous les jours contre les terroristes et la criminalité organisée !

Dans la continuité de la proposition de loi tendant à renforcer l’efficacité de la lutte antiterroriste que nous avons adoptée au mois de février dernier – excellente initiative à laquelle a participé le président de notre commission des lois, Philippe Bas – ainsi que des travaux de cette commission, les débats en séance ont permis d’introduire deux innovations essentielles, à savoir les nouveaux délits sanctionnant la consultation habituelle de sites terroristes et le séjour intentionnel sur un théâtre étranger d’opérations terroristes. Je crois sincèrement que ces deux infractions sont indispensables.

Le débat en séance publique a été riche, notamment lorsque nous avons abordé la question essentielle de la perpétuité réelle pour les auteurs de crimes terroristes. Nous avons soutenu l’amendement présenté par Michel Mercier visant à encadrer très strictement les conditions dans lesquelles le tribunal d’application des peines pourrait examiner les demandes de relèvement de période de sûreté. Cet assouplissement ne pourra être octroyé qu’à titre exceptionnel, seulement après une période minimale d’incarcération de trente ans et, surtout, après qu’aura été recueilli l’avis des parties civiles et obtenu l’aval d’une commission spéciale composée de magistrats expérimentés. C’est ce que nous voulions et je pense que c’est ce que souhaitent les Français.

Le texte issu de nos travaux a donc été largement enrichi ; nous le soutiendrons.

Une dernière étape s’annonce, qui sera décisive : la commission mixte paritaire. Compte tenu de l’ampleur du projet de loi et de la complexité des questions, l’exercice ne sera pas simple. Nous comptons sur les représentants du Sénat au sein de cette commission mixte paritaire pour être aussi vigilants que possible et préserver au maximum tous les apports de notre assemblée.

Je tiens en particulier à souligner que le Sénat est enfin parvenu à adopter un dispositif permettant de mettre fin au monopole de Bercy en matière de poursuite pour fraude fiscale. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UDI-UC.) C’est là une avancée majeure, qui permet d’en finir avec ce que l’on appelle le « verrou de Bercy » en la matière et, ainsi, faciliter la réalisation de l’objectif de lutte contre la fraude fiscale, par la voie pénale. (Mme Marie-Noëlle Lienemann opine.)

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. François Zocchetto. Il s’agit d’une proposition formulée de longue date par les sénateurs centristes, notamment par Nathalie Goulet. Je remercie Michel Mercier d’avoir bien voulu la soutenir en tant que rapporteur. J’espère que, sur cette question tout particulièrement, la commission mixte paritaire nous donnera raison ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Roger Karoutchi. Où était-il ?

M. le président. Je le sais, moi, mais je ne vous le dirai pas ! (Sourires.)

M. Jean-Louis Carrère. C’est le camp Fillon, c’est bien cela ?

M. Philippe Bas. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je tiens avant tout à remercier notre rapporteur du travail considérable et, à vrai dire, tout à fait excellent qu’il a accompli. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.) Michel Mercier, qui suit la mise en œuvre de l’état d’urgence depuis que celui-ci a été instauré, a également accompagné notre travail sur le projet de loi constitutionnelle, avant d’assumer la responsabilité du rapport sur le présent texte, dont sortira une loi qui fera franchir à notre pays un palier dans la lutte contre le terrorisme.

La lutte contre le terrorisme nous réunit une fois de plus cet après-midi, après le drame de Bruxelles et les événements tragiques que nous avons connus dans notre pays l’an dernier. Dans cette lutte, nous pouvons marquer notre reconnaissance aux forces de l’ordre et aux magistrats français, qui sont sur le front.

Le Sénat a souhaité rendre le projet de loi plus sévère et plus efficace, dans le respect, bien sûr, de l’état de droit et des libertés fondamentales, exigence à laquelle nous ne nous dérobons jamais.

Nous avons répondu présent dans la lutte contre le terrorisme lors de l’examen des textes dont sont issues la loi du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme, la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, la loi du 20 novembre 2015 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions et la loi du 19 février 2016 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence. (M. Roger Karoutchi opine.) Nous répondons présent aujourd’hui encore avec ce texte très important.

Il s’agit pour nous non pas de réagir à l’émotion de nos concitoyens, mais de répondre à l’expérience des forces de sécurité et des juges, confrontés à la difficulté du travail d’identification des réseaux, de réunion des preuves et d’arrestation des coupables. Ils nous disent que les formes du terrorisme évoluent et se diversifient, que les moyens technologiques utilisés par les terroristes ne cessent de s’enrichir et que l’intensité des crimes que ceux-ci commettent ne cesse, à l’évidence, de s’aggraver.

En vérité, le travail des policiers, des gendarmes et des juges a fait apparaître des angles morts dans notre code de procédure pénale, qu’il est temps de combler.

Ce projet de loi vise à renforcer les pouvoirs des procureurs, après ceux des services de renseignement par la loi du 24 juillet 2015. Pour nous, il s’agit évidemment de leur donner à la fois des moyens de surveillance et les moyens d’obtenir des informations dont ils ne disposent pas, autant de moyens que nous avons attribués à la police et aux autres services de renseignement, notamment pour la captation à distance de données ou pour l’utilisation d’appareils tels que les IMSI-catchers.

Il s’agit aussi de respecter l’exigence de continuité des enquêtes en garantissant aux procureurs de ne pas en être dessaisis de manière prématurée au profit d’un juge d’instruction, comme cela a trop longtemps été le cas. C’est très important. En effet, jusqu’alors, seuls les juges d’instruction disposaient des pouvoirs que nous donnons désormais aux procureurs.

Grâce à l’apport du Sénat – il convient de le souligner –, le texte reconnaît désormais de nouvelles infractions, qui devront être sévèrement punies. C’est le cas des voyages sur des sites d’entraînement au djihad ou de la consultation régulière, et sans motif légitime, de sites internet incitant aux crimes terroristes. Nous avons également décidé de criminaliser un certain nombre de délits terroristes qui n’exposent aujourd’hui leurs auteurs qu’à des peines de dix ans de prison ; de tels délits pourront désormais donner lieu à des peines de quinze ans de prison, avec des circonstances aggravantes.

Lors de nos travaux, nous avons naturellement écarté la possibilité de la contrainte pénale, disposition créée par la loi de Mme Taubira, pour tout ce qui se rapporte au terrorisme. Pour les condamnés à la réclusion à perpétuité, nous avons allongé la période de sûreté au maximum, c’est-à-dire à trente ans. Nous avons aussi décidé de créer un délit pour les entreprises qui refuseraient de fournir les clés de décryptage et entraveraient ainsi le déroulement des enquêtes.

L’exécution des peines est également rendue plus sévère.

Ce texte interdit d’abord tout aménagement de peine pendant la durée d’incarcération des condamnés. Il prévoit ensuite la mise en œuvre d’une procédure visant à empêcher toute libération d’un terroriste condamné à la réclusion à perpétuité après l’achèvement de sa période de sûreté, laquelle, je le rappelle, a été étendue à trente ans. Est inscrit enfin le principe de la rétention de sûreté pour les personnes condamnées à des peines inférieures à la perpétuité, une fois que celles-ci auront purgé leur peine. Je rappelle que cette mesure ne s’applique aujourd’hui qu’aux criminels sexuels ayant été diagnostiqués malades psychiques.

En outre, ce texte renforce les pouvoirs de police de deux manières. D’une part, il prévoit l’assignation à résidence et un certain nombre de contraintes pour tout individu rentrant de sites d’entraînement au djihad. D’autre part, il crée une mesure de rétention de quatre heures pour tous ceux qui, à la suite d’un contrôle d’identité, mériteraient de voir vérifiées certaines informations les concernant, notamment par la consultation d’un certain nombre de fichiers. En effet, quand on parvient à tomber sur de tels individus au cours d’un contrôle d’identité, on ne veut pas les laisser disparaître dans la nature !

M. Charles Revet. Heureusement !

M. Philippe Bas. On préfère – et c’est heureux ! – chercher à déterminer s’il existe des raisons de les placer en garde à vue et de les arrêter.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je vous recommande d’adopter ce texte, beaucoup plus sévère que celui qui nous a été transmis par l’Assemblée nationale ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour le groupe communiste républicain et citoyen.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « l’état d’urgence […] montre son efficacité, même s’il ne peut pas être un état permanent. C’est pourquoi un projet de loi est discuté en ce moment même au Parlement ». Ainsi s’est exprimé le Président de la République mercredi dernier, en annonçant la fin des débats sur le projet de loi visant à constitutionnaliser l’état d’urgence.

De tels propos clarifient les tenants et les aboutissants du texte sur lequel nous sommes aujourd’hui appelés à voter : ce projet de loi joue le rôle de relais à l’état d’urgence, qui prend fin le 26 mai prochain, soit quinze jours avant l’Euro 2016.

En même temps qu’il renonçait à la révision constitutionnelle et aux dérives sécuritaire et identitaire auxquelles elle conduisait, le Gouvernement est parvenu à faire passer dans notre droit commun des mesures directement issues de l’état d’urgence, et ce au terme de quelques jours de débat à peine, après avoir engagé la procédure accélérée.

Pourtant présenté comme un texte distinct des lois précédentes, cet énième projet de loi antiterroriste, initialement centré sur des mesures visant à alléger la procédure pénale, reprend des dispositions similaires à celles qui figuraient dans l’avant-projet de loi d’application de la révision constitutionnelle pour les introduire dans le droit commun. Il en est ainsi de la mesure relative à la rétention administrative de quatre heures sur simple soupçon.

Alors même que le Gouvernement n’a toujours pas pris de dispositions protectrices – comme celles que nous avons proposées par voie d’amendement – pour répondre aux condamnations prononcées contre l’État pour contrôles discriminatoires au faciès, cette mesure de police contribuera à aggraver les situations et à dégrader la confiance que les citoyens placent quotidiennement dans les forces de l’ordre.

Avec ce projet de loi, une salve d’autres mesures sécuritaires et attentatoires aux libertés publiques a été adoptée.

Désormais, les parquets seront en droit d’ordonner des perquisitions de nuit, prérogative jusqu’alors réservée aux juges. Les procureurs et les juges d’instruction seront autorisés à utiliser de nouvelles méthodes de surveillance, telles que les IMSI-catchers et la captation de données.

M. Philippe Bas. Exactement !

Mme Cécile Cukierman. Les règles relatives à l’engagement armé des policiers sont assouplies.

Bien sûr, la droite sénatoriale a marqué ce texte de son sceau en s’appliquant à durcir davantage notre dispositif préventif et répressif.

M. Hubert Falco. Eh oui ! Et elle a eu raison !

Mme Cécile Cukierman. Elle a ainsi contribué à l’adoption de plusieurs mesures aggravantes, telles que la pénalisation de la consultation régulière de sites incitant au terrorisme ou en faisant l’apologie, mesure figurant déjà dans la proposition de loi tendant à renforcer l’efficacité de la lutte antiterroriste déposée par M. Bas au mois de février dernier. La presse spécialisée elle-même s’interroge, évoquant une inquisition moderne. Comme si le blocage, le filtrage et l’interdiction de la consultation de tels sites représentaient la voie royale pour prévenir le terrorisme !

Malgré les graves distorsions que cette évolution introduit dans l’échelle des délits et des peines, la criminalisation de l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste constitue une autre des mesures adoptées dans le projet de loi. Y figurent aussi la création d’une période de sûreté spéciale applicable à tous les crimes terroristes, y compris ceux qui ne sont pas punis de la réclusion criminelle à perpétuité, et surtout la possibilité donnée à la cour d’assises, lorsque le crime terroriste est passible de la prison à vie, soit d’allonger la période de sûreté à trente ans – contre vingt-deux ans actuellement –, soit de décider qu’aucune mesure d’aménagement de peine ne pourra être accordée : le principe de la perpétuité dite « incompressible » est ainsi inscrit dans la loi !

Évidemment, le Sénat a rejeté l’amendement que nous avions déposé et qui visait à supprimer cette disposition. Vous vous y êtes d’ailleurs également opposé, monsieur le garde des sceaux, déclarant que « le Gouvernement [était] conscient qu’en cette période il [fallait] durcir un certain nombre de sanctions ».

Pour notre part, nous considérons que la période n’est pas à la surenchère sécuritaire et démagogique ! Ces mesures concernant notamment la perpétuité réelle et la rétention de sûreté sont extrêmement graves : elles viennent entacher nos droits fondamentaux et mettre en péril le socle même du droit pénal français.

L’ensemble de ces mesures seront non seulement inefficaces au regard de l’objectif que le texte cherche à atteindre, à savoir la lutte contre Daech, mais surtout inapplicables, compte tenu des moyens dérisoires alloués à la justice. Quelle logique y a-t-il à aggraver les délits et étendre le quantum de la sanction pénale quand on sait que les tribunaux ne sont pas en mesure de suivre la cadence ?

Et quand bien même les finances publiques seraient au beau fixe, il faudrait tâcher de s’en servir à bon escient, ce dont nous ne pouvons que douter quand on voit le projet de société que vous nous proposez !

Nous le répétons : tous les moyens doivent être mis en œuvre pour les programmes de réinsertion, le milieu associatif, en faveur de la jeunesse, de l’éducation et de la culture.

Bien entendu, nous devons renforcer nos services de renseignement et revaloriser de manière importante et urgente la justice, fille pauvre de notre République ! Nous devons aussi repenser notre politique publique de sécurité : elle doit être plus équilibrée et davantage en phase avec une réelle politique publique de la prévention, ainsi qu’avec le contexte international – nos choix diplomatiques – et national – nos choix sociétaux.

Le groupe communiste républicain et citoyen le répète : ne tombons pas dans le piège tendu par les obscurantistes. C’est la liberté et le combat social qui permettront à la République de triompher !

Mme Éliane Assassi. Très bien !

Mme Cécile Cukierman. Mes chers collègues, vous l’aurez compris, les membres du groupe communiste républicain et citoyen voteront résolument contre ce projet de loi. Alors que nous assistons à la banalisation de l’état d’urgence, nous observerons la plus grande vigilance lorsque ces mesures sécuritaires, inédites dans notre démocratie, viendront à s’appliquer ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour le groupe socialiste et républicain.

M. Jacques Bigot. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous voterons dans quelques instants – je l’espère – en faveur d’un texte qui montre la détermination du Gouvernement à lutter non seulement contre le terrorisme, mais également contre le crime organisé, deux formes de criminalités d’ailleurs souvent liées.

Mes chers collègues, nous nous accordons tous sur l’objectif. Nous sommes tous convaincus qu’il faut donner à la police, aux forces de l’ordre et à la justice les moyens de lutter contre le terrorisme.

Ce projet de loi a fait l’objet d’un large accord à l’Assemblée nationale, puisqu’il a été adopté par 474 députés !

Monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, je dois reconnaître que les travaux qui ont été menés sur ce texte l’ont été avec pragmatisme et que des échanges très constructifs ont eu lieu aussi bien en commission que dans l’hémicycle. J’invite donc mon groupe à voter en faveur de ce texte, même si tous les articles qu’il comporte ne recueillent pas notre soutien ; j’y reviendrai.

Ce texte répond avant tout à la nécessité de donner davantage de moyens aux forces de l’ordre et à la justice pour lutter contre le terrorisme et le crime organisé, et ce – je tiens à le réaffirmer – dans le respect de notre État de droit.

En premier lieu, nous devons évidemment tenir compte des évolutions liées au développement de l’informatique, des réseaux et des moyens de connexion.

Il est en effet indispensable de permettre aux forces de l’ordre d’utiliser ces moyens modernes et, pour ce faire, monsieur le garde des sceaux – je le dirai aussi au ministre de l’intérieur –, il faut leur attribuer des moyens financiers.

Il convient aussi de se défendre contre les méthodes nouvelles auxquelles ont recours les réseaux terroristes, qui en font très bon usage, pour mettre en œuvre leurs intentions criminelles. Il est donc nécessaire de lutter non seulement contre la cybercriminalité, mais aussi contre le trafic d’armes, autre enjeu important de ce combat.

Mes chers collègues de la majorité sénatoriale, vous avez cru devoir créer une infraction relative à la consultation de sites faisant l’apologie du terrorisme. Sur ce sujet, il faut être clair : nous ne souhaitons pas du tout encourager la consultation de ces sites. Cependant, pour nous, la vraie question est de savoir si cette nouvelle infraction, qui contribue à vous donner une image plus sécuritaire, est véritablement utile ou si elle ne risque pas, au contraire, d’empêcher les tribunaux de statuer sur le fondement d’infractions plus répressives, sans compter qu’il faut se donner les moyens de détecter ces infractions et de poursuivre leurs auteurs ! Par conséquent, ne glosons pas sur cette question, de nature essentiellement technique.

En second lieu, nous devons tenir compte de l’internationalisation du terrorisme et du crime organisé.

C’est la raison pour laquelle nous avons adopté – ce qui était loin d’être évident ! – la proposition du ministre de l’intérieur d’organiser des rétentions administratives, disposition précédemment amendée par l’Assemblée nationale.

Nous avons accepté que le pouvoir de police administrative soit renforcé en matière de contrôle. En effet, nos forces de l’ordre doivent pouvoir accéder, lors de l’arrestation d’un individu, à des informations provenant de l’étranger, plus particulièrement d’Europe, dont il faut attendre une meilleure organisation.

Nous avons également donné notre accord pour qu’il soit désormais possible de retenir et d’assigner à résidence un individu qui revient de théâtres d’opérations terroristes. Sur ce sujet, chers collègues de la majorité sénatoriale, vous avez là aussi décidé de créer une nouvelle infraction, qui a donné lieu à un débat nourri. Là encore, l’enjeu n’est pas simplement de savoir s’il faut durcir ou non les peines : on peut ajouter des infractions à l’excès ! La vraie question est de savoir si elles sont véritablement utiles et efficaces.

N’oublions pas non plus, mes chers collègues, que nous avons passé du temps sur des articles relatifs au blanchiment d’argent. Ces articles sont importants, parce que cela vaut la peine de s’attaquer avec fermeté au problème du financement du crime organisé et du terrorisme, au moment précis où l’on parle de réseaux et de sociétés offshore. À ce sujet, monsieur Zocchetto, nous verrons si ce que vous avez obtenu en la matière a un avenir. Il n’est pas impossible que cela soit intéressant !

Répondre au terrorisme, oui, mais dans le respect des règles de la démocratie !

Monsieur le rapporteur, nous avons veillé à ce que chacun ait droit à un procès équitable. À l’heure où l’on renforce le rôle des procureurs de la République, ce qui constitue un nouveau mode d’organisation nécessaire notamment pour lutter contre le terrorisme, la cybercriminalité et le crime organisé, il nous faut des garanties ! Celles-ci résulteront de l’indépendance des procureurs – disposition qu’il faut parvenir à faire voter dans le cadre d’une future révision constitutionnelle –, de l’introduction de la procédure contradictoire à un stade déterminé de l’enquête préliminaire et du renforcement du rôle du juge des libertés et de la détention.

Enfin, si elle ne doit pas nous faire peur, la pénalisation ne peut pas constituer un instrument pouvant dissuader les terroristes. En réalité, ceux qui sont prêts à donner la mort en se la donnant à eux-mêmes ne seront jamais impressionnés par l’aggravation des peines. Certes, chers collègues de la majorité sénatoriale, il est sans doute utile d’y avoir recours, mais vous oubliez d’indiquer – même si nous avons insisté sur ce point – qu’étendre une peine de prison de dix ans à quinze ans aura surtout pour effet de surcharger la cour d’appel de Paris. Cette initiative ne sera donc pas forcément efficace, ce qui soulève une vraie question.

Mes chers collègues de la majorité sénatoriale, vous avez également décidé de porter la durée de la détention préventive des mineurs de deux ans à trois ans. De notre côté, nous pensons qu’un mineur poursuivi pour actes de terrorisme doit être sanctionné – il n’est d’ailleurs pas exclu qu’il accomplisse une longue peine de prison ! –, mais qu’il faut le sortir le plus rapidement possible de la détention provisoire et le placer dans un centre de rééducation et de déradicalisation !