Sommaire

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Catherine Tasca, M. Jackie Pierre.

1. Procès-verbal

2. Éloge funèbre de Christian Bourquin, sénateur des Pyrénées-Orientales

MM. le président, Manuel Valls, Premier ministre.

Suspension et reprise de la séance

3. Dépôt de rapports

4. Dépôt d'un document

5. Décision du Conseil constitutionnel sur une question prioritaire de constitutionnalité

6. Réforme territoriale – Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat

M. Manuel Valls, Premier ministre

M. Jacques Mézard

M. Philippe Adnot

M. François Zocchetto

M. Bruno Retailleau

M. Didier Guillaume

M. Ronan Dantec

Mme Éliane Assassi

M. Philippe Bas

M. René Vandierendonck

M. Manuel Valls, Premier ministre

MM. le président, Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Jacqueline Gourault

7. Délimitation des régions et élections régionales et départementales – Discussion en deuxième lecture d'un projet de loi dans le texte de la commission

Discussion générale :

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur

M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission spéciale

M. Robert Navarro

M. Henri Tandonnet

M. René Vandierendonck

M. Ronan Dantec

M. Christian Favier

Mme Hermeline Malherbe

M. Bruno Sido

M. Jean-Marie Bockel

M. Éric Doligé

Renvoi de la suite de la discussion.

8. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Catherine Tasca.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures quinze.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 23 octobre 2014 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Éloge funèbre de Christian Bourquin, sénateur des Pyrénées-Orientales

M. le président. Monsieur le Premier ministre, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, c’est avec une tristesse et une émotion profondes que nous avons appris, le 26 août dernier, la disparition de notre collègue Christian Bourquin (Mmes et MM. les sénateurs ainsi que les membres du Gouvernement se lèvent.), qui représentait dans notre assemblée, avec François Calvet, le département des Pyrénées-Orientales ; ensemble, avec leurs différences, ils regardaient les Pyrénées. Il s’est éteint si vite, à l’hôpital Saint-Éloi de Montpellier où il avait été admis deux jours auparavant. Il n’avait pas soixante ans.

La maladie à laquelle il faisait face avec courage n’a jamais réussi à altérer l’enthousiasme et le dynamisme de Christian Bourquin, qui ont jusqu’au bout suscité l’admiration et qui ont marqué son action tout au long de sa vie ; j’ai le souvenir personnel de son intervention, le 2 juillet dernier, dans notre hémicycle.

Les obsèques de Christian Bourquin ont été célébrées le 29 août dans sa commune de Millas, dont il avait été le premier magistrat, en présence de vous-même, monsieur le Premier ministre, du président du Sénat, Jean-Pierre Bel, et de plusieurs de nos collègues.

Cet adieu en cette terre catalane, une terre à laquelle il était si viscéralement attaché, devait trouver cet après-midi son écho dans notre hémicycle du Sénat, en présence de sa famille rassemblée dans nos tribunes. Au nom de l’ensemble des sénatrices et des sénateurs de la République, je souhaite à mon tour rendre solennellement hommage au parlementaire, à l’élu local passionné et à l’homme chaleureux, l’homme de convictions, qui nous a quittés après avoir consacré sa vie à l’intérêt général et au service des autres.

Quatrième enfant d’une famille d’agriculteurs catalans, Christian Bourquin est né le 7 octobre 1954 dans la maison familiale de Saint-Féliu-d’Amont. Après des études primaires et secondaires dans les Pyrénées-Orientales, au collège d’Ille-sur-Têt, puis au lycée de Prades, il a été admis en 1973 à l’École nationale supérieure des arts et industries de Strasbourg, d’où il est sorti, quatre ans plus tard, ingénieur en topographie.

C’est à ce titre qu’il entra, dès l’âge de vingt-trois ans, à la mairie de Montpellier, comme ingénieur territorial. Rapidement remarqué par le nouveau maire de la ville, il participa, durant près de treize années, à la spectaculaire transformation de Montpellier aux côtés de Georges Frêche.

Adepte des randonnées pédestres, qui le menaient souvent au sommet du Canigou, il décide néanmoins, en décembre 1989, de revenir dans son cher département des Pyrénées-Orientales pour diriger le bureau local de l’office public d’aménagement et de construction, en lien, d’ailleurs, avec la ville de Montpellier. Dans ses nouvelles fonctions, il continue de manifester son enthousiasme et son efficacité, au service de la revalorisation du logement social et de la transformation de son image par de nouveaux concepts. En moins de quatre années, il accompagne la construction de plusieurs centaines de logements en pays catalan.

Professionnel chevronné, Christian Bourquin était aussi, nous le savons, un militant passionné, aux fortes convictions politiques.

Après avoir adhéré en 1975 au parti socialiste, il prend, en 1992, la direction de la fédération socialiste des Pyrénées-Orientales. Dès l’année suivante, il parvient au second tour des élections législatives dans la troisième circonscription de ce département. Il entame alors un riche parcours politique, qui le conduira à occuper successivement presque tous les mandats, aux niveaux municipal, départemental, régional et national.

Élu en 1994 conseiller général du canton de Millas, il devient l’année suivante maire de la ville. Deux ans plus tard, il est élu député des Pyrénées-Orientales. En moins de cinq ans, Christian Bourquin est ainsi devenu conseiller général, maire et député.

En mars 1998, il accède à la présidence du conseil général, qu’il dirigera jusqu’en novembre 2010, après avoir été réélu et reconduit dans ses fonctions en 2001, en 2004, puis en 2008. Il se bat inlassablement pour l’emploi, le développement durable et la défense de l’agriculture, mais aussi pour permettre à son département de progresser dans des domaines aussi variés que les nouvelles technologies, la solidarité ou la culture.

Malgré son attachement aux Pyrénées-Orientales, ou peut-être à cause de celui-ci, il a été conduit, pour mener de nouveaux projets, à élargir son horizon à la région Languedoc-Roussillon. Devenu en 2004 premier vice-président du conseil régional, en charge des finances, il est en mesure de donner une nouvelle dimension au pays catalan si cher à son cœur.

C’est le 10 novembre 2010, après le décès de Georges Frêche, que Christian Bourquin lui succède à la présidence de la région Languedoc-Roussillon. Il s’y consacrera durant quatre années, avec la passion et l’engagement total qui étaient sa caractéristique.

En tant que président de région, Christian Bourquin a défendu de nombreux projets : le TER à un euro, la gratuité des ordinateurs pour les lycéens et la création d’un « Parlement de la mer », sans oublier le vaste projet de développement du port de Port-la-Nouvelle, ni son combat en faveur de la ligne à grande vitesse Montpellier-Perpignan. Il a aussi défendu avec détermination la création du mémorial de Rivesaltes, pour rendre hommage aux réfugiés républicains espagnols et aux juifs qui y furent tour à tour internés, mais aussi aux harkis qui y furent regroupés dans les conditions que nous savons ; ce mémorial verra le jour et sera inauguré l’an prochain.

Notre collègue aimait profondément ses concitoyens ; il aimait parcourir le territoire de sa région pour y rencontrer aussi bien les professionnels que les habitants dans leur simplicité. Il déclarait il y a quelques mois : « c’est dans le contact avec les gens que je me régale et que j’apprends », « être élu, être au service du peuple, c’est ma seule activité. Je donne ma vie à la politique, j’y passe quinze heures par jour et je m’y sens à l’aise ».

En 2011, Christian Bourquin a été élu, dès le premier tour, sénateur des Pyrénées-Orientales. Durant trois ans, il a été un sénateur dynamique et respecté. Membre du groupe du Rassemblement démocratique et social européen, il a participé activement aux travaux de la commission des finances et de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, tout en assurant la présidence du groupe interparlementaire d’amitié France-Portugal.

Il apporta une contribution majeure à l’élaboration du rapport d’information sur « l’agroalimentaire français face au défi de l’exportation », rédigé en 2013 avec notre collègue Yannick Botrel et nos anciens collègues Joël Bourdin et André Ferrand. Après avoir rencontré de très nombreux entrepreneurs et opérateurs de ce secteur, Christian Bourquin et nos collègues ont formulé de nombreuses recommandations destinées à permettre à l’agriculture française et à la filière agroalimentaire de se tourner davantage vers l’exportation et de retrouver la première place en Europe.

Bien sûr, Christian Bourquin a aussi pris une part active à nos débats sur l’organisation territoriale, faisant valoir ses convictions à propos du cumul des mandats, du mode de scrutin pour les élections départementales et, tout au long de ces derniers mois, de la nouvelle carte des régions.

Alors que, monsieur le Premier ministre, le Gouvernement va remettre en perspective la réforme territoriale cet après-midi même devant le Sénat, je ne puis que faire résonner, à travers ma propre voix, celle de Christian Bourquin lui-même, qui s’exprimait ainsi le 2 juillet dernier : « Je vous affirme [...] que nous devons prendre le temps de la réflexion si nous voulons aujourd’hui engager une réforme qui vienne en aide à nos territoires. N’avez-vous donc aucune crainte que cette réforme des territoires, imposée d’en haut, ne vienne renforcer le sentiment d’incompréhension et d’abandon de nombre de nos concitoyens ? »

En vérité, mes chers collègues, la personnalité exceptionnelle de Christian Bourquin et l’action qu’il a conduite durant sa vie publique justifient que nous nous rassemblions cet après-midi pour lui rendre hommage. Tout au long de son parcours de militant, d’élu local et régional et de parlementaire, il a consacré son énergie et l’essentiel de son existence au service de ses concitoyens. Personnalité attachante, il était une figure locale un peu hors du commun – on peut le dire ; il était aussi un collègue chaleureux.

À ses collègues du groupe du Rassemblement démocratique et social européen, éprouvé par la disparition de l’un de ses membres, en particulier à Mme Hermeline Malherbe qui a la lourde charge de lui succéder, j’adresse les très sincères et amicales condoléances de notre assemblée réunie.

Aux membres de la commission des finances, qui perdent l’un des leurs, j’exprime notre sympathie.

À tous les membres de la famille de Christian Bourquin, à ses enfants, Jordi et Sophie, ainsi qu’à tous ses proches, je renouvelle les condoléances de l’ensemble des sénatrices et des sénateurs et j’exprime la part personnelle que je prends à leur peine.

La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le 26 août dernier, Christian Bourquin nous quittait – trop tôt, beaucoup trop tôt –, après avoir mené, en toute discrétion, un dernier combat. Malgré l’affaiblissement, il a assumé avec un courage qui force l’admiration – tel était l’homme ! – ses fonctions de sénateur des Pyrénées-Orientales et de président du conseil régional de Languedoc-Roussillon.

Depuis, nous le ressentons tous, Christian Bourquin manque terriblement. À sa famille et à ses proches, vers lesquels vont nos pensées. Il manque à la Haute Assemblée. Il manque à la République.

C’est avec beaucoup d’émotion que je prends la parole une nouvelle fois pour lui rendre hommage – cette fois devant vous, qui furent ses collègues. En effet, Christian Bourquin et moi-même nous connaissions depuis de très longues années. Il avait ce que l’on appelle l’amitié sincère : celle qui fait que l’on se dit les choses franchement, sans fioritures, parfois même sans mâcher ses mots. C’est le tempérament du rugbyman qui parlait : énergique, parfois emporté, mais toujours respectueux de l’autre.

Dans cet hémicycle, me reviennent avec force les images du dernier hommage que nous lui avons rendu, au tournant de l’été, dans sa petite ville de Millas, une ville aux allures si catalanes et pour laquelle il avait une affection sans limite, cette affection que vous connaissez bien : celle que peut avoir un maire pour sa commune. Là, sous les platanes, nous étions plusieurs milliers formant une foule immense, rassemblée au-delà des appartenances politiques. Dans ce matin baigné de soleil, nous nous étions donné rendez-vous pour de tristes retrouvailles. Tristes et solidaires à la fois. Ensemble, nous avons pu dire tout le respect, toute la sympathie, toute la considération que nous éprouvions pour l’élu, bien sûr, mais d’abord pour l’homme.

Christian Bourquin avait l’engagement chevillé au corps, comme vous venez de le rappeler, monsieur le président du Sénat ; son entrée en politique – jeune –, sa détermination – infaillible – et son parcours – exemplaire – l’attestent.

Dès l’âge de vingt-trois ans, il travaille à la mairie de Montpellier aux côtés de Georges Frêche, ami et mentor des premières heures ; l’ingénieur se met au service de la collectivité, sans jamais ménager son énergie.

Puis, au fil des années, l’envie de servir plus encore la collectivité se fait sentir. Il décide alors de se consacrer entièrement à la vie publique.

Sa carrière fut à son image : talentueuse, brillante, passionnée, avec toujours un attachement inné au terrain, à cette prise directe avec ses administrés, qu’il chérissait par-dessus tout. Et ils le lui rendaient bien !

Christian Bourquin aimait profondément aller à la rencontre des habitants. Il aimait intensément parcourir son département des Pyrénées-Orientales. Cet attachement charnel à la terre lui venait de ses origines paysannes. Malgré les honneurs, il est toujours resté ce fils d’agriculteurs de Saint-Féliu-d’Amont.

De son département, il connaissait les moindres routes, les moindres paysages. En randonneur averti, il avait beaucoup de joie et de plaisir à gravir les pentes du Canigou, à se sentir au cœur des éléments, face à la beauté et à l’immensité apaisante de la nature.

Grand marcheur, tenace, opiniâtre même, Christian Bourquin était un homme de convictions, et donc un homme de batailles.

D’abord de batailles verbales : j’en ai eues quelques-unes avec lui, et je ne suis pas le seul ici... Nous n’étions pas toujours d’accord sur tout, et je garde le souvenir d’un contradicteur redoutable, car animé de convictions sincères.

Ses batailles furent aussi électorales. Comme d’autres, il connut les soirs de défaites – les soirs de victoires aussi. D’abord conseiller général du canton de Millas, il devient le maire de cette commune en 1995. Trois ans plus tard, il prend la présidence du conseil général des Pyrénées-Orientales. Élu conseiller régional de Languedoc-Roussillon en 2004, il accède alors à la première vice-présidence. En 2010, après le décès de Georges Frêche, il assume les responsabilités de président.

Son engagement local, Christian Bourquin le complète par un engagement national, comme député en 1997, puis sénateur en 2011. Les contraintes parlementaires ne l’ont jamais éloigné de cette terre du Sud où il se sentait si bien. Il considérait qu’appartenir à la représentation nationale, c’était aussi prendre soin des territoires, notamment ceux qui se sentent oubliés. Christian Bourquin s’acquittait de cette responsabilité avec intransigeance et panache, avec une constance qui l’honorait.

Dans sa vie politique, comme dans sa vie personnelle – si tant est qu’il y ait une différence –, Christian Bourquin portait en lui la République et la Catalogne.

La République, d’abord. Humaniste, Christian Bourquin cultivait les vertus cardinales de lucidité, de sensibilité, de mérite, de détermination au service de ses concitoyens. Il était intransigeant sur ce qui rassemble les républicains, c'est-à-dire la laïcité.

La Catalogne, toujours. Il fut un fervent défenseur de sa terre catalane, de son identité, mais toujours dans le respect des principes républicains.

À la tête de la région Languedoc-Roussillon, il fit vivre les valeurs de solidarité et de laïcité qui étaient les siennes. Homme de progrès et de projets, il avait bien compris ce que le développement économique et social de sa région pouvait retenir de son ouverture vers la Méditerranée.

Catalan de cœur, républicain dans l’âme, tel était Christian Bourquin, entier et attachant.

Au nom du Gouvernement et en mon nom personnel, j’adresse à sa compagne, à sa famille, à ses amis, à ses proches, à ses collaborateurs, à ses collègues sénateurs, notamment à ceux du groupe du RDSE auquel il appartenait – c'était la marque de son indépendance – et aussi au groupe socialiste, qui restait sa famille, tout mon soutien.

L’écho de la voix de Christian Bourquin, de ce bel accent de la République, a quitté ces murs, mais le souvenir, l’affection ne nous quitteront jamais.

M. le président. Monsieur le Premier ministre, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, je vous invite maintenant à partager un moment de recueillement à la mémoire de Christian Bourquin. (Mmes et MM. les sénateurs ainsi que les membres du Gouvernement observent une minute de silence.)

Mes chers collègues, conformément à notre tradition, en signe d’hommage à Christian Bourquin, nous allons interrompre nos travaux pendant quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures trente-cinq, est reprise à dix-sept heures.)

M. le président. La séance est reprise.

3

Dépôt de rapports

M. le président. J’ai reçu de M. le Premier ministre le rapport évaluant la mise en œuvre de la franchise sur les médicaments, les actes des auxiliaires médicaux et les transports sanitaires ; le rapport sur le financement des établissements de santé ; le rapport d’activité 2013 du fonds d’intervention régional ; le rapport du fonds de modernisation des établissements de santé publics et privés ; enfin, le rapport sur la réforme du modèle de financement des établissements de santé, établi en application de l’article 41 de la loi n° 2013-1203 du 23 décembre 2013 de financement de la sécurité sociale pour 2014.

Acte est donné du dépôt de ces rapports.

Ils ont été transmis à la commission des affaires sociales.

4

Dépôt d'un document

M. le président. J’ai reçu de M. le Premier ministre la convention entre l’État et l’établissement public industriel et commercial BPI Groupe relative au programme d’investissements d’avenir, action « Projets industriels d’avenir ».

Acte est donné du dépôt de ce document.

Il a été transmis à la commission des finances ainsi qu’à la commission des affaires économiques.

5

Décision du Conseil constitutionnel sur une question prioritaire de constitutionnalité

M. le président. Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date du vendredi 24 octobre 2014, une décision du Conseil relative à une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la Cour de discipline budgétaire et financière (n° 2014-423 QPC).

Acte est donné de cette communication.

6

Réforme territoriale

Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat

M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution, sur la réforme territoriale.

La parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, mesdames, messieurs les ministres, notre pays, face à la mondialisation, doit se réformer, pour relever les défis de la compétitivité et de la solidarité, renforcer son économie et moderniser sa puissance publique.

Réformer notre pays, c’est bien la mission que m’a confiée le Président de la République. Mais on ne réforme jamais seul. Réformer implique de dialoguer, d’expliquer, pour que les objectifs soient partagés par tous, ou en tout cas par le plus grand nombre.

Mesdames, messieurs les sénateurs, il était important pour moi, alors que reprennent aujourd’hui vos travaux sur la réforme territoriale, de m’exprimer dans cet hémicycle. Je vous remercie donc, monsieur le président Gérard Larcher, de votre invitation. Elle me permet de vous exposer le sens de la réforme et sa cohérence.

Souvenons-nous qu’il y a plus de trente ans le Président François Mitterrand affirmait : « La France a eu besoin d’un pouvoir fort et centralisé pour se faire ; elle a aujourd'hui besoin d’un pouvoir décentralisé pour ne pas se défaire. » Ces mots n’ont rien perdu de leur force ni de leur pertinence.

La décentralisation, ce n’est pas qu’une démarche administrative, ce n’est pas uniquement un dispositif institutionnel. C’est un souffle, un élan, pour l’unité de la République, sa cohésion et l’efficacité de son action.

Pour être plus forte, la République a besoin de renforcer ses territoires.

Dès mon premier discours de politique générale et ici, devant vous, j’ai fait de la réforme territoriale une priorité. Une priorité pour notre pays, pour répondre à ses attentes, aux défis qui se présentent à lui. Le 3 juin dernier, dans une tribune publiée par la presse quotidienne régionale, le Président de la République en a fixé les ambitions.

La France d’aujourd’hui, c’est un pays qui, en trente ans, a gagné dix millions d’habitants. Ce dynamisme démographique est une force que nous devons prendre en compte dans l’organisation, dans l’aménagement de notre territoire. Les trois quarts de la population se concentrent sur 20 % de l’espace : le fait métropolitain n’est pas un fantasme de géographe, c’est la réalité quotidienne de dizaines de millions de Français.

La France d’aujourd’hui, c’est un pays dont les frontières anciennes entre villes et campagnes s’estompent chaque jour davantage. Ainsi, 95 % de nos concitoyens vivent dans des territoires que l’on dit « sous influence urbaine ». Mais ces aires urbaines se diversifient, se complexifient.

La France d’aujourd’hui, ce sont également de nouvelles inégalités territoriales et aussi des fractures, parfois anciennes, qui se sont aggravées.

Je parcours, comme vous, notre pays. J’en connais la beauté et la diversité. J’en perçois aussi les angoisses, les détresses. J’ai parlé à ces habitants des zones aux marges des grandes villes qui s’inquiètent devant la disparition des services publics : la poste, les classes des écoles qui ferment, la brigade de gendarmerie menacée. J’ai aussi échangé, comme vous, avec ces jeunes qui doivent quitter leur village, la petite ville où ils sont nés, où ils ont leurs attaches, parce qu’ils se disent, ou parce qu’on leur dit, que leur avenir n’est plus là. J’ai rencontré, comme vous, ces ouvriers, ces employés qui voient leur usine fermer, parce que l’outil de production est restructuré, délocalisé. J’ai enfin dialogué avec ces agriculteurs, qui, malgré leurs efforts quotidiens, doutent de la pérennité de leur exploitation.

Tous ces témoignages, parmi bien d’autres, viennent souligner ce risque croissant d’une dualité du territoire national.

Dualité, avec, d’un côté, les grandes villes, les métropoles, insérées dans la mondialisation, qui connaissent un vrai dynamisme économique. Il ne faut pas le nier, et même plutôt s’en féliciter, pour en saisir toutes les opportunités, qui doivent profiter à tous. Le législateur en a d’ailleurs tiré les conséquences en 2013, en consacrant le rôle des métropoles, en affirmant aussi la solidarité qui doit exister entre elles et leurs périphéries.

La dualité, c’est, à l’opposé des métropoles, des territoires qui se sentent à l’écart et subissent de plein fouet les effets de la mondialisation, les conséquences de la crise économique et sociale. Ces territoires sont fragilisés. Ils pensent être oubliés, abandonnés par la puissance publique. Ils ont le sentiment que le lien qui les unit à la République s’effrite jour après jour.

Ce qui est remis en cause, c’est la promesse républicaine : offrir les mêmes opportunités que l’on vive au cœur d’une métropole, en banlieue, dans une commune périurbaine, en montagne ou dans les outre-mer.

Ces fractures territoriales, ce sont aussi des fractures scolaires. Elles se sont accrues ces quinze dernières années. Les difficultés scolaires se concentrent dans certains établissements, dans les quartiers défavorisés et dans les territoires ruraux. Nous avons donc décidé, depuis cette rentrée, de relancer l’éducation prioritaire.

Je salue l’expérimentation en cours dans les départements du Cantal et des Hautes-Pyrénées. Les élus locaux et les services de l’éducation nationale innovent pour réorganiser le maillage scolaire. Avec les moyens dégagés, ils développent des dispositifs pédagogiques comme l’accueil des moins de trois ans ou le dispositif « plus de maîtres que de classes ». C’est là un bel exemple d’intelligence collective et de pragmatisme.

Mesdames, messieurs les sénateurs, toutes ces fractures, vous les connaissez aussi bien que moi. Mais apporter des réponses adaptées nécessite une analyse fine, approfondie. C’est le premier objectif des Assises des ruralités engagées avec la ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité, Sylvia Pinel. Il n’y aurait en effet rien de pire que des réponses identiques à des situations si diverses.

La réforme de l’État territorial, qui est tout aussi fondamentale et complémentaire, engagée par le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, poursuit aussi cet objectif : un État plus réactif, qui s’adapte aux besoins des territoires et aux attentes des élus locaux. Nous devons réaffirmer la présence et le rôle de l’État, notamment dans les départements, là où les citoyens en ont le plus besoin.

Dans un monde qui bouge si vite, l’immobilisme, le statu quo, l’absence de courage seraient pour notre pays des choix lourds de conséquences : des territoires sans moyens pour construire leur avenir, des élus locaux démunis face aux attentes de nos concitoyens.

Pierre Mauroy, qui a joué un rôle si important en matière de décentralisation, avait vu juste : « Aucune organisation politique ne peut s’abstraire des conditions de son époque. » Et le cadre dans lequel la France évolue a été profondément bouleversé : accélération de la mondialisation, élargissement de l’Union européenne, mobilité croissante des Français. De nouveaux équilibres, mais aussi de nouveaux déséquilibres se dégagent.

Soyons lucides : notre organisation territoriale actuelle peine à faire face à tout cela. Elle doit donc évoluer.

Le premier objectif de cette réforme, c’est de renforcer tous les territoires. Il s’agit de doter les plus dynamiques des compétences nécessaires pour poursuivre leur développement économique, tout en veillant à ce que les territoires fragilisés ne soient ni abandonnés à leur sort ni privés de chances de développement.

Le second objectif, c’est de redonner du sens à une action publique devenue souvent illisible. Les doublons concernent aussi l’action de l’État et des collectivités locales. Oui, la clarification est l’objectif, monsieur le président Retailleau ! Clarté, efficacité, baisse de la dépense publique, proximité : voilà ce que nos concitoyens attendent de leurs institutions.

M. Jean-François Husson. Pour l’instant, c’est le brouillard !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Sortons des caricatures ! Contrairement à ce que j’ai pu lire ou entendre, cette réforme n’a pas pour but d’affaiblir les pouvoirs locaux ou de remettre en cause l’action des élus. Au contraire, elle est une preuve de confiance renouvelée dans leur capacité d’agir pour l’intérêt général et le renforcement de l’efficacité de nos services publics.

Cette confiance fait aujourd'hui l’objet d’un consensus national, qui n’existait pas en 1982 et en 1983. Elle a été portée par Gaston Defferre, Pierre Joxe et Jean-Pierre Chevènement. Une confiance qui, grâce au Président Jacques Chirac et à son Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, figure dans notre Constitution. La République est désormais « décentralisée », au même titre qu’elle est laïque, indivisible, démocratique et sociale. On peut regretter que, depuis 2007, aucune avancée n’ait eu lieu en matière de décentralisation. En effet, le projet du conseiller territorial n’en était pas une. Il n’apportait aucune réponse réelle…

M. Alain Joyandet. C’est faux !

M. Manuel Valls, Premier ministre. … et utile aux enjeux de nos territoires. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Gérard Longuet. C’est votre point de vue !

M. Manuel Valls, Premier ministre. La décentralisation, c’est donc un fondement de la France et le renforcement de sa démocratie.

Depuis trente ans, les politiques menées par les communes, les départements et les régions ont façonné nos paysages, modernisé les modes de transport et les équipements. Elles ont renforcé la solidarité, facilité l’accès du plus grand nombre à la culture, au sport, à l’éducation et, plus récemment, au numérique.

Plus encore, la décentralisation a permis d’approfondir notre démocratie locale, de renforcer le lien de proximité et de confiance qui doit exister entre les citoyens et leurs représentants. Ce mouvement doit bien sûr se poursuivre. C’est le sens des textes sur le non-cumul, et nous avons eu ici même de beaux débats... C’est là une évolution majeure de nos pratiques politiques et une attente forte des Français, qui veulent des élus se consacrant pleinement à leur mandat. C’est le sens également des avancées en matière de parité que j’ai portées devant vous.

D’ores et déjà, soyons conscients de tout ce qui a été accompli. Soyons conscients des évolutions que nous avons su mener ensemble et soyons certains, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’aucun retour en arrière sur ces deux sujets – non-cumul et parité – ne sera possible. C’est ma conviction, et je suis certain qu’elle est partagée par le plus grand nombre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

La France est une et indivisible, mais la vision d’une France uniforme avec des territoires identiques est dépassée. La carte administrative de la France doit donc tenir compte des spécificités locales. C’est du bon sens ! Un territoire rural, par exemple, ne fait face ni aux mêmes réalités ni aux mêmes défis qu’une métropole. C’est pourquoi je me suis engagé auprès des élus de montagne, des élus des territoires ruraux – je reviendrai sur ce point – à adapter la réforme territoriale aux spécificités de leurs territoires.

M. Michel Bouvard. Très bien !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Je veux que nous soyons pragmatiques et que nous fassions confiance aux acteurs locaux. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste.)

Mesdames, messieurs les sénateurs, une France qui change nécessite que notre organisation territoriale évolue. Les états généraux de la démocratie territoriale, portés par votre prédécesseur, monsieur le président, furent une belle initiative pour lancer un mouvement. (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste. – Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Alain Fouché. Mascarade !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Reconnaissons-le, face aux attentes multiples, parfois contradictoires, nous avons trop longtemps hésité quant à la direction que nous devions prendre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Puis, finalement, nous avons fait le choix de commencer par les métropoles, au travers d’un texte porté par votre collègue Vandierendonck.

Au 1er janvier prochain, onze métropoles seront créées, à Lyon, Bordeaux, Toulouse, Nantes, Brest, Rennes, Lille, Rouen, Grenoble, Strasbourg et Montpellier. Celle de Nice existe déjà. Elles auront des compétences accrues en matière d’aménagement, d’innovation et de développement économique. Mais elles devront aussi renforcer les solidarités et en créer de nouvelles. Le rôle de nos métropoles sera pleinement atteint si elles réussissent à concilier rayonnement, aux niveaux européen et mondial, proximité et cohésion sociale sur leur territoire.

S’agissant du Grand Paris, il était essentiel que la région capitale franchisse une nouvelle étape. Dès 2016, l’émergence de la métropole et le renforcement des intercommunalités en grande couronne permettront de renforcer – c’est un élément essentiel – l’attractivité et le rayonnement international de notre pays. Le Grand Paris, c’est une grande ambition pour la France. La métropole parisienne doit donc disposer d’un véritable projet global. Le Gouvernement y travaille avec les élus locaux. Les élus locaux eux-mêmes avancent dans le consensus, ce qui est une bonne chose. Nous devrons adapter le dispositif législatif aux enjeux de la première métropole française. Je suis favorable – je l’ai dit – à la modification de l’article 12 de la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, tant que la simplification institutionnelle et la solidarité territoriale demeurent l’objectif. Je ne doute pas que nous pourrons atteindre ce but.

La métropole d’Aix-Marseille-Provence doit également voir le jour en 2016. La construction de cette grande métropole du sud, de cette porte ouverte vers la Méditerranée, est un enjeu essentiel. Le Gouvernement dialogue avec tous les élus. Nous vous écoutons, nous écoutons notamment le sénateur-maire Jean-Claude Gaudin, pour construire le cadre institutionnel adapté et bâtir un projet urbain de qualité. Je sais combien les habitants l’attendent, et je sais combien notre responsabilité collective est d’aider et de soutenir la deuxième ville de France.

Je veux enfin saluer le travail exemplaire mené par le conseil général du Rhône et la future métropole de Lyon, sous l’impulsion de vos collègues Gérard Collomb et Michel Mercier. La création de cette métropole doit permettre des simplifications dès le 1er janvier 2015 et des synergies importantes, en particulier en matière d’aménagement, de logement et de politiques sociales.

Après les métropoles, l’étape engagée depuis avril doit permettre de renforcer les régions en faisant notamment émerger de façon harmonieuse le « couple » région-métropole et de clarifier les compétences des différents niveaux de collectivités.

Votre assemblée examine dès ce soir, en deuxième lecture, le projet de loi sur la carte des régions. Il a été voté – cela n’aura échappé à personne – par une large majorité, et ce dès la première lecture à l’Assemblée nationale. Cette nouvelle carte semblait pour beaucoup impossible à tracer. Beaucoup y ont renoncé par le passé. Eh bien, dans quelques semaines, elle sera une réalité !

Mme Sophie Primas. Pour quoi faire ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. Comme nous en sommes convenus, monsieur le président, le projet de loi sur les compétences sera débattu à partir du mois de décembre. Il sera présenté par Mme Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique, et par M. Vallini, secrétaire d'État chargé de la réforme territoriale.

La nouvelle organisation territoriale, ce sont tout d’abord des territoires plus forts, capables de préparer l’avenir. C’est la mission des régions, qui devront bénéficier de leviers puissants, de leviers stratégiques, pour préparer leur avenir et celui de notre pays.

L’avenir en matière d’éducation, de formation professionnelle et d’orientation, au service de notre jeunesse.

L’avenir en matière de transports et de mobilités. C’est essentiel pour la promotion d’un modèle de développement orienté vers la transition énergétique et écologique.

L’avenir, aussi, en matière d’aménagement du territoire. Les régions doivent devenir les garantes d’un développement équilibré et de la redistribution des richesses. Appartenir à des régions fortes, ce sera ainsi une chance pour les territoires les plus fragiles. C’est en tout cas leur défi.

L’avenir, enfin, bien sûr, en matière de développement économique et d’accompagnement des entreprises. Je suis favorable à de nouveaux transferts de compétences de l’État vers les régions en matière de développement économique (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Avec quels moyens ?

M. Bruno Sido. Et les départements ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. … et à l’expérimentation en matière d’accompagnement vers l’emploi. La revue des missions de l’État engagée par Bernard Cazeneuve et Thierry Mandon doit nous y aider.

La réorganisation de toutes les compétences que je viens d’évoquer instaure donc aussi une relation nouvelle entre l’État et les régions. C’est ce que j’ai souligné devant le congrès de l’Association des régions de France. Elle crée la nécessité d’un dialogue permanent sur les grandes stratégies économiques et d’aménagement du territoire. Pour bâtir ensemble cette nouvelle relation, j’ai proposé que le Gouvernement et l’ensemble des présidents de région se réunissent régulièrement.

Des régions regroupées, c’est aussi un territoire national plus équilibré.

La commission spéciale du Sénat a proposé une nouvelle carte des régions. Je me réjouis que les sénateurs se saisissent pleinement de ce texte. J’ai déjà eu l’occasion de le dire au président Larcher : le Gouvernement sera très attentif à l’évolution des débats. Ils sont parfois vifs. Je pense par exemple à celui sur l’avenir de l’Alsace, dont je connais et nous connaissons tous la place dans notre histoire nationale et dans la République. J’ai reçu encore il y a quelques jours les parlementaires, ainsi que les présidents de la région et des deux conseils généraux. Mais nous avons besoin de clarté et, à mon sens, la carte votée à l’Assemblée nationale a ce mérite. Je vous laisse bien sûr en débattre. En tout état de cause, douze régions hexagonales – c’est le but que nous nous sommes fixé –, quel changement et quelle réforme !

À tous ceux qui disent que cette réforme territoriale n’apporte pas un changement, je leur demande de regarder les choses en face, de voir en combien de temps nous avons réussi cette réforme et quels sont les changements que cette nouvelle carte des régions apportera à notre pays. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste. – Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.)

Assurer le développement de notre pays, c’est renforcer l’efficacité de l’action publique. C’est aussi veiller à sa proximité. C’est renforcer un second « couple » : commune-intercommunalité.

Les politiques publiques, que ce soit en matière de politiques sociales, de vie quotidienne, de culture, de sport doivent être élaborées au plus près des citoyens. Ceux d’entre nous qui ont été maire ou élu local savent combien les Français sont attachés à leur commune, à cette institution du quotidien, mais aussi à leurs élus. Le maire, c’est bien souvent le seul visage de la République dans une petite commune. Le maire, c’est souvent le seul responsable public dans lequel beaucoup de nos concitoyens se reconnaissent.

M. Ladislas Poniatowski. Vous voulez lui faire la peau !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Les conseillers municipaux et, aujourd’hui, les conseillers communautaires, ce sont ces milliers de femmes et d’hommes, engagés et généreux, bénévoles ou quasi bénévoles pour la plupart, qui constituent le socle de notre vie politique.

Lors des obsèques de Christian Bourquin, à Millas, dans son pays catalan, j’ai eu l’occasion de rappeler devant une foule nombreuse que ces élus, notamment les maires, doivent être davantage respectés par leurs concitoyens, tant ils leur donnent. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Exclamations sur les travées de l'UMP.)

C’est aussi cela la charpente institutionnelle de notre pays. Elle évolue, et elle le fait dans le dialogue.

Les propositions de loi portées par les députés Jacques Pélissard, président de l’Association des maires de France, et Christine Pires Beaune – un parlementaire de l’opposition, une parlementaire de la majorité – sur les communes nouvelles, qui ont, je le sais, votre soutien, monsieur le sénateur François Baroin, visent à rendre les communes plus fortes. Elles seront examinées à l’Assemblée nationale cette semaine et, je l’espère, rapidement au Sénat.

Des communes plus fortes, ce sont aussi des communes qui savent travailler ensemble. Construire une intercommunalité – j’ai été président d’une intercommunalité dont le périmètre s’est élargi –, c’est donc une chance pour mieux gérer, pour mutualiser, pour créer des projets de territoire, en somme, pour voir plus grand ensemble. L’intercommunalité, c’est aussi ce lieu où, bien souvent, l’intérêt général prime, où les élus dépassent les clivages locaux ou partisans. Ceux qui s’invectivent, qui s’interrompent dans un débat au Sénat ou à l’Assemblée nationale sont les mêmes qui, dans leur intercommunalité, votent ensemble des projets, pour l’intérêt général. C’est cette France qui sait travailler pour l’intérêt général qui est attendue par les Français, et non pas celle des invectives dans les hémicycles. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Nous devons approfondir le processus intercommunal – je suis sûr que nous pouvons tous nous mettre d’accord sur ce point – et penser les politiques à l’échelle des bassins de vie, et ce sur tout le territoire.

Dans de nombreux endroits, le seuil de 20 000 habitants apparaîtra de fait comme un minimum (Vives exclamations sur les travées de l'UMP.) et sera largement dépassé.

M. Jérôme Bignon. Ce n’est pas la France !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Dans d’autres, je l’ai dit, il faudra l’adapter et tenir compte du nombre de communes, mais aussi de la densité, de la topographie. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste. – Exclamations sur les travées de l’UMP)

Au lieu de vous exclamer, vous devriez plutôt m’écouter,…

M. Didier Guillaume. Oui, écoutez !

M. Manuel Valls, Premier ministre. … d’autant que je vais vous surprendre.

Comme je l’ai indiqué à la convention de l’intercommunalité, à Lille, et devant les élus de montagne, à Chambéry – parmi ceux qui crient, il s’en trouve même qui ont approuvé et applaudi –, nous pourrions donner aux commissions départementales et aux préfets de département un pouvoir de modulation du seuil. ((Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste. – Exclamations sur plusieurs travées de l'UMP.) Je serai attentif aux propositions du Sénat sur les dérogations à apporter.

Mesdames, messieurs les sénateurs, les périmètres des intercommunalités doivent se rapprocher des espaces vécus.

M. Didier Guillaume. Très bien !

M. Manuel Valls, Premier ministre. C’est le moyen le plus efficace pour permettre un égal accès aux services publics locaux. Dans un contexte de vigilance quant à la dépense publique, ce développement des EPCI mettra fin au « vrai » millefeuille territorial, dont on ne parle pas assez, celui des 13 400 syndicats intercommunaux. (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste.) Ces syndicats, je vous le rappelle, ce sont 17 milliards d’euros de budget, dont 9 milliards d’euros en fonctionnement. Dans un souci d’économie, leur nombre devra être fortement réduit, comme nous y incite le rapport d’Alain Lambert et de Martin Malvy. Leurs compétences devront aussi évidemment être transférées aux intercommunalités. Et je partage l’attachement du président Didier Guillaume à cette dynamique !

Avec l’élection des conseillers communautaires par fléchage – le même jour et par le même vote que les conseillers municipaux –, l’intercommunalité a enfin trouvé, progressivement, la légitimité démocratique qui lui manquait.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Cette démocratie intercommunale, nous devrons sans doute encore l’approfondir.

Mme Nicole Bricq. Très bien !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Mais, sur ces questions, il faut du temps. Nous devrons aussi toujours garder à l’esprit que la gouvernance intercommunale, pour être efficace, doit reposer sur l’accord de chacun. Je sais que c’est l’objectif de la proposition de loi de vos collègues Jean-Pierre Sueur et Alain Richard. Vous l’avez adoptée la semaine dernière. Ce texte doit aboutir rapidement et sera donc inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale avant la fin de l’année, ainsi que je m’y étais engagé.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Entre de grandes régions stratèges et le couple commune-intercommunalité, il faut des échelons intermédiaires pour assurer les solidarités sociales et territoriales. (Ah ! sur les travées de l'UMP.)

M. Bruno Sido. Le département !

M. Manuel Valls, Premier ministre. J’en ai conscience et je n’ai cessé de le dire – encore vendredi à la délégation de présidents de conseil général que j’ai reçue à Matignon, et je me rendrai au congrès de l’Assemblée des départements de France qui se tiendra à Pau, dans quelques jours – : le rôle des conseils départementaux en matière de protection des populations les plus fragiles et de soutien aux communes est bien sûr indispensable.

J’ai écouté les parlementaires, les associations d’élus et les élus des départements, les formations politiques aussi, et vous connaissez le dialogue que j’ai eu avec Jean-Michel Baylet (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.) et les radicaux de gauche, cher Jacques Mézard : les assemblées départementales, qui seront désignées lors des élections des 22 et 29 mars 2015, exerceront pleinement leurs compétences de solidarité, si importantes pour nos concitoyens. Et je veux saluer à ce titre l’engagement des personnels des départements.

Lors de cette phase de transition – je veux être très clair –, la collectivité départementale pourra même être confortée sur ces compétences de solidarités territoriale et humaine, par exemple en matière d’ingénierie territoriale et d’accès aux services au public.

M. Bruno Sido. Très bien !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Après 2020, le paysage territorial aura évolué. Les régions se seront approprié leurs nouvelles compétences ; les intercommunalités structureront, plus encore qu’aujourd’hui, les territoires. Alors, peut-être, le cadre départemental pourra évoluer. Là où il y a des métropoles – je vous ai lus –, c’est évident. Je note qu’il y a un consensus sur ce point. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

D’autres initiatives bienvenues, cher Didier Guillaume – mais il en est d’autres dans cette assemblée – voient le jour, avec des rapprochements en cours entre conseils départementaux ou une meilleure coordination des intercommunalités. C’est un mouvement de réforme que le Gouvernement entend construire avec les territoires pour permettre à chacun de trouver la forme d’organisation qui lui convient le mieux. Et cela prend nécessairement du temps !

L’histoire de la construction intercommunale, finalement très récente, le montre bien. Nous avons donc cinq ans pour préparer sereinement les évolutions, pour donner aux élus de nouvelles opportunités d’adapter les organisations à la diversité des situations. Faisons confiance aux initiatives locales ! Je compte, quant à moi, sur le Parlement et, en tout cas, sur le Sénat pour faire avancer les choses.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la grandeur de la France, c’est la grandeur des territoires.

Il y a bien sûr la question des institutions. Je viens de l’aborder. Il y a également la question des moyens. Là aussi, j’entends vos interrogations, vos remarques. Aussi, je tiens à le redire : l’effort de redressement de nos comptes publics incombe à tous. Les collectivités doivent et devront y prendre leur part. Cependant, cette politique de sérieux budgétaire, nous devons la mener en maintenant nos priorités. Parmi ces priorités, il y a bien sûr l’investissement.

Des propositions ont été formulées par les députés dans le cadre du projet de loi de finances. Je pense, par exemple, à la hausse du taux du Fonds de compensation de la TVA. L’investissement local, c’est aussi la contractualisation avec les territoires. Je sais que vous êtes, toutes et tous, vigilants aux discussions en cours sur les contrats de plan. Ceux-ci mobiliseront 12 milliards d’euros pour les transports, l’enseignement supérieur et la recherche ainsi que la transition énergétique. Pour que les régions disposent des capacités à investir, elles devront être dotées d’une fiscalité économique, dynamique et adaptée à leurs missions.

Les capacités financières des territoires, c’est aussi l’effort de péréquation.

M. Michel Bouvard. Oh là là !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Nous avons décidé de le poursuivre. La réforme de la dotation globale de fonctionnement devra rapprocher les moyens du monde rural avec ceux des territoires urbains. Je proposerai de confier à deux parlementaires, l’un de la majorité, l’autre de l’opposition, une mission sur le sujet.

Les moyens des territoires, enfin, ce sont ceux pour l’école. Les maires, dans leur immense majorité, se sont mobilisés pour la réussite de la réforme des rythmes scolaires. (Vives exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Alain Fouché. Spontanément…

M. Roger Karoutchi. Et ils étaient contents…

M. Manuel Valls, Premier ministre. Grâce à eux – je veux les en remercier –, de nouvelles activités sont offertes aux enfants.

M. Didier Guillaume. Eh oui, pensez aux jeunes !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Des parlementaires de tous bords, des élus locaux et leurs associations ont demandé que le soutien apporté aux communes soit poursuivi pour des accueils périscolaires de qualité. Des amendements ont été déposés ce matin à l’Assemblée nationale par les groupes SRC et RRDP. Le Gouvernement, avec la ministre de l’éducation nationale, les soutiendra : le fonds d’amorçage pour les rythmes scolaires sera donc maintenu à son niveau actuel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Les parlementaires proposent d’ajouter qu’un projet éducatif territorial s’assure de la qualité des activités. Ce dispositif devra être mis en œuvre avec souplesse, en tenant compte des situations locales. Et les services de l’État seront mobilisés pour accompagner les communes.

M. Jean-Claude Lenoir. Ce n’est pas gagné !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Comme j’ai eu l’occasion de l’indiquer ici même, dans cet hémicycle, au ministre François Baroin, je reste à la disposition des maires de France pour avancer sur la question des finances locales et du financement de cette réforme concernant les rythmes scolaires.

Mesdames, messieurs les sénateurs, cette réforme territoriale marquera une étape. Le dynamisme de nos communes, de nos intercommunalités, de nos départements, de nos régions doit bénéficier d’un cadre renouvelé. Nous le savons bien. Les Français, qui soutiennent largement cette réforme, le savent aussi.

Aussi, je souhaiterais conclure sur la méthode et, si vous me le permettez, sur le rôle du Sénat, en partant de la Constitution.

Le Sénat examine le premier les projets relatifs aux collectivités locales, mais, sur ces sujets aussi, c’est l’Assemblée nationale qui a le dernier mot.

M. Bruno Sido. Ce n’est pas normal !

M. Éric Doligé. Il faut dissoudre !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Si chacun joue son rôle, Sénat, Assemblée nationale et Gouvernement, nous pouvons faire de cet équilibre une chance pour la réforme, et non pas un affrontement. Moi, je tiens compte de ce que disent les élus locaux. (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.) Je tiendrai compte de ce que dira le Sénat. (Ah ! sur les travées de l'UMP.)

M. Éric Doligé. On l’espère !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Chacun doit tenir compte de la force de sa propre majorité, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, mais l’état d’esprit qui est le mien pour y arriver doit être l’état d’esprit de chacun. Lors de la première lecture du projet de loi sur les régions, une majorité de circonstance a choisi de ne pas rentrer dans le fond du texte et de ne pas formuler de vraies propositions. L’Assemblée nationale, elle, s’est saisie du projet du Gouvernement et l’a amendé de manière significative. Aujourd’hui, la deuxième lecture offre au Sénat la possibilité de jouer pleinement son rôle de législateur.

Vous le savez, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement veut croire dans ce dialogue. Nous ne serons pas d’accord sur tout, mais toutes vos propositions seront examinées, et je sais que vous avez la possibilité de faire bouger les lignes dans l’intérêt de la décentralisation, dans l’intérêt des collectivités locales et dans l’intérêt des Français. Ce que nous sommes capables de faire ensemble, les uns et les autres, en particulier dans nos intercommunalités, pour promouvoir et développer nos territoires, je suis certain que le Sénat, l’Assemblée nationale et le Gouvernement peuvent le faire pour aboutir à une réforme juste, efficace et intelligente.

Ai-je besoin de rappeler que les débats que nous avons, que nous allons reprendre, traversent toutes nos formations politiques ?

Chacun a en tête les débats et les étapes de tous les grands textes de décentralisation depuis 1982. Certains ici, qui s’opposaient avec la plus grande virulence aux grandes lois de décentralisation de François Mitterrand, Pierre Mauroy et Gaston Defferre, en sont aujourd’hui les plus ardents défenseurs. Donnons-nous rendez-vous dans quelques années... (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Chacun sait que tout ce qui a tenu, tout ce qui a perduré – c’est considérable ! – le doit à une raison : la réponse à l’intérêt général. C’est dans cette voie que je veux m’inscrire. Par-delà les convictions, par-delà les itinéraires, par-delà les oppositions, je ne doute pas que vous serez animés par un esprit de responsabilité et par un amour partagé de notre pays. Alors, avançons, proposons, réformons ! Moi, sur les régions, sur l’intercommunalité, sur les départements, sur les compétences, je suis convaincu que nous pouvons le faire. Je veux donc faire avec vous le pari de la confiance. Ce pari, si nous sommes tous à la hauteur de nos responsabilités, nous pouvons le gagner ! (Applaudissements prolongés sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur quelques travées du RDSE.)

M. Ladislas Poniatowski. Personne ne se lève ? (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. le président. Acte est donné de la déclaration du Gouvernement

Dans le débat, la parole est à M. Jacques Mézard, pour le groupe du RDSE.

M. Jacques Mézard. Monsieur le Premier ministre, je tiens en premier lieu à vous remercier au nom de mon groupe d’avoir participé à l’éloge que vient de rendre le Sénat à notre regretté collègue et ami Christian Bourquin.

Le plus bel hommage que nous pouvons rendre au président Bourquin, c’est, en nous souvenant du combat qu’il menait encore ici même en juillet lors des questions d’actualité et dans sa chère région, de voter le rejet de la fusion de Languedoc-Roussillon avec Midi-Pyrénées. Tout ce qu’il a exprimé avec tant de conviction et tant d’arguments économiques, géographiques, historiques, nous le partageons. Nous savons que Montpellier et Toulouse sont deux capitales régionales construites par de nombreux siècles, beaucoup de souffrances mais aussi d’expériences, et que l’une ne saurait effacer l’autre.

Lors de la réunion de la commission spéciale il y a quelques jours, le Sénat a entendu le message du président Bourquin et de la quasi-unanimité de son conseil régional. Il vous appartient d’entendre le message du Sénat et de restaurer le Languedoc-Roussillon dans sa plénitude.

Vous nous avez dit – j’ai entendu votre discours avec intérêt – qu’il fallait que nous travaillions ensemble pour améliorer ce texte. Je regrette donc qu’il y ait quelques minutes à peine, le Gouvernement ait déposé un amendement, que j’ai ici, visant à revenir strictement à la carte des régions votée par l’Assemblée nationale. (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.)

M. Alain Gournac. Le Gouvernement est à l’écoute…

M. Jacques Mézard. Cela limite tout de même considérablement la possibilité de dialogue et de débat.

M. Jacques Mézard. « Réformer », il n’est de gouvernement ou de candidat à la gouvernance qui n’use et n’abuse de ce verbe, dont le dictionnaire, mes chers collègues, donne une définition que nous pourrions méditer : « Rétablir dans sa forme primitive une règle qui s’est corrompue ». (Sourires.)

En fait, les mutations technologiques, sociologiques, économiques que nos sociétés connaissent ces dernières décennies imposent des évolutions législatives plus rapides dans de nombreux domaines. Nous en sommes les premiers convaincus. De là à modifier l’architecture des collectivités locales et les systèmes électoraux après chaque alternance – donc, tous les cinq ans – il y a un fossé... Pour nous, une réforme n’a de sens que si elle améliore la situation existante. Est-ce le cas de la réforme territoriale que vous nous proposez, monsieur le Premier ministre ? Nous ne le croyons pas, et chaque semaine qui passe nous confirme dans cette appréciation.

Manifestement, les gouvernements successifs ne font pas confiance à l’intelligence territoriale : le rapport Belot ne prévoyait aucunement le conseiller territorial ; le rapport Raffarin-Krattinger ne pouvait sérieusement être le précurseur des deux projets de loi validés le 19 juin dernier par le conseil des ministres.

Depuis deux ans, et plus d’ailleurs, quel salmigondis de textes mal préparés, parfois contradictoires ! L’exemple malheureux du rétablissement de la clause générale de compétence, puis de sa suppression (Eh oui ! et applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l’UDI-UC.), n’était qu’une péripétie d’un ensemble où personne, et surtout pas un élu local, n’y trouve cohérence ou vision d’ensemble.

M. Alain Fouché. Absolument !

M. Jacques Mézard. Un jour blanc, un jour noir pour une réforme tout en gris, un chemin chaotique vers des lendemains instables…

M. Jacques Mézard. Je n’ai strictement rien à retrancher à ce que je disais à cette même tribune le 3 juillet dernier. Nous avions raison de considérer que ce projet de loi ne reposait pas sur une véritable étude d’impact, qu’il n’était le produit d’aucune concertation, d’aucune consultation des collectivités régionales concernées,...

M. Roger Karoutchi. Il ne reposait sur rien !

M. Bruno Sido. Absolument !

M. Jacques Mézard. ... dont plusieurs, bien que très majoritairement dirigées par vos proches, ont exprimé très fortement leur opposition.

Comment comprendre la finalité réelle de ces projets quand on les compare – je l’ai fait ces derniers mois – aux discours du Président de la République avant et après son élection – j’y étais – et à vos déclarations ici même lorsque, ministre de l’intérieur, vous défendiez devant nous le projet du binôme. Je vous cite : « Certains continuent de croire que moderniser la vie politique locale, c’est supprimer un échelon. » (Rires sur les travées de l'UMP.) Vous poursuiviez : « Le département est un échelon de proximité essentiel, un échelon républicain par excellence. […] on n’améliore pas l’efficacité des politiques publiques en éloignant les citoyens des décisions ». (Vifs applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC. – M. Jean-Noël Guérini applaudit également.)

M. Jacques Mézard. Commencer par découper des régions avant de parler des compétences des collectivités et de leurs ressources, c’est surréaliste. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.) Pourtant, c’est ce que vous faites. Or on ne peut impunément découper les régions comme la France découpait ses colonies sur la base des ego de « grands élus » selon l’arbitraire de l’exécutif,…

M. Michel Bouvard. Ça, c’est vrai !

M. Jacques Mézard. … petites régions au Nord, grandes régions au Sud. Faut-il pour l’exemple rappeler les déclarations du maire de Tulle indiquant lors de sa campagne sénatoriale comment il avait obtenu du Président de la République le changement de région du Limousin vers l’Aquitaine ? Le maire de Tulle peut obtenir le changement de région, pas le président de l’agglomération d’Aurillac… (Mlle Sophie Joissains s’esclaffe.)

Je vous ferai grâce des déclarations sur le terrain de nombre de nos collègues candidats aux élections sénatoriales, toujours adeptes du cumul et détracteurs de votre réforme territoriale. Dans le Limousin, par exemple, c’est exemplaire… Néanmoins, vérité sur le terrain n’est pas forcément vérité à Paris !

M. Jacques Mézard. Une carte régionale déconnectée des grands bassins de vie, des flux économiques, démographiques, ce peut-être le retour – cela commence – des irrédentismes régionaux au mépris de la construction de la nation…

M. Bruno Sido. Tout à fait !

M. Jacques Mézard. … et l’aggravation des inégalités territoriales.

M. Bruno Sido. Absolument !

M. Jacques Mézard. Nous avons été nombreux dans cet hémicycle à partager les conclusions du rapport Raffarin-Krattinger, qui n’ont que peu de choses en commun avec les deux projets de loi, ce qu’a d’ailleurs confirmé avec force notre ancien collègue Yves Krattinger en juillet à la commission spéciale.

Ce rapport, en dix axes, vise à redessiner la carte des régions en huit à dix régions dotées de compétences stratégiques, à donner un nouvel avenir au département, avec un espace adapté à l’expression démocratique de la ruralité et un espace fédérateur des intercommunalités, à garantir la présence de l’État avec une répartition plus claire des compétences État-collectivités, à rendre obligatoire un schéma d’accessibilité des territoires, notamment les plus enclavés, aux services publics...

On est loin de ces objectifs ! On pouvait penser que ce projet de loi avait pour objet de trouver les économies nécessaires au respect des critères imposés par l’Europe. M. le secrétaire d’État avait annoncé rapidement de très grandes économies.

M. Roger Karoutchi. Dix milliards !

M. Jacques Mézard. Aujourd’hui, on nous dit qu’elles viendront dans un avenir indéterminé. En outre, vous le savez bien, le meilleur moyen de pousser les collectivités à des économies de gestion, c’est de couper leurs dotations,…

M. Jacques Mézard. … en leur supprimant, en 2017, 6 % de leurs recettes. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que plusieurs travées de l'UDI-UC et du groupe CRC.) Je ne dis pas que c’est mal, c’est juste un constat.

Notre désaccord porte autant sur la méthode que sur le fond. C’est d’autant plus regrettable qu’il existe une grande majorité d’élus pour moderniser l’organisation territoriale autour de grands thèmes : simplification et clarification des compétences avec la suppression de la clause générale de compétence ; développement de l’intercommunalité avec contrainte et bonification financière lorsqu’il y a mutualisation ; bonification pour la création de communes nouvelles – voilà l’avenir – ; diminution et suppression de nombre de structures interstitielles : les pays, beaucoup de syndicats mixtes, d’agences, d’associations parapubliques ; enfin, diminution des normes, qui sont insupportables pour les collectivités – vous l’avez souvent dit, à juste titre, mais il ne suffit pas de le dire, il faut le faire.

M. Jacques Mézard. Il existe encore des contre-exemples comme de nouvelles obligations inscrites dans la loi ALUR pour la création du schéma de cohérence territoriale, le SCOT... Les maires n’en peuvent plus – nous l’avons vécu lors de ces élections sénatoriales – de recevoir sans fin des courriers de l’État leur imposant constamment de nouvelles contraintes alors qu’ils ont d’abord besoin d’assistance dans leur mission. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l’UDI-UC, de l’UMP et du groupe CRC.)

Je dirai un mot des territoires dits ruraux, expression ambiguë, car il est des territoires ruraux riches et d’autres fragiles de par leur éloignement des centres de décision,…

M. Bruno Sido. Eh oui !

M. Jacques Mézard. … des pôles économiques, de par leur démographie déclinante et vieillissante. Ces projets de loi vont – je me trompe peut-être, monsieur le Premier ministre – accentuer ce déséquilibre territorial, cette fracture.

Comment voulez-vous que ces territoires soient entendus dans de grandes régions alors que, pour certains, ils n’auront que deux conseillers régionaux sur 150 ou 208 ? Vous vous retranchez derrière la jurisprudence du Conseil constitutionnel, à tort, comme vous l’avez fait pour le binôme. C’est en tout cas un traitement injuste que vous infligez à ces territoires. Et ce ne sont pas les Assises de la ruralité qui changeront le problème !

M. Éric Doligé. En effet !

M. Jacques Mézard. Faire des états généraux de la démocratie territoriale ou des assises de la ruralité, c’est aussi productif que d’enterrer les problèmes en créant des commissions. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l’UDI-UC.) En outre, c’est bafouer l’expression de sensibilités politiques diverses pourtant consacrée par le texte même de la Constitution. Pour certains territoires comme celui que je représente, nous allons vivre non une fusion, mes chers collègues, mais une annexion (Mlle Sophie Joissains applaudit.) d’autant plus insupportable que la voix de nos deux représentants sera étouffée, au mépris de notre histoire, de la géographie, de la proximité. J’aurai le privilège de représenter le département le plus enclavé de France, tant par rapport à Paris qu’à la future métropole régionale, à onze heures de train et neuf heures de route aller-retour.

De tout cela, je ne saurais vous remercier, et je ne puis que vous adresser du haut de cette tribune une protestation solennelle. Ce texte est mortifère pour le territoire qui est le mien et la sensibilité politique à laquelle je suis profondément lié.

Monsieur le Premier ministre, j’ai respect et estime pour vous (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.),…

M. Roland Courteau. Heureusement !

M. Jacques Mézard. … mais, pour tout cela, je continuerai à combattre votre projet de loi. (Applaudissements prolongés sur les travées du RDSE et de l’UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l’UDI-UC et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

M. Philippe Adnot. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, n’ayant que cinq minutes pour intervenir, j’irai à l’essentiel.

J’ai été obligé de préparer mon intervention, monsieur le Premier ministre, sans savoir ce que vous alliez dire. J’en avais bien une petite idée, mais sait-on jamais : depuis Darwin, nous savons que nous sommes le fruit de l’évolution... (Sourires.)

Le Sénat, en son temps, a voté à l’unanimité le principe des grandes régions. Il semble que, depuis, certains aient pensé que grande région voulait dire deux départements. Je regrette que l’Alsace n’ait pas compris qu’elle pouvait parfaitement réussir sa nouvelle entité tout en étant dans une grande région.

M. Bruno Sido. Absolument !

M. Philippe Adnot. Je me souviens encore des trémolos pour nous attirer dans un grand Est qui justifiait le financement du TGV Est jusqu’à Strasbourg.

Grande région, cela veut dire capacité de gérer les grands dossiers, les grandes infrastructures. Je ne savais pas que les transports scolaires, les routes départementales, la gestion des collèges en faisaient partie. Rendez-vous donc pour le texte sur les compétences des départements.

Il nous reste à vous démontrer que vous faites fausse route et que d’économies, il n’y en aura point, de gabegie, il y en aura sûrement, de favoritisme pour les grands groupes, assurément : tous les grands marchés seront pris par les grandes entreprises, les PME locales de nos territoires ne seront plus que des sous-traitantes.

M. Philippe Adnot. Monsieur le Premier ministre, il est de bon ton de répéter « réforme, réforme ». Pour autant, cette incantation a-t-elle de la valeur ? En médecine, un bon traitement exige un bon diagnostic. Votre diagnostic est que, pour régler les problèmes budgétaires de la France, il suffit de pressurer les collectivités locales, responsables de tous les maux.

M. Philippe Adnot. Peut-être que, pour les régions, leur diminution sera efficace si vous arrivez à les cantonner dans des missions qui demandent du recul, de la dimension et l’acceptation d’un principe : la subsidiarité.

Au sujet du département, ce que vous avez proposé, le transfert des routes, des collèges et des transports scolaires, est une fausse piste. Il s’agit là de politique de proximité qui ne créerait aucune économie. On voit bien que ceux qui le proposent n’ont jamais géré de transport scolaire en milieu rural. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l’UDI-UC.)

Je vous le dis, quoi que vous fassiez, il y aura toujours autant de TOS, les techniciens, ouvriers et de service, et de budgets de fonctionnement dans les collèges, il y aura toujours autant de kilomètres de voiries départementales, autant d’agents pour entretenir ces routes et autant de distances à parcourir pour rassembler les collégiens.

Pour conclure, je voudrais vous alerter sur le formidable gâchis d’emplois dans le domaine du bâtiment et des travaux publics que vous allez créer.

Les intercommunalités, dans leur diversité, étaient en train de s’organiser à partir de la dernière carte, en fonction de leurs compétences et de leur périmètre. Votre projet – 20 000 habitants minimum – est une folie, car il ne tient pas compte de la diversité de la France, de sa démographie, de sa géographie. Vous devez d’ores et déjà en mesurer les conséquences pour les trois ans qui viennent : plus rien ne sera entrepris, car les communes ne savent plus quelles sont leurs compétences, les intercommunalités ne savent plus avec qui elles vont se regrouper et, je vous le dis, durant cette période, le secteur du BTP connaîtra un arrêt total de son activité et des suppressions d’emplois colossales. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l’UDI-UC.)

Monsieur le Premier ministre, vous vous en doutez un peu, puisque vous avez prévu un fonds de soutien pour l’investissement de 450 millions d’euros. Toutefois, ce fonds, vous avez prévu de l’alimenter non par des recettes de l’État, comme cela a été indiqué lors de la discussion à l’Assemblée nationale, mais par la suppression du FDTPT, qui alimente les recettes des communes défavorisées. Voilà qui est original ! On dit qu’on va aider les communes à investir et, pour cela, on supprime ce qui leur revenait à partir des fonds d’écrêtement de la taxe professionnelle. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.) Cela résulte du vote d’un amendement du secrétaire d’État chargé du budget. Vous avez en cela renié la parole de l’État qui, lorsqu’il y avait un établissement exceptionnel, par exemple une centrale nucléaire,…

M. Michel Bouvard. Ou un barrage !

M. Philippe Adnot. … devait organiser des retombées positives pour l’ensemble des communes défavorisées d’un département.

C’est grave, très grave ! Je sais que vous avez prévu d’abandonner le nucléaire, mais vous devrez, un jour, démanteler les centrales. Je vous le dis, si ce reniement de la parole de l’État concernant les FDTPT devait perdurer, alors, il vous faudra chercher ailleurs les gogos qui pourraient croire en la parole de l’État. Je vous en parle savamment, car vous avez prévu d’instaurer cela dans notre département.

Je veux croire que vous reviendrez sur ce mauvais coup porté à la parole de l’État. La France a besoin d’autre chose que de ce genre de mesures. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. François Zocchetto, que j’assure de ma sympathie, pour le groupe UDI-UC.

M. François Zocchetto. Monsieur le Premier ministre, je tiens en premier lieu à saluer votre venue devant notre assemblée. C’est une excellente chose que vous ayez répondu positivement à l’invitation de M. le président Larcher. Pour être directs, nous pensons qu’il aurait fallu venir un peu plus tôt, car je ne suis pas certain que les Français aient réussi à suivre les multiples revirements des derniers mois. Les grands électeurs ont à l’évidence peu apprécié cette confusion. Leur message a été clair : il est grand temps de remettre un peu de perspective et de bon sens dans la démarche !

En second lieu, je dirai que, à l’issue de votre intervention, je ne suis pas certain d’être sorti du brouillard.

Je ne saisis toujours pas vos objectifs. Pour nous, il en est deux, majeurs, qui s’imposent. Le premier est de redonner de la lisibilité à cette organisation territoriale dans laquelle les Français se perdent. Le second est la fameuse question, lancinante, de la réduction du déficit des finances publiques. Où sont ces deux objectifs dans votre projet de loi ?

M. Gérard Longuet. Nulle part !

M. François Zocchetto. Plutôt que de renforcer la lisibilité, ce texte accroît encore la complexité. Vous avez d’ailleurs été assez discret au sujet de cette nouveauté de l’été, qui consisterait à scinder les départements en trois catégories.

M. Gérard Longuet. Première, deuxième et troisième classe…

M. François Zocchetto. Comment avez-vous procédé ? Sur quels critères concrets vous êtes-vous fondé et quelle est la faisabilité constitutionnelle ?

M. Éric Doligé. On ne sait pas !

M. François Zocchetto. Je rappelle qu’il s’agissait, il y a tout juste six mois, de supprimer purement et simplement les conseils départementaux.

Pour ce qui est des économies, permettez-moi de vous le dire, nous sommes dans l’illusionnisme : aucune étude d’impact ne vient démontrer que l’adoption des textes que vous présentez permettra de réduire les dépenses.

Comment esquiver ces réformes une fois de plus ? Vous nous proposez aujourd’hui une fausse réforme structurelle qui consiste à redécouper les régions. On fait croire aux Français qu’en divisant par deux le nombre d’hôtels de région, en diminuant le nombre des élus, supposés trop coûteux, on réalisera des économies spectaculaires.

C’est vrai qu’avec une carte facile à reproduire dans les journaux on fait semblant de réformer tout en laissant sous le tapis les véritables défis qui gênent…

Mme Sylvie Goy-Chavent. C’est bien là le problème !

M. François Zocchetto. Et, quitte à abuser les esprits, vous n’avez pas craint de tomber dans l’incohérence, avec cette stupéfiante manière de découper la réforme en deux textes, en présentant d’abord le contenant et ensuite le contenu ! Peut-être les experts en communication ont-ils constaté qu’il était plus facile de vendre une jolie carte en couleur que de fastidieux transferts de compétences ? (Applaudissements sur quelques travées de l'UDI-UC.) Je vous le dis, en donnant l’illusion du mouvement et en commençant par ce qu’il y a de plus aguichant, on passe à côté de la véritable réforme.

Nous, centristes, sommes convaincus qu’un minimum de rationalité ne nuit pas à l’action publique. Redécouper les régions avant de décider ce qu’elles devront faire est un non-sens. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l’UMP.)

M. François Zocchetto. Votre démarche s’apparente à celle d’un architecte qui commencerait à construire un bâtiment sans savoir ce que ses clients veulent en faire.

M. Roger Karoutchi. On fait le toit en premier !

M. François Zocchetto. Avouez que les risques de déboires sont élevés.

Ce faisant, vous nous placez face à une alternative pénible. Soit nous nous rebellons contre la méthode : dans ce cas, la majorité socialiste à l’Assemblée nationale, même réduite, fera seule le texte, et vous en profiterez pour décrire le Sénat comme une assemblée d’inénarrables conservateurs.

M. François Zocchetto. Soit nous tentons de limiter les dégâts – c’est ce que nous allons faire, en votant un texte amendé –, mais, dès lors, vous tenterez de faire de nous les complices de cette réforme à l’envers.

Dans ce difficile exercice, à travers les débats, nous allons tenter de surmonter l’obstacle.

C’est sans doute tactiquement bien joué pour vous, mais c’est dommage pour notre pays. En effet – vous l’avez dit vous-même en concluant votre propos –, cette réforme ne mérite pas un combat caricatural et, vous le savez, nous souhaitons ardemment avancer sur ce dossier. Nous en avons terriblement besoin.

Puisqu’il est question de besoins, puisque nous voulons faire des économies, j’ai quelques suggestions à vous adresser. Pour économiser, par exemple, 200 millions d’euros dès l’année prochaine,…

M. François Zocchetto. … rétablissez le jour de carence dans la fonction publique ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

Mme Cécile Cukierman. Supprimez plutôt le CICE !

M. François Zocchetto. J’y ajoute une autre suggestion, qui représente, elle, plusieurs milliards d’euros : revenez aux 39 heures dans la sphère non marchande ! (Mêmes mouvements.)

M. Dominique Watrin. Et aussi la retraite à soixante-dix ans !

M. François Zocchetto. Troisième suggestion : assouplissez le statut de la fonction publique territoriale ! Avons-nous besoin d’un régime ultraverrouillé, identique à celui qui protège les agents des impôts ou les magistrats, pour un ingénieur territorial ou un gardien de musée municipal ? Si vous pensez que tel n’est pas le cas, s’il vous plaît, donnez de l’oxygène aux collectivités territoriales, laissez-les respirer ! (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

J’en reviens à notre vision de l’architecture territoriale.

Chacun, dans cette assemblée, connaît notre attachement à la décentralisation. Je le réaffirme, nous sommes favorables à une poursuite de la réforme des collectivités. En dépit de ses imperfections, la loi de décembre 2010 a permis de nombreuses avancées. Tout le monde le reconnaît maintenant. Mais ce texte n’a jamais eu vocation à clore le débat.

Nous sommes pour la réforme. Oui, il faut s’attaquer au millefeuille territorial ! À cet égard, nous prônons une carte comptant un nombre réduit de régions, entre huit et dix, disposant de compétences stratégiques et s’appuyant sur un département profondément rénové. Ce modèle, le Sénat le connaît bien, puisque c’est celui qu’ont défendu ici même nos collègues Yves Krattinger et Jean-Pierre Raffarin.

M. Daniel Dubois. Tout à fait !

M. François Zocchetto. D’ailleurs, vous avez présenté à plusieurs reprises votre réforme en vous appuyant sur leur rapport.

M. François Zocchetto. Toutefois, vous avez oublié un aspect fondamental : de grandes régions ne seront efficaces que si elles sont assorties d’un échelon départemental,…

M. Didier Guillaume. Le Premier ministre l’a dit !

M. François Zocchetto. … à l’exception, nous en convenons, des aires urbaines très denses.

Nous pensons également que, dans un État unitaire décentralisé, un pouvoir d’adaptation doit s’exercer au niveau local. Nous militons donc pour l’adoption de lois-cadres autorisant l’exercice d’un pouvoir réglementaire décentralisé. À nos yeux, il s’agit d’un excellent moyen de maîtriser la dépense publique.

Par exemple, essayons de décliner un principe nouveau concernant le revenu de solidarité active. Pourquoi le montant du RSA serait-il le même en Lozère ou en Mayenne et à Paris ? Puisque vous nous avez dit que l’universalité n’était pas l’uniformité, essayons de réfléchir un peu plus loin.

Mme Évelyne Didier. Bref, s’en prendre aux fonctionnaires et aux chômeurs !

M. François Zocchetto. Laissez aux conseils départementaux volontaires la capacité de tenir compte de l’adaptation nécessaire.

Enfin, on ne peut pas faire l’économie d’une réflexion sur le nombre de communes, et vous l’avez dit.

Oui, la commune doit rester l’échelon de base dans notre organisation territoriale ! Mais cela ne signifie pas qu’il soit satisfaisant de conserver des communes comptant quarante, trente ou vingt habitants, parfois moins. Au niveau communal comme pour les échelons supérieurs, le principe de base doit être le même : inciter les élus à proposer la modernisation et la rationalisation de leurs collectivités. En un mot : faites confiance aux élus ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

Mme Sophie Primas. Très bien !

M. François Zocchetto. Nous devons être ici, en tant que législateurs, des facilitateurs de ces évolutions imaginées au niveau local. Une réforme territoriale qui fonctionne, ce n’est pas et ce ne sera jamais une réforme imposée depuis Paris. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)

M. François Zocchetto. À cet égard, je citerai brièvement l’exemple d’une mauvaise initiative : les dispositions législatives relatives à la métropole d’Aix-Marseille-Provence, votées par le Parlement avant la réalisation de l’étude d’impact et sans concertation avec les élus locaux.

M. François Zocchetto. Les communes des Bouches-du-Rhône ont conçu un projet équivalent à celui de l’Île-de-France, et elles demandent à être entendues comme le sont celles du Grand Paris.

M. François Zocchetto. Nous devons proposer des solutions innovantes en matière de fusion de communes.

M. Roger Karoutchi. Très bien !

M. François Zocchetto. Depuis la loi de 2010, treize fusions de communes ont été réalisées. Cela signifie que treize communes nouvelles sont nées. Ce bilan est trop modeste : nous devons continuer. La proposition de loi déposée par Jacques Pélissard doit permettre aux élus de saisir plus facilement cette opportunité.

Il y va de même à l’échelle départementale : dans notre conception, si les conseils départementaux veulent fusionner, nous devons faciliter ces rapprochements, grâce à un cadre législatif souple.

Dans un autre domaine, vous nous proposez de remettre à plat la carte de l’intercommunalité. L’article 14 du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République propose – je cite l’exposé des motifs – « une nouvelle orientation de la rationalisation de la carte intercommunale resserrée autour des bassins de vie ». Cette notion de bassin de vie, entendue comme élément structurant de l’intercommunalité, nous y sommes favorables. Le problème, c’est que cet article 14 ne s’arrête pas là : il implique surtout une augmentation de la taille minimale des intercommunalités, de 5 000 à 20 000 habitants.

Monsieur le Premier ministre, nous avons bien entendu l’appréciation très nuancée que vous avez émise il y a quelques instants, et nous serons très vigilants, car nous sommes fermement opposés à une application généralisée de ces seuils de 20 000 habitants. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. François Zocchetto. En la matière également, universalité ne signifie pas uniformité.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique. Mais c’est ce qu’a dit le Premier ministre !

M. François Zocchetto. Oui à des intercommunalités fortes et spatialement cohérentes, non à des rassemblements artificiels sur la base du seul critère des 20 000 habitants !

Je conclurai en évoquant le calendrier électoral.

Quelle confusion en la matière ! Autant d’atermoiements sur un sujet aussi important, ce n’est pas sérieux.

Monsieur le Premier ministre, vous avez été élu local, et je crois que vous le savez au fond de vous : on ne peut pas gérer des collectivités avec des calendriers chaque jour modifiés. Pensez-vous que l’on puisse rendre confiance aux citoyens et aux électeurs en procédant ainsi ?

Si j’ai bien suivi, les élections départementales auront finalement lieu en mars 2015. Soit ! Nous en prenons acte. Cependant, je me permettrai une remarque : si nous voulons des conseils départementaux qui fonctionnent normalement, il faut que le mandat de leurs membres atteigne l’échéance des six ans, c’est-à-dire qu’il dure jusqu’à l’année 2021. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. Roger Karoutchi. Très bien !

M. François Zocchetto. Il n’est pas concevable que ce mandat subisse une exception.

En venant vous exprimer devant le Sénat, vous rendez hommage au travail de notre assemblée, et notamment à celui qui va s’accomplir au cours des mois à venir. Le Sénat est le représentant constitutionnel de nos collectivités territoriales, et il entend pleinement jouer ce rôle. Nous voulons, avec sa nouvelle majorité, rendre toute sa force à la voix du Sénat.

Chers collègues, le Sénat doit apporter de nouveau sa plus-value et son expertise. Celle-ci est notamment assurée par des élus enracinés dans leur territoire, et elle se traduit, lors du vote de divers textes, par la confrontation de sa vision et de celle de l’Assemblée nationale.

Évidemment, monsieur le Premier ministre, ce Sénat-là, celui des élus enracinés dans leur territoire, nous avons bien compris que vous n’en vouliez plus,…

M. François Zocchetto. … et ce depuis la loi relative au non-cumul des mandats, laquelle est également applicable au Sénat. Nous le regrettons, mais nous continuerons, tant que c’est encore possible, à défendre notre vision des territoires et à porter la voix de leurs élus. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour le groupe UMP.

M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, permettez-moi d’ouvrir mon propos en saluant l’initiative du président du Sénat, Gérard Larcher, qui a invité le Premier ministre à remettre en perspective cette réforme. Je remercie également le Premier ministre d’avoir accepté cette invitation ; j’espère qu’il ne le regrette pas… (Rires sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. Roger Karoutchi. Pas encore !

M. Bruno Retailleau. Cette remise en perspective était doublement nécessaire : d’abord, parce que tous, qui que nous soyons, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, nous sommes désireux de replacer le Sénat au cœur de cette réforme ; ensuite, et plus encore, parce que ce travail était nécessaire pour sortir de la confusion. En effet, cette réforme est née dans la panique après les dernières élections municipales et elle est marquée du double sceau de l’improvisation et de la contradiction.

M. Gérard Longuet. C’est bien vrai !

M. Bruno Retailleau. Une carte régionale dessinée sur un coin de table, des économies que l’on proclame sans jamais en fournir la moindre justification – et pour cause ! –,…

M. Bruno Retailleau. … voilà pour l’improvisation. S’y ajoutent les contradictions : on a commencé avec le discours prononcé par le Président de la République, en Corrèze, par lequel il proclamait son amour pour les départements – et je ne parle pas de l’engagement n° 54, énoncé au cours de la campagne présidentielle ! – ; on a poursuivi par la suppression des départements, pour arriver, désormais, à un département à trois vitesses. Où est la logique ? J’ajoute que, pendant tout le temps au cours duquel on débattait d’une suppression des départements, se poursuivait le grand remembrement, le grand redécoupage de tous les cantons de France.

Il fallait sortir de cette improvisation et de ces contradictions. Au reste, j’en suis persuadé, cette confusion a été sanctionnée dans les urnes, le 28 septembre dernier.

M. Éric Doligé. Et ce n’est pas fini !

M. Bruno Retailleau. Monsieur le Premier ministre, est-ce à dire qu’aujourd’hui on ne doit rien faire ? Est-ce à dire qu’aujourd’hui la nouvelle majorité sénatoriale doit se présenter devant vous totalement bloquée dans une posture pavlovienne de l’opposition ? Tel n’est pas notre état d’esprit. Nous voulons que le Sénat puisse imprimer sa marque, mais pas à n’importe quel prix. Les conditions que nous fixons sont au nombre de deux.

La première est que nous ne nous contenterons pas de paroles. Les amendements que j’ai examinés, notamment ceux qui ont pour objet la carte régionale, ont produit sur moi le même effet que sur notre collègue Jacques Mézard. Pourtant, je vous ai entendu affirmer votre volonté de dialogue. Vous dites ne pas souhaiter la confrontation, mais si vous escomptez seulement entendre cette assemblée débattre sans retenir aucun de nos amendements, vous serez confronté, croyez-moi, à un Sénat de combat ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)

Notre feuille de route, c’est le rapport Krattinger-Raffarin, avec toute sa logique et l’ensemble des conséquences qu’il emporte. N’essayez pas de nous le vendre à la découpe !

Notre ouverture est subordonnée à une deuxième condition : il vous revient non seulement de donner du sens à ce projet, mais aussi de l’inscrire dans une vision. Vous avez commencé à le faire, même si c’est encore imparfait. Vous devrez donc trancher, non seulement dans le discours mais aussi dans les actes.

Ce projet de loi souffre de plusieurs contradictions fondamentales. Tend-il à la recentralisation ou à la décentralisation ? Vous avez évoqué l’histoire de France, revenons-y. La France, c’est l’obsession de l’unité : unité capétienne, unité impériale, unité de la République, une et indivisible. Au fil du temps, pourtant, il est apparu que, dans un effort permanent de synthèse entre unité et diversité, l’unité nationale exigeait une forme de respiration territoriale : les provinces sous l’Ancien Régime, les communes et les départements sous la République.

Cette perspective historique multiséculaire a produit une vision politique, qui ne date pas des trente dernières années. Dès le XIXe siècle, les grandes lois de liberté communale et départementale en ont été le fruit. Pensons également au dessein du général de Gaulle dans sa tentative de régionalisation, définissant les régions comme la puissance économique de demain.

Monsieur le Premier ministre, vous avez cité François Mitterrand. Pourtant, vous nous proposez une rupture, un recul, au regard de son héritage.

M. Didier Guillaume. C’était il y a trente ans !

M. Bruno Retailleau. C’était le cas, au moins, jusqu’à votre dernier discours, dont je ne sais s’il marque un énième virage ou une véritable inflexion. Le texte qui nous est présenté, jusqu’à maintenant, est un texte de recentralisation. Celle-ci apparaît d’abord dans la méthode, puisque la carte, dans laquelle l’Île-de-France n’était pas modifiée,…

M. Roger Karoutchi. C’est vrai !

M. Bruno Retailleau. … a été dessinée non pas avec les provinciaux mais bien avec les féodaux !

M. Bruno Sido. Eh oui !

M. Bruno Retailleau. Son tracé est intervenu, en outre, avant même que ne s’engage la réflexion sur les compétences. C’était une grave erreur ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)

Vous avez ainsi pris le risque d’ouvrir la boîte de Pandore, de déconnecter les communautés d’appartenance, tournées vers les héritages historiques, plutôt que de favoriser les communautés de projet et de destin, tendues vers l’avenir.

M. Jérôme Bignon. Absolument !

M. Bruno Retailleau. Au final, vous avez renforcé le communautarisme territorial.

À cette recentralisation dans la forme s’ajoute une recentralisation sur le fond : en sus du jacobinisme parisien, vous introduisez un nouveau jacobinisme régional. De grandes régions qui absorbent toutes les compétences, y compris celles de proximité exercées par les départements, des schémas prescriptifs qui s’imposent en cascade à toutes les autres collectivités : voilà également une forme de recentralisation.

M. Bruno Retailleau. Je m’interroge ainsi quand je lis, dans un quotidien régional, que le président de l’Association des régions de France, l’ARF, dit avoir honte à chaque fois qu’il intervient avant le préfet de région. Mais où est-on ? La France n’est pas un pays de tradition fédérale ! (MM. Jacques Mézard et Michel Mercier opinent.) C’est pourquoi mon groupe s’opposera toujours aux tentatives de démembrement dissimulées derrière un régionalisme plus ou moins assumé.

La République française est une et indivisible. Nous sommes une communauté nationale ! Si nous acceptons les grandes régions, c’est à la condition que les compétences soient justement partagées, faute de quoi nous risquerions de créer des mammouths.

Vous avez dit tout à l'heure, avant même d’évoquer le sort des départements, que vous entendiez renforcer le rôle de l’État à cet échelon, confortant ainsi les déclarations de votre ministre de l’intérieur dans un quotidien du soir, sur la place des préfets. C’est là encore un signe de recentralisation.

Cela étant, en évoquant le deuxième projet de loi, vous avez enfin ouvert une porte sur l’emploi et l’économie. Toutefois, jusqu'à présent, vous n’avez remis en cause aucun des grands doublons existant aux niveaux régional et départemental. Je pourrais pourtant vous présenter une longue liste de domaines dans lesquels l’État est le doublonneur en chef : aides à la pierre, logement, économie, emploi, eau, etc. Il est stupéfiant d’entendre aujourd’hui ce doublonneur en chef reprocher leurs doublons aux collectivités. Avant une telle mise en cause, il faudrait remettre un peu d’ordre dans les compétences de l’État ! (Vifs applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)

Monsieur le Premier ministre, en vous montrant jusqu’à présent incapable de penser conjointement la réforme territoriale et la réforme de l’État, vous vous trouvez impuissant à réaliser le moindre euro d’économie, et vous condamnez toute véritable réforme de l’État.

Dès le deuxième projet de loi, nous vous proposerons une répartition adaptée des compétences entre les régions, les départements, les communes et les intercommunalités. Nous souhaitons en outre recevoir une information claire sur les compétences de l’État susceptibles d’être transférées. Ainsi, ce texte pourra être conforme au grand mouvement de décentralisation que notre pays, vous l’avez rappelé, connaît depuis plusieurs dizaines d’années. Permettez-moi de vous rappeler cette superbe phrase de Lamennais : « La centralisation, c’est l’apoplexie au centre et la paralysie dans les extrémités ». C’est là, selon moi, le cœur du débat.

Si nous préférons la décentralisation à la recentralisation, c’est parce que nous préférons la proximité à l’éloignement. Or la réforme que vous portez depuis des mois prévoit de grandes régions emportant l’effacement des départements et de grandes intercommunalités entraînant, après-demain, voire dès demain, l’affaiblissement des communes. Une telle bureaucratisation de la France ne peut pas fonctionner. De grandes administrations régionales concentrant toutes les administrations départementales seraient lourdes de milliers et de milliers d’agents territoriaux. Ce n’est pas ce que nous souhaitons. En outre, cette déterritorialisation ne saurait participer de la solution que nécessitent les trois grandes crises françaises.

La première est celle de la démocratie nationale, qui fonctionne mal. Les Français perdent confiance en leurs élus, mais maintiennent le lien avec leurs représentants locaux. Or vous avez oublié la dimension humaine de cette réforme, et cette simple loi : une institution proche est aimée, quand une institution lointaine est crainte. La démocratie nationale se reconstruira donc par la démocratie locale. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC.) En affaiblissant les liens entre les citoyens et leurs élus, vous ne parviendrez pas à revigorer la démocratie nationale. C’est la grande leçon que nous ont léguée les Grecs : leur jeune démocratie était imparfaite, mais elle est née dans un espace à taille humaine, la cité.

La deuxième crise est la fracture territoriale, que vous avez évoquée. Je suis un lecteur de Christophe Guilluy. Les métropoles en prise avec la mondialisation sont importantes, et nous avons souhaité les conforter. Toutefois, il existe également une France périphérique, la France invisible des oubliés, la France des fragilités sociales, une France qui se sent abandonnée.

Mme Éliane Assassi. Vous l’avez oubliée pendant des années !

M. Bruno Retailleau. En supprimant les départements, qui assurent la cohésion territoriale, vous renforcerez le sentiment d’abandon de cette partie du pays. Et ne nous demandez pas d’attendre encore cinq ans pour déterminer l’avenir du département, car il sera trop tard ! Vous ne pouvez pas entretenir encore une telle inquiétude, après avoir, avec la baisse des dotations, provoqué une instabilité fondamentale. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.) Mes chers collègues, il ne s’agit pas seulement de 11 milliards d’euros. En cumul entre la fin de 2013 et la fin de 2017, il manquera 28 milliards d’euros, ce qui entraînera une terrible ponction sur l’investissement. Contre la fracture territoriale, les départements sont un remède.

La troisième crise, j’y insiste, est économique. Je viens d’évoquer la baisse probable des investissements. Assimiler taille et puissance, masse et agilité, relève d’une conception fausse de la modernité. Il serait absolument incohérent de conférer aux grandes régions toutes les compétences, par exemple le transport scolaire, comme l’a évoqué un orateur précédent. Si vous souhaitez élargir leur périmètre, voyez plus loin et confiez-leur des prérogatives programmatiques et seulement quelques attributions stratégiques. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur quelques travées de l'UDI-UC.) Alors, plutôt que des mammouths, elles deviendront des tigres !

Croyez-moi, la croissance de demain ne naîtra pas seulement des métropoles, mais aussi des territoires, qui portent à la fois l’innovation et les facteurs de production. Notre président a dit un jour que ces territoires étaient ce que la France avait en plus. Je le rejoins dans ce constat. Ils sont désormais un facteur de compétitivité, à Paris et dans l’Île-de-France, bien sûr, mais aussi partout en France. Faites-leur confiance, monsieur le Premier ministre, plutôt que d’essayer d’imposer des découpages venus d’en haut.

Vous mettez en avant la question des rythmes scolaires, alors que l’on ne saurait trouver plus mauvais exemple (Vifs applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC.) que cette réforme, décidée à Paris, qui impose de payer aux provinciaux et aux maires des petites communes. C’est un contre-exemple !

Je termine par une autre contradiction dont est porteur votre projet : préfère-t-on la diversité ou l’uniformité napoléonienne ? Nous répondons, bien sûr, la diversité.

Prenons l’exemple du seuil des 20 000 habitants pour l’intercommunalité. La loi du nombre, c’est la loi de l’idiotie ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste. – Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.) Rien n’est plus bête qu’un nombre : il ne raisonne pas, il n’a pas visage humain, alors que nous devons restaurer la dimension humaine de cette réforme territoriale. Ainsi, 20 000 habitants en ville, c’est trop peu, alors qu’en montagne, ou dans les zones d’hyper-ruralité, c’est beaucoup trop ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur quelques travées de l'UDI-UC.)

M. Didier Guillaume. Le Premier ministre a déjà répondu à cela !

M. Bruno Retailleau. Oui à la diversité ! Pourquoi ne pas autoriser des territoires à choisir leur organisation ? Oui à la fusion des départements ! Oui aux territoires qui souhaitent fusionner la région et les deux départements !

Mme Fabienne Keller. Très bien !

M. Claude Bérit-Débat. C’est ce qu’a dit le Premier ministre !

M. Bruno Retailleau. Voilà aussi la modernité !

Réformer le territoire, ce n’est pas se livrer à un exercice de géométrie euclidienne, c’est au contraire fixer un objectif pour permettre à la France de se réinventer.

Monsieur le Premier ministre, au-delà de nos divergences – elles existent, vous en conviendrez –, nous convergeons sur un point : cette réforme est la mère de toutes les réformes.

Parce que les territoires sont le visage de la France, parce que les territoires sont la force de la France,…

Mme Catherine Tasca. Ce ne sont que des mots !

M. Bruno Retailleau. … parce que vous ne ferez pas de réforme de l’État sans une vraie réforme territoriale, vous le savez, vous ne pouvez pas faire cette réforme sans le Sénat, contre les élus locaux.

M. Bruno Retailleau. Monsieur le Premier ministre, le Sénat vous offre son expertise et, plus encore, sa passion de la question territoriale, ainsi que sa capacité à dépasser les clivages. L’intérêt supérieur de la France est en jeu !

Notre vote sur ce texte dépendra de l’ouverture dont le Gouvernement saura faire preuve à l’égard de nos amendements. Au-delà des discours, nous attendons des actes. Il y va de nos territoires, de la République et de la France ! (Mmes et MM. les sénateurs de l’UMP ainsi que plusieurs sénateurs de l’UDI-UC se lèvent et applaudissent longuement.)

M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, pour le groupe socialiste. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Didier Guillaume. Monsieur le Premier ministre, je tiens, à mon tour, à saluer votre présence dans cet hémicycle, sur l’invitation du président Larcher, pour le débat sur la réforme territoriale. Je vous remercie de la qualité de votre intervention, qui pourrait s’apparenter à un discours de politique générale sur les collectivités territoriales, et je me félicite des avancées dont vous nous avez fait part.

Pour ce qui me concerne, je me contenterai d’aborder le texte qui est en cours de discussion et non le contexte, contrairement à nombre d’orateurs qui se sont exprimés précédemment. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste.)

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Didier Guillaume. Ce que vous proposez, monsieur le Premier ministre, c’est de s’appuyer sur l’intelligence des élus locaux et des territoires, rejoignant en cela les propos de notre collègue Bruno Retailleau.

La décentralisation – un beau vocable –, cette grande réforme mise en place par François Mitterrand, Gaston Defferre et Pierre Mauroy, remonte à 1982.

Mme Annie Guillemot et M. Jean-Jacques Filleul. Vous étiez contre !

M. Didier Guillaume. Non, je ne suis pas nostalgique, mon cher collègue, car les choses ont évolué depuis trente-deux ans. Tout a bougé autour de nous ! Pourquoi les collectivités locales ne devraient-elles pas évoluer à leur tour ? (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Au contraire, nous devons les engager dans cette voie ! C’est une nécessité, et ce à plusieurs titres.

Tout d’abord, il s’agit d’une nécessité démocratique. Nos concitoyens ne comprennent plus ce qui se passe dans nos collectivités. (Mêmes mouvements.)

M. Jean-Claude Lenoir. C’est vrai !

M. Didier Guillaume. Ensuite, il s’agit d’une nécessité économique. Les entreprises demandent de l’investissement dans les territoires. (Eh oui ! sur plusieurs travées de l’UMP.)

Enfin, il s’agit d’une nécessité financière : on constate depuis longtemps – et non pas depuis un ou deux ans ! –, gouvernement après gouvernement, une diminution des dotations accordées aux collectivités locales.

Oui, les réformes sont difficiles ! L’un des orateurs a indiqué précédemment que la droite avait retrouvé la majorité au Sénat parce que la réforme territoriale n’avait sûrement pas été assez bien expliquée.

Un sénateur du groupe UMP. Il n’y a pas que cela !

M. Didier Guillaume. Mais je me souviens aussi de ce que vous disiez en 2011, mes chers collègues de la majorité actuelle, voilà seulement trois ans, lorsque vous aviez perdu la majorité au Sénat : votre échec tenait au fait que vous aviez proposé une réforme mal comprise, à savoir la création du conseiller territorial, avec la fusion des régions et des départements. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’était une bonne réforme !

M. Didier Guillaume. Mes chers collègues, essayons tout simplement de nous accorder sur l’essentiel ! Certes, on peut faire peur en disant qu’on va supprimer les départements. Mais tout le monde a proposé cette suppression ! Le président Sarkozy lui-même ! M. Fillon, voilà encore quelques jours !

M. Bruno Sido. Mais non !

M. Didier Guillaume. Bien sûr que si !

M. Jean-Jacques Filleul. Et même la suppression des communes !

M. Didier Guillaume. Quoi qu’il en soit, il ne faut pas provoquer de rupture dans la décentralisation, comme l’a dit Bruno Retailleau, ni, surtout, revenir à une recentralisation, car ce serait mortifère pour nos collectivités territoriales.

Au contraire, il faut engager une réforme à l’instar de celle que présente le Gouvernement et que le Parlement, je l’espère, adoptera. Il convient de mettre en place une réforme permettant de rendre les collectivités territoriales plus utiles. Car fonctionnent-elles si bien que cela ?

M. Bruno Sido. En tout cas, pas si mal que cela !

M. Didier Guillaume. Depuis des années et des années, j’entends les présidents de conseil général se plaindre que l’État ne paie pas ses dettes,…

M. Bruno Sido. C’est vrai !

M. Didier Guillaume. … s’agissant du RSA, de l’APA, l’allocation personnalisée d’autonomie, de la PCH, la prestation de compensation du handicap. C’est une catastrophe depuis 2004.

J’entends les présidents de conseil régional dire qu’ils n’ont plus du tout d’autonomie fiscale et financière : …

M. Roger Karoutchi. Ça, c’est vrai !

M. Didier Guillaume. … ils ne vivent que de dotations. C’est la réalité !

J’entends également les maires de nos communes – j’étais en campagne lors des dernières élections sénatoriales – se plaindre de ne plus avoir les moyens d’investir parce que l’État leur serre trop la ceinture ! Voilà la réalité !

M. Bruno Sido. Eh oui !

M. Didier Guillaume. Mais cette situation ne date pas de six mois, d’un an ou de deux ans ; elle existe depuis des années !

Alors, essayons d’avancer ensemble pour redonner de l’oxygène aux régions (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.), de véritables responsabilités aux départements et des moyens aux communes pour qu’elles puissent – enfin ! – de nouveau investir.

Toutefois, pour réussir la réforme – j’ose le dire à cette tribune ! –, il ne faut pas mettre en cause les élus. Les élus sont les hussards de la République.

Mme Sophie Primas. Même ceux de droite !

M. Didier Guillaume. Tous les jours dans les petites communes, comme dans les départements et les régions, ils répondent aux demandes de leurs concitoyens. Chaque fois que l’on mettra les élus en cause, on attaquera la République. Que la gauche ou la droite soit au pouvoir, nous devons toujours les soutenir et les défendre (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Bruno Sido applaudit également.), car ce sont eux qui font vivre le service public dans nos territoires.

Mais ne cédons pas non plus au conservatisme. Il nous faut avancer. Nous ne sommes pas des conservateurs. D’ailleurs, il n’y en a pas dans cette assemblée,…

Plusieurs sénateurs du groupe socialiste. Si, à droite !

M. Didier Guillaume. … où ne siègent que des sénateurs et des sénatrices qui veulent faire bouger les choses !

Enfin, nous nous retrouvons tous sur ce point, mes chers collègues, n’opposons pas – n’opposons jamais ! – le monde urbain et le monde rural, les villes et les campagnes. La ruralité est une chance pour notre pays. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste. – Mme Sophie Primas applaudit également.)

La ruralité est un joyau, qui recèle de l’activité économique, de la culture, de l’artisanat, du tourisme. Oui, prenons en compte cette réalité ! Les campagnes sont une chance pour notre pays, à l’image des villes, avec leur densité. Faisons-les avancer ensemble !

M. Éric Doligé. Il faut tout garder !

M. Didier Guillaume. Faisons confiance aux territoires : c’est grâce à eux que la réforme se fera, et ce à trois conditions.

Il convient de clarifier, tout d’abord, les compétences – M. le Premier ministre l’a proposé –, puis, les structures, qui doivent évoluer, et, enfin, les financements, car les collectivités rencontrent quelques difficultés en la matière.

Pour ce faire, le groupe socialiste se fonde sur des principes fondamentaux assez clairs.

Le premier d’entre eux est la solidarité : la solidarité entre les citoyens et entre les territoires, car celle-ci est indispensable.

Un autre principe fondamental est la proximité.

Vous avez raison, mes chers collègues, nous aurions pu perdre en proximité si d’autres projets avaient vu le jour. Mais, M. le Premier ministre l’a souligné dans son discours, la proximité sera préservée : elle est indispensable pour que nos concitoyens retrouvent confiance en la République. En effet, à l’heure actuelle, ceux-ci ne croient plus en la politique, en la société, en la nation, parce qu’ils sont isolés, notamment de l’emploi, et que les services publics ont déserté nos territoires.

La proximité est aussi indispensable pour mettre en avant le professionnalisme des fonctionnaires territoriaux, qui constituent un lien essentiel entre les élus et les territoires.

Enfin, le dernier principe a trait à la clarté. Le Premier ministre nous a rassurés, il nous propose de la clarté et de l’efficacité.

Dans ces conditions, nous pouvons, me semble-t-il, nous mettre d’accord sur un socle territorial commun si nous considérons le texte qui nous est soumis et non le contexte. Bien sûr, nous aurons des débats politiques, et nous nous opposerons sur de nombreux sujets. Mais le socle que propose le groupe socialiste est assez clair.

Tout d’abord, nous voulons constituer de grandes régions stratèges,…

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Didier Guillaume. … qui innovent, engagent des schémas d’orientation, avec, évidemment, les fonds européens – c’est déjà le cas.

L’économie doit être la compétence essentielle des régions. Bruno Retailleau et François Zocchetto ont indiqué précédemment qu’ils étaient prêts à avancer sur ce sujet. Je reviendrai ultérieurement sur les compétences.

Permettez-moi de m’attarder quelques instants sur les grandes régions.

Le rapport d’information Raffarin-Krattinger le soulignait déjà, nous avons besoin de grandes régions. Et nous pouvons nous entendre sur cette question. Ce n’est pas un problème de féodalités à traiter sur un coin de table ; il s’agit tout simplement de dessiner cette nouvelle carte des régions dont on parle depuis vingt ans et que personne n’a eu le courage de faire. Personne n’a osé le faire !

M. Jean-François Husson. Vous, vous avez osé !

M. Didier Guillaume. Ce gouvernement et le Parlement vont – enfin ! – mettre en place cette nouvelle carte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Exclamations sur les travées de l'UMP.) Voilà une vraie réforme structurelle !

Ensuite, il convient évidemment de renforcer les intercommunalités. Sur ce point, nous en sommes tous d’accord, il faut fixer des objectifs, ainsi que l’a évoqué M. le Premier ministre.

Le premier objectif figurait dans la réforme Sarkozy-Fillon : l’intercommunalité. Mais rappelons-nous ce qui s’est passé dans les commissions départementales de coopération intercommunale, lorsque les préfets ont voulu regrouper de force les communes au sein d’intercommunalités…

Plusieurs sénateurs du groupe socialiste. Exactement !

M. Didier Guillaume. Dans la réforme qui nous est aujourd'hui proposée, à l’origine, le Gouvernement avait avancé le chiffre de 20 000 habitants pour constituer une intercommunalité. Je suis très heureux que M. le Premier ministre ait entendu l’ensemble de la représentation nationale sur ce sujet. (Exclamations sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.) En effet, nous estimons que ce chiffre n’est pas acceptable. (Ah ! sur les travées de l'UMP.) Ne vous exclamez pas, mes chers collègues, ne faites pas de remarques…

M. Jean-François Husson. Si, c’est la démocratie !

M. Didier Guillaume. … et ne vous en amusez pas, nous travaillerons sur cette question : dans certains endroits, les intercommunalités devront comprendre plus de 20 000, voire beaucoup plus de 100 000 habitants, alors qu’elles pourront être plus petites – des bassins de vie – dans les zones rurales, les zones de montagne, ou encore les zones périphériques. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) Nous pouvons nous mettre d’accord sur ce point.

Enfin, il faut affirmer le rôle indispensable des communes, qui, toutes, sont la richesse de notre pays. Toutefois, comme l’a évoqué l’Association des maires de France, il faut inciter les communes – nombre d’entre elles sont petites – qui le souhaitent à se regrouper, à mutualiser, pour avancer. Ne leur imposons rien, laissons-les agir de façon volontaire.

Nous nous retrouvons avec, d’un côté, les grandes régions et, de l’autre, les communes et les intercommunalités. Le Premier ministre l’a évoqué, les conseils départementaux joueront un rôle de proximité, de solidarité territoriale et de solidarité humaine. Je le remercie d’avoir consenti cette avancée, qui est, à nos yeux, primordiale. Le maintien des conseils départementaux dans les zones rurales – voire peut-être aussi dans les départements plus grands –, est essentiel,…

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Didier Guillaume. … à condition de clarifier leurs compétences : les conseils départementaux ne devront pas tout faire comme actuellement, sauf à se retrouver avec un système qui ne pourrait pas fonctionner. Clarifions les choses : solidarité humaine et solidarité territoriale sont indispensables.

M. Alain Joyandet. C’était le conseiller territorial !

M. Didier Guillaume. Pas du tout !

M. Didier Guillaume. Non, car nous, nous voulons conserver à la fois des conseillers régionaux et des conseillers départementaux. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

Nous ne sommes pas de ceux qui plaident pour la réduction du nombre d’élus. Il faut des élus qui soient respectés !

En outre, il faut redéfinir le rôle de l’État déconcentré.

Monsieur le Premier ministre, vous l’avez indiqué, et nous en sommes satisfaits, l’État doit encore faire des efforts : il faut aller plus loin dans la déconcentration, dans la décentralisation, dans le transfert de compétences. Il ne revient pas uniquement aux collectivités locales et aux élus territoriaux de réaliser des efforts, l’État doit aussi prendre sa part.

M. Didier Guillaume. Enfin, dans le socle territorial commun, nous vous proposons aussi de sécuriser les fonctionnaires départementaux, qui ont été ballottés…

Un sénateur du groupe UMP. Par qui ?

M. Didier Guillaume. … au gré des diverses réformes, du conseiller territorial d’alors,…

Mme Françoise Férat. Non, arrêtez !

M. Didier Guillaume. … en passant par la suppression des conseils départementaux d’aujourd'hui, pour en arriver à la nouvelle formule qui sera présentée.

En tant qu’élu départemental, je sais que les fonctionnaires territoriaux s’inquiètent.

M. Éric Doligé. Ah, enfin ! Le Gouvernement ne dit pas un mot !

M. Didier Guillaume. C'est la raison pour laquelle nous proposons de les sécuriser quant à leur devenir professionnel, un sujet sur lequel nous pouvons nous rejoindre.

Mes chers collègues, avançons tranquillement, faisons fi de toute polémique, de toute politique politicienne. Tout n’a peut-être pas été aussi bien fait que nous aurions pu l’espérer… Peut-être aurions-nous pu éviter quelques atermoiements, quelques changements de cap. Mais, enfin, ce gouvernement n’est pas le premier à agir ainsi ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.) N’ayons pas la mémoire courte !

Monsieur le président, lorsque vous avez été élu à la présidence de la Haute Assemblée, vous avez souhaité que le Sénat soit respecté, entendu et écouté. Le Premier ministre a souligné, dans la conclusion de son intervention, qu’il y a une chance que la réforme soit mise en place si chacun – Gouvernement et Parlement – joue son rôle. C’est ce que les membres du groupe socialiste et apparentés du Sénat vous proposent, mes chers collègues.

Retrouvons-nous sur l’essentiel en vue de garantir la proximité à nos concitoyens, de rassurer les élus et d’encourager les fonctionnaires territoriaux : des grandes régions, des conseils départementaux de proximité, des communes et des intercommunalités rénovées, une clarification des compétences, la redéfinition du rôle de l’État. Aidons les fonctionnaires territoriaux à retrouver le moral ! Si nous mettons tout cela en œuvre,…

Mme Sophie Primas. Avec des si…

M. Didier Guillaume. Nous pouvons ne pas être d’accord sur toutes les dispositions prévues dans le projet de loi qui nous est soumis, sur le découpage de telle ou telle région. Je sais que nous avons des divergences de vues, mais, sur le fond, pour être respecté, le Sénat doit avancer dans le sens de la modernité, de la réforme.

La réforme proposée par le Gouvernement pour ce qui concerne la délimitation des régions, puis la nouvelle organisation territoriale de la République est très importante. Nous sommes tous des Républicains convaincus. La France est une et indivisible, mais elle est diverse. Défendons la République française, mais défendons la République française décentralisée avec la force de nos convictions ! Nous devons faire en sorte que les élus soient en phase avec leurs concitoyens, soient solidaires avec eux, et, surtout, nous devons veiller à ce que nos collectivités locales aient, demain, les moyens de se développer, de travailler en réseau, dans l’intérêt de notre pays. (Mmes et MM. les sénateurs du groupe socialiste se lèvent et applaudissent longuement.)

M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour le groupe écologiste.

M. Ronan Dantec. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous, écologistes, défendons depuis toujours un renforcement des compétences des collectivités territoriales, car nous considérons que c’est bien au plus près des citoyens et en s’adaptant aux spécificités de chaque territoire que l’on peut développer au mieux l’action publique.

En la matière, le projet des écologistes est connu. Nous sommes constants dans nos propositions autour du renforcement du couple région-intercommunalité, avec l’instauration du suffrage universel direct pour l’élection des conseillers communautaires chargés des grandes politiques de la vie quotidienne.

Tout nouveau projet de loi renforçant les compétences des élus locaux et régionaux, permettant une plus grande lisibilité de l’action publique territoriale, nous semble donc aller dans le bon sens, et nous sommes prêts à le soutenir.

Nous avons applaudi, monsieur le Premier ministre, au mois d’avril dernier, à une bonne part de vos annonces sur le nécessaire engagement d’un processus fort et rapide pour redessiner les contours de l’action publique territoriale, la rendre plus cohérente avec, comme symbole de cette volonté de faire simple et efficace, l’annonce de la suppression du département, l’une de nos vieilles revendications.

Le projet pouvait paraître audacieux. Vous sembliez toutefois prêt à bousculer tous les conservatismes et nous nous apprêtions déjà à investir nos modestes forces sénatoriales à vos côtés, pour vous aider dans la bataille difficile qui s’annonçait dans cet hémicycle, face à tous les conservatismes que dérangeait déjà votre volontarisme affiché.

Aujourd’hui, nous répondons présents, mais sommes, avouons-le, quelque peu désorientés... Où est le champ de bataille ? Où est la ligne de front ? Les lignes ont tellement bougé depuis six mois ; les alliances se sont scellées, dénouées, recomposées, et plus personne ne s’y retrouve vraiment… Je n’ose même pas évoquer le besoin d’une boussole indiquant le nord, car mes propos pourraient être considérés comme une prise de position sur l’avenir et le redécoupage des régions septentrionales de notre pays. (Sourires.)

Il y a un problème de méthode. Reconnaissons donc l’intérêt du débat de ce jour pour essayer d’y voir plus clair.

J’insiste tout d’abord – cette remarque a déjà été formulée – sur l’ordre de présentation des projets de loi. Si l’on peut comprendre – ne soyons pas caricaturaux – quelques urgences liées aux contraintes constitutionnelles du calendrier électoral, il n’en paraît pas moins évident qu’annoncer un aussi vaste redécoupage des régions françaises avant d’avoir précisé les compétences n’a guère contribué à la clarté du débat.

Si je prends l’exemple que je connais le mieux, celui du redécoupage de l’ouest, le statu quo défendu par nombre de grands élus des deux régions, plus par calculs électoraux de court terme et patriotisme d’organisation que par vision d’avenir, n’aurait peut-être pas résisté à la prise de conscience collective des nouvelles logiques de planification inscrites dans la future loi que présentera Marylise Lebranchu. On peut s’interroger…

Les élus régionaux de ces deux régions administratives, Bretagne et Pays de la Loire, auraient-ils pu continuer à soutenir un statu quo, indéfendable sur le fond, s’ils avaient dû expliquer aux citoyens que, demain, un schéma prescripteur régional d’aménagement du territoire ne chapeautera même pas l’axe majeur d’aménagement de l’ouest – l’axe Rennes-Nantes –, lequel va se retrouver tronçonné entre deux schémas prescriptifs différents ?

L’incohérence devait alors sauter aux yeux et l’immobilisme, qui a trouvé dans l’ouest tant de défenseurs au sein de ces deux régions, s’en serait peut-être trouvé ébranlé.

J’en viens à la question qui va nous occuper pendant deux ou trois jours, celle de la bonne carte pour la France du XXIe siècle. Je crois, monsieur le Premier ministre, avoir compris votre logique : une France reconstruite autour de grandes aires urbaines censées entraîner l’ensemble de leur territoire. Une grande région pour Bordeaux, Toulouse, Lyon, Marseille ou Lille ; une armature urbaine pour la Normandie ou l’est de la France. Cette position peut se concevoir, être défendue, mais la démonstration aurait gagné en clarté si vous nous aviez expliqué précisément comment la richesse sera redistribuée entre Toulouse et Foix ou entre Lyon et Aurillac.

L’absence de définition des mécanismes de solidarité territoriale interne autour de ces grandes régions nuit probablement à la démonstration et réduit l’adhésion à cette réforme de territoires qui se sentent aujourd’hui faibles et excentrés. Nous avons toutefois encore le temps de retravailler sur ces mécanismes de solidarité dans le cadre de la discussion de la future loi Lebranchu. Il s’agit de l’un des socles d’une réforme réussie.

Cette réforme n’a également de sens que dans la construction d’un « vouloir vivre ensemble » clairement exprimé. Plus de deux siècles après la création des départements, plus de soixante ans après celle des circonscriptions d’action régionale, quelle grande opportunité que l’élaboration d’une nouvelle carte à l’image de la France d’aujourd’hui !

Malheureusement, monsieur le Premier ministre, vous avez refusé d’aller au bout de la logique que vous aviez pourtant mise en œuvre. En limitant la réforme à l’alternative entre fusion de régions ou statu quo, vous avez raté l’occasion d’une carte partagée, comprise et largement défendue.

Le sujet passionne pourtant les territoires : il a fait descendre des dizaines de milliers de personnes dans les rues, à Nantes ou à Strasbourg, et fait la une des journaux régionaux. Pourquoi ne pas avoir organisé un plus grand débat public, avec vote des assemblées concernées autour de différents scénarios, voire des consultations populaires, là où il n’y avait pas consensus ?

Mme Éliane Assassi. Très bien !

M. Ronan Dantec. Ce débat était désiré dans nos territoires et le fait de l’avoir occulté est source de beaucoup de frustration.

Pourquoi donc ce refus de renforcer la parole citoyenne, d’intégrer la vie des habitants ? Permettre des initiatives citoyennes, ce n’est ni la chienlit ni la boîte de Pandore, comme je l’ai entendu dire. C’est, au contraire, conforter le citoyen dans sa capacité d’intervention dans le débat public, conforter la démocratie locale et nationale.

Nous savons tous aujourd’hui combien il est urgent de redonner toute sa légitime place au citoyen au cœur du débat politique, de ne pas le laisser à la désespérance d’un choix entre abstention et vote en faveur des extrêmes.

L’exemple de l’Alsace est, en l’espèce, central. Les positions sont extrêmement nettes : les élus régionaux et départementaux, ainsi que la majorité des habitants, se sont tous prononcés pour une collectivité unique. Cette proposition est aujourd’hui sur la table et le Sénat la soutient. Monsieur le Premier ministre, si jamais vous revenez sur ce qui a été clairement exprimé, cela signifie que vous allez à l’encontre de vos précédents propos relatifs à une organisation territoriale correspondant à une France diverse.

Nous, membres du groupe écologiste, soutenons le projet de collectivité territoriale unique d’Alsace. Nous serons extrêmement attentifs à la réponse qui sera faite aux Alsaciens, et notre avis au terme du processus législatif en cours en dépendra. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – Mme Catherine Troendlé et M. Guy Dominique Kennel applaudissent également.)

Plus généralement, pourquoi diable refuser le droit d’option à l’échelle des départements, souplesse nécessaire à la cohérence d’ensemble ? Le Sénat, en première lecture, avait facilité ce droit d’option. L’Assemblée nationale, avec le soutien du Gouvernement, l’a supprimé. Nous le regrettons profondément.

Ce besoin de souplesse, au service d’une carte partagée, dépasse pourtant les clivages politiques habituels. Nous n’étions pas si loin d’un consensus, et je veux vous faire part aujourd'hui, monsieur le Premier ministre, au nom du groupe écologiste, de notre incompréhension devant la position gouvernementale, du point de vue tant du fond que du respect des travaux du Sénat exprimant sa volonté de trouver des consensus.

Plus globalement, s’agissant du rôle du département, vous le savez, les écologistes ont toujours plaidé en faveur d’un renforcement de la région, de pair avec la réduction des compétences départementales et, in fine, la disparition du département. Tel était à l’origine le sens du projet de loi – cela figurait en tout cas dans le préambule du texte – que Marylise Lebranchu devait nous présenter.

Depuis, l’histoire s’est un peu complexifiée et la disparition de l’échelon départemental n’est plus à l’ordre du jour. Cette évolution du discours a été un peu caricaturée ; elle s’est parfois réduite à un accord avec un groupe de la majorité, voire à un arrangement quelque peu politicien.

Nous rejoignons aujourd’hui en partie ces conclusions sur l’avenir du département. Autant l’existence de ce dernier n’avait pas de sens au sein de petites régions, autant son maintien comme échelon intermédiaire, disposant principalement de compétences en matière d’action sociale, entre petites intercommunalités et grandes régions, se conçoit.

Pour avoir, comme d’autres, échangé avec nombre d’élus d’intercommunalités de mon département, je peux aussi témoigner de leur refus de se voir confier les compétences sociales, et donc leur volonté de maintien d’un échelon départemental. Sur ce point, le débat a fait évoluer les visions, y compris chez les sénateurs écologistes.

Mais pour autant, ne faut-il pas faire évoluer le département ? Je vous propose même, monsieur le Premier ministre, un slogan simple et lisible : « moins de régions, moins de départements ».

Si je prends toujours l’exemple de l’axe Nantes-Rennes, la création d’un département unique de « Haute Bretagne » reliant ces deux métropoles aux problématiques territoriales identiques s’inscrit dans le sens de l’histoire. Pour citer le président Mézard : faites plus « confiance à l’intelligence territoriale ».

M. Ronan Dantec. La question de l’avenir du département soulève également celle – moins d’actualité – du bicamérisme. Demain, ces grandes régions aux compétences fortes devront-elles être gérées uniquement à travers un scrutin proportionnel au suffrage direct ? L’instauration d’une seconde chambre, issue des territoires, ne permettrait-elle pas d’apporter un meilleur équilibre, ainsi qu’une réponse à un certain nombre d’inquiétudes ? Je pense qu’il s’agit d’une piste à explorer : elle s’inscrit dans le débat et a été suivie ailleurs en Europe.

De même, mais nous n’aurons pas le temps de nous y attarder cet après-midi, se pose la question du statut de l’élu local, statut qui devra de nouveau être renforcé. Il s’agit d’une question clé de la réforme territoriale. Les élus locaux jouent aujourd’hui un rôle fondamental dans le maintien de la cohésion sociale et territoriale du pays.

Et il faudra également, cela a été dit, rassurer les fonctionnaires territoriaux, qui s’inquiètent beaucoup pour leur avenir. Ils ont aujourd’hui le sentiment d’être ballottés au gré des débats. Or ils sont, eux aussi, des acteurs clés de la cohésion de nos territoires.

Monsieur le Premier ministre, cette réforme, qui se trouve au milieu du gué, dans le brouillard de ces compétences nouvelles mal définies, soulève de nombreuses interrogations de notre part. Ces compétences permettront-elles le maintien de la cohésion territoriale, voire son renforcement ? Devant la place de l’État, demain, dans cette nouvelle architecture, qui reste inconnue, ainsi que l’angoisse d’élus locaux craignant de ne perdre pied par manque de moyens financiers, nous avons un peu de mal à apercevoir l’autre rive. Pour dissiper ce brouillard, il faut aujourd’hui un souffle décentralisateur bien plus fort. Nous sentons bien quelque brise agréable, mais toujours bien légère…

Pour franchir la rivière, un bond est préférable à une étape, surtout au milieu du gué. Les membres du groupe écologiste soutiendront une réforme ambitieuse et lisible, mais pas une réforme qui resterait au milieu de la rivière. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – M. Didier Guillaume applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe CRC.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, je voudrais tout d’abord vous remercier d’avoir pris l’initiative de ce débat, et remercier également le Premier ministre d’être parmi nous pour clarifier cette réforme territoriale.

Avant toute chose, quitte à amputer quelque peu mon temps de parole, je souhaite faire part de l’émotion de mon groupe à la suite du décès, dans des conditions qui restent encore à déterminer, du jeune Rémi Fraisse, qui manifestait pour la suspension des travaux du barrage de Sivens, dans le Tarn. On ne peut mourir à vingt et un ans. Nos pensées sont tournées vers sa famille, ses proches, et nous espérons que la lumière sur ce drame sera faite au plus vite.

Mes chers collègues, notre débat de cet après-midi ne peut être déconnecté de ce qui se passe dans le pays : chômage en constante progression, croissance quasi nulle, demande agonisante et austérité bien présente, alors que les déficits sont à leur paroxysme.

De manière générale et plus particulièrement dans ces circonstances, vous n’êtes pas sans le savoir, les élus, les collectivités, sont souvent les derniers remparts – d’aucuns disent les boucliers – contre la dislocation du tissu social.

Monsieur le Premier ministre, avec votre déclaration de ce jour sur la réforme territoriale, vous nous présentez en quelque sorte de nouveau votre projet de société. Libéral ? Social-libéral ? Je vous laisse le soin de le qualifier…

Pour ma part, ce qui m’intéresse, ce sont les contenus et le sens. Une chose est sûre, cependant : ce projet tourne le dos aux valeurs qui ont construit la gauche au fil des décennies.

Rares sont celles et ceux qui croient aujourd’hui que l’objectif de votre politique est de répondre aux espoirs exprimés au mois de mai 2012. Vous ne cessez d’ailleurs de le répéter : vous voulez casser le lien avec cette gauche que vous avez reniée, alors même qu’elle fonde votre seule légitimité politique.

Votre gouvernement a entériné une politique de l’offre conforme aux souhaits du MEDEF et, pour la financer, vous vous attaquez à la protection sociale, au code du travail et aux collectivités. En résumé, vous demandez des efforts à la population pour améliorer la situation du pays, alors que vous faites des cadeaux aux entreprises et à leurs actionnaires.

Autant de choix qui n’offrent pas de différence de fond avec la politique économique menée par la droite. Vous ne laissez qu’une seule option aux Français, puisqu’ils doivent choisir entre deux maux : le moins pire, c’est-à-dire la réduction des dépenses de 50 milliards d’euros que vous proposez, et le pire, les économies de 120 milliards d’euros voulues par la droite. Mais pire ou moins pire, c’est toujours pire ; or ce n’est ni pour l’un ni pour l’autre que nous avons voté !

Certes, vous n’êtes pas, je dois le reconnaître, monsieur le Premier ministre, le seul responsable des évolutions libérales en matière économique et sociale de la société ; il en va de même, d’ailleurs, pour le sujet qui nous intéresse aujourd’hui, l’organisation du territoire : cette évolution remonte en effet à de longues années.

Après les grands espoirs suscités par les lois de décentralisation de 1982, la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 a engagé le morcellement de la République. Le Premier ministre de l’époque, Jean-Pierre Raffarin, en avait fait sa réforme clé : la clé d’une politique libérale totalement revendiquée, dont la finalité fut d’opérer de vastes transferts d’activités publiques rentables vers le secteur privé et de diminuer considérablement les dépenses publiques.

Les réformes engagées par Nicolas Sarkozy ont poursuivi une logique de désengagement financier et politique de l’État, avec une méthode : la mise en compétition « à la libérale » des territoires mortifère pour les communes.

La réforme des collectivités territoriales de l’année 2010, que toute la gauche avait pourtant combattue, n’a été ni abrogée ni même détricotée par votre gouvernement.

Seul le conseiller territorial, qui remplaçait les conseillers généraux et régionaux, a été supprimé à la suite de l’adoption d’une proposition de loi déposée par mon groupe au Sénat.

« Réformer les territoires pour réformer la France » : telle est la formule utilisée par le Président de la République pour justifier sa politique territoriale, qui remet en cause l’architecture institutionnelle de notre pays. Cette réforme territoriale a trois objectifs : imposer l’austérité, attiser la concurrence entre les territoires et ouvrir de nouveaux espaces de profit pour les marchés, tout en détruisant la démocratie locale.

La précipitation de cette réforme, menée qui plus est sans consulter le peuple, est le symptôme de la poursuite des attaques portées contre la République ; elle dénote un vrai mépris pour la démocratie et la souveraineté populaire, le Gouvernement se pliant à la seule volonté de la Commission européenne, dont l’ambition est de dissoudre, par la promotion des régions, le cadre national, afin de faciliter la circulation des capitaux et des travailleurs sans droit.

Scindée en plusieurs textes, cette réforme est devenue illisible – quoi qu’en disent certains – pour les citoyens. Comment peuvent-ils s’y retrouver quand les élus locaux eux-mêmes s’y perdent ? En réalité, elle s’attaque aux deux collectivités les plus proches des citoyens, celles qui sont à leur côté dans les difficultés. Cela ne peut que renforcer la crise politique et entraîner une remise en cause de la cohésion sociale.

Répondant aux attentes de la Commission européenne et du « top secret » Comité des régions, la suppression des départements et la réorganisation libérale du territoire marquent la volonté de réduire au maximum l’expression de la souveraineté populaire.

En ce sens, l’adaptation du territoire au libéralisme sacrifie les structures démocratiques pour mieux s’éloigner de l’intérêt général.

Par ailleurs, ce projet défend une conception de l’État recentré sur ses missions régaliennes, conception promue par les idéologues du libéralisme et leurs traités européens, afin de réduire les dépenses publiques.

Cet aménagement du territoire entraînera nécessairement une mise en concurrence internationale, européenne et nationale des territoires.

Elle aura pour conséquence prévisible d’approfondir le fossé entre les régions à fort potentiel économique et les autres. Les régions riches ne vont certainement pas tirer vers le haut les régions les plus pauvres ; elles seront en réalité de véritables trous noirs, qui aspireront l’essentiel des richesses.

Cette concurrence induira un déséquilibre territorial, une hiérarchie inévitable, et laissera encore davantage les plus démunis au bord de la route.

Mettre en concurrence des territoires participe du démantèlement des services publics, garants du principe d’égalité. De ce point de vue, ce qui nous sépare profondément de vous, monsieur le Premier ministre, c’est notre attachement au principe républicain d’unicité des services publics.

Or cette réforme porte, dans ses fondements mêmes, l’éclatement de l’égalité républicaine. La mise en concurrence a été poussée à son paroxysme avec la création des métropoles. Avec ces dernières, dans un objectif de concentration et d’optimisation économique, sont constitués de grands centres économiques adaptés au marché et est mis à la disposition du marché capitaliste ainsi que des multinationales un espace dans lequel ils vont pouvoir trouver tout ce dont ils ont besoin pour satisfaire leur appétit. En clair, tout est fait pour mettre les institutions au service des dogmes de rentabilité et de compétitivité.

Monsieur le Premier ministre, nous n’acceptons pas que votre gouvernement, qui tient sa légitimité du peuple de gauche, avance et répète, comme un vieux disque rayé, le fameux argument de la réduction des dépenses publiques.

Le regroupement et la mutualisation permettraient, selon vous, de faire des économies, sans licenciement, tout en améliorant les prestations offertes à la population. Qui, à part vous et vos amis, bien sûr, peut sincèrement soutenir cette thèse ?

Nombreux aujourd’hui sont ceux qui considèrent – y compris, et c’est un comble, des agences de notation ! – que les frais de regroupement des organisations nouvelles vont coûter plus cher pendant une période de cinq à dix ans.

Ce ne sont pas les frais de structures ni les fonctions support qui coûtent le plus aux collectivités territoriales ; ce sont les services mis en place en faveur de la population. Il n’y aura donc réduction des coûts qu’au prix d’une baisse brutale des services, ce qui est bien l’objectif inavoué de cette réforme. Si les collectivités dépensent plus pour se réorganiser, et que, dans le même temps, les dotations d’État baissent, alors les collectivités devront réduire leur action en direction de la population, ainsi que leurs investissements.

Ce mouvement est déjà à l’œuvre et l’austérité gagnera toujours plus l’action locale. Comment pouvez-vous ignorer à ce point la colère qui monte chez les élus, les fonctionnaires et nos concitoyens, face à la réduction des dotations aux collectivités ? Cet après-midi même, de nombreux maires ruraux sont venus dire cette colère devant le Sénat.

Monsieur le Premier ministre, notre vision de la démocratie, de l’organisation des institutions et du territoire n’est ni dépassée ni archaïque. C’est au contraire la politique du Gouvernement qui n’est nullement tournée vers l’avenir, qui s’inspire des vieux préceptes libéraux, à peine dépoussiérés, promus par les économistes des XVIIIe et XIXe siècles David Ricardo et Adam Smith.

C’est votre politique qui ramène vers le passé notre pays : retour sur les acquis sociaux par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 ; destruction organisée des services publics ; culpabilisation des chômeurs ; atteintes aux droits des salariés ; coups donnés aux fonctionnaires ; recentralisation des pouvoirs ; éloignement des centres de décisions des citoyens ; et j’en passe ! Sous couvert de modernité, c’est en réalité un recul démocratique majeur qui est en cours.

Non, monsieur le Premier ministre, pour reprendre vos propos tenus dans une interview accordée à un hebdomadaire qui a récemment changé de nom, nous ne choisissons pas « de défendre les solutions d’hier plutôt que de résoudre les problèmes d’aujourd’hui » ; nous sommes des partisans déterminés du progrès. Or, selon nous, le progrès, c’est placer l’humain au cœur des décisions, et non pas, comme vous le faites, la logique financière comptable.

Nous sommes favorables à une évolution des structures locales ; encore faut-il analyser les forces et faiblesses de ce qui existe aujourd’hui. C’est pourquoi nous proposons, dans le respect des structures démocratiques existantes, une remise à plat de notre organisation territoriale, accompagnée d’une réforme fiscale,…

M. Jean-François Husson. Promise par Jean-Marc Ayrault !

Mme Éliane Assassi. … cette fameuse réforme dont nous avons longtemps entendu parler, et qui a été enterrée, renforçant la libre administration des collectivités et les outils de péréquation sur la base de quatre axes cardinaux : démocratie, proximité, coopération, services publics.

Nous sommes pour une profonde rénovation de nos institutions ; une rénovation tournée vers le partage et non vers la domination des unes sur les autres. Dès lors que ce sont les objectifs de services publics et d’épanouissement humain qui priment, nous sommes favorables, monsieur le Premier ministre, à des regroupements de territoires, pour autant qu’ils se fassent sur la base de projets convergents, respectueux de l’unicité de la République.

Quant à l’État, nous voulons qu’il s’investisse dans des grands projets structurants, utiles, développeurs de solutions publiques, créateurs d’emplois, et qu’il joue son rôle, à son échelle, dans un certain nombre de domaines : la santé, les transports, l’éducation, l’énergie, la culture et l’environnement, notamment.

Oui, nous sommes pour une VIe République démocratique et sociale. Nous sommes courageux, monsieur le Premier ministre ; nous n’avons pas peur, vous le savez bien, de changer radicalement nos institutions, à condition qu’elles apportent plus de démocratie. Je pense à l’Assemblée constituante, pour plus d’implication citoyenne ; je pense également au contrôle citoyen, grâce à un droit de regard du peuple sur les prises de décisions et à plus de coopération.

La réforme du Président de la République que vous défendez ne recueille pas l’assentiment de la majorité des élus ni du pays ; elle est même à l’origine de fissures au sein de votre majorité.

Elle doit faire l’objet d’un référendum populaire, car le peuple ne peut être mis devant le fait accompli que représente une telle modification des règles démocratiques.

Contrairement aux idées reçues, nos concitoyens sont très attachés à leurs collectivités, dont leur département, y compris en milieu urbain. C’est ce dont témoignent les 32 000 signatures recueillies dans le Val-de-Marne (M. Philippe Dallier s’exclame.), que mon ami Christian Favier, sénateur et président du conseil général du département en question, va vous soumettre aujourd’hui.

Oui, monsieur le Premier ministre, l’heure est au choix : entre les valeurs d’avenir, de progrès et de justice sociale – des valeurs de gauche, en résumé, de cette gauche dont la raison d’être est la contestation de la toute-puissance du capitalisme – et celles d’un libéralisme passéiste, arc-bouté sur ses privilèges, dont vous semblez malheureusement vous faire aujourd’hui le porte-parole. (Mmes et MM. les sénateurs du groupe CRC se lèvent et applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour le groupe UMP. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)

M. Philippe Bas. Monsieur le Premier ministre, vous avez revendiqué, à l’avantage de votre réforme, la clarté, la simplicité et la lisibilité. Si votre réforme n’est pas marquée par la qualité de lisibilité, votre discours, lui, était clair.

Vous avez un modèle, je l’ai compris. Or votre réforme n’y correspond pas et vous ne l’assumez pas vous-même. De toute façon, d’ailleurs, il ne correspond pas à celui que nous avons à l’esprit.

J’espère que le présent débat puis la discussion du projet de loi qui va suivre permettront de rapprocher les points de vue. Force est néanmoins de reconnaître qu’il y a beaucoup de chemin à faire.

Quel est donc votre modèle, monsieur le Premier ministre ? L’État, vous n’en parlez pas. Les régions, vous les qualifiez de « grandes régions stratèges ». Les départements, vous annoncez leur suppression. Je sais bien que des discussions, des évolutions, des atermoiements ont eu lieu, qui rendent à ce sujet l’avenir très incertain. Mais le propos que vous venez de tenir, en toute clarté, annonce bien la future suppression des départements. Les intercommunalités et les métropoles, vous voulez les renforcer. Les communes, elles, vous les oubliez.

Tel est votre modèle, que vous n’assumez pas, je le répète.

M. David Assouline. Vous n’avez rien compris !

M. Didier Guillaume. Nous n’avons pas entendu la même chose !

M. Philippe Bas. Cet État absent de votre discours asphyxie les collectivités territoriales ; il aggrave leurs charges !

M. Philippe Bas. L’exemple que vous avez malencontreusement cité, celui des rythmes scolaires, en atteste ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.) Je suis le modeste vice-président d’une communauté de communes de 16 000 habitants, et qui compte 1 000 élèves dans l’enseignement primaire.

M. David Assouline. Et combien dans l’enseignement privé ?

M. Philippe Bas. Comme nous sommes de bons citoyens, nous accueillons les enfants pour des activités périscolaires. Cela nous coûte l’équivalent de 8,5 % de nos ressources fiscales.

M. Yves Rome. C’est un investissement pour l’avenir !

M. David Assouline. C’est pour les enfants ! Vous qui n’arrêtez pas d’invoquer la famille…

Mme Nicole Bricq. Vous n’aimez pas les jeunes !

M. Philippe Bas. L’État asphyxie les collectivités territoriales. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Monsieur le Premier ministre, vos « régions stratèges » seront des régions ankylosées, enlisées dans la gestion du quotidien ! Ce seront des régions obèses, sans dynamisme, sans ressort pour le développement économique et l’animation des territoires !

En effet, dans votre projet de réforme, vous les avez lourdement lestées de compétences de proximité qui étaient fort bien exercées par les départements. Mais, comme vous ne savez que faire des départements, il vous a semblé adroit de transférer ces compétences aux régions. Cela ne correspond pas du tout au modèle que vous décrivez.

Les départements, vous ne les supprimez pas !

M. François-Noël Buffet. Pas tout de suite !

M. Philippe Bas. Ni tout de suite ni demain ! Car, en 2020, vous ne serez plus là ! (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. Michel Delebarre. Pessimiste !

Mme Annie Guillemot. Ils nous faisaient déjà le même coup en 1981 !

M. Philippe Bas. Par conséquent, tout ce que vous dites aujourd'hui sur les départements, c’est seulement pour en parler ! Vous postulez pour compte d’autrui. Il n’y a rien dans votre réforme sur l’avenir des départements. Vous avez peur d’engager une révision constitutionnelle et d’affronter le peuple français en le consultant par référendum !

C'est la raison, la seule, pour laquelle vous avez reculé sur la suppression des départements. Cela ne vous empêche pas de faire de multiples concessions au fil des semaines, concessions qui ne vous engagent à rien, puisque, encore une fois, ce n’est pas vous qui aurez à décider de l’avenir des départements, j’en suis convaincu.

M. David Assouline. Vous lisez l’avenir ?

M. Philippe Bas. Bien entendu, je ne veux pas anticiper sur ce que les Français décideront dans quelques années (Marques d’ironie sur les travées du groupe socialiste.),…

M. David Assouline. Bref, ce que vous avez dit ou rien, c’est pareil…

M. Philippe Bas. … ce serait tout à fait prématuré et présomptueux de ma part.

M. Yves Daudigny. Et ce n’est pas votre genre…

M. Philippe Bas. Je ne m’engagerai donc pas sur ce terrain-là.

Mais, en tout état de cause, il y aura une élection présidentielle et probablement un nouveau gouvernement en 2017.

M. Bruno Retailleau. Au plus tard…

M. Philippe Bas. Et nous verrons bien ce que ce gouvernement décidera quant à l’avenir des départements.

Pour l’heure, vous handicapez fortement l’avenir de ces derniers en leur retirant des compétences qu’ils exercent pourtant mieux que ne pourront le faire les régions.

Les intercommunalités, vous les déstabilisez profondément. La plupart des nouvelles intercommunalités ont été mises en place au mois de janvier. Les nouveaux conseils et les exécutifs ont été installés au mois d’avril. Et vous voudriez déjà les bousculer, les renverser, les disloquer après plusieurs années de mise en place pour les regrouper dans des ensembles plus vastes ? (Mlle Sophie Joissains applaudit.)

Après avoir fixé le seuil de 20 000 habitants, vous vous êtes rendu compte, et je vous en remercie, qu’il y avait quelque chose d’excessif dans l’application obligatoire d’une règle aussi abrupte. Tant mieux ! Cela prouve qu’il peut y avoir des évolutions positives.

Pour autant, remettre le couvert si tôt et après un exercice si difficile, alors que la loi prévoit elle-même une clause de revoyure après quelques années d’expérience pour permettre à nos intercommunalités de reprendre souffle, cela nous paraît une mauvaise idée !

Quant aux communes, ce sont les grandes oubliées de la réforme ! Pourquoi n’avez-vous pas réfléchi au développement de communes nouvelles pour inciter les communes qui le souhaitent à se regrouper, pour les rendre plus fortes dans les intercommunalités et pour leur permettre de conserver des compétences de proximité qu’elles n’ont pas forcément envie de déléguer aux intercommunalités, dans des décisions qui seront forcément plus lointaines ?

Monsieur le Premier ministre, que de grandes différences entre nous ! Pourront-elles être comblées ? Notre dialogue permettra peut-être d’avancer dans cette voie. Pour ce qui nous concerne, nous le souhaitons.

Pour cela, il faudra que vous avanciez plus franchement, en choisissant la ligne droite, au lieu de contourner l’obstacle et de prendre un chemin sinueux et incertain ! Comme je le soulignais tout à l’heure, les concessions que vous avez prétendu faire sur les départements ne vous engagent à rien. En revanche, les concessions que vous ne faites pas actuellement sur les départements vous engageraient à quelque chose. Ce sont celles-ci que nous attendons, et non des concessions spéculatives. Pour notre part, nous sommes dans l’action, et non dans la doctrine pour savoir ce que l’on pourra faire dans cinq ans.

Vous avez mis le département en voie d’extinction et en apesanteur. Il est profondément déstabilisé ;…

Plusieurs sénateurs du groupe UMP. C’est vrai !

M. Philippe Bas. … ses personnels sont démoralisés. Il est interdit de projet ; il n’investira plus.

M. Didier Guillaume. Si ! Nous, nous continuons à investir !

M. Philippe Bas. Car il est en attente, tétanisé par votre réforme ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Monsieur le Premier ministre, au lieu d’insister, comme vous le faites aujourd'hui en agitant une sorte de rideau de fumée, sur l’avenir mortifère que vous avez annoncé pour les départements, vous feriez mieux de ne pas handicaper les régions en les lestant de compétences qui sont, en réalité, des compétences de gestion, de maintenance et de proximité, et de laisser l’exercice de telles responsabilités aux départements en mettant un peu de clarté dans la répartition des rôles.

Oui aux « régions stratèges » que vous préconisez ; mais, pour que les régions soient stratèges, il ne faut pas qu’elles soient obèses !

Oui aussi aux départements, qui ont un avenir ! Notre collègue Jacques Mézard l’a rappelé tout à l’heure, en citant des propos que vous aviez vous-même tenus lorsque vous étiez ministre de l’intérieur. Nous n’avons pas renoncé à donner un avenir aux départements. Pour nous, ils offrent le meilleur service aux citoyens de notre pays.

Entre toutes les solutions possibles, toutes celles qui étaient à votre disposition, vous avez choisi la pire ! Vous avez pris le parti de l’entre-deux. Cela ne peut pas durer cinq ans.

Monsieur le Premier ministre, il faut sortir d’une telle situation. Il faut cette clarté que vous avez prétendu vous approprier. Je ne nie pas que vous ayez tenu un discours clair. Mais il ne correspond pas à la réalité !

M. Bruno Retailleau. Absolument !

M. Philippe Bas. Vous êtes en train de concevoir de véritables usines à gaz en envisageant l’avenir des départements, qui ne dépend pas que de vous.

Car vous avez bien imaginé qu’il faudrait remplacer par quelque chose les départements que vous voulez faire disparaître. Nous avons entendu parler tantôt d’« agences régionales » dans les départements, tantôt de « fédérations d’intercommunalités », tantôt de fusions de départements et de métropoles, tantôt du maintien des départements ruraux ; oui mais lesquels ? Vous insistez sur le rôle des agences régionales de santé et des caisses de sécurité sociale pour la gestion des problèmes sociaux.

M. Didier Guillaume. Tout ça, c’est très bien !

M. Philippe Bas. Personne ne s’y retrouve ! Le point commun de toutes les idées agitées aujourd'hui, c’est que vous voulez remplacer un système démocratique, celui des conseils généraux avec des élus au suffrage universel direct, par un système technocratique ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.) Je regrette de devoir le dire, mais c’est la vérité.

À propos des régions, nous avons d’abord un désaccord profond sur la méthode. Honnêtement, dessiner la carte des régions en dehors des heures de service, nuitamment, sur un coin de table, ce n’est pas une bonne idée ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Dominique Bailly. Caricature !

M. Philippe Bas. Le moindre regroupement d’intercommunalités passe par une procédure démocratique, avec consultation et vote de nos collectivités territoriales !

Mais, pour les régions – sans doute n’ont-elles pas dans votre esprit autant d’importance que vous voulez bien le dire ! –, le législateur est saisi tambour battant et sommé de participer à vos choix à la hussarde !

M. Yves Rome. Café du commerce !

M. Philippe Bas. Nous sommes dans un esprit coopératif ; j’espère que vous en avez conscience en entendant mes propos. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.) Cet esprit coopératif nous conduit à examiner tout de même la carte. Du moins espérons-nous que vous tiendrez compte de ce que nous avons à dire sur le sujet : nous craignons nous-mêmes de devoir prendre des décisions qui ne seraient pas assises sur une concertation suffisante avec les élus et les forces vives des territoires concernés.

C'est la raison pour laquelle il est vital qu’un droit d’option soit institué et puisse prendre corps dans des conditions de délai limitées. En effet, si les forces démocratiques régionales et départementales de notre pays souhaitent des modifications des frontières régionales que nous aurons décidées par le biais de la loi, il ne serait pas juste de les en empêcher. Il faut qu’il y ait une soupape de sûreté dans le système que vous avez choisi, faute de quoi il sera trop brutal. Il n’est pas certain que de nombreux départements aient envie d’utiliser une telle faculté. Mais il est tout simplement impossible et irrespectueux de la démocratie locale de ne pas au moins la prévoir, c'est-à-dire de ne pas adopter un système de droit d’option susceptible de fonctionner réellement.

Monsieur le Premier ministre, nous aimerions pouvoir vous aider. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.)

M. Dominique Bailly. Nous, nous aimerions pouvoir vous croire !

M. Michel Delebarre. Passez à l’acte !

M. Philippe Bas. Nous craignons la voie que vous avez choisie. Vous prenez le risque de rester dans l’histoire comme l’inventeur d’un nouveau centralisme : le centralisme régional !

M. Didier Guillaume. Ce sera un centralisme démocratique ! (Sourires sur les mêmes travées.)

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Justement non ! Ce ne sera pas du tout démocratique !

M. Philippe Bas. Je devrais plutôt parler de centralisme « super-régional », puisque ce sont des « super-régions » qu’il s’agit d’instituer.

Ce centralisme en cache un autre, mieux connu de tous : le centralisme d’État.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Qui a fait la réforme de l’administration territoriale de l’État, la REATE ?

M. Philippe Bas. Je le vois dans votre réforme sur l’organisation territoriale : vous donnez un véritable pouvoir de tutelle aux préfets de région, qui auront à approuver, avant leur entrée en vigueur, les grands schémas pour le développement économique et pour l’aménagement du foncier prévus par ce texte.

M. Didier Guillaume. Ce n’est pas vrai !

M. Philippe Bas. En outre, je le rappelle, jusqu’à ce jour, vous n’avez pas eu de véritable réflexion sur le transfert de compétences de l’État aux régions.

Vous avez prononcé tout à l’heure une phrase qui a apporté une musique moins désagréable. Vous avez soulevé l’idée selon laquelle il pourrait être intéressant de développer, par transfert de compétences de l’État, et à côté des compétences de formation professionnelle des régions, des compétences régionales en matière de politique de l’emploi, compte tenu des carences de l’État. Eh bien travaillons-y ! Le Sénat est, me semble-t-il, tout à fait intéressé par ce que j’ai cru percevoir comme une ouverture de votre part.

Monsieur le Premier ministre, face au millefeuille administratif, territorial, et pour éliminer les doublons, vous préconisez la suppression d’un échelon, mais vous vous gardez bien de mettre cette préconisation à exécution.

Pour notre part, nous proposons un autre modèle : la spécialisation des échelons. Chacun doit exercer les responsabilités, les pouvoirs et les compétences pour lesquels il est le mieux placé selon un principe que le président Jacques Chirac et son Premier ministre Jean-Pierre Raffarin ont voulu inscrire dans la Constitution en 2003 : la subsidiarité.

Si vous évoluez en faveur de ce principe, vous nous trouverez naturellement à vos côtés. Nous souhaitons que la réforme territoriale soit une réforme démocratique et non technocratique, une réforme de simplification et non de complexification, une réforme de décentralisation et non de recentralisation. Nous ne désespérons pas d’être entendus. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. René Vandierendonck, pour le groupe socialiste.

M. René Vandierendonck. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) Monsieur le Premier ministre, je vous remercie de vous prêter à ce débat proposé par M. le président du Sénat.

Ayant la chance de vous côtoyer au fil de différentes réunions, je dois à la vérité de souligner que vous êtes quasi systématiquement présent – ce sera encore le cas la semaine prochaine devant l’Assemblée des départements de France – auprès des associations d’élus locaux.

Il a été beaucoup répété qu’il fallait faire confiance à l’intelligence territoriale. Monsieur le président, c’est bien le débat qui nous occupe aujourd'hui. À une époque, on disait que la gauche était majoritaire dans cette enceinte. (Sourires.) Pourtant, c’est le même débat auquel j’ai eu à faire face en tant que rapporteur de la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite « loi MAPAM ». J’avais alors veillé à montrer, avec beaucoup d’entre vous, mes chers collègues, quelles que soient les travées sur lesquelles vous siégez, qu’il était possible de peser dans le débat sur les représentations et les territoires, ne serait-ce que parce que le Sénat était investi de cette mission constitutionnelle, à condition qu’il se saisisse de cette opportunité dès l’examen du texte en première lecture.

Madame la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, grâce au débat sur la loi précitée, le Sénat a jalonné le chemin. Je tiens à souligner que, après des heures de discussions et d’écoute mutuelle, le principe de diversité des territoires est en marche, ainsi que son corollaire qui met en œuvre entre l’État et les collectivités territoriales de nouveaux modes de concertation et de contractualisation. J’ai entendu M. le Premier ministre rappeler sa volonté de reconnaître ce principe de la différenciation territoriale, notamment dans le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République.

Vous avez raison, mes chers collègues, ces discussions ont été un peu chaotiques et ceux d’entre vous qui ont passé des nuits à examiner la clause de compétence générale des régions et des départements s’en souviennent,...

M. René Vandierendonck. ... surtout aujourd'hui, alors qu’on l’abandonne ! Convenez tout de même que, déjà à cette époque, dans nos débats très juridiques et très sophistiqués, on s’accordait à dire que la liberté interstitielle, voire résiduelle qu’elle laissait auxdites collectivités était assez limitée. Nous avions aussi longuement parlé des chefs de file, en regrettant – je me rappelle les positions de mon collègue Patriat – que le Conseil constitutionnel ne leur donnât pas le pouvoir de fixer les priorités dans l’exercice des compétences.

Cela étant, nos échanges nous ont malgré tout permis de clarifier l’architecture institutionnelle. Notons d’ailleurs que c’est lors de l’adoption de la loi MAPAM que l’architecture territoriale et bien d’autres problématiques ont été réglées : c’est par le biais de ce texte que la région acquiert, notamment dans la discussion sur les chefs de file, sa reconnaissance stratégique en matière d’aménagement et de développement durable des territoires, de protection de la biodiversité, de développement économique, d’innovation, d’internationalisation des entreprises, de schémas de transport, d’enseignement supérieur et de recherche. C’est aussi dans ce texte que le département s’articule autour de deux grandes compétences, action sociale et développement social et solidarité des territoires.

Madame la ministre, dois-je rappeler que nos débats avaient d’abord porté sur le bloc communal qui devait être chef de file en matière de... qualité de l’air ! (Sourires.)

M. René Vandierendonck. Nous avons remis les choses à leur place en intégrant la mobilité durable, l’organisation des services publics de proximité, l’aménagement de l’espace et le développement local.

M. Jean-René Lecerf. Très bien !

M. René Vandierendonck. Monsieur le Premier ministre, quand vous avez été nommé, vous avez tenu à venir devant la Haute Assemblée – vous n’y étiez pourtant pas obligé – pour dire très explicitement que, sur cette réforme des collectivités territoriales saison 2 et saison 3 (Sourires.), vous tiendriez compte du rapport d’information Raffarin-Krattinger, dont a parlé Jacques Mézard. Il n’y a que le Sénat qui puisse produire un tel rapport : la mission d’information a recueilli l’unanimité et a procédé à des visites et à des auditions très fouillées, auxquelles j’ai eu la chance de participer.

Je fais observer que, depuis, les conclusions de ce rapport d’information ont peu ou prou été reprises par tous ceux qui se sont penchés sérieusement sur ces questions d’organisation territoriale et de mise en œuvre des politiques publiques ; je pense au rapport Malvy-Lambert, aux deux rapports thématiques de la Cour des comptes, dont le dernier est paru la semaine dernière. Rappelons ces préconisations, puisque tout le monde en parle : pas plus de dix grandes régions stratèges, cher collège Retailleau, qui – le rapport prend la peine de le préciser – doivent être déconnectées de la proximité, car les communautés d’intérêts sont stratégiques. Il s’agit de préparer l’avenir, de déterminer les investissements structurants et de définir la façon de s’adapter à la compétitivité européenne et mondiale qui n’est pas un gros mot, puisque c’est par là que passe la création d’emplois pour nos concitoyens. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)

Mme Éliane Assassi. Il faut garder leur vote !

M. René Vandierendonck. Reconnaissons que, sur l’importance d’un petit nombre de grandes régions stratèges, le Gouvernement ne fait que prolonger la réflexion de la mission d’information.

Cela étant et, sur ce point, je vous rejoins, monsieur Retailleau, ce rapport d’information soutient avec force qu’aucune avancée ne sera possible si l’on se contente de croire que les nouvelles étapes de la décentralisation doivent se réduire à optimiser les compétences entre les collectivités territoriales. Rien ne pourra se faire si l’on ne traque pas aussi les doublons dans les compétences de l’État.

M. Bruno Retailleau. Nous sommes d’accord !

M. René Vandierendonck. Il n’est qu’à lire le rapport établi par Philippe Jurgensen, inspecteur général des finances, Jean-Jack Queyranne, notre collègue député président de région, et Jean-Philippe Demaël, chef d’entreprise, tous trois mandatés par le Gouvernement dans le cadre de la mission de la modernisation de l’action publique et chargés de se pencher sur l’enveloppe de 46 milliards d'euros de dépenses publiques directement destinée aux entreprises. Ces trois personnalités valident les recommandations de la mission d’information Raffarin-Krattinger et le constat est sans appel : les interventions sont « fragmentées, sédimentées, [...] ne sont pas majoritairement orientées vers les priorités de la compétitivité de demain », les fameux quatre I que sont l’investissement, l’industrie, l’innovation, l’international.

À n’en pas douter, une nouvelle compétence exclusive en matière d’aide aux entreprises confiée aux régions était absolument nécessaire, ne serait-ce que pour retrouver des marges de manœuvre et pour réinvestir là où se joue l’avenir des emplois. C’est d’ailleurs bien ce que vous avez annoncé, monsieur le Premier ministre, lors du dernier congrès de l’Association des régions de France, ce dont je vous remercie. Je suis persuadé qu’aller chercher les queues de compétences encore exercées par l’État aujourd'hui et unifier la problématique de la formation professionnelle et de l’accès à l’emploi au profit de régions constituera une avancée considérable.

J’en viens à l’aménagement des territoires. Il faut bien reconnaître que, pour l’instant, l’élaboration des schémas régionaux d’aménagement et de développement durable du territoire, les SRADDT, est un exercice contemplatif ! (Rires.) En effet, ces schémas n’assurent pas la mise en cohérence de l’espace régional. Grâce à l’opposabilité minimale du SRADDT aux documents d’urbanisme, nous pourrons enfin défendre la ruralité et cesser de déplorer que l’équivalent d’un département en terres agricoles disparaisse chaque année. Nous aurons la possibilité, dans une France où seulement 20 % du territoire est couvert par un schéma de cohérence territoriale, de donner un effet à de vraies en matière d’aménagement du territoire.

Mme Sophie Primas. En Île-de-France, ce n’est pas vrai !

M. René Vandierendonck. Le Gouvernement me rendra cette justice : je plaide depuis longtemps pour l’avenir des départements.

M. Jean-François Husson. L’avenir en bleu ! (Sourires sur les travées de l’UMP.)

M. René Vandierendonck. Comprenons-nous bien : pour moi, n’auront d’avenir que ceux qui veulent se regrouper, favoriser la fluidité et mettre en place les conditions pour créer de plus grandes organisations administratives.

Je remercie le corapporteur sur le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, M. Hyest, de m’avoir autorisé à commencer les auditions, car je ne l’aurais pas fait sans son consentement. J’ai interrogé toutes les intercommunalités du pays et je n’en ai pas trouvé beaucoup m’annoncer spontanément : « Vivement que l’on nous transfère les compétences sociales du département ! » (Rires et applaudissements.)

Par ailleurs, et je ne suis pas schizophrène, il y a belle lurette que les départements s’intéressent à la question des solidarités territoriales : aujourd'hui, des dizaines, pour ne pas dire des centaines de communes ne tiennent que par la contractualisation avec les départements. On pourrait dire, et vous en avez eu la tentation, que cela ne concerne que la France rurale. Or M. le président de la commission spéciale a organisé l’audition de géographes. Plusieurs d’entre eux ont expliqué que cette « France périphérique », pour parler comme Christophe Guilluy – moi aussi, je le lis ! (Sourires. – Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) –, ne s’arrêtait pas au rural, mais concernait aussi le « périurbain subi », la cartographie des plans sociaux, la problématique de la centaine de villes petites et moyennes qui, depuis le mois de juin dernier, sont entrées, grâce au Gouvernement, dans la géographie prioritaire de la politique de la ville.

M. Bruno Retailleau. Venez avec nous !

M. René Vandierendonck. Il est évident que les départements, même s’il faut recentrer leurs compétences, ont un avenir.

Je partage tout à fait le constat établi dans le rapport de la Cour des comptes publié la semaine dernière : la coexistence de 8 965 syndicats intercommunaux, de 1 233 syndicats mixtes, qui regroupent quelque 65 000 agents, soit plus du tiers des personnels des établissements publics de coopération intercommunale, appelle une rationalisation dans le respect des personnels.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique. On va le faire !

M. Jackie Pierre. Cherchez le bon capitaine !

M. René Vandierendonck. Ainsi, dans les départements où 80 % des communes adhèrent à une intercommunalité, celle-ci doit reprendre la compétence des syndicats. Cependant, dans un grand nombre de cas – je me suis livré à l’exercice –, nous aurons besoin des départements pour réorganiser la présence de services publics qui sont souvent essentiels.

M. le Premier ministre a été clair sur le devenir de l’intercommunalité et a manifesté sa volonté de prendre en compte la géographie humaine et physique. Sur cette question, il faut remercier le Gouvernement d’avoir donné des suites extrêmement précises à un certain nombre d’initiatives sénatoriales ; je veux saluer en cet instant Jean-Pierre Sueur, Jacqueline Gourault, Alain Richard et j’en oublie, c'est-à-dire tous les sénateurs qui ont permis que progresse l’intercommunalité sur les questions de contrat de gouvernance et de mutualisation ascendante, monsieur Dallier.

Je souhaite que cette réforme puisse nous permettre de retrouver, dès la première lecture du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, le climat de travail qui caractérise cette enceinte. Faute de quoi, mes chers collègues, d’autres décideront pour vous. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de vos contributions, même si je ne répondrai pas à chacun d’entre vous. Le débat ne fait que commencer ; il s’agissait cet après-midi d’éclairer le Sénat sur les intentions du Gouvernement, d’apporter des clarifications et du sens.

Pourquoi en sommes-nous là ? Je reprends les termes qui ont été utilisés : illisibilité, millefeuille, crise démocratique. Cette dernière est sans doute due à des raisons plus graves, qui touchent aussi la démocratie locale. Il n’est qu’à voir les taux de participation aux élections, y compris locales, notamment aux dernières élections municipales. J’ai également entendu parler de crise économique, crise sociale, crise de confiance, crise identitaire. Mais nous connaissons déjà ces phénomènes depuis plus d’une dizaine d’années.

Des avancées incontestables en matière de décentralisation – ce terme, que personne ne remet véritablement en cause, a été, comme je l’ai rappelé, inscrit dans la Constitution – sont intervenues mais, progressivement l’empilement des compétences, l’absence de clarté en la matière, le rôle que les collectivités se sont arrogé elles-mêmes, au-delà des compétences qui leur étaient assignées, ont créé une illisibilité. Si nous sommes tous des spécialistes de ces questions, nos concitoyens, eux, s’y perdent, comme d’ailleurs la plupart des acteurs économiques et sociaux.

L’idée développée depuis un certain temps est moins de décentraliser – j’y reviendrai, c’est un mouvement qu’il faut le poursuivre – que de clarifier, ce qui n’a pas été fait depuis plusieurs années.

Par ailleurs, il y a une crise des finances publiques. Je veux bien que soient mises en cause les intentions budgétaires pour les collectivités du Gouvernement auquel sont demandées des explications, mais à la lecture des projets et des programmes des uns et des autres pour réduire la dépense publique, la clarification me paraît également nécessaire. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.) Réaliser 100 milliards ou 150 milliards d’euros d’économies budgétaires ? Certes, mais cela concerne l’État, qu’il faut préserver, l’assurance maladie, indispensable à notre pacte républicain, et les collectivités, qui sont le cœur de notre démocratie. Il faut faire des choix ; nous les faisons, et ce n’est pas facile.

Parce qu’il y a crise des finances publiques, chacun s’interroge depuis quelques années sur la manière dont les collectivités territoriales, par leur organisation, peuvent contribuer à apporter une réponse à ce problème.

Comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner à maintes reprises, et je souhaite le répéter clairement devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, quand François Hollande a été élu Président de la République en 2012, la situation était celle que vous connaissez : nous gouvernions, et gouvernons toujours, la plupart des régions, deux tiers des départements, de grandes métropoles. La gauche, qui avait tous ces pouvoirs, n’a pas su, au cours des campagnes présidentielle et législative, présenter un nouveau projet de décentralisation.

Nous avons tâtonné, nous avons commencé, comme je l’ai dit tout à l'heure, par les métropoles. Personne aujourd’hui ne conteste ce choix, le vrai sujet étant la manière dont on fait vivre les solidarités avec les autres territoires. Mais l’absence de lisibilité relevée au début, malgré le travail qui a été accompli au Sénat, les contradictions qui existent entre les associations d’élus – soyons les uns et les autres modestes –, entre les régions, les départements, les villes sont réelles.

Je me rends actuellement à tous les congrès. J’y consacre beaucoup de temps. J’écoute les élus, comme c’est mon rôle. Or, permettez-moi de vous le dire, quand j’écoute les élus, de quelque tendance politique qu’ils soient, la majorité sénatoriale, l’opposition nationale sur ces questions, je constate que les contradictions sont nombreuses. Et je pourrais vous citer un florilège de contradictions quant à la suppression des départements, par exemple. Notre rôle – il me paraît extrêmement important si nous voulons être utiles à notre pays – est d’essayer de dépasser ces contradictions.

Cela étant, il y a aussi des débats que je qualifierai pour ma part de « faux débats ».

Le premier d’entre eux porte sur la centralisation et la décentralisation. Mais la recentralisation n’est pas possible non seulement pour des questions budgétaires et d’efficacité, mais tout simplement parce que ce n’est pas le sens du mouvement actuel. La gauche a porté la décentralisation depuis des années. Reprocher aujourd'hui au Gouvernement de vouloir centraliser, c’est lui faire un faux procès !

Un autre débat concerne le rôle des régions, mais il ne s’agit pas de recentralisation ; le sujet est autre. Ce à quoi le Gouvernement s’est engagé – je l’ai fait comme ministre de l’intérieur et Bernard Cazeneuve poursuit et amplifie ce mouvement –, c’est précisément donner à l’État et au préfet départemental un rôle accru, notamment en matière d’interministérialité. Qui a donné plus de pouvoirs au préfet de région, l’éloignant parfois du terrain, sinon la droite ? (Eh oui ! sur plusieurs travées du groupe socialiste. – M. Philippe Bas proteste.) Monsieur Bas, je sais que vous avez été élu et êtes devenu sénateur mais, ne l’oublions pas, cette mesure a été prise au cours du quinquennat précédent, pour des raisons que je peux comprendre, avec la mise en œuvre de la REATE.

M. Bruno Retailleau. Pourquoi alors vouloir revenir en arrière ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur Retailleau, nous pensons que, notamment dans la coordination de l’interministérialité, il faut donner davantage de compétences aux préfets départementaux. Cette question de la proximité et du rôle de l’État est, pour moi, primordiale. Ce sont des choix qui ont été arbitrés non par moi mais par mon prédécesseur, Jean-Marc Ayrault. Nous avons considéré qu’il était important de réorganiser l’État, compte tenu de la situation dans laquelle il se trouve. Les administrations centrales sont aujourd’hui en très mauvais état sur le plan local, et ce, non pas depuis deux ans et demi, mais depuis un certain nombre d’années.

Comme je l’ai dit à plusieurs reprises, la réforme territoriale est une formidable occasion pour l’État de se réorganiser, non pas uniquement au travers de la simplification, même si c’est important, ou par le biais du numérique, qui représente évidemment un défi considérable, mais également en supprimant les doublons, et je reviendrai sur ce point.

En réalité, il s’agit non seulement de décentraliser, mais aussi de mieux organiser notre territoire. On l’a bien constaté – M. René Vandierendonck l’a d'ailleurs souligné voilà un instant – quand on a redéfini la politique de la ville. Si ce travail a été salué et accepté, me semble-t-il, à la quasi-unanimité dans cette enceinte comme à l’Assemblée nationale (MM. Claude Dilain et René Vandierendonck acquiescent.), c’était précisément parce qu’il a été tenu compte des évolutions géographiques, territoriales qui nous passionnent tous et auxquelles les uns et les autres vous avez fait allusion.

Donc, pas de faux débats !

D’autres défis s’imposent à nous : la capacité d’aménagement de nos collectivités territoriales, la solidarité, la proximité, et, sur ces points, nous pouvons tous nous retrouver.

Non, la France n’est pas un État fédéral et la République est une et indivisible dans la diversité. Il faut continuer à mener un travail d’écoute. C’est le rôle des Assises des ruralités. À cet égard, je n’ai pas compris, monsieur Mézard, le sort injuste que vous leur avez fait, égratignant au passage Mme Pinel (Rires sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.), car il faut essayer de trouver la bonne réponse à un problème majeur auquel est confronté notre pays et qui concerne tous les républicains que nous sommes.

Dans un monde aussi ouvert que celui d’aujourd'hui – ce que vous ne niez pas et que presque personne ne conteste –, dans une économie de marché, avec des concurrences exacerbées, comment maintenir des solidarités fortes, un rôle de la puissance publique, qu’elle soit exercée par l’État ou par les collectivités territoriales, et la proximité ? (Mme Éliane Assassi s’exclame.) Madame Assassi, personne ne nous le demande ! Ni un comité caché – éloignez-vous des thèses complotistes ! – ni la Commission européenne. La fracture entre le monde ouvert, que je viens d’évoquer, et le sentiment d’abandon et d’absence de protection que ressentent nos concitoyens dans tous les territoires, y compris dans des régions puissantes comme l’Île-de-France, est une réalité.

La manière dont nous devons résorber cette fracture doit constituer l’obsession préexistante à ces grandes régions que nous voulons créer, à ces métropoles qui vont se mettre en place – notamment Rennes, que j’ai oublié de citer tout à l’heure – au 1er janvier prochain. Cette réalité, beaucoup d’entre vous la vivent au sein des territoires que vous représentez. Pour y mettre fin, il faut non pas un État fédéral, mais une République décentralisée qui s’efforce de répondre à toutes les questions qui ont été évoquées précédemment.

Par ailleurs, je suis pour la recherche du consensus avec le Parlement, tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale, non par principe, mais parce que je pense que, après cette phase de débats, d’échanges d’idées, cette période peut-être plus chaotique pour certains, nous devons remettre de l’ordre. C’est ce que j’ai essayé de faire.

Il ne s’agissait pas de tout dire. Ce soir commencera l’examen, en deuxième lecture, du projet de loi relatif à la délimitation des régions, puis viendra ultérieurement celui du projet de loi portant sur les compétences.

Quoi qu’il en soit, je pense qu’il y a un consensus sur le développement de l’intercommunalité. À ce sujet, j’ai dit de manière très explicite, notamment devant les élus de la montagne, que le seuil des 20 000 habitants pourrait évoluer. Toutefois, je vous mets en garde, car deux critiques sont justifiées : il faut être attentif, dans un cas, à ne pas fixer un seuil trop élevé, notamment là où on sait qu’on ne peut pas l’atteindre, et, dans l’autre, à éviter le morcellement de l’intercommunalité, qui est aussi une réalité dans certains départements. Donc, il faut trouver la bonne solution. Je ne doute pas que nous y parviendrons.

Cela étant, je suis convaincu que, sur la base du rapport Raffarin-Krattinger, dont je perçois bien la cohérence et dont je n’oublie pas les éléments, nous pouvons avancer dans le domaine de la construction de grandes régions – je n’ai pas très bien compris la diatribe de M. Bas contre les régions – compétentes en matière de développement économique notamment, dotées d’une fiscalité économique.

Selon certains, nous aurions dessiné cette carte des régions sur un coin de table à l’Élysée !

Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Mais c’est vrai !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Et alors ! (Ah ! sur les travées de l’UMP.) Vous auriez voulu que j’accomplisse le chemin inverse et que je consulte les régions, une par une, pour faire ce travail ? Il fallait bien mettre une proposition sur la table ! Elle a été examinée d’abord par l’Assemblée nationale et le Sénat va maintenant en débattre.

Mme Sylvie Goy-Chavent. Il fallait écouter les élus territoriaux !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Pour répondre à une remarque formulée par M. Mézard et, me semble-t-il, par M. Zocchetto, je souligne que le Gouvernement a trouvé à l’Assemblée nationale sur ce sujet une majorité assez large, dépassant même les clivages politiques.

En déposant au Sénat un amendement visant à revenir à la carte votée par les députés – le ministre de l’intérieur sera évidemment à votre écoute lorsqu’il défendra cet amendement –, le Gouvernement est cohérent.

M. Bruno Retailleau. Mais ce n’est pas adroit !

M. Manuel Valls, Premier ministre. On ne peut pas à la fois nous dire que nous devons avoir une ligne, un projet, du sens et nous reprocher ensuite notre cohérence ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-François Husson. Vous fermez le débat !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Personne – pas plus vous, mesdames, messieurs les sénateurs, que qui que soit sur les bancs de l'Assemblée nationale – n’imaginait que nous aboutirions à une telle carte régionale. Or en quelques semaines, elle a été mise au point. Elle peut connaître des évolutions, mais je me permets de vous rappeler que les contradictions à son égard existent dans toutes les familles politiques.

M. Jean-François Husson. Ce n’est pas une raison !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Pour ce qui concerne la clarification des compétences que les citoyens nous demandent, je pense que, sur ce point aussi, nous pouvons avancer. Le Gouvernement y est prêt tant lors du débat sur les compétences et que sans doute après, au moment de la révision des politiques publiques. Nous pourrons supprimer un maximum de doublons.

Je le répète, la présente réforme territoriale doit être aussi l’occasion d’une réforme de l’État. Donc, il faut avancer. (M. Jean-François Husson s’exclame.) Monsieur le sénateur, certains d’entre vous ont été surpris par mon propos, comme l’ont montré vos interruptions, voire vos interventions qui avaient été préparées avant mon discours liminaire.

M. Jean-Claude Lenoir. Non, elles n’étaient pas lues !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Je ne parle pas des brillantes interventions qui ont été faites sans notes !

Je le dis clairement, le Gouvernement est ouvert sur la clarification des compétences des collectivités comme sur la suppression des doublons. L’État doit évoluer, j’en suis convaincu.

Enfin, ce qui nous rassemble, c’est évidemment le rôle des communes, mais des évolutions peuvent intervenir. Je l’ai dit notamment à propos du rôle du maire, en évoquant deux propositions de loi qui défendent l’idée de création de communes nouvelles, l’une déposée par le président de l’Association des maires de France, et l’autre par une députée socialiste.

Eu égard à la diversité des territoires, doivent pouvoir être mises en œuvre des collectivités territoriales dotées de compétences qui tiennent justement compte de cette diversité. Que les idées soient claires sur le rôle des régions !

M. Bruno Retailleau. Et les départements ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. J’y viens. L’idée de supprimer les départements, ou plutôt les conseils généraux, n’est pas nouvelle.

M. Bruno Retailleau. L’erreur est partagée, à droite comme à gauche !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Pour la concrétiser, il faudrait une réforme de la Constitution.

Par ailleurs, à partir du moment où sont créées de grandes régions, où existent les métropoles, le débat sur l’échelon de proximité le plus adéquat pour mener les politiques permettant d’assurer la cohésion et la solidarité est parfaitement légitime. Certains considèrent que cet échelon est celui de l’intercommunalité, d’autres le département ; je ne veux pas trancher cette question.

Des semaines de débats que nous avons connues, il faut tirer la conclusion que le département a toujours cet avenir qui a été évoqué à l’instant.

Dans le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, il faudra avancer sur la question des compétences des départements. Sur ce point, j’ai dit l’essentiel dans mon intervention liminaire. J’ai évoqué une idée qui, même si elle doit être maniée avec délicatesse, me semble intéressante : celle de la fusion de deux départements. La question du regroupement se pose à l’échelon aussi bien des collectivités territoriales – les conseils généraux – que de l’État. Sans multiplier les exemples, je citerai la Drôme et l’Ardèche, ainsi que les deux Savoie. Sans envisager leur fusion, des départements étudient le sujet. Quant à l’État, il travaille au regroupement de services. Les chambres consulaires en sont un exemple déjà bien avancé.

En fixant une méthode et un calendrier sur cinq ans, il s’agit non pas de dire que, à l’issue de ce délai, les départements disparaîtront, mais de mener pendant cette période une série d’expérimentations, en fonction des situations différentes selon les départements. L’idée de garder un échelon qui permette la cohésion territoriale et sociale s’impose à tous. Vous l’avez compris, le Gouvernement n’entre pas dans ce débat en proposant la suppression des conseils généraux. Il ne pourrait pas le faire et, de toute façon, je ne suis pas certain que ce serait une bonne chose pour le pays. Je le répète, les situations seront différentes selon les régions et les départements. Je ne me présente pas devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, avec une idée précise, arrêtée ; je compte sur le travail du Parlement, notamment du Sénat.

Pour ma part, afin d’ouvrir le débat, j’ai pensé à trois cas de figure : « fondre » les départements dans des métropoles, faire gérer les conseils généraux par une fédération d’intercommunalités, conserver les départements à dominante rurale. Mais je ne suis pas sûr que ce soit la bonne formule. Si vous trouvez une solution plus efficace, je n’y vois pas d’inconvénient ! Je suis extrêmement ouvert au débat, comme le seront tous les membres du Gouvernement.

J’achèverai mon propos en abordant des points qui nous rassemblent, à savoir les vertus de la décentralisation, le rôle des élus et du Sénat, qui est au cœur de la réforme. M. Retailleau veut que l’on bouscule les clivages ; M. Zocchetto souhaite avancer, tout comme M. Guillaume, qui l’a dit avec force. Il y aura évidemment des oppositions, de fond comme de posture, mais je crois que nous pouvons aller de l’avant.

Monsieur le président, voilà quelques semaines, vous m’avez dit, tout comme au Président de la République, que vous souhaitiez que le Sénat, dans le cadre du bicamérisme et de nos institutions, joue pleinement son rôle. Moi aussi ! Je suis respectueux de nos institutions. Depuis deux ans et demi, comme ministre de l’intérieur puis comme Premier ministre, j’ai toujours respecté le rôle de votre assemblée.

Je suis convaincu – et je termine par là où j’ai commencé – que, dans l’intérêt des Français, nous pouvons bâtir un accord durable, non pas pour le défaire à l’occasion d’une alternance – il faut être prudent dans les pronostics –, mais simplement parce qu’il y va de l’intérêt général. Il nous reste beaucoup de travail à accomplir, mais tel est en tout cas mon état d’esprit. Je note que je partage cette volonté d’avancer avec tous les orateurs qui sont intervenus dans ce débat ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du RDSE, ainsi que sur quelques travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. Monsieur le premier ministre, mes chers collègues, je vous remercie d’avoir participé à ce débat utile, qui a permis de remettre les choses en perspective, avant d’entrer dans le vif de la discussion avec l’examen du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.

Nous en avons terminé avec le débat sur la réforme territoriale.

La parole est à M. le président de la commission spéciale.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral. J’informe les membres de la commission spéciale que celle-ci se réunira à vingt heures quinze.

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures quinze.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures cinq, est reprise à vingt-deux heures quinze, sous la présidence de Mme Jacqueline Gourault.)

PRÉSIDENCE DE Mme Jacqueline Gourault

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

7

 
Dossier législatif : projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral
Discussion générale (suite)

Délimitation des régions et élections régionales et départementales

Discussion en deuxième lecture d'un projet de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral
Discussion générale (interruption de la discussion)

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi, modifié par l’Assemblée nationale, relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral (projet n° 6, texte de la commission n° 43, rapport n° 42).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d'abord d’excuser mon retard, consécutif aux événements de la journée. N’y voyez pas un geste de désinvolture de ma part à l’égard du Sénat : vous savez la passion que j’ai pour les débats de la Haute Assemblée, et vous connaissez mon désir d’y être toujours présent et, bien entendu, ponctuel.

M. Alain Joyandet. Vous êtes pardonné, monsieur le ministre !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. J’avais initialement prévu de vous présenter la réforme des régions, conformément à l’intervention qui m’avait – comme toujours – été très méticuleusement préparée par les membres de mon cabinet. Toutefois, pour avoir participé au débat de cet après-midi et pour avoir été sensible à la spontanéité et au talent d’un certain nombre d’intervenants (Sourires.), je souhaite que nous puissions entrer dans le vif du sujet sans perdre de temps. Je vais, par conséquent, aller à l’essentiel, en essayant de reprendre un certain nombre des points évoqués dans les interventions prononcées tout à l'heure, lesquelles ont fait apparaître, sur le texte que je vous présente ce soir, des questionnements partagés sur toutes les travées et des interrogations méritant une réponse précise.

Le premier point sur lequel je veux apporter des réponses concerne la cohérence globale de ce que nous faisons. Il est toujours difficile d’engager une réforme territoriale, parce que, comme l’ont exprimé l’ensemble des orateurs qui se sont succédé cet après-midi, vouloir réformer les territoires, c’est toucher à des singularités. C’est toucher à la diversité de la France et, parfois, à des habitudes ancrées et à des fonctionnements établis.

Il faut toujours une part d’audace, une prise de risque pour mettre en œuvre une réforme des territoires dans la République qui est la nôtre. C’est à ce point vrai que, dans notre pays, où l’on a beaucoup parlé de la réforme des territoires, on a finalement peu réformé ces derniers. De nombreux rapports parlementaires ont été rédigés sans qu’il ait forcément été donné suite aux ambitions qu’ils portaient.

À cet égard, le Gouvernement a souhaité que la présente réforme territoriale ne se réduise pas à des projets que l’on verbalise. Il a souhaité que l’on mette l’ouvrage sur le métier, que l’on engage des actions. Par conséquent, il a voulu prendre sa part de risque.

Pour ce qui concerne la cohérence de la réforme, il faut considérer un ensemble de textes législatifs, dont certains ont d'ores et déjà été examinés et votés par le Parlement et dont les autres sont appelés à l’être : articulés les uns aux autres, ils donnent à la réforme territoriale sa cohérence et sa force.

D'abord, nous avons voulu doter notre pays de métropoles puissantes, portant des politiques ambitieuses qui leur permettent de rayonner en Europe. En France, beaucoup de nos grandes villes, de nos agglomérations avaient besoin du territoire pertinent pour leurs ambitions intercommunales, mais également pour leurs ambitions économiques et de développement. C’est la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, adoptée voilà quelques mois par la représentation nationale, qui a donné à notre pays la possibilité de se doter de métropoles. Au reste, un certain nombre se constituent et engagent d'ores et déjà des réformes positives.

Je pense à la métropole de Lyon, dont certains représentants sont présents dans cet hémicycle. Je salue l’esprit d’imagination et d’initiative les ayant conduits à fusionner les conseils généraux avec la métropole lyonnaise constituée, contribuant ainsi à la modernisation d’un territoire qui compte en France et qui, sous l’impulsion des sénateurs Gérard Collomb, maire de Lyon, et Michel Mercier, alors président du conseil général du Rhône, a démontré sa capacité à porter de grandes politiques ambitieuses en matière de développement des transports urbains, des pôles de compétitivité, des énergies de demain, ou encore des grands pôles universitaires.

Dans ce contexte, nul ne conteste l’intérêt de la loi précitée ni les opportunités qu’elle offre.

Nous avons également décidé de créer de grandes régions – c’est l’objet du texte qui vous est présenté aujourd'hui. Nous avons décidé de clarifier la répartition des compétences entre celles-ci et les départements et de permettre à des intercommunalités puissantes de se constituer, de manière à mailler le territoire – c’est l’objet du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République.

Notre ambition est également d’organiser l’administration territoriale de l’État qui a perdu beaucoup d’emplois pour lui permettre de gagner en proximité et en efficacité, de monter en gamme et d’offrir aux territoires les services dont ils ont besoin et aux élus des collectivités territoriales les plus importantes le concours et le soutien dont ils peuvent ressentir la nécessité.

Je centrerai donc mon propos sur deux sujets : premièrement, la réforme des régions, en répondant à un certain nombre d’interrogations qui ont été évoquées et, deuxièmement, la réforme de l’administration territoriale de l’État, sur laquelle Bruno Retailleau, appelant à une réforme ambitieuse et à la définition d’un calendrier, a demandé des explications. Je veux, sur ces sujets, lui apporter les réponses qui permettront de nourrir notre débat.

D'abord, pour ce qui concerne la réforme des régions, nous partons du principe que les régions qui ont appris à collaborer entre elles depuis longtemps, en développant des pôles de compétitivité, de grandes politiques de transport ou en engageant des actions pour la transition énergétique, doivent, demain, pouvoir le faire plus facilement, en se regroupant. En effet, elles doivent pouvoir atteindre une taille critique qui leur permette de compter davantage en Europe, où les régions sont de véritables collectivités d’investissement, une taille de nature à créer les conditions de la compétitivité et de la croissance dans les territoires.

En moyenne, la population des régions françaises est légèrement supérieure à 2 millions d’habitants. Dans les autres pays européens, la taille critique des régions est plus significative : la population des provinces italiennes s’élève à un peu plus de 4 millions d’habitants et celle des Länder allemands à un peu plus de 5 millions d’habitants. Après la réforme que nous aurons menée à bien, les régions françaises compteront, en moyenne, un peu plus de 4 millions d’habitants. Par conséquent, en termes de taille, de masse critique, de capacité d’investissement, nous aurons rejoint les grandes régions européennes.

Cela dit, je veux insister sur le fait que la taille n’est pas tout. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je vous le dis bien volontiers, pour avoir quelque expérience sur ce point ! Par conséquent, les régions que nous allons constituer doivent aussi avoir les moyens d’investir, de compter, de se développer.

M. Bruno Sido. Voilà !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Et, lorsque je regarde la carte des régions qui est soumise à la délibération de votre assemblée, je constate que toutes les régions compteront des métropoles et au moins quatre pôles de compétitivité, lesquels garantiront, demain, leur capacité à tenir le pari de la croissance, dans les domaines de l’innovation, du transfert de technologies, de l’investissement dans la recherche fondamentale. Cette réforme procède donc de la volonté de nous doter de régions plus fortes, de taille plus significative dans la compétition européenne et qui puissent porter des politiques publiques ambitieuses.

À l’issue des travaux du Sénat, il semble que la carte qui lui a été présentée par le Gouvernement – carte modifiée par l’Assemblée nationale lors des débats de l’été – ne lui agrée pas totalement.

M. Jean-François Husson. C’est le moins que l’on puisse dire !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Lors de l’examen du texte en première lecture, j’ai beaucoup entendu dire dans cette enceinte qu’il existait une carte parfaite, que le Gouvernement n’avait pas choisie pour on ne sait quelles raisons obscures, dont le Sénat était le barycentre.

M. Philippe Bas. Ce n’est pas ce que le Sénat a dit !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Depuis, j’ai pu constater, lors des débats qui ont eu lieu à l’Assemblée nationale, qu’il y avait autant de cartes pertinentes que de parlementaires pour les défendre… En effet, la carte pertinente est fréquemment le résultat du croisement entre plusieurs préoccupations, généralement très nobles, mais très différentes selon les territoires où elles sont exprimées.

Ces considérations peuvent tenir aux équilibres politiques, qui intéressent toujours les parlementaires de façon extrêmement vive, quelle que soit leur sensibilité : on ne peut faire de la politique avec passion et désintérêt sans se préoccuper ne serait-ce qu’un tout petit peu de ce que sera le résultat électoral des évolutions institutionnelles préconisées.

D’autres éléments, qui tiennent à l’histoire et à l’identité des territoires, peuvent conduire certaines régions à ne pas souhaiter s’allier à d’autres, alors que d’autres régions désirent s’unir à elles.

Une dernière série de considérations tient au potentiel fiscal, à la richesse fiscale de régions qui, ayant force et capacité d’investissement, ne sont cependant pas certaines de pouvoir assurer le développement de régions avoisinantes, moins favorisées, avec lesquelles elles auront fusionné.

Ces différentes considérations, prégnantes en tous points du territoire, peuvent faire naître des conceptions elles-mêmes différentes de la carte idéale. Je me suis même demandé, à l’occasion de la première lecture du projet de loi au Sénat, si la Haute Assemblée, dans sa grande sagesse, n’avait pas jugé préférable, tant était ancrée la conviction selon laquelle il y avait autant de cartes possibles que de sénateurs, de ne pas tenter de dessiner de carte plutôt que de risquer de se perdre en la dessinant !

En définitive, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez décidé d’accoucher d’une carte,…

M. Jean-François Husson. « Accoucher » ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. … et celle-ci diffère de la carte choisie par l’Assemblée nationale sur deux points. D’une part, vous ôtez l’Alsace de la grande région Est, pour des raisons que je respecte et qui méritent que nous revenions dessus à l’occasion de nos discussions à venir. D’autre part, vous avez souhaité disjoindre les régions Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon.

Je sais par ailleurs que d’autres amendements, soulevant d’autres questions, seront soumis à notre examen. Il se pourrait ainsi qu’au terme de notre débat nous aboutissions à un nombre de régions équivalent, ou presque, à celui qui existait avant la présentation du projet de réforme ! (Protestations sur certaines travées de l'UMP.)

Bien entendu, ce n’est absolument pas ce que souhaite le Gouvernement !

Je voudrais m’arrêter un instant sur les deux modifications de la carte du Gouvernement qui ont été proposées. En effet, j’ai entendu certains parlementaires – Jacques Mézard s’est exprimé sur le sujet, ainsi que Bruno Retailleau et François Zocchetto – affirmer que quiconque s’intéressait au débat animé d’un esprit d’écoute ne pouvait sortir des discussions au Sénat que convaincu de la pertinence de la carte adoptée par la commission spéciale. Autrement dit, le débat n’était pour eux sincère que si nous abandonnions les positions qui étaient les nôtres pour adopter intégralement celles de la Haute Assemblée !

M. Bruno Retailleau. Quelle perspicacité !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je comprends qu’une telle position satisfasse la majorité constatée dans cet hémicycle, mais ce n’est pas la mienne, monsieur Retailleau !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. En effet, le débat n’a de véritable intérêt – au plan parlementaire comme au plan politique – que s’il conduit chacun, fort de ses convictions, à aller au bout de son raisonnement, tout en essayant, dans ce mouvement, de bâtir un compromis avec l’autre qui éventuellement ne pense pas comme lui.

S’agissant tout d’abord de l’Alsace, je comprends parfaitement les Alsaciens, attachés qu’ils sont à leur histoire et à leur identité.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Cette préoccupation, ancienne et profonde, a d’ailleurs conduit ceux de nos plus éminents historiens qui se sont intéressés de près à l’Alsace – je pense notamment à Jean-Marie Mayeur – à la définir comme une « région mémoire ». Il faut y voir le signe que, pour les Alsaciens, la question de l’identité, de l’histoire, des racines, a toujours prévalu, amenant l’État central à entretenir avec le territoire des relations toujours subtiles, mais qui ont dû être équilibrées.

Figurez-vous qu’en 1701, de retour d’un voyage en Alsace, le contrôleur général des finances du Roi s’était senti obligé d’écrire à l’intendant pour le mettre en garde, en utilisant cette formule : « Il ne faut point toucher aux usages de l’Alsace ». Plusieurs siècles après, une préoccupation similaire semble s’exprimer autour du même sujet, à savoir l’identité alsacienne et la peur, parfaitement compréhensible, de voir l’Alsace, une fois intégrée à une grande région, perdre une partie de son identité et de ses atouts.

Mme Catherine Troendlé. Cela n’a rien à voir !

M. André Reichardt. Ce n’est pas du tout ça !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. C’est en tout cas, tel que vos collègues de l’Assemblée nationale l’ont exprimé, le dernier témoignage alsacien dont je dispose. Mais, bien évidemment, je serai très heureux de pouvoir en entendre d’autres !

Cet après-midi encore, des députés de l’Alsace évoquaient devant moi l’identité, les racines de ce territoire et, dans le même temps, l’existence d’un projet territorial visant à créer une collectivité unique et susceptible, ce faisant, de permettre une synthèse.

Mme Catherine Troendlé. Il y a en effet un projet !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous en débattrons dans les heures à venir, mais, dès lors que l’on est attaché à l’identité et à l’histoire de l’Alsace, la préoccupation centrale, me semble-t-il, doit être celle de Strasbourg et de son rôle de capitale européenne qu’il ne faudrait pas altérer…

M. André Reichardt. Pas seulement !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. … en donnant le sentiment que, si nous considérons Strasbourg digne d’être capitale européenne, nous ne lui faisons pas suffisamment confiance pour en faire la capitale d’une grande région. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste.)

M. Gérard Longuet. Cela n’a rien à voir !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Certains ici, avec qui j’ai eu l’occasion de m’entretenir et de travailler sur ses sujets au cours des dernières années – je pense à Fabienne Keller, à votre ancien collègue Roland Ries, ou encore à Jacques Bigot, que salue ici – savent à quel point les attaques contre Strasbourg sont nombreuses. Elles émanent de parlementaires européens ou des institutions mêmes de l’Union européenne, les uns et les autres ayant tendance à considérer que l’existence de deux capitales, Bruxelles et Strasbourg, est extraordinairement contraignante pour les parlementaires européens et, par conséquent, que le rôle de Strasbourg doit être reconsidéré.

Des démarches ont même été engagées devant un certain nombre de cours de l’Union européenne, et il a fallu la mobilisation des gouvernements successifs pour qu’elles n’aboutissent pas. Je me souviens également des efforts que j’ai déployés, en qualité de ministre délégué aux affaires européennes, notamment avec le président de région Philippe Richert, afin de permettre le déblocage de moyens depuis longtemps attendus et nécessaires à Strasbourg pour qu’elle affirme sa vocation de capitale européenne.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis convaincu que Strasbourg ne serait pas moins forte dans l’affirmation de son rôle européen si elle devenait la capitale d’une grande région qui puisse servir en quelque sorte de pont avec les Länder allemands et contribuer ainsi à la constitution d’un véritable axe européen, dont elle serait le pivot. Strasbourg capitale de région serait confortée dans son statut de capitale de l’Union européenne.

Mais nous aurons ce débat, mesdames, messieurs les sénateurs. Nous évoquerons tous ces sujets ensemble, dans le respect mutuel de nos positions respectives. Je suis effectivement très loin de considérer que les positions défendues par les parlementaires alsaciens doivent être balayées d’un revers de main.

M. André Reichardt. Tant mieux !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Il nous faudra donc aller au bout de l’échange.

S’agissant maintenant de Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon, songez, mesdames, messieurs les sénateurs, que ces deux régions rassemblées auraient un poids démographique légèrement supérieur à 4,5 millions d’habitants et seraient fortes de deux grandes métropoles et dotées d’une capacité à développer leurs relations avec la Catalogne. Cela permettrait d’affirmer la vocation méditerranéenne de l’ensemble, tout en articulant mieux les nombreux pôles de compétitivité créés dans chacune des régions actuelles et ayant déjà appris à travailler les uns avec les autres.

Ce sont là autant de considérations économiques qui nous poussent à ne pas suivre le Sénat dans sa proposition. Mais, sur ce sujet également, nous souhaitons que la discussion ait lieu.

Le fait que le Gouvernement dispose d’une carte cohérente à laquelle il tient précisément en raison de cette cohérence ne signifie pas qu’il n’est pas désireux de débattre des propositions de la Haute Assemblée. Nous tenons simplement à mener le débat à son terme, dans le respect des positions de chacun.

J’en viens à une autre modification apportée, celle qui a trait à la représentation des petits départements dans les grandes régions.

Ce sujet, je le sais, est très cher au sénateur Jacques Mézard, celui-ci ayant présenté, à l’occasion de la première lecture du texte, un amendement visant à porter à cinq le nombre minimum de conseillers régionaux des départements de petite taille inclus dans de grandes régions.

Le Gouvernement comprend parfaitement cette préoccupation et la juge tout à fait légitime. Notre seule et unique réserve, face à une telle évolution, est de nature constitutionnelle. J’ai déjà eu l’occasion de l’exposer, toujours en première lecture. La Constitution n’ayant pas été modifiée pendant l’été, notre analyse à propos de cette difficulté constitutionnelle n’a pas fondamentalement changé non plus et je ne peux, par souci d’honnêteté et de rigueur intellectuelle, que renouveler cette réserve aujourd'hui.

Il est un troisième sujet sur lequel vous avez fait évoluer le projet de loi : le droit d’option.

Le texte adopté par l’Assemblée nationale exigeait une majorité des trois cinquièmes pour que chacune des collectivités concernées par le droit d’option approuve le détachement d’un département désireux de quitter une région fusionnée. Du fait de l’adoption d’un amendement dans le cadre des travaux de la commission spéciale, le texte prévoit maintenant une majorité qualifiée inversée au niveau de la région de départ : celle-ci doit donc se prononcer à la majorité des trois cinquièmes, non pas pour accepter le départ, mais pour le refuser.

Un autre amendement, présenté par le groupe socialiste, vise à instaurer un vote à la majorité simple dans toutes les collectivités locales concernées.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le droit d’option ne doit pas créer un droit à l’instabilité territoriale. Il doit néanmoins offrir une certaine souplesse aux territoires désireux de s’adapter. C’est pourquoi nous regardons avec un grand intérêt l’amendement présenté par le groupe socialiste.

Voilà pour les principales modifications apportées au projet de loi. D’autres sont évidemment proposées, et nous en débattrons tout au long de l’examen des amendements. Mais je ne souhaite pas être trop long et m’arrêterai donc là sur ce texte relatif aux régions.

J’en viens maintenant à la réforme de l’administration territoriale de l’État, car, certaines interrogations ayant été formulées – comme toujours avec talent – par Bruno Retailleau, je tiens à y répondre de manière précise.

Tout d’abord, monsieur Retailleau, vous avez évoqué une aporie de l’administration territoriale de l’État, qui devrait nous conduire à enclencher une réforme, sauf à voir finalement disparaître cette même administration territoriale, l’appauvrissement venant, selon vous, ajouter ses conséquences à celles d’une moindre proximité.

Je veux simplement vous rappeler quelques faits.

Effectivement, l’administration territoriale de l’État a beaucoup perdu de sa force au cours des dernières années. Entre 2009 et 2012, plus de 2 500 emplois ont été supprimés en son sein. Si je considère les effectifs perdus annuellement au cours du précédent quinquennat, leur niveau s’établissait en moyenne – ces chiffres peuvent être vérifiés par chacun d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs – à 600 suppressions nettes d’emplois par an dans l’administration territoriale de l’État.

M. André Reichardt. Ce n’est pas un scoop !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Le budget que j’ai présenté, hier, à l’Assemblée nationale, s’agissant de l’ATE, acte une diminution de 180 emplois pour cette année, objectif qui pourra être atteint grâce à la mutualisation que nous allons engager au travers des plateformes interdépartementales de services publics. Ces dernières, à l’instar des plateformes interdépartementales de naturalisation qui ont été créées dans un certain nombre de régions, permettront de réduire les effectifs sans affecter le service public, c'est-à-dire sans remettre en cause des services publics de front office nécessaires à la qualité de vie et à la proximité entre habitants et administration.

La déflation d’effectif est donc réduite de manière très importante et nous pourrons encore optimiser tout cela si la dynamique de la réforme de l’administration territoriale de l’État se met en place.

Je tenais également à signaler que la révision générale des politiques publiques, la RGPP, et la réorganisation de l’administration territoriale, la REAT, ont été menées sans aucune revue des missions de l’administration de l’État et, comme nous avons déjà eu l’occasion d’en parler ensemble, sans véritable acte de déconcentration.

Nous souhaitons, nous, réaliser cette revue et poser cet acte de déconcentration. Nous sommes donc engagés, avec les secrétaires généraux des différents ministères, en particulier celui du ministère de l’intérieur, ainsi que le secrétaire général du Gouvernement, lequel joue un rôle particulier en matière de gestion de l’administration territoriale de l’État depuis la création des directions départementales interministérielles, ou DDI, dans un travail devant nous conduire jusqu’à la fin de l’année 2014.

Il s’agit d’un travail extrêmement méticuleux, consistant, mission par mission, ministère par ministère, à identifier ce qui doit relever respectivement de l’administration centrale de l’État, de l’administration déconcentrée de l’État, d’un mouvement de déconcentration de la première vers la seconde ou encore d’autres structures, en raison de doublons ou d’enchevêtrements pouvant exister entre l’État et les collectivités locales. Dans ce cadre, l’État pourrait reprendre certaines missions et les collectivités locales en exercer d’autres à leur tour.

Cette revue des missions est en cours. Elle conduira, d’ici à la fin de l’année, à clarifier ce paysage et à mettre en place une véritable charte de la déconcentration. Cette charte donnera aux préfets des pouvoirs nouveaux. M. Retailleau, lors du débat de cet après-midi, laissait entendre que M. le Premier ministre voulait ainsi « recentraliser ». Il n’en est pas question ! D’ailleurs, vous ne trouverez pas un alinéa dans les textes soumis à la délibération de votre assemblée qui procède d’un transfert de compétences même partiel des collectivités locales vers l'État, ce qui traduirait effectivement une volonté de recentralisation. (M. Gérard Longuet proteste.)

Dès lors que la décentralisation au profit des collectivités locales a été actée par un ensemble de lois, la recentralisation ne pourrait se faire que par de nouveaux actes législatifs procédant de ce transfert de compétences. Or vous ne trouverez pas un alinéa dans le projet de loi présenté par le Gouvernement qui témoigne de cette ambition.

Ce que nous voulons faire, en revanche – cela avait d'ailleurs été souhaité par la précédente majorité, qui n’avait pas pu aboutir pour des raisons sans doute explicables -, c’est donner aux préfets, à compétences identiques pour l’État, quitte à ce que ces compétences soient redistribuées entre l’administration centrale et l’administration déconcentrée, davantage de pouvoir interministériel dans le domaine des nominations et dans celui du budget, pour avoir une gestion de l’administration déconcentrée de l’État au plus près des territoires, encore une fois, à périmètre des compétences de l’État inchangé.

En résumé, je veux dire à toutes les sénatrices et à tous les sénateurs qui se sont légitimement interrogés sur ces questions, et de façon approfondie, que, premièrement, il y aura une revue des missions ; deuxièmement, il y aura un acte de déconcentration ; troisièmement, il n’y aura pas de recentralisation ; quatrièmement, les compétences nouvelles que nous donnerons aux préfets pour les dimensions interministérielle et budgétaire le seront dans le strict respect de la loi organique relative aux lois de finances, dans le cadre du périmètre des compétences d’ores et déjà exercées par l’État.

Je voulais donner ces précisions au Sénat parce que vous avez eu raison, sur toutes les travées, de vous poser la question de l’indispensable cohérence entre la réforme de l’État et la réforme territoriale que nous engageons. Sans cette cohérence, nous passerons à côté de l’objectif et donc de la réussite de cette réforme. Il ne peut pas y avoir de réforme ambitieuse des territoires sans une réforme ambitieuse de l’administration territoriale de l’État. Il ne peut pas y avoir de réforme ambitieuse de l’État sans une réflexion allant jusqu’à la définition des implantations des administrations de l’État dans le cadre infradépartemental.

Là aussi, pour ce qui concerne la carte des maisons de l’État, celle des sous-préfectures, l’idée est de confier un mandat de gestion aux préfets des régions de manière à faire en sorte que, en très étroite liaison avec les présidents des collectivités locales et les parlementaires, mais aussi avec les organisations syndicales, nous définissions la cartographie des services publics dont notre pays a besoin pour demain.

Voilà quel est l’esprit de la réforme. Voilà ce que nous voulons faire. Je ressens, à travers les interventions de cet après-midi, la volonté du Sénat que le débat aille à son terme, qu’il permette d’affronter toutes les questions, d’épuiser tous les sujets en allant au fond des choses. Vous pouvez compter sur ma présence, bien sûr, mais aussi et surtout sur ma détermination à faire en sorte que les débats se passent dans un bon esprit, dans le respect des positions de chacun et avec la volonté de construire autant que faire se pourra des compromis utiles. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral. Madame la présidente, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d’abord, je tiens à signaler que ma présence à cette tribune est un peu singulière puisque je n’étais pas le rapporteur de ce projet de loi en première lecture. À la faveur des élections qui viennent de se dérouler au Sénat, la majorité ayant changé et notre collègue Michel Delebarre ayant décidé de passer la main, la commission spéciale m’a fait l’honneur de me désigner comme rapporteur.

L’exercice est à la fois sympathique et difficile. En effet, en deuxième lecture, nous sommes tenus par la règle particulière dite « de l’entonnoir », ce qui nous interdit à ce stade d’aborder les modifications importantes qui auraient dû être décidées dès la première lecture.

M. Gérard Longuet. Très juste !

M. François-Noël Buffet, rapporteur. Nous sommes donc en mesure d’apporter des modifications au texte voté par l’Assemblée nationale, sans toutefois pouvoir remettre en cause son intégralité.

Je voudrais rappeler la philosophie qui est à l’origine de ce texte, à savoir la volonté de regrouper les régions et donc d’en réduire le nombre - pourquoi pas, nous n’y sommes pas hostiles -, mais aussi de supprimer les départements et de mettre en place de grandes intercommunalités susceptibles de venir se substituer à ces derniers.

C’est dans cet esprit que le projet de loi nous a été soumis en première lecture. La modification des échéances électorales traduisait d'ailleurs très clairement la volonté de supprimer les départements, en reportant l’élection départementale de mars prochain à la fin de l’année 2015, concomitamment à celle des régions.

Le Sénat a été saisi en première lecture selon un calendrier très contraint, puisque le dépôt du projet de loi sur le bureau du Sénat n’a précédé que de quatorze jours l’ouverture des discussions en séance publique. Un tel délai n’a pas permis à notre assemblée, en tout cas à la minorité à laquelle j’appartenais à l’époque, mais également à d’autres, de procéder au débat approfondi et serein nécessaire aux enjeux portés par cette réforme.

Dans ce délai très court, même si, au bout du compte, l’institution sénatoriale n’a pas voté de texte, la commission spéciale a malgré tout travaillé, ce qui a permis un certain nombre d’avancées.

Nous n’avons pas voté de texte en première lecture parce que nous n’étions pas d’accord avec la philosophie de départ. Nous suivions plutôt la voie choisie par nos collègues Raffarin et Krattinger, qui travaillaient à la réduction du nombre de régions, mais en s’appuyant sur les départements - c’était la grande différence.

Le texte a ensuite été transmis à l’Assemblée nationale, qui a apporté des modifications au texte initial du Gouvernement. L’Assemblée nationale a ainsi décidé de modifier la carte des régions, en regroupant Poitou-Charentes, Limousin et Aquitaine, en assurant le rattachement de la Picardie au Nord - Pas-de-Calais et en regroupant Champagne-Ardenne, Alsace et Lorraine.

L’Assemblée nationale a en outre introduit des modifications de moindre importance à l’article 2.

Elle a surtout imposé des limites au regroupement volontaire des collectivités territoriales, singulièrement à l’article 3, puisqu’elle a décidé l’abrogation, à compter du 1er janvier 2016, date d’entrée en vigueur de la nouvelle carte régionale, des dispositions relatives au regroupement des départements.

Elle a par ailleurs introduit une majorité qualifiée des trois cinquièmes des suffrages exprimés, précédemment évoquée, pour l’adoption des délibérations concordantes dans le cadre du droit d’option d’un département et pour la fusion de deux régions.

Serait également fixée par la loi, et non plus par décret en Conseil d’État, toute modification des limites régionales, le recours à ces dispositions étant limité jusqu’au 1er mars 2019, afin de stabiliser les règles électorales au moins un an avant l’organisation des fameuses élections régionales de 2020 qui devaient consacrer la disparition du département.

Le projet de loi ainsi modifié est revenu devant le Sénat en deuxième lecture. La commission spéciale l’a amendé sur plusieurs points. Elle a d’abord réaffirmé, à l’article 1er A, la philosophie de l’actuelle majorité sénatoriale concernant la vocation des régions, des départements et de nos communes, tout en rappelant le rôle singulier des intercommunalités.

La commission spéciale a évidemment modifié, à l’article 1er, la carte des régions votée à l’Assemblée nationale, qui est au cœur de nos débats.

Nous avons annulé le regroupement de l’Alsace avec les régions Champagne-Ardenne et Lorraine.

La commission a été animée par la volonté de permettre à nos collègues alsaciens, engagés de longue date dans un projet de collectivité unique, d’aboutir dans leur démarche. (Mme Catherine Troendlé acquiesce.) Certes, le référendum les avait empêchés d’aller plus loin, mais l’accueil avait été positif. En la circonstance, le destin funeste de ce projet fut occasionné par un problème de participation. À ce stade, la commission spéciale a décidé de sortir l’Alsace du regroupement opéré par l’Assemblée nationale.

La commission spéciale a également décidé de revenir à la proposition qu’elle avait formulée au Sénat en première lecture, à savoir que les régions Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon restent seules.

À l’article 2, nous avons apporté des modifications portant notamment sur la consultation des conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux, les CESER. Nous aurons l’occasion d’entrer dans le détail au moment de la discussion des articles.

À ce stade de la discussion, il me paraît important d’évoquer l’article 3. En effet, nous avons assoupli les modalités de fusion des collectivités territoriales.

Tout d’abord, et c’est l’élément majeur, nous avons rétabli la suppression de l’obligation d’organiser une consultation référendaire locale en cas de projet de fusion, qu’il s’agisse de plusieurs départements, d’un département et d’une région, ou du changement de région d’un département. Cette disposition a été adoptée quasiment à l’unanimité par le Sénat. Il faut dire que cela correspondait à la position de la commission spéciale en première lecture. Bien sûr, l’initiative locale reste possible et les élus qui souhaiteraient organiser cette consultation pourraient naturellement le faire.

Le droit d’option d’un département a également été modifié. Ainsi, le département et la région d’accueil devraient se prononcer à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés dans chacune de leur assemblée délibérante ; la région d’origine bénéficierait – c’est nouveau - d’un droit de veto par l’adoption d’une délibération à la même condition de majorité ; la modification des limites territoriales ainsi décidée serait ensuite validée par décret, pour en tirer immédiatement les conséquences, notamment électorales.

La fixation d’une majorité qualifiée des trois cinquièmes, sans entrer dans le débat, est aussi une façon de sécuriser juridiquement les choix des élus locaux en la matière. Il ne s’agit pas là d’un sujet mineur : la fusion de départements ou le changement de région d’un département sont des décisions importantes ; il convient d’en sécuriser les conditions.

La commission spéciale est également revenue sur la date de 2019 et a fixé au 31 décembre 2016 l’échéance du délai limite pour procéder à ces fusions et changements.

Après la carte régionale, j’en viens au second grand volet de ce texte, à savoir la représentation politique des territoires et le calendrier électoral.

En première lecture, un accord a été trouvé sur l’introduction des modalités de remplacement des conseillers départementaux – ce sont les articles 9 à 11 - et sur l’assimilation de la métropole de Lyon à une section départementale pour l’application des règles relatives à l’élection des conseillers régionaux – c’est l’article 5. Des désaccords demeurent, malgré des rapprochements entre les positions des deux assemblées actés dès la commission spéciale.

S'agissant du nombre de conseillers régionaux, la commission spéciale a suivi l’Assemblée nationale.

Dans un premier temps, la commission des lois de l’Assemblée nationale partageait la position initiale du Gouvernement et avait maintenu le plafonnement à 150 du nombre de conseillers régionaux, y compris pour les régions dont les limites territoriales n’étaient pas modifiées – il s’agit de l’article 6. Cependant, en séance publique, sur l’initiative du rapporteur et avec l’accord du Gouvernement, l’Assemblée nationale a supprimé tout plafonnement du nombre des élus régionaux.

Cette décision, qui conduit à maintenir le nombre actuel de conseillers régionaux en métropole, a été confirmée par la commission spéciale, la semaine dernière. Toutefois, lors de la réunion qu’elle a tenue pendant la suspension, la commission spéciale a, sur mon initiative, modifié ce dispositif : elle a réduit le nombre des élus régionaux, à rebours du principe adopté par l’Assemblée nationale, mais tout en s’assurant que la représentation demeurerait suffisante. En particulier, elle a décidé, sur ma proposition, de maintenir le nombre de 209 conseillers régionaux pour la région d’Île-de-France, une région phare qui, dans son périmètre actuel, mais il restera inchangé, compte plus de 12 millions d’habitants.

Une seconde question importante se pose : la garantie d’un nombre minimal de sièges pour assurer la représentation de tous les départements au sein du conseil régional. Le mode de scrutin actuel, en vigueur depuis 2003, est régional mais comporte une obligation de présentation des candidats par section départementale. Il ne s’agit donc que de candidats, et non de sièges, de sorte qu’un département pourrait ne compter qu’un nombre très limité de représentants, voire aucun, au sein du conseil régional.

L’Assemblée nationale souhaite, comme le Gouvernement, que le nombre de sièges garantis s’établisse à deux. Je rappelle que la position de la commission spéciale consiste à maintenir l’effectif de cinq, de manière à tenir compte, en plus du critère démographique, de la composition du territoire.

En effet, la mission particulière de représentation des collectivités territoriales qui est dévolue au Sénat nous impose de faire prévaloir cette considération, qui est d’importance. Si l’on prenait en compte exclusivement le critère démographique, la représentation des territoires ruraux pourrait un jour être mise en difficulté. Considérera-t-on qu’ils n’ont pas besoin d’élus, parce qu’ils ne comptent pas suffisamment d’habitants ? Cela est inacceptable dans une vision cohérente et unie de notre pays !

En ce qui concerne la modification du calendrier électoral, un désaccord est apparu en première lecture. La commission spéciale a pris acte de la volonté du Gouvernement, exprimée par le Premier ministre dès le mois de septembre dernier, puis confirmée la semaine dernière par le dépôt d’un amendement en commission, de maintenir les élections départementales au mois de mars prochain. Cette mesure, qui a été votée, est d’autant plus opportune que, au même moment, le Gouvernement semble avoir décidé d’abandonner, au moins dans l’immédiat, l’idée de supprimer les départements – c’est ce que j’ai compris encore cet après-midi.

Compte tenu de cette modification de date, j’ai déposé un amendement tendant à sécuriser les candidats aux prochaines élections départementales pour ce qui est de leurs comptes de campagne. En effet, même si le changement de date un temps annoncé n’est jamais entré en vigueur, il convient d’apporter aux candidats toutes les garanties nécessaires de ce point de vue.

Enfin, la commission spéciale ayant souhaité un texte aussi simple que possible, clair et centré sur l’organisation des régions et des départements, ainsi que sur la représentation électorale en leur sein, elle a supprimé les articles 12 bis, 12 ter, 13 et 14 introduits par l’Assemblée nationale. Non qu’elle les ait jugés inintéressants ou non pertinents sur le fond, mais leur lien avec le projet de loi était ténu et chacun d’eux aurait mérité une discussion spécifique, dans le cadre d’un autre texte.

Tels sont, madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les résultats des délibérations de la commission spéciale et du travail que j’ai essayé d’accomplir, à l’occasion de cette deuxième lecture, avec la complicité active de l’ensemble des mes collègues commissaires ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur quelques travées du RDSE et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Robert Navarro.

M. Robert Navarro. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai, certes, l’honneur d’être le premier orateur des groupes, mais je suis bien obligé de dire qu’il s’agit à mes yeux d’un faux débat.

De l’avis général, monsieur le ministre, vous êtes hors sujet, le Gouvernement auquel vous appartenez ayant pris le problème à l’envers. Le véritable handicap des régions françaises n’est pas leur taille, contrairement à ce que vous nous avez dit : elles sont bien plus grandes que la moyenne des régions européennes. Ainsi, le « Midi-Roussillon » que vous prétendez créer, serait aussi grand que l’Autriche, pays divisé en neuf régions, et plus grand que treize États européens !

À la vérité, la faiblesse des régions françaises tient à leur manque de moyens par rapport à leurs homologues euroépennes, ainsi qu’à leurs compétences, très réduites. Quand les Länder allemands investissent près de 10 milliards d’euros par an dans l’innovation, les régions françaises, elles, ne peuvent dépasser les 500 millions d’euros : voilà le vrai problème !

Une bonne réforme territoriale, indispensable pour moderniser notre pays, donnerait aux régions des compétences claires et des moyens financiers adéquats pour les exercer pleinement. Telle est la question centrale, stratégique ; le reste, tout le reste, n’est que cinéma !

Monsieur le ministre, vous mettez la charrue devant les bœufs !

L’urgence est de mettre le couple régions-PME au cœur de l’action économique sur les territoires et de régionaliser l’action publique. Il faut mettre les ressources des régions en cohérence avec leurs compétences, en leur attribuant, dès 2015, 70 % de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. C’est cela dont la France a besoin, et vite !

Or votre réforme territoriale, telle qu’elle se présente actuellement, éloigne dramatiquement les citoyens de leurs élus. En effet, non seulement on nous vend des régions obèses, mais on menace aussi de supprimer tous les départements.

M. Ronan Dantec. Plus maintenant !

M. Roland Courteau. C’est du passé !

Mme Catherine Tasca. Il faut suivre !

M. Robert Navarro. Pourquoi vouloir appliquer le même régime à l’ensemble de notre pays ? Embrasser la modernité, c’est accepter la diversité, car nos différences sont une richesse. Ainsi, un département comme la Lozère doit être non seulement maintenu, mais surtout renforcé, tandis que, dans les zones urbaines, le département doit disparaître.

Sur ce point, le Gouvernement a changé d’avis ; mais comment décider de fusionner des régions dans l’ignorance de ce qui se passera ensuite ? En effet, je n’ai pas le même avis sur la fusion de l’Aquitaine, du Limousin et de Poitou-Charentes selon que l’on maintient vingt départements ou que l’on en conserve un seul. Au demeurant, imaginer Guéret appartenir à une région maritime me laisse songeur…

J’en viens à la question des économies. Monsieur le ministre, vous montrez du doigt, comme vos prédécesseurs, le coût des élus. Or, ce qui coûte, en vérité, ce sont les doublons entre les régions et les missions opérationnelles de l’État déconcentré. Sérieusement, qui peut croire que la disparition de huit régions sur près de quarante mille collectivités territoriales permettra de réduire le coût du millefeuille territorial, surtout lorsque l’on sait que les régions représentent la plus petite masse financière ?

Je souhaite, avant de conclure, insister sur l’indispensable refonte des circonscriptions pour les élections européennes. En effet, si la région Limousin est fusionnée avec Poitou-Charentes et Aquitaine, elle ne pourra plus décemment voter dans la circonscription Centre, comme c’est le cas actuellement, alors qu’une autre partie de ce nouvel ensemble voterait, elle, dans la circonscription Ouest !

La création de grandes régions est donc l’occasion unique de donner aux élections européennes un ancrage territorial qui ait du sens pour les citoyens. Cette réforme, il ne faut pas attendre les prochaines élections européennes pour la faire ; c’est pourquoi j’ai déposé un amendement tendant à aligner les circonscriptions pour les élections européennes sur les régions nouvellement délimitées. Cela me semble être la seule utilité de cette loi !

Monsieur le ministre, la démocratie française, contrairement à d’autres démocraties européennes, n’est pas construite sur des syndicats et des partis politiques forts. Dans ces conditions, supprimer des élus, c’est supprimer une courroie essentielle au fonctionnement de notre démocratie. Un élu n’est pas un coût, c’est un investissement !

Les citoyens français doivent avoir une porte à laquelle frapper : sans cela, leur désespoir sera aggravé et nous donnerons notre pays à l’extrême droite ! (Applaudissements sur quelques travées du RDSE et de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Henri Tandonnet.

M. Henri Tandonnet. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je voudrais, pour commencer, saluer le travail de notre commission spéciale, qui a adopté, de surcroît à une large majorité, un texte sur lequel portera notre débat. Ce succès constitue, il me semble, un très bon signal pour notre assemblée. En effet, le Sénat doit faire entendre sa voix sur ce projet de loi modifiant l’organisation de notre territoire, ce qu’il n’a pas pu totalement faire en première lecture.

La volonté de notre chambre de peser sur ce texte n’enlève rien à la réalité à laquelle nous sommes confrontés : une méthode totalement inadaptée, imposée par un gouvernement qui mène une réforme territoriale à l’envers.

En effet, alors que tout le monde s’accordait sur la nécessité d’une évaluation globale des strates de collectivités territoriales, la logique de la réforme a totalement dérapé : nous parlons aujourd’hui de la taille des régions et de la date des élections départementales et régionales, qui ne sont pourtant pas le fond du problème !

Non, le problème réside dans la répartition des compétences, qui n’est pas encore abordée. Quels seront les rapports entre les métropoles et les régions ? Comment seront respectés les nouveaux équilibres entre les territoires urbains et les territoires ruraux ? Il n’y a eu aucune évaluation, aucun examen approfondi de ces questions, pourtant essentielles.

M. Henri Tandonnet. À la vérité, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui est plutôt révélateur du flou dont fait preuve le Gouvernement en ce qui concerne l’acte III de la décentralisation qu’il avait annoncé. C’est une navigation à vue, sans réel cap.

M. Henri Tandonnet. Ce projet de loi souffre, de surcroît, d’un défaut majeur : il tend à imposer une nouvelle délimitation des territoires sans que ceux-ci aient été préalablement consultés. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. Jean-François Husson. Comme d’habitude !

M. Henri Tandonnet. Le constat s’impose : nous sommes actuellement pris dans un piège procédural dont nous devrons bien pourtant sortir, et par le haut.

Cela étant, la commission spéciale a réussi à adopter un texte retravaillé dans le bon sens en dégageant un consensus sur plusieurs sujets.

D’abord, elle a décidé de maintenir les élections départementales en mars 2015 et de fixer les élections régionales à la fin de l’année 2015. Le groupe UDI-UC est majoritairement d’accord sur ce calendrier.

Ensuite, la commission spéciale s’est entendue sur un minimum obligatoire de cinq conseillers régionaux issus de chaque département, alors que l’Assemblée nationale avait retenu le chiffre de deux conseillers. Ce minimum de cinq conseillers par département semble nécessaire afin de garantir la représentation des territoires et non pas seulement celle de la population. Il permettra de préserver un équilibre territorial, à l’heure où la fracture entre les métropoles et les territoires ruraux ne cesse de s’accentuer. Sans un tel minimum, je ne vois pas comment des départements comme la Dordogne ou le Lot-et-Garonne pourraient se faire entendre dans une future région comprenant l’Aquitaine, le Limousin et Poitou-Charentes.

Nous nous sommes également accordés sur un principe que le groupe UDI-UC défend tout particulièrement : le droit d’option des départements, introduit en première lecture par le Sénat.

À cet égard, nous avons fait adopter par la commission spéciale un amendement qui assouplit le dispositif voté par l’Assemblée nationale pour permettre à un département de changer de région d’appartenance. Il est désormais prévu que la région d’origine puisse s’opposer à ce changement de rattachement si et seulement si cette opposition réunit une majorité des trois cinquièmes de l’assemblée.

Ce droit d’option pourra être exercé dans un laps de temps court, mais suffisant : jusqu’à la fin de l’année 2016. Ainsi, nos collectivités territoriales ne seront pas laissées trop longtemps dans l’expectative.

Enfin, une nouvelle carte a été adoptée, dont nous continuerons de débattre longuement ces prochains jours. Je maintiens la position que j’ai exprimée en première lecture : j’en suis convaincu, il aurait fallu aborder la question du redécoupage de manière plus nuancée, en acceptant de raisonner à l’échelle des départements et non pas seulement par blocs régionaux figés. Cette méthode aurait permis une orientation des régions intermédiaires vers leur capitale régionale naturelle. D’où l’importance de ce droit d’option assoupli pour les départements.

À défaut de pouvoir faire prévaloir une logique fondée sur les bassins de vie, le groupe UDI-UC a souhaité déposer des amendements tendant à établir une nouvelle carte aussi équilibrée et porteuse que possible.

En particulier, j’ai soutenu devant la commission spéciale la proposition d’une grande région Sud-Ouest composée d’Aquitaine et de Midi-Pyrénées. Cette solution, qui me paraît assez cohérente, est fondée sur une logique culturelle, mais aussi économique et sociale, puisqu’elle s’organise autour de l’aérospatiale et de l’agroalimentaire. Cette logique est illustrée notamment par le succès de la marque « Grand Sud-Ouest » développée par Toulouse et Bordeaux. Malheureusement, la commission spéciale ne m’a pas entendu. (M. Roland Courteau s’exclame.)

Le groupe UDI-UC, qui appartient à la nouvelle majorité sénatoriale, souhaite rester constructif tout au long des débats que nous mènerons ces prochains jours afin d’adopter un texte alternatif par rapport à celui de l’Assemblée nationale et dont l’équilibre, je l’espère, sera conservé durant la suite de la navette.

Ce redécoupage, monsieur le ministre, reste source d’interrogations nombreuses et ne nous rassure pas du tout quant à l’avenir de nos territoires, notamment les plus ruraux.

Après de multiples hésitations, vous avez finalement annoncé pour l’avenir de nos départements des mesures réservant trois catégories de conseils départementaux. Cela laisse craindre un système à trois vitesses.

Si seuls les départements ruraux sont maintenus dans leur fonctionnement actuel après 2020, la question se pose de la définition d’un département rural. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – M. Bruno Retailleau applaudit également.) Et la tâche sera très difficile.

Voici quelques exemples qui montrent la diversité des approches : dix départements « hyper-ruraux » ont été identifiés par notre collègue Alain Bertrand ; une trentaine de départements ont participé aux travaux de l’ADF, l'Association des départements de France, sur les nouvelles ruralités ; 90 % des départements sont considérés comme « non urbains » par l’Association des petites villes de France.

Autant d’exemples que je souhaitais vous rappeler afin que le monde rural ne soit pas considéré comme un ensemble secondaire, mais bel et bien comme le contraire, c’est-à-dire une part importante de la géographie, de l’activité et de l’identité de notre territoire. À ce titre, il mérite non pas d’être classifié, mais d’être soutenu. N’oublions pas que le monde rural nourrit nos métropoles et que la question essentielle est celle de la solidarité entre les territoires décentralisés. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. René Vandierendonck

M. René Vandierendonck. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai par un constat : contrairement à certaines rumeurs qui ont beaucoup circulé (Exclamations sur les travées de l'UMP.), le Gouvernement honore son engagement…

M. René Vandierendonck. … de laisser procéder à deux lectures de ce texte, et de faire en sorte que la première lecture du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République intervienne avant la fin de l’année. C’est l’engagement qui avait été pris et il est honoré ; je voulais en donner acte au Gouvernement.

Les différentes interventions sont à cet égard significatives des craintes que le processus de réforme a fait planer sur l’avenir des départements,…

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral. De même que l’étude d’impact !

M. René Vandierendonck. … dont j’ai clairement dit qu’elles étaient infondées. Prenez l’article liminaire, introduit par la commission spéciale. Sa portée juridique n’en fait pas une œuvre incomparable (M. le président de la commission spéciale et M. le rapporteur le confirment.), mais il faut surtout y voir la tentative d’exorciser ses peurs.

La création d’une région forte, qui atteigne une taille critique, vous la vouliez tous ! Dois-je le rappeler, le fameux rapport Raffarin-Krattinger fixait à dix le nombre des régions, insistant sur la nécessité de respecter le caractère stratégique de leurs compétences.

Et je me rappelle Pierre Mauroy présentant, pour la communauté urbaine de Lille, la première carte du rapport du comité pour la réforme des collectivités locales remis par Édouard Balladur avec, pour sous-titre, cette formule : « Il est temps de décider ». Vous vous en souvenez, monsieur le président de la commission spéciale…

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Ô combien !

M. René Vandierendonck. Alors, oui, j’éprouve un certain respect pour ceux qui, sur des questions dont on voit qu’elles agitent le débat public depuis quelques décennies, œuvrent pour qu’une décision puisse intervenir, sachant que la deuxième lecture devrait permettre, du moins je l’espère, quelques ajustements de la carte des régions et des limites territoriales.

Encore que, quand le Sénat laisse passer la première lecture, il ne faut pas s'attendre à ce que les ajustements de deuxième lecture soient miraculeux… Mais enfin, si un consensus apparaît, le Premier ministre a dit – ainsi que vous-même, monsieur le ministre – que des tels ajustements seraient possibles.

À partir du moment où la question de l’avenir des départements est, me semble-t-il, posée plus clairement, je pense que nos amendements peuvent porter sur les conditions du droit d’option – c'est l’essentiel des propositions que le groupe socialiste fera dans le cadre de la discussion –, et je vous remercie, monsieur le ministre, des propos que vous avez tenus sur ce point. En effet, vous confirmez qu’il faut favoriser d’éventuels regroupements de départements, qu’il faut permettre à des départements de faire démocratiquement un certain nombre de choix alternatifs s’agissant de leur région d’appartenance.

L’Assemblée nationale a « verrouillé » – j’assume le terme – le dispositif en posant l’exigence d’une majorité des trois cinquièmes s'appliquant à la région de départ, à la région d’arrivée et, bien sûr, au département concerné.

Le président de la commission spéciale, Jean-Jacques Hyest, et le rapporteur, François-Noël Buffet, ont à mon avis fait avancer le débat en transformant la règle des trois cinquièmes en veto pour la région de départ (M. le président de la commission spéciale acquiesce.), et je reste persuadé que l’on peut aller plus loin sur ces conditions de majorité, et ce dans le sens du libre choix des assemblées départementales. Nous défendrons de nouveau des amendements sur ce point extrêmement important, amendements qui n’ont pas été retenus par la commission spéciale.

Pour le reste, c’est-à-dire sur la carte elle-même, la déontologie imposant, lorsque l’on parle au nom de son groupe, que l’on s’abstienne de commentaires trop « géolocalisés ». (Sourires.), je me conterai de dire que la première mouture de la carte du Gouvernement me convenait parfaitement ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. - M. René-Paul Savary applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec.

M. Ronan Dantec. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, m’inspirant d’une remarque de M. le ministre, je m’écarterai sciemment du texte que j’avais préparé pour mieux tenir compte de nos derniers échanges avec le Premier ministre et des prises de position des uns et des autres, le tout remis en perspective.

On peut être à peu près d’accord, me semble-t-il, pour dire que la situation, ce soir, est relativement simple. Nous avons maintenant de grandes régions, qui ne bougeront plus beaucoup, et, surtout, des départements qui sauvent très bien leur peau, si vous me permettez l’expression, pour la raison que les élus communaux, qui ne voulaient pas hériter des compétences sociales des départements, les ont finalement soutenus.

La perspective n’est donc pas celle d’une disparition à relativement brève échéance des départements, mais plutôt celle de leur maintien. Et l’on ne s'achemine probablement pas non plus vers la coexistence de trois ou quatre systèmes départementaux différents.

Par ailleurs, nous avons des intercommunalités dont la taille pourrait se trouver plus réduite – sur ce point, la porte a été ouverte à un assouplissement.

Mais je me tourne vers le Gouvernement : attention, monsieur le ministre, à ce que la montagne n’accouche pas d'une souris ! (M. René-Paul Savary applaudit.). Les citoyens de ce pays risquent d’aller très vite à la conclusion fâcheuse que tous ces débats n’auront finalement pas abouti à grand-chose : les départements ? On les retrouve. Les intercommunalités ? Elles ne sont pas vraiment plus grandes. Il n’y a bien que pour les régions que cela change, puisque leur nombre diminue, peu, du reste.

À nous donc de tenir un discours plus enthousiaste et plus résolu sur l’intérêt de cette réforme et de ce texte, qui trouvera son prolongement, nous l’avons dit cet après-midi, dans celui que soutiendra Marylise Lebranchu.

Je voudrais maintenant vous livrer quelques réflexions, sur la base de ce qui précède. D’abord, concernant la carte, on peut considérer que l’on a six ou sept régions qui font à peu près consensus ou qui, du moins, ne suscitent pas d’opposition. Certaines n’avaient sans doute jamais imaginé se retrouver « mariées » en octobre de cette année, mais on ne constate pas, globalement, d’animosité : tout le monde, ou presque, est prêt à se lancer.

Reste les cas, plus compliqués, de trois ou quatre régions sur lesquelles porteront essentiellement les débats, même si les propos de M. le ministre font bien sentir que les lignes bougeront assez peu.

Je m’arrêterai sur deux situations vraiment particulières. Cela a été très peu dit, mais la grande bizarrerie de cette carte, c'est que l’ouest de la France ne bouge pas : nous avons trois régions – Bretagne, Pays de la Loire, Centre – qui demeurent inchangées.

Le ministre Bernard Cazeneuve a pourtant bien insisté à l’instant sur l’enjeu majeur, vital pour les territoires français, que constituent des régions plus grandes et adaptées à la compétition libérale internationale. Mais le Gouvernement, qui a proposé des cartes et des fusions, a considéré que la région Centre pouvait demeurer telle quelle, sans métropole, et que les régions Bretagne et Pays de la Loire pouvaient rester distinctes. Or je rappelle que ce sont précisément les deux seules régions à avoir déjà fusionné leurs universités…

Pour autant, si l’État a effectivement évité ainsi d’aller au-devant des problèmes, je ne veux pas le stigmatiser à l’excès. En effet, cette situation est d'abord de la responsabilité des élus de l’Ouest, qui n’ont pas été capables de se mettre autour d’une table pour trouver une réponse à une situation assez complexe, il est vrai. Entre ceux qui voulaient la Bretagne historique et ceux qui voulaient la fusion, il fallait un vrai travail en commun, ce qui n’a pas été fait.

Les grands élus de l’Ouest sont donc responsables de ce statu quo assez préjudiciable. Songez que nous avons un axe d’aménagement Nantes-Rennes qui impacte l’ensemble du territoire, mais sans qu’aucun schéma prescriptif ne l’englobe !

L’avenir dira si le raisonnement développé à l’instant par Bernard Cazeneuve est juste. En termes économiques, les petites régions se trouvent aujourd'hui, dans l’ensemble, en situation de faiblesse. Je note que la région Pays de la Loire convoque une réunion d’urgence ce mois-ci en raison de la forte baisse des dotations au titre de son contrat de projets État-région. Quid, demain, de la région Centre ?

Tout le monde, ici, parle d’égalité territoriale, mais encore faudrait-il analyser – au cours des prochains mois, des prochaines années – ce qui restera de cette égalité des chances lorsqu’il s'agira de faire du lobbying au niveau européen… Où sera l’égalité des chances entre des régions comprenant dix ou douze départements et d’autres n’en réunissant que quatre, avec des moyens différents, y compris dans le rapport avec l’État, qui est aussi, parfois, un rapport de force…

Cela ne traduit pas une logique d’égalité territoriale, même si l’on considère que la diversité des territoires français, dont il faut évidemment tenir compte, s'oppose à la formation systématique de grandes régions de taille comparable.

Au fond, je crois que la sagesse serait de donner du temps au temps. La situation n’est pas obligatoirement appelée à se prolonger, une porte a été ouverte – ne serait-ce qu’avec le nom de la région Centre, qui deviendrait Centre - Val de Loire –…

M. Jean-Pierre Sueur. À juste titre !

M. Ronan Dantec. … et plusieurs possibilités sont sur la table. L’une d’entre elles, que le Gouvernement avait écartée, ne voulant s'en tenir qu’aux fusions de régions, consistait à créer deux grandes régions, l’une sur l’axe ligérien, l’autre autour de la Bretagne et de l’Atlantique. Cette possibilité est toujours sur la table, et il faudra y revenir. La loi ne doit pas figer pour cinquante ans le découpage territorial français !

Face à cette diversité française qui mérite donc des réponses diversifiées, je trouve qu’il y a tout de même encore beaucoup d’idéologie dans le discours de ceux qui s’opposent à toute diversification des compétences et des modes de fonctionnement.

À cet égard, la question alsacienne est révélatrice de la difficulté assez spécifiquement française à considérer que l’on peut avoir des réponses différentes tenant compte de la réalité des territoires. C’est très bien de prendre l’exemple allemand, et cela a été fait cet après-midi encore. Mais, justement, en Allemagne, certaines régions se réduisent à la taille d’une ville. Considérer que Strasbourg perdra son statut de capitale parce qu’elle appartient à une petite région, c’est donc nier l’exemple allemand.

La diversité européenne est bien plus grande ! Ainsi, quand on a une adhésion aussi claire des élus régionaux, des élus départementaux et du peuple, qui s’est exprimé par référendum, même si l’un des deux départements n’avait pas voté favorablement, il faut faire confiance à ce que dit le territoire et, en l’occurrence, donner à l’Alsace le statut de collectivité territoriale unique.

Si nous n’y parvenons pas à l’occasion de la présente réforme, nous donnerons l’image d’une France figée idéologiquement, incapable d’accepter la diversité de ses territoires et de forger des réponses un peu complexes.

Aujourd'hui, si les propos tenus par Manuel Valls cet après-midi m’inquiètent quelque peu, je suis davantage troublé par ceux de Bernard Cazeneuve ce soir. J’y perçois le retour d’une forme de verrouillage, d’une conception technocratique de la construction administrative française. On revient presque au temps de Serge Antoine, pour ceux qui se souviennent de la manière dont les circonscriptions d’action régionale et les régions ont été conçues voilà à peu près cinquante ans. La France et le monde ont évolué : on ne peut plus fonctionner ainsi.

Quant à la rigueur intellectuelle de l’État, disons-le clairement, elle est souvent à géométrie variable. C’est la raison pour laquelle nous demandons plus de souplesse. Au sein de la commission spéciale, y compris en première lecture, nous avons essayé de trouver des compromis ou des visions communes. À cet égard, je souscris aux propos tenus par Henri Tandonnet.

Pourquoi évoquer sans cesse une instabilité, une « boîte de Pandore », qui n’existe pas ? Il s’agit simplement de trouver l’organisation territoriale permettant de libérer les énergies et de respecter la dynamique des territoires.

Ainsi, seules les souplesses du dispositif permettront de trouver une solution à terme, et pas seulement d’ici à la fin de l’année 2016 ! Pourquoi nous limiter dans le temps, alors que de nouvelles régions vont émerger et que le territoire change en permanence ?

Oui, il nous faut trouver les dispositifs permettant de forger peu à peu une construction territoriale française qui corresponde au mieux à l’intérêt des habitants, aux dynamiques économiques, ainsi qu’au respect des identités culturelles et historiques.

Le premier élément est effectivement le droit d’option départemental, que nous avons très clairement inscrit dans le texte en première lecture, en adoptant un amendement défendu par M. Jacques Mézard et soutenu par le groupe écologiste, selon lequel le département et la région d’accueil se mettent d’accord, le territoire quitté n’ayant pas vraiment son mot à dire.

Ce dispositif a été fortement remis en cause par l’Assemblée nationale. La commission spéciale y est revenue, en réduisant le pouvoir de veto de la région quittée. Toutefois, certains amendements témoignent encore de la volonté de faire marche arrière, en fixant à 50 % et non plus à 60 % la proportion de la population nécessaire pour que la région quittée puisse s’oppose à l’initiative. Pour notre part, nous refuserons tout renforcement de la capacité d’opposition de la région quittée.

Contrairement à ce que l’on entend trop souvent, le droit d’option n’est pas le problème de la Loire-Atlantique. Non, le problème tient au fait que Nantes et l’ensemble du département ne souhaitent pas rejoindre la région Bretagne sans leur aire d’influence. Tel est la difficulté sur laquelle butent aujourd'hui les élus de l’Ouest. Toutefois, dans d’autres départements, le droit d’option peut jouer, et il convient donc d’introduire une certaine souplesse.

Il faut également faciliter la fusion des départements. Sur ce point, je considère que le débat avance, comme en témoigne la conclusion de l’intervention de Manuel Valls cet après-midi. Une telle évolution est aujourd'hui à l’œuvre en Savoie. Nous pourrions même assister à certaines constructions correspondant à des identités culturelles et historiques, mais à l’initiative de départements et non pas de régions. Une telle hypothèse n’a peut-être pas été suffisamment explorée. Se dire que, demain, on aura moins de régions et moins de départements est aussi une manière de rationaliser le fonctionnement administratif français. Sur ce point, il faut avancer encore plus. Selon moi, ce sujet, qui n’était pas, au départ, au centre du débat, prend une importance de plus en plus grande. Il nous faudra y revenir.

Mais je vais plus loin.

L’année dernière, c'est-à-dire il y a bien longtemps (Sourires.), nous défendions, avec Hélène Lipietz, l’idée d’un couple région-intercommunalités. Que n’avons-nous pas alors entendu dans cet hémicycle ! Or, aujourd'hui, avec la loi Lebranchu, nous y arrivons.

De même, lorsque j’évoque le bicamérisme, je sens bien que nous, écologistes, sommes un peu en avance sur notre temps ! Toutefois, les choses évoluent très vite.

Le bicamérisme dont je parle existe ailleurs en Europe. Il s’agit d’avoir deux chambres, l’une dotée d’une majorité élue au suffrage universel direct, à la proportionnelle – le scrutin régional a fait globalement ses preuves –, et une autre représentant les territoires. Une telle organisation permet de répondre à une question très présente dans nos débats : comment concilier des axes clairs de politique régionale – c’est le conseil régional, élu au suffrage direct, qui les définirait – et assurer la représentation, dans leur diversité, des territoires, surtout si la région résulte, demain, de la fusion des départements ? Pour y parvenir, il n’est peut-être même pas nécessaire de changer la Constitution !

Voilà ce à quoi nous pourrions travailler. Nous, écologistes, défendons, pour les grandes régions, une vision bicamériste.

Pour conclure, j’en reviens à la question du référendum. Ne pas considérer que les citoyens ont leur place dans ce débat, c’est tout de même assez étrange. Je viens d’un département où la question est extrêmement présente dans le débat public et médiatique. Dans ces conditions, pourquoi sénateurs et députés refuseraient-ils toute initiative populaire référendaire permettant de la trancher ? Voilà une autre vraie bizarrerie du débat !

Si l’intervention de M. le Premier ministre m’a laissé sur ma faim, celle de M. Bernard Cazeneuve m’a particulièrement inquiété. Permettez-moi de reprendre, mes chers collègues, l’image utilisée cet après-midi pour illustrer nos questionnements : allons-nous franchir la rivière ou bien rester au milieu du gué ?

J’ai l’impression que, finalement, vous n’avez pas envie de quitter la rive actuelle, celle d’un certain modèle de fonctionnement français, allergique à la diversité, confondant égalité et unicité, une culture française administrative et politique qui n’est pas un atout dans un monde en mouvement ! (MM. Jean Desessard et Henri Tandonnet applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Favier.

M. Christian Favier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, un constat s’impose : le changement de majorité de notre Haute Assemblée n’aura pas infléchi si peu que ce soit le rythme imprimé à l’examen de ce texte. La précipitation reste de mise et les engagements d’hier sont aujourd’hui bien oubliés par certains.

En effet, si le Sénat avait décidé de mettre en place une commission spéciale pour l’examen de ce projet de loi, ce n’était pas pour que cette commission se contente de débattre de la seule délimitation du territoire de nos régions. La commission des lois aurait pu se charger de cet aspect, et même très bien.

Compte tenu des enjeux liés au renforcement des futures régions, cette commission spéciale avait pour vocation d’examiner toutes les conséquences, sur les plans économique, social, culturel, financier, et, bien entendu, institutionnel et juridique, sans oublier le développement durable, d’une refonte de la délimitation des territoires régionaux.

Cet objectif, que nous nous étions alors majoritairement fixé, avait été mis en évidence, en particulier, par l’extrême indigence des éléments contenus dans l’étude d’impact.

Or, en deuxième lecture, nous avions la possibilité d’enrichir notre réflexion par des auditions supplémentaires, pour mieux éclairer ces enjeux, et surtout veiller au respect de la loi dans la procédure mise en œuvre.

Il n’en a rien été.

La commission spéciale a même, en de telles circonstances, fermé les yeux sur la légalité, puisqu’elle n’a pas exigé l’application de l’article L. 4122-1 du code général des collectivités territoriales, lequel précise que « les limites territoriales des régions sont modifiées par la loi après consultation des conseils régionaux et des conseils départementaux intéressés. »

L’examen du regroupement des régions se sera donc fait sur un coin de table, en commission, à l’instar de ce qui avait été fait à l’Élysée, dans des conditions ubuesques, à la veille de la première lecture.

La droite, qui critiquait, en juin dernier, la méthode, la met aujourd’hui en œuvre sans état d’âme. Au passage, elle a oublié son vote en faveur de la motion référendaire demandant l’organisation d’un référendum sur ce texte de loi…

Chacun peut le constater, l’influence des baronnies régionales reste toujours aussi forte dans le projet de notre commission. C’est particulièrement vrai pour l’Alsace, dont les élus exercent une certaine pression au nom d’enjeux n’ayant rien à voir avec l’intérêt général. Ces parlementaires vont même jusqu’à proposer de faire passer par la loi la fusion de leurs collectivités départementales et régionale, fusion qui a pourtant été rejetée par les citoyens alsaciens.

C’est devenu une manie, pour la droite, de faire avaliser par la loi ce que le peuple refuse par référendum. Elle l’a déjà fait en 2005 s’agissant du Traité européen.

Mme Éliane Assassi. Exactement !

M. Christian Favier. Ce refus de prendre en compte l’avis de la population n’est malheureusement pas l’apanage de la droite. En effet, le texte issu de la majorité socialiste de l’Assemblée nationale a été presque totalement repris par notre commission. Il est particulièrement marqué par son autoritarisme, son caractère technocratique et son refus du dialogue avec les élus et les citoyens.

Ainsi, après la non-consultation des conseils régionaux et généraux concernés par les fusions de régions, l’alliance de l’UMP et du PS est aujourd’hui de nouveau à l’œuvre, je suis bien obligé de la constater, pour ôter tout pouvoir d’intervention aux citoyens dans ce processus de modification des territoires de la République.

L’obligation de référendums locaux est ainsi supprimée. Pour notre part, nous refusons ce recul démocratique, tout comme nous refusons les fusions de régions fondées sur des visions dépassées, ne s’appuyant sur aucune réalité objectivement démontrée.

Chacun sait pourtant que tout regroupement, dans quelque domaine que ce soit, doit d’abord s’appuyer sur des relations existantes. Or aucun examen sérieux n’a été entrepris s’agissant des liens entretenus entre les différents territoires régionaux.

Pour se regrouper, il faut ensuite s’appuyer sur une relation souhaitée par les parties prenantes, en un mot se mettre d’accord sur un projet partagé. Or personne n’évoque cet aspect ! Les seuls arguments avancés sont des souhaits : devenir plus gros et dépenser moins !

Aux yeux de certains, développer de nouveaux services à la population serait presque devenu un objectif incongru. Pourtant, pour réussir un regroupement, il est nécessaire d’apprécier les éléments relationnels existants et ceux qu’il s’agit de construire.

En termes d’évolution des organisations, nous avons appris depuis longtemps que, si ce travail préalable n’est pas fait, l’échec est assuré. Il l’est également si l’ensemble des intervenants ne sont pas associés au processus de transformation.

Ainsi, sans une association étroite, sans une concertation approfondie avec les citoyens, des partenaires économiques et sociaux, des élus locaux et des personnels territoriaux, rien ne se construira durablement. Le risque est grand de voir se développer les concurrences, les appétits égoïstes et les réseaux identitaires de chaque territoire, en flattant finalement plus les différences que ce qui rassemble.

Cela commence malheureusement à se produire, chacun peut s’en rendre compte. Pour notre part, nous ne saurions nous résoudre à laisser éclater notre République sous les coups des égoïsmes et de la mise en concurrence des territoires.

Avant même d’organiser cette nouvelle carte des régions, la logique aurait voulu que nous examinions en priorité les fonctions et les compétences de ces nouvelles collectivités régionales, pour déterminer l’espace qu’elles devraient occuper.

Mme Éliane Assassi. Exactement !

M. Christian Favier. Avant de réfléchir aux périmètres de ces nouvelles institutions locales, il aurait fallu également s’interroger sur les moyens financiers et humains dont elles pourront disposer pour exercer leurs nouvelles compétences.

En fait, avec ce texte bâclé, nous faisons le contraire de ce qu’il conviendrait de faire. Pour autant, à partir d’études sérieuses et d’objectifs clairement définis, des évolutions territoriales sont à l’évidence nécessaires et possibles. Mais, pour les mettre en œuvre, encore faut-il associer l’ensemble des forces sociales intéressées et organiser un véritable débat national, qui serait tranché par une consultation populaire à la hauteur des enjeux portés par une telle réorganisation de notre République.

Car il ne faut pas cacher aux citoyens, comme certains nous y invitent, que des régions de grande taille, disposant de compétences très élargies et d’un pouvoir réglementaire, portent le germe d’une organisation fédéraliste se substituant à notre République une et indivisible.

D’ailleurs, cette idée n’est-elle pas déjà dans de nombreuses têtes ? Certains passent en effet leur temps, vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, à comparer nos régions aux Länder allemands, évoquant leur action et leur puissance respectives, mais oubliant de dire qu’ils sont non pas l’expression d’une République dont l’organisation est décentralisée, mais les structures politiques d’un État fédéral, où les lois ne sont pas les mêmes suivant que l’on habite à l’ouest ou à l’est du pays.

En fait, derrière ce redécoupage des régions, sous couvert de renforcer l’attractivité de leur territoire, se cache un projet politique bien plus vaste, celui d’une réorganisation complète de notre République.

C’est un chambardement de nos institutions locales qui se prépare. Il vise à faire disparaître à moyen terme bon nombre de collectivités locales, de la commune à la région, en passant par les départements, pour faire disparaître autant d’assemblées élues, lieux d’expression de la souveraineté populaire.

C’est un recul démocratique sans précédent, et nous allons évidemment le combattre avec détermination.

En effet, personne ne peut croire que l’on va renforcer la démocratie dans notre pays ou répondre à la crise de la représentation, qui s’élargit, en réduisant le nombre d’assemblées élues, en réduisant le nombre d’élus locaux de proximité, pour la plupart bénévoles, en éloignant toujours plus les citoyens des lieux de décision et de pouvoir.

Au contraire, la concentration des pouvoirs annoncée favorisera, on le sait, la professionnalisation renforcée du mandat d’élu et réduira la possibilité des citoyens issus des classes populaires d’accéder à ces fonctions.

L’oligarchie financière et technocratique envahira peu à peu l’ensemble de la sphère politique, y compris au niveau local. Il deviendra alors possible de faire taire l’expression des besoins et des attentes de nos concitoyens pour permettre une réduction drastique de la dépense publique au profit de l’ouverture au marché de pans entiers de l’action publique actuelle.

Ce faisant, nous transformerons le citoyen, usager actuel, en client potentiel.

À l’objectif de tendre vers l’égalité et de répondre aux besoins de chacun se substituera une réponse inégalitaire : à chacun selon ses moyens. Voilà la France que vous nous préparez ! Ce sera destructeur pour notre pacte social, pour notre pacte républicain.

Déjà, nous voyons poindre en Europe cet éclatement du cadre national, en Italie du Nord, en Catalogne ou en Écosse. Notre pays n’est pas à l’abri.

Le danger est devant nous, avec ce texte bien sûr, mais aussi avec celui qui va suivre, le projet de nouvelle organisation territoriale de la République.

Reconnaissons que ce deuxième texte, par son intitulé, annonce la couleur. Mais il ouvre la porte à d’autres changements, qui, eux, ne sont pas encore annoncés et qui suivront.

Faisant suite à la loi Sarkozy de réforme territoriale de décembre 2010, la loi d’affirmation des métropoles, promulguée en janvier dernier, s’est inscrite dans ses pas, pour toujours plus réduire l’influence des institutions locales et rendre possible la disparition programmée des départements et des communes.

Notons à ce propos que la droite semble oublier que c’est elle qui a ouvert le ban de la disparition des départements, qu’elle fait mine de contester aujourd’hui.

En effet, le conseiller territorial, cet élu hybride siégeant au niveau départemental et régional, était alors institué pour mieux organiser – pour reprendre le bon mot d’Édouard Balladur – « l’évaporation » à venir des départements.

En revanche, et nous le regrettons, la filiation avec la commission Balladur se retrouve aussi – c’est évident – avec l’objectif gouvernemental de faire disparaître les départements à l’horizon 2020 en utilisant la même méthode : celle de la dévitalisation et de la mort à petit feu.

À cet égard, monsieur le ministre, vos propos ne nous ont pas rassurés.

Et pourtant, je me souviens qu’en 2009 le parti socialiste et l’association des élus socialistes s’étaient prononcés contre les propositions de cette commission Balladur et qu’alors, ensemble, nous avions combattu la réforme de 2010.

Cela, évidemment, c’était avant !

M. Christian Favier. Une chose est ainsi plus claire. En effet, depuis plusieurs mois, certains élus et responsables socialistes nous ont fait le reproche d’avoir eu le même type de vote que la droite, sur certains textes de loi, en feignant d’ignorer que nos raisons étaient diamétralement opposées.

Aussi, qu’il nous soit permis, sur ces textes de déconstruction de nos institutions locales, de noter que les désaccords de la droite avec le Gouvernement ne sont plus aussi évidents. Nous le verrons très certainement au moment du vote de ce texte.

Ainsi, nous venons d’évoquer une certaine filiation s’agissant de la disparition programmée des départements, mais nous pouvons malheureusement noter qu’il en est de même concernant l’avenir de nos communes.

En matière d’intercommunalité, le renforcement des compétences obligatoires et l’élargissement des territoires annoncés vont se faire dans le prolongement de la loi de 2010, qui renforçait déjà ces prérogatives et ces limites.

Ainsi, une proposition de loi de Jacques Pélissard sur l’avenir des communes, visant à accélérer leur fusion et à faire ainsi disparaître des milliers d’entre elles, donc des milliers d’élus, vient prochainement en débat à l’Assemblée nationale.

Certains estiment même que cela pourrait toucher près de 10 000 communes et donc plusieurs dizaines de milliers d’élus locaux, au motif de leur perte de moyens financiers et donc de leur capacité d’intervention.

Or il semblerait qu’un amendement au projet de loi de finances soit d’ores et déjà prêt pour accompagner cette proposition favorisant les regroupements-fusions au sein des communes nouvelles définies par la loi Sarkozy de 2010.

Centralisatrice, inefficace, cette réforme va se traduire en outre par un véritable gaspillage des deniers publics.

En effet, contrairement à la fable mille fois répétée par les partisans de ces « hyper-régions », les économies annoncées ne seront pas au rendez-vous. La réorganisation des services, les transferts de compétences envisagés, l’harmonisation des régimes indemnitaires des personnels, la refonte de toute la communication institutionnelle et de la signalétique régionale seront autant de surcoûts totalement passés sous silence aujourd’hui.

Mais, demain, il vous faudra évidemment rendre des comptes aux contribuables.

Au moment où notre pays est au bord de la faillite, avec un chômage qui explose, était-il nécessaire d’engager à l’aveugle un tel chamboulement ?

Quand on voit l’amateurisme qui a entouré la fixation du calendrier électoral, on ne peut qu’être très inquiet quant à la capacité de la technostructure à conduire une telle réforme !

Pour notre part, nous restons attachés à l’organisation de notre République, à ses trois niveaux de collectivités, même si nous pensons que d’importantes modifications doivent être mises en œuvre pour en démocratiser toujours plus le fonctionnement, pour améliorer les services publics locaux, développer tous les partenariats possibles, monter des projets communs entre collectivités territoriales, dans le respect de toutes les parties prenantes, pour renforcer l’efficacité de l’action publique et toujours mieux répondre aux besoins et aux attentes de la population.

Nous militons donc pour un changement radical, démocratique et social, pour une VIRépublique qui place le peuple devant toute chose et l’humain au centre de tout.

Ce qui nous est présenté aujourd’hui, au nom du parti du mouvement, n’est qu’un mauvais replâtrage de notre monarchie républicaine, une Ve République bis, pire qu’avant par certains aspects.

Ce qui est devant nous, ce n’est pas la voie de la réforme, mais celle d’une contre-réforme passéiste, réactionnaire et centralisatrice, reniant le mouvement initié il y a trente ans par un gouvernement de gauche qui œuvrait alors pour une décentralisation démocratique, au service d’un projet émancipateur.

Cette volonté politique est toujours la nôtre et rien ne nous en détournera.

Aussi, nous refuserons certains articles et proposerons des amendements tendant à réduire les aspects les plus néfastes de ce texte.

Nous espérons être entendus, mais, en l’état actuel de ce projet de loi, trop partiellement réécrit par notre commission spéciale – même si les uns et les autres ont souligné les avancées réalisées –, nous ne pourrons que repousser ce texte, qui n’est pas, à nos yeux, à la hauteur d’une République moderne, démocratique et solidaire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.  M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Hermeline Malherbe.

Mme Hermeline Malherbe. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en tant qu’élue locale je plaide depuis plusieurs années en faveur d’une véritable réforme de la décentralisation, une réforme qui réponde enfin aux attentes des Français en matière de proximité et d’efficacité de l’action publique.

La décentralisation a permis de faire émerger l’intelligence des territoires.

La décentralisation a libéré des énergies et fait éclore de multiples talents. Elle a permis de relever bien des défis.

Je m’inscris dans ce mouvement et je partage donc la volonté du Gouvernement de procéder à une véritable réforme territoriale.

Cela étant précisé, permettez-moi d’émettre plusieurs réserves sur ce texte.

En premier lieu, le choix du nouveau découpage. Pourquoi avoir fait du nombre de régions l’alpha et l’oméga de la réforme ? Il était à mon sens préférable de définir, dans un premier temps, les missions et les compétences des collectivités ; la question de leur périmètre géographique serait venue tout naturellement dans un second temps.

M. Jacques Mézard. Très bien !

Mme Hermeline Malherbe. En deuxième lieu, cette réforme de la délimitation des régions est-elle attendue et partagée par tous ? L’avis de nos concitoyens aurait dû être sollicité. Faute de consultation préalable, la carte proposée par le Gouvernement a engendré de nombreuses contestations, souvent justifiées, et je suis bien placée pour en parler.

Christian Bourquin, mon prédécesseur, à qui nous avons rendu hommage cet après-midi, s’est toujours battu pour que cette réforme garantisse l’intégrité de sa région, le Languedoc-Roussillon.

Je me réjouis que les membres de la commission spéciale du Sénat aient entendu sa voix et celle de ses conseillers régionaux, qui, je le rappelle, ont adopté en séance publique une motion contre le projet de fusion de leur région avec Midi-Pyrénées, à la quasi-unanimité : 65 élus pour, 1 contre.

Mais ce sont avant tout les citoyens qui ont été entendus à travers les milliers de signatures recueillies pour garder la région et son identité.

Cela a déjà été dit en ce lieu, et je le répète encore une fois : notre « oui » au Languedoc-Roussillon n’est pas une position de rejet contre Midi-Pyrénées. Nombre de coopérations existent et se développent encore.

J’espère que le Gouvernement et l’Assemblée nationale auront la sagesse de retenir ces choix, conformes à la volonté des élus locaux et des citoyens de notre région.

J’émets une autre réserve sur ce projet de loi : où se feront les économies tant attendues ?

Ce n’est pas l’ersatz d’étude d’impact, indigne de ce nom, qui pourra nous le dire.

M. Jacques Mézard. Très bien !

Mme Hermeline Malherbe. Et pourtant, il aurait été plus que nécessaire d’évaluer les incidences de cette réforme sur les finances publiques. Mais, puisque le Conseil constitutionnel, saisi sur l’initiative de mon groupe, a jugé l’« étude » satisfaisante, il nous faudra obtenir des éclairages par d’autres moyens.

Je reconnais que ce texte comporte également quelques avancées notables.

Lors de la première lecture au Sénat, un amendement du groupe du RDSE reprenant une proposition de loi de mon collègue et ami Alain Bertrand visant à garantir un seuil minimal de cinq élus régionaux par département avait été adopté.

La commission spéciale a confirmé ce choix. Laisser un seuil inférieur, comme le prévoyait le texte transmis par l’Assemblée nationale, c’était tout simplement condamner les départements les moins densément peuplés à un rôle « décoratif ».

M. Jacques Mézard. Très bien !

Mme Hermeline Malherbe. Le minimum de cinq sièges me paraît un juste équilibre entre le respect de la réalité démographique et la nécessité de permettre à chaque département de peser dans les nouvelles entités.

C’est un choix de bon sens, un choix dans l’intérêt des territoires.

Vous le savez, mes chers collègues, la question de la ruralité, et même de l’hyper-ruralité, à la suite de l’excellent rapport de notre collègue Alain Bertrand, fera l’objet d’un débat dans les prochains jours au sein de notre assemblée. C’est un enjeu de demain et nous y sommes, avec mes collègues du groupe du RDSE, très attentifs.

Nous sommes également attentifs à l’avenir des départements. Le Gouvernement, monsieur le ministre, a donné des gages sur le maintien de l’échelon départemental. C’est une sage décision.

À ce titre, je me réjouis aussi de voir dans le texte de la commission spéciale un nouvel article 1er A qui détermine les missions de chaque échelon local. En particulier, il y est indiqué que « les départements sont garants du développement et de la solidarité territoriaux et de la cohésion sociale sur leur territoire ».

Le département est donc bien vivant ! (M. Alain Fouché approuve.) Ceux qui pensent pouvoir confier dès demain les missions du conseil général aux intercommunalités ne sont pas réalistes. Aujourd’hui, c’est l’inverse qui se produit : ce sont les départements qui viennent en aide aux intercommunalités !

M. Bruno Sido. Très bien !

M. Alain Fouché. Superbe !

Mme Hermeline Malherbe. Mes chers collègues, de nombreuses questions restent encore en suspens : quelles économies seront effectuées ? Quelles villes seront les chefs-lieux des nouvelles régions ? Quels seront les pouvoirs de ces régions par rapport aux autres échelons ? Quel est l’avenir des territoires ?

Nous trouverons, semble-t-il, une partie des réponses dans le projet de loi NOTRe portant nouvelle organisation territoriale de la République. Encore faut-il que l’on s’accorde sur le point de savoir quand débuter la discussion de ce texte fondamental. Vous connaissez, monsieur le ministre, la position des présidents de conseil général et des conseillers généraux sur la question, à l’approche des élections de mars 2015…

Il est bien inconfortable de devoir voter le présent texte sans avoir d’assurances préalables sur ce que sera le contenu de la loi NOTRe, sans même connaître le sens que l’on souhaite donner à notre République décentralisée.

Il y va de l’intérêt général. Il s’agit de répondre aux besoins des citoyens. Ils nous font confiance et leurs attentes sont nombreuses. Il nous faut aller encore plus loin ! Malheureusement, ce texte n’apporte que des réponses très partielles.

Le groupe du RDSE et moi-même attendons impatiemment de connaître le fruit de nos débats pour déterminer définitivement notre vote. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur quelques travées de l'UMP.)

Mme la présidente. Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous propose de prolonger cette séance jusqu’à minuit trente, afin d’aller plus avant dans la discussion générale de ce texte.

Il n’y a pas d’opposition ?...

Il en est ainsi décidé.

La parole est à M. Bruno Sido.

M. Bruno Sido. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. […] Son organisation est décentralisée. » Notre Constitution, en son article 1er, pose clairement le principe de l’unité de l’État, de la République, dont les collectivités territoriales sont une modalité d’organisation administrative, l’expression d’une gestion décentralisée des territoires.

En d’autres termes, les régions, départements et communes de France sont eux aussi des composantes de la République et de l’État ; non des entités sui generis comme les Länder allemands, tirant leur légitimité de siècles d’existence autonome avant que, en 1871, la nation allemande ne prenne enfin la forme d’un État.

La France a été bâtie par la main de l’État, siècle après siècle, tantôt par le glaive et les conquêtes, tantôt par mariage et accueil de territoires nouveaux. Toujours, la monarchie puis la République ont veillé à faire de la France une nation unique, signifiant bien davantage qu’une simple juxtaposition de particularismes locaux. L’affirmation du pouvoir central sur les périphéries a permis le rayonnement de notre langue, la construction d’une nation ouverte, reposant sur les principes de liberté, d’égalité et de fraternité.

Qu’est-ce qu’une nation ? Ernest Renan, lors d’une conférence donnée à la Sorbonne en 1882, déclarait ceci : « Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis. »

Le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu fixent assurément, monsieur le ministre, les bases et les bornes de la réforme territoriale de notre pays, qui doit, à mon sens, en respecter l’esprit.

Cet héritage vivant est celui de la Révolution française ; celui qui a émancipé chaque petit Français de ses origines régionales, de son patois local qui l’attachait pour la vie à une terre, en lui offrant ce merveilleux véhicule de liberté et d’ascension sociale qu’est la langue française.

Les régions, héritage des provinces de l’Ancien Régime, ont longtemps suscité la méfiance de celles et de ceux qui croyaient en l’État pour donner corps aux principes républicains.

Dans cette fresque haute en couleur qu’est le roman national, trois entités tiennent un rôle majeur : les communes, les départements, l’État. Constamment, la régionalisation est refusée, tout au long du XIXe siècle, malgré les appels de certains, dont Charles Maurras qui clamait, en 1892 : « Nous voulons délivrer de leurs cages départementales les âmes de nos provinces […]. Nous sommes autonomistes, nous sommes fédéralistes. »

Monsieur le ministre, mes chers collègues, pour fixer un cap, il est nécessaire de savoir précisément d’où l’on vient.

Alors que, depuis une dizaine d’années, le département fait figure de « mouton noir » de la République, gratifié par d’innombrables articles de presse et déclarations de personnalités politiques éminentes d’épithètes telles qu’« obsolète », « coûteux », voire, plus récemment, « inutile », je veux rappeler avec force au Sénat que le département et le conseil général appartiennent non seulement à l’ADN de notre histoire républicaine, mais aussi à son avenir.

Le Gouvernement n’a pas démontré en quoi leur suppression, à tout le moins leur affaiblissement, permettrait la moindre économie. Au pays des Lumières, je forme le vœu que les ministres développent devant le Parlement un raisonnement objectif et construit, inspiré par le seul intérêt national.

Le Gouvernement réserve des leçons de gestion aux conseils généraux et aux communes, lui qui sait comme personne leur transférer de nouvelles charges, qu’il s’agisse du domaine social, avec les hausses du RSA que nous apprenons en lisant la presse, ou de la réforme des rythmes scolaires, qui laisse les élus locaux désemparés. Mettez la parole en cohérence avec les actes !

Pour l’avenir, le Gouvernement nous propose de grandes régions, immenses et puissantes, aux côtés desquelles existeraient des métropoles, véritables concentrés de pouvoirs cumulant les responsabilités des communes, celles du conseil général et même celles de la région ! Cela donne le vertige.

Comme l’écrivait Montesquieu dans De l’Esprit des lois, « pour qu’on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». Alors que, au nom d’un idéal démocratique, le Gouvernement et sa majorité interdisent le cumul des mandats – c’est-à-dire de responsabilités reposant sur les mêmes personnes –, ils organisent ce même cumul des responsabilités sur les épaules des futurs présidents de région et des présidents de métropole, recréant, alors que le pays est confronté à une immense crise économique, la puissance des provinces d’Ancien Régime et leurs dérives.

Et le conseil général, dans tout cela ?

S’agissant de la redéfinition des cartes régionales, le droit d’option doit permettre d’ajuster, dans les prochaines années, le périmètre des nouvelles régions aux réalités des coopérations territoriales. Si l’État maintient des compétences fortes aux conseils généraux, ils peuvent continuer à être les garants de l’équilibre entre l’urbain et le rural et à relayer efficacement ses politiques publiques dans les territoires. Plus les grandes régions auront de poids, et plus les départements resteront nécessaires.

Si les quinze nouvelles régions sont compétentes pour l’économie, les investissements d’avenir, la compétitivité et l’innovation, les départements doivent gérer, de l’avis des quarante et un présidents de conseil général de la droite, du centre et des indépendants, l’ensemble des compétences de proximité : non seulement conserver les routes, les collèges et les transports scolaires, mais aussi gérer les lycées et assumer les missions d’assistance technique nécessaires aux communes et à leurs groupements. M. le Premier ministre en a parlé tout à l’heure.

D’ailleurs, l’État ne s’y trompe pas, comme en attestent le maintien du maillage territorial des préfets et des sous-préfets et le renforcement considérable des pouvoirs des préfets pour modifier la carte intercommunale et supprimer nombre de syndicats de communes.

L’État, n’en déplaise aux régions, s’occupe directement des grandes questions économiques dès qu’un sinistre industriel menace, dès qu’une opportunité existe à l’export pour telle ou telle entreprise, dès qu’une négociation de haut niveau avec des investisseurs étrangers est nécessaire. Demain, il doit, à mon sens, conserver cette capacité d’action, car lui seul détient la légitimité pour s’occuper des grandes questions.

Les conseils généraux ne font pas la politique du paon ni, pour paraphraser La Fontaine, ne jouent la fable de la grenouille qui se voulait aussi grosse que le bœuf. Ils ne se piquent pas non plus d’incarner une pseudo-identité régionale. Ils sont utiles, tout simplement, par les services concrets et efficaces qu’ils rendent à nos concitoyens : c’est là leur seule fierté. Au quotidien, ils veillent à faire arriver à l’heure les enfants en classe, à chauffer, entretenir et moderniser les collèges, à maintenir un réseau routier en bon état, à aider nos concitoyens les plus fragiles, surtout. Je pense aux personnes âgées ou handicapées, aux enfants et aux jeunes, aux personnes en rupture d’insertion.

M. Alain Fouché. C’est vrai !

M. Bruno Sido. Les conseils généraux attendent aujourd’hui de l’État, à moins de cinq mois des élections, une clarification de leur rôle. C’est, pour le dire clairement, la moindre des choses pour les Français, qu’ils soient électeurs ou candidats.

Nous attendons également de l’État une assurance de disposer des moyens financiers nécessaires pour faire face aux missions confiées par la loi, dans le champ social notamment. Certes, l’État doit faire des économies, mais pas au détriment de la proximité, à l’heure où nos concitoyens font face à la crise.

Nous ne sommes pas comme les « frondeurs », qui sapent votre action ; nous sommes au contraire des partenaires avec lesquels vous pouvez, dans la droite ligne du rapport Raffarin-Krattinger, qui esquissait une réforme territoriale aussi ambitieuse qu’équilibrée, « sortir par le haut ». Faites confiance aux départements et à la libre administration des collectivités territoriales. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur quelques travées de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Bockel.

M. Jean-Marie Bockel. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes bien sûr, les uns et les autres, présents sur le terrain. De plus, durant l’été, une moitié d’entre nous, concernés par les élections sénatoriales, ont été amenés à rencontrer et à écouter avec une attention particulière nos collègues élus, les grands électeurs. À cette occasion, je n’ai pas entendu exprimer un rejet de principe d’une réforme de notre organisation territoriale. En revanche, il a été affirmé avec force et sur tous les tons que cette réforme devait se faire de la bonne manière. Or force est de constater aujourd’hui qu’elle a été bien mal engagée par le Gouvernement.

Dès l’examen en première lecture de ce projet de loi au Sénat, nous avions été plusieurs à souligner les lacunes d’un texte qui reposait très largement sur des idées reçues, sans pour autant s’attaquer aux vrais problèmes de fond, évoqués tout à l’heure par plusieurs collègues devant le Premier ministre.

Principal argument avancé par le Gouvernement, la fusion des régions allait d’abord permettre d’engendrer de fortes économies. Tout le monde reconnaît aujourd’hui qu’entre les fusions de services, le financement des déménagements, l’alignement des statuts, etc., ces fusions engendreront des coûts dans un premier temps – et peut-être pendant très longtemps –, surtout dans un État encore très centralisé, dont la réforme reste à faire.

Le Gouvernement nous annonçait ensuite que la fusion allait permettre à nos régions d’atteindre la fameuse « taille critique ». Or, si l’on regarde la situation chez nos voisins européens, on constate qu’il n’existe pas d’optimum régional et que comparaison n’est pas raison : il n’existe pas de « taille critique ».

Enfin, pour ce qui est de la méthode et du calendrier, le Gouvernement nous proposait le contenant avant le contenu, alors même que la clarification des compétences aurait dû être le point de départ de toute réforme. Quelles seront, en effet, les compétences respectives des collectivités de demain ? Qui fera quoi et avec quels moyens, dans un contexte de baisse des recettes ?

Alors que ce manque de cap et de vision a été largement commenté, à juste titre, lors de nos débats, on peut regretter a posteriori que le Sénat n’ait pas saisi l’occasion de la première lecture pour dessiner sa propre carte, avant que l’Assemblée nationale ne dénature le projet gouvernemental… Que cela nous serve aujourd’hui de leçon pour la deuxième lecture !

Vous le savez, la majorité de l’Assemblée nationale, en accord avec le Gouvernement, a adjoint la Champagne-Ardenne à l’Alsace-Lorraine, écartant ainsi une perspective qui, sans faire l’unanimité, aurait pu, dans le contexte du début de l’été, constituer une solution acceptable pour les uns et les autres. En Alsace, le président Philippe Richert avait d’ailleurs, à cette époque, accepté de négocier avec son homologue lorrain.

L’adjonction de la Champagne-Ardenne, considérée comme une provocation et aboutissant à la formation d’une trop grande région, a provoqué la mobilisation des Alsaciens durant tout l’été, avec comme point d’orgue la manifestation du 11 octobre à Strasbourg, qui a été un succès populaire. Cette mobilisation ne s’est toutefois pas faite – je veux le rappeler – contre le dialogue, que ce soit avec le Président de la République – nous l’avons rencontré à l’occasion de commémorations, pendant l’été – ou avec le Gouvernement.

Ce dialogue doit se poursuivre ; pourtant, nous avons entendu, cet après-midi et ce soir, de la part du Premier ministre et du ministre de l’intérieur, des propos qui témoignent plutôt d’une certaine fermeture. Nous le regrettons. J’espère néanmoins que, comme cela nous a été dit à plusieurs reprises, le débat est vraiment ouvert et que tout n’est pas joué d’avance.

La démarche que nous avons entreprise, en Alsace, ne s’inscrit pas non plus dans une opposition à la Lorraine, à la Champagne-Ardenne et à leurs habitants. L’Alsace, si elle est dotée d’une identité forte, dont elle est fière, n’entend en aucun cas manifester une volonté de repli ; elle entend bien adopter, au contraire, une démarche d’ouverture – à l’égard tant des régions voisines que des régions frontalières de Suisse et d’Allemagne – et innovante, avec la ferme volonté de surmonter l’échec du référendum de 2013, qui avait suscité beaucoup d’espoir, y compris, je le sais, au sein du Gouvernement. L’idée de la fusion des collectivités alsaciennes n’a pas été rejetée par le peuple, puisqu’une majorité très nette en sa faveur s’est dégagée sur l’ensemble de la région lors du référendum : l’échec tient à des conditions aujourd’hui considérées par tous comme impossibles à remplir. Cela a servi de leçon ; tant mieux, mais nous l’avons payé cher !

Dans ce contexte, je me réjouis que la commission spéciale du Sénat ait adopté un amendement permettant à l’Alsace de constituer à elle seule l’une des futures régions. Je regrette cependant que les amendements portant sur l’instauration du conseil d’Alsace, et donc la perspective d’une expérimentation innovante, qui intéresse d’ores et déjà d’autres régions, n’aient pas été retenus, pour des raisons constitutionnelles. C’est dommage, car cette idée a fait son chemin, particulièrement dans notre région. Je souhaite que l’on puisse y revenir, au travers du présent texte ou d’un prochain véhicule législatif approprié, si besoin – je pense par exemple au projet de loi relatif aux compétences.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Voilà !

M. Jean-Marie Bockel. Monsieur le ministre, mes chers collègues, les travaux de la commission spéciale ont permis de réaliser des avancées importantes, qui rendent ce texte plus équilibré et cohérent. Celles-ci doivent désormais être préservées en séance publique !

Au-delà, le dialogue devra se poursuivre avec le Gouvernement et nos collègues de l’Assemblée nationale. En tout cas, tout retour à une trop grande région Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne ne pourrait que susciter colère et incompréhension en Alsace. Il s’agirait là d’une marque de mépris, que nous ne pourrions comprendre.

Nous attendons tous beaucoup de ce débat, qui constituera un test pour un Sénat renouvelé, désireux de se faire entendre à nouveau et de retrouver son rôle et sa légitimité d’assemblée représentant les territoires. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur certaines travées de l’UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Doligé.

M. Éric Doligé. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur, chers collègues, il y a tant à dire sur le sujet qui nous rassemble cette semaine que l’on ne sait pas vraiment par où commencer.

Depuis le début de l’année, nous sommes confrontés à un déferlement d’annonces contradictoires en ce qui concerne l’avenir des départements, leurs compétences, la date des élections, voire le mode de scrutin et le territoire de chaque canton. Nous n’avons jamais connu une telle tempête, un tel flou. J’en suis à me demander, monsieur le ministre, si vous savez ce que vous faites, si vous croyez ce que vous dites, si vous savez où vous allez.

Derrière ce cafouillage, il y a le citoyen, son avenir, celui de centaines de milliers de fonctionnaires et, accessoirement, le travail de milliers d’élus qui se sont donnés avec passion pour leur pays.

Le Président de la République, au détour d’une annonce surprenante, a lâché un soir de printemps que « les départements ont vécu », cela après les avoir encensés trois mois auparavant…

Monsieur le ministre, je vais évoquer quelques points spécifiques et vous poser quelques questions.

Concernant la carte, chacun sait qu’elle a été imaginée au hasard d’un découpage, dans la précipitation et sur le coin d’une table. Ce n’est pas un scoop : le Premier ministre l’a reconnu cet après-midi.

Pensez-vous que l’on puisse, comme vous l’aviez prévu, diminuer le nombre de régions en supprimant parallèlement les départements, peut-être après 2020 ? Avez-vous trouvé une définition du département rural ? Quel sera en définitive leur nombre exact : dix, vingt, cinquante ou plus ? J’ai l’impression que l’on détermine un nombre qui servira à définir a posteriori ce qu’est la ruralité. Pourra-t-on organiser simplement les fusions entre départements ? Pourra-t-on faire jouer le droit d’option ?

Finalement, ne pensez-vous pas que, le flou le plus total prévalant, il serait plus sérieux de reprendre le problème à la base et de parler des compétences avant de pratiquer des découpages hasardeux ?

S’agissant de la date des élections, puis-je me permettre de revenir à notre échange du 4 juillet 2014 ? Lors de la présentation de mon amendement sur l’article 12, qui visait à mettre fin à la concomitance entre les élections départementales et les élections régionales, vous vous êtes montré très agacé et vous avez haussé le ton : j’ai eu le sentiment de me faire gronder par mon maître d’école ! (Sourires.) Comment pouvais-je oser mettre en doute vos certitudes quant à l’obligation d’organiser le même jour les élections départementales et les élections régionales ? Vous vous êtes appuyé sur le Conseil constitutionnel pour conforter votre démonstration et vous êtes exprimé en ces termes :

« Monsieur Doligé, nous sommes défavorables à cet amendement pour deux raisons. La première est que nous reprenons à notre compte les dernières décisions du Conseil constitutionnel, qui a estimé que la concomitance des élections départementales et régionales relevait d’une disposition d’intérêt général, puisqu’elle favorise la participation aux élections. La seconde est que nous présenterons un texte sur la répartition des compétences visant à mieux articuler celles-ci entre départements et régions ; cela justifie que les élections départementales et les élections régionales soient organisées au même moment. »

Ainsi, monsieur le ministre, vous avez balayé mes amendements avec force et même agacement, votre argument « massue » étant la référence incontournable au Conseil constitutionnel. Vous aviez d’ailleurs utilisé ces éléments dans l’étude préalable au projet de loi, la fameuse étude d’impact.

Vous avez fait voter la concomitance des élections en décembre 2015 par une Assemblée nationale qui vous était totalement soumise. Je ne vous ferai pas l’affront de lire, à ce moment de mon intervention, vos déclarations du 18 juillet 2014 devant l’Assemblée nationale.

Aujourd’hui, en utilisant les mêmes arguments qu’il y a trois mois, vous allez nous soutenir exactement le contraire. Le Conseil constitutionnel va encore vous servir d’alibi.

La question légitime que l’on est en droit de se poser est la suivante : le Gouvernement nous a-t-il caché la vérité sur la véritable nature des arguments constitutionnels ? Avons-nous en face de nous des amateurs qui ne maîtrisent pas le sujet ?

Nous avons parfois le sentiment qu’il y a du flou sur quelques sujets majeurs, comme l’état réel des finances publiques, l’écotaxe ou l’utilisation des autoroutes. Dès lors, pourquoi n’y aurait-il pas du flou dans votre argumentation concernant les dates des élections ?

Très sincèrement, je ne sais plus dans quelle catégorie classer le Gouvernement : parmi les dissimulateurs ou parmi les amateurs ? Peut-être allez-vous nous l’expliquer.

Comme vous m’aviez convaincu en juillet de votre grande sincérité, j’ai fini par analyser un à un vos arguments et suis arrivé à la même conclusion que vous voilà tout juste trois mois. Le maintien des élections départementales en mars 2015 est bien en contradiction avec certains principes constitutionnels. C’est ce que vous nous expliquiez à l’époque.

En premier lieu, nous devons en effet respecter l’exigence constitutionnelle de sincérité du suffrage, en termes d’intelligibilité, de clarté et de loyauté. Ce sont vos arguments.

En second lieu, la tenue d’élections départementales en mars serait contraire au corollaire du principe de sincérité du scrutin, à savoir le principe d’égalité de traitement des candidats à une élection.

Si vous le voulez, je peux vous donner d’autres arguments. Vous saurez certainement les démonter aujourd’hui, mais nous ne participons pas à un concours d’habileté.

Mais alors, comment pensez-vous résoudre les difficultés suivantes ?

Concernant la date d’ouverture des comptes de campagne, le code électoral impose au candidat d’inscrire, via son mandataire, les dépenses électorales effectuées un an avant les élections sur son compte de campagne. Quelle est votre solution ? M. le rapporteur nous exposera la sienne, mais j’aimerais savoir comment vous allez protéger les candidats.

Concernant le délicat problème de la communication en période électorale et l’utilisation des moyens de l’institution, les atermoiements autour de la date des élections sont de nature à faire peser un risque sur les actions de communication des collectivités territoriales. Comment y répondez-vous ?

Un autre écueil tient à l’impossibilité, pour un fonctionnaire de catégorie A, de se présenter s’il ne démissionne pas dans les six mois qui précèdent l’élection. Or il ne peut plus le faire si l’élection a lieu en mars 2015. Vous allez certainement résoudre également ce problème.

Enfin, pour ce qui est de l’avenir des départements, nous sommes dans le flou le plus complet, et les explications du Premier ministre ne rassurent pas. J’aimerais, pour les milliers de fonctionnaires qui s’interrogent sur leur devenir, que vous nous donniez de vraies perspectives.

M. Alain Fouché. C’est effectivement une vraie question !

M. Éric Doligé. En moins d’un an, nous avons connu quatre dates de suppression de la collectivité départementale, s’étageant de 2015 à 2022. Je pourrais reprendre les déclarations du Président de la République et des membres du Gouvernement. En à peu près un an, nous avons connu des dates d’élection variables : mars 2014, mars 2015, décembre 2015 puis mars 2015. Quant aux compétences, elles varient au gré du temps et des rencontres…

Grande nouveauté dans le cadre de la simplification, il y aura des départements à trois vitesses. Comment pensez-vous, dans ces conditions, que nos personnels puissent avoir l’esprit serein ? Ils sont désorientés.

Connaissez-vous la définition du harcèlement moral ? Nous sommes au centre de cette problématique. Ce sont des agissements qui occasionnent une dégradation des conditions de travail et créent une situation anxiogène. Je vous invite à venir sur le terrain pour constater l’inquiétude des personnels et leur peur de l’avenir. Dans son intervention de cet après-midi, notre collègue Didier Guillaume a abordé le sujet.

L’inquiétude gagne aussi les élus : voyez les milliers de recours qu’ils ont déposés et la manière dont ils sont traités ; voyez ces maires qui aujourd’hui manifestent devant le Sénat.

M. Alain Fouché. Très bien !

M. Éric Doligé. Ils nous disent que, « avec la suppression des départements, les maires ruraux vont perdre un partenaire essentiel. Nous vivons un sentiment d’abandon, qui peut dégénérer en sentiment d’exclusion, » ajoutent-ils.

Avec toutes vos imprécisions, avec toutes vos hésitations, les citoyens, les élus, les fonctionnaires se sentent totalement exclus. Souhaitons que vous donniez, durant ce débat, des réponses à nos questions et des éclaircissements sur l’avenir que vous nous préparez. Peut-être finirez-vous par nous entendre et prêterez-vous attention à nos amendements ? Je suis un peu inquiet lorsque je constate que le Premier ministre remet en cause notre carte et que vous acquiescez à cela.

Puis-je rappeler, en conclusion, que le vrai sujet, pour notre société menacée de destruction, c’est celui de l’économie et de l’emploi ? Tout le temps que nous passons à élaborer la moins mauvaise carte possible et à limiter les dégâts pour nos territoires et les citoyens, nous ne le passons pas à simplifier, à innover, à clarifier et à favoriser notre économie.

Depuis que vous avez décidé de diviser par deux le nombre des régions, de supprimer les départements, de porter à 20 000 habitants le seuil minimal de population pour les communautés de communes, les investissements sont bloqués et l’emploi en souffre. Venez rencontrer les professionnels du secteur du bâtiment et des travaux publics.

La question qu’il fallait se poser est celle-ci : quelle organisation territoriale voulons-nous pour adapter notre pays aux enjeux de notre siècle ?

M. Éric Doligé. La question que vous vous êtes posée aura été la suivante : comment puis-je utiliser l’organisation territoriale pour faire croire au citoyen que je vais réformer et réaliser des économies rapidement ?

Cette réforme aurait pu être une chance pour notre pays si elle avait été prise à l’endroit. Finalement, comme le dirait Alain Juppé, avec de l’or, vous avez réussi à faire du plomb. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral
Discussion générale (suite)

8

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 29 octobre 2014, à quatorze heures trente et le soir :

1. Scrutin pour l’élection de six juges titulaires et de six juges suppléants à la Cour de justice de la République et scrutins pour l’élection de six membres titulaires et de six membres suppléants représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

2. Suite de la deuxième lecture du projet de loi, modifié par l’Assemblée nationale, relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral (n° 6, 2014-2015) ;

Rapport de M. François Noël Buffet, fait au nom de la commission spéciale (n° 42, 2014-2015) ;

Texte de la commission (n° 43, 2014-2015).

En outre, à quatorze heures trente :

Désignation :

- des dix-huit sénateurs membres de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques ;

- des trente-six membres de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes ;

- des trente-six membres de la Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation ;

- des trente-six membres de la Délégation sénatoriale à la prospective ;

- et des vingt et un membres de la Délégation sénatoriale à l’outre-mer autres que les vingt et un sénateurs d’outre-mer, membres de droit.

À dix-sept heures :

Prestation de serment des juges élus à la Cour de justice de la République.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée le mercredi 29 octobre 2014, à zéro heure trente.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART