Sommaire

Présidence de Mme Jacqueline Gourault

Secrétaires :

MM. Claude Dilain, Jean-Pierre Leleux, Mmes Valérie Létard, Colette Mélot, M. Jackie Pierre, Mme Catherine Tasca.

1. Procès-verbal

2. Organisme extraparlementaire

3. Scrutins pour l'élection de juges à la Cour de justice de la République et pour l'élection de membres représentant la France à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe

4. Candidature à un office parlementaire et à quatre délégations parlementaires

5. Délimitation des régions et élections régionales et départementales. – Suite de la discussion en deuxième lecture d’un projet de loi dans le texte de la commission

Organisation de la discussion

Demande de disjonction de la discussion de l’amendement n° 98 à l’article 1er. – M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. – Adoption.

Discussion générale (suite)

M. Jean-Pierre Masseret

M. Pierre-Yves Collombat

M. Claude Kern

M. René-Paul Savary

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont

M. Philippe Bonnecarrère

Mme Catherine Troendlé

6. Clôture des scrutins

7. Nomination des membres d’un office parlementaire et de quatre délégations parlementaires

8. Délimitation des régions et élections régionales et départementales. – Suite de la discussion en deuxième lecture d’un projet de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (suite) :

Mme Éliane Giraud

M. Roland Courteau

M. Gérard Longuet

M. Alain Fouché

M. Louis Nègre

M. Yannick Botrel

M. Alain Joyandet

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur

M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale

Clôture de la discussion générale.

Exception d'irrecevabilité

Motion n° 72 de M. Christian Favier. – Rejet par scrutin public.

9. Élection de membres représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe

10. Élection de juges à la Cour de justice de la République

11. Prestation de serment de juges à la Cour de justice de la République

Suspension et reprise de la séance

12. Délimitation des régions et élections régionales et départementales. – Suite de la discussion en deuxième lecture d’un projet de loi dans le texte de la commission

Demande de renvoi à la commission

Motion n° 153 de M. Jean Louis Masson. – Rejet.

Article 1er A

M. Robert Navarro

M. Jacques Grosperrin

M. Daniel Chasseing

M. Michel Raison

M. Philippe Marini

Mme Cécile Cukierman

M. Joël Guerriau

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale

Amendement n° 54 de M. Éric Doligé. – Adoption.

Amendement n° 35 rectifié de M. Joël Guerriau. – Retrait.

Amendement n° 40 rectifié de M. Joël Guerriau. – Rejet.

M. Daniel Dubois

M. le président de la commission spéciale

M. Jean Louis Masson

Mme Éliane Giraud

M. Jacques Mézard

M. Bruno Retailleau

M. Bernard Cazeneuve, ministre

Adoption de l'article modifié.

Articles additionnels après l'article 1er A

Amendement n° 7 de M. Jean Louis Masson. – Rejet.

Amendement n° 73 de M. Christian Favier (groupe CRC). – Rejet.

Article 1er

M. Jean Louis Masson

M. Philippe Leroy

M. Christian Manable

M. Jean-Pierre Grand

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Claude Bérit-Débat

M. Antoine Lefèvre

M. François Grosdidier

M. Michel Raison

Mme Catherine Morin-Desailly

Mme Fabienne Keller

M. Michel Le Scouarnec

M. Jacques Bigot

M. André Reichardt

M. Jacques Mézard

M. René Danesi

M. Yves Daudigny

M. Michel Bouvard

Amendements identiques nos 74 de M. Christian Favier (groupe CRC) et 94 rectifié de M. Daniel Dubois. – Rejet, par scrutin public, des deux amendements.

Amendement n° 98 de M. Ronan Dantec (groupe écologiste). – Rejet.

Amendement n° 75 de M. Christian Favier (groupe CRC). – Rejet.

Amendement n° 61 rectifié de M. Jacques Gillot. – Rejet.

Amendement n° 16 rectifié de M. François Patriat. – Retrait.

Amendement n° 41 rectifié ter de M. Philippe Leroy et sous-amendement n° 146 de M. Charles Guené. 

Amendement n° 143 (identique à l’amendement n° 41 rectifié ter) du Gouvernement. – Retrait.

Amendement n° 24 rectifié de M. Gilbert Barbier et sous-amendement n° 145 de M. Charles Guené. 

Amendement n° 66 de M. Jean-Pierre Masseret.

Amendement n° 1 rectifié bis de M. Charles Guené. 

Amendement n° 45 de M. René-Paul Savary. 

Amendement n° 8 de M. Jean Louis Masson. 

Amendements identiques nos 70 de Mme Valérie Létard et 43 de M. Michel Delebarre.

Renvoi de la suite de la discussion.

13. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de Mme Jacqueline Gourault

vice-présidente

Secrétaires :

M. Claude Dilain,

M. Jean-Pierre Leleux,

Mme Valérie Létard,

Mme Colette Mélot,

M. Jackie Pierre,

Mme Catherine Tasca.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Organisme extraparlementaire

Mme la présidente. M. le Premier ministre a demandé à M. le président du Sénat de bien vouloir lui faire connaître le nom de dix sénateurs appelés à siéger comme membres titulaires, ainsi que de dix sénateurs appelés à siéger comme membres suppléants, au sein de la Commission nationale d’évaluation des politiques de l’État outre-mer.

La commission des finances, la commission des lois, la commission des affaires sociales, la commission de la culture, la commission de développement durable, la commission des affaires économiques, ainsi que la commission des affaires européennes, ont été invitées à présenter des candidats.

Les nominations au sein de cet organisme extraparlementaire auront lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.

3

Scrutins pour l'élection de juges à la Cour de justice de la République et pour l'élection de membres représentant la France à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le scrutin pour l’élection de six juges titulaires et de six juges suppléants à la Cour de justice de la République, ainsi que les scrutins pour l’élection de six membres titulaires et de six membres suppléants représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

Pour le scrutin relatif à la Cour de justice de la République, la majorité absolue des suffrages exprimés est requise pour être élu.

Pour être valables, les bulletins ne peuvent comporter plus de six noms pour les juges titulaires et plus de six noms pour les suppléants.

Comme sept candidatures sont parvenues à la présidence pour les titulaires, accompagnées de sept candidatures pour les suppléants, le bulletin de vote mis à votre disposition dans la salle des conférences sera nul si vous ne rayez pas l’un des sept binômes.

Par ailleurs, le nom de chaque titulaire doit être obligatoirement assorti du nom de son suppléant. En conséquence, la radiation de l’un des deux noms, soit celui du titulaire, soit celui du suppléant, entraîne la nullité du vote pour l’autre.

Les juges titulaires et les juges suppléants à la Cour de justice de la République nouvellement élus seront immédiatement appelés à prêter serment devant le Sénat.

Pour les scrutins relatifs à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, en application des articles 2 et 3 de la loi n° 49-984 du 23 juillet 1949, la majorité absolue des votants est requise. Pour être valables, les bulletins de vote ne doivent pas comporter, pour chacun des scrutins, plus de six noms, sous peine de nullité.

Les deux scrutins pour l’élection de six membres titulaires et de six membres suppléants représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et le scrutin pour l’élection de six juges titulaires et de six juges suppléants à la Cour de justice de la République auront lieu simultanément, dans la salle des conférences, en application de l’article 61 du règlement.

Je prie MM. Claude Dilain, Jean Pierre Leleux, Mmes Valérie Létard, Colette Mélot, M. Jackie Pierre et Mme Catherine Tasca, secrétaires du Sénat, de bien vouloir superviser les opérations de vote et de dépouillement.

Je déclare ouverts le scrutin pour l’élection de six juges titulaires et de six juges suppléants à la Cour de justice de la République ainsi que les scrutins pour l’élection de six membres titulaires et de six membres suppléants représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

Ils seront clos dans une heure.

4

Candidature à un office parlementaire et à quatre délégations parlementaires

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la désignation : des dix-huit sénateurs membres de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques ; des trente-six membres de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes ; des trente-six membres de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation ; des trente-six membres de la délégation sénatoriale à la prospective ; et des vingt et un membres de la délégation sénatoriale à l’outre-mer autres que les vingt et un sénateurs d’outre-mer, membres de droit.

En application des articles 110 et 8, alinéas 2 à 11, du règlement du Sénat, les listes des candidats présentés par les groupes ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure.

5

Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral
Organisation de la discussion

Délimitation des régions et élections régionales et départementales

Suite de la discussion en deuxième lecture d’un projet de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion en deuxième lecture du projet de loi, modifié par l’Assemblée nationale, relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral (projet n° 6, texte de la commission n° 43, rapport n° 42).

Organisation de la discussion

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral
Discussion générale (début)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral. Madame la présidente, pour la clarté de nos débats, en particulier sur l’article 1er, relatif à la nouvelle carte régionale, je demande, au nom de la commission spéciale et en application de l’article 49, alinéa 2, de notre règlement, une disjonction de l’amendement n° 98, déposé par M. Ronan Dantec, de la discussion commune des vingt-neuf autres amendements visant à modifier la carte régionale. Cet amendement vise en effet à une réécriture globale de l’article 1er et présente une alternative à la carte régionale.

Mme la présidente. Je suis donc saisie par la commission d’une demande d’examen séparé de l’amendement n° 98, à l’article 1er.

Je vais consulter le Sénat sur cette demande.

Il n’y a pas d’opposition ?...

Il en est ainsi décidé.

Discussion générale (suite)

Organisation de la discussion
Dossier législatif : projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral
Discussion générale (interruption de la discussion)

Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Pierre Masseret. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Masseret. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État chargé de la réforme territoriale, mes chers collègues, permettez-moi d’abord de situer le débat dans son cadre politique, car notre débat n’est pas technique, il est politique, avec du sens et du contenu. Ce cadre, c’est le redressement de la France. Nous connaissons la situation, et elle ne date pas d’hier. Elle résulte des difficultés que nous avons eues collectivement à considérer le réel au cours des dernières années.

Mes chers collègues, je pourrais évoquer subrepticement, au début de mon propos, la période 2002-2012.

M. Alain Néri. Par exemple !

M. Jean-François Husson. Et pourquoi pas le XVIIIsiècle ?

M. Jean-Pierre Masseret. C’est tout de même un élément du débat qu’il faut prendre en compte !

Qu’avons-nous observé au cours de cette période ? Une désindustrialisation massive, un véritable délitement de l’outil productif de la France, des réformes souffreteuses, des déficits croissants, des endettements vertigineux. Et tout cela a mis notre pays en difficulté.

Dès lors, le redressement de la France est un devoir absolu, une exigence. Certes, c’est un exercice difficile, compliqué, car il s’agit de faire comprendre la réforme à nos concitoyens, de leur faire accepter des évolutions et des remises en question de leurs habitudes. Il s’agit aussi de bien mesurer les rapports de force à partir desquels il est possible de faire bouger les lignes.

Redresser la France, aujourd'hui, c’est relever trois défis : d’abord, celui du redressement productif de notre pays, qui est l’exigence numéro un ; ensuite, celui de la mise à jour de notre champ social en respectant l’humain et les valeurs de la République ; enfin, celui de la réforme territoriale.

Engager la réforme territoriale, comme le Gouvernement nous invite à le faire, c’est refonder le bon fonctionnement de la République sur nos territoires, dans un objectif de croissance et d’emploi, d’adaptation au monde réel du XXIsiècle. Tel est l’enjeu.

M. Alain Néri. Voilà un rappel utile !

M. Jean-Pierre Masseret. Cette refondation, le Gouvernement l’a proposée : métropolisation, régionalisation, intercommunalisation, maintien des communes.

Pour la fluidité de nos travaux, la démarche a évidemment été fractionnée. Si un seul texte de réforme avait été soumis au Parlement, ce sont des mois qui auraient dû être consacrés au débat et d’autres textes n’auraient pas pu être examinés. Le fractionnement était donc une nécessité.

Aujourd'hui, bien sûr, ce fractionnement sert de prétexte à la critique : pour certains, il aurait plutôt fallu commencer par ceci, pour d’autres, par cela. Mais ce sont là davantage des postures politiciennes que des critiques fondées.

M. Jean-Pierre Masseret. Il reste que se posait une question centrale, celle du maintien des assemblées départementales.

Le maintien d’une assemblée départementale aux compétences précisées – elles seraient notamment axées sur les activités sociales et territoriales de proximité – me paraît avoir été affirmé hier par le Premier ministre : dans chaque département de la métropole et d’outre-mer, une assemblée départementale sera maintenue.

M. Didier Guillaume. Très bien !

M. Jean-Pierre Masseret. Quant au débat sur le périmètre des régions, il est objectivement concomitant à la connaissance des compétences transférées. Qu’on ne vienne pas nous dire qu’on ne sait pas de quoi demain sera fait concernant les compétences des régions !

M. Jean-Pierre Masseret. Le Premier ministre s’est exprimé. Tous les projets de loi sont connus. Faisons donc en sorte que la posture politicienne ne devienne pas une imposture démocratique. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Les nouvelles régions répondront aux exigences du temps et aux attentes de nos concitoyens à travers deux thématiques : l’efficacité et la proximité. Efficacité et proximité seront au rendez-vous de la réforme.

M. Jean-Pierre Masseret. L’enjeu principal de la réforme, monsieur Grosdidier, est la croissance et l’emploi. L’efficacité sera au rendez-vous, grâce aux compétences reçues par les régions.

Il faudra, demain, définir un cap, une doctrine, des objectifs, une méthode, des moyens et des outils pour les territoires.

Fixer un cap, c’est se demander comment inscrire nos régions dans la compétition réelle de l’économie du XXIe siècle.

Définir une doctrine, c’est s’interroger sur la manière de valoriser nos potentiels sur notre territoire afin de permettre le développement économique, la croissance et l’emploi. (Mme Catherine Troendlé acquiesce.)

Les objectifs seront bien sûr déterminés selon les territoires, en fonction de leurs spécificités. Mais certains seront communs : transition énergétique, société numérique, qualité de la formation, champ de l’innovation.

La méthode, elle, consistera en une co-construction avec les différents territoires de vie qui composeront ces nouvelles régions.

Nous aurons donc tout à fait la capacité d’arrêter une stratégie ayant du sens et de la cohérence, ainsi qu’une méthode nous permettant de coordonner et de mutualiser les moyens et de définir les champs d’action qui nous paraissent les plus importants sur nos territoires, avec les outils que le Gouvernement mettra à notre disposition et les moyens qui viendront,…

Mme Catherine Troendlé. Les moyens ? Parlons-en !

M. Jean-Pierre Masseret. … puisque le Premier ministre, hier, s’est engagé à doter les régions de ressources dynamiques, évoluant en fonction des réalités économiques de nos bassins de développement.

M. René-Paul Savary. Dans ce cas, pourquoi abandonner la taxe poids lourds ?

M. Jean-Pierre Masseret. J’ajoute que la dimension européenne pourra être prise en considération.

On a dit hier que la taille ne faisait pas la puissance ; mais la taille des régions, notamment par leur poids démographique, ne saurait être ignorée. Si vous êtes à la tête d’une région de 5 millions ou 6 millions d’habitants, le rapport de force que vous pourrez établir avec le Gouvernement sera autrement plus favorable qu’avec 2 millions d’habitants. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

Et que constatez-vous aujourd’hui s’agissant des moyens affectés aux régions dans les domaines de l’innovation, de la croissance ou des programmes d’investissements d’avenir ? Que les moyens sont d’abord attribués aux grandes régions.

Mme Catherine Troendlé. Pas du tout ! Voyez l’Alsace !

M. Jean-Pierre Masseret. Le poids démographique permettra donc de rééquilibrer les moyens alloués par l’État et d’assurer une plus grande solidarité territoriale et une meilleure efficacité des politiques publiques. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Prenez en considération cette réalité des rapports de force politiques, s’il vous plaît !

Voilà pourquoi le statu quo que certaines régions réclament me paraît aller à contre-courant.

J’en viens à la question de la proximité. On nous dit que l’extension du périmètre des territoires éloigne le citoyen des centres de décision. Je réponds que ce n’est jamais l’institution en tant que telle et encore moins son nom qui font la proximité, c’est son organisation opérationnelle.

Et vous verrez que, mécaniquement – car c’est une question de physique, de mécanique (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.) –,…

M. Louis Pinton. C’est une question humaine !

M. Jean-Pierre Masseret. … l’extension du périmètre des régions entraînera la territorialisation des politiques publiques : les modalités opérationnelles seront définies à partir des objectifs stratégiques fixés pour chaque territoire ou chaque bassin de vie.

Ainsi, nous pourrons même remettre en mouvement la démocratie sociale, avec les branches professionnelles, les organisations syndicales et les citoyens eux-mêmes, qu’ils soient représentés ou non par des associations.

Ce changement ne dépendra pas de la technique administrative, mais de la seule volonté politique. On verra alors qu’il y a une vraie différence entre le camp du progrès et le camp du conservatisme et de l’immobilisme ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Cette opposition deviendra évidente parce que personne ne pourra interférer avec les décisions politiques qui seront prises par les élus sur les territoires.

M. Jean-Pierre Masseret. Vous verrez bien, alors, que ce que je dis est vrai ! Pour réaliser vos objectifs stratégiques, il faudra introduire de l’opérationnalité sur les territoires.

Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Et les moyens ?

M. Jean-Pierre Masseret. S’il vous plaît, mes chers collègues, gardez votre calme !

M. Jean-François Husson. Nous sommes zen et sereins !

M. Jean-Pierre Masseret. Patience ! Nous verrons bien comment évolueront nos territoires et, je le répète, la différence que j’ai pointée apparaîtra clairement.

Le Gouvernement nous invite à être au rendez-vous de la refondation de la République sur nos territoires. Il nous propose des clés : il nous appartient de les saisir, de leur donner du sens et de l’efficacité dans les champs de l’économique, du social, de l’humain.

C’est un projet qui correspond fondamentalement aux exigences de notre temps, à la nécessité de s’ouvrir sur le monde et d’adapter nos outils aux défis contemporains, car nous sommes capables de les relever !

Cette réforme vise à assurer un meilleur fonctionnement de la République sur nos territoires. On peut trouver tous les prétextes politiciens pour ne pas la prendre en considération. Pour sa part, le groupe socialiste la votera, non pas pour faire plaisir au Gouvernement, que nous soutenons par ailleurs, mais parce que nous sommes persuadés que c’est la bonne voie pour répondre aux préoccupations essentielles de notre temps : la croissance, l’emploi et l’humain à l’échelle de nos territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Franchement, monsieur le secrétaire d’État chargé de la réforme territoriale, comment peut-on se moquer autant du monde ? Je parle du bonneteau régional et des palinodies sur le calendrier électoral,…

M. Jacques Mézard. Excellent !

M. Pierre-Yves Collombat. … qui sont l’objet de ce texte.

Souvenez-vous, mes chers collègues ! Jusqu’en juillet de cette année, les prochaines élections cantonales et régionales devaient se dérouler le même jour – il paraît que c’est le remède souverain contre l’absentéisme ! –, en mars 2015. Au terme de la première lecture du texte, leur date était reculée à décembre 2015. Deux mois plus tard, le Premier ministre changeait d’avis : retour à mars 2015 pour les élections cantonales et maintien des élections régionales en décembre 2015.

Une sénatrice du groupe UDI-UC. C’est le tango argentin ! (Sourires sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. Pierre-Yves Collombat. La lutte contre l’absentéisme devra attendre mars 2020, quand prendront fin les mandats départementaux de cinq ans et les mandats régionaux de quatre ans et trois mois…

Visiblement, la durée des mandats est devenue la variable d’ajustement des poussées de fièvre réformatrice.

Pour faire bonne mesure, les « binômes » candidats aux élections départementales dans des circonscriptions toutes nouvelles n’auront qu’une vague idée du rôle des conseils départementaux dégradables auxquels ils aspirent à être élus. (M. Bruno Sido s’esclaffe.)

Du grand n’importe quoi, donc, auquel notre commission spéciale a prêté la main, sa majorité n’étant probablement pas fâchée à la perspective de deux défaites successives de la gauche plutôt qu’une seule le même jour. On la comprend !

Qu’est-ce qui peut bien justifier un tel chamboulement qui, même s’il devait porter des fruits à terme – ce qui est loin d’être prouvé –, va paralyser les administrations régionales, focalisées sur leurs restructurations au moment même où elles devraient l’être contre la crise ?

M. André Reichardt. Très bien !

M. Pierre-Yves Collombat. Selon l’exposé des motifs, le présent projet de loi « se fonde sur la nécessité d’améliorer la gouvernance territoriale ainsi que l’efficacité et l’efficience des politiques publiques mises en œuvre dans les territoires ». Il y est précisé : « Cette volonté se traduit par un renforcement de l’échelon régional en clarifiant les compétences des régions mais aussi en donnant à ces dernières une taille critique sur le plan géographique, démographique et économique. »

Selon l’étude d’impact, il s’agit, en outre, d’appuyer le redressement financier et économique du pays « sur une réforme structurelle renforçant l’efficacité de l’action des collectivités territoriales ». On nous a suffisamment asséné cette idée pour que je n’insiste pas !

Le problème, c’est que nos brillants réformateurs sont bien incapables de nous expliquer le lien entre le redressement national et l’augmentation de la taille des régions. Ce n’est pas en répétant tous les quarts d’heure qu’un tel lien existe que son existence sera démontrée !

M. Bruno Sido. Très bien !

M. Pierre-Yves Collombat. Si l’Île-de-France représente 44 % du PIB du pays, avec seulement 20 % de sa population, elle ne le doit pas à sa taille. Elle le doit, pour partie, au mode de calcul du PIB – assez intéressant, d’ailleurs… –, aux ressources financières qu’elle tire de la centralisation nationale et aux modes de calcul des dotations d’État. Elle le doit à sa position, le carrefour national étant devenu mondial, position évidemment non transposable ailleurs.

L’Alsace, avec 1,857 million d’habitants, a le même PIB par habitant que la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, qui compte près de 5 millions d’habitants. La Corse, dont le PIB par habitant est équivalent à celui de Nord-Pas-de-Calais, est 12,7 fois moins peuplée.

En un mot, il n’y a pas de lien entre la taille des régions et leur dynamisme économique mesuré par le PIB par habitant.

M. André Reichardt. Très bien !

M. Pierre-Yves Collombat. Penser en termes de moyennes régionales à l’échelle d’un pays, ce qu’on fait quand on compare la France à l’Allemagne, n’a strictement aucun sens.

Même la bureaucratie libérale a des doutes sur la portée de cette chirurgie régionale. Ainsi, la dernière note de l’OCDE consacrée aux réformes structurelles françaises, publiée en octobre 2014, nous apprend que « le nouveau dessin de la carte régionale ne peut encore être évalué, d’autant que l’allocation des compétences n’est pas encore connue ».

Autrement dit, on est bien incapable d’évaluer l’effet de la réforme régionale sur la dynamique économique et la compétitivité française !

À part ça, l’étude d’impact du projet de loi est tout à fait satisfaisante… Le Conseil constitutionnel l’a d’ailleurs confirmé.

L’incidence du redécoupage peut d’autant moins être évaluée que, comme cela a été souligné plusieurs fois, on a mis la charrue avant les bœufs, la forme du contenant avant la définition du contenu : compétences, rôles et moyens financiers des nouvelles régions, par ailleurs mises à contribution dans la course à l’équilibre budgétaire de l’État. Telle est, apparemment, la philosophie politique du Gouvernement.

Or mettre en place une dizaine de régions aux compétences strictement « stratégiques », comme le proposait le rapport Krattinger-Raffarin, n’a rien à voir avec treize ou quatorze régions qui s’occuperont des collèges, répareront les routes ou géreront les offices de tourisme.

MM. André Reichardt et René-Paul Savary. Tout à fait !

M. Pierre-Yves Collombat. « Aujourd’hui, nous avons une carte, ce qui veut dire que, demain, nous aurons une réforme », a prédit, visiblement soulagé, le ministre de l’intérieur sur Europe 1 le lendemain du vote de la première lecture du projet à l’Assemblée nationale. Tout est dit : on annonce une réforme spectaculaire – la réduction du nombre de régions, ce qui sonne bien pour Bruxelles – et après… on voit !

En réalité, c’est la notion même de « taille régionale critique » qui est contestable. En effet, la dynamique économique d’un territoire dépend bien plus de réseaux d’entreprises dépassant largement la maille locale, quelle que soit sa taille, et de ses débouchés extérieurs que de politiques publiques aux moyens financiers par ailleurs anémiés.

Quant à expliquer comment le rattachement du Cantal à la région Rhône-Alpes ou celui de la Creuse à la région Aquitaine dynamisera ces territoires, je ne m’y risquerai pas !

Même en Allemagne, d’où est censée venir la lumière, les Länder sont de tailles très disparates, comme cela a été rappelé. Le Land de Bavière, le plus grand, est vingt et une fois plus peuplé que le Land de Brême, le plus petit, dont le PIB est seize fois et demie inférieur à celui de la Bavière. Je pourrais multiplier les exemples. Visiblement, le succès économique allemand – au reste moins assuré qu’on ne le croit – ne doit rien à une quelconque « taille critique » des collectivités territoriales de ce pays.

On aura compris que la finalité de ce texte, comme de ceux qui vont avec, n’est aucunement l’amélioration de l’efficacité de notre administration territoriale. Sa finalité, c’est d’envoyer un message d’allégeance à Bruxelles, à Berlin et aux lobbys libéraux qui font l’opinion.

D’où la désinvolture avec laquelle le Gouvernement accueille toutes les objections de bon sens que le Sénat peut lui faire : il n’est pas le vrai destinataire du message. Rendez-vous donc en mars 2015 ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Kern.

M. Claude Kern. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la réforme territoriale n’est pas nécessaire, elle est indispensable !

Nous sommes tous d’accord dans cette assemblée, et les orateurs précédents l’ont rappelé, pour constater que notre pays est en crise et que les réformes sont urgentes.

Parmi les grands chantiers à engager ou à poursuivre, figure bien évidemment la refonte de notre organisation territoriale, qui devra, pour réussir, intégrer une réforme en profondeur de « l’État territorial ». Ce n’est pas le cas aujourd’hui ; je le regrette et je souhaite que, au Sénat, nous travaillions à formuler des propositions en ce sens.

Mais revenons au sujet qui nous intéresse directement ici et qui suscite de vives crispations : la réforme des collectivités territoriales.

Loin des clivages partisans et des intérêts personnels, je crois que la situation du pays exige que nous soyons solidaires. À cet égard, monsieur le secrétaire d’État, l’avancement des travaux en seconde lecture au sein de la commission spéciale du Sénat, témoigne de la volonté collective de proposer un texte répondant à l’intérêt général.

Aussi, je voudrais saluer le travail de notre commission, qui est à la hauteur des enjeux de cette réforme. C’est le fruit d’une tâche réalisée dans un climat apaisé, parce qu’il y va de ce qui nous unit tous ici : la France.

L’objectif du Gouvernement est de réduire le nombre de régions, et tous les groupes de cette assemblée se sont associés pour œuvrer en vue de dégager des solutions constructives.

La sagesse du Sénat et son esprit républicain, que nous devons incarner, ont permis de tendre vers un équilibre pragmatique entre le besoin d’efficacité et de progrès au service de la Nation, d'une part, et le besoin de prise en compte de la richesse et de la diversité de nos territoires, d'autre part.

Ce nouveau visage de la France des régions est le premier maillon de la réforme, et je souhaite, mes chers collègues, que les propositions de la commission spéciale soient suivies lors de nos débats en séance publique.

M. Bruno Sido. On verra !

M. Claude Kern. Je le souhaite pour les raisons que je viens d’évoquer, mais aussi pour des raisons particulières, qui tiennent à la région que je représente ici, avec quelques collègues : l’Alsace.

Notre position n’est en aucun cas une position de rejet des régions voisines. Certes, l’Alsace est un territoire avec une identité forte, qui présente une cohérence à la fois historique, culturelle et économique.

Cette cohérence, associée à la démarche consistant à créer un conseil d’Alsace unique pour une meilleure efficacité, a été entendue par la commission spéciale puisque nous avons pu faire adopter, avec le soutien de notre rapporteur, des amendements tendant à préserver le périmètre actuel de notre région.

C’est une étape importante, pour l’Alsace et pour l’ensemble des régions françaises, car ce premier projet, relatif à la délimitation des régions, est bien le début d’un processus dont l’aboutissement sera la « nouvelle organisation territoriale de la République ».

Cette nouvelle organisation sera encore plus impérieuse demain puisque, au travers du renforcement des compétences des régions, elle soutiendra la puissance et le rayonnement nécessaires à nos territoires pour rivaliser avec les grandes régions européennes.

En effet, si nous voulons donner à notre pays des chances de redevenir une puissance économique de premier plan, nous devons doter nos régions de véritables moyens pour se battre à armes égales dans la compétition internationale.

Il y va de la prospérité et de la croissance, que nos territoires doivent retrouver. Il y va de la création d’entreprises et d’emplois. Il y va de la promotion des filières d’avenir. Il y va du développement de notre tissu économique, notamment des entreprises de taille intermédiaire. En voisins de l’Allemagne, nous savons que la force de ce pays réside dans sa capacité réactive d’exportation grâce à son Mittelstand, c’est-à dire les ETI, et les PME.

Je veux ici rassurer certains de mes collègues, qui manifestent régulièrement contre cette « obsession » des germanophiles. Loin de moi l’idée de vouloir reproduire le modèle allemand, mais je crois qu’il est utile de l’étudier et de s’en inspirer.

Nos territoires français sont riches de leurs diversités et présentent un immense potentiel. Appuyons-nous sur eux et faisons-leur confiance, donnons-leur les moyens de s’exprimer.

La réforme de l’organisation territoriale, la clarification des compétences des collectivités sont indispensables pour redonner à la France une attractivité et un dimensionnement économique à la hauteur des ambitions de nos concitoyens.

Car tel est bien l’enjeu de la gouvernance renouvelée des territoires, une gouvernance qui doit s’appuyer, à mon sens, sur le trio région, département, bloc communal.

Je souhaite insister tout particulièrement sur le « bloc communal », car je crois que les communes et les intercommunalités doivent prendre toute leur place dans cette réforme : la commune, comme socle de la démocratie de proximité, doit conserver son rôle clé ; l’intercommunalité, comme appui au développement des territoires, doit être renforcée.

Sur ce point, c’est une intercommunalité cohérente, assise sur les bassins de vie et non sur un critère unique de population, qui sera l’interlocuteur pertinent de régions puissantes.

Monsieur le secrétaire d’État, vous le savez autant que nous, l’intercommunalité, pour être efficace, doit relever d’une démarche volontaire des communes, et en aucun cas d’un mariage forcé.

Mais nous aurons tout le loisir de débattre de ces questions lors de la première lecture du second volet de la réforme territoriale, annoncée pour début décembre.

En commission, sur ce texte relatif au redécoupage des régions, nous avons su trouver, par la sagesse, les ressources nécessaires pour faire émerger des équilibres stables dans le but de poser le premier jalon.

Le texte que nous adopterons ici, j’en suis persuadé, ouvrira la voie au second jalon que les territoires de la République attendent. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC ainsi que sur plusieurs travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. René-Paul Savary.

M. René-Paul Savary. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre approche a évolué au cours de l’examen de ce texte. En première lecture, notre groupe avait retenu une approche différente, ayant en mémoire cette loi qui instituait le conseiller territorial, innovation encore plus importante que celle que vous nous proposez aujourd’hui. Nous avons donc bien témoigné, à travers cette loi, de notre volonté réformatrice. Oui, nous sommes des réformateurs !

M. René-Paul Savary. Par ailleurs, hier, le Premier ministre nous a invités à rechercher l’efficacité et la lisibilité, en même temps que des sources d’économies, dans le cadre du présent projet de loi. Pourtant, je ne suis pas sûr que le Premier ministre ait répondu à toutes nos interrogations.

Il semblerait que le projet de grandes régions s’appuyant sur des territoires restructurés ait évolué : si j’ai bien compris, on ne parle plus de big bang, de Grand Soir impliquant la disparition des départements. Il s’agirait maintenant d’avancer à petits pas, de manière constructive, en tenant compte des préoccupations des uns et des autres, notamment des territoires. C’est évidemment un élément très important.

Je me permettrai, monsieur le secrétaire d’État, de vous livrer mon point de vue à ce sujet. Si nous aspirons à bâtir de grandes régions stratégiques, nous ne devons pas confondre la taille et la puissance : c’est en effet une vision très masculine (Sourires.), qui ne correspond pas du tout aux réalités de l’aménagement du territoire. Je crois véritablement que, si nous voulons de grandes régions stratégiques pour demain, il nous faut en revenir aux principes de 1986, au temps des établissements publics régionaux, les EPR, où le budget d’une région était composé à 80 % de dépenses d’intervention et à 20 % de dépenses de fonctionnement. Ne mélangeons pas les genres !

Les régions doivent intervenir dans le développement économique, la recherche, l’enseignement supérieur, les grandes infrastructures, les TER, la politique de l’emploi, car celle-ci doit effectivement être décentralisée. En revanche, vous le savez bien, elles ne doivent pas s’occuper des routes et des collèges, qui sont des structures de proximité. De même, pour déployer, demain, des réseaux informatiques, la mutualisation au plan régional ne sert à rien. Faisons preuve de sens pratique ! Là, ce sont les collectivités de proximité qui réalisent véritablement les investissements dont nos concitoyens ont besoin ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

En revanche, une grande stratégie de développement tirée vers le haut par des régions un peu plus importantes peut être cohérente. Nous devons toutefois rester attentifs, car le développement concerne aussi des zones métropolitaines, et les budgets des métropoles sont, ne l’oublions pas, bien plus importants que les budgets des régions.

Sur les communes, les intercommunalités et la structuration du territoire, il semblerait que vous ayez avancé, monsieur le secrétaire d’État : en effet, si j’ai bien compris, le seuil de 20 000 habitants ne serait plus définitivement requis pour la construction intercommunale. Cette prise en compte des préoccupations rurales est opportune, et c’est vers cela qu’il faut tendre. Mais, dès lors, pourquoi avoir créé les binômes ?

M. Jacques Mézard. Bonne question !

M. René-Paul Savary. Nous sommes tous en train de procéder aux mariages nécessaires pour répondre à ces rapprochements d’intercommunalités, qui vont conduire des gens qui ne se connaissent pas aujourd’hui à se retrouver pour administrer des territoires comptant parfois plus de soixante-dix communes et s’étendant sur plus de 70 kilomètres. Des élus qui ne se connaissent pas vont être amenés à travailler ensemble. Est-ce vraiment cohérent d’aller vers de telles intercommunalités, dont les conseils seront peut-être encore plus importants que les conseils régionaux ? De pareilles évolutions risquent de compromettre le sentiment d’appartenance.

C’est la raison pour laquelle, si l’on veut respecter les territoires ruraux, il faut encore avancer et prendre en compte un certain nombre de critères.

Certes, la densité est importante, mais le nombre de communes l’est également. Je crois que c’est dans cette voie qu’il faut s’engager. Nous pourrons alors éventuellement trouver des solutions constructives qui répondront aux besoins de nos concitoyens.

Je voulais aussi vous alerter sur un autre point, monsieur le secrétaire d’État : nous devons veiller à ne pas organiser une France à deux vitesses. En effet, dans le schéma que vous nous proposez, certaines régions seront « génétiquement modifiées », d’autres non. Dans les cas de fusion entre régions dépourvues d’identité commune et qui n’avaient pas forcément la volonté de travailler ensemble, on va passer un certain temps à organiser et mettre sur pied la future grande région, avec par conséquent un handicap par rapport à des régions qui sont déjà organisées, qui ont l’habitude d’avoir un budget structuré, des relations interdépartementales, et qui seront efficaces dès le lendemain de l’élection.

Nous devons aussi tenir compte des départements qui abritent un chef-lieu de région. Je voudrais insister sur ce point, car il peut y avoir là une source de difficultés tout à fait réelles. Ainsi, la capitale administrative de la région Champagne-Ardenne, c’est Châlons-en-Champagne. Cette ville de 50 000 habitants vient déjà de perdre un régiment et, par voie de conséquence, 1 200 emplois. Demain, si elle n’est plus chef-lieu de région, ce sont 1 000 emplois de plus qui seront délocalisés dans une autre ville : tant mieux pour celle-ci, mais cette perte créera un certain nombre de difficultés dans le territoire d’origine qui méritent d’être prises en considération.

Enfin, toujours sur le chapitre de la France à deux vitesses, monsieur le secrétaire d’État, je veux évoquer la sous-représentation des départements ruraux qui, avec deux ou trois représentants, ne pourront pas se faire entendre comme ils le souhaiteraient dans la future organisation. Là aussi, nous devons réfléchir à des solutions. Si nous les trouvons ensemble, nous pourrons avancer sur cette réforme.

Permettez-moi maintenant de parler quelques instants de ma région, Champagne-Ardenne, qui a été ballottée au gré des vents, ou plutôt des personnalités politiques, tantôt à l’ouest, tantôt à l’est. Il n’y a là rien que de très normal puisqu’on veut la mettre sous la coupe de métropoles alors qu’elle est à trois quarts d’heure de Paris. Autrement dit, sa capitale métropolitaine, ce n’est ni Lille ni Strasbourg, c’est Paris !

M. André Reichardt. Très bien !

M. René-Paul Savary. Si ces balancements d’un côté et d’un autre sont donc compréhensibles, ils n’en demeurent pas moins parfaitement stériles.

Sur ce point, ma conception est très claire : quand il existe une grande métropole – je pense à Lille ou à Strasbourg –, il est tout à fait légitime qu’il y ait des petites régions. (M. Michel Delebarre fait un signe d’approbation.) Ce n’est pas du tout incompatible. Le budget est dans les métropoles, pas forcément dans les régions. Ces métropoles n’ont pas besoin de rayonner extraordinairement loin ! Et ce raisonnement s’applique aussi bien pour l’Alsace que pour le Nord-Pas-de-Calais.

M. Michel Delebarre. Absolument !

M. René-Paul Savary. Il me semble que certains élus ne sont pas insensibles à ces arguments de structuration autour d’une métropole, avec à la clé une rationalisation de la carte administrative, qui se calerait sur la réalité économique. Selon moi, c’est de cette manière qu’il faut voir les choses.

Derrière ces métropoles, il y a des no man’s land. C’est pourquoi ces grandes régions que sont la Picardie, la Champagne-Ardenne ou la Lorraine, qui sont dépourvues de métropoles, se trouvent en réalité placées sous le rayonnement de trois métropoles, Lille, Paris et Strasbourg. Elles ont des réalités économiques différentes, mais peuvent vivre sous le rayonnement de ces métropoles sans leur être directement associées.

En revanche, elles ont en commun une faible densité de population et un certain nombre de difficultés, et leur regroupement leur permettrait de créer une masse d’habitants plus significative.

Mais ne croyez pas, mes chers collègues, que le simple fait d’avoir une métropole puisse transformer une région. Il faut aussi tenir compte de la densité de population.

Dans des zones métropolitaines qui comptent 200 habitants au kilomètre carré, il est possible de rentabiliser un service avec les recettes des usagers. En revanche, dans des zones qui comptent 50 habitants au kilomètre carré, le moindre service représentera toujours un coût pour la collectivité.

Il faut aussi considérer l’endettement de ces régions. Dans la perspective d’un mariage, il convient de prendre en compte l’ensemble de ces difficultés.

Je conclurai en précisant que l’important réside dans les évolutions : à mon sens, cette carte doit devenir une véritable carte martyre ! Cela signifie qu’il doit y avoir des possibilités de détachement des départements pour assurer de la cohérence.

Par ailleurs, le Gouvernement doit accepter de maintenir un mandat de six ans pour les conseillers départementaux, ce qui sera considéré comme une avancée, démontrant que les assemblées départementales ont encore un certain avenir en tant qu’amortisseurs sociaux dans nos territoires.

Avec un tel engagement, en plus de celui de revenir sur le minimum de 20 000 habitants pour constituer une intercommunalité, nous pourrons dire qu’un pas est fait pour nos territoires. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Françoise Perol-Dumont.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’examen de ce projet de loi en deuxième lecture s’inscrit dans un contexte reprécisé par l’intervention de M. le Premier ministre, à cette tribune même, hier après-midi.

L’architecture territoriale proposée est resituée par rapport aux objectifs qui la sous-tendent : clarté, rationalisation de la dépense publique, efficacité de l’action publique au service de nos concitoyens et du redressement du pays.

Un terme est enfin mis, et il le fallait, aux multiples annonces et contre-annonces de ces derniers mois. À cet égard, nous ne pouvons que nous féliciter de la clarté des propos du Premier ministre, même si, naturellement, la voie reste ouverte pour le nécessaire débat parlementaire.

Des régions plus grandes, dotées d’une force de frappe économique leur permettant de faire face et de faire entendre leur voix dans la grande compétition européenne et mondiale ; des régions aux compétences centrées sur l’économie, la stratégie, la prospective, l’établissement de grands schémas de formation, de déplacement : tout cela fait sens, monsieur le secrétaire d’État, dès lors qu’il est clair que ce qui relève des politiques de proximité doit se situer à un autre niveau.

En effet, comment envisager la gestion des collèges depuis Bordeaux dans le cadre d’une grande région Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes, d’une superficie de près de 85 000 kilomètres carrés, avec une population de plus de 5,5 millions d’habitants, ce qui représente quelques milliers de collèges à gérer ?

Comment imaginer la mise en œuvre de politiques de solidarité tant entre les habitants qu’entre les territoires dans le cadre de ce très grand espace, alors même que, par essence, ces compétences doivent être conjuguées dans la proximité ?

Le temps qui m’est imparti ne permet pas de développer mon propos, mais nous aurons tout le loisir de le faire lors de l’étude du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République – NOTRe. Je dirai simplement, pour être brève, que l’émergence de ces grandes régions, à laquelle je souscris totalement, a immanquablement pour corollaire l’impérieuse nécessité de garder un échelon chargé de la proximité, de la solidarité et de la péréquation, rôle parfaitement assumé, à ce jour, par les conseils généraux, demain conseils départementaux, qui sont des maillons totalement indispensables entre ces grandes régions et le bloc communal,…

M. Bruno Sido. Très bien !

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. … la commune devant rester la pierre angulaire de note architecture territoriale. Ainsi, l’intercommunalité, aussi incontournable soit-elle pour porter des projets structurants et pour mutualiser, n’est, à mes yeux, que le prolongement du fait communal.

En incidente, monsieur le secrétaire d’État, qu’il me soit permis, après certains de mes collègues, d’insister sur l’importance de s’abstenir de fixer de seuils dogmatiques en termes de démographie pour les communautés de communes, le vécu des territoires devant l’emporter sur toute autre considération. Il peut s’agir d’un objectif, mais cela ne doit pas être un dogme. À ce sujet, il me semble que M. le Premier ministre, hier après-midi, a fait des ouvertures extrêmement intéressantes, attestant la capacité d’écoute de ce gouvernement, dont je me félicite.

Pour en revenir à la délimitation des régions qui nous est proposée, et plus précisément à celle qui me concerne le plus directement, je dirai que le regroupement de l’Aquitaine, du Limousin et de Poitou-Charentes me semble frappé au coin du bon sens.

Certes, d’aucuns auraient préféré l’idée de coopération ou d’association à celle de fusion, mais ne jouons pas sur les mots : il s’agira bien d’une fusion et, puisque fusion il va y avoir, l’analyse des flux économiques, migratoires, routiers, culturels montre que le rapprochement de ces trois régions est extrêmement pertinent.

Dans cet ensemble bénéficiant d’une très grande façade atlantique, ce qui est un atout incontestable, doté de l’évidente métropole de taille européenne qu’est Bordeaux, Limoges et Poitiers devront être confirmées comme des métropoles d’équilibre.

À ce propos, et au-delà de l’exemple que je viens de citer, il conviendra d’être particulièrement attentif à la représentation politique de chacune des ex-régions, singulièrement les plus petites, ce qui passe non seulement par l’instauration d’un nombre d’élus minimum par département, mais aussi par le maintien d’une représentation régionale qui ne se limite pas aux seuls bâtiments. Pour reprendre mon exemple, cette exigence doit s’appliquer tant à Poitiers qu’à Limoges.

Monsieur le secrétaire d’État, les agents territoriaux, que vous connaissez bien, s’inquiètent légitimement de ces bouleversements. Il importe donc de les rassurer rapidement sur le fait que la prise de décision politique au niveau de la grande région ne signifie pas la fin de leur application au niveau actuel, la vision globale n’empêchant pas l’action locale. (M. Jacques Mézard fait une moue dubitative.)

Chacune des régions existantes a une identité à laquelle ses habitants sont légitimement attachés, et le nier serait faire le jeu des idéologies les plus détestables, qui gagnent chaque jour du terrain dans notre pays. Surtout, cela ne contribuerait pas à écrire l’avenir de façon positive.

Monsieur le secrétaire d’État, nous savons pouvoir compter, comme le Premier ministre nous l’a prouvé hier, sur le sens du dialogue du Gouvernement, sur sa capacité d’écoute, pour que l’année 2015 voie se lever les hypothèques qui pèsent encore.

En ce qui concerne les modifications du calendrier électoral, autant on ne peut qu’adhérer au report des élections régionales en décembre 2015, précisément pour que le nécessaire débat auquel je viens de faire allusion ait lieu, autant on peut regretter – c’est mon cas – que les élections départementales aient été avancées à mars 2015,…

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Non, elles sont juste maintenues à la date initialement prévue.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. … alors même qu’il ne sera techniquement pas possible d’avoir étudié totalement le projet de loi NOTRe, puisqu’il n’aura pas encore fait l’objet d’une deuxième lecture.

Néanmoins, quel que soit le chemin, l’important est d’arriver, et nous allons arriver ensemble.

J’ai bien entendu l’impossibilité constitutionnelle devant laquelle vous vous êtes trouvé sur ces impératifs de dates, mais cette situation me conforte dans l’idée qu’il aurait sans doute été préférable de commencer cette réforme territoriale par le volet des compétences. (Mme Sylvie Goy-Chavent et M. Philippe Bonnecarrère applaudissent.) Le choix a été différent, mais on ne pleure pas sur le lait renversé !

Permettez-moi de vous dire en conclusion, monsieur le secrétaire d’État, que nous sommes très attachés à ce que le prochain mandat départemental, qui va débuter en 2015, trouve son terme non pas en 2020, mais en 2021, confirmant la réalité d’un mandat de six ans pour les élections départementales. (Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit.)

M. Bruno Sido. Très bien !

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Pour l’heure, je voterai bien sûr le texte que vous nous proposez, car il concrétise un rêve que beaucoup ont fait pendant longtemps, à savoir une nouvelle carte régionale avec des régions plus fortes, mais qu’ils n’ont pas osé réaliser, peut-être par manque de courage. Quoi qu'il en soit, face à la difficulté, ils ont reculé. Or, demain, ce rêve sera devenu réalité grâce à la volonté de l’actuel gouvernement, qui a par ailleurs su entendre que, à côté de ces grandes régions, il fallait conserver un bloc local.

Pour autant, monsieur le secrétaire d’État, le chantier reste ouvert, et je me prépare, avec beaucoup de mes collègues, à intervenir de façon positive, mais offensive, dans le débat sur le projet de loi NOTRe, pour que le nouvel acte de décentralisation que nous souhaitons poser en soit véritablement un. C’est ce que nous avons entendu dans les propos de M. le Premier ministre, et nous y serons très attentifs. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, il est quinze heures vingt.

Je vous rappelle que se déroulent en ce moment, en salle des conférences, le scrutin pour l’élection de six juges titulaires et de six juges suppléants à la Cour de justice de la République et les deux scrutins pour l’élection de six membres titulaires et de six membres suppléants représentant la France à l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

Il vous reste donc quinze minutes pour voter.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Philippe Bonnecarrère.

M. Philippe Bonnecarrère. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, M. Jean-Claude Luche, qui devait intervenir au nom du groupe UDI-UC, avait préparé quelques notes que je vais vous résumer.

Notre collègue souhaite que nos collectivités puissent intervenir dans un cadre non pas de concurrence, mais de complémentarité. Il souhaite également que nous puissions concentrer nos efforts sur la question des compétences, sur les conséquences de la mise en œuvre des transferts pour les finances et les personnels avant de redécouper la carte territoriale. Il est donc plus favorable à un travail sur les compétences que sur les seules questions périmétriques.

Enfin, selon lui, les régions doivent avoir des missions transversales, sur des équipements structurants, sur les solidarités avec l’ensemble de leurs territoires et, particulièrement, les territoires ruraux, qui ne pourront survivre si les métropoles leur tournent le dos.

Vous avez compris que notre collègue est particulièrement attentif au maintien de l’échelon départemental.

Ces observations, auxquelles j’adhère, étant formulées, je souhaiterais intervenir essentiellement sur la proposition de la commission spéciale concernant le secteur sud-ouest et l’autonomie de chacune des régions Aquitaine, Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon par rapport aux deux autres.

Comme nous avons préparé, avec mes collègues de Midi-Pyrénées, un amendement à l’article 1er qui me permettra d’intervenir de nouveau sur la question, je vais très brièvement vous exposer notre point de vue.

Nous sommes partis de la situation de ces trois régions : l’Aquitaine compte 3 206 137 habitants sur une surface de 41 283 kilomètres carrés, contre respectivement 2 862 707 habitants et 45 347 kilomètres carrés pour Midi-Pyrénées, et 2 670 046 habitants et 27 375 kilomètres carrés pour Languedoc-Roussillon.

Première observation : les deux premières régions ont une superficie très supérieure à celle de la Belgique, à savoir 30 528 kilomètres carrés, tandis que Languedoc-Roussillon a une superficie quasiment équivalente.

Deuxième observation : chacune de ces régions dispose d’une métropole. Pour l’Aquitaine, il s’agit de Bordeaux, avec, au 1er janvier 2015, 727 256 habitants ; en Midi-Pyrénées, Toulouse compte 714 332 habitants ; en Languedoc-Roussillon, Montpellier abrite 409 000 habitants.

Vous voyez donc qu’il serait cohérent, au regard des principes de la loi dite MAPAM – modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles –, que ces trois régions puissent poursuivre leur action de façon autonome.

De surcroît, chacune de ces régions a une identité forte, une histoire commune et une géographie « vécue ».

Hier soir, M. le ministre de l’intérieur nous a indiqué qu’il n’approuvait pas cette proposition en développant trois arguments.

Tout d’abord, il a estimé que nous devions prendre en compte l’ouverture avec l’Espagne et les liens avec la Catalogne, liens que partagent Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon. Certes, mais il faut bien voir que ces liens existent pour les trois régions qui se partagent les Pyrénées. Nos régions sont limitrophes de la Catalogne, mais aussi de l’Aragon et du Pays Basque. D’ailleurs, l’État structurait le travail entre toutes ces régions au travers de la communauté de travail des Pyrénées.

M. Cazeneuve nous a également expliqué que Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon avaient des pôles de compétitivité communs. C’est vrai avec DERBI – Développement des énergies renouvelables dans le bâtiment et l'industrie – sur la mobilité et le pôle EAU, mais c’est inexact en ce sens que les pôles de compétitivité principaux de nos régions sont entre Aquitaine et Midi-Pyrénées : il y a un pôle de compétitivité de rayonnement mondial avec l’aéronautique, à savoir Aerospace Valley, l’aéronautique militaire étant sur le Bordelais, tandis que l’aéronautique civile se trouve sur la région toulousaine ; il y a également un pôle agroalimentaire commun à ces deux régions.

Enfin, M. Cazeneuve a déclaré que, démographiquement, il fallait unir les deux régions Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon pour atteindre une population de 5,7 millions d’habitants. C’est vrai, mais il faut savoir que la seule région Languedoc-Roussillon, avec 2,670 millions d’habitants, a une population supérieure à la région Centre, qui en compte 2,56 millions, et encore n’ai-je pas pris la moins peuplée des régions pour établir ma comparaison.

Vous l’aurez compris, nous demandons que soit respectée la cohérence régionale en permettant à Aquitaine, Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon de poursuivre leur trajectoire. Tenez compte de l’avis de nos collègues de Languedoc-Roussillon, qui ont une position très tranchée sur la question. À cet égard, rappelons-nous que notre assemblée a rendu hommage, hier, à l’ancien président de cette région, dont chacun d’entre vous connaissait le point de vue sur ce sujet.

Je terminerai en évoquant un possible amendement de repli, auquel je prie le Gouvernement de réfléchir en vue de la discussion qu’il aura avec l’Assemblée nationale.

Dans cette assemblée, nous ne sommes pas passéistes et nous pouvons entendre la nécessité d’aller vers de grandes régions de taille européenne. Mais, à ce moment-là, créons la région Sud-Ouest, composée de l’Aquitaine, de Midi-Pyrénées et de Languedoc-Roussillon.

Le Sud-Ouest existe autour de la vallée de la Garonne et du canal du Midi, que nous nous partageons, de même qu’une histoire commune depuis la période romaine ; nos activités économiques sont imbriquées ; notre culture et notre mode de vie sont très proches. Nous sommes les pays du rugby, de la tauromachie, des langues occitano-romanes. Nous partageons exactement la même culture et vous ne faites guère de différence, malgré de petites nuances, entre des Landais, des Béarnais, des Gascons, des Audois, des Héraultais, des gens du haut pays ou du bas pays, comme on dit chez nous.

Cela signifie, monsieur le secrétaire d’État, que nous sommes les enfants du même territoire, le Sud-Ouest. Si, demain, vous deviez faire un choix différent de celui que propose notre commission spéciale, ou si l’Assemblée nationale devait envisager le choix d’une grande région, ce serait une faute historique de casser notre appartenance commune au Sud-Ouest.

C’est la raison pour laquelle je vous demande, mes chers collègues, de suivre la position de la commission spéciale. Toutefois, si vous préfériez retenir une approche privilégiant de grandes régions de taille européenne ou des régions encore plus grandes – dans l’hypothèse où nous engagerions une course à la taille avec nos partenaires européens –, ne nous enlevez pas le Sud-Ouest : c’est notre vie, c’est notre culture ! (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Troendlé.

Mme Catherine Troendlé. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, une réforme territoriale est nécessaire, tout le monde en convient. Cependant, la méthodologie utilisée, consistant à procéder au découpage des régions avant de légiférer sur les compétences de ces nouvelles entités, n’est pas cohérente. Elle a été dénoncée avec force par les sénateurs, toutes sensibilités politiques confondues.

Monsieur le secrétaire d’État, il aurait été plus aisé d’expliquer la démarche alsacienne si notre projet de conseil unique d’Alsace avait pu être validé en premier lieu dans un texte traitant des compétences. Cela aurait conduit tous nos collègues à admettre, en bonne logique, le maintien du périmètre actuel de notre région. Mais, pour cela, il aurait fallu procéder en sens inverse. Nous aurions pu, en outre, éviter certaines réactions parfois violentes.

Certains de nos collègues ont affirmé que le détachement de l’Alsace de la grande région Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne, ou ALCA, procédait d’un repli sur soi, d’un rejet de ses voisins. Loin de nous toute idée de rejet ou de repli !

Les Alsaciens défendent, depuis plusieurs années maintenant, un projet ambitieux : la création, en Alsace, d’une collectivité territoriale unique, fusionnant les conseils généraux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin avec le conseil régional d’Alsace, et cela au nom de la modernité. Comme l’a exprimé à juste titre le président de notre groupe, Bruno Retailleau, nous voulons penser la diversité dans l’unité française, au nom d’une meilleure efficacité recherchée.

Notre projet reviendrait à supprimer un niveau de collectivité, à simplifier l’organisation administrative et politique et à faire des économies dans une région dont la taille, l’identité, mais aussi l’ouverture sur le monde, le justifieraient pleinement.

Non, l’Alsace n’est en rien repliée sur elle-même ! Non, l’Alsace ne refuse pas de mutualiser ses moyens avec ses voisins ! Oui, l’Alsace est résolument tournée vers les autres, avec une coopération transfrontalière extrêmement dynamique ! En témoignent le Conseil rhénan, la Conférence du Rhin supérieur, la Région métropolitaine trinationale du Rhin supérieur : autant d’institutions synonymes et gages d’une véritable coopération transfrontalière de proximité, avec les eurodistricts et les coopérations interrégionales intra et extracommunautaires. En témoignent aussi les relations avec la Suisse, l’Allemagne, la Russie, mais également la Chine ou la Corée du Sud.

Enfin, notre région a démontré que le conseil régional d’Alsace pourrait expérimenter positivement la mise en œuvre de compétences nouvelles, par exemple dans le domaine ferroviaire ou encore dans celui de la gestion de crédits européens.

Pour la mise en œuvre de notre projet, un référendum a été organisé au printemps 2013. La question posée a obtenu 58 % de suffrages positifs, mais seuls 35 % des électeurs se sont déplacés, ne permettant pas au « oui » de réunir 25 % au moins du corps électoral.

Mme Marie-Noëlle Lienemann et M. Jacques Bigot. Les Haut-Rhinois ont voté contre !

Mme Catherine Troendlé. Aujourd’hui, tout le monde en convient, ces critères qui constituent un verrou à la réussite de tout référendum sont à revoir.

Par ailleurs, comme ils l’ont déjà fait dans le passé, mais en d’autres circonstances, en 1924 et en 1953, les Alsaciens se sont à nouveau mobilisés, il y a quelques semaines à Strasbourg. Une manifestation – la plus importante des cinquante dernières années – a réuni 12 000 à 15 000 personnes – pour soutenir la création du conseil d’Alsace. Et les Haut-Rhinois étaient massivement présents, monsieur Bigot !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Ils n’ont pas voté pour, en tout cas !

Mme Catherine Troendlé. Cette mobilisation massive a été confortée par les 60 000 Alsaciens qui ont souscrit à la pétition lancée par le maire de Mulhouse, Jean Rottner, pétition demandant la création du conseil d’Alsace et refuser la grande région ALCA.

Les élus locaux se sont mobilisés aussi fortement en votant des centaines de motions prises en conseil municipal.

Enfin, les trois assemblées, les conseillers de la région Alsace et des deux conseils généraux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin se sont exprimés favorablement, à plus de 96 %, pour engager la fusion des trois collectivités.

Au vu de cet argumentaire, exposé devant la commission spéciale la semaine dernière, vingt commissaires sur trente-trois ont voté pour le détachement de l’Alsace de la grande région ALCA. Ce vote largement majoritaire a fédéré les parlementaires au-delà de la nouvelle majorité du Sénat.

Confortés par ce vote, le président du conseil régional d’Alsace, M. Philippe Richert, et les deux présidents des conseils généraux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, respectivement M. Guy-Dominique Kennel et M. Charles Buttner, ont plaidé la cause de l’Alsace auprès du Premier ministre, M. Manuel Valls, qui les a reçus vendredi dernier.

M. le Premier ministre leur a expliqué qu’il n’avait pas de souci avec la proposition alsacienne, qu’il a qualifiée d’« intelligente », et qu’il n’y voyait pas de problème de fond. Il a également affirmé qu’il prendrait acte de la décision du Sénat et qu’il souhaitait un compromis entre les deux chambres. Il s’en remet par conséquent au débat parlementaire…

M. Éric Jeansannetas. Non, il n’a pas dit cela !

Mme Catherine Troendlé. Si, c’est ce qu’il a dit aux trois présidents !

Les débats au Sénat devront par conséquent peser sur ceux qui suivront à l’Assemblée nationale.

Nous voulons résolument inscrire le projet alsacien dans un projet de loi fondé sur la nécessité d’améliorer la gouvernance territoriale ainsi que l’efficience des politiques mises en œuvre dans les territoires. Mes chers collègues, l’Alsace n’a jamais déçu la France, elle lui a toujours prouvé son attachement. L’Alsace a su relever tous les défis, surmonter tous les aléas de son histoire, bien tourmentée. Son destin est à présent entre nos mains. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral
Discussion générale (suite)

6

Clôture des scrutins

Mme la présidente. Mes chers collègues, il est quinze heures trente-cinq, je déclare clos le scrutin pour l’élection de six juges titulaires et de six juges suppléants à la Cour de justice de la République et les deux scrutins pour l’élection de six membres titulaires et de six membres suppléants représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

7

Nomination des membres d’un office parlementaire et de quatre délégations parlementaires

Mme la présidente. Mes chers collègues, je rappelle que les groupes ont présenté leurs candidatures pour l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, pour la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, pour la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, pour la délégation sénatoriale à la prospective et pour la délégation sénatoriale à l’outre-mer.

La présidence n’a reçu aucune opposition.

En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame :

- M. Gilbert Barbier, Mme Delphine Bataille, M. Michel Berson, Mme Marie-Christine Blandin, MM. François Commeinhes, Roland Courteau, Mmes Dominique Gillot, Brigitte Gonthier-Maurin, M. Alain Houpert, Mme Fabienne Keller, MM. Jean-Pierre Leleux, Gérard Longuet, Jean-Pierre Masseret, Pierre Médevielle, Christian Namy, Mme Catherine Procaccia, MM. Daniel Raoul et Bruno Sido, membres de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques ;

- Mmes Annick Billon, Maryvonne Blondin, Nicole Bonnefoy, Corinne Bouchoux, Laurence Cohen, Hélène Conway-Mouret, MM. Roland Courteau, Mathieu Darnaud, Mmes Jacky Deromedi, Chantal Deseyne, Marie-Annick Duchêne, M. Jean-Léonce Dupont, Mmes Anne Emery-Dumas, Dominique Estrosi-Sassone, M. Alain Fouché, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Catherine Génisson, Éliane Giraud, Colette Giudicelli, M. Jean-Pierre Godefroy, Mme Brigitte Gonthier-Maurin, M. Alain Gournac, Mme Sylvie Goy-Chavent, M. Alain Houpert, Mmes Chantal Jouanno, Mireille Jouve, Christiane Kammermann, Françoise Laborde, M. Marc Laménie, Mmes Claudine Lepage, Vivette Lopez, Michelle Meunier, Danielle Michel, Marie-Pierre Monier, MM. Philippe Paul et Cyril Pellevat, membres de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes ;

- MM. Jean-Marie Bockel, François Calvet, Luc Carvounas, Mme Caroline Cayeux, MM. Philippe Dallier, Marc Daunis, Michel Delebarre, Éric Doligé, Vincent Eblé, Christian Favier, Mmes Françoise Gatel, Éliane Giraud, MM. François Grosdidier, Charles Guené, Jean-François Husson, Pierre Jarlier, Georges Labazée, Joël Labbé, Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Michel Le Scouarnec, Christian Manable, Jean Louis Masson, Hervé Maurey, Jacques Mézard, Philippe Mouiller, Philippe Nachbar, Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, MM. Louis Pinton, Rémy Pointereau, Alain Richard, Mmes Patricia Schillinger, Nelly Tocqueville, Catherine Troendlé, MM. René Vandierendonck et Jean-Pierre Vial, membres de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation ;

- M. Gérard Bailly, Mmes Nicole Bonnefoy, Natacha Bouchart, Corinne Bouchoux, MM. Pierre Charon, Alain Chatillon, Yvon Collin, Pierre-Yves Collombat, Jean-Patrick Courtois, Mme Annie David, M. Francis Delattre, Mme Évelyne Didier, M. Louis Duvernois, Mme Dominique Estrosi-Sassone, MM. Alain Fouché, Bruno Gilles, Mmes Dominique Gillot, Pascale Gruny, MM. Loïc Hervé, Éric Jeansannetas, Philippe Kaltenbach, Roger Karoutchi, Mme Fabienne Keller, MM. Philippe Leroy, Jean-Jacques Lozach, Jean-Claude Luche, Jean-François Mayet, Franck Montaugé, Aymeri de Montesquiou, Robert Navarro, Mme Sylvie Robert, MM. Yves Rome, Jean-Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Henri Tandonnet et Yannick Vaugrenard, membres de la délégation sénatoriale à la prospective ;

- Mmes Aline Archimbaud, Éliane Assassi, MM. Jérôme Bignon, Jean Bizet, Mme Agnès Canayer, MM. Joseph Castelli, Éric Doligé, Alain Fouché, Jean-Paul Fournier, Jean-Marc Gabouty, Daniel Gremillet, Joël Guerriau, Mme Odette Herviaux, M. Jean-Jacques Hyest, Mme Gisèle Jourda, M. Jean-François Longeot, Mme Vivette Lopez, MM. Jeanny Lorgeoux, Stéphane Ravier, Charles Revet et Gilbert Roger, membres de la délégation sénatoriale à l’outre-mer.

En sont également membres, de droit, MM. Maurice Antiste, Guillaume Jacques Arnell, Mme Karine Claireaux, MM. Jacques Cornano, Félix Desplan, Vincent Dubois, Michel Fontaine, Pierre Frogier, Jacques Gillot, Mme Teura Iriti, MM. Antoine Karam, Serge Larcher, Robert Laufoaulu, Michel Magras, Thani Mohamed Soilihi, Georges Patient, Didier Robert, Abdourahamane Soilihi, Hilarion Vendegou, Paul Vergès et Michel Vergoz, sénateurs d’outre-mer.

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Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral
Discussion générale (suite)

Délimitation des régions et élections régionales et départementales

Suite de la discussion en deuxième lecture d’un projet de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. Nous reprenons la discussion en deuxième lecture du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Éliane Giraud.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral
Exception d'irrecevabilité (début)

Mme Éliane Giraud. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la France, notre pays, doit impérativement trouver un nouveau souffle : parce qu’elle a porté et qu’elle porte un modèle social de grande qualité dans une économie mondialisée, parce que son histoire l’a toujours placée au cœur du moteur de l’Europe et parce que son avenir réside dans notre capacité collective à l’inventer.

Cette réforme, monsieur le secrétaire d’État, va bien au-delà d’une réforme de nos institutions. Elle représente un pas négocié, difficilement négocié, certes, mais très important pour faire avancer la conception que nous avons de la République de demain.

Créative, innovante, performante et juste, la France doit être un atout pour l’Europe.

Proposer une réorganisation territoriale qui s’appuie sur des régions plus grandes et plus fortes, c’est redessiner une carte de France avec des régions en trois dimensions : une dimension institutionnelle rationnelle, dans la recherche d’une réelle dynamique économique ; une dimension institutionnelle capable de réinventer une nouvelle proximité ; une dimension institutionnelle qui protège les identités, les spécificités et qui mette en valeur les cultures.

Je souhaite revenir sur la dimension économique de la réforme institutionnelle.

En proposant de grandes régions, nous inscrivons nos régions dans une dimension conforme à ce que demande et peut offrir l’Europe, pour en faire des moteurs de croissance.

Cette réforme est nécessaire, car elle correspond à la France du XXIe siècle. Elle est audacieuse, car elle place nos régions dans les grandes régions européennes. Elle est courageuse, car elle ne se réduit pas à un simple regroupement administratif, mais elle fait des régions des institutions stratèges qui vont contribuer encore plus à l’aménagement durable des territoires, au développement économique et à l’emploi, à la formation des jeunes, à l’amélioration des déplacements, mais aussi à la présence des services publics sur nos territoires.

Pour renforcer l’innovation et la compétitivité de nos entreprises, donner une visibilité plus forte à nos universités, offrir à notre jeunesse un réel souffle d’espoir et d’audace, les régions actuelles ont fait leurs preuves. En mutualisant, en additionnant des complémentarités, elles ne seront que plus pertinentes.

Notre pays a besoin de confiance et la région est une entité suffisamment grande, mais aussi suffisamment proche, pour accompagner cette dynamique à l’international, car c’est bien de cela qu’il s’agit aujourd’hui : une entreprise– et je parle là des PME – a besoin de diversifier très rapidement son carnet d’adresses ; or, aujourd’hui, ce carnet d’adresses est mondial.

Il a quelques jours, le président de la région Rhône-Alpes, Jean-Jack Queyranne, était à Shanghai. Le pavillon Rhône-Alpes devient la maison France. Il y a, bien sûr, les entreprises industrielles innovantes de la french tech, mais nous exportons d’autres produits : le vin, par exemple, qui retrouve là des parts de marché qu’il ne peut plus trouver sur le seul marché intérieur. C’est bien une preuve, monsieur le secrétaire d’État, du combat commun que nous pouvons mener pour la croissance.

Quoi de plus concret qu’une réforme qui apportera aux Françaises et aux Français qui s’engagent, une vraie pertinence dans l’accompagnement de leurs propres projets ?

Les régions peuvent mener ces politiques d’innovation, de recherche, de présence à l’international et, dans une relation bien comprise, renforcer ces actions par celles des métropoles qui, en accueillant les entreprises, seront bien sûr un partenaire essentiel.

La région est également garante des équilibres économiques sur la totalité des territoires, urbains comme ruraux, de plaine comme de montagne. Là aussi, les partenariats que nous pouvons créer avec les maires, les intercommunalités et les départements seront indispensables, surtout si le débat sur les compétences va au fond des choses.

L’innovation doit innerver l’ensemble de notre territoire. La grande région aura cette force de la diversité

Les régions doivent réinventer la proximité. Depuis leurs créations, elles ne cessent de s’affirmer dans le quotidien des habitants de notre pays. Les régions ont beaucoup progressé ces dernières années : politiques territoriales, investissements et gestion du personnel dans les lycées, TER, antennes territoriales, etc. Elles ont fait un grand progrès dans l’amélioration du lien avec nos concitoyens.

Les élus régionaux sont plus connus mais aussi, souvent, plus présents sur le terrain. Il reste encore des progrès à faire, mais, au fond, n’est-ce pas un peu normal pour une institution encore très jeune, dont la première élection au suffrage universel date, je vous le rappelle, de 1986 ? La naissance des départements remonte à 1790 : c’est dire que nous avons encore du chemin à faire !

Donc, il faut bouger, regarder l’avenir et le bâtir. Gardons-nous de sous-estimer les difficultés liées à l’éloignement. Un territoire peut se sentir délaissé, abandonné, parce qu’il est enclavé ou éloigné des grands axes de communication.

Oui, monsieur le secrétaire d’ État, cette réforme, pour réussir, aura besoin d’un vrai de travail de collaboration entre les présidents de région concernés, mais aussi entre tous les élus, les responsables et les forces vives de notre territoire.

C’est bien un projet de mobilisation qu’il nous faut aujourd’hui bâtir ! Il faut que ces unions de régions – je préfère ce terme à celui de « fusion » –s’accompagnent d’une proximité réinventée, afin de mettre en place de nouvelles donnes démocratiques. Le Premier ministre l’a dit, certains présidents le font déjà et je voudrais saluer les présidents de la région Rhône-Alpes et de la région Auvergne, Jean-Jack Queyranne et René Souchon. Avec l’élargissement des compétences des régions, ce mouvement doit s’amplifier. C’est un beau défi et l’État manifeste là une véritable confiance à l’endroit des élus locaux.

Enfin, c’est une réforme institutionnelle qui prend en compte les identités et les spécificités. Cette réforme doit être inclusive. Elle doit permettre à chacun et à chacune de se retrouver sur des complémentarités et des réciprocités.

Je sais qu’il y a des craintes, et la carte pourrait évoluer perpétuellement. Mais il faut faire des choix. On les fait ! Vous les avez faits, monsieur le secrétaire d’État ! Le droit d’option apportera une réponse précise et claire et permettra des réajustements qui pourront être majoritairement souhaités.

Une grande région laisse forcément éclore ses identités et ses spécificités, comme elle se nourrit de la culture diversifiée qu’elle génère. De quoi avons-nous peur ? Nous sommes dans un monde où la mobilité est déjà l’un des éléments majeurs et le sera de plus en plus. Nous le voyons bien aujourd’hui : nés ici, éduqués ailleurs, évoluant en fonction d’un travail ou d’une situation familiale, nos concitoyens, les élus locaux que nous rencontrons viennent quelquefois souvent d’ailleurs. Cet « ailleurs » est indispensable à notre société moderne. Il en est la richesse, il en fait l’avenir.

Mme la présidente. Il vous faut conclure, madame Giraud.

Mme Éliane Giraud. Chers collègues, nous n’avons pas le temps de nous perdre en conjectures ! Je demande que le Sénat joue tout son rôle à vos côtés, monsieur le secrétaire d’État, et notre groupe le fera au maximum ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées de l’UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Roland Courteau.

M. Roland Courteau. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, compte tenu du peu de temps qui m’est accordé, je limiterai mon propos aux dispositions relatives à la délimitation des régions.

La carte actuelle des régions remonte aux circonscriptions des programmes d’action régionale des années 1950, comme me le rappelait à l’instant Yannick Botrel. Or cette carte n’a quasiment pas évolué malgré les évolutions économiques, sociales, démographiques et malgré les évolutions des compétences des conseils régionaux, qui sont devenus de véritables échelons stratégiques et de planification en matière d’économie, d’aménagement du territoire et de transports.

La nécessité d’adopter cette carte des régions est donc largement reconnue. Comme le précise l’étude d’impact, il s’agit non seulement d’adapter cette carte à l’Europe des régions, mais aussi de relever le défi du redressement de l’économie.

En fait, il s’agit de doter ces régions françaises d’une taille critique qui leur permette, au-delà de l’exercice de leurs compétences stratégiques, de rivaliser avec les autres régions d’Europe.

Voilà pourquoi nous voulons le regroupement des régions Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées. Nous considérons que cette fusion additionnera les forces des deux régions…

M. François Grosdidier. Avec quel budget ?

M. Roland Courteau. … pour en faire un nouveau territoire à l’échelle des grandes régions européennes, un territoire qui comptera près de 5 millions d’habitants et dont le produit intérieur brut sera du même ordre de grandeur que celui de ses grandes voisines.

M. François Grosdidier. Avec un budget dix fois moindre!

M. Roland Courteau. Mon cher collègue, si vous vouliez vous exprimer dans la discussion, il fallait vous inscrire !

Qu’il s’agisse de la puissance de la viticulture ou de la force de l’agriculture, dans ces deux régions, qu’il s’agisse de la puissance de l’aéronautique, en pays toulousain, ou des capacités de développement sous toutes ses formes du Languedoc-Roussillon, qu’il s’agisse de la recherche à l’innovation ou encore du soutien aux filières à l’internationalisation, qu’il s’agisse de la complémentarité entre Montpellier et Toulouse ou de la force touristique de ces deux régions – ouverture sur la Méditerranée, châteaux, canal du Midi, Pyrénées… –, une telle fusion donnerait à cette grande région une force de frappe bien supérieure à ce qu’elle est aujourd’hui.

Enfin, la carte des deux régions est très proche de celles du comté de Toulouse et des États du Languedoc. L’union des régions du Midi sera donc un formidable levier pour le développement de nos langues régionales.

Qui ne constate la réelle complémentarité entre Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon ? L’une, Midi-Pyrénées, a la richesse économique, qui la place au huitième rang national pour son produit intérieur brut par habitant. L’autre, Languedoc-Roussillon, présente une très forte attractivité et bénéficie d’une croissance annuelle de la population de près du double de la moyenne nationale.

En fait, la nouvelle région issue de la fusion des deux constituerait un véritable carrefour au niveau de l’arc méditerranéen, « lieu de convergence d’axes économiques importants, à la confluence des grands courants d’échanges ».

Ses atouts géostratégiques sont indéniables avec un fort potentiel de développement pour la fonction logistique et les transports, ce qui donnera plus de poids aux dossiers TGV Montpellier-Perpignan et Toulouse-Narbonne.

En fait, cette fusion ne ferait que renforcer les coopérations déjà existantes : l’Eurorégion Pyrénées-Méditerranée – avec le Languedoc-Roussillon, le Midi-Pyrénées, la Catalogne, les Baléares –, le pôle de compétitivité gestion de l’eau, le pôle DERBI, pour les énergies renouvelables dans le bâtiment et l’industrie.

Vous l’avez compris, mes chers collègues, nous sommes convaincus de la réelle nécessité de cette union, d’où l’amendement que mes collègues Gisèle Jourda, Alain Duran et moi-même avons déposé.

J’entends dire ici même, sur les travées de gauche comme sur celles de droite, qu’il faut construire de grandes régions dotées de compétences stratégiques, « des régions stratèges qui mettent en place de grands projets structurants ». Et c’est très bien ainsi ! C’est toutefois une logique inverse à celle de la commission spéciale, qui a choisi notamment de ne plus fusionner les régions Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées. C’est aussi une rupture d’équilibre au regard des grandes régions qui nous entoureront et qui pèseront sociologiquement et économiquement au niveau européen.

M. Didier Guillaume. Très bien !

M. Roland Courteau. Que pèseraient Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon séparés face à la Catalogne, face à une entité regroupant l’Aquitaine, Poitou-Charentes et le Limousin ou encore à un ensemble Rhône-Alpes-Auvergne ?

Certains ont parlé de communauté de destin. Eh bien, mes chers collègues, c’est exactement ce que nous souhaitons en proposant de regrouper Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées : il s’agit de constituer une véritable Eurorégion Pyrénées-Méditerranée au cœur de l’arc méditerranéen ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Longuet.

M. Gérard Longuet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans cette affaire, je voudrais naturellement m’adresser d’abord au Gouvernement, mais on comprendra que je m’adresse également à ceux de mes collègues, notamment alsaciens, qui souhaitent une solution originale.

Monsieur le secrétaire d'État, soyons beaux joueurs : si l’objectif du Gouvernement était d’afficher une réorganisation des territoires, vous avez gagné une première manche. Mais vous n’avez rien réglé pour autant. Vous connaissez bien le sujet : avec Édouard Balladur, nous avions travaillé ensemble et nous avions, modestement, réduit le nombre de régions d’une seule, avec la fusion de la Basse et de la Haute-Normandie…

À l’issue de l’examen de ce premier projet, qui porte sur les cartes régionales, vous arriverez à un nombre de régions qui ne sera peut-être pas douze, comme vous l’espériez pour la France continentale, mais qui sera certainement compris entre treize et quatorze, ce qui est un affichage honorable.

Cela étant, vous n’aurez rien réglé du tout, car plus les régions sont grandes, moins leurs responsabilités sont claires. Vous risquez même de déclencher dans ces grandes régions – et en écoutant l’orateur précédent, j’en avais la certitude –un appétit qui sera nécessairement déçu, car il aura pour effet de dépouiller l’État de responsabilités que vous n’entendez pas leur donner, que vous ne pouvez pas leur donner parce que vous n’en avez pas les moyens. Cela conduirait d'ailleurs à poser la question de la péréquation nationale et de la solidarité nationale.

M. Bruno Sido. C’est exactement ça !

M. Gérard Longuet. C’est le grand rendez-vous des compétences qui nous attend en décembre.

Jusqu’à présent, il y a, certes, un résultat quant au nombre et à la taille, mais il n’y a pas de résultat sur le fond.

Au reste, dans cette affaire, vous auriez aimé présenter un deuxième chiffre. Et à qui ? Aux Français ? Peut-être… À Bruxelles, sûrement ! Vous auriez aimé pouvoir annoncer la suppression d’un échelon administratif grâce à la disparition des départements.

M. Bruno Sido. C’est raté !

M. Gérard Longuet. Or, depuis avril, vous faites systématiquement machine arrière. Il subsistait une petite vingtaine de départements ruraux, qu’on conservait à titre d’exemple ou de témoignage historique. Nous avons aujourd'hui la quasi-certitude de garder la totalité des départements, y compris d'ailleurs dans les zones où il y a des métropoles, car ces départements couvrent des territoires non-métropolitains, et pas nécessairement ruraux, suffisamment importants pour pouvoir exister par eux-mêmes.

En revanche, vous vouliez vous appuyer sur les intercommunalités. Là, j’attire votre attention sur le risque de déclencher une réaction en chaîne qui va se retourner contre vous si vous ne clarifiez pas les choses au plus vite. De quoi s’agit-il ?

Vous nous parlez des métropoles – et le Premier ministre en a parlé avec talent. Nous avons besoin de métropoles, c’est une évidence tant c’est incontestablement une fierté dans une région que d’avoir une ville qui peut s’enorgueillir d’une grande université, de centres de recherche et de décision.

L’inverse n’est toutefois pas vrai. Il n’est pas vrai que les métropoles aient nécessairement envie de soutenir une région, de soutenir les petites villes, les villes moyennes, les secteurs ruraux de cette région. Je vous le dis d’expérience, les démarches des métropoles et des syndicats intercommunaux ont un point commun : elles sont animées par l’esprit d’entreprise. Celui qui dirige une entreprise intercommunale se moque bien de ce qui se passe ailleurs parce que ses concurrents sont les grandes villes européennes. Et il s’interdit de porter le fardeau de villes petites et moyennes ou de secteurs ruraux. !

Or il faut savoir que les quinze communautés urbaines et la métropole existant au 1er janvier 2013 – depuis, les chiffres ont changé, j’en suis convaincu –, ne regroupaient que 8 millions d’habitants, alors que les 213 communautés d’agglomération représentent – excusez du peu ! – 25 millions d’habitants, c'est-à-dire au moins trois fois plus.

Quant aux 2 223 communautés de communes, dont vous entendez modifier fortement l’organisation, elles représentent plus de 27 millions d’habitants, soit une moyenne légèrement inférieure à 13 000 habitants par communauté de communes. Vous voulez fixer la barre à 20 000. Sans avoir fait le calcul précis, je pense que vous avez sans doute l’intention d’afficher des chiffres en baisse, réduisant d’environ 60 % à 65 % le nombre de communautés de communes. Autant dire que vous allez ainsi décourager près des deux tiers des élus municipaux qui ont cru à un avenir en commun, qui se sont retrouvés et se sont engagés dans des actions collectives, qui ont construit des ensembles.

M. Bruno Retailleau. C’est exactement cela !

M. Gérard Longuet. Vous allez leur demander de revoir leur copie ! Mais cette demande émane d’une autorité qui n’a pas fait les preuves de sa compétence sur le terrain pratique, sur le terrain économique ou sur celui des finances publiques.

M. Gérard Longuet. Voilà la raison pour laquelle je crois profondément que le plus dur pour vous reste à faire et que les départements risquent d’être, en effet, la réponse de bon sens. Car ces intercommunalités, que je respecte, que je défends et souhaite encourager, ont des limites.

Prenons l’exemple de la politique sociale. Ces intercommunalités peuvent-elles gérer une politique sociale ? Oui, s’il s’agit de distribuer. S’il s’agit d’imaginer et de contrôler une politique sociale dans un espace plus vaste, la réponse est non parce que, sur un espace plus vaste, il faut organiser une politique d’ensemble, une péréquation, une solidarité. Or les seules intercommunalités que vous acceptez de préserver, celles qui ont plus de 20 000 habitants, se limiteront au guichet et à la distribution sans se préoccuper d’élaborer une politique sociale globale.

J’ai bien entendu le Premier ministre, M. Valls, nous dire que tout cela pouvait être réexaminé. Je crois que c’est l’ensemble du texte qui devrait l’être, car, derrière l’apparence de la réorganisation régionale, vous déclenchez un processus dont vous ne contrôlez pas les effets faute d’en avoir mesuré les enjeux.

Je conclurai mon propos en évoquant l’exemple alsacien.

Je veux dire à ma collègue et amie Catherine Troendlé qu’elle n’a pas raison de poser ce débat à cet instant. Qu’il y ait création d’une collectivité sui generis en Alsace, c’est parfait, c’est exemplaire. C’est d’ailleurs, au fond, ce que nous souhaitions faire avec la réforme de 2010, en rapprochant départements et régions au travers de la mise en place du conseiller territorial.

Comme l’a rappelé très pertinemment notre rapporteur, François-Noël Buffet, nous avons été « coincés » par la règle de l’entonnoir. La nouvelle majorité sénatoriale et le président du groupe UMP, Bruno Retailleau, n’ont donc pas pu défendre notre conception d’ensemble, entravés qu’ils étaient dans leur élan par les règles parlementaires, des règles que, naturellement, nous respectons.

Si nous avions pu défendre en totalité notre projet, nous aurions rappelé à Catherine Troendlé que celui-ci visait bien à rapprocher régions et départements, si toutefois ceux-ci sont conservés. C’est du Krattinger-Raffarin dans le texte : soit on élargit les régions et on garde les départements, soit on maintient les régions et on les rapproche des départements au sein d’une même coopération. C’est ce que vous voulez faire, ma chère collègue, et je serai le dernier à vous contredire sur ce point.

Je veux toutefois attirer l’attention de mes collègues alsaciens. Peut-on dire avec certitude à quoi serviront les régions ? À remplacer les départements ? Je ne le crois pas. À remplacer les intercommunalités ? Pas plus. Leur rôle sera de débattre avec Paris et Bruxelles, ce qui est déjà de leur responsabilité et le sera plus encore demain.

Or, face à Paris et Bruxelles, le Grand Est, en tout cas les trois régions qui nous sont proposées par l’Assemblée nationale – je n’ai rien inventé ! –, connaît la même réalité européenne : les axes nord-sud qui nous structurent et qui sont nos axes de développement.

Allez faire comprendre à un Parisien l’importance des axes nord-sud en Alsace, dans les vallées du Rhin et de la Moselle, en Wallonie, en Lorraine, axes qui se prolongent jusqu’à la Bourgogne et la région Champagne-Ardenne ! C’est impossible, en raison de l’ethnocentrisme parisien.

Nous qui avons en commun des ambitions européennes, une réalité transfrontalière, le bilinguisme – pour ce qui concerne la Lorraine et l’Alsace –, un rôle d’articulation au sein de l’espace européen entre l’Europe germanique et l’Europe romane, nous avons le devoir d’être solidaires pour défendre nos intérêts communs à Bruxelles et à Paris.

C’est la raison pour laquelle, chers collègues, je vous suggère de soutenir cette réalité européenne du Grand Est et de patienter jusqu’au débat sur les compétences pour parler de l’organisation de la communauté alsacienne, laquelle est exemplaire et fera, j’en suis persuadé, des émules. Tout vient à point à qui sait attendre ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l’UDI-UC.)

M. Bruno Sido. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Fouché.

M. Alain Fouché. Madame la présidente, monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je veux d’abord saluer l’excellent travail de la commission spéciale, présidée par Jean-Jacques Hyest, car elle a permis d’apporter un certain nombre de solutions importantes.

Je perçois une évolution de la part du Gouvernement ; sans doute les dernières échéances n’y sont-elles pas étrangères.

In fine, le Sénat réaffirme son attachement aux territoires en rendant sa vocation à chacune des collectivités, commune, intercommunalité, département, région.

Nous reviendrons ultérieurement et de manière plus approfondie sur les compétences, mais il était important d’en parler dès à présent.

Nous sommes tous convaincus de la nécessité, dans un souci d’économie et de simplification, de clarifier les compétences de chaque collectivité et de supprimer les doublons ; il y a même urgence à cet égard. Il suffit de citer l’exemple des collèges, des lycées, des comités départementaux et régionaux du tourisme...

Dans une région Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes de 4 millions d’habitants, que fera un comité régional du tourisme quand il devra participer à la commission concernant Saint-Jean-de-Luz ou celle concernant Loudun, des villes situées à plusieurs centaines de kilomètres l’une de l’autre, la seconde se trouvant en outre à 80 kilomètres de Tours ? Ce sont des doublons qu’il faudrait supprimer.

Un équilibre doit être trouvé entre les collectivités et leurs centres de décisions respectifs, qui doivent être présents sur les territoires.

Il faudra que tout cela soit clair. À cet égard, le Gouvernement évolue. Les départements devront poursuivre leurs actions de proximité, qui sont si appréciées et même plébiscitées par les élus locaux et les habitants, dont ils sont les premiers partenaires financiers. Tournés vers l’avenir, ils répondent aux problématiques locales de tous genres, à commencer par le soutien aux communes.

Il faut conserver les départements – c’est ce que semble dire le Gouvernement –, mais sans les déshabiller.

Réduire le millefeuille territorial et améliorer la gouvernance en clarifiant les compétences et en simplifiant les procédures, voilà notre mission.

Dans ce big bang territorial, les nouvelles régions devront être chargées des grands projets, nous en sommes d’accord. Il faudra aussi veiller à l’équilibre : les petits départements représentés par deux ou trois élus, cela pose tout de même un vrai problème...

Les grands projets, ce sont les grandes infrastructures : routes, universités, énergie, zones portuaires et aéroportuaires, haut débit, ainsi que les grands projets économiques. Mais les conseils généraux devront conserver leurs grandes priorités, qui constituent une partie de l’aménagement du territoire local : aide aux communes, services publics en milieu rural, sans oublier un certain nombre de projets structurants.

Ainsi, dans la Vienne, deux projets importants ont été mis en place par le conseil général. Ni le conseil régional ni l’État n’y ont investi d’argent.

Le premier projet, la technopole du Futuroscope, qui a été créée par René Monory et que j’ai eu l’honneur de présider avant que la Caisse des dépôts et consignations ne devienne majoritaire, représente 10 000 emplois. S’il a vu le jour, c’est parce qu’il y avait une volonté locale, et non régionale ou nationale.

Le second projet, c’est le domaine que Center Parcs est en train d’installer dans le nord de la Vienne et qui permettra de créer 700 emplois. Là encore, c’est grâce à l’intervention locale des communes, des communautés de communes et des élus, aux côtés des dirigeants de Center Parcs, que les choses avancent et que cette opération promet d’être une réussite.

Il faut donc que les départements conservent au niveau local des compétences, et une certaine maîtrise s’agissant des équipements économiques et touristiques situés sur leur territoire et à proximité, ainsi qu’en matière de solidarité.

Dans mon département, la Vienne, les dépenses de solidarité représentent 54 % du budget. Ces chiffres, comme le disait très bien Gérard Longuet, ne correspondent pas à des dépenses faites au hasard, mais à des politiques mûrement réfléchies.

Les départements seront l’échelon intermédiaire indispensable entre les futures régions et les intercommunalités.

S’agissant de ces dernières collectivités, vous envisagiez que le préfet dispose de pouvoirs et d’une certaine souplesse quant au seuil de 20 000 habitants. Il semble que ce seuil ne soit plus considéré comme intangible…

Chacun sait que les intercommunalités ne pourront pas assumer financièrement toutes les missions qui se rapportent à la solidarité. Les régions n’en veulent pas, elles l’ont dit. L’État en incapable de les prendre en charge puisqu’il les laisse aux départements. Quant aux diverses intercommunalités, elles ne disposeront pas toutes des mêmes moyens financiers pour y pourvoir. La vraie proximité sera donc assurée par le conseil départemental.

Je m’élève contre certaines accusations portées à l’encontre des collectivités, en particulier des départements, qu’elles proviennent de l’État, des gouvernements successifs ou de grandes structures. Ces critiques sont inacceptables.

Depuis les premières lois de décentralisation, les lois Defferre, les transferts de compétences et de personnels de l’État vers les collectivités n’ont cessé de s’amplifier. Voilà pourquoi les collectivités ont recruté, sans recevoir les compensations financières correspondantes !

Le désengagement de l’État sur nos territoires est permanent. Qui oserait dire le contraire ?

J’entendais, hier, le Premier ministre et vous-même, monsieur le ministre de l’intérieur, dire qu’il fallait confier aux préfets la mission de gérer la proximité. Or on fait tout le contraire aujourd’hui... Le mal est fait !

Dernièrement, les directions départementales des territoires ont été supprimées : plus de travaux dans les communes, plus de gestion des permis de construire ni du droit des sols ! Les services des domaines ne vont plus intervenir pour les communes. Certaines missions des sous-préfectures sont transférées sournoisement aux préfectures... Tout cela démontre que, malgré vos promesses, l’État se désengage de plus en plus des territoires. Les collectivités sont donc obligées de prendre le relai, avec l’aide des départements.

Dans le cadre de cette réforme, il faudra que chaque niveau de collectivité, la région comme le département, joue son rôle, non pas de façade, mais un rôle concret qui permette d’établir un bon équilibre régional.

Il y a dans ce projet de loi une forme de centralisme régional et étatique. Aussi serons-nous vigilants au moment d’examiner, en décembre, le texte relatif aux compétences des collectivités.

Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, entendez nos inquiétudes et celles des élus de tous horizons, y compris ceux de votre bord politique !

Vous le savez, nous nous battrons, au Sénat, pour la représentativité des territoires, pour la ruralité, qui représente 15 millions de Français, et pour la proximité, car elles permettront d’atteindre un véritable équilibre et l’épanouissement harmonieux de notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Louis Nègre.

M. Louis Nègre. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la commission spéciale chargée de l’examen de ce projet de loi a effectué un travail remarquable, et je m’en réjouis. Je tiens à saluer Jean-Jacques Hyest, son président, et François-Noël Buffet, son rapporteur, pour leurs excellentes contributions et propositions dans un dossier mal né. (M. Jacques Mézard opine.)

Cahin-caha, la réforme territoriale continue son parcours d’infortune. En effet, l’Assemblée nationale a adopté ce projet de loi, mais après avoir repoussé une question préalable et une motion de renvoi en commission !

Quant au Sénat, en première lecture, avec une majorité de gauche, il avait rejeté ce texte. C’est dire la pagaille qui règne dans les esprits...

Messieurs les ministres, il y a d’abord un problème de méthode.

Ce texte est entaché d’une faute originelle,...

M. Jacques Mézard. De plusieurs !

M. Louis Nègre. ... car le Gouvernement a choisi une action unilatérale, sans consultation ni concertation avec les premiers intéressés, c’est-à-dire les élus locaux.

Le deuxième élément négatif de votre méthode tient à cette précipitation brouillonne visant à conclure au plus vite.

Les départements comme les régions sont ancrés depuis fort longtemps dans le paysage institutionnel de notre République. Ils ont été adoptés par nos concitoyens. On ne peut se permettre de modifier leur carte sur un coin de table, à la hussarde. C’est une affaire très sérieuse !

M. Louis Nègre. Pourquoi engager une procédure accélérée au Parlement et mettre en place un calendrier aussi expéditif ?

Sur le fond, j’ai deux remarques à faire.

Premièrement, ce texte, je l’ai dit, est mal né... Mais il est, de plus, prématuré. On a mis la charrue avant les bœufs.

Si l’on avait voulu procéder de manière logique, on aurait commencé par le début : on aurait d’abord déterminé les compétences de ces nouvelles régions ; puis, on aurait pris la précaution élémentaire de définir les financements pour un bon fonctionnement de ces structures, et l’on sait que les régions achoppent aujourd’hui sur des problèmes de financement. Or ces financements sont nécessaires, et même indispensables, pour assurer un fonctionnement régulier des services publics.

Il n’y a pas un seul mot dans ce texte sur les compétences et les financements associés. D’où un vrai problème de méthode.

C’est après que les compétences eurent été définies et les financements, assurés qu’il eût fallu se préoccuper de délimiter les périmètres.

Deuxièmement, le redécoupage de la carte de France a vite viré pour tous au casse-tête, tant il paraît difficile de savoir quel critère le Gouvernement a privilégié : s’agit-il des synergies entre deux régions, de l’existence d’un réseau de transports structuré, des liens culturels et du sentiment d’appartenance de la population, de la présence d’une métropole par région, de considérations politiques ? Quel est le fil directeur de cette démarche ?

À ce stade de la discussion, je tiens à saluer le travail efficace du président de notre assemblée, Gérard Larcher, qui a rencontré le Président de la République et a obtenu gain de cause pour que, sur ce texte fondamental pour les collectivités locales, soit appliqué l’article 50-1 de la Constitution. Le président du Sénat a donc souhaité, à juste raison, que l’exécutif remette en perspective cette réforme territoriale qui a beaucoup et même énormément varié depuis les annonces du mois d’avril dernier.

Cette initiative est bienvenue, surtout après les prises de position contradictoires des uns ou des autres qui font qu’aujourd’hui on ne sait plus où l’on en est, y compris à gauche, où j’ai d’ailleurs entendu prononcer des termes aussi significatifs que « zigzag », « brouillard », « surréaliste », « chaotique », « déconnecté », « accentuation des fractures », « injuste » et même « mortifère ». C’est dire !

Le Premier ministre se devait d’apporter les éclaircissements nécessaires sur un texte particulièrement flou et instable, notamment sur le calendrier électoral. Les annonces d’hier n’apportent aucune réelle amélioration quant au fond, sauf, je le reconnais, l’adaptation nécessaire et indispensable du seuil de 20 000 habitants pour les intercommunalités – ne pas le faire revenait à condamner d’emblée la ruralité – et la fixation tant attendue de la date des élections cantonales au mois de mars prochain.

Notre démarche s’appuie sur le principe suivant : nous ne ferons pas d’obstruction systématique sur la réforme territoriale, mais nous souhaitons la réécrire ici, au Sénat, qui est par excellence la maison des collectivités locales et des territoires.

En première lecture, alors que la majorité était différente, le Sénat a vidé le texte de sa substance en supprimant ce redécoupage. Maintenant que le Sénat est revenu à droite, nous avons la ferme volonté d’apposer notre marque sur ce projet de loi, pour protéger nos institutions départementales et communales. Notre objectif est de donner une cohérence générale à une réforme qui en est à sa quatrième version du redécoupage et qui est contestée par beaucoup !

Au-delà de ces appréciations, mon intervention portera sur quatre points particuliers.

Le premier a trait aux dispositions relatives à la délimitation des régions. Le préalable à toute discussion d’un texte délimitant de grandes régions était, pour nous, la réaffirmation de la vocation de chacune des collectivités territoriales. C’est fait avec l’article 1er A.

Par ailleurs, la commission spéciale a établi une carte modifiée, de compromis, avec quatorze régions métropolitaines, plus la Corse. Cette carte n’est pas parfaite, mais elle a le mérite de constituer une proposition sérieuse. Cela étant, messieurs les ministres, de nombreuses considérations émanant des territoires n’ont pu être prises en compte. Il eût été préférable, sur le fond, d’avoir une vision plus souple et plus proche des réalités du terrain.

Le deuxième point concerne la réaffirmation, grâce à notre majorité, de l’introduction par la commission spéciale à l’article 1er A du principe de subsidiarité, du maintien de l’existence des départements, qui sont des espaces de proximité et de solidarité, et des communes qui constituent la cellule de base de l’organisation territoriale de la République.

Le troisième point, c’est le droit d’option. Grâce à la majorité de la commission spéciale, ce dispositif, introduit par la loi de 2010, puis supprimé par l’Assemblée nationale, a été rétabli.

Le quatrième point est relatif à la représentation minimale des départements. Nous réaffirmons la nécessité de cet échelon institutionnel dont l’avenir reste toujours aussi incertain.

En conclusion, je me félicite des avancées significatives proposées par la commission spéciale et je voterai donc le texte qu’elle nous soumet, qui rend ce projet de loi imparfait plus acceptable.

Nous serons particulièrement vigilants lors de la bataille qui aura prochainement lieu sur les compétences des différentes collectivités. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. – M. René Vandierendonck applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Botrel.

M. Yannick Botrel. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, c’est à juste raison que le Gouvernement a voulu engager la réforme territoriale de notre pays, réforme trop longtemps différée et d’autant plus nécessaire désormais.

Il est indéniable que le paysage institutionnel a grandement évolué durant les vingt-cinq dernières années avec la montée en puissance des intercommunalités en particulier, dont les compétences n’ont cessé de croître durant tout ce temps.

Dans un monde toujours plus globalisé, dans lequel les économies, en particulier sur le territoire européen, sont toujours plus intégrées, il est urgent de confirmer les bons niveaux de l’action publique. Pour des raisons d’efficacité économique et budgétaire, mais aussi pour une meilleure compréhension par les citoyens du rôle de chaque niveau d’administration, il faut clarifier les responsabilités respectives ; il faut, en somme, dire qui fait quoi.

La carte des régions va donc être redessinée. Je crois qu’avant même l’examen de ce projet de loi article par article, examen qui pourra se traduire par des ajustements, nous pouvons saluer le principe d’un redécoupage régional se fondant sur des polarisations territoriales, sur des logiques économiques et de développement, mais aussi sur des volontés collectives d’agir ensemble sur un territoire auquel les habitants s’identifient.

Toute la question porte sur les ajustements pertinents qu’il faut trouver désormais. À dire vrai, je crois que la fusion de régions par blocs à certains endroits du territoire national fait difficulté. Dès lors que l’on modifie les périmètres, certains départements en périphérie des nouvelles entités peuvent ne pas se reconnaître dans ce qui est proposé. Cela peut être dû à l’attraction qu’exerce sur un département une métropole de la région voisine, cela peut survenir quand l’économie d’un département s’assimile davantage à ce qui est fait dans la région d’à côté ou encore quand la sociologie d’un département ou son histoire le rapproche de fait d’un autre territoire.

À cette fin, le Sénat avait originellement prévu que, dans cette éventualité, les départements auraient le choix de changer de région sous certaines conditions. Je veux parler du droit d’option. Au vu des modifications du texte apportées par l’Assemblée nationale et notre commission spéciale, j’ai le sentiment que cette possibilité que veut rouvrir le Gouvernement a été largement vidée de sa substance. En d’autres termes, les conditions posées rendent en l’état cette éventualité pratiquement inapplicable.

M. Jacques Mézard. C’est vrai !

M. Yannick Botrel. Hier, par la voix du Premier ministre, puis par celle du ministre de l’intérieur, le Gouvernement s’est déclaré favorable au droit d’option facilité. Je pense vraiment que nous gagnerions en crédibilité en mettant fin à la situation paradoxale que nous avons créée en commission spéciale. Pour ce faire, je ne vois que deux possibilités : soit amender significativement le texte qui nous est soumis, soit supprimer le droit d’option puisque tout montre qu’il n’aboutira à rien dans les conditions actuelles.

Nous devons donc faciliter l’exercice du droit d’option qui permettra d’aboutir à la carte des régions la plus pertinente possible, en donnant la parole aux territoires, donc aux citoyens, directement concernés. Il ne s’agit de rien de moins que de « faire confiance à l’intelligence territoriale », pour reprendre le titre d’un rapport d’information produit par notre assemblée. C’est par le droit d’option que la carte des régions françaises pourra être finalisée, en prenant en compte plus précisément les situations régionales dans leurs diversités.

C’est en ce sens que je vous invite, mes chers collègues, comme le propose le groupe socialiste, à ouvrir davantage ce droit d’option qui est à cet instant particulièrement verrouillé. En le faisant, nous redonnerons du sens à ce projet de loi et nous lui donnerons pleinement les moyens de son ambition. Il permettra de dessiner une nouvelle carte, mieux ajustée et plus efficiente des régions françaises, au service de l’action publique et des citoyens.

Se pose également le délai prévu pour l’exercice du droit d’option. En le limitant à la seule année 2016, la loi en restreindra les possibilités d’application. Les conseils régionaux seront installés au début du mois de janvier 2016. On peut imaginer le cas échéant des discussions, des ajustements techniques et réglementaires, qui, inévitablement, prendront du temps. Dès lors, il paraît de bon sens de revenir à un délai d’application plus étendu dans le temps, ainsi que l’Assemblée nationale l’avait prévu.

Coluche disait : « Nous sommes tous capables de fabriquer quelque chose qui ne fonctionne pas. » Mes chers collègues, il ne faudrait pas que nous lui donnions aujourd’hui raison. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Ronan Dantec applaudit également.)

M. Jacques Mézard. C’est déjà fait !

M. Gérard Longuet. La chute est bonne !

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Joyandet.

M. Alain Joyandet. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, étant le dernier orateur inscrit, je vais essayer de ne pas redire ce qui a déjà été très bien dit. Néanmoins, je me dois de féliciter à mon tour la commission spéciale, son président, son rapporteur, ainsi que tous ceux, de droite comme de gauche, qui y ont travaillé, et bien travaillé.

Avant d’attaquer l’examen du texte proprement dit, je ferai un petit point d’étape en vous proposant de jeter un coup d’œil dans le rétroviseur.

Au fond, sur la réorganisation de nos collectivités territoriales, tout le monde est d’accord : il faut la faire. En revanche, tout le monde n’est pas d’accord sur la façon de la faire.

Précédemment, nous avions créé le conseiller territorial, premier pas vers la fusion des départements et des régions. Cela s’accompagnait d’une clarification des compétences qui constituait à mes yeux une solution efficace pour réaliser des économies d’échelle. Rien de mieux, pour faire des économies d’échelle, que de mettre l’échelle à la verticale plutôt qu’à l’horizontale ; en tout cas, dans nos entreprises, c’est ainsi que l’on envisage les choses.... Je n’insiste pas puisque le conseiller territorial a ensuite été écarté de notre dispositif institutionnel, la gauche ayant souhaité une autre réforme. Laquelle, du reste ? On ne sait pas très bien !

La semaine dernière, lors de l’examen de la proposition de loi autorisant l’accord local de représentation des communes membres d’une communauté de communes ou d’agglomération, j’ai eu l’occasion de vous dire, monsieur le ministre de l’intérieur, que tout cela ressemblait à une dissolution des collectivités territoriales et que, dans cette espèce de gigantesque tourbillon, plus personne n’y comprenait rien. Par exemple, au mois de mars 2015, on élira dans les départements plus de conseillers généraux qu’il n’y en avait auparavant, alors même que l’on nous explique qu’il faudrait idéalement supprimer l’échelon du conseil départemental…

Jusque voilà quelques jours, nous étions dans un grand flou, qui a partout semé l’inquiétude. Les conseils départementaux sont inquiets et n’engagent plus rien. Les communautés de communes sont inquiètes depuis qu’a été annoncé le seuil des 20 000 habitants et n’engagent plus rien non plus. Il faut sortir de cette situation au plus vite.

Mettez-vous à la place d’un maire qui apprend qu’il n’aura bientôt plus d’interlocuteur de proximité puisque le conseil régional aura fusionné avec celui d’à côté, qu’il n’aura bientôt plus de conseil départemental, parce que celui-ci sera supprimé, que, bientôt, alors qu’il aura fusionné depuis peu, il lui faudra fusionner de nouveau pour que la collectivité territoriale dont il dépend atteigne le seuil des 20 000 habitants. Ajoutez à cela la baisse des dotations, la réforme des rythmes scolaires, le prélèvement sur les communes détenant un certain nombre d’hectares de forêt, et nous voilà avec un millefeuille qui non seulement n’est pas rénové, mais qui est totalement tétanisé puisque plus rien ne sort de nos collectivités territoriales !

Les différentes réformes qui ont été proposées ont sans doute du bon et du mauvais, mais, ce qui est sûr, c’est qu’il faut en sortir.

Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, pour ma part, je veux prendre acte de ce que le climat a changé. Pendant des mois, vous n’avez pas beaucoup écouté les sénateurs, de gauche ou de droite, mais, de toute évidence, vous avez écouté les grands électeurs ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

Mmes Catherine Troendlé et Catherine Deroche. Très bien !

M. Alain Joyandet. Le 28 septembre dernier, ils vous ont fait passer un message d’une telle ampleur qu’avec le Premier ministre vous vous êtes dit qu’il fallait tout de même écouter la base et qu’il n’était plus possible de lancer des réformes d’en haut en appliquant partout les mêmes critères, quelles que soient les situations.

Oui à la réforme, mais pas n’importe comment ! Je me réjouis que la commission spéciale et le Sénat dans son ensemble aient retenu la solution d’un dialogue avec le Gouvernement. Nous aurions pu renvoyer le texte, mais nous n’aurions pas beaucoup existé et nous n’aurions pas pu véritablement intervenir dans l’organisation des collectivités territoriales.

Nous avons choisi le courage, car, dans le fond, vous nous tendez un piège ! Vous nous demandez de voter un premier texte sur la délimitation des régions en nous expliquant dans le même temps qu’il y aura un deuxième texte où seront définies les compétences. Or de gros points d’interrogation subsistent, notamment quant à la présence des départements.

Pour ma part, je suis prêt, comme beaucoup d’autres dans cette assemblée, à appuyer cette réforme, à soutenir le texte que la commission va nous présenter et, partant, la nouvelle délimitation des régions que cette dernière propose. Toutefois, j’y mets deux conditions essentielles.

Premièrement, même si leurs compétences sont modifiées du fait des nouvelles régions, l’existence des départements doit être réaffirmée haut et fort.

M. Alain Joyandet. Nous demandons un engagement solennel pour ce qui concerne le second texte. Le Gouvernement a certes changé de discours à maintes reprises au cours des derniers mois, mais le Premier ministre nous a donné des gages il y a quelques jours : on peut espérer que, dans les prochaines semaines, sa position ne changera pas une nouvelle fois !

Au reste, le meilleur moyen de réaffirmer l’existence et la pertinence des départements, c’est de leur confier des compétences claires, solides et pérennes, via ce second texte de loi.

Mme Catherine Troendlé. Tout à fait !

M. Alain Joyandet. Dès lors, plus aucune incertitude ne planera sur leur avenir.

Deuxièmement, ce futur projet de loi doit lever les incertitudes quant à la pérennité de nos communes, et ce plus nettement que ne le fait l’article 1er du présent texte.

Certes, même avec ces garanties, ce système ne sera pas idéal. J’étais assez favorable au conseiller territorial, comme à la fusion des régions et des départements. Au fond, j’aurais volontiers vu généraliser la solution que nous propose l’Alsace à l’ensemble des régions françaises.

Cher Gérard Longuet, je ne sais pas dans quel ordre il convient de procéder. Néanmoins, je n’aurais pas été choqué si toutes les régions avaient fusionné, à terme, avec les départements qu’elles regroupent. (M. Gérard Longuet acquiesce.) J’ajoute que cette solution n’empêcherait pas la constitution, ultérieure ou simultanée, de très grandes régions.

Je le répète à l’intention du Gouvernement : je suis prêt à jouer le jeu, je suis prêt à faire confiance à cette réforme. J’espère n’être pas trop naïf.

M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral. On pèche toujours par naïveté !

M. Alain Joyandet. Quoi qu’il en soit, il me semble que nous devons construire une nouvelle architecture territoriale. Telle est la mission du Sénat. À cet égard, je le note avec une grande satisfaction, j’ai entendu les orateurs siégeant sur les diverses travées de cet hémicycle, notamment le président du groupe socialiste, dont l’intervention m’a paru tout à fait convaincante. Nous ne sommes pas en tout point d’accord, mais, à mon sens, la bonne volonté s’observe de part et d’autre.

De temps à autre, il peut arriver que l’on fasse confiance en politique ! (Sourires.) Monsieur le ministre, le Gouvernement nous a dit tout et son contraire depuis quelques mois. On peut espérer, après les élections sénatoriales et la conclusion de ce débat, qu’une véritable clarification sera assurée. C’est ainsi que l’on pourra rassurer nos élus et nos collectivités. En effet, de leur dynamisme dépendent, entre autres, les investissements, donc, dans une certaine mesure, la croissance dont nous avons tant besoin et que l’on ne pourra reconquérir si les collectivités territoriales sont totalement paralysées.

Comme beaucoup dans cette enceinte, je suis prêt à prendre part à ce travail positif, dans l’intérêt de notre pays. On peut dès à présent se réjouir de quelque chose : en quelques semaines, et même en quelques jours, grâce au concours de tous, le nouveau Sénat a déjà fait bouger les lignes ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. Gérard Longuet. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, de nombreuses questions ont été abordées depuis le début de nos débats, hier après-midi. Le Premier ministre s’est longuement exprimé. À la suite de son discours et de mon intervention, de nombreux sénateurs et de nombreuses sénatrices ont à leur tour pris la parole pour nourrir la discussion générale.

Avant tout, je tiens à adresser mes sincères remerciements à l’ensemble des élus du Sénat, quelle que soit leur sensibilité, en saluant leur apport à ce débat. Cette contribution est élevée, et ce quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent. Les discours auxquels j’ai pu assister, après les questions au Gouvernement organisées hier à l’Assemblée nationale, m’en ont convaincu, comme ils en ont convaincu André Vallini.

Je le répète à l’intention de tous les intervenants, et en particulier de M. Joyandet, qui a appelé à la discussion et au dialogue : nous abordons ce débat de manière ouverte, avec le souhait que chacun soit écouté et que nous puissions, dans la mesure du possible, dans la dynamique du débat et dans l’esprit que les uns et les autres ont rappelé, aboutir à des compromis.

Par ailleurs, au nom du Gouvernement, je remercie très vivement M. le rapporteur et M. le président de la commission spéciale des travaux qu’ils ont accomplis. M. le rapporteur les a menés avec une grande exigence et une grande rigueur, et je souligne leur qualité.

Je tiens à apporter, de manière extrêmement synthétique, un certain nombre de réponses aux diverses interrogations qui ont été émises, en les examinant successivement. Ce faisant, je répondrai non seulement aux divers orateurs, mais à la Haute Assemblée tout entière.

Premièrement, a été évoquée la nécessité de dégager des économies grâce à la réforme territoriale, dans un contexte où – il faut bien le reconnaître – d’importants efforts sont demandés aux collectivités locales.

Nous avons la volonté de redresser les comptes de notre pays et de maîtriser notre dépense publique. À cet égard, je rappellerai quelques chiffres illustrant l’ampleur des efforts engagés, que l’Union européenne a reconnue au cours des échanges que nous avons pu nouer avec ses représentants dans le cadre du semestre européen.

Entre 2002 et 2012, les dépenses de fonctionnement ont crû en moyenne de 2 % par an – cette progression annuelle s’est élevée à 1,7 % entre 2007 et 2012. Le budget pour 2014, que j’ai eu l’honneur de présenter à la Haute Assemblée en tant que ministre délégué chargé du budget, présentait, quant à lui, un taux d’augmentation de 0,9 % et réduisait ainsi de moitié l’allure d’évolution des dépenses. Enfin, MM. Michel Sapin et Christian Eckert présentent, pour 2015, un budget fondé sur une évolution des dépenses publiques de l’ordre de 0,2 %.

Dans le temps long de l’histoire budgétaire de la Ve République, on mesure ce que cet effort de maîtrise de la dépense publique a d’exceptionnel !

Quel que soit le gouvernement chargé de la direction du pays, cet effort doit être accompli. Or, étant donné la structure de la dépense publique, ce chantier ne peut aboutir si les efforts se limitent à l’État. Les collectivités territoriales doivent donc être mises à contribution, ce qui est impossible – c’est là tout l’enjeu de cette réforme – si leurs structures restent inchangées.

Compte tenu du poids des autorités décentralisées dans la dépense publique globale, pour obtenir des économies réelles et soutenables, ainsi qu’une maîtrise de la dépense publique, il faut transformer la structure des collectivités territoriales. À ce titre, il s’agit de mutualiser au maximum les dépenses de fonctionnement, afin de préserver des marges de manœuvre pour l’investissement.

J’ai entendu nombre d’interventions, notamment celles de MM. Mézard, Joyandet, Retailleau et Guillaume, qui évoquaient la soutenabilité de cet effort budgétaire. La fusion des régions permettra-t-elle de garantir des économies de fonctionnement ? J’en suis convaincu, d’autant que je m’appuie sur des informations documentées.

Toutefois, il ne suffit pas de décréter les économies pour qu’elles se réalisent. Parallèlement, il faut expliquer comment les construire et les rendre possibles sans altérer la qualité du service public. À mon sens, ces économies sont possibles grâce à un regroupement de la politique des achats, notamment par l’effet de la clarification des compétences.

Une grande collectivité territoriale, disposant par exemple d’un ensemble de compétences en matière scolaire, peut procéder à une concentration de la politique d’achats et ainsi dégager des économies significatives. C’est la logique que nous avons suivie au sein de l’appareil d’État au cours des deux dernières années. Ce faisant, nous avons réalisé près de 2 milliards d’euros d’économies au titre des achats.

Citons un autre cas : deux collectivités différentes comprennent deux services des ressources humaines, deux services financiers, deux services de maintenance des moyens automobiles ou des bâtiments. Lorsque ces structures sont regroupées, les économies ne s’observent peut-être pas dès la première année. Toutefois, par un effet de mutualisation, on s’épargne le remplacement systématique des départs en retraite dans ces services.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral. C’est un gain négligeable…

M. Bernard Cazeneuve, ministre. On dégage par conséquent de nouvelles marges de manœuvre pour l’investissement. (M. Jacques Mézard manifeste son scepticisme.)

Monsieur Mézard, c’est ainsi que nous avons procédé en fusionnant la commune de Cherbourg et celle d’Octeville, dont j’étais à l’époque le maire. M. Godefroy n’est pas présent en cet instant dans cet hémicycle, mais il pourrait en témoigner. Pour ma part, je vous l’affirme : cette initiative a eu l’effet que je viens d’indiquer. Elle a réduit les coûts de fonctionnement d’environ 20 %.

M. Jacques Mézard. Mais ces deux communes étaient limitrophes !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Certes, monsieur le sénateur, mais il existe également une continuité territoriale entre les régions que l’on fusionne : nous ne proposons pas de réunir l’Alsace et la Bretagne, le Languedoc-Roussillon et la Normandie ! À vous entendre, le Gouvernement a parfois des idées baroques. Néanmoins, ce n’est pas au point de fusionner des régions qui n’ont aucune frontière commune… (Sourires.) Voilà pour les économies.

Deuxièmement, je tiens, au titre de ma contribution à la réflexion collective, à insister sur la cohérence de la réforme.

J’entends bien ce que dit l’opposition, qu’il faut toujours écouter avec la plus vive attention quand elle exprime des interrogations. À ses yeux, cette réforme n’est pas la bonne et ne présente pas la cohérence exigée. Cette carte des régions n’est pas celle qu’elle souhaiterait voir prévaloir.

J’admets volontiers ce discours, mais il faut le soumettre au débat. Or celui-ci m’inspire deux constats.

D’une part, on ne peut se contenter de parler de la réforme : tôt ou tard, il faut la faire.

M. Gérard Longuet. Nous l’avions faite, en 2010 !

M. François Grosdidier. Et vous, vous l’avez défaite !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Voilà des années que l’on évoque une grande réforme des collectivités. Je ne nie nullement qu’un effort ait été tenté avec le conseiller territorial. Cependant, cette réforme ne supprimait aucun niveau de collectivités…

M. Gérard Longuet. Celle-là non plus !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. … et elle ne dégageait pas nécessairement les économies attendues.

M. Alain Fouché. Parce que les collectivités doivent assumer les missions de l’État !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. En l’espèce, nous procédons à des fusions de régions et nous proposons de faire monter en puissance les intercommunalités. Partout où il est possible de le faire, nous permettons la fusion des départements avec des grandes agglomérations et des grandes métropoles, dont la loi MAPAM a créé les conditions d’émergence.

Par conséquent, le Premier ministre l’a dit hier, nous ne perdons pas des années à concevoir cette réforme, depuis si longtemps attendue : nous la faisons ! Et nous sommes animés par un souci de cohérence.

Tout d’abord, nous créons de grandes métropoles, pour doter la France d’ensembles urbains à même d’investir dans la recherche, le transfert de technologies, les pôles de compétitivité, la transition énergétique ou encore les transports de demain. Au demeurant, les initiatives menées à Lyon sont emblématiques de l’atout que représentent les grandes métropoles sur le territoire national.

Ensuite, au travers du présent projet de loi, nous souhaitons former de grandes régions, qui soient elles aussi en mesure d’investir. Par ailleurs, nous tenons à clarifier les compétences entre les niveaux de collectivités territoriales et à faire monter en puissance l’intercommunalité.

Enfin, nous voulons que l’État soit plus fort au sein des territoires, d’où la réforme de l’administration territoriale de l’État, permettant de garantir la proximité. Voilà pour la cohérence.

Troisièmement, et avant de conclure, j’évoquerai la carte territoriale et je répondrai en quelques mots à la très belle intervention que M. Doligé a consacrée au calendrier des élections. La réplique doit, par sa précision, être à la hauteur de l’attaque.

M. Éric Doligé. Et pour ce qui est des attaques, ce n’est pas fini ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je n’ai aucun espoir que ces offensives auxquelles vous concourez cessent un jour, monsieur Doligé. Soyez rassuré, je n’ai pas la moindre illusion à cet égard ! (Sourires.)

Je comprends parfaitement les débats que la carte régionale suscite. Depuis le début de la discussion générale, j’ai entendu répéter la même formule, que ce soit au Sénat ou à l’Assemblée nationale : le Gouvernement aurait redécoupé les régions nuitamment, « sur un coin de table ». Il aurait dressé une mauvaise carte, alors qu’il en existerait une bonne, qui, avec un peu de bon sens, aurait prévalu.

Toutefois – dois-je le répéter ? – j’ai vu autant de cartes pertinentes qu’il existe de parlementaires ! (M. Gérard Longuet proteste.) En effet, leur composition est guidée par des enjeux locaux, en général arrimés à des considérations électorales qui ne sont pas illégitimes – certaines peuvent être comprises et entendues. Elle procède parfois de considérations territoriales tenant à l’identité, ou à la conception que l’on peut en avoir, d’un certain nombre de régions.

À ce titre, je le dis à l’intention de M. Dantec : je ne juge pas cette approche illégitime. Je souligne simplement qu’il n’existe aucune contradiction entre la prise en compte de la diversité, la reconnaissance des identités et le respect de l’unité de la République.

M. Ronan Dantec. C’est également ce que j’ai dit !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. J’en suis certain, cet équilibre peut être atteint grâce à la carte dont nous débattons.

Par conséquent, étant donné que toutes ces perspectives se croisent, chacun, en partant du lieu d’où il regarde la France dans sa diversité et son unité, défend une vision singulière et personnelle de ce qu’est la carte pertinente. On l’observe au sujet de l’Alsace. Il y a quelques instants, Gérard Longuet a défendu la cohérence d’une région Grand Est. Ses propos sont tout aussi légitimes que ceux des sénateurs issus des départements alsaciens.

De tels débats illustrent combien le compromis est délicat à atteindre : c’est dans le dialogue, dans l’échange, dans les garanties données que nous pourrons atteindre ce but. Je forme le vœu que la discussion des amendements le permette.

Enfin, je reviendrai sur le calendrier électoral et sur les remarques formulées hier, à ce sujet, par M. Doligé.

Monsieur le sénateur, si j’ai bonne souvenance – j’espère ne pas trahir votre pensée –, votre argumentation était la suivante : le Gouvernement a affirmé, au cours des débats de l’été, qu’il était constitutionnel de regrouper les élections départementales et régionales à la fin de l’année 2015. Ainsi – vous le déduisez assez habilement –, il serait à nos yeux inconstitutionnel d’organiser les élections départementales en mars prochain.

Or cette conclusion ne correspond nullement à ma pensée. Qui plus est, ce n’est pas du tout ce que j’ai dit ! J’ai indiqué, cet été, qu’il était constitutionnel d’organiser ce scrutin à la fin de l’année, compte tenu des considérants du Conseil constitutionnel – le regroupement de ces scrutins aurait pu relever de l’intérêt général, dans la mesure où les sorts de ces niveaux de collectivités étaient liés, notamment du fait d’une suppression des départements. Ce constat ne signifie pas du tout que leur dissociation serait anticonstitutionnelle,…

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Pas du tout !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. … d’autant que l’avenir des départements est reconsidéré, au terme des discussions que nous avons menées avec la représentation nationale. Je prends acte de votre argumentation, j’en mesure l’habileté, mais je souhaite y répondre en droit, de la façon la plus précise possible, afin qu’entre nous il ne subsiste aucune ambiguïté.

Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les réponses que je souhaitais apporter à vos différentes interventions.

J’ajoute, à l’endroit de Mme Éliane Assassi, dont j’ai écouté l’intervention avec beaucoup d’attention, comme toujours, que cette réforme ne nous est dictée ni par Maastricht ni par l’Europe.

Mme Éliane Assassi. Nous ne sommes pourtant pas les seuls à le penser !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je le sais bien, madame la sénatrice. Toutefois, sans vous offenser, ne pas être les seuls à le penser ne vous donne pas nécessairement raison !

Mme Éliane Assassi. Démontrez donc que nous avons tort !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Votre argumentation part de l’existence de l’Europe, ainsi que du capitalisme, avec tous ses travers, et postule que le Gouvernement a trop cédé à certaines pentes et s’est livré à des réformes pour plaire aux capitalistes et à l’Europe. Or tel n’est pas le cas : nous les avons engagées parce qu’il nous semble que la France en avait besoin,…

Mme Éliane Assassi. Parce qu’elles correspondent aux recommandations de la Commission européenne !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. … parce que nous avons besoin de territoires plus forts, capables d’investir dans les services publics, dans la transition énergétique, dans les transports de demain, dans les pôles de compétitivité.

Telles sont les considérations qui président à notre réforme. La discussion des articles sera l’occasion d’évoquer, ensemble, tous ces sujets. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale. Mesdames, messieurs les sénateurs, en quelques mots, je me réjouis, avec Bernard Cazeneuve, de la tonalité tout à fait positive et constructive du débat auquel nous participons.

Même les partisans les moins chaleureux, pour ne pas dire les adversaires les plus résolus, de cette réforme territoriale ont fait assaut d’idées, de propositions, d’objections qui sont toutes très intéressantes et dont nous ferons bien sûr notre miel lors du débat sur les articles de ce projet de loi, ainsi que lors du débat suivant, relatif aux compétences.

La discussion de ce prochain texte est intimement liée à celle d’aujourd’hui, et j’ai bien noté les propositions, les approbations, les inquiétudes également que certains d’entre vous ont exprimées à ce propos, au sujet des futures régions. Celles-ci seront agrandies, c’est une chose, mais surtout elles verront leurs compétences renforcées dans le domaine économique. Cela me semble d’ailleurs faire l’objet d’un consensus.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Oui, c’est certain !

M. André Vallini, secrétaire d'État. Vous aurez noté que, hier, le Premier ministre a fait une annonce importante en proposant de confier dans les mois et les années qui viennent le service public de l’emploi aux régions. Cette avancée considérable, qui va dans le sens de la décentralisation, n’a pas été relevée comme elle aurait dû l’être par la presse, mais nous aurons l’occasion d’y revenir en décembre prochain.

Concernant les intercommunalités, j’ai entendu les craintes que certains d’entre vous ont exprimées et je les partage. Élu de l’Isère, un département très urbain autour de Grenoble, Vienne, Bourgoin et L’Isle-d’Abeau, près de Lyon, mais également très rural et montagnard au sud, je sais bien que le seuil de 20 000 habitants est raisonnablement impossible à atteindre dans cette partie du département, comme dans la plupart des départements, même avec une métropole.

M. Gérard Dériot. Mais alors il ne fallait pas le fixer !

M. André Vallini, secrétaire d'État. Là encore, le Premier ministre a été très clair : ce seuil est un objectif à atteindre et il pourra être assoupli en fonction des spécificités de chaque département.

Enfin, il a été rassurant concernant les départements, en précisant que les conseillers départementaux renouvelés en mars prochain conserveront leurs deux compétences majeures au moins pour les cinq années qui viennent : la solidarité sociale, envers les personnes âgées ou handicapées, les familles en difficulté, l’enfance en danger, ainsi que la solidarité territoriale, pour continuer à aider les communes et les intercommunalités dans leurs projets.

Mon dernier mot, toujours au sujet des départements, concerne les personnels. Permettez-moi encore de faire référence à mon département : nous avons réuni en deux fois tous les personnels du conseil général pour les rassurer sur leur avenir et saluer leur dévouement et leur professionnalisme. Aucun d’entre eux, aucune d’entre elles, ne perdra son emploi. Les garanties statutaires étant ce qu’elles sont en France, personne n’a d’inquiétude à se faire.

Sur le plan géographique, la plupart d’entre eux ne bougeront pas. Les fonctions de support et de direction seront sans doute centralisées dans les nouvelles capitales, mais cela ne touchera qu’une infime partie des personnels départementaux.

M. Jacques Mézard. Oui, la matière grise !

M. André Vallini, secrétaire d'État. Les personnels des collèges resteront dans les collèges, les personnels des routes sur les routes, et les personnels des transports continueront à conduire les cars partout dans chaque département.

M. François Grosdidier. Et vous ne ferez donc aucune économie !

M. André Vallini, secrétaire d'État. Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, ce que je souhaitais dire à ce point du débat.

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Exception d'irrecevabilité

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral
Exception d'irrecevabilité (interruption de la discussion)

Mme la présidente. Je suis saisie, par MM. Favier et Le Scouarnec, Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n° 72.

Cette motion est ainsi rédigée :

À l'article 1er :

En application de l’article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable l’article 1er du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral (n° 43, 2014-2015).

L’article 44, alinéa 2, du règlement du Sénat dispose que, sauf lorsqu’elle émane du Gouvernement ou de la commission saisie au fond, l’exception d’irrecevabilité ne peut être opposée qu’une fois au cours d’un même débat et, en tout état de cause, avant la discussion des articles.

Cette règle s’applique bien sûr aux exceptions concernant l’ensemble du texte, mais également aux exceptions partielles portant sur des articles. Telle est la raison pour laquelle le Sénat examine maintenant la motion du groupe communiste républicain et citoyen.

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Christian Favier, pour la motion.

M. Christian Favier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le fait de changer les limites des territoires de nos régions relève bien de la loi. Nous avons donc toute légitimité pour le faire.

Encore faut-il respecter les règles fixées par le législateur, qui ont été codifiées par la loi n° 96-142 du 21 février 1996 relative à la partie législative du code général des collectivités territoriales, en application de l’article 2 de la loi n° 72-619 du 5 juillet 1972, et modifiées par la loi d’avril 2013 relative à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral.

Les procédures ont donc été fixées dès les lois de décentralisation de 1982, qui faisaient des régions de nouvelles collectivités territoriales de plein exercice, et nous sommes dans l’obligation de les respecter.

Or, comme nous venons de le voir, si l’article L. 4122-1 précise bien en son premier alinéa que « les limites territoriales des régions sont modifiées par la loi », il poursuit, au même alinéa et dans la même phrase, par les mots : « après consultation des conseils régionaux et des conseils départementaux intéressés. » Dès la première lecture, j’avais attiré l’attention sur ce point, considérant que, tant que la loi n’était pas adoptée, il était encore temps de procéder à cette consultation.

Notre rapporteur d’alors, notre collègue Michel Delebarre, avait relevé lui aussi cet écueil dans la procédure législative. C’est la raison pour laquelle il avait alors écrit aux présidents de régions et de conseils généraux intéressés par ces modifications de délimitations régionales, afin de leur demander leur avis, qu’il nous avait transmis, y compris au cours de nos débats en séance.

Force est pourtant de constater que tous les présidents n’ont pas répondu à cette sollicitation et que la plupart des réponses n’exprimaient souvent que leur propre avis, et non celui de leurs assemblées. Rares sont les régions et les départements intéressés à avoir formellement délibéré à ce sujet. Certes, des débats ont eu lieu dans la plupart de ces assemblées et certaines réponses de président, trop peu nombreuses, étaient des comptes rendus de séance.

Hormis au travers de cette démarche qui est volontaire, bien qu’elle soit partielle, de notre rapporteur, que nous devons saluer, l’avis des conseils régionaux et généraux n’a pas été réellement sollicité ni recherché.

Il nous semble même que, compte tenu de cet article du code général des collectivités territoriales, le résultat de cette consultation obligatoire aurait dû figurer dans l’étude d’impact accompagnant ce projet de loi, sur l’indigence de laquelle il est préférable de ne pas revenir.

Nous n’avons finalement pas obtenu les avis exhaustifs de toutes les collectivités, départements et régions susceptibles d’être affectés par ces modifications territoriales.

Il nous semble donc que c’est à bon droit que nous déposons cette motion d’irrecevabilité sur l’article 1er, qui tend à modifier le périmètre de certaines régions, afin que cette consultation, prévue dans notre code, puisse se dérouler avant que cet article ne revienne devant nous. Il n’en sera peut-être pas modifié, mais sa justification sera enrichie du résultat de ces consultations.

Si les pouvoirs publics et le législateur ne respectent plus la légalité des procédures, il ne faut plus s’étonner du développement de la crise de la représentation politique qui sévit dans notre pays. Le Parlement n’est pas un appendice du pouvoir exécutif. Il est le législateur, et sa mission est aussi de rappeler à l’exécutif, quand c’est nécessaire, l’obligation de respecter les lois.

La semaine dernière, du haut de cette tribune, le président du Sénat a rappelé la place et le rôle de notre Haute Assemblée. Il a particulièrement insisté sur sa mission spécifique de représentation des collectivités territoriales. Notre Sénat est donc particulièrement bien placé pour rappeler le droit attaché à celles-ci, quand un texte ou une procédure s’en affranchit.

Adopter cette motion, qui tend finalement à ce que les collectivités territoriales soient respectées dans leurs missions et leurs prérogatives, serait une bonne manière de passer de la parole aux actes !

Mme la présidente. La parole est à M. François Patriat, contre la motion.

M. François Patriat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, après avoir écouté tout le monde, il apparaît clairement que nous sommes tous des réformateurs ! Tout le monde est d’accord pour réformer. On observe toutefois trois catégories de réformateurs.

Il y a, tout d’abord, ceux qui affirment qu’il faut réformer, mais qui ne veulent rien changer, qui soutiennent que nous vivons dans un nirvana de collectivités, où chacune a sa place : le hameau, la section de commune, la commune, le département, l’intercommunalité, les SIVOM ou syndicats intercommunaux à vocations multiples, les régions, bref, où tout va bien. On veut bien réformer, mais, surtout, ne touchons à rien !

M. François Grosdidier. C’était votre discours il y a deux ans !

M. François Patriat. Vous m’avez mal entendu, cher collègue ! D'ailleurs, vous n’avez pas, comme moi, suivi ces questions depuis l’époque du comité Balladur.

Il y a ensuite ceux qui veulent réformer, mais qui pensent que ce n’est pas la bonne réforme et qu’une autre est nécessaire. Ceux-là sont favorables à une réforme, pourvu que c’en soit une autre…

Enfin, il existe une troisième catégorie, rassemblant ceux qui veulent vraiment réformer, et qui savent que, pour cela, il faut décider, choisir, prévoir, avancer. C’est la méthode qu’a choisie le Gouvernement.

Mme Éliane Assassi. Oui, on connaît l’argumentation ! Il y a les archaïques et les autres…

M. François Patriat. Si nous en sommes là aujourd’hui, mes chers collègues, ce n’est pas à cause des gouvernements successifs, quels qu’ils aient été, mais bien parce que chacune des associations de collectivités de notre pays n’a jamais voulu bouger un instant de son pré carré, de ses prérogatives, de ses compétences et de ses actions.

M. Alain Fouché. C’est l’État tout seul qui a transféré les compétences !

M. François Patriat. À chaque tentative précédente, telle ou telle association voulait conserver ses attributions ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

Mme Éliane Assassi. C’est faux !

M. Michel Le Scouarnec. C’est incroyable d’entendre cela !

M. François Patriat. Mes chers collègues, je n’ai interrompu personne depuis hier ! Vous, vous permettez de le faire et vous n’en sortez pas grandis.

Les régions ne demandent pas de compétences supplémentaires. Elles souhaitent être confortées dans leurs attributions et bénéficier des moyens de les assumer. On peut regretter, il est vrai, que le projet de loi relatif aux compétences ne soit débattu qu’après celui-ci, alors qu’il apparaît aujourd’hui si important. Si nous avions dit, avant d’annoncer la suppression des départements, qui allait prendre en charge leurs attributions, dont certaines sont irremplaçables, nous n’aurions pas été confrontés aux mêmes problèmes. Il est clair que la question a été mal posée.

Toutefois, à partir du moment où les régions s’engagent dans ce processus, et certaines sont volontaires pour le faire, admettons que ce projet de loi, comme celui qui suivra, doit pouvoir être accepté par notre assemblée, en particulier après le discours du Premier ministre. Ce dernier a apporté hier des éléments susceptibles d’apaiser les inquiétudes au sujet du seuil d’intercommunalité à 20 000 habitants ; il a ouvert un certain nombre de points à la discussion et il a annoncé un débat sur les compétences.

M. Jacques Mézard. Mais ce n’est pas le bon projet de loi !

M. François Patriat. Cette démarche me semble positive.

Nous parlons beaucoup des régions ou des collectivités qui se rebellent, mais certaines adhèrent à la démarche qui est proposée. J’ai ainsi la chance, chers collègues franc-comtois ici présents, de présider momentanément deux régions qui ont accepté de s’engager ensemble dans une démarche commune de fusion, ainsi que le souhaite le Gouvernement. Nous avons déjà entamé le processus en rapprochant nos conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux, ou CESER, et nos exécutifs, et en mettant en place des comités de gestion communs.

Au mois de novembre prochain, lors du débat d’orientation budgétaire, nous présenterons, chacun dans nos régions, les dix-sept actions que nous avons menées en commun et qui apportent une clarification, une simplification, une dynamique plus forte en matière d’économie et d’emploi, ainsi que des réductions de coûts. Monsieur le ministre, cette démarche mérite d’être encouragée, avant l’examen du projet de loi relatif aux compétences, et cela de deux façons.

Tout d’abord, cette démarche pourrait être encouragée de manière fiscale. Le Premier ministre l’a souligné hier, il convient aujourd'hui de donner aux régions les ressources nécessaires pour qu’elles puissent assumer, notamment, leur fonction économique. Vous le savez, les régions ne disposent aujourd'hui d’aucun levier fiscal : il convient de leur accorder une part supplémentaire de la CVAE, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. Pourrions-nous en discuter dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances, monsieur le ministre ?

Ensuite, ne pourrions-nous pas, par voie réglementaire, accompagner, dans une démarche d’ingénierie, les régions telles que Rhône-Alpes et Auvergne, les deux Normandie ou encore la Bretagne – cette dernière mène, de son côté, un travail avec les départements – qui acceptent aujourd'hui d’engager ce processus de clarification, d’économies et d’efficacité ? Peut-être pourrait-on octroyer, dans le cadre des contrats de projets, des bonus à ces bons élèves, afin qu’ils puissent avancer plus vite pour atteindre les objectifs fixés.

Enfin, concernant les dates, je souhaiterais que le texte relatif aux compétences sur lequel nous débattrons prochainement soit définitivement adopté avant les élections départementales. En effet, si ces dernières avaient lieu après la première lecture, elles seraient organisées dans l’ambiguïté, les dispositions adoptées pouvant évoluer à l’issue du scrutin, quels qu’en soient les résultats d’ailleurs.

Ne reculons pas ! N’hésitons pas ! Gardons le cap, avançons et essayons de faire en sorte que ces deux textes soient adoptés avant les prochaines élections ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Éliane Assassi. Et la démocratie ? On s’en moque !

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral. Les arguments avancés par nos collègues du groupe CRC ont certes un fondement juridique, mais qui s’applique plutôt en réalité à des modifications modestes ou réduites des limites des régions.

À cet égard, il convient de rappeler que les périmètres existants ont été décidés par décret et non par la loi. Le législateur est souverain : le projet de loi qui nous est soumis et, singulièrement, l’article 1er, dont nous allons bientôt entamer la discussion, prévoient bien une réforme générale. De ce point de vue, aucune difficulté ne se pose donc.

Enfin, un certain nombre de dispositifs liés au droit d’option permettront aux élus locaux d’organiser des consultations en vue de modifier les limites de leur territoire, s’agissant, notamment, des départements limitrophes des régions. Pour ce faire, les élus locaux auront toute latitude de s’exprimer lors de l’examen des projets qu’ils porteront.

C'est pourquoi la commission a émis un avis défavorable sur cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Le Gouvernement partage l’avis de la commission, pour des raisons que j’expliquerai en quelques mots et qui tiennent à la Constitution.

Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, le législateur tient de trois dispositions constitutionnelles sa faculté de légiférer sur l’organisation des collectivités territoriales et, plus particulièrement, sur la question des limites de ces dernières.

Ainsi, aux termes de l’article 34 de la Constitution, « la loi détermine les principes fondamentaux de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources ».

L'article 72 dispose, quant à lui, que « les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les régions, les collectivités à statut particulier et les collectivités d’outre-mer régies par l’article 74. Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi, le cas échéant en lieu et place d’une ou de plusieurs collectivités mentionnées au présent alinéa. »

Enfin, l’article 72-1 prévoit que « lorsqu’il est envisagé de créer une collectivité territoriale dotée d’un statut particulier ou de modifier son organisation, il peut être décidé par la loi de consulter les électeurs inscrits dans les collectivités intéressées. La modification des limites des collectivités territoriales peut également donner lieu à la consultation des électeurs dans les conditions prévues par la loi. »

Il résulte donc de ces trois dispositions constitutionnelles que le législateur n’est jamais dans l’obligation de procéder lui-même à la consultation des collectivités concernées ou de leurs élus lorsqu’il envisage de procéder à des regroupements, sauf dispositions constitutionnelles spécifiques à l’outre-mer.

Pour des raisons qui tiennent à ces articles, il n’est donc pas du tout indispensable, au regard de la Constitution, de procéder à cette consultation. Par conséquent, nous ne pouvons pas être favorables à la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.

M. Ronan Dantec. Permettez-moi, tout d’abord, de dire à François Patriat que tout classement rigide est toujours un peu hasardeux. En l’espèce, d’autres méthodologies étaient possibles pour présenter une nouvelle carte territoriale.

Certes, la France a besoin d’une nouvelle organisation territoriale, mais celle-ci ne doit pas être imposée d’en haut. La carte qui nous est proposée est assez technocratique ; elle limite beaucoup – cette question revient en boucle dans nos débats ! – la capacité des territoires à s’exprimer.

En première lecture dans l’hémicycle et dans le cadre de la commission spéciale, nous avions proposé une autre méthodologie, consistant à laisser aux territoires le temps d’exprimer ce qu’ils voulaient pour eux-mêmes dans le cadre de la création de plus grandes régions et à donner la possibilité d’organiser des consultations populaires.

Je ne comprends pas cette espèce de peur panique à l’égard du peuple, qui s’intéresse de surcroît à ce débat : de grandes manifestations ont eu lieu à plusieurs endroits. Comme nous l’avions très clairement proposé dans nos amendements, après ces débats dans les territoires, il revenait à l’État de prendre ses responsabilités quant à la carte finale.

Toutefois, un autre processus a été choisi, qui suscite aujourd'hui beaucoup de frustration et d’insatisfaction. En témoignent les interventions des uns et des autres que nous avons entendues.

Pour ma part, je rejoins une partie des propos de notre collègue Christian Favier. Effectivement, il n’est pas encore trop tard pour assouplir les dispositions. Pour ma part, je crois que cette carte va continuer à évoluer. On n’est pas en train de découper la carte pour soixante ans, à l’image de ce que faisait Serge Antoine dans les années soixante. Il faut laisser de la souplesse au dispositif, parce que les territoires évoluent : nous sommes en interaction avec le monde extérieur. L’émergence de dynamiques territoriales ailleurs que dans les villes est, par exemple, un élément important, qui aura un nouvel impact sur la cohérence de la carte territoriale. Il ne faut donc pas avoir une carte trop figée. Or telle est aujourd'hui la difficulté majeure que nous rencontrons.

J’entends bien certains propos de notre collègue Christian Favier. Mais il vient un moment où il faut tout de même y aller !

Certes, on l’a dit, il eût été préférable d’examiner d’abord le projet de loi relatif aux compétences, car cela aurait éclairé le débat concernant le découpage des régions. De fait, ce n’est pas le cas. Cela aurait également permis de ne pas poser de problème au niveau du calendrier électoral. Sans dédouaner le Gouvernement, ce problème existe, nous ne le nions pas.

Dans ces conditions, le groupe écologiste ne soutiendra pas la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. Je le répète, il faut sortir de cette discussion, en présentant un dispositif qui permette à la France de continuer d’évoluer. Notre pays est affaibli par sa rigidité. N’allons pas aujourd'hui recréer une nouvelle rigidité au motif que nous craignons le changement. Je conçois plus cette motion comme une motion d’appel, qui nous incite à prévoir un dispositif souple. Entendons ce qui remonte des territoires et n’ayons pas peur du débat dans les territoires !

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.

M. Jacques Mézard. Nous ne voterons pas la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, parce que, d’un point de vue juridique, elle ne peut pas être adoptée.

Cela étant, cette motion repose au fond sur des arguments que nous pouvons entendre et que nous entendons. La question de la consultation et de l’expression de la démocratie locale est importante.

M. Jacques Mézard. Notre collègue François Patriat a indiqué que certaines régions étaient d’accord avec cette carte territoriale…

Mme Éliane Assassi. Certains présidents de région sont d’accord !

M. Jacques Mézard. … et travaillaient à la mettre en œuvre. Très bien, mais il y en a d’autres, qui travaillent aussi et qui n’ont pas le même sentiment que M. Patriat.

M. Jacques Mézard. Toutefois, le Gouvernement ne veut entendre que les régions qui sont d’accord avec lui et se refuse à écouter celles qui émettent un avis différent.

En effet, il y a tout de même eu des consultations dans certaines régions. La région Auvergne a voté, certes en l’absence de son président, qui avait eu un accident – mais c’est la vie… Et elle a rejeté ce projet de fusion.

Quant à la région Languedoc-Roussillon, par soixante-cinq voix contre une, si ma mémoire est bonne, elle a aussi rejeté le projet de fusion. Or c’est là une expression démocratique que se refuse à entendre le Gouvernement, tout comme notre collègue François Patriat d’ailleurs. Pourtant, il s’agit d’une expression très forte, qui témoigne d’une volonté.

Lorsque le débat devient gênant, on nous dit, si j’ai bien compris, que la situation pourra évoluer lorsque sera examiné le second projet de loi. Néanmoins, ce qui eût été souhaitable pour la démocratie, c’est que l’on examinât ensemble les deux projets de loi !

Mme Éliane Assassi. Tout à fait !

M. Jacques Mézard. D’ailleurs, c’est ce que le Gouvernement a fait lors du conseil des ministres du 19 juin dernier : vous les avez examinés le même jour, monsieur le ministre, et vous avez pris la décision de n’en transmettre qu’un, le soir, à la conférence des présidents du Sénat.

Mme Éliane Assassi. C’est vrai !

M. Jacques Mézard. Si l’on avait examiné les deux projets de loi ensemble, il eût été possible de mieux travailler en tenant compte d’un certain nombre d’éléments, notamment ceux qui sont relatifs aux compétences – surtout ceux-là ! –, ce qui aurait peut-être permis de faire évoluer certaines positions. Mais vous n’avez pas voulu le faire, et cela volontairement !

En ce qui concerne le projet de loi dont nous sommes saisis aujourd'hui – je dis bien ce projet de loi, et non pas le second, dont on nous parle quand on aborde une question qui gêne, au prétexte que cela ira mieux et qu’on pourra en discuter ultérieurement ; c’est, là aussi, une méthode habituelle ! –, vous nous dites très clairement, monsieur le ministre, que vous n’allez pas négocier sur la carte territoriale. D’ailleurs, le Gouvernement a déposé un amendement en ce sens.

Le débat sera intéressant.

Mme Catherine Deroche. Mais il est plié !

M. Jacques Mézard. Par son vote, le Sénat entérinera une autre carte, puis le Gouvernement soumettra in fine au vote de l'Assemblée nationale la carte que celle-ci a déjà adoptée. Comme expression d’un débat constructif, on peut faire mieux !

Mme Catherine Deroche. C’est vrai !

M. Jacques Mézard. Pour ce qui concerne la représentation dans les conseils régionaux, vous nous avez déclaré hier, monsieur le ministre, que je posais un problème extrêmement intéressant – vous l’avez d’ailleurs souligné de manière amicale à plusieurs reprises –, mais auquel vous ne voulez pas donner une solution démocratique.

Quant au droit d’option, les choses seront, au bout du compte, nous le savons très bien, bloquées, afin de ne pas faire évoluer la carte.

Nous allons débattre. Il le faut d’ailleurs ! Il est souhaitable que nous transmettions une volonté sénatoriale constructive. Ensuite, les élus locaux et les citoyens apprécieront que ces efforts du Sénat se heurtent au dernier mot de l'Assemblée nationale.

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Doligé, pour explication de vote.

M. Éric Doligé. Nous ne voterons pas la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité présentée par notre collègue Christian Favier.

À écouter nos collègues François Patriat et Jacques Mézard, je constate qu’ils ont finalement dit à peu près la même chose tous les deux (M. Jacques Mézard fait un signe de dénégation.), à savoir, pour résumer, « encore un instant, monsieur le bourreau » ! M. Patriat souhaite que l’on adopte le texte relatif aux compétences avant les élections départementales, tandis que M. Mézard espère que le Parlement aura examiné les deux textes avant ces élections.

Je souhaite que le débat ait lieu, monsieur le ministre, pour vous relire le passage de mon intervention liminaire d’hier soir que vous avez mal interprété. Si vous y prêtez attention, vous verrez que je n’ai pas dit tout à fait ce que vous avez indiqué dans votre réponse.

Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 72, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin n° 4 :

Nombre de votants 348
Nombre de suffrages exprimés 347
Pour l’adoption 18
Contre 329

Le Sénat n'a pas adopté.

Exception d'irrecevabilité (début)
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Discussion générale

9

Élection de membres représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe

Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin pour l’élection de six membres titulaires du Sénat représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe :

Nombre de votants 313
Majorité absolue des votants 157

Ont obtenu :

M. Jean-Marie Bockel 300 voix
Mme Nicole Duranton 308 voix
Mme Josette Durrieu 305 voix
M. Bernard Fournier 306 voix
M. François Grosdidier 305 voix
M. Jean-Marc Todeschini 303 voix

En conséquence, M. Jean-Marie Bockel, Mmes Nicole Duranton et Josette Durrieu, MM. Bernard Fournier, François Grosdidier et Jean-Marc Todeschini ayant obtenu la majorité absolue des suffrages des votants, je les proclame membres titulaires du Sénat représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

Voici le résultat du scrutin pour l’élection de six membres suppléants du Sénat représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe :

Nombre de votants 312
Majorité absolue des votants 157

Ont obtenu :

Mme Maryvonne Blondin 307 voix
M. Jean-Claude Frécon 309 voix
M. Guy-Dominique Kennel 308 voix
M. Jacques Legendre. 307 voix
M. Yves Pozzo di Borgo 307 voix
M. André Reichardt 306 voix

En conséquence, Mme Maryvonne Blondin, MM. Jean-Claude Frécon, Guy-Dominique Kennel, Jacques Legendre, Yves Pozzo di Borgo et André Reichardt ayant obtenu la majorité absolue des suffrages des votants, je les proclame membres suppléants du Sénat représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

10

Élection de juges à la Cour de justice de la République

Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin pour l’élection de six juges titulaires à la Cour de justice de la République et de leurs six juges suppléants :

Nombre de votants 316
Nombre de suffrages exprimés 316
Majorité absolue des suffrages exprimés 159

Ont obtenu :

Mme Éliane Assassi, titulaire, et M. Christian Favier, suppléant 59 voix
M. François-Noël Buffet, titulaire, et Mme Catherine Troendlé, suppléante 293 voix
M. Yves Détraigne, titulaire, et Mme Jacqueline Gourault, suppléante 313 voix
Mme Josette Durrieu, titulaire, et M. Alain Anziani, suppléant 296 voix
Mme Bariza Khiari, titulaire, et M. Jean-Pierre Sueur, suppléant 304 voix
M. François Pillet, titulaire, et M. Jean-René Lecerf, suppléant 310 voix
M. Bernard Saugey, titulaire, et M. Alain Fouché, suppléant 308 voix

En conséquence, M. François-Noël Buffet, titulaire, et Mme Catherine Troendlé, suppléante ; M. Yves Détraigne, titulaire, et Mme Jacqueline Gourault, suppléante ; Mme Josette Durrieu, titulaire, et M. Alain Anziani, suppléant ; Mme Bariza Khiari, titulaire, et M. Jean-Pierre Sueur, suppléant ; M. François Pillet, titulaire, et M. Jean-René Lecerf, suppléant ; et M. Bernard Saugey, titulaire, et M. Alain Fouché, suppléant, ayant obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés, ils sont proclamés juges à la Cour de justice de la République.

Je remercie Mmes et MM. les secrétaires du Sénat d’avoir dépouillé ces trois scrutins.

11

Prestation de serment de juges à la Cour de justice de la République

Mme la présidente. Mmes et MM. les juges titulaires et Mmes et MM. les juges suppléants à la Cour de justice de la République vont être appelés à prêter, devant le Sénat, le serment prévu par l’article 2 de la loi organique du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République.

Je vais donner lecture de la formule du serment. Il sera procédé ensuite à l’appel nominal de Mmes et MM. les juges titulaires, puis à l’appel nominal de Mmes et MM. les juges suppléants.

Je les prie de bien vouloir se lever à l’appel de leur nom et de répondre, en levant la main droite, par les mots : « Je le jure. »

Voici la formule du serment : « Je jure et promets de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder le secret des délibérations et des votes, et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat. »

(Successivement, MM. François-Noël Buffet, Yves Détraigne, François Pillet, Bernard Saugey, juges titulaires, Mme Catherine Troendlé, MM. Jean-Pierre Sueur, Jean-René Lecerf et Alain Fouché, juges suppléants, se lèvent et disent, en levant la main droite : « Je le jure. »)

Mme la présidente. Acte est donné par le Sénat du serment qui vient d’être prêté devant lui.

Mmes Josette Durrieu, Bariza Khiari et Jacqueline Gourault, ainsi que M. Alain Anziani, qui n’ont pu prêter serment aujourd’hui, seront appelés à le faire ultérieurement devant le Sénat.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures vingt-cinq, est reprise à dix-sept heures trente-cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

12

Exception d'irrecevabilité (interruption de la discussion)
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Demande de renvoi à la commission

Délimitation des régions et élections régionales et départementales

Suite de la discussion en deuxième lecture d’un projet de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. Nous reprenons la discussion en deuxième lecture du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.

Nous en sommes parvenus à la discussion de la motion tendant au renvoi à la commission.

Demande de renvoi à la commission

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral
Article 1er A

Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Masson, d'une motion n° 153.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission spéciale le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral (n° 43, 2014-2015).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

Aucune explication de vote n’est admise.

La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la motion.

M. Jean Louis Masson. La finalité de cette réforme territoriale est d’organiser les nouvelles institutions autour de deux niveaux : de grandes régions entraînant la suppression des départements et de grandes intercommunalités ayant vocation à absorber les communes. C’est un non-sens total, car, dans l’exercice de leurs compétences, ces deux niveaux n’auraient plus aucune proximité avec le terrain.

Si l’on veut créer de grandes régions à l’étendue tentaculaire, il devient indispensable de conserver un échelon de proximité, c’est-à-dire de conserver les départements. Si, au contraire, on veut supprimer les départements, il faut alors des régions qui soient à taille humaine, c'est-à-dire qui correspondent au découpage actuel.

De même, les communes, notamment en zone rurale, assument des fonctions indispensables pour la vie au quotidien, et leur absorption par des intercommunalités serait catastrophique. Si l’on s’obstinait dans cette voie, le bon sens commanderait de préserver un minimum de proximité, avec des intercommunalités de petite taille, qui garderaient alors le contact avec les réalités du terrain – tout le contraire de ce que propose le Président de la République et le Gouvernement, qui veulent un minimum de 20 000 habitants pour chaque intercommunalité !

Les départements exercent des compétences de proximité – routes départementales, aide sociale, collèges – qui ne pourront pas toutes être gérées correctement dans le cadre de ces nouvelles grandes régions à l’étendue tentaculaire. À l’évidence, si l’on crée de très grandes régions, il faut parallèlement maintenir les structures existantes au niveau du département ou, éventuellement, créer de grands départements de taille intermédiaire.

Cela ne justifie pas, pour autant, un statu quo des départements. En effet, ceux-ci ont été découpés en 1790, à une époque où les moyens de déplacement et de communication étaient rudimentaires. Comme le préconisait Michel Debré en 1947 dans son livre La Mort de l’État républicain, une cinquantaine de grands départements suffirait pour remplacer la centaine actuelle.

Pour réduire le millefeuille territorial, on peut donc soit supprimer une couche, soit réduire le nombre de collectivités à l’intérieur de chaque couche. Si l’on augmente la taille des régions, il faut en effet conserver cet échelon intermédiaire indispensable pour la proximité avec le terrain qu’est le département. Une réforme réaliste du millefeuille territorial passerait alors par la création de grandes régions subdivisées en grands départements. L’objectif serait d’en réduire le nombre environ de moitié.

En revanche, si l’on tient vraiment à supprimer les départements, les régions ne doivent pas être trop étendues et il importe donc, comme je l’ai dit, de maintenir leur découpage actuel. Une opération de ce type permettrait, notamment, de tenir compte des spécificités locales. Pour cela, lorsqu’une région a une identité forte, il faudrait la conserver, mais en la fusionnant alors avec les départements concernés. C’est d'ailleurs ce que proposent – à juste titre, selon moi – nos collègues alsaciens.

En conclusion, ce projet de réforme territoriale relève du bricolage et du cafouillage, car les choix ont été improvisés sans réflexion d’ensemble. Il n’est donc pas surprenant que les protestations se multiplient, aussi bien à l’encontre des futures institutions locales que, plus encore, à l’encontre de la nouvelle carte des régions…

Je n’entrerai pas dans le débat consistant à savoir s'il fallait d'abord découper les régions et ensuite fixer les compétences des différentes collectivités, ou l’inverse. Pour ma part, je crois qu’il ne fallait faire ni l’un ni l’autre !

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce qu’il fallait, c'était une proposition de loi regroupant l’ensemble des deux textes de loi qui nous sont soumis. Ainsi, nous discuterions globalement de la situation pour adapter, finalement, les choix de découpage retenus en fonction des compétences. En particulier, j’y insiste, la suppression des départements pose véritablement problème avec la création de ces régions très étendues : si l’on tient à supprimer les premiers, il faut conserver les secondes à l’identique.

C'était la finalité de la création du conseiller territorial sous la précédente législature, et je crois qu’il serait pertinent que la commission spéciale se penche sérieusement sur cette option consistant à garder les régions actuelles et à les fusionner, en leur sein, avec les départements, de manière à regrouper les institutions, débouchant ainsi sur des économies. C'est pourquoi j’ai déposé cette motion de renvoi en commission.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral. La commission spéciale est défavorable à cette motion, et cela pour deux raisons.

La première est d’ordre pratique : un renvoi en commission dure une heure ; compte tenu du propos qui vient d'être tenu – que j’entends sur le fond –, le temps manquerait évidemment pour tout remettre en cause. La deuxième raison est plus importante : nous sommes en deuxième lecture, et la commission spéciale a déjà travaillé en première lecture. Même si des divergences subsistent entre les élus sur certains choix et certaines façons de faire, le débat a donc eu lieu. Et, en deuxième lecture, à deux reprises, la commission spéciale a travaillé et a adopté un certain nombre d'amendements pour parvenir au texte que la Haute Assemblée doit discuter.

Pour ces deux raisons, la commission a émis un avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur. Même avis.

Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 153, tendant au renvoi à la commission.

(La motion n'est pas adoptée.)

Mme la présidente. En conséquence, nous passons à la discussion des articles.

projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral

Chapitre Ier

Dispositions relatives à la délimitation des régions

Demande de renvoi à la commission
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Articles additionnels après l'article 1er A

Article 1er A

Dans le respect des compétences attribuées par la loi aux différentes catégories de collectivités territoriales et à leurs groupements, par application du principe de subsidiarité :

- les communes constituent la cellule de base de l’organisation territoriale de la République décentralisée et l’échelon de proximité de vie démocratique. Les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre sont un outil de coopération et de développement au service des communes ;

- les départements sont garants du développement et de la solidarité territoriaux et de la cohésion sociale sur leur territoire ;

- les régions contribuent au développement économique et à l’aménagement stratégique de leur territoire.

Mme la présidente. La parole est à M. Robert Navarro, sur l'article.

M. Robert Navarro. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme je l’ai déjà dit hier soir au début de la discussion générale, la taille ne compte pas !

Quel est le Land allemand le plus performant économiquement ? C’est la Saxe, mes chers collègues. Or elle compte un million d’habitants.

Je prendrai l’exemple de la région que je connais le mieux pour vous faire la démonstration, monsieur le ministre, du côté mensonger de votre argument consistant à vouloir construire des régions de « dimension européenne ».

Dans votre projet initial, vous fusionniez en effet le Languedoc-Roussillon avec Midi-Pyrénées. Or, sous l’angle de la superficie, c’est bien simple, cette nouvelle région serait presque aussi grande que l’Autriche ! Pourtant, l’Autriche, elle, est divisée en neuf régions !

La nouvelle région Midi-Roussillon serait, à elle seule, plus grande que treize États européens du point de vue de la superficie. Si l’on regarde d’autres critères, comme le PIB ou la population, le constat est le même : le « Midi Roussillon » aurait une population équivalente à celle du Danemark – pays, lui, divisé en cinq régions – et comprendrait plus d’habitants que dix États européens !

Au niveau national, la comparaison est tout aussi choquante tant les déséquilibres sont flagrants : le « Midi Roussillon » comprendrait vingt fois plus d’habitants que la Corse et serait six fois plus étendu que le Nord-Pas-de-Calais, avec un PIB qui serait le double de celui de la Bretagne...

Je m’arrêterai là, mais pour ce qui est des critères objectifs, vous pouvez repasser ! J’espère que le Sénat sera ferme pour préserver l’intégrité territoriale du Languedoc-Roussillon. Depuis plus de dix ans, nous investissons 500 millions d’euros par an dans des projets structurants comme le TGV, les aéroports et les ports maritimes : des projets d’avenir. En désorganisant ce territoire, c’est l’utilité même de ces investissements que vous remettrez en question. Vos cartes de France, improvisées, sont totalement déconnectées des bassins de vie et des flux économiques, monsieur le ministre !

Pour finir, bien que la motion ait été rejetée, je souhaite vous rappeler solennellement que la France a ratifié, le 17 janvier 2007, la Charte européenne de l’autonomie locale. Traité international, cette charte contraint les États signataires à respecter les principes qu’elle contient. Elle les oblige ainsi à appliquer un ensemble de règles fondamentales garantissant l’indépendance politique, administrative et financière des collectivités locales. Elle établit le principe de l’autonomie locale, qui doit être reconnu dans le droit national et protégé par la Constitution. Ainsi, selon l’article 5 de cette charte, « pour toute modification des limites territoriales, les collectivités locales concernées doivent être consultées préalablement ».

Même si les collectivités locales ne disposent pas d’un droit de veto concernant de telles modifications, leur consultation préalable, directe ou indirecte, est indispensable. En Languedoc-Roussillon, c’est que nous avons fait. À la quasi-unanimité de ses composants, l’échiquier politique a souhaité le maintien en l’état de la région. L’improvisation n’est pas une excuse, monsieur le ministre !

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Grosperrin, sur l’article.

M. Jacques Grosperrin. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous débattons aujourd'hui d’un texte mal rédigé, dont les nombreux défauts révèlent une fois de plus la précipitation et l’absence de concertation avec laquelle le Gouvernement entend conduire les affaires de la France.

Ces défauts ont été corrigés par l’excellent travail conduit par nos collègues au sein de la commission spéciale, notamment par son rapporteur, M. François-Noël Buffet. Je tiens à souligner sa détermination et son implication.

L’article 1er A a été corrigé par la commission spéciale. Mais comment envisager le périmètre géographique de ces nouvelles régions et le nombre des conseillers régionaux sans déterminer au préalable les missions qui seront dévolues non seulement à celles-ci, mais aussi aux départements et aux communes, lesquelles sont les cellules essentielles de la vie démocratique, équivalentes, pour le territoire, à ce que les familles sont pour la nation ?

Nos concitoyens regrettent à juste titre le trop grand nombre de strates existantes, qui s’empilent les unes sur les autres, sans jamais rien simplifier. L’image habituelle du millefeuille administratif est à cet égard très éclairante.

Cette réforme territoriale doit donner l’occasion d’une simplification, d’une clarification, faute de quoi on transformera le millefeuille en pudding, c'est-à-dire en une masse dans laquelle on ne distingue aucun composant.

Il convient donc de déterminer – c’est essentiel – les missions propres de chaque collectivité, tout en rappelant la règle de la subsidiarité. C’est la raison pour laquelle je voterai pour cet article 1er A.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral. Très bien !

M. Jacques Grosperrin. Toutefois, j’estime que les missions de la région, telles qu’elles sont aujourd'hui présentées, doivent être précisées pour ce qui concerne l’enseignement supérieur et la recherche. Ainsi, ce qui ne sera pas prévu aujourd'hui devra obligatoirement l’être lorsque nous examinerons, en décembre prochain, le volet relatif aux compétences.

Tel qu’il est rédigé, l’article 1er A prévoit en effet que les régions contribueront au développement économique et à l’aménagement stratégique de leur territoire.

Il est possible de considérer que la mission de soutien aux établissements d’enseignement supérieur et aux laboratoires est virtuellement comprise dans une telle formulation. Toutefois, il serait bon que, au moment où de nombreuses universités sont engagées dans un processus de rapprochement très lourd du fait de la constitution de communautés d’universités et d’établissements, la loi précise ce point, en renforçant les liens existants entre régions et universités et en sécurisant les parcours universitaires et les universités.

Le code de l’éducation réserve bien sûr de nombreuses compétences à la région. C’est elle qui, en vertu de l’article L. 214-2, doit définir un schéma régional de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation déterminant les principes et priorités de ses interventions. Toujours selon ce texte, c’est encore la région qui définit les objectifs des programmes pluriannuels d’intérêt régional en matière de recherche et détermine l’investissement qui y concourt.

L’orientation du schéma régional d’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation est prise en compte par d’autres schémas établis par la région en termes de formation, d’innovation et de développement économique. Enfin, la région est consultée sur les aspects régionaux de la carte des formations supérieures et de la recherche.

L’article L. 614-3 du code de l’éducation lui attribue en outre des compétences en matière de détermination de la carte des formations supérieures et de la recherche.

Par ailleurs, qu’il s’agisse d’universités ou de communautés d’universités et d’établissements, le code de l’éducation prévoit systématiquement la présence de nombreux représentants de la région au niveau tant du conseil d’administration de l’université que du conseil académique.

Enfin, le partenariat existant entre régions et universités est primordial pour le développement des unes et des autres, tout comme le processus de rapprochement des universités dans le cadre des communes et des régions. La réforme territoriale ne doit surtout pas faire l’impasse sur ces nécessités. C’est pourquoi le volet compétences devra apporter des précisions sur ces points.

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, sur l’article.

M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’article 1er A du texte dont nous débattons aujourd’hui regroupe trois dispositions relatives à la délimitation des régions. Il a de ce fait pour but de rappeler le principe du respect des compétences des différentes catégories de collectivités territoriales, auxquelles, sur les travées de cet hémicycle, nous sommes attachés, puisque nous les pratiquons chaque jour.

Maire depuis de nombreuses années et président de l’Association des maires de mon département, je crois pouvoir témoigner du fait que les communes sont bien la cellule de base de l’organisation territoriale de la République. Il en va de même, par voie de conséquence, des établissements publics de coopération intercommunale, instruments au service des communes.

Toutefois, ce sont surtout les départements que je souhaite évoquer ce soir, en rappelant combien ils constituent, surtout en milieu rural, les indispensables garants du développement de la solidarité et de la cohésion sociale, comme le précise, à juste titre, la formulation de cet article.

Les zones rurales dépendent en effet des aides de l’État et seul le département est, à ce jour, en mesure de les coordonner, surtout lorsqu’il se prépare à être englobé – c’est le cas de mon département – dans le périmètre d’une grande ou très grande région. Demander le maintien du département en zone rurale, c’est donc non pas faire preuve d'une nostalgie passéiste, que certains taxent un peu vite de communautariste, mais exprimer un constat lucide, que l’on peut résumer de la façon suivante.

Il paraît d’ores et déjà impossible d’administrer au mieux des territoires aux spécificités propres depuis une capitale régionale située à cent, deux cents, voire trois cents kilomètres dudit territoire.

Je n’en veux pour preuve que le rappel de trois éléments, qui me semblent particulièrement importants : le domaine social, l’aide aux communes et le maintien des SDIS, les services départementaux d’incendie et de secours.

Le domaine social est en effet fondamental, puisqu’il relève par définition de l’administration de proximité, qui, seule, peut assurer l’équité de traitement sur tout le territoire. L’aide aux communes, ensuite, déjà particulièrement malmenée par les coupes claires annoncées par le Gouvernement, ne peut être véritablement coordonnée qu’au niveau départemental, faute de quoi elle se révélerait inefficace. Le maintien des SDIS, enfin, est fondamental pour la sécurité des biens comme des personnes, surtout dans les zones rurales, qui manquent souvent d’une couverture médicale appropriée, notamment pour la gestion des urgences et prompts secours.

Naturellement, on pourrait également parler des routes départementales, des collèges, des lycées, de la politique touristique et de tant d’autres domaines qui pourraient être gérés par le département…

Toutefois, je préfère limiter mon intervention et conclure en citant les propos du Président de la République lui-même, tenus le 8 janvier 2014, voilà dix mois à peine, à Tulle, chef-lieu de mon département, à l’occasion d’une cérémonie des vœux : « Les départements gardent leur utilité pour assurer la cohésion sociale, la solidarité territoriale, et je ne suis donc pas favorable à leur suppression pure et simple, comme certains le réclament, car les territoires ruraux perdraient en qualité de vie sans d’ailleurs générer d’économies supplémentaires. » (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Raison, sur l’article.

M. Michel Raison. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à mon tour de féliciter notre excellent rapporteur et notre excellent président de la commission spéciale. En effet, pour naviguer dans un brouillard aussi épais que celui qui nous est proposé, il faut avoir une certaine compétence, je tiens à le souligner !

Ainsi, on va nous faire voter – il est d’ailleurs assez frustrant, pour un nouveau parlementaire, de se prononcer sur un texte qu’on a vaguement le droit d’amender, mais qu’on ne peut pas réécrire –, sans que nous sachions comment la gouvernance du pays sera organisée dans les mois ou les années à venir. Comment faire un choix concernant, par exemple, une fusion de régions, si on ne connaît pas exactement les compétences qui lui seront, demain, dévolues ?

Heureusement, cet article 1er A, qui nous laisse espérer que l’essentiel sera sauvé, est fait pour nous rassurer. Je dis bien « nous laisse espérer » ! En effet, à partir d’un certain âge, la naïveté finit par disparaître, et les propos tenus hier par M. le Premier ministre, qui n’étaient pas forcément aussi clairs qu’ils paraissaient l’être, ne m’ont guère rassuré… Car son intervention nous a permis de dessiner ce que pouvait être la réforme voulue par le Gouvernement.

Nous pourrons maintenir les communes, si les communautés de communes, qui devront regrouper au minimum 20 000 habitants, détiennent toutes les compétences ! En effet, si j’ai bien compris, les intercommunalités moins importantes ne pourront exister que sous une forme dérogatoire.

De grâce, laissons les élus locaux choisir eux-mêmes la façon dont ils s’organiseront, dont ils feront fonctionner leur territoire. Certaines petites villes auront intérêt à fusionner avec d’autres communes, d’autres non. Certaines communautés de communes ne regrouperont que 8 000 à 10 000 habitants, tandis que d’autres auront intérêt à être beaucoup plus importantes.

Malgré tout, je suis inquiet s’agissant de l’organisation de la gouvernance. Les propos tenus hier par M. le Premier ministre ne m’ont pas rassuré, et je voterai pour cet article 1er A, qui nous permet d’espérer la sauvegarde de l’essentiel. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Marini, sur l’article.

M. Philippe Marini. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, au moment où nous entamons l’examen des articles, je souhaite dire quelques mots sur la conception générale de ce texte, tel qu’il a été abordé et utilement transformé jusqu’ici par notre commission spéciale.

Pour moi, lorsqu’un problème est mal posé, il ne peut y avoir de bonnes réponses. La discussion qui va avoir lieu risque donc d’être assez frustrante. Il s’agit d’un texte qui n’aborde que le contenant et non pas vraiment le contenu, d’un texte traversé de contradictions, d’un texte au total peu cohérent, d’un texte qui laisse espérer que certains départements seront maintenus, alors que les critères de la ruralité sont loin d’être évidents, et d’un texte dans lequel se succèdent à un rythme rapide des cartes, qui évoluent, changent, se transforment, avec des régions qui s’assemblent puis se séparent, tout ceci dans des conditions parfaitement inaccessibles, bien entendu, à nos concitoyens.

Je voudrais dire par avance que la carte régionale préparée par la commission spéciale n’est pas, à mes yeux, meilleure que celles qui l’ont précédée : je veux parler de celle, initiale, du Gouvernement et de celle de l’Assemblée nationale. Je prendrai un exemple, ou plutôt deux exemples, pour étayer mon propos.

Je comprends fort bien que l’on veuille – c’est la finalité de la réforme – concentrer les structures et fusionner des collectivités existantes. Pour ma part – et plusieurs collègues se sont exprimés dans le même sens, notamment Éric Doligé –, je pense que partir non pas de la région, mais du département aurait été une démarche beaucoup plus fructueuse et beaucoup plus réaliste.

M. Philippe Marini. En effet, le département est vraiment l’expression de la réalité de nos territoires – réalité bicentenaire (MM. Bruno Retailleau et Roger Karoutchi applaudissent.) –, et je pense que, par cette voie, il serait possible de réaliser des économies beaucoup plus tangibles. Ce propos me semble d'ailleurs assez largement partagé sur les différentes travées de cet hémicycle.

Nos amis alsaciens voudraient en quelque sorte « bénéficier » d’un sort particulier au sein de la République. Avec toute la sympathie que j’ai pour eux, avec tout l’attachement que je leur manifeste, compte tenu de ce qu’ils représentent, notamment en matière de patriotisme, je veux leur dire que préserver cette petite région par fusion de ses collectivités serait une solution recevable seulement si l’on adoptait la même solution pour d’autres petites régions.

Pourquoi ne l’a-t-on pas demandé au Limousin ? Pourquoi ne le demande-t-on pas à la Picardie ? En effet, monsieur le ministre, vous qui connaissez bien le département de l’Oise, vous savez bien qu’il n’existe pas de bonne solution de rattachement pour celui-ci : ni l’Île-de-France, ni la Champagne-Ardenne, ni le Nord-Pas-de-Calais. La seule bonne solution, c’est de fusionner au sein de la région les trois départements de l’Oise, de la Somme et de l’Aisne pour faire une seule et même collectivité territoriale, sur le modèle de ce que veulent nos amis alsaciens pour eux.

De cette manière, si l’on avait fait preuve d’un peu plus d’indépendance d’esprit et de sens de l’innovation, on aurait su faire une meilleure réforme et le débat qui se tient ici au Sénat serait plus fructueux.

Mes chers collègues, c’est pour exprimer ces regrets que je souhaitais prendre la parole. Bien entendu, je reconnais que, grâce au travail de notre commission spéciale, quelques progrès ont été réalisés, mais, je le répète, à un mauvais problème mal formulé il ne peut y avoir aucune bonne réponse. (Très bien ! et applaudissements sur certaines travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l’article.

Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, bien que cet article – cela n’aura échappé à personne – n’ait aucune portée normative, nous le soutiendrons. Nous considérons en effet qu’il est bon que, sous la forme d’un préambule, le législateur rappelle le cadre législatif et institutionnel dans lequel il souhaite inscrire un projet de loi. Nous l’avons d’ailleurs souvent fait à l’occasion d’autres textes, mais avons rarement été suivis.

Si nous nous félicitons de cette rédaction, elle nous interpelle cependant. En effet, il y a loin des déclarations d’intention et d’amour au texte adopté ici même.

À la lecture de cet article, tout le monde sera favorable au maintien des communes. Pourtant, nombreux ici, sur quelques travées qu’ils siègent – sauf sur les nôtres –, sont ceux qui s’apprêtent à soutenir une proposition de loi visant à favoriser les nouvelles communes en en supprimant plusieurs milliers.

Rappelons que l’intercommunalité se doit de rester un outil de coopération, mais, au travers de la loi de 2010, une majorité a voté ici même la fusion forcée de nombreuses intercommunalités et l’obligation pour les communes d’y entrer. On a retiré cet outil offert aux communes de réellement programmer ensemble, à partir d’un projet, une véritable coopération intercommunale.

De même, nous nous inquiétons, car il est prévu en 2015, au travers d’un autre texte, de fixer un nouveau seuil en matière d’intercommunalité « forcée ». Et ni l’intervention du Premier ministre hier ni celle de M. Vallini cet après-midi n’apaise nos inquiétudes, car il s’agit non pas simplement de cette question du seuil de 20 000 habitants, mais aussi des modalités de ces fusions, telles qu’elles sont aujourd’hui définies dans le futur texte dont nous aurons à débattre cet hiver.

Nous l’avons rappelé, je le rappelais ici même la semaine dernière : ces fusions forcées au sein de grandes intercommunalités conduisent de fait à l’ « évaporation » d’un certain nombre de communes.

Cet article affirme ensuite vouloir maintenir les départements. Pour notre part, nous souscrivons à cet objectif, mais combien, ici même, refuseront la disparition de la moitié des départements, de ceux qui sont qualifiés de « trop urbains » et jugés comme tels ? Ces départements urbains, bénéficiaires d’importants droits de mutation, jouent tout de même un rôle important dans la solidarité avec l’ensemble des départements, notamment grâce à la péréquation des droits de mutation, qui leur permet de redistribuer une partie de leurs ressources. Les supprimer reviendrait donc à remettre en cause une partie du financement des autres départements.

Pour nous, cet article ne doit pas être un texte d’affichage, et nous saurons bien évidemment le rappeler. En cet instant de communion, de concorde, ne boudons pas notre plaisir devant une telle unanimité. Cela dit, ne soyons pas dupes : elle est certainement de façade.

Néanmoins, monsieur le ministre, pour garder un esprit positif, je crois pouvoir dire qu’elle est révélatrice du fort attachement de la population aux 500 000 élus locaux qu’elle a désignés pour siéger comme représentants dans les instances locales de notre République. Que les parlementaires, à tout le moins les sénateurs, soient tenus de rappeler ainsi leur attachement à nos communes, à nos départements et à nos régions ne peut que nous conforter dans notre action pour en assurer la pérennité au travers de ce texte et de ceux qui restent à venir.

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Guerriau, sur l’article.

M. Joël Guerriau. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis consiste à arrêter une nouvelle carte des régions par regroupement de ces dernières. Dans un second temps, les départements peuvent faire un choix différent sous des conditions restrictives, comme si l’essence même du découpage résultait d’une approximation. Je pense que cette méthode coupe les élus des attentes de nos électeurs.

Dans le respect du droit constitutionnel, nous souhaitons que les réalités locales soient prises en compte en intégrant la dimension départementale dès la composition du découpage des nouvelles régions. Si nous voulons éviter des contestations sans fin concernant les limites régionales, dès maintenant, il faut tenir compte des aspirations départementales.

Le dogme de la création de nouvelles régions uniquement par fusion de régions ou sous forme de statu quo interdit une recomposition cohérente, notamment en ce qui concerne l’ouest de la France. Le projet de délimitation des régions qui nous est présenté n’offre pas de solution raisonnable, pragmatique et courageuse au découpage des régions de l’ouest. À l’ouest, rien de nouveau ! (Sourires.) Aucune évolution n’est proposée.

Une solution serait de faire émerger deux régions jumelles, équilibrées, avec la même population et le même PIB : la Bretagne avec les Côtes-d’Armor, le Finistère, l’Ille-et-Vilaine, la Loire-Atlantique et le Morbihan, d’une part, et le Centre-Val de Loire regroupant la région Centre et d’autres départements, d’autre part.

Le projet actuel marginalise la Bretagne et va la fragiliser. Un sondage du 11 juillet 2014 a montré que seulement 6 % de la population de la région Bretagne est favorable à une fusion avec la région Pays de la Loire, alors que 35 % préfèrent le statu quo et que 55 % souhaitent une Bretagne à cinq départements.

Dans ses limites actuelles, la région Bretagne est isolée. Nous proposons de regrouper les cinq départements bretons dans une même région en cohérence avec la réunification de la Normandie.

La moitié des échanges logistiques entre la région des Pays de la Loire et la région Bretagne s’exerce aujourd’hui au départ du seul département de Loire-Atlantique.

Le pôle mondial de compétitivité mer de la région Bretagne échange beaucoup avec Nantes-Saint-Nazaire et évidemment fort peu, pour de simples raisons géographiques, avec Le Mans ou Cholet.

Dans le domaine de l’innovation et du développement des nouvelles technologies numériques, quelque 95 % des relations du pôle mondial de compétitivité « Images et réseaux » s’exercent sur les cinq départements. L’enjeu d’une région Bretagne est de renforcer des coopérations dans le domaine de la recherche et sur le plan économique en correspondance avec l’identité des territoires.

D’après le site Bretagne Plein Sud, le tourisme en Loire-Atlantique est principalement breton. La promotion d’une identité régionale renforce l’attractivité touristique et économique.

Économiquement, la Bretagne à cinq départements, c’est la constitution d’une vraie région démocratique et maritime, avec en façade deux grands ports, Brest et Nantes-Saint-Nazaire, redynamisés par tous les flux économiques qui viennent de la Bretagne administrative et qui, en retour, constituent plus de 60 % des flux économiques de la Loire-Atlantique.

La Bretagne, berceau naturel des activités en lien avec la mer, est en attente de Nantes-Saint-Nazaire, porte naturelle sur le monde pour conduire une grande politique maritime utile à l’ensemble de la France. Nantes-Saint-Nazaire peut devenir la capitale économique et commerciale d’une région bretonne tournée vers la mer, à l’heure où l’essentiel du trafic mondial de marchandises s’effectue par voie maritime.

L’appellation « produit en Bretagne » est une marque porteuse, qui a fait ses preuves, en termes de développement économique. De plus en plus d’entreprises installées en Loire-Atlantique souhaitent ce label. C’est d’ailleurs dans ce département que l’appellation « produit en Bretagne » progresse le plus, ce qui prouve qu’une région clairement identifiée contribue au dynamisme économique.

Politiquement, créer la Bretagne à cinq départements, c’est prendre en considération des vœux de réunification émis par plus du tiers des communes des cinq départements bretons ainsi que par le conseil régional de Bretagne, à l’unanimité, en janvier 2014, et en 2001 par le conseil général de Loire-Atlantique.

Depuis plus de vingt ans, les sondages donnent des résultats constants : une large majorité des habitants de Loire-Atlantique et de Bretagne sont favorables à la réunification.

Il existe déjà une intercommunalité répartie sur trois départements : la Loire-Atlantique, le Morbihan et l’Ille-et-Vilaine. Ainsi, la communauté de communes du pays de Redon se compose de cinq communes de Loire-Atlantique, neuf du Morbihan et douze d’Ille-et-Vilaine.

Sur le plan administratif, la région fonctionne déjà à cinq départements dans le domaine judiciaire. Par exemple, la cour d’appel est à Rennes.

Lors des manifestations pacifiques à Nantes en avril, en juin, et en septembre dernier, avec plus de 30 000 personnes, les populations ont largement montré leur attachement au regroupement dans une même région des cinq départements bretons. Il semble d’ailleurs que les jeunes soient beaucoup plus favorables encore à l’idée régionale que leurs aînés.

À cinq départements, et avec 4,6 millions d’habitants, la Bretagne sera une véritable région à dimension européenne.

Je ne doute pas, mes chers collègues, que les représentants du peuple sont à l’écoute des populations. Avec mes collègues Michel Canevet, Françoise Gatel, Philippe Paul et Olivier Cadic, nous soutiendrons des amendements dans ce sens. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral. Comme j’aime toujours à écouter ce qu’ont à dire les uns et les autres, j’ai été attentif aux orateurs qui viennent de s’exprimer. Ce faisant, je me suis rendu compte que la très grande majorité d’entre eux se situaient dans la ligne du rapport élaboré par Jean-Pierre Raffarin et Yves Krattinger et approuvé par notre assemblée.

M. Roger Karoutchi. C’est logique !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. On nous demande de constituer de nouvelles régions, de transformer les conseils régionaux, sans nous dire pourquoi ! Il nous faudrait donc une feuille de route, qui viendra avec le second texte. Monsieur le ministre, vous conviendrez qu’il n’est pas facile, sur le plan intellectuel, de scinder en deux ce processus. Certes, c’est arrivé dans le passé, mais ce n’est pas une raison pour recourir à ces mauvaises méthodes.

M. Bruno Sido. Bis repetita placent !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Cet article 1er A est important : nous tenons à ce que les régions disposent de compétences stratégiques, et c’est uniquement cet objectif qui justifie qu’on en étende le périmètre. Partant, leur confier toute une série de charges de gestion…

M. Roger Karoutchi. … n’a aucun intérêt !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Ce n’est même pas que cela n’a aucun intérêt ; cela n’a aucun sens !

On peut toujours tenter de redéfinir les compétences des départements. Monsieur le ministre, la loi Raffarin avait tenté de clarifier celles-ci, mais nous n’étions pas allés jusqu’au bout en raison des oppositions qui étaient apparues. Ce sera peut-être plus facile aujourd’hui dans la mesure où, puisque leurs ressources sont moindres, les collectivités locales auront moins tendance à s’occuper de questions qui ne relèvent pas de leur compétence.

Quand on réduit les ressources, les gens font bien plus attention !

M. Bruno Sido. C’est arithmétique !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Le département est indispensable. Tout le monde en convient, sauf deux ou trois de nos collègues, grenouilles qui veulent se faire aussi grosses que le bœuf.

M. Bruno Sido. Les Verts !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Non, je ne vise pas les Verts ! Leur point de vue est différent, mais il est intéressant.

Monsieur le ministre, la question qui préoccupe également tous les élus, c’est celle-ci : que va-t-on faire de l’intercommunalité ?

Dans le débat, j’entends aussi certains réclamer de la « supracommunalité ». Nous voulons, nous, de l’intercommunalité. Soyons donc prudents, d’autant que nous finissons à peine la carte des intercommunalités. J’en parle d’autant plus à l’aise que je suis élu d’Ile-de-France et que je ne suis donc pas concerné pour l’instant par des regroupements.

M. Roger Karoutchi. Cela viendra !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. En effet, mon cher collègue, d’autres regroupements nous inquiètent…

C’est dans ce cadre que le Sénat, de façon très majoritaire, comme vous allez le voir, monsieur le ministre, souhaite s’inscrire pour engager le débat sur les compétences. Certes, on peut toujours penser que l’article 1er A n’a pas une valeur législative forte, mais il est malgré tout important.

Nous avons entendu M. le Premier ministre hier. Nous vous avons entendu aujourd’hui, monsieur le ministre. Nous avons aussi entendu M. Vallini, et, dans le temps, l’on note pour le moins des nuances dans les propos de certains de vos secrétaires d’État…

M. Bruno Sido. Ce sont bien plus que des nuances !

M. Roger Karoutchi. C’est même franchement contradictoire !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. De grands admirateurs du département finissent par être favorables à sa suppression... Que voulez-vous, c’est ainsi ! (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.)

Quant à moi, je pense qu’il faut tout de même faire preuve d’une certaine constance. Il faut moderniser les structures des collectivités locales et réaliser des économies. Vous en avez cité, monsieur le ministre, un exemple tout à fait frappant. Mais que démontre-t-il ? Vous auriez tout aussi bien pu engager une fusion des communes. Pourquoi pas ? Quand, dans deux communes proches, on multiplie les équipements, il y a des doublons. Cela peut se produire. Une telle fusion avait été manquée en 1972, mais ce n’est pas une raison pour ne pas envisager cette solution dans certains cas.

En revanche, je ne pense pas que l’on fasse des économies en éloignant en permanence les administrations de la population, notamment dans le cadre régional.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. En effet, vous devrez créer des superstructures administratives pour gérer tous les besoins de proximité.

Je ne voudrais pas donner l’exemple des routes, mais, étant conseiller général depuis quelque trente-trois ans, je pense vraiment que le conseil général a toujours bien géré la voirie départementale. Il a d’ailleurs repris des structures de l’État, les directions départementales de l’équipement, qu’il a intégrées dans de très bonnes conditions.

Si l’objectif est non pas seulement de réaliser des économies, mais de donner aux régions une capacité d’intervention dans le domaine économique, je le partage. Les choses n’ont pas trop été précisées, parce qu’on ne pouvait le faire à ce stade et que nous le ferons dans la loi sur les compétences. Il est toutefois évident que c’est à la région qu’il revient de s’occuper de l’enseignement supérieur et de la recherche.

M. Bruno Sido. Bien sûr !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. J’ai entendu le Premier ministre, et la région pourrait aussi s’intéresser à l’emploi, puisqu’elle a la charge de la formation professionnelle. C’est le bon échelon pour raisonner dans ce domaine.

Néanmoins, pour des besoins de proximité, et pas seulement la solidarité locale, car le rôle des conseils généraux ne saurait se borner aux seuls RSA, APH et APA. Si les conseils généraux ont été extrêmement dynamiques pour le développement des territoires, c’est qu’ils avaient d’autres compétences d’assistance aux communes, ou qui concernaient un certain nombre d’équipements. C’est le sens du texte élaboré la commission spéciale.

C’est dans ce cadre, monsieur le ministre, je vous l’annonce, que nous bâtirons le texte sur les compétences. Je pense que nous pouvons nous prouver, vous prouver – au sein du Gouvernement, certains ministres sont aussi des élus locaux et savent très bien de quoi l’on parle, d'ailleurs –, mais aussi prouver aux grands experts, qui voudraient nous faire accroire que les communes et les départements sont dépassés, qu’il n’en est rien. Car les nouvelles structures que l’on veut faire vivre, jusqu’à présent, n’ont pas encore montré leur totale efficacité ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. L'amendement n° 54, présenté par M. Doligé, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Remplacer les mots :

et de la solidarité territoriaux et de la cohésion sociale sur leur territoire

par les mots :

territorial, de la solidarité et de la cohésion sociale sur leur territoire

La parole est à M. Éric Doligé.

M. Éric Doligé. Madame la présidente, monsieur le ministre, je remercie Jean-Jacques Hyest d’avoir rappelé la complexité de la tâche qui nous incombe : essayer de parvenir au meilleur texte possible sans savoir exactement où nous allons. La démarche n’est pas facile, mais nous allons tout de même essayer de progresser.

Cet article 1er A est un article important, puisqu’il pose le problème au fond.

À entendre les uns et les autres depuis un certain temps, que ce soit en commission spéciale ou lors des différents débats qui se sont tenus dans cet hémicycle, j’ai la certitude que nous serions en capacité, tous ensemble, de parvenir vraiment à un bon texte, à de bonnes cartes et à de bons territoires si nous disposions du temps nécessaire pour le faire dans des conditions raisonnables et en confrontant par la base, donc par nous, nos positions.

Cela étant, puisque nous manquons de temps, essayons d’aller à l’essentiel. Je vous propose donc, mes chers collègues, dans l’article 1er A nouveau, de modifier l’une des phrases concernant les départements, qui n’est pas de lecture facile. Je propose d’écrire que « les départements sont garants du développement territorial, de la solidarité et de la cohésion sociale sur leur territoire ». Ce serait un bon début pour ce texte.

M. Jean-Pierre Sueur. Ce serait mieux rédigé !

M. Éric Doligé. Merci, monsieur le professeur Sueur ! (Sourires.)

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur. Cet article 1er A résulte d’une disposition que j’ai proposée et que la commission a votée. Toutefois, je n’ai pas d’orgueil personnel et j’émets un avis favorable sur l’amendement de notre collègue Doligé.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je ne suis pas favorable à l’amendement n° 54, non pas parce que cette disposition n’apporterait pas une amélioration rédactionnelle, mais parce que le Gouvernement n’approuve pas cet article introduit par la commission spéciale. En effet, il n’a aucune portée normative et nous estimons qu’il n’est pas souhaitable d’introduire de telles dispositions, qui au surplus n’ont pas relation directe avec l’objet de notre discussion.

Mme Éliane Assassi. Ce ne serait pas la première fois !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Dans un souci de cohérence que chacun comprendra, je ne puis donc être favorable à cet amendement, même s’il tend à apporter une amélioration rédactionnelle que je ne conteste pas.

Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.

M. Roger Karoutchi. Je n’avais pas prévu d’intervenir, mais je voudrais rebondir sur le rejet de cet amendement par M. le ministre, qui argue que cet article ne serait pas normatif – ce serait la seule raison pour laquelle le Gouvernement n’y est pas favorable.

Toutefois, monsieur le ministre, comme l’ont expliqué tous les orateurs, c’est justement parce que nous avons quelques doutes sur le second texte de loi que nous avons introduit cet article.

En réalité, cet article qui n’est pas normatif est un article d’appel. Nous sommes convaincus que le Gouvernement, à l’écoute constante du Parlement, notamment du Sénat, sur les collectivités territoriales, comprendra qu’il constitue les prémices du débat sur le second texte et entendra notre message. De grâce, quand nous aurons examiné ce premier texte, qui, en réalité, aurait dû arriver ensuite, ne détricotez pas les compétences des départements, ne détruisez pas l’équilibre que nous souhaitons en nous disant que, aujourd’hui, on découpe les régions et que, demain, on s’occupera des compétences.

Il s'agit d’un appel du Sénat. Bien sûr, cette disposition n’est pas normative. Toutefois, je propose que le Gouvernement, fidèle à l’esprit d’ouverture du Premier ministre, entende cet appel et s’en remette plutôt à la sagesse du Sénat, ce qui constituerait une ouverture tout à fait positive pour la suite de nos débats. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.

M. René-Paul Savary. Monsieur le ministre, vous nous donnez l’impression de fermer déjà la porte, de nous la claquer au visage de façon abrupte, dès l’article 1er A ! (Marques d’approbations sur les travées de l'UMP.) Bien sûr, nous tenons à réaffirmer – je crois que l’idée progresse – que, pendant un certain temps, et même un temps certain, il faut maintenir ces départements. Et sur deux pieds, pour qu’ils tiennent debout !

Les départements sont un amortisseur social et un amortisseur territorial. Ce n’est pas en période de crise qu’il faut les remettre en cause, d’autant que les intercommunalités n’ont pas la compétence sociale. Il faudra des années pour qu’elles arrivent à acquérir cette compétence ; elles n’ont pas l’expertise qu’ont acquise les départements depuis les premières lois de décentralisation de 1982.

Le maintien des départements est incontournable pendant un certain nombre d’années. Ce grand projet de régions stratèges, qui tireraient vers le haut l’ensemble des territoires, ne peut tenir que s’il existe des structures de taille critique qui assurent les compétences de proximité. Sinon, on ne s’en sortira pas, et le schéma ne tiendra pas.

Nous restons donc toujours dans le même raisonnement, celui du rapport Raffarin-Krattinger, à savoir de grandes régions avec une assise départementale – un échelon départemental incontournable dans le paysage actuel. Monsieur le ministre, je rejoins mon collègue Karoutchi : donner un avis de sagesse nous conforterait dans notre volonté de bâtir avec vous un schéma cohérent. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.

M. Jean Louis Masson. Je voterai cet amendement, mais j’ai tout de même l’impression que le Sénat se fait plaisir, parce que cet article n’a aucune portée et n’offre aucune garantie. On se donne bonne conscience, on fait semblant d’être content ! En effet, même si l’amendement est voté, cela ne changera rien aux menaces qui pèsent pour plus tard.

Je voterai donc l’amendement, mais en ne me faisant que peu d’illusions sur son efficacité.

Mme la présidente. La parole est à M. René Vandierendonck, pour explication de vote.

M. René Vandierendonck. Quelqu’un ici a-t-il plus de savoir-faire en matière de droit et de logistique que le président Hyest ?

Pourquoi cet article 1er A ? Tout simplement, comme cela a été dit sur toutes les travées, parce que la discussion a besoin de commencer par une séance d’exorcisme. Il faut exorciser la crainte de voir disparaître le département, une crainte que, convenez-en, mes chers collègues, les déclarations gouvernementales n’écartent pas complètement. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Je donne acte, je l’ai dit sans ambiguïté, au Premier ministre de la clarté de son exposé. Néanmoins, il est évident, et je le dis avec beaucoup de respect pour la manière dont le président Hyest conduit cette commission spéciale, que le groupe socialiste votera cet article.

Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.

M. Ronan Dantec. Puisque nous parlons d’exorcisme, le problème est que le diable peut se nicher dans les détails.

Pour ma part, le libellé de cet amendement, dont on comprend bien le principe, me pose un sérieux problème : « Les départements sont garants du développement territorial […] ». Mes chers collègues, compte tenu de ce que nous avons dit, ne pensez-vous pas que ce sont les régions qui devraient être garantes du développement territorial ? Finalement, en laissant le département garant du développement territorial, on dédouane un peu facilement les régions de leurs responsabilités d’aménagement du territoire.

Que le département participe du développement territorial, qu’il assure la cohésion sociale, j’en suis d’accord. Mais considérer que l’on construit de grandes régions au rôle stratégique et que, derrière, le département doit rester le garant du développement territorial, c’est laisser les petits départements pauvres garants de leur développement territorial. Je trouve ce libellé extrêmement dangereux ; il pourrait être assez contre-productif par rapport à l’idée qui a été développée dans les interventions précédentes.

Je ne voterai pas cet amendement, que je trouve mal rédigé. J’en comprends bien l’idée, et il existe, je pense, un relatif consensus entre nous. Je me suis d’ailleurs exprimé hier sur le fait que le département continuera à exister. Néanmoins, ne dédouanons pas les régions du fait qu’elles sont garantes du développement territorial équilibré de l’ensemble de la région.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. J’ai bien conscience qu’il s’agit d’un exercice d’exorcisme, mais, depuis que j’assiste à cette séance, la pensée magique règne ! (Sourires sur les travées du RDSE.) Ainsi, l’on nous dit qu’un regroupement des régions permettrait de faire des économies et qu’en faisant des économies, on réglera le problème du chômage. Si ce n’est pas de la pensée magique, qu’est-ce que c’est ?

Il semble tout à fait approprié de se livrer à cet exercice, et je voterai donc cet amendement qui tend à améliorer la rédaction de l’article 1er A.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Je souhaiterais intervenir à la suite des propos de M. Dantec. En effet, dans cet exercice introductif, qui consiste à créer une sorte de climat, de respect mutuel entre les différentes collectivités, il est bien écrit, à l’alinéa suivant, que « les régions contribuent au développement économique et à l'aménagement stratégique de leur territoire ». Et on sait bien que, là où cela fonctionne, c’est quand on trouve la bonne synergie entre une région et les départements. Il y a non pas contradiction mais complémentarité.

Donc, dans cet état d’esprit, monsieur le ministre, il me semble sage que, en prélude à ce débat, comme l’a très bien dit René Vandierendonck, notre assemblée se réunisse autour de ces formulations. (Très bien ! et applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Un geste, monsieur le ministre !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Trop de bonheur d’un seul coup ne nuit pas ! (Rires.) On n’est jamais déçu, dans cette assemblée, de voir des incitations à le vivre de façon collective. Je ne me suis jamais senti aussi soutenu, je dois le dire, que cet après-midi… (Nouveaux rires. – Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)

Plus sérieusement, je voudrais développer quelques réponses aux interpellations des intervenants précédents.

D’abord, messieurs les sénateurs, vous m’invitez à la sagesse. Sur ce point, j’espère vous avoir convaincus, compte tenu du temps que nous avons passé ensemble depuis de nombreux mois, que c’est mon tempérament, ma nature. Donc, vous n’avez pas à me convaincre. (Sourires.)

Néanmoins, pour nourrir une grande passion à l’égard de cette assemblée dans laquelle je n’ai jamais siégé et ne siégerai jamais (Exclamations et rires ironiques sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Pierre Sueur. Soyez prudent !

M. Alain Gournac. Il ne faut jamais dire « jamais » !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Pour ce qui concerne le territoire qui est le mien, vous avez parmi vous un sénateur de ma sensibilité tellement bon que vous y perdriez beaucoup si vous m’accueilliez en votre sein. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)

La sagesse du Sénat – c’est d’ailleurs une des principales raisons de la passion que je nourris pour cette assemblée et pour ses débats – a toujours conduit les sénateurs les plus sages à considérer que la qualité du travail législatif du Sénat ne devait jamais le conduire à introduire dans ses textes des articles sans portée normative – je vois, à travers le sourire de Roger Karoutchi, qu’il est bien ennuyé par l’argument qu’il voit poindre –…

M. Roger Karoutchi. Absolument pas !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. … et, en outre, qu’il n’était pas non plus souhaitable que l’on mît dans des textes portant sur un sujet donné des paragraphes et des articles non normatifs qui n’avaient rien à voir avec ce sujet.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Ce n’est pas exact !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Par conséquent, je comprends que vous en appeliez à la sagesse du Gouvernement. J’en appelle à la sagesse légendaire du Sénat, qui l’a conduit si souvent à refuser ce que vous lui proposez de faire aujourd’hui.

Voilà un premier élément de réponse. (M. Roger Karoutchi hoche la tête en signe de doute.)

Vous me dites ensuite que je ferme la porte. Non, je ne ferme la porte sur aucun sujet, et je comprends parfaitement que vous vouliez introduire cet article dans le texte car la grande confiance que vous avez dans le discours du Premier ministre et dans le mien n’exclut pas une petite méfiance de votre part. (M. Antoine Lefèvre s’exclame.).

MM. Roger Karoutchi et Alain Gournac. Le second texte !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Toutefois, si vous voulez que nous ouvrions des portes et que nous cheminions ensemble dans le compromis, il faut que la confiance que j’ai dans la sagesse du Sénat, et elle est considérable, ait en contrepartie un minimum de confiance dans la volonté du Gouvernement de tenir les engagements qu’il a pris par la voix du Premier ministre hier.

D’abord, un texte traitera des compétences. Ensuite, sur le département, M. le Premier ministre a été extrêmement clair, et je remercie M. René Vandierendonck de l’avoir dit. Par conséquent, si nous voulons faire preuve de cet esprit d’ouverture que vous indiquez – et qui est le mien –, il faut que nous cheminions ensemble, je le répète, en faisant un pas l’un vers l’autre.

Aussi, je propose que l’on s’abstienne d’insérer dans ce projet de loi un article qui n’a pas de portée normative et qui n’a aucun rapport avec le texte, afin que nous puissions, en confiance, aborder tous les sujets légitimes que vous venez d’évoquer et qui justifient de cet article dans le texte suivant, pour l’examen duquel le Gouvernement sera dans l’état d’esprit que vous a indiqué le Premier ministre hier.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 54.

(L'amendement est adopté.) – (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. L'amendement n° 35 rectifié, présenté par MM. Guerriau, Canevet et Paul, Mme Gatel et M. Cadic, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Compléter cet alinéa par un membre de phrase ainsi rédigé :

ils peuvent choisir la région à laquelle ils sont rattachés ;

La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Nous proposons de compléter cet alinéa par une phrase qui permette au département d’être manifestement en situation de pouvoir choisir sa région de rattachement.

En effet, par cet amendement, nous affirmons notre volonté de prendre en considération la diversité des situations et d’offrir plusieurs possibilités de fusion.

Il s’agit là de reconnaître les réalités locales en laissant une liberté de choix au niveau départemental dès la composition du découpage des nouvelles régions. Cette liberté est un droit constitutionnel que nous ne pouvons pas nier. On le sait, certaines régions sont artificielles, car elles regroupent des départements aux identités diverses.

Nous, nous voulons offrir aux départements le choix d’appartenir à la nouvelle région de leur choix, indépendamment les uns des autres. Quand un département a une identité forte en commun avec une région, nous ne souhaitons pas qu’il soit contraint de fusionner avec une autre région.

C’est pourquoi, mes chers collègues, afin que puissent se dessiner des territoires cohérents, nous vous invitons à soutenir cet amendement qui tend à apporter de la pluralité dans les choix de fusion.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission sollicite le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable. En effet, le sujet que vous traitez relève en réalité de l’article 3, et non de l’article 1er A.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

Mme la présidente. Monsieur Guerriau, l'amendement n° 35 rectifié est-il maintenu ?

M. Joël Guerriau. J’entends bien qu’il s’agit de l’article 3 – nous y reviendrons –, mais pour que cet article ait du sens, encore faut-il que l’on ait bien défini au préalable les conditions de son ouverture. Or, dans l’article 3, rien ne permet d’opérer une fusion entre une région et un département pour constituer une nouvelle région.

C’est la raison pour laquelle nous avons déposé cet amendement. Cela étant, compte tenu de la demande du Gouvernement et de la commission, nous le retirons.

Mme la présidente. L'amendement n° 35 rectifié est retiré.

L'amendement n° 40 rectifié, présenté par MM. Guerriau et Canevet, Mme Gatel et MM. Paul et Cadic, est ainsi libellé :

Alinéa 4

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Le nouveau périmètre des régions est créé dans les limites territoriales d’une ou plusieurs régions ou d’un ou plusieurs départements limitrophes.

La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Cet amendement s’inscrit dans le même esprit que le précédent.

Le dogme de la création de nouvelles régions uniquement par fusion de régions ou sous forme de statu quo interdit une recomposition cohérente, notamment en ce qui concerne l’ouest de la France. D’ailleurs, un territoire trop étendu n’a jamais prouvé son efficacité. Le risque est de se couper de la proximité en fabriquant des ensembles technocratiques, déconnectés de la réalité quotidienne de nos concitoyens.

En Allemagne, les régions se sont construites sur des bases historiques et sont restées inchangées. Le Land de Brême, placé à la deuxième place pour le nombre d’habitants, est le plus petit en taille. Des régions claires et identifiées – la Normandie, la Bretagne et le Val de Loire – seront économiquement bien plus efficaces et démocratiquement plus légitimes que des régions technocratiques.

Tel est l’objet de cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission sollicite le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable, puisque ce sujet relève en l’occurrence de l’article 2.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis. Je ne peux qu’être très défavorable à l’introduction, par voie d’amendement à un article non normatif, de matières qui relèvent d’articles normatifs ultérieurs.

Mme la présidente. Monsieur Guerriau, l'amendement n° 40 rectifié est-il maintenu ?

M. Joël Guerriau. Oui, cette fois-ci, madame la présidente, nous ne le retirons pas.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 40 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Dubois, pour explication de vote sur l’article.

M. Daniel Dubois. J’ai lu avec attention cet article 1erA. Comme l’a dit tout à l’heure très justement M. le ministre, il s’agit d’une déclaration d’intention sans portée normative. Une telle déclaration d’intention, soit ! Mais pour quoi faire et avec quels moyens ?

Monsieur le président de la commission spéciale, je vous ai entendu tout à l’heure dire que les régions étaient des stratèges. Aussi, je m’interroge : si la région est stratège, et si le triptyque département-communautés de communes-communes est un opérateur de proximité, ce qui était a priori la suite logique de votre réflexion, j’ai un peu l’impression que les travaux issus de nos débats ne vont pas remettre à l’endroit des choses qui ont été prévues à l’envers. En effet, finalement, vous voulez parler d’abord des compétences, avant de déterminer ce que nous ferons.

Si vous dites que la région est stratège et que nous proposons ici au Sénat de passer de treize régions à quinze, la cohérence n’est pas assurée. J’avais plutôt l’impression qu’il fallait passer de treize régions à dix : ainsi, on ne discuterait plus de l’utilité du département, qui s’imposerait, mes chers collègues. En revanche, avec huit ou dix régions, on en revient au rapport Raffarin-Krattinger.

Par conséquent, nous touchons au cœur du débat préalable de ce texte : oui à l’évolution, mais pour quoi faire ? Si l’on est effectivement d’accord sur ces deux principes, pour un stratège, la région, il faut définir le nombre de régions, et pour le triptyque opérationnel département-communautés de communes-communes, il faut décider pour quoi faire, puisque c’est l’opérateur de proximité, et, enfin, avec quels moyens. Là, on retrouve une certaine logique.

Voilà ce que je voulais dire avant d’expliquer ma position sur l’article 1erA. Je vais naturellement voter cet article, car il est une déclaration d’intention, qui confirme l’importance des communes, des communautés de communes et des départements. Toutefois, j’ai un peu l’impression que, pour la cohérence de nos débats, on ne va pas dans le bon sens. (MM. Jackie Pierre et Michel Raison applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Mon cher collègue, votre vision est pertinente, mais je ne me suis pas permis de dire qu’il faudrait huit régions comme cela était indiqué dans le rapport Raffarin-Krattinger. Nous n’avons peut-être pas visé assez haut, mais cela nous aurait entraînés dans des débats compliqués.

Monsieur le ministre, bien entendu, une telle déclaration n’est pas normative, je le sais pertinemment, mais c’est notre feuille de route. Celle-ci ne nous engage pas vis-à-vis du Gouvernement ; il s’agit d’affirmer dès à présent que le Sénat s’inscrira dans ces objectifs de maintien des départements, des communes, des intercommunalités, lorsque nous examinerons le second texte. Cela nous revient presque exclusivement, mais dans le même temps on prévient le Gouvernement.

Il est important pour le Sénat d’affirmer sa volonté. Après avoir beaucoup œuvré les années précédentes, il a une vision tout à fait claire.

Certes, on aurait pu diminuer encore le nombre de régions. Était-ce possible ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Peut-être, mais attendons la suite de nos débats sur la carte territoriale, monsieur le ministre.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.

M. Jean Louis Masson. Je voterai cet article, mais je ne voudrais pas que, du vote de cet article, on déduise que, logiquement, le nombre des régions devrait être ramené à dix ou à huit.

La question que l’on devrait poser est la suivante : pourquoi faut-il de grandes régions ? Va-t-on gagner un centime de frais de gestion en créant de grandes régions ?

Mme Valérie Létard. Non, zéro !

M. Jean Louis Masson. Est-ce que, soudainement, parce qu’on crée de grandes régions, le chômage disparaîtra et l’économie fonctionnera mieux. C’est complètement fumeux !

Si, en Allemagne, certaines régions sont florissantes, cela n’a rien à voir avec leur taille, c’est en raison de leur structure économique, différente de la nôtre, et parce que nos voisins allemands se débrouillent plutôt mieux que nous.

On est en train de bourrer la tête de nos concitoyens en leur faisant croire que tout va aller mieux si l’on crée de grandes régions. Pour moi, c’est de l’utopie totale !

Quoi qu’il en soit, je ne voterai pas ce projet de loi, de même que je ne voterai pas le second. Dans une telle affaire, on part avec des axiomes, des a priori. On est persuadé, sans savoir pourquoi, qu’il faut de grandes régions et que tout ira mieux : on pourra faire des TGV, des autoroutes ; les moyens nécessaires existeront.

Le problème est le même avec les communes : quand on fusionne deux communes pauvres, on obtient une grande commune pauvre. Les gens ne sont pas plus riches pour autant ! Si vous fusionnez deux communes pauvres, elles n’auront globalement pas plus de moyens.

Donc, on est dans l’utopie totale. On a brouillé la vision de nos concitoyens.

Pour ma part, je ne supporte pas qu’on nous dise maintenant qu’il faut dix régions. Pourquoi pas deux ou trois régions, tant qu’on y est ?

M. François Grosdidier. Ou une seule ? (Sourires.)

M. Jean Louis Masson. Puisque tout ira mieux si on crée dix régions au lieu de quinze, pourquoi ne pas en créer cinq ? Ça ira encore mieux !

Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Giraud, pour explication de vote.

Mme Éliane Giraud. Je ne peux pas entendre des réflexions de ce genre dans cette assemblée ; ce n’est pas sérieux !

Aujourd'hui, il existe déjà de grandes régions. Pour ma part, je fais partie d’une très grande région, qui a déjà une taille européenne, la région Rhône-Alpes. Mais nous savons très bien qu’avec la région Auvergne, qui est une petite région, nous allons faire corps (Rires sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du RDSE. – M. Jacques Mézard s’exclame.) pour accroître de façon extrêmement importante nos possibilités de développement.

Mme Éliane Assassi. Excellent ! (Rires.)

Mme Éliane Giraud. Pas avec vous, monsieur Mézard, ne vous inquiétez pas, n’ayez pas peur ! Nous ferons cette fusion avec le président René Souchon, par exemple, qui la souhaite.

Grâce à des pôles de compétitivité tels que ViaMéca, à des entreprises innovantes, nous aurons une représentation internationale beaucoup plus forte.

Comme je l’ai dit tout à l’heure, je pense que nous ne devons pas avoir une vision institutionnelle. Nous devons avoir une vision de la France de demain, dans laquelle l’économie a besoin des politiques. Je regrette que nous ayons une vision trop courte, une vision institutionnelle est trop étroite. Nous avons besoin d’une vision beaucoup plus large et d’une présence auprès de l’ensemble des acteurs de la société civile, notamment des entreprises de notre territoire.

Je pense que les régions doivent être de grandes dimensions. On nous demande d’avoir une vision de l’avenir et c’est cette vision que nous devons porter.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote. (Exclamations amusées sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. Jacques Mézard. Chère collègue qui venez d’intervenir, permettez-moi de vous dire que toutes les opinions peuvent être exprimées dans cette enceinte,…

Mme Éliane Giraud. Même la mienne !

M. Jacques Mézard. … même si elles ne vous plaisent pas.

Pour rebondir sur vos propos, je ne pense pas que sur le choix de découpage tel qu’il a été fait nous ayons, pour l’instant en tout cas, une once d’explication, de motivation. Vous nous dites que vous faites déjà partie d’une grande région, que vous savez faire, que vous pouvez donc annexer la région voisine, ça n’en sera que meilleur.

Mme Éliane Giraud. On travaille !

M. Jacques Mézard. Vous travaillez, mais vous n’êtes pas les seuls ! Vous savez, nous avons l’habitude de recevoir des leçons depuis un certain nombre d’années.

M. Jacques Chiron. Pour votre part, vous en donnez beaucoup !

M. Jacques Mézard. Oh non ! J’essaie juste d’être fidèle à la même ligne et de ne pas changer tous les trois mois de position sur la réforme territoriale et les institutions. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et sur plusieurs travées de l'UDI-UC.) Tout le monde ne peut pas en dire autant ! (Mme Éliane Giraud s’exclame.)

M. Jacques Mézard. Vous parlez de là-bas, madame. Moi qui suis de là-bas, j’aimerais bien que vous sachiez où c’est et comment on y vit !

Un sénateur du groupe UMP. Et comment on y va !

M. Jacques Mézard. Et, en effet, comment on y va, car c’est une véritable priorité.

Il faut faire attention vis-à-vis de nos concitoyens. On ne peut pas traiter ce type de problèmes seulement avec, permettez-moi de le dire, des éléments de langage « solfériniens ». Il faut tenir compte des réalités et entendre ceux qui formulent de véritables objections. Ensuite, on peut ne pas être d’accord et avoir des visions différentes.

Je rends souvent hommage à la qualité du travail qu’effectue notre collègue René Vandierendonck et à sa capacité d’écoute des uns et des autres. Si tout le monde fonctionnait de cette manière, nous aurions travaillé de meilleure façon…

M. Jacques Mézard. … et nous ne connaîtrions pas ces situations où l’arbitraire décide.

M. Antoine Lefèvre. C’est vrai !

M. Jacques Mézard. Ce n’est pas raisonnable ; nous faisons du mauvais travail. (Mme Sophie Primas applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.

M. Bruno Retailleau. Je rappelle que, avec l’article 1er A, nous n’en sommes pas encore parvenus à la délimitation des régions.

Monsieur le ministre, cet article n’a certes pas de portée normative, mais, à nos yeux, il est essentiel, car il va donner du sens à ce projet de loi et au suivant.

Nous avons tous dit combien nous étions attachés à la proximité. La proximité, c’est le lien démocratique, le lien social, l’efficacité. Dans une société ouverte, les bonnes décisions sont celles qui sont prises proches du terrain, car elles constituent des solutions plus adaptées aux problèmes. En outre, elles sont mieux comprises.

La proximité, c’est aussi un principe de responsabilité. Vous savez très bien que cette responsabilité pèse sur les épaules des élus locaux, qui peuvent être sanctionnés par leurs concitoyens. Nous souhaitons donc que le principe de proximité soit le principe premier de la réforme territoriale.

La traduction juridique du principe de proximité, c’est le principe constitutionnel de subsidiarité. Nous avons tenu à le rappeler. C’est la première raison pour laquelle l’article 1er A, mes chers collègues, est pour nous fondamental.

La seconde raison, c’est que nous ne pourrons pas exprimer un avis sur le présent texte et un vote sans avoir le second texte dans la trajectoire législative. Le principe de subsidiarité constitue déjà, Jean-Jacques Hyest le disait excellemment tout à l’heure, un point de départ des discussions que nous aurons sur les compétences.

Je le répète, même si, sur le plan de la légistique, cet article n’a pas de portée normative, il est pour nous essentiel, car, en tant qu’élus politiques, nous devons donner du sens à nos votes et à nos actions. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur le président Hyest, monsieur Retailleau, je comprends parfaitement la démarche qui est la vôtre. Vous voulez une direction, une orientation et vous voulez qu’elle soit connue dès le début de la discussion qui s’engage sur les textes relatifs aux collectivités territoriales.

M. Hyest a d’ailleurs précisé que l’article 1er A était destiné à dire au Gouvernement ce que nous voulons. Le Gouvernement a compris ce que vous vouliez. En effet, le Premier ministre a repris une grande partie de ce qui relève de cet article dans un discours qu’il a tenu hier devant le Sénat et qui l’engage. Par conséquent, je vous indique, puisque telle est votre préoccupation, que votre article 1er A est satisfait par les engagements qui ont été pris par le Gouvernement devant vous.

M. François Grosdidier. Cela va mieux en l’écrivant !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Vous savez très bien que les débats du Sénat, comme ceux de l’Assemblée nationale, font l’objet de comptes rendus, que ceux-ci font foi, y compris devant le Conseil constitutionnel. Les engagements ont donc une traçabilité.

Je comprends parfaitement que vous ayez cette préoccupation, mesdames, messieurs les sénateurs. M. le Premier ministre et moi-même y avons répondu dans la réponse qui vous a été adressée. Par conséquent, nous pouvons considérer, dès lors que la volonté est d’être constructif, que le début d’une construction commune, c’est une confiance.

M. Jean-François Husson. Elle a été échaudée !

M. André Reichardt. Il faut des preuves d’amour !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous nous sommes exprimés, et il y a une traçabilité de nos propos. Je vous propose de construire dans la confiance. (Mmes Éliane Giraud et Catherine Tasca applaudissent.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er A, modifié.

(L'article 1er A est adopté.) – (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. Je constate que cet article a été adopté à l’unanimité des suffrages exprimés.

Article 1er A
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Article 1er (début)

Articles additionnels après l'article 1er A

Mme la présidente. L'amendement n° 7, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :

Après l’article 1er A

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Si, avant le 1er mars 2015, tous les conseils généraux et le conseil régional d'une région actuelle demandent à fusionner en une collectivité territoriale unique, cette fusion est prononcée par décret.

La collectivité territoriale unique visée au premier alinéa exerce l’ensemble des compétences attribuées par la loi à la région et aux départements qu’elle regroupe. Elle leur succède dans tous leurs droits et obligations.

Le présent article s’applique par dérogation à l'article L. 4124–1 du code général des collectivités territoriales et par dérogation aux autres articles de la présente loi.

La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Ce projet de loi repose essentiellement sur le concept, totalement fumeux selon moi, qu’il faut créer de grandes régions de taille européenne. Or si de telles régions doivent demain gérer les routes actuellement départementales et des lycées, il n’y a pas de raison qu’elles soient de taille européenne. D’ailleurs, on se demande ce que signifie « de taille européenne ».

Un petit pays comme le Luxembourg n’a manifestement pas la taille d’une région prétendument à taille européenne, mais il fonctionne sacrément mieux que la France. Avouez qu’il y a de quoi se poser des questions ! Moi qui suis voisin du Luxembourg, je peux vous dire que c’est autre chose que la France…

Le Luxembourg est la meilleure preuve que les prétendues régions de taille européenne sont un concept fumeux. On trompe les gens, on amuse les foules.

En revanche, ce qui est défendable, c’est la volonté de réduire les dépenses de ce que l’on appelle le millefeuille, mais on peut les réduire autrement qu’en créant de très grandes régions et en supprimant les départements.

Je considère que, dans certains endroits, il serait tout à fait pertinent de conserver les régions actuelles, qui sont de taille humaine, et de les fusionner avec les départements. Je soutiendrai donc sans réserve le dispositif proposé pour l’Alsace, et je pense que ce serait très bien de faire de même en Lorraine, voire en Champagne-Ardenne.

Certains, en Rhône-Alpes, pensent qu’ils sont meilleurs que tous les autres, que leur région n’est pas encore assez grande, qu’elle n’a pas encore mangé assez de voisins, qu’il faudrait qu’elle en mange encore un peu plus pour être encore plus grande. Je veux bien, mais je ne vois pas pourquoi on irait mettre des bâtons dans les roues de ceux qui se sentent bien comme ils sont et qui fonctionnent bien.

Nos voisins alsaciens ne sont pas si mauvais que cela. Si on compare leur bilan économique à ceux d’autres régions bien plus étendues, on se rend compte qu’ils n’ont pas à rougir de leur situation.

Je pense qu’il faut autoriser une certaine diversité et permettre à ceux qui le souhaitent de fusionner région et départements au lieu de créer une grande région prétendument à taille européenne, qui réglerait tous les problèmes comme par magie. (Mmes Valérie Létard et Agnès Canayer applaudissent.)

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’avis est défavorable. Cet amendement, je le rappelle, vise à permettre la fusion des départements avec une région par la voie du décret. Or les dispositions du code général des collectivités territoriales, très précisément celles de l’article L. 4124–1, prévoient explicitement le recours à la voie législative en application du premier alinéa de l’article 72 de la Constitution.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-René Lecerf, pour explication de vote.

M. Jean-René Lecerf. Pour les raisons invoquées par M. le rapporteur, je ne voterai pas cet amendement, mais je pense qu’il a le mérite de soulever un problème intéressant.

Il me semble qu’il faudrait de temps à autre faire appel non pas à des formules préétablies par les textes, mais à l’intelligence des territoires. Celle-ci peut s’exprimer différemment dans les régions ne comptant que deux ou trois départements et dans celles comprenant une métropole, où il est plus facile d’envisager une fusion de l’ensemble des parties prenantes.

Je ne prendrai qu’un exemple, celui de la région Nord–Pas-de-Calais. L’éventualité d’en arriver à une collectivité unique réunissant le département du Nord, le département du Pas-de-Calais et la région Nord–Pas-de-Calais est aujourd'hui considérée comme extrêmement sérieuse par une majorité des élus. Si on devait y ajouter d’autres départements, une autre région – en l’occurrence la Picardie, qui ne compte pas de métropole permettant de concilier un certain nombre d’efforts –, ce type de solution ne pourrait plus être mise en œuvre.

L’amendement de M. Masson présente au moins le mérite de dire : il y a une part pour l’intelligence des territoires, dans cette part, il y a la fusion volontaire départements et région dans des régions à dimensions humaines.

Mme la présidente. La parole est à M. André Reichardt, pour explication de vote.

M. André Reichardt. En qualité d’Alsacien concerné par un amendement de ce type, permettez-moi de dire mon intérêt pour la proposition de M. Masson. Même si M. le rapporteur a émis un avis défavorable sur cet amendement, à titre personnel, je ne pourrai pas faire autrement que de le soutenir.

Dès lors que nous envisageons une expérimentation de ce type en Alsace, le moins que l’on puisse faire c’est de soutenir celles et ceux qui ont envie de s’engager dans la même voie. Je ne saurai donc qu’encourager d’autres régions à aller dans ce sens, parce que nous sommes persuadés que, si la fusion des départements et de la région en une collectivité territoriale unique n’est pas la panacée, dans certains cas elle peut fonctionner.

Mme la présidente. La parole est à M. François Grosdidier, pour explication de vote.

M. François Grosdidier. Le débat sur cet amendement m’amène à anticiper quelque peu celui qui aura lieu sur l’article 1er, parce qu’il touche au problème fondamental que pose cet article : la volonté de dessiner d’en haut la carte des nouvelles régions.

Une procédure complexe ayant pour but de fusionner les deux départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin avec la région avait été engagée en Alsace, mais elle n’a pas abouti, alors même qu’une majorité d’Alsaciens était favorable à la fusion, le « oui » n’ayant pas recueilli la majorité des voix dans le Haut-Rhin lors du référendum local organisé en avril 2013.

D’ailleurs, je regrette le retrait de l’amendement déposé par nos amis centristes sur le droit à l’autodétermination des départements, parce qu’il touche au même problème : nous nous apprêtons à imposer d’en haut des solutions qui ne sont en rien celles qui sont souhaitées localement.

Aussi, je regrette vivement que l’État n’ait pas choisi la méthode – dont l’actuelle majorité avait d’ailleurs, paradoxalement, dénoncé le caractère trop autoritaire – qui avait guidé la refonte de la carte de la coopération intercommunale : la loi fixait un cadre très précis comprenant les objectifs à atteindre, mais laissait le temps aux différentes communes et intercommunalités de s’organiser, pour peser les problèmes, parfois même pour mener des études d’impact, tout en prévoyant une date butoir au-delà de laquelle l’État retrouvait sa capacité d’initiative si les collectivités ne s’inscrivaient pas d’elles-mêmes dans le cadre légal. Je crois qu’une telle méthode aurait été infiniment souhaitable.

Aujourd’hui, la carte que nous propose la commission spéciale va finalement, à mon sens, être pire, puisque, en ne permettant pas l’expérimentation en Alsace et en l’interdisant a fortiori aux autres collectivités, on s’apprête à laisser l’Alsace seule, alors qu’elle compte moins d’habitants que la Lorraine, et à obliger les autres régions à fusionner.

On arrive donc à un résultat infiniment moins cohérent et satisfaisant que celui auquel on aurait pu parvenir en suivant une autre méthode. Intellectuellement, il est vrai, on ne peut que soutenir le droit des régions à approfondir leur organisation territoriale, plutôt qu’à l’élargir – nous y reviendrons lors de l’examen de l’article 1er.

Quoi qu’il en soit, pour ma part, je regrette que cet amendement ne soit pas juridiquement recevable – il l’est d’ailleurs d’autant moins qu’il contrevient à la règle de l’entonnoir –, car il montre bien que nous passons à côté de ce qui aurait dû être fait pour cette réforme territoriale.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.

M. Jean Louis Masson. Je ne partage pas l’analyse qui a été proposée tout à l’heure et qui vient d’être de nouveau faite concernant l’irrecevabilité juridique de mon amendement.

Mon amendement est tout à fait recevable, puisqu’il n’est pas contraire à la Constitution – en quoi le serait-il ? –, mais seulement à un article de loi existant ; or un article de loi peut modifier un autre article de loi.

Je pense que l’amendement ne sera pas adopté ; pour autant, je n’apprécie guère qu’on formule des jugements erronés sur un amendement qui, somme toute, en vaut bien d’autres.

Mme la présidente. La parole est à M. René Vandierendonck, pour explication de vote.

M. René Vandierendonck. Lors de l’examen en commission, notre collègue Gérard Longuet, notamment, a bien rappelé l’existence de la règle de l’entonnoir.

Pour ma part, je voudrais que l’on organise le débat. Il fallait un article déclaratif qui s’écarte un peu du droit, soit ! Mais revenons à présent au droit. Celui-ci ne nous permet pas, en deuxième lecture, de proposer un mécanisme de recomposition de la carte adoptée par l’Assemblée nationale, mécanisme, certes, très intelligent, monsieur Masson, mais qui n’a pas été présenté en première lecture.

M. René Vandierendonck. Comme l’a dit tout à l’heure M. Longuet, il y aura un autre texte. Tenons-nous-en donc à la méthode proposée par la commission : tâchons de délimiter stratégiquement des périmètres de régions et ensuite nous verrons comment organiser les collectivités dans le respect du principe de diversité. Cela me paraît la seule manière d’avancer.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 7.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 73, présenté par MM. Favier et Le Scouarnec, Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Après l’article 1er A

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Lorsqu’il est envisagé de créer une nouvelle collectivité territoriale dotée d’un statut particulier ou de modifier le périmètre d’une collectivité territoriale existante, il est procédé à la consultation, par voie référendaire, des électeurs inscrits dans les collectivités intéressées.

Un décret en Conseil d’État précise les conditions de cette consultation.

La parole est à M. Christian Favier.

M. Christian Favier. Cet amendement vise à permettre à notre assemblée de mettre en conformité ce texte avec les débats et les votes intervenus lors de la première lecture, en juillet dernier, il y a donc à peine trois mois.

En effet, le Sénat a adopté en première lecture une motion référendaire tendant à soumettre in fine ce projet de loi au verdict de la souveraineté populaire, par la voie du référendum.

Nous avions alors décidé que ce vaste chambardement de notre organisation territoriale appelait un vrai débat national, un grand débat public, et sanctionné par une consultation populaire.

Si, pour notre part, nous avons combattu la loi de 2010 qui favorise le développement des fusions entre collectivités territoriales, nous considérons néanmoins que des évolutions des limites territoriales peuvent avoir lieu.

Aussi, pour permettre ces évolutions, notre loi doit prévoir les conditions de leur mise en œuvre. Or il nous semble qu’elles ne peuvent aboutir qu’avec le soutien des citoyens. Tel est le sens de notre amendement.

Dans ces conditions, il nous paraît nécessaire de préciser dans la loi que toute modification du territoire d’une collectivité territoriale, de la plus petite à la plus grande, de même que toute création d’une nouvelle collectivité territoriale doivent être soumises à référendum, afin que les citoyens puissent faire part de leur accord ou de leur désaccord sur de tels projets, qui, à l’évidence, les concernent au premier chef.

L’article 72–1 de la Constitution prévoit cette possibilité. Nous vous proposons donc de la rendre effective, en adoptant cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’avis est défavorable, pour une raison simple : le droit positif prévoit déjà la possibilité d’un recours à un référendum local.

Je me contenterai de vous lire l’article 1er du chapitre II du code général des collectivités territoriales, chapitre relatif à la participation des électeurs aux décisions locales : « L'assemblée délibérante d'une collectivité territoriale peut soumettre à référendum local tout projet de délibération tendant à régler une affaire de la compétence de cette collectivité. »

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 73.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Articles additionnels après l'article 1er A
Dossier législatif : projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral
Article 1er (interruption de la discussion)

Article 1er

I. – L’article L. 4111-1 du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :

1° Au début du premier alinéa, est ajoutée la mention : « I. – » ;

2° Le second alinéa est remplacé par un II ainsi rédigé :

« II. – Sans préjudice des dispositions applicables aux régions d’outre-mer et à la collectivité territoriale de Corse, les régions en vigueur à compter du 1er janvier 2016 sont constituées des régions suivantes, dans leurs limites territoriales en vigueur au 31 décembre 2015 :

« – Alsace ;

« – Aquitaine, Limousin et Poitou-Charentes ;

« – Auvergne et Rhône-Alpes ;

« – Bourgogne et Franche-Comté ;

« – Bretagne ;

« – Centre ;

« – Champagne-Ardenne et Lorraine ;

« – Île-de-France ;

« – Languedoc-Roussillon ;

« – Midi-Pyrénées ;

« – Nord-Pas-de-Calais et Picardie ;

« – Basse-Normandie et Haute-Normandie ;

« – Pays de la Loire ;

« – Provence-Alpes-Côte d’Azur. »

bis. – Les régions constituées en application du I du présent article succèdent aux régions qu’elles regroupent dans tous leurs droits et obligations.

II. – Le présent article entre en vigueur à compter du 1er janvier 2016.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Enfin, nous voilà à l’article 1er !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, sur l'article.

M. Jean Louis Masson. À la suite de cafouillages politiques de dernière minute, le Président Hollande avait arbitré initialement en proposant une région Picardie-Champagne-Ardenne.

À mon sens, c’est un mouton à cinq pattes, car il n’y a vraiment rien de commun entre le département de la Somme, situé au bord de la Manche, et le département de la Haute-Marne, à proximité de Dijon. De même, la Picardie est desservie par l’autoroute A1 et le TGV Nord, alors que la Champagne-Ardenne l’est par l’autoroute A4 et le TGV Est.

La modification apportée par l’Assemblée nationale pour le nord et l’est de la France était donc globalement beaucoup plus pertinente. En effet, elle créait deux régions : l’une réunissant la Picardie et le Nord–Pas-de-Calais, l’autre regroupant l’Alsace, la Lorraine et la Champagne-Ardenne.

Une telle configuration géographique, très compacte, donnerait une bonne cohérence administrative aux territoires situés entre la région parisienne et les frontières. Du point de vue de l’aménagement du territoire et des infrastructures, les complémentarités sont également évidentes : au nord, autoroute A1, TGV Nord et tunnel sous la Manche ; dans l’est, autoroute A4 et autoroute A31, TGV Est ainsi qu’un certain nombre d’autres éléments communs, notamment les problèmes transfrontaliers.

En outre, cette région Est aurait été équilibrée par une organisation autour de plusieurs pôles urbains, tandis qu’au nord la ville de Lille aurait joué le rôle d’une véritable grande métropole.

Si, donc, on fait le choix de créer de grandes régions, je soutiens le plan de découpage voté par l’Assemblée nationale en première lecture.

Toutefois, je pense que la bonne solution n’est précisément pas de créer de grandes régions. Je crois en effet qu’il faut conserver des régions à taille humaine, qui maintiennent une proximité avec les habitants.

Aussi, je persiste à dire qu’il vaudrait beaucoup mieux, par exemple, dans l’est de la France, garder la région Alsace, en fusionnant les départements avec la région, maintenir la région Lorraine, en fusionnant la région avec les départements. De même, si les gens du Nord–Pas-de-Calais le souhaitent, il serait préférable de conserver, pourquoi pas, la région en fusionnant les deux départements.

Il y a là un vrai débat qui n’a pas vraiment eu lieu dans cette enceinte et je crois qu’il faut être beaucoup plus souple que ne l’est cet article 1er : il faut renoncer à la volonté d’imposer arbitrairement la logique des grandes régions.

Voilà, à mon sens, ce qui pourrit tout le débat. La discussion se passe mal parce qu’on est dans cette logique-là, logique qui, je le répète, n’a aucun fondement rationnel, on est dans le fumeux le plus total !

Je pense qu’il vaut mieux avoir de petites régions qui fonctionnent bien, avec une vraie proximité, plutôt que de grands ensembles où ça va tirer à hue et à dia, et qui globalement ne seront pas plus riches. Ils seront plus riches sur le papier, parce que le PIB de deux régions est plus élevé que le PIB d’une seule, mais si vous prenez le PIB par habitant, le regroupement de régions ne changera strictement rien. Ce n’est pas parce que l’on créera de grandes régions qu’il y aura moins de chômage ou que le développement économique sera meilleur.

Je souhaite donc vivement qu’on conserve les régions actuelles partout où on le peut, tout en favorisant la réduction du millefeuille grâce à un rapprochement entre les régions et les départements.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Leroy, sur l'article.

M. Philippe Leroy. C’est rassuré par le vote de l’article 1er A, tout à l’heure, à la quasi-unanimité, que j’interviens en prélude à la discussion des amendements sur l’article 1er. Rassuré par le fait que, conformément au principe de précaution, qui est constitutionnel, nous avons pris dans l’article 1er A des précautions afin de préserver la proximité.

Et c’est dans ce souci de préservation de la proximité que j’attire votre attention sur le souhait de nombreux élus de l’Est de voir émerger une grande région à l’est dont l’Alsace serait la figure de proue, de sorte que celle-ci n’apparaisse pas comme une simple zone tampon entre l’Europe allemande, l’Europe de l’Est, et Paris, mais comme le véritable pont entre l’est de l’Europe et la France.

Cette grande région Nord-Est figure déjà dans la carte adoptée par l’Assemblée nationale, et je souhaite que nous l’adoptions. Elle s’étendrait de Reims à Strasbourg, qui est une métropole et même une capitale européenne, mais aussi un phare dans l’est de la France, capable de faire de cette région Nord-Est une grande région européenne.

Nous sommes exemplaires, dans la mesure où nous sommes frontaliers de la Belgique, du Luxembourg, de l’Allemagne et de la Suisse. De grâce, ne privons pas la France de cette possibilité de développer cette grande région de l’est en permettant à l’Alsace de tenter une expérimentation qui n’est peut-être pas aujourd’hui souhaitable dans le cadre de nos projets nationaux.

C’est pourquoi je vous prie, mes chers collègues, de bien réfléchir à la nécessité de faire apparaître de grandes régions ouvertes sur l’Europe, et comprises en Europe. Cela permettra d’ailleurs de protéger Strasbourg…

M. Philippe Leroy. … dans son rôle de capitale européenne. Cela confortera aussi Strasbourg dans son rôle de grande métropole régionale…

M. Philippe Leroy. … et cela confortera tous les habitants de l’est dans leurs projets, des habitants qui sont déjà rassemblés autour des infrastructures autoroutières et des chemins de fer. Ces grandes régions de l’est méritent de continuer ensemble une aventure européenne au nom de la France. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Manable, sur l’article.

M. Christian Manable. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la nouvelle architecture des institutions de notre République décentralisée est souhaitable, guidée qu’elle est par le souci de simplifier l’organisation de notre pays afin que celle-ci devienne plus lisible, plus compréhensible et encore plus efficace.

Cette réforme des collectivités doit résolument s’inscrire dans la modernité et porter les principes de solidarité et de proximité, encore plus indispensables sur nos territoires ruraux. Nous voulons une réforme territoriale cohérente et au service de tous, pour libérer l’intelligence et les énergies locales, permettant ainsi l’émergence de projets de développement locaux dans tous les domaines que sont l’économie et l’emploi, la vie associative ou encore les services publics de proximité.

Il nous faut donc répondre à cette question essentielle : Qui, demain, exercera ces missions de service public dans la proximité ?

Cela signifie qu’il faut rendre plus fortes nos collectivités territoriales, en clarifiant leurs compétences et les moyens de leur autonomie financière, en approfondissant la démocratie locale.

Nos intercommunalités doivent être renforcées. Je suis élu dans un département où il existe des intercommunalités de 5 000 habitants en milieu rural. Quand vous fédérez de la misère, vous générez de la misère, et vous ne remplissez pas la mission essentielle qui est le développement économique en milieu rural. (M. Jean-François Husson s’exclame.)

Nous devrons cependant être vigilants sur cette « montée en puissance » : en effet, tant sur le plan de la population concernée que du point de vue des compétences, il nous faut préserver la proximité et la cohérence de leur action.

Comme M. le Premier ministre l’a souligné hier, il faudra tenir compte de la densité de population, de la topographie et de l’accès au service public ? Tous ces éléments devront être pris en compte pour les intercommunalités.

Quant à l’échelon départemental, c’est un échelon essentiel pour les solidarités sociales et territoriales de proximité, surtout en milieu rural, et pour tenir compte de la taille des futures grandes régions. Les départements restent pertinents, en particulier entre des régions agrandies et des intercommunalités renforcées.

Je voudrais maintenant en venir à un problème de découpage local.

Une première proposition faite pour le périmètre de notre région Picardie a été abandonnée au profit d’une proposition qui me paraît plus cohérente sur les plans historique, culturel, linguistique, économique et écologique.

La fusion du Nord–Pas-de-Calais et de la Picardie s’inscrit dans ces logiques. Il y a dans ce rapprochement une véritable cohérence. La langue picarde illustre parfaitement cette identité commune : elle est parlée par plus de 500 000 personnes sur un vaste territoire qui comprend nos cinq départements et la province de Hainaut en Wallonie. D’ailleurs, le « chtimi » n’est que la déclinaison du picard dans le Nord–Pas-de-Calais.

Notre patrimoine commun dépasse largement ces considérations linguistiques. J’illustre d’ailleurs ce destin commun en présidant le parc naturel des estuaires picards et de la mer d’Opale. C’est une raison supplémentaire d’unir nos régions, car la question de la protection du littoral, notamment des zones côtières basses, dans la perspective du réchauffement climatique et du rehaussement du niveau marin, doit se traiter chez nous à un échelon conjoint suprarégional.

Le sujet des infrastructures et de l’aménagement du territoire plaide également pour ce rapprochement, qu’il s’agisse des questions ferroviaires – liaisons classiques ou à grande vitesse –, de l’autoroute A1, comme, demain, du canal à grand gabarit Seine-Nord Europe, qui réunira nos territoires de la Picardie et du Nord–Pas-de-Calais.

Cette région Picardie–Nord-Pas-de-Calais atteint la taille européenne adéquate en termes d’aménagement du territoire et de développement économique. En effet, avec la fusion, c’est une région de 6 millions d’habitants, avec un produit intérieur brut de 149 milliards d’euros, que nous allons créer, soit la quatrième des nouvelles régions, avec cinq départements, 137 EPCI, 3 836 communes et le troisième budget derrière l’Île-de-France et Rhône-Alpes–Auvergne. Si notre passé industriel nous réunit déjà, avec une histoire commune forte sur le textile, l’automobile ou l’agroalimentaire, notre avenir commun est déjà une réalité : le pôle de compétitivité mondial autour d’I-Trans ou la troisième révolution industrielle avec les éco-activités et la transition énergétique témoignent de ce destin commun.

Pour stabiliser cet ensemble, il nous faut effectivement un peu de temps et de travail, notamment autour de notre organisation administrative et dans l’équilibre de nos territoires. La place et le rôle de l’agglomération d’Amiens, actuelle capitale de la Picardie, doit être renforcée, en écho avec la métropole lilloise.

En outre, cette réforme territoriale doit s’accompagner d’une indispensable réforme de la place de l’État dans nos régions et nos départements. Il s’agit de mettre fin aux doublons entre services de l’État et services des collectivités territoriales, et ainsi peut-être dégager des moyens nouveaux. En tout cas, si l’objet de la réforme est de faire des économies, il y a là, à travers les doublons des services de l’État et des différentes collectivités territoriales, une véritable piste à suivre.

Enfin, mes chers collègues, pour illustrer cette nécessaire optimisation de nos énergies et de nos moyens, notamment à l’échelle des picards et des ch’tis, je reprendrai ce proverbe populaire picard : « Si tous chés gins i pourrottent s’arranger insann, i fodrot pon tant d’masons »… Je le traduis en français : « si tous les gens pouvaient s’arranger ensemble, il ne faudrait pas tant de maisons ! » (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Grand, sur l’article.

M. Jean-Pierre Grand. Monsieur le ministre, ce projet de loi qui vise à modifier les limites des régions touche au fonctionnement de la Nation. Vous estimez qu’il est au cœur de la réforme territoriale ; j’estime pour ma part que cette réforme touche au fonctionnement de la Nation. Or une réforme qui touche au fonctionnement de la Nation, c’est une réforme qui concerne à la fois l’État et les collectivités locales.

Pour ma part, je considère que ces grandes régions, qui devront gérer l’industrialisation et auront comme compétences l’université, la recherche et les grandes infrastructures, ne peuvent pas rester en l’état. On ne peut pas additionner simplement le fonctionnement actuel de deux régions pour faire une grande région.

Monsieur le ministre, pour que ces grandes régions aient un sens, pour qu’elles aient les moyens de leurs ambitions et de la mission que le Parlement va leur confier, il faudra naturellement qu’elles aient des ressources.

Il me semble, dès lors, que nous avons le devoir absolu de toucher aux institutions et d’imaginer pour ces futures régions un fonctionnement différent de celui qu’elles ont aujourd’hui.

J’imagine ainsi une grande et belle réforme, qui pourrait peut-être se traduire par une déconcentration des moyens de l’État au travers de l’impôt, et peut-être même par une déconcentration de la dette de l’État, qui pourrait être répartie dans les régions. J’imagine un certain nombre de mesures, qui feront que ces régions auront les moyens de leur politique.

Dans tous les cas, monsieur le ministre, je suis favorable aux grandes régions. Je souhaite naturellement que les régions Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées forment une seule et unique région. Toutefois, on ne peut pas imaginer que ces grands véhicules aient de petits moteurs.

M. Gérard Longuet. C’est le fond du problème !

M. Jean-Pierre Grand. L’enjeu aujourd’hui n’est donc pas de définir le contour de ces régions de 4, 5 ou 6 millions d’habitants, mais de savoir ce que nous allons en faire,…

M. Gérard Longuet. Ça, c’est plus tard !

M. Jean-Pierre Grand. … quels seront les pouvoirs de ces régions d’une tout autre nature et de leurs présidents. Ces derniers auront-ils un statut protocolaire différent ? Peut-on imaginer, constitutionnellement, qu’il y ait demain un conseil des présidents de région pour harmoniser les politiques régionales, car il faut naturellement penser à l’unité de la Nation ? Voilà un vrai chantier institutionnel.

Et comme vous avez décidé d’ouvrir le chantier de la réforme, monsieur le ministre, je pensais que l’on ferait une grande réforme globale. Comme je l’ai dit, la réforme de la Nation, ce n’est pas seulement la réforme des collectivités locales, c’est aussi la réforme de l’État. Aujourd’hui, trente ans après les lois Defferre, la réflexion s’impose.

On observe des réformes qui s’enchaînent. Tout cela est brouillon et finit par paralyser le fonctionnement de nos collectivités, qui sont inquiètes, et qui ont raison de l’être.

J’observe ainsi, en Languedoc-Roussillon et dans l’Hérault en particulier, que beaucoup de projets sont retardés, alors même que nous n’avons pas aujourd’hui les moyens économiques pour ce faire. Il faudrait donc que l’État nous rassure, au moyen d’une grande et belle réforme.

Je crois, monsieur le ministre, que l’on peut toucher aux vaches sacrées. Je suis gaulliste, et je tiens aux institutions de la Ve République comme à la prunelle de mes yeux. Mais, aujourd’hui, je crois qu’une grande et belle réforme de la Nation, en lieu et place de ces réformes brouillonnes qui se superposent, serait de nature à rassurer à la fois le peuple français et les élus. Au point où nous en sommes dans le fonctionnement de la décentralisation, c’est une décision absolument incontournable.

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Claude Bérit-Débat.)

PRÉSIDENCE DE M. Claude Bérit-Débat

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Dans la suite de l’examen de l’article 1er, la parole est à M. Antoine Lefèvre, sur l’article.

M. Antoine Lefèvre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’article 1er, qui est le cœur de ce texte, a pour objet de proposer une nouvelle carte des régions.

Il s’agit d’un projet d’envergure pour des régions plus grandes, donc moins nombreuses et théoriquement plus puissantes et, au bout du compte, génératrices d’économies à tous niveaux, quoique à ce jour nous n’ayons eu aucune étude d’impact qui tienne la route.

Cette réforme de grande ampleur devra être adaptée aux nouveaux défis auxquels nous devons faire face : mondialisation de l’économie, éducation, transport, numérique, etc.

Nous savons tous ici, en particulier depuis le rapport Raffarin-Krattinger, déjà souvent cité, qu’une telle réforme est indispensable.

La carte dont nous débattons tend à fusionner Nord–Pas-de-Calais et Picardie, mais, en réalité, je crains plutôt que nous n’assistions à l’absorption de la Picardie par Nord–Pas-de-Calais...

Il s’agit d’un mariage forcé, puisqu’il a même été dit, monsieur le ministre, par certains de vos collègues socialistes de ces deux départements : « Nous ne souhaitons pas que la région Nord–Pas-de-Calais fusionne avec la Picardie, deux régions qui connaissent de très grandes difficultés. Fusionner, en l’état, serait une aberration économique et sociale que nous condamnons. » Vous imaginez comment les Picards se sentent bien accueillis, notamment par celle que le président Gaudin appelle « la Dame du Nord » !

Quel manque total d’esprit républicain et de solidarité entre les territoires !

Pour ma part, je plaiderai pour une autre formule, mais évidemment pas pour les mauvaises raisons évoquées à l’instant. Je parle de la Picardie parce qu’il s’agit de mon territoire, mais aussi en tant que parlementaire du département de l’Aisne. Or ce département, dans sa plus grande partie, regarde plus naturellement vers la Champagne-Ardenne, grande région agricole, que vers le Nord–Pas-de-Calais, de tradition industrielle.

M. René-Paul Savary. Très bien !

M. Antoine Lefèvre. Pour une majorité des habitants de l’Aisne, les études universitaires se font à Reims et les patients se tournent vers le CHU de Reims. Même les passionnés de football vont au stade de Reims.

M. René Vandierendonck. C’est vrai !

M. Antoine Lefèvre. Et je ne parle pas de l’aspect viticole, avec l’appellation Champagne, qui ancre la plupart des territoires de l’Aisne dans cette dynamique.

M. René Vandierendonck. Effectivement !

M. Antoine Lefèvre. Deux tiers des territoires de ce département se sont d’ailleurs engagés, depuis plusieurs années, dans une politique de métropolisation autour de la ville de Reims, en créant le G10, qui rassemble les agglomérations de Laon, Soissons, Château-Thierry pour l’Aisne, Rethel, Sedan, Charleville-Mézières pour les Ardennes, et Vitry-le-François, Châlons-en-Champagne, Épernay et, bien sûr, Reims pour la Marne.

Par ailleurs, je ne crois pas trahir mes collègues des deux autres départements picards en disant que la Somme se tourne vers le Nord–Pas-de-Calais, ainsi que notre collègue Christian Manable l’a rappelé tout à l’heure – même si je tiens à lui préciser que les Axonais, dans leur grande majorité, ne sont pas des Chtimis –, cependant que l’Oise regarde plus vers l’Île-de-France.

C’est pourquoi j’ai cosigné l’amendement de notre collègue de la Marne, René-Paul Savary, qui tend à fusionner Picardie, Champagne-Ardenne et Lorraine en un arc Nord-Est entre les métropoles de Paris, Lille et Strasbourg, cette dernière étant consolidée en sa position européenne par la proposition de notre commission de conserver une région spécifique Alsace.

Dès l’origine, vous n’avez pas accepté la possibilité de détacher des départements de leur région, alors qu’une telle possibilité aurait permis d’apporter des réponses concrètes, non seulement pour la Picardie, mais aussi pour d’autres départements.

Comme je crains fort que la version finale du découpage régional retenue ne soit, au bout du compte, celle que vous persistez à proposer aujourd’hui, le droit d’option, consolidé à l’article 3, revêt alors tout son sens.

Nous sommes tous d’accord, ici, pour réformer, pour gagner en modernité et en efficacité, mais nous souhaitons le faire en respectant la cohérence de chacun des territoires, cohérence qui est le gage d’une bonne acceptation de la réforme par nos concitoyens. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.)

M. René-Paul Savary. Très bien !

M. le président. La parole est à M. François Grosdidier, sur l’article.

M. François Grosdidier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’article 1er dessine la nouvelle carte des régions.

Le Sénat, ou du moins sa majorité, est confronté à un dilemme : ou bien refuser ces grandes régions, parce que, contrairement aux propos du Premier ministre hier, la seule réforme qui engendrait des économies et qui préservait la proximité était bien celle du conseiller territorial, ce qu’il a occulté ; ou bien accepter le principe des grandes régions, à contrecœur et, provisoirement peut-être, pour corriger les dispositions les plus absurdes imposées par le Gouvernement ou par l’Assemblée nationale.

C’est plutôt dans cette disposition d’esprit que nous sommes, et notre vote sur l’ensemble du texte dépendra des amendements qui auront été acceptés ou non.

Les cartes électorales et/ou administratives sont toujours contestables et contestées, mais admettez que, jamais, l’exercice n’aura été mené de façon aussi « gribouille » que par cette majorité présidentielle. Elle a quand même réussi le tour de force de nous imposer une carte cantonale en totale contradiction avec les cartes des SCOT et de la coopération intercommunale qui venaient pourtant d’être définies.

Mme Sophie Primas. Tout à fait !

M. François Grosdidier. Bien sûr, nous connaissons les conditions d’établissement de cette carte des grandes régions, dans la plus grande subjectivité, sur un coin de table, en un après-midi ou une matinée, sous les hauts cris ou les coups de gueule des plus en cour, comme Mme Royal ou M. Le Drian, ou contre ceux qui étaient tombés en disgrâce, comme M. Ayrault.

La position n’était pas tenable, tant et si bien qu’elle a cédé devant des rapports de forces, mais elle n’a jamais été revue dans une cohérence globale. Je le répète, il aurait été infiniment souhaitable de laisser la parole aux territoires, aux départements et aux régions. Je pense particulièrement à certains départements qui peuvent aujourd’hui se retrouver totalement excentrés dans une grande région par rapport à leur situation actuelle. Le Gouvernement aurait été bien inspiré de s’inspirer des méthodes adoptées pour la coopération intercommunale pour redéfinir cette carte régionale.

Monsieur le président Hyest, monsieur le rapporteur, quelle que soit la qualité du travail réalisé par la commission spéciale, je ne peux me satisfaire de la correction autorisant, par exemple, l’Alsace à continuer à vivre sa vie seule en mettant en œuvre un processus, certes souhaitable, mais pour toutes les régions, inverse de celui qui a été retenu pour ses voisines et presque toutes les autres régions de France.

J’ai écouté attentivement les arguments, et, à mon sens, ce qui vaut pour l’Alsace vaut pour la Lorraine et pour bien d’autres régions : c’est le choix de l’approfondissement plutôt que de l’élargissement. À cet égard, nous pourrions faire un parallèle entre cette réforme territoriale et la construction européenne au cours de ces dernières décennies, les deux péchant par les mêmes défauts, c’est-à-dire qu’elles tendent à privilégier le choix de l’élargissement plutôt que celui de l’approfondissement et qu’elles s’inscrivent à l’inverse même du principe de subsidiarité.

Il a souvent été donné dans le débat l’exemple des régions européennes ou des Länder allemands, que je connais bien pour en être le voisin. En l’occurrence, le problème n’est pas tant la taille du territoire ni même l’importance de la population que l’étendue des compétences et des budgets. Je ne prendrai pas l’exemple du Luxembourg, limitrophe de la Moselle, s’agissant d’un État souverain présentant des caractéristiques économiques exceptionnelles, mais celui de la Sarre : ce Land, qui compte moins de 1 million d’habitants, est donc moins peuplé que la Moselle, mais, en bénéficiant des compétences et budgets réunis du département, de la région et d’une partie de l’État central, il dispose de leviers d’action publique infiniment supérieurs à ceux de mon département. C’est de cet exemple-là que nous aurions dû nous inspirer.

Les grandes régions que vous appelez de vos vœux n’ont de sens que pour gérer l’université à la place de l’État ou pour avoir la pleine et entière responsabilité du domaine économique et social, mais certainement pas pour s’occuper des collèges à la place des départements. Or nous savons que c’est ce que vous préparez, monsieur le ministre.

Mais si nous voulons que les compétences et les moyens correspondent bien à l’échelle des régions, il faut qu’elles soient toutes à la même échelle, soit l’actuelle, soit une supérieure : Languedoc-Roussillon avec Midi-Pyrénées, Picardie avec Nord–Pas-de-Calais, Bretagne avec Pays de la Loire, et, bien sûr, Alsace avec Lorraine et Champagne-Ardenne.

Tous les arguments que j’ai entendus afin de justifier le choix des Alsaciens pour l’approfondissement plutôt que pour l’élargissement, au nom de principes généraux mais aussi de spécificités, notamment son identité et son caractère frontalier, valent tout autant pour la Lorraine.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. François Grosdidier. J’ai presque fini, monsieur le président. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

Si l’Alsace a deux frontières, la Lorraine en à trois, et c’est l’économie transfrontalière qui la fait survivre après l’effondrement de la sidérurgie et du charbon. Je ne dis pas qu’il faut la même solution partout, mais je pense qu’il faut les mêmes possibilités pour toutes les régions et pour tous les départements. (M. Michel Delebarre frappe sur son pupitre en signe d’impatience.)

M. le président. Concluez, monsieur Grosdidier.

M. François Grosdidier. Je conclus, monsieur le président. C’est à la condition minimale d’un traitement égal des régions que nous pourrions voter ce texte. (Nouvelles protestations sur les travées du groupe socialiste.)

À cette condition et à elle seule, nous pourrions plus tard permettre, par d’autres textes sur les compétences, sur les moyens et même sur les départements, poser les actes d’une réforme qui pourrait enfin avoir un sens et un intérêt.

Mais si nous imposons des fusions à des régions plus grandes que celles qui pourraient rester seules (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.),…

M. le président. Je vous en prie, mon cher collègue.

M. François Grosdidier. … cette réforme restera incohérente et irrationnelle, quelles que soient les futures lois.

M. le président. Je demande à chacun de respecter le temps de parole imparti, faute de quoi tout le monde ne pourra pas s’exprimer.

La parole est à M. Michel Raison, sur l’article.

M. Michel Raison. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici au plat de résistance de ce fameux texte de réforme des collectivités territoriales. Mais il s’agit d’un plat indigeste, car, même si l’on peut discuter de telle ou telle stratégie, les règles de base n’ont pas été respectées pour mettre en place une telle réforme.

Prenons l’exemple de deux entreprises qui souhaitent se rapprocher : elles vont commencer à réfléchir pour savoir si ce rapprochement peut leur apporter une clientèle supplémentaire, réduire leurs charges de structures, leurs charges opérationnelles. Elles vont prendre des mois et des mois pour étudier cette possibilité.

Or, en l’occurrence, cette première règle de base n’a pas été respectée, et nous assistons, depuis un certain nombre de mois, à une réforme au coup par coup : un jour, on supprime les conseillers territoriaux ; quelques mois après, on met en place des nouveaux cantons découpés soi-disant pour renforcer les départements et instaurer la parité – entre parenthèses, ces nouvelles circonscriptions cantonales ont été découpées avec un logiciel non pas économique et logique, mais électoral ; encore quelques mois après, les départements sont supprimés ; quelques mois plus tard, une nouvelle carte régionale est rapidement dessinée – M. le ministre s’est félicité au moins à quatre reprises de cette rapidité. Pour ma part, je ne suis pas content, car c’est justement allé trop vite. (M. René-Paul Savary sourit.)

Une réforme d’une telle ampleur, qui engage l’avenir de notre pays, doit respecter les règles non seulement de la logique, mais également de la lenteur.

M. Daniel Dubois. Vous avez raison !

M. Michel Raison. Plus de deux siècles après la mise en place des cantons, nous aurions au moins pu prendre quelques semaines pour débattre d’un dossier aussi important !

Venons-en au dossier qui m’intéresse, celui de la Franche-Comté… (Ah ! sur les travées du groupe socialiste et du RDSE.) On nous propose une fusion avec la Bourgogne. Dieu sait si j’adore la Bourgogne : elle produit un des vins les meilleurs au monde, comme quelques autres régions…

M. René-Paul Savary. La Champagne !

M. Michel Raison. J’adore les Bourguignons et j’adore ma Franche-Comté, mais figurez-vous que mes voisins du Territoire de Belfort, comme les habitants du nord de la Haute-Saône, sont reliés avec la Lorraine et l’Alsace par des routes à 2x2 voies et par une ligne de chemin de fer qui part de Belfort, passe par Épinal et va jusqu’à Nancy, en desservant ma belle ville de Luxeuil-les-Bains. Nous sommes donc reliés par la route et le chemin de fer à la Lorraine et à l’Alsace, mais je n’entrerai pas dans le débat qui occupe les Lorrains et les Alsaciens, ils savent le mener mieux que moi.

Vous comprendrez donc qu’un territoire déjà en difficulté, comme celui du nord de la Franche-Comté, lorsqu’il se voit rattaché à d’autres avec lesquels il n’entretient aucun lien économique – il existe bien sûr des liens sentimentaux, comme nous en entretenons avec des amis d’autres régions –, ne peut pas accepter une fusion aussi absurde qui, non seulement, ne lui apportera rien, mais le fera mourir !

On aurait pu l’éviter, si on en avait pris le temps et si on avait choisi de faire une réforme sans doute un peu plus complexe – parce que la Franche-Comté n’est pas la seule concernée par un rapprochement avec des parties d’autres régions. Personne ne connaît la Haute-Saône…

Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Mais si !

M. Michel Raison. Quelques-uns seulement…

On aurait pu découper un morceau de Haute-Saône pour le relier à un autre département, les Vosges, par exemple. (M. Jackie Pierre applaudit.) Oui, nous aurions pu faire affaire ensemble, cher collègue, puisque nous sommes voisins dans l’hémicycle.

M. Michel Raison. Je vous assure que la barrière administrative qui existe entre les Vosges et la Haute-Saône empêche, aujourd’hui déjà, un certain développement. Avec cette réforme, la situation sera non seulement aggravée, mais ridicule !

Autre remarque : la fusion entre la Bourgogne et la Franche-Comté sera-t-elle source d’économies ? J’adore notre présidente de région, j’ai beaucoup d’estime pour elle : elle est venue à Vesoul expliquer la fusion. Aucun de ses arguments n’a pu me convaincre du bien-fondé de cette fusion ! Nous ne savons pas quel type d’économies pourrait en résulter ni quel type de développement futur serait envisageable. Nous savons simplement que nous aurons des charges supplémentaires – les promoteurs de la réforme le reconnaissent eux-mêmes –, mais nous ne savons pas du tout à quelle fin.

Lorsque je ne suis pas en mesure d’expliquer à mes concitoyens pourquoi on engage une réforme, je ne peux pas la voter. Vous comprendrez donc que je vote contre l’article 1er. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP. – M. Daniel Dubois applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, sur l’article.

Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après une première lecture en juillet dernier par notre assemblée, il est manifeste que beaucoup de questions et d’inquiétudes soulevées par ce projet de loi consacré à la carte régionale et au calendrier électoral de 2015 demeurent.

Amendée par la commission spéciale de notre assemblée – il faut en féliciter ses membres qui se sont particulièrement investis ces dernières semaines –, la quatrième mouture de la carte est un peu plus satisfaisante, avec ces quinze nouvelles régions redessinées.

Notre mission consiste à représenter les collectivités territoriales, et donc celles du territoire dont nous sommes issus, mais aussi à adopter une vision nationale cohérente au service de l’intérêt général. Aussi, en dépit d’un certain nombre de réserves, notamment sur la méthode employée, je voterai cet article 1er, parce qu’il présente, selon moi, un dispositif plus équilibré, mais surtout parce qu’il entérine la réunification de la Normandie.

Au demeurant, on en conviendra, la méthode employée par le Gouvernement, qui continue à saucissonner en textes successifs le projet d’une réforme territoriale qu’il faudrait pourtant appréhender globalement, ne facilite pas notre appréciation de la situation. Après de nombreux atermoiements et retours en arrière, rarement une réforme aura été tant attendue et finalement construite dans une véritable précipitation.

Nous revenons de loin : la carte régionale du Gouvernement aura ainsi été dessinée dans le huis clos de l’Élysée, le 2 juin dernier, beaucoup l’ont rappelé ces derniers jours. Pas de concertation, aucune discussion sérieuse, aucun fondement rationnel pour cette carte, modifiée jusqu’à la dernière seconde précédant le bouclage des quotidiens régionaux ! Monsieur le ministre, on ne peut commencer à construire une maison en commençant par le toit.

La réorganisation des collectivités territoriales doit avoir un préalable, je le dis à mon tour après de nombreux collègues : la réflexion sur le rôle de l’État et la redéfinition de ses missions ainsi que celles qui relèvent des collectivités territoriales. Ensuite devrait venir une réflexion sur les compétences et leur logique de répartition, et non pas seulement sur la délimitation du périmètre des collectivités territoriales, notamment celle qui s’annonce, hélas, pour les intercommunalités auxquelles vous voulez appliquer dogmatiquement un seuil minimal de 20 000 habitants.

Cette réorganisation doit également prendre en compte les populations, les logiques de bassin de vie, le fonctionnement des entreprises et des acteurs économiques pour atteindre un maximum de complémentarité, de cohérence et d’efficacité. Bref, la méthode doit être tout le contraire de celle qui a présidé au redécoupage souvent aberrant des cantons pour les futures élections départementales.

Enfin, point fondamental, les élus locaux doivent être acteurs de la stratégie de développement de leur territoire, qu’ils connaissent particulièrement bien. C’est pourquoi ils doivent enfin être entendus.

Cela dit, en tant que sénatrice de la Seine-Maritime et ancienne conseillère régionale de Haute-Normandie jusqu’en mars dernier, également militante, depuis plus de dix ans, au sein de l’Association pour la réunification de la Normandie présidée par Hervé Morin, je me réjouis aujourd’hui de la création, ou plutôt de la recréation, de cette collectivité normande unique. Rappelons-le : pour le coup, il ne s’agit pas d’une nouvelle région, mais d’un juste retour à une entité culturelle et historique artificiellement scindée au début des années 1950.

Cette réunification de la Haute-Normandie et de la Basse-Normandie est pertinente, elle peut s’appuyer sur des coopérations préexistantes multiples, entre acteurs économiques, associatifs et institutionnels. Elle peut aussi s’appuyer sur des axes forts, tels que les ressources et les compétences en matière d’énergie, l’excellence logistique et portuaire, la valorisation de l’eau et du littoral ou encore le potentiel touristique et culturel.

J’ai fait deux campagnes pour les élections régionales sur ce thème de la réunification de la Normandie ; je l’ai toujours défendu avec Hervé Morin, puis avec Bruno Le Maire. Jusqu’à une date récente, ce sujet a, hélas, toujours suscité l’indifférence, voire le mépris, de la majorité socialiste de Haute-Normandie, qui est allée jusqu’à refuser d’en débattre !

Cette situation n’est pas étonnante puisque, antérieurement, lors du débat parlementaire de 2010 relatif à la réforme territoriale, les amendements que j’avais défendus avec mon collègue Hervé Maurey, tendant à faciliter l’organisation de débats dans les conseils régionaux au sujet des fusions de région, n’avaient pas recueilli le soutien de nos collègues socialistes hauts normands. Ils auront donc beau jeu de se targuer du très probable aboutissement de l’idée de la réunification de la Normandie, alors qu’elle leur est imposée par le Gouvernement, là où elle aurait pu être envisagée et donc préparée depuis bien longtemps localement, s’ils n’en avaient pas fait une prosaïque question de lutte partisane.

Je profite donc de l’occasion qui m’est donnée, monsieur le ministre, pour appeler solennellement mes collègues à mettre leurs actes en cohérence avec leurs propos, afin que le chantier de la réunification s’ouvre enfin, dans l’intérêt des Normandes et des Normands. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et sur de nombreuses travées de l’UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Fabienne Keller, sur l’article.

Mme Fabienne Keller. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est proposé au Sénat d’adopter cet article qui modifie sensiblement celui qui a été voté par les élus du groupe socialiste à l’Assemblée nationale.

M. François Marc. Pas seulement !

Mme Fabienne Keller. Vous ne serez pas surpris si je vous parle de l’Alsace.

En effet, l’article proposé permet de ne pas mettre à mal le projet de création d’une collectivité unique sur lequel les Alsaciens travaillent sans relâche depuis maintenant plusieurs années. Ce projet a mûri dans les esprits et dans son contenu.

Cette approche vise à fusionner les conseils généraux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin avec le conseil régional d’Alsace. Elle a recueilli le soutien de plus de 90 % des élus des trois collectivités et plus de 58 % des voix des Alsaciens lors d’un référendum organisé en mai 2013, même si, malheureusement, le seuil de participation n’a pas été atteint.

Le 11 octobre dernier, plus de 12 000 personnes, alsaciennes depuis longtemps ou depuis plus récemment, se sont réunies pour appuyer l’idée d’une collectivité unique d’Alsace.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous savons tous dans cette assemblée comme il est paradoxalement bien complexe de simplifier notre organisation territoriale, comme il est difficile de prendre des initiatives et de faire avancer des idées nouvelles.

Notre région a avancé dans sa démarche, malgré les obstacles, sur la voie de ce projet de fusion des collectivités locales. Nous souhaitons que le travail engagé depuis plusieurs années ne soit pas rayé d’un trait de plume.

Élus du Sénat, nous ne craignons pas les territoires, nous les accompagnons. Si l’Assemblée nationale nous a transmis un travail prenant en compte des considérations plus « politiques », je souhaite aujourd’hui que le Sénat fasse preuve de cette hauteur de vue et de cette indépendance qui lui permet aujourd’hui de défendre une carte des régions plus pragmatique, une carte de France qui saura reconnaître l’intérêt supérieur de notre pays, sans pour autant que nous restions sourds à la voix des territoires.

C’est ainsi que je vous propose, mes chers collègues, de voter en faveur de la carte des régions telle qu’elle a été envisagée lors de la réunion de la commission spéciale du mardi 21 octobre, comme je vous propose d’adopter ce texte dans la philosophie qui ressort des travaux de cette commission.

Enfin, une dernière raison me semble importante. Beaucoup d’entre nous ont récemment fait campagne et ont parfois entendu les électeurs douter du rôle et du sens du Sénat. Eh bien, mes chers collègues, cette carte des régions, très médiatisée depuis une semaine, est désormais considérée par les Français comme « la carte du Sénat ».

Cette carte, comme le texte dans son ensemble, prouvera notre indépendance, notre plus-value. Elle démontrera que nous pouvons avoir un autre regard sur les territoires que celui que voudrait nous imposer le Gouvernement – le Premier ministre l’a dit avec brutalité hier – ou le groupe socialiste de l’Assemblée nationale. Oui, cette carte donne du sens à notre action et à notre engagement, mes chers collègues, et c’est pourquoi je vous propose de l’adopter ! (Très bien ! et applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec, sur l’article.

M. Michel Le Scouarnec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons déjà beaucoup argumenté sur notre rejet de cet article 1er au cours de la discussion générale et lors de l’examen de la motion de procédure que nous avons déposée. Nous le ferons de nouveau avec notre amendement de suppression.

Un aspect cependant n’a pas encore été abordé, alors qu’il a pourtant une certaine importance. En effet, les seuls arguments avancés par ceux qui soutiennent la nécessité de regroupement des régions sont en fait des subterfuges qui masquent mal l’objectif, à terme, d’un changement de régime.

Le premier argument avancé a été, et est toujours, celui de la réduction des dépenses, réalisée si possible sans douleur et mécaniquement, du fait même de ces regroupements.

Tout d’abord, si tel était réellement l’objectif visé, pourquoi alors laisser certaines régions telles qu’elles sont actuellement, sans les regrouper ?

Soyons sérieux : tous les instituts ou organismes d’analyse, y compris les agences de notation, ont dit, au contraire, que ces regroupements conduiront d’abord, dans un premier temps, à une hausse certaine des dépenses et que les économies futures n’étaient pas assurées. Dans le contexte de crise très grave que le pays vit et dont la population souffre, le risque est très lourd.

Certes, monsieur le ministre, vous affirmez qu’il est toujours possible d’économiser 10 % de la dépense, en oubliant de dire que, pour ce faire, les politiques publiques doivent être rognées, c’est-à-dire les services à la population ou bien les investissements, à coup sûr. C’est un leurre de laisser croire que l’on peut faire plus avec moins. Chaque citoyen, gestionnaire de son budget familial, le sait bien : quand les rentrées diminuent, il faut réduire les dépenses. Or c’est ce qui va se passer avec la baisse amorcée des dotations, baisse continue et renforcée année après année. Les collectivités locales vont vivre une période dramatique, hélas !

Ainsi, ce double phénomène de regroupements entraînant des dépenses supplémentaires et de baisse des dotations va obligatoirement contraindre les régions à réduire leurs actions dans les domaines de compétences qui sont aujourd’hui les leurs mais aussi de celles dont elles vont hériter avec le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dit projet de loi NOTRe, que nous examinerons plus tard.

L’autre argument, très fragile et incertain, laisse entendre qu’il suffirait de faire grandir les régions actuelles pour les rendre plus fortes et plus attractives. En quoi un territoire élargi renforce-t-il sa valeur ? En quoi deux territoires désertifiés ou en souffrance vont-ils se densifier du fait de leur agrandissement ou de leur fusion ? En quoi ce qui nous est présenté comme regroupement régional va-t-il transformer l’attractivité de leur territoire ? Tout est ici proclamé mais rien n’est démontré, rien n’est évalué, d’autant que le périmètre des compétences n’est pas défini.

Enfin, qu’il me soit permis une remarque. Bon nombre d’organismes publics et parapublics sont organisés par région. Que deviendront-ils dans les régions redécoupées ? Devront-ils eux aussi revoir leur organisation territoriale ? Rien n’est précisé à ce propos dans ce texte et, pourtant, cette question va obligatoirement se poser. (M. Joël Labbé applaudit.)

Mme Cécile Cukierman. C’est la solidarité bretonne ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, sur l’article.

M. Jacques Bigot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai envie de vous faire entendre une autre voix de l’Alsace, celle de l’Alsace qui croit dans sa région dans la République.

L’Alsace doit être considérée au même titre que les autres régions de France, que les autres territoires de France au sens de l’article 1er A que nous avons tout à l’heure voté à une très large majorité. Cet article définit le rôle de nos communes, le rôle de nos départements, le rôle de nos régions. Il revient à celles-ci d’assurer, dans l’Europe construite avec de grandes unités régionales, l’aménagement du territoire et le développement économique qui ne vont pas l’un sans l’autre.

Et la question est effectivement posée de tout temps de savoir quel est le niveau de ces régions. Les régions doivent-elles atteindre une certaine taille ou peut-on conserver de petites régions ? Pour l’entendre souvent dire, je sais qu’en Allemagne il y a des petites régions. L’histoire de l’Allemagne est ainsi faite que certaines villes, comme Brême ou Hambourg, sont des Länder. (Mme Éliane Giraud opine.) L’histoire de l’Allemagne, qui nous est si proche et qui vous inspire souvent, mes chers collègues alsaciens, nous apprend que le Bade et le Wurtemberg n’étaient pas des amis et des alliés. Cela ne les a pas empêchés de fusionner et d’avoir un développement économique exceptionnel, que nous envions tous les jours, nous, de l’autre côté de la frontière.

Dans le projet du Gouvernement, l’Alsace avait pour objectif de s’allier avec la Lorraine. Cette alliance était prévue par nos deux présidents de région, Jean-Pierre Masseret et Philippe Richert, qui avaient cette vision. Philippe Richert, qui avait, dix-huit mois auparavant, porté l’idée du conseil unique, avait bien conscience que, dans la perspective de ces régions nouvelles, il y avait du sens à faire une région qui soit l’Alsace-Lorraine.

Ah, comme j’ai aimé, monsieur le ministre, le premier projet du Gouvernement ! Et comme j’ai regretté, mes chers collègues, que vous ayez à l’époque, pour ceux qui siégeaient déjà, balayé l’article 1er sans avoir fait ce travail sénatorial qui eût été si utile et qui aurait peut-être évité que l’Assemblée nationale ne permette pas de voir se créer cette région Alsace-Lorraine.

Ce jour-là, je pense qu’un rendez-vous a été manqué pour cette région, comme pour d’autres régions, d’ailleurs. Des négociations préalables avaient eu lieu. Ensuite, une négociation a été menée avec des groupes divers, parce que certains de vos collègues, sur vos travées, sont aujourd’hui eux aussi convaincus que la très grande région est préférable. Et nous avons entendu Gérard Longuet s’exprimer aujourd’hui. Et nous avons entendu François Baroin aller dans ce sens de la grande région qui aurait une dimension européenne.

Mes chers collègues, je pense que l’eurorégion, c’est effectivement l’Alsace-Lorraine. Arrêtez avec le conseil unique ! Il n’a pas été souhaité par les Alsaciens !

M. André Reichardt. Cinquante-huit pour cent !

M. Jacques Bigot. Le conseil unique, c’est d’abord le rassemblement de deux départements ! Vous parlez régulièrement à cette tribune de 58 % des Alsaciens. C’est oublier, madame Troendlé, que, pour faire l’alliance de deux départements, il faut l’accord des habitants de ces deux départements ! (Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit.) Et dans votre département du Haut-Rhin, il y a eu un vote négatif ! Je me souviens encore, le soir du référendum du 13 avril 2013, du sourire hilare du président du conseil général du Haut-Rhin, qui était finalement ravi de cette situation !

Rien ne nous empêchera, mes chers collègues, si nous le souhaitons, de faire effectivement l’alliance des deux départements…

M. André Reichardt. Ce n’est pas la loi !

M. Jacques Bigot. … et de travailler avec la métropole strasbourgeoise, avec le pôle métropolitain Strasbourg-Mulhouse, que j’ai créé avec Jean-Marie Bockel. C’est cela le sens de l’histoire ! Et c’est le sens de l’histoire, demain ! Car la stratégie que vous avez choisie, c’est de jouer le remake du conseil unique, qui ne pourra pas se faire en l’état de notre loi. Vous le savez, je vous l’avais dit, juridiquement, pour des raisons d’entonnoir. (M. André Reichardt s’exclame.) Si nous ne votons pas ici l’Alsace-Lorraine, l’Assemblée nationale nous offrira la grande région.

Ce n’est pas nécessairement désespérant mais vous savez que tel n’est pas mon souhait. J’aurais préféré que vous ayez la clarté que Philippe Richert a eue avec Jean-Pierre Masseret et que nous soyons derrière nos présidents de région. Je regrette que nous ne le soyons pas, mais il y a encore un espoir : tout à l’heure, lors de la discussion des amendements.

Pour ma part, je ne voterai pas l’amendement du Gouvernement, mais je vous invite à voter l’amendement sur l’Alsace-Lorraine parce que c’est notre seul espoir d’avoir la possibilité de voir se construire une Alsace avec une vraie région. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste. – Exclamations sur plusieurs travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. André Reichardt, sur l’article.

M. André Reichardt. Avec cet article 1er, après la discussion générale et l’examen des deux motions de procédure, nous voici entrés dans le dur ! Après la suppression de ce même article en première lecture, la commission spéciale nous propose désormais une nouvelle carte des grandes régions et entre dans le débat auquel nous convie le Gouvernement.

Que faut-il en penser ? D’abord, – puisqu’il n’y a pas lieu de se faire d’illusion sur la position qui sera prise à cet égard par l’Assemblée nationale – il faut en penser que c’est certainement le dernier moment, et j’insiste sur ce point, pour dire ici, au Sénat, ce que l’on pense de ce grand fantasme technocratique du gouvernement actuel.

Certes, l’histoire de la régionalisation française compte des dizaines de propositions de redécoupage depuis la seconde moitié du XIXe siècle. La DATAR, en particulier, vous vous en souvenez, a toujours excellé dans ce que l’on peut appeler ce « grand rêve de l’optimum dimensionnel ». Cependant, passer de vingt-deux régions métropolitaines à treize, voire, peut-être, quatorze, comme c’est proposé, est-ce que cela a bien un sens institutionnel ?

Y a-t-il un réel intérêt à revenir sur une organisation géographique et institutionnelle régionale riche de quarante ans d’expériences et de pratiques politiques et culturelles en se contentant de penser que le renforcement indispensable du pouvoir régional passe obligatoirement par la diminution du nombre des entités régionales et par l’augmentation corrélative de leur dimension géographique ? Pour moi, la réponse est non.

On nous dit qu’il s’agit de faire de ces nouvelles régions des collectivités qui vont compter à l’échelle européenne et que celles-ci sont devenues indispensables à l’échelle de la mondialisation économique.

Or les régions européennes qui comptent ne sont pas toujours les plus grandes ni les plus peuplées, mais bien celles qui disposent d’une capacité politique et financière suffisante pour faire face aux enjeux économiques et sociaux sur leur territoire. Vous le savez bien, la superficie moyenne des régions françaises est supérieure à celle des Länder allemands. En revanche, ces derniers, s’ils sont plus peuplés, disposent surtout d’un portefeuille de compétences bien plus large et de ressources financières correspondantes.

Dès lors, la France, avec ses 66 millions d’habitants, doit-elle absolument s’engager à diviser par deux le nombre de ses régions ? Cela constituerait une nouvelle exception européenne dont le gouvernement actuel s’enorgueillit régulièrement !

D’ailleurs, quel État européen, fédéral par création ou par transformation, régionalisé par restructuration, a-t-il procédé de même ? Aucun ! Quel autre État européen a-t-il décidé de procéder de manière autoritaire à des fusions obligatoires de ses territoires régionaux ? Aucun !

En procédant de la sorte à des mariages forcés, ne risque-t-on pas simplement de dégoûter les mariés du mariage, en l’occurrence de la régionalisation ? Encore que, au temps du mariage pour tous, on n’en est pas à cela près ! (Mme Cécile Cukierman s’exclame.)

Il est illusoire de penser que c’est la collectivité territoriale et économique qui crée, comme par enchantement, un esprit régional. Pour moi, la régionalisation n’a de sens que si elle développe et suscite la participation de la population à la vie et à l’activité régionales. On ne participe que dans des institutions à sa mesure.

Cela étant dit, et puisque nous sommes en deuxième lecture, il est heureux que, devant l’aveuglement et l’intransigeance du Gouvernement, la commission spéciale nous ait proposé le texte tel qu’il est, que je considère comme un équilibre s’agissant des dispositions relatives à la délimitation des régions.

Après l’article 1er A, que nous venons d’adopter et qui réaffirme la vocation de chaque territoire, je soutiendrai son article 1er en ce qu’il crée une carte des régions plus cohérente avec la réalité territoriale et la volonté manifestée par les élus locaux et, surtout, pour le Grand Est, dissocie l’Alsace des régions Lorraine et Champagne-Ardenne.

Voilà plusieurs années que nous travaillons, Mme Fabienne Keller l’a dit, en faveur de la création d’une collectivité territoriale unique en Alsace, fusionnant les conseils généraux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin avec le conseil régional d’Alsace. En supprimant un niveau de collectivité, cette réforme viendrait ainsi simplifier l’organisation administrative et politique tout en permettant de faire des économies dans une région dont la taille mais aussi l’identité le justifient.

Il ne s’agit pas pour nous de se détourner de la République, pas plus que cette position n’est dirigée contre la Lorraine ou contre la Champagne-Ardenne, leurs collectivités, leurs élus ou leurs habitants. Toutefois, les Alsaciens, de façon plus générale, ont fait connaître leur scepticisme relatif à la création d’une grande région Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne qui ferait deux fois la taille de la Belgique, aux orientations économiques très différentes, qu’on le veuille ou non, sans que les moyens et les compétences soient à la hauteur des défis posés.

Cette position s’inscrit parfaitement dans les objectifs du projet de loi, qui est fondé sur la nécessité d’améliorer la gouvernance territoriale, ainsi que l’efficacité et l’efficience des politiques publiques mises en œuvre dans les territoires.

C’est la raison pour laquelle je vous invite, mes chers collègues, à soutenir le texte de notre commission spéciale et à voter pour le maintien de son article 1er. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, sur l’article.

M. Jacques Mézard. Monsieur le ministre, si je m’adresse une nouvelle fois à vous, c’est pour tenter d’avoir un certain nombre de réponses que je n’ai toujours pas obtenues.

En effet, depuis le début de la discussion de ce texte – que ce soit en juillet ou aujourd’hui – nous n’avons pas obtenu d’explication précise – en tout cas, nous ne connaissons pas la motivation – par rapport à ce qui a présidé à l’élaboration de la carte voulue par le Gouvernement.

M. André Reichardt. Tout à fait !

M. Jacques Mézard. Nous n’avons, je le répète, obtenu aucune explication sérieuse.

Nous avions dit, au mois de juillet, que l’étude d’impact était indigente, que ce découpage était le fait du prince, qu’il s’agissait en fait de découper des régions – d’autres l’ont dit avant moi – en fonction du poids plus ou moins important de tel ou tel élu.

J’en ai d’ailleurs encore apporté la preuve hier en parlant de l’évolution de la carte relative au Limousin.

M. Jacques Mézard. En effet, à l’origine, le texte initial du Gouvernement plaçait le Limousin plutôt au Centre. Puis, sur la base des réactions d’un certain nombre d’élus du Limousin – peu nombreux, d’ailleurs –, du maire de Tulle, en particulier, il y a eu un changement total pour raccrocher le Limousin à l’Aquitaine.

Qu’on ne me dise pas aujourd’hui que ce changement est la conséquence de modifications dans les équilibres économiques, dans les flux économiques et démographiques ! C’est la stricte application de la volonté de quelques élus !

Voilà la réalité de ce découpage ! Dire autre chose ne correspond pas à la réalité. Ce que nous souhaitions et ce qui était initié à l’origine par le rapport Raffarin-Krattinger, qui proposait huit à dix grandes régions, c’était un découpage sur la base de grands équilibres, de grands bassins de vie, de flux économiques, de flux démographiques. Cela avait un sens.

M. Jacques Mézard. Les modifications de carte que l’on nous propose aujourd’hui ne sont pas le fruit d’une véritable étude, mais de l’exercice, plus ou moins fort, de pouvoirs par les uns ou par les autres.

Lorsque notre commission spéciale a auditionné, en juin dernier, les représentants des présidents de région – ils étaient quatre ou cinq autour du président Alain Rousset –, le mot qui revenait le plus souvent dans leur bouche, cela avait frappé nombre d’entre nous présents ce jour-là, était le mot « pouvoir ».

M. Bruno Sido. Exactement !

M. Jacques Mézard. Il fallait qu’ils exercent du « pouvoir » !

J’ai sous les yeux une interview publiée ce matin du président Martin Malvy, lequel considère, d’ailleurs, à tort, que je suis favorable à la fusion des régions Rhône-Alpes et Auvergne, et qui critique la proposition de notre commission spéciale. Lui aussi parle de « pouvoir » : il faudrait de grandes régions pour avoir plus de pouvoir... Ce ne sont pas des méthodes de découpage qui permettront de faire la France pour des décennies !

Vous nous dites que l’on va conforter la capacité d’action économique des régions. Mais comment ? Car il y a tout de même une difficulté...

Vous nous dites, comme le Premier ministre hier, qu’un certain nombre de dispositions de la loi NOTRe seront modifiées. Relisez cette loi, mes chers collègues ! Si elle était profondément changée, le projet initial n’aurait plus aucune cohérence et serait complètement déséquilibré,...

M. Jacques Mézard. ... que ce soit sur les seuils des intercommunalités – un seuil important n’avait de sens que dans le cadre du projet initial –, les compétences ou toute autre disposition de la loi NOTRe. Si vous mettez en application ce qu’a préconisé hier le Premier ministre, ce ne sera plus la même loi !

On pourrait s’en satisfaire, à condition de savoir vraiment ce que vous allez faire. Or, une nouvelle fois, nous sommes dans le flou.

Au mois d’avril 2014, le président Didier Guillaume demandait, à juste titre, le report d’un an des élections départementales et régionales, au motif qu’il fallait y voir clair et se donner du temps. Je constate, une fois de plus, que l’on a changé de système et que l’on veut nous faire agir de façon incorrecte par rapport à la mécanique utilisée. On ne change pas les institutions de notre pays de cette manière ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur de nombreuses travées de l'UMP. – M. Daniel Dubois applaudit également.)

M. Bruno Sido. Tout à fait !

M. le président. La parole est à M. René Danesi, sur l'article.

M. René Danesi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, plusieurs intervenants nous ont expliqué que la région Grand Est ferait le bonheur de ses composantes en général, et de l’Alsace en particulier. Or personne ne sait, à l’heure actuelle, quelles seront les compétences dévolues aux grandes régions. Il s’agit donc d’une promesse qui n’engage que ceux qui y croient.

M. André Reichardt. Ce n’est pas bien !

M. René Danesi. M. le ministre de l’intérieur nous a même expliqué, hier, que Strasbourg renforcerait ainsi sa position de capitale parlementaire de l’Europe. 

Si on pousse plus avant ce raisonnement, le rôle de Strasbourg serait encore mieux conforté si elle était à la tête d’une région englobant, en plus, la Franche-Comté et la Bourgogne. Et si on le suit jusqu’à son terme, on peut même dire que la position de Strasbourg capitale parlementaire de l’Europe deviendrait inexpugnable si elle était aussi la capitale de la France, comme sa concurrente Bruxelles est la capitale de la Belgique... (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. René Danesi. Mais venons-en à l’expérimentation alsacienne.

L’histoire douloureuse de notre région nous a appris à compter d’abord sur nous-mêmes. C’est dans cet état d’esprit positif que nous avons entrepris d’ôter une couche du fameux millefeuille, en fusionnant les deux conseils généraux et le conseil régional d’Alsace pour en faire le conseil territorial d’Alsace.

Bien qu’approuvé par 58 % des votants, notre référendum n’a pas été validé, faute d’avoir atteint le double quorum. À ceux qui me rappellent volontiers cet épisode, je rappelle que le général de Gaulle, lui aussi, a été recalé par les électeurs lorsqu’il a voulu créer les régions. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.)

M. Bruno Sido. Et il a démissionné...

M. René Danesi. La régionalisation a néanmoins été faite ; elle est même en train d’être refaite !

Les élus locaux et nationaux alsaciens ont donc remis leur ouvrage sur le métier, car notre réforme a du sens et pourrait servir d’exemple, sous réserve, bien sûr, de conformité législative.

Plusieurs de nos collègues s’expriment très bien sur les affaires de l’Alsace, et généralement ils nous la baillent belle, pour mieux nous demander de reporter notre réforme aux calendes grecques. Vous comprendrez que l’on puisse trouver paradoxal que l’avant-garde de la réforme du millefeuille se trouve ainsi reléguée à l’arrière-garde.

Pour vous montrer à quel point notre réforme n’est pas un repli sur nous-mêmes, je vous informe que le conseil régional d’Alsace a clairement précisé que nous étions prêts à accueillir les bras ouverts, et sous réserve qu’ils le demandent, le département de la Moselle, au nom du droit local que nous avons en commun, ainsi que le territoire de Belfort, qui a été arraché à l’Alsace en 1871. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, sur l’article.

M. Yves Daudigny. Monsieur le ministre, j’appartiens à votre majorité, sans ambiguïté.

M. Michel Raison. Quel courage !

M. François Grosdidier. Ça commence mal !

M. Yves Daudigny. Mais la franchise m’oblige à vous dire que je n’ai pas été spontanément convaincu que la division par deux du nombre de régions était un élément déterminant pour relever les deux défis auxquels la France doit faire face (Mme Elisabeth Doineau applaudit.) : le défi économique de la compétitivité et de la lutte contre le chômage et le défi de l’équilibre de nos comptes.

Je vous ai écouté, entendu, et je me range à vos arguments ainsi qu’à ceux qui ont été avancés par le Premier ministre.

Cela étant précisé, je vous indique que la carte issue des travaux de l’Assemblée nationale divise le département de l’Aisne, que je représente ici avec deux autres collègues, et qu’elle y est source de perplexité.

J’ai entendu nombre de nos collègues du Nord–Pas-de-Calais dire tout le mal qu’ils pensaient de cette carte. J’ajouterai, pour ma part, que les deux tiers du département de l’Aisne sont tournés vers l’est, et que pour les habitants de ces territoires, qu’il s’agisse de santé, d’éducation, de loisirs, de culture, de sport ou de grandes zones commerciales, le centre urbain de référence est la ville de Reims et son agglomération.

De même, un rapprochement entre la Picardie et la Champagne-Ardenne serait sans aucun doute synonyme de renforcement d’activités économiques. Je pense, bien sûr, aux pôles de compétitivité, et en particulier au pôle de compétitivité « Industries et Agro-Ressources » commun aux régions Picardie et Champagne-Ardenne. J’ai aussi en tête les productions agricoles de ces deux territoires, qui sont les premières zones céréalière et betteravière de France, ainsi que le renforcement du secteur agroalimentaire.

J’évoquerai, enfin, l’AOC Champagne, laquelle se retrouverait sous une seule et même entité régionale : ce serait un atout supplémentaire pour les viticulteurs, en cohérence avec le classement des paysages de Champagne au patrimoine mondial par l’UNESCO.

Au vu de ces différents éléments, je serai donc amené à voter l’amendement n° 45 de M. Savary. (Applaudissements sur quelques travées de l'UMP. – M. Yves Détraigne applaudit également.)

M. Antoine Lefèvre. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Michel Bouvard, sur l’article.

M. Michel Bouvard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il faut donner acte au Gouvernement d’avoir osé bouleverser la carte territoriale de la France, laquelle, il est vrai, est ancienne : celle des départements a 200 ans et celle des régions, une bonne cinquantaine d’années.

Il est évident que ces cartes ne sont plus forcément adaptées à la réalité des territoires, des bassins de vie et des bassins économiques. Donnons donc acte au Gouvernement d’avoir osé les modifier.

Nos regrets sont d’autant plus accrus que l’on n’ait pas pris le temps nécessaire pour bâtir une réforme territoriale adaptée à ces réalités économiques et géographiques, et que l’on se soit laissé aller à supprimer purement et simplement les départements, alors même qu’un échelon intermédiaire apparaissait plus que jamais nécessaire dans la perspective d’un agrandissement des régions,...

M. Alain Fouché. C’est bien vrai !

M. Michel Bouvard. ... quitte à regrouper les collectivités départementales. Au lieu de cela, on a voulu satisfaire le fantasme des grandes régions dites « de dimension européenne ».

Dans tous les États d’Europe, nous le savons, il y a de grandes régions et d’autres, moins importantes. Quoi de commun entre l’État libre de Bavière et le Schleswig-Holstein ? Quoi de commun entre la Cantabrie et la Catalogne ? Quoi de commun entre la riche Lombardie et la Basilicate, coincée au fin fond de la botte italienne ?

Pourquoi vouloir impérativement de très grandes régions, dès lors qu’on n’a pas voulu modifier préalablement les périmètres ni en discuter avec les élus ? Pourquoi des régions aussi grandes et si peu pertinentes ?

À cet égard, le cas de Rhône-Alpes fait figure d’exemple.

Dans un premier temps, le président du conseil régional, Jean-Jack Queyranne, membre de la majorité, a indiqué que la région Rhône-Alpes était assez grande. Il est vrai qu’il s’agit de la sixième région la plus peuplée d’Europe, dont la superficie représente un dixième de celle de la France, et une fois et demie celle de la Belgique.

Pour autant, on a proposé d’agrandir cette région, car on considérait qu’elle n’était pas assez grande !

On aurait pu l’agrandir au sud en intégrant le département des Hautes-Alpes, historiquement rattaché au Dauphiné et dont l’économie, alpine, est en partie tournée vers Grenoble. Ces territoires partagent aussi la même cour d’appel, et c’est là qu’une grande partie des étudiants haut-alpins font leurs études.

Pour réaliser cela, il aurait fallu, dans un premier temps, accepter de retoucher les périmètres des régions et ouvrir le droit d’option pour les départements non pas après la réforme de la carte des régions, mais avant, ce qui aurait permis de poser les vrais problèmes dans de nombreux territoires. Que va faire l’Oise avec Lille,…

MM. Michel Delebarre et René Vandierendonck. Eh oui !

M. Michel Bouvard. alors que toute son économie est orientée vers l’Île-de-France ?

Je pense donc que nous avons perdu une occasion. Cette carte inadaptée posera des problèmes, demain, en termes de recherche d’économies. Or le but de la réforme était d’en réaliser davantage et d’accroître l’efficacité.

Où seront les économies quand, dans ces régions plus grandes, avec le transfert des routes départementales, on fera converger les régimes indemnitaires de douze, voire quatorze, départements ? (M. André Reichardt s’exclame.) Qui peut croire que l’on retiendra, dans cet alignement, le régime le moins favorable ? Qui peut croire qu’il y aura une cohérence, avec des bassins économiques qui ne sont pas adaptés ?

Mme Cécile Cukierman. On n’a toujours pas transféré les TOS...

M. Michel Bouvard. Monsieur le ministre, à partir d’une bonne initiative – la réforme de la carte territoriale, qui s’imposait –, nous allons aboutir à quelque chose de décalé par rapport aux besoins du pays. Malgré les améliorations apportées par la commission spéciale, nous sommes donc nombreux à rester sur notre faim et à voir nos attentes déçues.

J’espère, je le dis très sincèrement, que s’agissant des adaptations futures, des fusions de départements et des mobilités de collectivités, on introduira la souplesse nécessaire plutôt que la rigidité au moment d’apporter les correctifs. C’est l’intérêt du pays. (Mme Marie-Annick Duchêne applaudit.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 74 est présenté par MM. Favier et Le Scouarnec, Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

L'amendement n° 94 rectifié est présenté par MM. D. Dubois, Delahaye et V. Dubois et Mmes Loisier et Morin-Desailly.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Christian Favier, pour présenter l’amendement n° 74.

M. Christian Favier. L’article 1er est sans conteste le cœur du projet de loi, et les raisons ayant abouti à son rejet par le Sénat en première lecture restent d’actualité.

Au mois de juillet dernier, une majorité sénatoriale avait fortement dénoncé la méthode. Nous étions alors nombreux à dénoncer les regroupements proposés, car nous ne disposions d’aucun élément sérieux justifiant cette nouvelle carte régionale, à savoir une réelle étude d’impact.

L’autre argument avancé était que ce redécoupage ne pouvait se faire qu’après avoir défini les compétences et les moyens de chaque niveau de collectivités et même revisité la place et le rôle de l’État.

Or, depuis trois mois, aucun élément nouveau n’est venu dans le débat à ce propos. En ces domaines, les projets restent flous. Dans ces conditions, qu’est-ce qui pourrait justifier que le Sénat adopte cette fois l’article 1er, comme le rapporteur nous le propose aujourd’hui ?

Permettez-moi de rappeler ici ce qu’a déclaré en séance le 4 juillet dernier notre collègue Jean-Pierre Raffarin sur cet article : « Je souhaite donc que, sur ces sujets-là, on s’accorde plus de temps, on réalise plus d’études, on mène plus de débats et que l’on octroie une place plus grande à la démocratie locale, afin d’aboutir à une carte forte et légitime, qui ne serait pas contestée. Car si l’on dessine une carte pour l’histoire – c’est bien ce que nous voulons faire –, il est clair qu’elle devra être acceptée. Encore une fois, si nos décisions apparaissent comme le résultat d’arrangements entre responsables nationaux, on privera cette carte de la légitimité nécessaire. »

Pour ma part, j’ai partagé ces propos et je les partage encore aujourd’hui. Or nous n’avons pas pris le temps de réaliser des études supplémentaires ou de mener des débats, en particulier avec les citoyens eux-mêmes. La précipitation reste de mise. La seule différence entre juillet dernier et aujourd’hui, c’est le changement de majorité du Sénat.

M. Bruno Sido. Ce n’est pas rien !

M. Christian Favier. Aujourd’hui, la droite et le centre sont majoritaires.

Mme Catherine Troendlé. Cela change tout !

M. Christian Favier. Néanmoins, la carte qui nous est proposée comporte les mêmes insuffisances ; nos débats viennent d’en témoigner. Elle résulte cette fois d’un compromis en commission sans plus de justificatifs. Bien pis, elle porte la trace d’un lobbying particulièrement fort de nos collègues alsaciens, nous l’avons encore entendu ce soir.

Pour toutes ces raisons, nous proposons que le Sénat supprime une nouvelle fois cet article, afin de nous donner le temps de travailler davantage.

M. le président. La parole est à M. Daniel Dubois, pour présenter l'amendement n° 94 rectifié.

M. Daniel Dubois. Le 3 juillet dernier, j’évoquais ici même le « mariage forcé » de quelques régions, aboutissant à une carte dessinée à la va-vite sur un coin de table et qui ne satisfaisait personne. Trois mois plus tard, malgré les modifications apportées par l’Assemblée nationale, force est de constater que ce projet de regroupement des régions n’est toujours pas satisfaisant. Au gré de l’examen de ce texte, les mariages se font et se défont ; le débat de ce soir nous en offre un bel exemple.

Je ne suis pas certain que la carte idéale existe. En revanche, je sais que la méthode n’est pas la bonne et qu’une très grande majorité de mes collègues pensent comme moi.

Monsieur le ministre, si vous aviez suivi les propositions de nos excellents collègues Jean-Pierre Raffarin et Yves Krattinger, vous auriez lancé une concertation approfondie, vous auriez présenté une méthode globale pour réformer sereinement, laquelle aurait reposé sur trois questions.

Premièrement, quels services les régions doivent-elles rendre ? S’agit-il de collectivités de proximité qui devront gérer demain les routes et les collèges, comme le prévoit le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République – dans ce cas, les régions proposées sont trop grandes –, ou faut-il circonscrire leurs compétences aux grands domaines stratégiques, notamment en matière de développement, auquel cas les régions devraient s’appuyer sur des grands pôles économiques et leur nombre devrait se limiter à moins d’une dizaine ?

Deuxièmement, comment les régions doivent-elles exercer leurs compétences ? Cela nous renvoie aux moyens financiers dont elles devraient disposer. Au regard de la complexité de la fiscalité locale, ce n’est pas un chantier auquel nous viendrons à bout après quelques jours de débat au Parlement.

Troisièmement, quel doit être le rôle de l’État déconcentré ? Évitons les doublons entre les services de l’État et les collectivités territoriales.

Si nous avions réalisé des études d’impact répondant à chacune de ces questions et concluant à la meilleure carte des régions possible, il n’y aurait pas eu tant de débats et de rejets dans les territoires.

Pis, il nous a souvent été répondu que cette réforme entraînerait des économies. C’est, vous en conviendrez, un message fort en ces temps de déficit abyssal et de ras-le-bol fiscal des contribuables. M. le secrétaire d’État André Vallini a évoqué une « fourchette » de 12 milliards d'euros à 25 milliards d’euros. Ce montant a de quoi surprendre tous ceux qui connaissent bien les collectivités locales. Quelques millions d'euros peut-être, et encore ! Des milliards d'euros, sûrement pas ! Certains avancent même des coûts supplémentaires !

Très sincèrement, avant cette deuxième lecture, j’attendais du Gouvernement qu’il nous apporte la preuve des chiffres qu’il avance. Nous n’avons rien obtenu.

J’ai développé ces thématiques au cours des trois derniers mois dans mon département de la Somme. Si la notion très générale de réforme territoriale paraît à tous nécessaire, le « mariage forcé » de la Picardie avec une autre région est loin de faire l’unanimité.

Certains souhaitent que la Picardie reste seule, à l’instar d’autres régions comme la Bretagne ou encore l’Alsace. Certains préfèrent un rapprochement avec la Normandie ou la Champagne-Ardenne, pour des raisons géographiques. D’autres, enfin, préfèrent un mariage avec le Nord-Pas-de-Calais, pour des raisons historiques. Encore que la Picardie serait une mariée mal-aimée, si j’en crois les amendements déposés par mes collègues nordistes, toutes tendances politiques confondues.

M. Antoine Lefèvre. Ce n’est pas gentil !

M. Daniel Dubois. Faute d’une étude d’impact complète et compte tenu du manque de concertation locale, beaucoup considèrent que le Gouvernement sacrifie nos régions.

Ce sont toutes ces raisons qui me conduisent à proposer la suppression de l’article 1er du projet de loi. Il convient de donner du temps à la concertation et à l’élaboration d’un projet de réforme qui engage le pays pour plusieurs décennies et qui doit être admis par tous.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur. Sans surprise, la commission spéciale a émis un avis défavorable. En effet, elle n’entend pas voir supprimer la carte qu’elle a établie et votée.

M. Bruno Sido. Très bien !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. En première lecture, j’avais indiqué mon désaccord sur le contenu du projet de loi et sur la méthode suivie. Ma position s’expliquait par mon attachement à l’application stricte de l’engagement n° 54 du candidat François Hollande à la présidence de la République, qui, fort opportunément, fixait comme prioritaire une meilleure répartition des compétences entre les différents échelons et n’en supprimait aucun.

Je dois reconnaître que j’ai été favorablement impressionnée par les propos du Premier ministre hier, qui nous a rappelé que, en l’état des décisions du Gouvernement, il était hors de question de voir disparaître les assemblées départementales avant un hypothétique réexamen en 2020. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Le Premier ministre a même indiqué qu’il ne voyait aucun obstacle à ce que l’on renforce les compétences des départements pour qu’il y ait plus de cohérence dans la répartition desdites compétences. C’est un signe positif qui répond à la préoccupation exprimée par bon nombre de nos collègues lors des débats en première lecture.

M. François Grosdidier. Vous vous contentez de peu !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. L’idée que la création de grosses régions nous permette d’être compétitifs me laisse perplexe. De nombreux exemples ont été avancés par des collègues de tous bords pour démontrer que la cohérence ou la compétitivité ne tenait pas à la taille. Par ailleurs, je reste persuadée que les filières industrielles ont besoin d’établir des stratégies à l’échelon du pays tout entier. Aucune région n’est hyperspécialisée – tant mieux, du reste – et la plupart de nos filières se développent sur plusieurs régions du territoire. C’est le cas de l’automobile, de l’agroalimentaire ou même du textile, pour ce qu’il en reste.

J’ai toujours considéré que l’argument financier ne tenait pas non plus. Je l’ai d’ailleurs toujours combattu devant tous ceux qui, à la suite du rapport Attali, nous expliquaient en bons technocrates de service ce qui était bon pour la France et le peuple.

M. Gérard Longuet. Ils l’expliquent à tous les gouvernements !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Quand on habite la Haute-Normandie ou la Basse-Normandie, je comprends que l’on puisse être favorable au regroupement de ces deux régions. Cependant, les études financières montrent que, pendant dix ans, aucune économie ne serait réalisée. C’est au bout de la dixième année seulement qu’une baisse de 0,8 % du budget serait constatée. Par ailleurs, la ville qui ne serait plus capitale de région perdrait environ 4 000 emplois.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Si nos collègues normands souhaitent fusionner, qu’ils le fassent. Reste que généraliser cet exemple en invoquant l’intérêt national me paraît tout à fait illusoire.

Cela étant, nous sommes en deuxième lecture. Notre responsabilité aujourd’hui est de savoir s’il vaut mieux rejeter cet article, ce qui reviendrait à accepter le texte de l’Assemblée nationale,…

Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Voilà !

Mme Cécile Cukierman. Qui a les mêmes conséquences !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. … ou débattre du périmètre le plus pertinent de ces nouvelles régions, car je dois reconnaître que certaines régions souhaitent se fédérer, s’unir, se rassembler.

Mme Cécile Cukierman. Elles peuvent déjà le faire !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Pour ma part, si certaines régions sont volontaires, considèrent qu’il y va de l’intérêt général et que les populations sont d’accord, je n’ai rien contre. Je ne défends aucune théorie selon laquelle les petites régions seraient par nature meilleures que les grandes. Je dis simplement qu’il faut se méfier des idées préconçues et des visions technocratiques : la fusion n’a pas qu’un aspect technique.

Il faut que le débat sur le découpage des régions ait lieu. L’Assemblée nationale a élaboré un texte qui me plaît encore moins que le projet de loi initial du Gouvernement. Voilà pourquoi je ne voterai pas les amendements de suppression.

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.

M. Bruno Retailleau. Mes chers collègues, il y a des moments où nous pouvons avoir des hésitations, mais, à ce stade de nos discussions, ayons deux certitudes. La première est qu’il n’est pas question que le Sénat se laisse imposer la carte de l’Assemblée nationale.

M. André Reichardt. Très bien !

M. Bruno Retailleau. La seconde est que nous voulons discuter de cette carte.

À l’instar de la commission spéciale, je souhaite donc que les amendements de suppression soient rejetés. Ainsi, nous pourrons avancer. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)

M. Alain Fouché. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.

Mme Cécile Cukierman. Que les choses soient bien claires : si nous proposons cet amendement de suppression, c’est parce que nous ne nous retrouvons ni dans l’esprit du texte ni dans la façon de procéder. Aujourd’hui, si deux ou trois régions souhaitent fusionner, elles peuvent déjà le faire, sans d’ailleurs se soucier des conséquences humaines de cette décision. Or, il faut bien le reconnaître, nous avons assez peu parlé des femmes et des hommes qui vivent dans ces régions.

Pourquoi une loi ? Cette méthode présente l’avantage de passer outre au référendum, que tout le monde redoute ici et qui suppose d’aller devant les femmes et les hommes qui vivent sur les territoires concernés pour leur demander leur avis sur ce que tout le monde considère comme une idée géniale et lumineuse. Je ne doute pas que les régions défendent avec beaucoup de conviction leur point de vue et qu’elles ont beaucoup travaillé et échangé sur la question. Néanmoins, il se pourrait que les habitants ne le comprennent pas et, s’ils étaient consultés, émettent un autre vote que celui que l’on attendait d’eux.

En tant que parlementaires, nous avons le pouvoir de proposer, à travers l’article 1er, un certain nombre de regroupements qui plairont aux uns, mais pas aux autres. Nous faisons depuis tout à l’heure un tour de France des qualités de chacune des régions et des raisons qui devraient pousser ou non au rapprochement de telle région avec telle autre. Mais, ce qui est sûr, c’est que nous n’avons pas le pouvoir de supprimer les gens. Or faire une loi permet de contourner l’obligation de référendum, de consultation, et d’initier une démarche – nous ne polémiquerons pas sur ce sujet ce soir – répondant à des intérêts européens, à des logiques libérales, qui veulent que notre territoire soit organisé de façon compétitive.

Compétitivité et attractivité des régions, voilà les maîtres mots ! On l’a bien vu à travers les débats de cet après-midi. Quelles que soient les statistiques invoquées, en termes de population totale, de densité démographique ou de PIB régional – je n’ose pas évoquer le taux d’ensoleillement pour ne froisser personne –, on a clairement le sentiment que certaines régions sont jugées moins attractives que d’autres. Ainsi, on se les passe gentiment, en se disant tout de même que si quelqu’un d’autre pouvait les récupérer ce serait mieux. En effet, l’objectif, ce n’est pas de construire ensemble, pour le bien-être des populations, mais d’être toujours plus compétitif pour mieux écraser l’autre et pour mieux s’en sortir dans l’affrontement qui attend nos régions demain.

Si nous proposons la suppression de cet article, ce n’est pas par manque de respect pour le travail de la commission ou, plus largement, du Sénat, c’est parce que nous sommes fondamentalement en désaccord – nous l’avons dit dès la première lecture – non pas avec telle ou telle carte mais avec la méthode consistant à imposer aujourd’hui des redécoupages territoriaux aux habitants de nos régions.

On peut penser ce que l’on veut des sondages. Reste qu’un certain nombre d’entre eux le montrent : nos concitoyens n’approuvent pas nécessairement les choix proposés, quelle que soit la carte, celle du Gouvernement, celle de l’Assemblée nationale ou celle que le Sénat va selon toute vraisemblance adopter. Voilà pourquoi notre groupe votera la suppression de l’article 1er.

M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, pour explication de vote.

M. Didier Guillaume. Nous en sommes à un premier tournant de ce texte. Le Gouvernement a fait le choix, approuvé par certains, réprouvé par d’autres, de présenter un projet de loi sur un sujet dont notre pays débat depuis vingt ou trente ans : la réforme de l’administration territoriale.

Nous sommes tous d’accord dans cette assemblée pour dire qu’il faut réduire le nombre de régions. (Protestations sur plusieurs travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. André Reichardt. On n’a pas dit ça !

M. Didier Guillaume. Nous avons voté à l’unanimité le rapport Krattinger-Raffarin, selon lequel il fallait créer de grandes régions et conserver, entre cet échelon et les communes, les conseils départementaux.

Le Gouvernement a hésité à plusieurs reprises. Les dirigeants de notre pays, qu’ils soient de droite ou de gauche, s’interrogent sur l’avenir des collectivités territoriales et notamment sur celui des conseils départementaux. Gérard Longuet a évoqué l’idée de les fusionner avec les conseils régionaux. C’est une solution. Une autre solution, celle que préconise le rapport Raffarin-Krattinger, serait de créer des grandes régions tout en maintenant les conseils départementaux.

M. Alain Fouché. Ça, c’est bien !

M. Didier Guillaume. Plusieurs mois de discussions se sont écoulés. Certains les apparenteront peut-être à des tergiversations.

M. Didier Guillaume. Pour ma part, je les considère comme des marques d’écoute de la part du Gouvernement, en particulier du Premier ministre et du ministre de l’intérieur, des représentants des territoires. La proposition formulée in fine est très proche des conclusions du rapport que nous avons voté à l’unanimité : oui à de grandes régions stratèges, élaborant de grands schémas, associées à des collectivités de proximité au rang desquelles figurent les conseils départementaux ! Pour la première fois, ces deux solidarités humaines et territoriales seront inscrites dans la loi.

Sur la base de ce principe général, une carte a été proposée par le Président de la République. Le Sénat a raté le coche en première lecture, en ne se saisissant pas de cette réforme et en ne présentant pas de carte. Il a rendu copie blanche. De son côté, l’Assemblée nationale a dressé une carte différant légèrement de celle du Gouvernement. À présent, quelle est l’alternative ? Soit le Sénat passe de nouveau son tour : dans ce cas, nos collègues députés adopteront, en deuxième lecture, leur carte des régions ; soit nous élaborons notre propre carte.

Peut-être des divergences se feront-elles jour entre nous, selon l’opposition des groupes politiques ou – nous l’avons perçu sur toutes les travées de cet hémicycle – au sujet de telle ou telle fusion de régions. Le fait est que nous ne sommes pas tous d’accord. Mais au-delà des divergences de vues, entre l’opposition et la majorité comme au sein de tous les groupes – des différences d’appréciation s’expriment au sein de notre groupe au sujet de telle ou telle région –, il faut que le Sénat se saisisse de ce texte et qu’il présente une carte.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. C’est vrai !

M. Didier Guillaume. Même si elle n’est pas votée à l’unanimité, il faut l’adopter. C’est l’honneur et l’intérêt du Sénat.

M. Antoine Lefèvre. L’honneur du Sénat, depuis trois ans…

M. Didier Guillaume. C’est peut-être même l’avenir de la Haute Assemblée, chambre des collectivités territoriales, qui se joue. Il faut que nous adoptions une carte et que nous la transmettions, en deuxième lecture, à l’Assemblée nationale.

Voilà pourquoi, au-delà de nos divergences d’appréciation, nous devons rester concentrés sur les faits, sur le texte et non sur le contexte.

Hier, le Premier ministre a fait d’énormes avancées. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Alain Fouché. Très doucement !

M. Didier Guillaume. Il est allé dans le sens que nombre d’entre nous souhaitions. Le ministre de l’intérieur nous a écoutés. Il a, lui aussi, avancé dans notre direction. Je reste persuadé que, si le Sénat adopte sa propre carte, il aura été présent au rendez-vous des territoires. Voilà pourquoi les membres du groupe que je préside ne pourront pas voter la suppression de cet article.

Bien sûr, il faut discuter. Les associations d’élus sont les représentants des territoires et des populations. Les référendums ont certainement leur utilité. Mais enfin – faut-il le rappeler ? –, l’abolition de la peine de mort n’aurait pas été adoptée par référendum !

M. Gérard Longuet. Nous y voilà !

Mme Cécile Cukierman. On se couche devant l’Europe !

M. Didier Guillaume. Et peut-être que l’interruption volontaire de grossesse,…

M. Antoine Lefèvre. Il s’agit des territoires !

M. Didier Guillaume. … instituée par un texte que Mme Veil a présenté voilà quarante ans jour pour jour, n’aurait pas été votée par référendum.

Mme Cécile Cukierman. Ça n’a rien à voir !

M. Didier Guillaume. Nous, représentants des élus, devons prendre nos responsabilités et, en l’espèce, la responsabilité du Sénat, c’est de dresser une carte des régions pour l’avenir ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Jean Louis Masson. Je tiens à faire une mise au point. M. Guillaume vient d’affirmer que tout le monde, au Sénat, était favorable à une diminution du nombre des régions.

Cher collègue, je n’aime pas qu’on parle à ma place et je vous l’affirme : je ne suis pas d’accord pour qu’on réduise le nombre de régions. Voilà qui est clair et net ! Il serait bon que chacun s’exprime en son nom et se garde de parler pour les autres.

Quant au Premier ministre, il nous a peut-être entendus, mais il ne nous a pas écoutés. Il n’en a strictement rien à faire de ce qu’on peut penser ! Nous assistons à une grande mascarade : on nous parle gentiment, M. le ministre de l’intérieur multiplie les amabilités, mais, on le sait très bien, quoi que l’on dise ici, le Gouvernement fera ce qu’il voudra, et il se moque éperdument de ce qu’on peut penser, de ce qu’on peut dire et de ce qu’on peut voter.

M. Jacques Mézard. Ça, c’est tout à fait vrai !

M. Jean Louis Masson. Voilà pourquoi je ne me fais absolument aucune illusion : l’affaire est dans le sac. On va débattre durant toute une nuit d’un redécoupage des régions, puis le projet de loi va repartir à l’Assemblée nationale et le Gouvernement fera ce qu’il voudra.

M. Jean Louis Masson. Je le répète, on se moque de notre avis.

Mme Catherine Génisson. On ne peut pas dire ça ! C’est inacceptable !

M. Jean Louis Masson. Qu’on vote ou pas l’article 1er, le choix se fera de toute façon sans nous.

Le Gouvernement a sa vision des choses. Comme l’a si bien dit M. Guillaume, faute d’un vote du Parlement, telle ou telle loi n’aurait peut-être pas été adoptée. Mais poussons le raisonnement : si on dénigre le référendum sur cette base, il n’y a plus qu’à supprimer toutes les élections. Décidons que nos concitoyens n’y connaissent rien et que ce n’est pas la peine de leur demander leur avis ! En définitive, on pourrait supprimer les élections législatives et sénatoriales !

Sur un tel sujet, on ne peut pas partir du principe que le Sénat doit voter de telle manière, eu égard à la réaction de l’Assemblée nationale. Dans les faits, nous avons le choix entre deux solutions : soit faire plaisir à l’Assemblée nationale et voter comme elle ; soit dire non et, dans ce cas, nos collègues députés feront ce qu’ils voudront. Dans un cas comme dans l’autre, le résultat sera le même : l’affaire est dans le sac, et nous n’y changerons strictement rien.

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lasserre, pour explication de vote.

M. Jean-Jacques Lasserre. Pour ma part, je voterai l’amendement de M. Dubois.

L’argument suprême a été invoqué : l’honneur du Sénat ! Mes chers collègues, gardons un peu de modération dans nos propos.

Bien sûr, il est naturel et même vital, pour la Haute Assemblée, de dessiner sa propre carte, mais j’ai le sentiment que les solutions retenues par la commission spéciale ne sont pas à la hauteur des enjeux. Il reste beaucoup de zones d’ombre.

M. Jean-Jacques Lasserre. Voilà deux jours que nous le répétons.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Dans ce cas, amendez la carte !

M. Jean-Jacques Lasserre. Je ne pense pas seulement au découpage. Je songe également à l’avenir des départements. Je le répéterai en défendant un amendement dans la suite de nos débats : les conseils départementaux sont étroitement liés à l’échelon régional.

On a beau user de toutes les précautions de langage, je reste convaincu que nous traitons ce dossier d’une manière totalement morcelée. C’est la même chose pour les intercommunalités. À mon sens, l’honneur du Sénat, ce serait de dire : il y a tant d’incertitudes, tant de doutes – chacun d’entre nous s’est exprimé avec beaucoup de sincérité sur ce point –, qu’il faut donner un peu plus de temps au temps et revoir la copie. (Applaudissements sur quelques travées de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.

M. Ronan Dantec. La tournure que prend ce débat me laisse très perplexe. On le voit bien, au stade de la deuxième lecture, nous ne disposons toujours pas d’une méthodologie pour définir une carte cohérente. Voilà le problème sur lequel nous butons.

M. Jean-François Husson. Ni carte, ni méthodologie, ni stratégie : rien !

M. Ronan Dantec. Qui plus est, la schizophrénie est presque permanente : tantôt, on s’exprime en tant qu’élu d’un territoire en exposant sa vision de ce dernier, ce qui suscite en général une réponse politique de la part de nos collègues, tantôt, les rôles s’inversant, on est guidé par une vision globale des collectivités territoriales françaises. Résultat : nous n’avançons pas !

M. Ronan Dantec. Voilà pourquoi nous risquons fort d’adopter une carte dépendant avant tout des divers rapports de force.

Je me dois de le rappeler : en la matière, la responsabilité du Gouvernement est véritablement engagée. La stratégie initiale exposée par Manuel Valls, à savoir « je vais faire vite et fort, sans quoi vous allez bloquer ce chantier et nous n’avancerons pas », ne fonctionne pas. En effet, le Gouvernement n’a pas expliqué ce qu’étaient les nouvelles régions, quelles seraient leurs missions. Nous aurions dû disposer d’une carte établie selon ce critère des compétences,…

M. Gérard Cornu. C’est vrai !

M. Ronan Dantec. … et être à même d’en débattre, en la confrontant à des solutions alternatives. Or le Gouvernement a estimé que, dans certaines régions, les grands élus étaient les plus forts et qu’ils étaient en mesure de tout bloquer : c’est le cas de l’ouest de la France, où ceux-ci sont si nombreux et si influents que rien ne bouge. Cela se fait au détriment de la région Centre qui, à l’évidence, au regard de tout ce que l’on nous a expliqué, ne répond pas aux ambitions des nouvelles régions françaises sur le plan des fonctions, notamment métropolitaines.

Pour notre part, nous nous abstiendrons sur ces deux amendements, car on ne nous dit pas non plus, par ce biais, comment nous allons nous en sortir.

M. Christian Favier. Il faut inverser les textes !

M. Ronan Dantec. À cet égard, je tiens à évoquer brièvement l’amendement que je défendrai dans la suite de nos débats et qui – c’est son mérite – tend à donner une méthodologie. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

À un moment ou un autre, il faut que l’on s’interroge : cette question doit-elle être tranchée à trois, c’est-à-dire entre le Gouvernement, le Parlement et les élus régionaux ?

M. Ronan Dantec. N’y a-t-il pas trop d’interlocuteurs ?

M. Ronan Dantec. Au demeurant, la position du Sénat n’est pas très claire : la Haute Assemblée se prononce-t-elle en tant que chambre parlementaire nationale ou comme ensemble d’élus des territoires ? On voit bien quelle est la difficulté.

J’en suis persuadé, nous aurions gagné à ce que le Gouvernement assume ses responsabilités jusqu’au bout, en posant sur la table une carte complète, représentant l’équilibre territorial tel qu’il le voit, et explicitée par des critères objectifs. Bien sûr, il reste toujours une part de subjectivité. Mais cette démarche n’a pas été suivie.

On aurait pu débattre sur cette base. À l’inverse, on aurait pu partir de la volonté des territoires, le Gouvernement s’engageant, dans ce cas, à prendre ses responsabilités si les partenaires locaux n’aboutissaient pas à un accord.

Les méthodes suivies n’ont pas été explicitées. Nous en restons donc à une discussion au cours de laquelle, j’en suis certain, nous allons débattre très longuement de chaque fusion. Certains élus très engagés défendront une vision précise de tel ou tel territoire. D’autres, qui n’ont pas une idée très claire de toutes les régions, voteront suivant l’éloquence des uns et des autres ou selon les consignes du groupe auquel ils appartiennent.

Je suis extrêmement déçu par la tournure que prend ce débat. Je reste convaincu que, la France ayant changé, il fallait améliorer une carte datant des années 1950-1960. Cette évolution me semblait légitime, en lien avec le renforcement des pouvoirs régionaux que nous discuterons ensuite. Sur ce point, j’étais donc plutôt en accord avec le Gouvernement.

Toutefois, l’absence de méthode nous place dans une situation très difficile. Peut-être peut-on encore réussir à avancer, en nous donnant du temps. Je ne demande pas des années, ce n’est pas une manœuvre dilatoire, mais trois ou quatre mois, quitte à accepter, au terme de cette période, que le Gouvernement tranche par décret. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Alain Fouché. Vous voulez la mort du Parlement ?

M. Ronan Dantec. Je ne m’attendais pas à susciter l’enthousiasme avec cette dernière proposition, mais, reconnaissons-le, mes chers collègues, nous n’y arrivons pas.

Relevons tout de même que ce défaut de méthodologie – il me semble que nous sommes d’accord à ce sujet – générera une carte qui provoquera beaucoup de frustrations et de désaccords et, surtout, qui sera fondamentalement déséquilibrée. (Applaudissements sur certaines travées de l'UMP et de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-François Husson. Il n’a pas dû apprécier que l’on critique sa méthode !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Le Sénat a fait un très bon travail ces derniers jours dans le cadre de sa commission spéciale.

J’ai entendu les présidents des groupes faire part de leur souhait que le Sénat ne se dessaisisse pas cette fois-ci de cet important débat. Or chacun a compris, me semble-t-il, qu’il n’existait pas de carte parfaite. Si celle qui vous est soumise ne convient pas, essayons d’en bâtir ensemble une meilleure, au cours d’une discussion permettant, amendement après amendement, de trouver un compromis.

Si le Sénat, une deuxième fois, se dessaisit de la discussion d’un texte qui lui appartient plus qu’à tout autre, puisqu’il concerne les collectivités locales, je crains que son image n’en pâtisse auprès des Français. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC.)

M. Roland Courteau. Tout à fait !

M. le président. La parole est à M. René Vandierendonck, pour explication de vote.

M. René Vandierendonck. Je comptais dire, en beaucoup moins bien, ce que le ministre vient d’expliquer.

M. Gérard Longuet. C’est pour cela qu’il est ministre ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Dubois, pour explication de vote.

M. Daniel Dubois. Je voterai évidemment l’amendement communiste, ce n’est d’ailleurs pas la première fois. Nous nous retrouvons souvent sur certaines questions, notamment concernant le logement.

J’adhère entièrement aux propos de notre collègue Dantec. Alors que l’on nous explique que l’apport du Sénat, représentant des collectivités, doit apparaître dans le texte, nous nous livrons à une démonstration exceptionnelle de la capacité des uns et des autres à ne discuter que de la future région à laquelle ils veulent appartenir, sans aucune vision globale de la méthodologie.

Je le répète, ce gouvernement a commis une erreur magistrale. Sans doute a-t-il besoin de lancer des réformes structurelles, tant Bruxelles est en train de le pister, mais il aurait pu laisser un peu de temps et préparer une loi-cadre fixant un certain nombre de critères.

Je suis consterné que nous soyons en train de réformer ce pays pour les cinquante prochaines années sans aborder la problématique du rivage ni celle de la mer, alors même que l’on dit partout que la richesse des territoires s’y trouvera demain.

On ne dit pas non plus un mot de la grande région parisienne, qui représente 40 % du PIB de ce pays, ou des capitales régionales, qui devront structurer les futures régions.

La méthodologie aurait dû être le sujet majeur du jour, mais nous assistons à une bataille de chiffonniers…

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Parlez pour vous !

M. Daniel Dubois. … pour savoir avec qui, dans quel département ou dans quelle région chacun souhaite se retrouver demain. Voilà où en est l’honneur du Sénat, mon cher Didier Guillaume ! Nous sommes plutôt témoins, ce soir, du déshonneur du Sénat ! (Oh ! sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. N’exagérez pas !

M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.

M. Philippe Bas. Il est certain que le Sénat n’a pas apprécié la manière dont cette réforme a été engagée. Il a reproché au Gouvernement une forme d’improvisation et des choix faits à l’emporte-pièce, avec l’annonce, à grand renfort de tambours et de trompettes, de la suppression des départements.

Cela étant, depuis ces annonces surprenantes et précipitées, un travail a été engagé. Après avoir rejeté la carte des régions au mois de juillet, nous avons obtenu hier, grâce à l’intervention du président Larcher, un débat. Il a été riche, et j’y ai perçu la possibilité d’évolutions sur des questions fondamentales qui auraient dû être traitées en même temps qu’était tracée la carte des régions, à savoir la répartition des compétences.

Le Sénat ne peut pas se mettre à l’écart d’une réforme des territoires.

M. André Reichardt. Très bien !

M. Philippe Bas. Il doit adopter une position claire et volontariste et prendre le parti de la modernisation. Il est important pour nous de ne pas accepter d’être évincés de ce débat.

Le véritable enjeu du vote sur l’article 1er est de savoir si nous continuons à peser sur cette réforme, notamment dans la perspective de la discussion du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, ou si nous décidons de laisser le champ libre au dialogue exclusif entre le Gouvernement et sa majorité à l’Assemblée nationale.

J’observe que des évolutions fortes, conformes à nos préconisations, sont possibles sur les compétences comme sur le présent et l’avenir des départements.

J’observe que nous avons toujours prôné ici la constitution de grandes régions.

J’observe que notre commission spéciale, qui n’est pas extérieure au Sénat car elle représente, avec un nombre plus limité de sénateurs que dans notre hémicycle, toutes les composantes de cette assemblée,…

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Y compris géographiquement !

M. Philippe Bas. … s’est accordée sur une carte. Quels que soient les débats qui ont eu lieu jusqu’à présent, il s’agit d’un pas en avant utile.

J’observe que nous avons adopté l’article 1er A, qui met en musique le deuxième paragraphe de l’article 72 de la Constitution sur le principe de subsidiarité et qui inscrit dans la loi la place des départements dans la hiérarchie des collectivités territoriales.

J’observe, enfin, que nous aurons à débattre de l’exercice d’un droit d’option pour les départements qui souhaiteront changer de région. Ce droit d’option doit être rendu opérationnel.

Pour toutes ces raisons, bien que je partage beaucoup des arguments qui ont été énoncés quant à ses défauts, cette carte, aussi imparfaite soit-elle,…

M. André Reichardt. Elle est équilibrée.

M. Philippe Bas. … ne peut être rejetée. Nous nous devons aujourd’hui de prouver notre capacité à avancer, y compris en sacrifiant certaines de nos convictions, car nous pouvons espérer que celles-ci finiront par prévaloir dans les discussions à venir sur les compétences. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.

M. Jacques Mézard. Au mois de juillet, la majeure partie d’entre nous a dit tout le mal qu’il pensait de la méthode utilisée par le Gouvernement. À travers la motion référendaire ou la saisine du Conseil constitutionnel, nous avons fait savoir avec force que nous la désapprouvions totalement. Nous devons toutefois tous être conscients aujourd’hui qu’il ne restera rien à l’Assemblée nationale de l’article 1er A ou de la carte que nous allons adopter.

M. Alain Fouché. Ce n’est pas certain !

M. Gérard Longuet. Vous inversez la charge de la preuve !

M. Jacques Mézard. Ne vous faites aucune illusion !

Cela étant, je suis d’accord avec ce que vient de dire Philippe Bas : il y aura des évolutions au sujet des départements. Certains d’entre nous y ont d’ailleurs beaucoup contribué, par des négociations difficiles avec l’exécutif.

M. Gérard Longuet. Nous les avons sauvés !

M. Jacques Mézard. Reste que l’important ce soir, c’est l’expression politique du Sénat. Il est vrai que nous ne pouvons pas être absents de ce débat, même s’il nous faut rester lucides : ce texte ne contiendra rien in fine de ce que la majorité qui s’exprimera ici décidera.

En revanche, monsieur le ministre, nous avons reçu l’engagement du Premier ministre, et le vôtre, qu’il y aurait des évolutions sur le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République. Ce n’est pas neutre : nos efforts auront ainsi un effet positif.

M. Bruno Retailleau. Nous sommes d’accord !

M. Jacques Mézard. Si le Sénat décidait de tout bloquer, ce serait très difficile à expliquer. J’espère toutefois que le Gouvernement comprendra qu’il est utile et nécessaire de respecter davantage la Haute Assemblée à l’avenir. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l'UMP.)

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 74 et 94 rectifié.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.

Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 5 :

Nombre de votants 347
Nombre de suffrages exprimés 337
Pour l’adoption 29
Contre 308

Le Sénat n'a pas adopté.

L'amendement n° 98, présenté par MM. Dantec, Placé et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

I. – 1° Au plus tard le 1er février 2015, plusieurs régions formant un territoire d’un seul tenant et sans enclave peuvent, par délibérations concordantes de leurs conseils régionaux, demander à être regroupées en une seule région.

Ces délibérations sont précédées d’une consultation des citoyens sous la forme d’un débat public.

2° L’avis du comité de massif compétent est requis dès lors que l’une des régions intéressées comprend des territoires de montagne au sens de l’article 3 de la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne. Son avis est réputé favorable s’il ne s’est pas prononcé à l’expiration d’un délai de quatre mois suivant la notification par le représentant de l’État des délibérations des conseils régionaux intéressés.

Par dérogation aux articles L. 4132-8 et L. 4132-9 du code général des collectivités territoriales, la demande de regroupement des régions prévue au premier alinéa est inscrite à l’ordre du jour du conseil régional à l’initiative d’au moins 10 % de ses membres.

3° Ce projet de regroupement est soumis pour avis aux conseillers économiques, sociaux et environnementaux régionaux des régions concernées ainsi qu’aux conseils départementaux concernés. L’avis de tout conseil départemental qui, à l’expiration d’un délai de trois mois suivant sa saisine par le président du conseil régional, ne s’est pas prononcé est réputé favorable.

II. – Le 1er mars 2015 au plus tard, le Gouvernement propose une carte complète de délimitation des régions de la métropole, respectant les propositions de fusions réalisées par délibérations concordantes des assemblées délibérantes des régions.

Ce découpage est soumis pour avis aux assemblées délibérantes des régions concernées, après organisation d’une consultation des citoyens. L’avis du Conseil économique, social et environnemental régional des régions concernées et des conseils départementaux concernés est aussi sollicité.

III. – La modification des limites territoriales des régions est décidée par décret en Conseil d'État au plus tard le 31 mars 2015.

La parole est à M. Ronan Dantec.

M. Ronan Dantec. M. Mézard vient de souligner avec lucidité qu’il ne restera probablement pas grand-chose in fine de la carte régionale que nous allons adopter.

M. Jacques Mézard. Il n’en restera rien !

M. Ronan Dantec. Je vous propose donc, mes chers collègues, une sorte de testament politique du Sénat sur cette réforme territoriale.

Le Sénat doit faire passer deux messages très lisibles et beaucoup plus simples.

D’une part, par la méthodologie prévue dans cet amendement, le Sénat dit haut et fort que ce sont les régions qui doivent être au centre du débat, faisant en cela écho aux propos tenus précédemment. Aussi, nous voulons commencer par demander aux régions ce qu’elles veulent pour elles-mêmes en matière de regroupement et de fusion. Puisque ce n’est pas la Haute Assemblée qui va réussir à dessiner la carte, il revient aux territoires d’essayer de se mettre d’accord sur un projet soutenu par des régions contiguës.

D’autre part, plutôt que de donner l’impression que le Parlement décide, alors que la décision appartient finalement au Gouvernement, on demande à l’État de prendre ses responsabilités en cas de désaccord des territoires. Après cette phase de discussion dans les régions – on part du bas pour remonter vers le haut –, l’État décide par décret.

L’adoption de cet amendement serait évidemment extrêmement frustrante pour la suite du débat – je ne suis d’ailleurs pas très optimiste quant au sort qui lui sera réservé –, mais cela aurait le mérite de faire passer deux messages très clairs : on s’appuie sur ce que veulent les territoires et l’État prend vraiment ses responsabilités, en nous expliquant sur quelle base il fait la carte finale.

Plutôt que de passer des heures et des heures à débattre du découpage territorial, pour un résultat bien aléatoire – un compromis entre nous sur un équilibre fragile –, faisons passer ces deux messages clairs.

Qui plus est, on fait aussi passer un message quant au calendrier. En effet, on ne mettra pas dix ans à engager cette réforme. Le dispositif est prévu sur quatre mois : au 1er avril 2015, la question sera réglée, avec une nouvelle carte. Mais on reviendra ultérieurement sur la question du calendrier.

En écho aux propos de M. Mézard, ce message politique clair portera peut-être plus que la carte fragile que nous allons élaborer durant les prochaines heures.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur. Cet amendement renaît de ses cendres : il avait été rejeté en première lecture par la commission spéciale et la Haute Assemblée.

La commission spéciale a émis de nouveau un avis défavorable : c’est un destin funeste que connaît donc ce testament.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. La réforme de la carte régionale, qui est une mesure dont on voit l’importance et la complexité, ne saurait être retardée davantage. On ne peut prendre une nouvelle fois le risque de ne pas l’engager.

Cette réforme permettra de doter nos territoires, dès 2016, d’une organisation propre à assurer leur développement dans les meilleures conditions, afin de permettre aux régions d’organiser leur regroupement dans la plus grande transparence. Il est nécessaire que la représentation nationale décide d’une nouvelle carte, et ce sans trop tarder.

La procédure que vous proposez, monsieur le sénateur, n’aboutirait qu’au 1er mars 2015, ce qui réduit le temps de préparation nécessaire à la réussite des regroupements et dessaisit en réalité le Parlement de la définition de cette carte.

Dans ces conditions, le Gouvernement ne peut être favorable à cet amendement.

Mme Catherine Tasca. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. Toute parole inutile sera expiée, dit l’Écriture.

M. Jean-Pierre Sueur. Nous allons tous être damnés ! (Sourires.)

M. Pierre-Yves Collombat. On sait très bien quelle est la fonction de ce projet de loi : c’est un coup politique !

Rappelez-vous, mes chers collègues, la loi MAPAM a été adoptée à la fin du mois de janvier dernier. Le Président de la République, en visite en Corrèze, dit alors tout le bien qu’il pense des départements. Deux mois après, plus de départements, et on parle de regrouper les régions…

Bon, le temps passe, toute parole inutile doit être évitée. Je me tais ! (Rires et applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Dubois, pour explication de vote.

M. Daniel Dubois. Après ce que vient de dire mon collègue Collombat, je ne sais si ma parole sera inutile… En tout cas, je tiens à redire que ce gouvernement n’a aucune méthode pour réformer notre pays pour un demi-siècle ou plus encore. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) C’est inadmissible ! C’est inacceptable !

Si l’on avait voté une loi-cadre, si l’on avait donné douze ou quatorze mois aux territoires pour choisir, avec des critères – l’importance de la mer, de la région parisienne en termes de PIB, d’avoir une métropole internationale dans chacune des régions –, et si on les avait consultés au travers d’une commission nationale mixte, qui aurait conduit le débat, on aurait pu ensuite, en cas de désaccord, procéder par ordonnance ou décret.

Voilà la méthode que prévoit cet amendement ! C’est pourquoi je le voterai.

M. Ronan Dantec. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Christian Favier, pour explication de vote.

M. Christian Favier. L’amendement présenté par notre collègue Dantec est intéressant. Pour la première fois, on mentionne les citoyens, qui sont les grands absents du débat. Il n’y a pour l’instant que des arrangements entre élus.

Sur une réforme de cette importance, il est essentiel d’engager au préalable un véritable débat public dans notre pays. Pour notre part, nous aurions même souhaité aller un peu plus loin encore, en proposant un référendum : nous aurions aimé que les citoyens s’expriment sur cet enjeu, qui a d’ailleurs été souligné par tous.

Je le répète, l’amendement n° 98 propose une avancée intéressante. C’est pourquoi le groupe CRC le votera.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 98.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 75, présenté par MM. Favier et Le Scouarnec, Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Rédiger ainsi cet alinéa :

2° Après le second alinéa, il est ajouté un II ainsi rédigé :

La parole est à Mme Christine Prunaud.

Mme Christine Prunaud. L’alinéa 3 de l’article 1er supprime le second alinéa de l’article L. 4111-1 du code général des collectivités territoriales, qui dispose que les régions « sont créées dans les limites territoriales précédemment reconnues aux établissements publics régionaux ». Or il s’agit de la seule disposition du code précité faisant mention du périmètre territorial des régions. Même si cela est fait de façon indirecte, la référence aux anciens établissements publics régionaux rattache cette définition aux périmètres de ceux-ci.

Dans l’article actuel, la référence aux établissements publics régionaux renvoie à la loi du 5 juillet 1972, qui a créé ces établissements et qui précise que la délimitation des régions est définie, en application de son article 2, par un décret pris en Conseil d’État. Rappelons que ces établissements succédaient aux circonscriptions d’action régionale créées, elles aussi, par décret du 9 janvier 1970, lesquelles faisaient suite aux régions économiques de programme, qui remplaçaient elles-mêmes les comités régionaux d’expansion mis en place en 1954.

C’est ainsi que le décret n° 60-516 du 2 juin 1960 portant harmonisation des circonscriptions administratives définit le territoire des régions à partir des départements. Certes, la définition territoriale des régions est peu lisible, mais, en supprimant cette référence aux anciens établissements publics régionaux, il y a rupture avec la chaîne réglementaire passée, et il n’existe donc plus de définition territoriale des régions à partir des départements constituant leur territoire. Leur définition devient donc « hors sol », si j’ose dire.

Par ailleurs, ce texte prévoit que des départements pourront demander à changer de région. Mais si plus rien ne définit les régions, une insécurité juridique peut alors s’ensuivre.

Pour toutes ces raisons, nous vous proposons, mes chers collègues, d’adopter cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur. Cet amendement vise à supprimer l’alinéa 3 de l’article 1er, lequel rédige l’alinéa 4, qui fixe la date du 1er janvier 2016 pour l’application de la loi, ce qui revient à supprimer de fait l’article 1er.

M. André Reichardt. C’est rusé !

M. François-Noël Buffet, rapporteur. En conséquence, la commission a émis un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 75.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 61 rectifié, présenté par MM. J. Gillot, Cornano, Desplan, S. Larcher, Patient, Karam et Antiste, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 4

Remplacer les mots :

régions d’outre-mer

par les mots :

collectivités de Guyane, de Martinique, de Mayotte, de La Réunion

II. – En conséquence, après l’alinéa 11

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« – Guadeloupe ;

La parole est à M. Jacques Gillot.

M. Jacques Gillot. Aujourd'hui, la Guadeloupe est le seul des trois territoires français d’Amérique à ne pas avoir connu d’évolution institutionnelle. En effet, la Guyane et la Martinique ont récemment fait le choix d’être des collectivités uniques en lieu et place d’une région d’outre-mer monodépartementale.

Ainsi, la Guadeloupe demeure isolée dans la dynamique actuelle impulsée par la réforme territoriale du Gouvernement, d’un côté, et par la Guyane et la Martinique, de l’autre. Or ce seul territoire comprend trente-deux communes, six intercommunalités, une région et un département, une organisation territoriale qui est, depuis longtemps, source de doublons, de déperdition et d’enchevêtrement des politiques publiques.

Cet amendement vise à associer la région de la Guadeloupe à la réforme territoriale en cours, destinée à simplifier le millefeuille territorial, à renforcer l’efficacité des services publics et à redresser les comptes publics. Mes chers collègues, il est conforme à l’intérêt général d’associer la Guadeloupe à la réforme territoriale, pour en faire une grande région qui sera beaucoup plus efficace que l’actuelle région monodépartementale.

M. Didier Guillaume. Très bien !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur. Sur le fond, la proposition de M. Gillot mérite tout à fait d’être débattue. Seulement, le projet de loi que nous examinons ne traite que des limites des régions, et uniquement sur le territoire métropolitain – le principe en a été clairement énoncé. Or le dispositif proposé par notre collègue ne modifierait pas le périmètre de la Guadeloupe. L’avis de la commission est donc défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Jacques Gillot, pour explication de vote.

M. Jacques Gillot. Monsieur le rapporteur, je vous rappelle que, en vertu du principe d’identité législative qui s’applique aux collectivités d’outre-mer relevant de l’article 73 de la Constitution, la loi s’applique de plein droit dans les départements et régions d’outre-mer concernés, sans qu’il soit nécessaire de procéder à des adaptations.

La Guadeloupe fait partie intégrante de la nation et elle a le statut de région. Dès lors, si l’on peut opérer le regroupement de deux régions, c’est-à-dire de deux ensembles territoriaux, pourquoi ne pourrait-on pas associer le département et la région sur un même territoire ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. C’est vrai, mais ce n’est pas le sujet de ce débat !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. François-Noël Buffet, rapporteur. Mon cher collègue, l’article 73 de la Constitution porte sur les politiques publiques, tandis que, dans le présent débat, nous ne nous intéressons qu’aux périmètres.

Mme Cécile Cukierman. Aux périmètres et à pas mal d’autres choses aussi !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 61 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 16 rectifié, présenté par MM. Patriat et Durain, est ainsi libellé :

Alinéa 4

Remplacer la date :

1er janvier 2016

par la date :

4 janvier 2016

La parole est à M. Jérôme Durain.

M. Jérôme Durain. Cet amendement vise à éviter, dans les régions regroupées, une vacance d’organe exécutif entre les 1er et 4 janvier 2016, qui poserait un problème majeur de continuité de l’action publique, en particulier pour les actes d’administration de nature conservatoire et urgente.

En effet, le II de l’article 1er fixe au 1er janvier 2016 l’instauration des nouvelles régions, dans les limites territoriales fixées au 31 décembre 2015. Le II de l’article 12 fixe au mois de décembre 2015 le prochain renouvellement des conseillers régionaux et, par conséquent, la fin du mandat des conseillers régionaux actuels. L’article 12 prévoit en outre que les présidents des régions regroupées assureront la gestion des affaires courantes et urgentes entre la date du scrutin et le 31 décembre 2015. Or le même article dispose aussi que les conseillers régionaux des régions regroupées tiendront leur première réunion le lundi 4 janvier 2016 pour désigner le nouvel exécutif. Il en résulte que, entre le 1er et le 4 janvier, aucun exécutif ne sera en responsabilité.

Cet amendement vise à prolonger l’existence des régions actuelles jusqu’au 4 janvier 2016, afin de satisfaire aux objectifs constitutionnels de continuité du service public et de sécurité juridique.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur. Favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je comprends parfaitement l’objet de cet amendement et l’esprit qui anime ses auteurs. Il n’en reste pas moins qu’il pose des problèmes techniques graves et très nombreux, au sujet desquels je vais donner quelques explications.

Je rappelle que le calendrier prévu, comme l’ensemble du dispositif présenté par le Gouvernement, a été arrêté après que le Conseil d’État l’eut très attentivement examiné au mois de juin dernier. Nous avons cherché à mettre en place le calendrier le plus cohérent possible : les élections régionales en décembre 2015, les mandats des conseillers régionaux et les fonctions des présidents de conseil régional étant prorogés jusqu’au 31 décembre, la création des nouvelles régions au 1er janvier 2016 et l’installation de la nouvelle assemblée, ainsi que l’élection de son exécutif, le lundi 4 janvier 2016.

Monsieur Durain, reporter au 4 janvier la création des nouvelles collectivités présenterait des inconvénients juridiques, budgétaires, fiscaux et comptables qui paraissent tout à fait hors de proportion au regard du problème juridique que vous soulevez en ce qui concerne les trois jours de vacance d’exécutif régional. Ces problèmes techniques tiennent au fait que, si votre proposition était adoptée, les anciennes régions devraient adopter un budget et payer leurs agents pour trois jours seulement ; elles devraient prendre des délibérations fiscales pour trois jours ; il faudrait également mettre en place, pour ces trois jours, un dispositif de reversement entre les anciennes régions et la nouvelle. En outre, les dispositifs de péréquation régionale devraient être calibrés pour trois jours, et il faudrait prévoir l’annulation de ces fonds du 1er au 4 janvier.

En somme, pour trois jours, il faudrait mettre en place un ensemble de dispositifs d’une complexité considérable, et dont nous pouvons être certains que le coût, même s’il n’a pas été évalué, ne serait pas négligeable.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. C’est vrai !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Par ailleurs, la nature stratégique des compétences exercées par les régions ainsi que la jurisprudence administrative conduisent à estimer que la vacance de l’exécutif au cours d’un week-end, du vendredi 1er au dimanche 3 janvier, ne soulève pas de difficultés juridiques.

Évidemment, la meilleure formule aurait été de programmer l’installation des conseils régionaux des régions regroupées au 1er janvier 2016, mais, spontanément, ni le Gouvernement ni le Conseil d’État n’a suggéré cette solution.

Dans ces conditions, si le Gouvernement ne souhaite pas que la création des nouvelles régions soit reportée au 4 janvier 2016, il propose au législateur de modifier la rédaction de l’article 12 pour prévoir que le conseil régional se réunira au plus tard le 4 janvier 2016, ce qui laisserait à chaque conseil régional une possibilité de choix.

M. le président. Monsieur Durain, l’amendement n° 16 rectifié est-il maintenu ?

M. Jérôme Durain. Non, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 16 rectifié est retiré.

Je suis saisi de neuf amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

Les deux premiers sont identiques.

L'amendement n° 41 rectifié ter est présenté par MM. P. Leroy, Adnot, Baroin, Grosdidier, Huré, Husson, Laménie, Namy, Gremillet, Pierre, Longuet et Nachbar.

L'amendement n° 143 est présenté par le Gouvernement.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

I. – Alinéa 5

Rédiger ainsi cet alinéa :

« – Alsace, Champagne-Ardenne et Lorraine ;

II. – En conséquence, alinéa 11

Supprimer cet alinéa.

La parole est à M. Daniel Gremillet, pour présenter l’amendement n° 41 rectifié ter.

M. Daniel Gremillet. Dès lors que le Premier ministre et le ministre de l’intérieur ont répondu à nos vives inquiétudes sur le rôle stratégique de la commune et sur le rôle de proximité des départements, essentiels à nos yeux, le dessein régional peut prendre une dimension nouvelle, ce qui donne un sens supplémentaire à cet amendement ; c’est aussi une manière de répondre à la question de nos amis alsaciens.

Il est vrai que nos débats seraient sûrement beaucoup plus faciles s’ils portaient, en même temps que sur les limites territoriales, sur le projet et les compétences des uns et des autres.

Une région regroupant l’Alsace, la Lorraine et Champagne-Ardenne serait la plus grande région transfrontalière de notre pays. Elle se fonderait sur les infrastructures communes qui relient ces trois régions ; je pense en particulier à la LGV Est, première LGV cofinancée par les collectivités territoriales.

Surtout, une telle région correspond à un territoire. Or le Sénat représente les hommes et les femmes sur nos territoires, les collectivités territoriales, mais aussi et surtout les territoires, comme l’ont rappelé notre président, le Premier ministre et le ministre de l’intérieur, et comme nous-mêmes le rappelons très souvent. En vérité, quel serait le sens d’un territoire au milieu duquel se trouverait un massif déchiré entre deux régions ? La géographie territoriale commande de prendre en compte le massif des Vosges dans sa totalité.

Enfin, nous avons la chance de pouvoir mener des coopérations transfrontalières et tirer parti d’un partage des hommes. De ce point de vue, la dimension que nous proposons de donner à cette région est aussi un signe à l’égard de l’Europe.

M. le président. Le sous-amendement n° 146, présenté par MM. Guené et Sido, est ainsi libellé :

Amendement n° 41 rectifié ter

I. – Alinéa 3

Rédiger ainsi cet alinéa :

« - Alsace, Bourgogne, Champagne-Ardenne, Franche-Comté et Lorraine ;

II. – En conséquence, après l’alinéa 3

Insérer un paragraphe ainsi rédigé :

… - En conséquence, alinéa 8

Supprimer cet alinéa.

La parole est à M. Charles Guené.

M. Charles Guené. Ce sous-amendement s’inscrit dans l’esprit du rapport Raffarin-Krattinger : de grandes régions stratèges et des départements qui assurent la proximité et répondent à la subsidiarité.

À titre personnel, j’aurais préféré une réforme inspirée des révolutionnaires, c’est-à-dire fondée sur une reconfiguration des départements, pour en retenir entre quarante-cinq et soixante. Ce n’est pas le choix qui a été fait, dont acte. Dès lors, le bon modèle consiste, selon nous, à retenir entre huit et dix régions aux frontières larges. C’est dans cet esprit que nous avons imaginé le Grand Est que cet amendement tend à instaurer. Il ne s’agit pas d’un Grand Est « petit bras », si je puis dire, mais d’un « Très Grand Est », déjà adopté par les avocats, certaines banques, la gendarmerie et d’autres acteurs encore : celui qui engloberait non seulement la région Champagne-Ardenne, la Lorraine et l’Alsace, mais aussi la Bourgogne et la Franche-Comté.

Il se trouve que, pour obtenir un amendement susceptible de répondre à nos vœux, nous devons utiliser le subterfuge de deux sous-amendements de repli par rapport à notre amendement n° 1 rectifié bis, qui présentent la particularité de tendre à créer un espace géographique plus large que celui proposé par les auteurs des amendements sur lesquels ils portent. Ce sont les règles de notre discussion qui nous obligent à procéder ainsi. En effet, le projet de loi procède d’une démarche un peu absconse et d’une genèse précipitée, et plus qu’incongrue. Or cette singularité rejaillit sur la procédure, puisque, pour définir les contours de nos régions, nous devons les examiner par ordre alphabétique ; notre commission spéciale, bien que très astucieuse, n’a pas pu trouver d’autre système.

C’est donc par la voie de deux sous-amendements et d’un amendement que je soumets à votre jugement, en fonction de l’évolution de nos débats, l’opportunité de constituer une région stratège. À la vérité, nous sommes déchirés entre notre conception d’une région large et le droit des Alsaciens à disposer de leur propre destin. Aussi vous laisserons-nous trancher d’abord la question de l’Alsace ; nous pourrons ensuite débattre du reste de notre proposition.

Certains esprits taquins prêtent aux représentants de la Haute-Marne, dont je suis, le dessein hégémonique de vouloir diriger cette vaste confédération de l’Est, depuis leur département situé en son centre. Je tiens à les rassurer : nous ne disposons d’aucune capitale possédant une masse critique suffisante, sauf à ce que nous décidions par consensus de choisir Colombey-les-Deux-Églises… Peut-être même, alors, nos amis alsaciens se rallieraient-ils à notre idée ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. le ministre, pour présenter l’amendement n° 143.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous voici au cœur des sujets délicats : ceux qui se rapportent à la carte. J’observe que les positions divergentes qui se manifestent dans cet hémicycle au sujet de plusieurs régions transcendent les clivages politiques. Ainsi, un certain nombre de sénateurs de l’UMP proposent le rétablissement de la carte souhaitée par le Gouvernement.

À l’évidence, l’Alsace est l’une des questions les plus sensibles. Je voudrais dire, après les interventions des sénateurs alsaciens, la préoccupation du Gouvernement de voir cette région reconnue dans son histoire et ses traditions. De l’Alsace, l’historien Jean-Marie Mayeur disait qu’elle est une « région mémoire », avec une identité forte qu’elle redouterait de voir disparaître si elle devait intégrer un espace plus large.

Mme Catherine Troendlé. Elle a un projet !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. De fait, elle a le projet, qui a été porté avec beaucoup de courage par Philippe Richert, lequel a fait un travail remarquable et visionnaire, de créer une collectivité unique. Cependant, pour des raisons tenant aux dispositions législatives qui régissent ces fusions, il n’a pas été possible de le mener à bien.

M. André Reichardt. C’est plutôt à cause de la gauche !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Il n’y a pas que la gauche, et vous le savez très bien. Certains élus éminents du Haut-Rhin ont su compliquer la tâche du président Richert. (M. André Reichardt proteste.) Comme je ne veux froisser personne ni mettre qui que ce soit mal à l’aise, je ne donnerai pas de noms. Je puis toutefois vous assurer que Philippe Richert, lui, en a la liste. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Il a de surcroît une excellente mémoire…

Si le projet de réforme institutionnelle a un sens et s’il est de nature à préserver l’identité de l’Alsace, il faut aussi faire attention. L’un des fondements de l’identité de l’Alsace, qui fait sa force sur le plan national et plus encore sur les plans européen et international, repose sur le statut de Strasbourg, comme capitale européenne. Or je ne suis pas convaincu que Strasbourg serait mieux défendu si nous-mêmes, Français, après avoir débattu de ces questions au sein de la représentation nationale, disions que cette ville est suffisamment forte pour être la capitale de l'Union européenne mais qu’elle est trop peu sûre d’elle, avec la région qui la porte, pour devenir la capitale d’une grande région Est. Or une telle entité pourrait servir de pont vers les Länder, avec lesquels l’Alsace a l’habitude de travailler.

Beaucoup de grands élus alsaciens évoquent régulièrement la nécessité, pour l’Alsace, de travailler davantage avec les Länder limitrophes. Des coopérations transfrontalières très fortes font déjà l’objet d’orientations et d’actions portées en commun.

Je veux également rappeler aux sénateurs alsaciens de toutes tendances que le Gouvernement a engagé les moyens attendus pour Strasbourg à travers le dernier contrat triennal,…

Mme Fabienne Keller. Si peu ! Les subventions ont été divisées par deux !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. … même s'il reste encore beaucoup à faire pour que cette ville soit accompagnée dans tous ses projets.

Pour toutes ces raisons, nous considérons qu’il n’existe aucune incompatibilité entre la volonté affirmée par les sénateurs alsaciens et la constitution d’une grande région Est, à laquelle Gérard Longuet, François Baroin et d’autres sénateurs sont favorables.

Nous voulons aussi, comme je l’ai dit précédemment, que la carte soit coproduite. Dès lors, le Gouvernement ne doit pas imposer sa volonté, comme l’a précisé Jacques Mézard. Eh bien, c’est ce que je vais faire !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Si l'amendement des sénateurs du groupe UMP tendant à rétablir la grande région Est reçoit l’assentiment du Sénat, le Gouvernement retirera le sien. (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.)

Tous ceux qui, depuis le début de ce débat, expliquent que le Gouvernement est incapable de travailler avec le Sénat ont ainsi la démonstration du contraire. Oui, les amendements qui correspondent aux intentions du Gouvernement, même s’ils sont proposés par des sénateurs n’appartenant pas à la majorité, nous sommes prêts à les prendre en compte ! C’est le signe que le Gouvernement est dans une démarche d’ouverture et recherche le compromis. (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste.)

M. le président. L'amendement n° 24 rectifié, présenté par MM. Barbier, Mézard, Arnell, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin et Hue, Mme Laborde et M. Requier, est ainsi libellé :

I. - Alinéa 5

Compléter cet alinéa par les mots :

Bourgogne, Franche-Comté et Lorraine

II.- En conséquence, alinéa 8

Supprimer cet alinéa.

III. – En conséquence, alinéa 11

Supprimer les mots :

et Lorraine

La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Cet amendement, dont le premier signataire est Gilbert Barbier, vise à fusionner les régions Alsace, Bourgogne, Franche-Comté et Lorraine. La fusion de ces quatre régions mettra en valeur l’axe Rhin-Rhône plutôt que la liaison avec Paris.

La simple fusion de la Franche-Comté et de la Bourgogne présenterait l’inconvénient de réunir deux régions très étendues et peu peuplées. Il s’agit donc de constituer une région puissante, frontalière de l’Allemagne et de la Suisse.

M. le président. Le sous-amendement n° 145, présenté par MM. Guené et Sido, est ainsi libellé :

Amendement n° 24 rectifié

I. – Alinéa 3

Après le mot :

Bourgogne

insérer les mots :

Champagne-Ardenne

II. – En conséquence, alinéas 7 et 8

Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :

Supprimer cet alinéa.

La parole est à M. Bruno Sido.

M. Bruno Sido. La région Alsace devrait bien réfléchir. Rester seule en misant sur une prospérité qui durera ce qu’elle durera peut être dangereux. Fessenheim fermera bien un jour !

MM. Gérard Longuet et André Reichardt. Non !

M. Bruno Sido. Ce jour-là, d’où viendra l’électricité ?

Aujourd’hui, les déchets nucléaires de Fessenheim sont acheminés en Lorraine et en Champagne-Ardenne. Plus tard, où iront-ils ?

Ne l’oublions pas, il existe des solidarités entre les régions. En outre, l’Alsace, la Lorraine et Champagne-Ardenne ont des intérêts communs.

M. le président. L'amendement n° 66, présenté par MM. Masseret et Bigot et Mme Schillinger, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 5

Compléter cet alinéa par les mots :

et Lorraine

II. – En conséquence, alinéa 11

Supprimer les mots :

et Lorraine

La parole est à M. Jean-Pierre Masseret.

M. Jean-Pierre Masseret. Cet amendement vise à témoigner d’une double fidélité. Fidélité à la proposition initiale du Gouvernement faite à l’Alsace et à la Lorraine de faire chemin ensemble et fidélité à ce que j’ai réalisé avec Philippe Richert, sur la base de la proposition du Gouvernement.

Avec ce voisin alsacien, avec ce collègue président de région, alors que nous n’appartenons pas à la même sensibilité politique, nous avons examiné ensemble la réalité de la vie quotidienne de nos concitoyens en matière de mobilité, de formation, de santé, d’études. Nous avons également examiné ensemble les potentiels pour créer de la croissance et des emplois au profit de nos concitoyens.

C'est sur cette base que nous avons fait savoir à tous, notamment par le biais de conférences de presse, ce qu’il nous paraissait important de conduire ensemble, dans l’intérêt de nos concitoyens, de leur vie quotidienne, pour organiser l’avenir.

Mes chers collègues, je vous demande de répondre à cette double fidélité en émettant un vote positif sur cet amendement.

M. le président. L'amendement n° 1 rectifié bis, présenté par MM. Guené et Sido, Mme Loisier et MM. Kern, G. Bailly et Houpert, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 8

Rédiger ainsi cet alinéa :

« - Bourgogne, Champagne-Ardenne, Franche-Comté et Lorraine ;

II. – En conséquence, alinéa 11

Supprimer cet alinéa.

La parole est à M. Charles Guené.

M. Charles Guené. La démarche dont procèdent notre amendement et nos sous-amendements relève de l’adhésion à des régions « stratèges », plus grandes et plus puissantes que celles qui sont souvent proposées, à l’intérieur desquelles les départements peuvent assumer la subsidiarité et la proximité dans lesquelles ils excellent.

Comme je l’ai dit tout à l'heure, nous aurions préféré une reconfiguration préalable des départements, mais, puisqu’il en est autrement, nous voulons par cet amendement ménager l’avenir dans cette optique et redonner du sens au découpage régional en rassemblant les régions dans des ensembles plus cohérents, en termes tant culturels et identitaires que de taille critique ou encore d'infrastructures. En effet, le projet de fusion entre les régions Alsace, Champagne-Ardenne et Lorraine a suscité – et suscite encore – un refus de nos amis alsaciens, qui souhaitent vivre seuls en suivant une voie originale.

Le présent amendement vise à en prendre acte. Il tire les conséquences objectives de cette situation en créant une région regroupant la Champagne-Ardenne, la Lorraine, la Bourgogne et la Franche-Comté dans un ensemble viable. Outre la puissance économique que représenterait une telle région, qui nous permettrait de rivaliser avec les plus grandes métropoles nationales et européennes, cette configuration correspond à plusieurs réalités et présente divers avantages.

Tout d’abord, elle allie deux binômes qui sont liés pour des raisons historiques, économiques et logistiques : Bourgogne et Franche-Comté, d’une part, et Champagne-Ardenne et Lorraine, d’autre part. Ils entretiennent ensemble des relations de voisinage, de services, de culture… Or force est de constater que ces deux binômes, pris séparément, seraient insuffisants pour constituer des masses critiques au niveau européen et qu’ils nous relégueraient, pour chacun d’entre eux, dans le peloton de queue des territoires.

En revanche, la mise en commun de nos potentiels est naturellement complémentaire. Elle ferait de ces quatre anciennes régions ainsi rassemblées une entité forte et un cœur de synergies. Je pense notamment aux pôles nucléaires réunissant Bure pour la Meuse et la Haute-Marne, Valduc pour la Côte-d’Or, Cattenom pour la Moselle, au futur parc national entre Champagne et Bourgogne ou encore aux pôles universitaires et médicaux de Dijon, Reims, Nancy, Troyes et Besançon.

Subsidiairement, il faut convenir que cette région serait résolument multipolaire et mettrait fin à la crise liée à la recherche d’une capitale unique.

Ensuite, une telle région laisserait toute sa place à une collaboration et à un partenariat entre les départements, qui verraient leur rôle de trame conforté.

Enfin, ce choix viendrait apporter une bouffée d’espoir et d’avenir aux zones intermédiaires de Sud Aube, Sud Haute-Marne et Nord Haute-Saône et de leurs symétriques du Nord Bourgogne-Franche-Comté et Lorraine. Ces zones intermédiaires, qui se sentent attirées l’une vers l’autre, trouveraient ainsi une place nouvelle, qui serait l’expression des réseaux que le temps leur a fait tisser au-delà des frontières d’hier.

M. le président. L'amendement n° 45, présenté par MM. Savary et Détraigne, Mmes Férat et Gruny, M. Lefèvre et Mme Troendlé, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 11

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Champagne-Ardenne, Lorraine et Picardie ;

II. – En conséquence, alinéa 15

Supprimer les mots :

et Picardie

La parole est à M. René-Paul Savary.

M. René-Paul Savary. La région Champagne-Ardenne, ballottée et refusée par certains territoires – ils ont bien tort de la bouder –, est composée de quatre départements. Le mien, la Marne, qui est au centre de ce territoire, est le symbole d’une économie performante. La production de champagne pèse 4,2 milliards d’euros et le PIB par habitant est proche de celui de l’Alsace. De mémoire, nous sommes à 25 000 euros, contre 27 000 euros en Alsace. D’autres sont nettement en dessous…

La région Champagne-Ardenne et le département de la Marne devraient donc faire l’objet de toutes les convoitises. Or on les refuse. Voilà pourquoi j’essaie de les remettre au centre du débat et de réfléchir à un dispositif cohérent.

J’ai été sensible aux arguments de Daniel Dubois. Ce qui nous est proposé manque en effet de cohérence. C'est pourquoi je propose de retenir le principe de grandes régions et de maintenir les départements, ce qui est tout à fait essentiel, sauf dans les zones métropolitaines – m'a-t-on rabâché – où les départements devront fusionner avec la région pour rationaliser l'administration. Ce sera le cas à Strasbourg et à Lille, qui sont des métropoles européennes importantes.

Je suis également favorable à ce que les départements bénéficient d’une facilité de détachement, afin que les décisions soient enfin prises par nos concitoyens, ces derniers étant amenés à débattre au sein des conseils généraux et régionaux. Ils pourront reprendre la main après que nous aurons défini les grandes orientations sur le plan national, comme c’est notre vocation. Tel est le raisonnement que j’ai essayé de suivre en déposant cet amendement.

Je m’interroge aussi sur le fait métropolitain. Trois grandes métropoles interagissent avec ce territoire : Lille au nord, Strasbourg à l’est et Paris, capitale de la France. Au milieu se trouve un no man’s land, sans capitale régionale, qui bénéficie toutefois du rayonnement de ces trois grandes villes. Je veux parler de la Picardie, de la Champagne-Ardenne et de la Lorraine. C’est la raison pour laquelle je me permets de vous présenter cet amendement, mes chers collègues, sachant qu’il sera sujet à confrontation.

M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous propose de prolonger cette séance jusqu’à minuit trente, afin d’aller plus avant dans l’examen des amendements.

Il n’y a pas d’opposition ?...

Il en est ainsi décidé.

L'amendement n° 8, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 11

Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :

« – Champagne-Ardenne ;

« – Lorraine ;

II. – Après l’alinéa 19

Insérer un I ter ainsi rédigé :

I ter - Après l’application en Alsace, en Champagne-Ardenne et en Lorraine de la procédure de fusion prévue à l’article L. 4124-1 du code général des collectivités territoriales, ce même code est complété par un article L. 8111-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 8111-1. - Dans les trois régions Alsace, Champagne-Ardenne et Lorraine, un décret en Conseil d’État peut fusionner en une collectivité territoriale unique la région et les départements qui en font partie. Cette collectivité territoriale unique exerce l’ensemble des compétences attribuées par la loi à la région et aux départements qu’elle regroupe. Elle leur succède dans tous leurs droits et obligations.

« Le présent article s’applique par dérogation à l'article L. 4124-1 du code général des collectivités territoriales et par dérogation aux autres articles de la présente loi. »

La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Dans ce débat sur les différentes alternatives qui s’offrent à nous pour le découpage des régions, je suis frappé par une chose : chacun veut décider à la place du voisin. Je suis tout de même un peu surpris de voir nos collègues expliquer aux Alsaciens qu’ils n’ont pas bien compris où se trouvait leur intérêt. Selon moi, personne n’est mieux placé que les Alsaciens – je prends l’exemple de l’Alsace, mais c’est vrai pour les autres régions – pour savoir ce qui est bon pour l’Alsace. Venir donner des conseils aux Alsaciens quand on est lorrain, bourguignon ou franc-comtois me paraît stupéfiant.

La situation est déjà suffisamment compliquée. Que chacun se contente de s’occuper de sa région et non pas de la région du voisin. Sinon, on n’en sortira jamais ! En outre, les conseils donnés aux voisins dans leur intérêt ne sont peut-être pas toujours dénués d’arrière-pensées…

Cet amendement concerne ma région et non pas celle des autres. Je constate que nos voisins alsaciens ont formulé un avis. Selon moi, ils ont tout à fait raison, et leur position est très pertinente. Quand on connaît bien l’Alsace, on comprend tout à fait que sa population et ses élus fassent un tel choix, qui me semble très cohérent.

En tant que lorrain, je pense que la Lorraine devrait suivre la même logique et faire un choix du même type, en privilégiant une région à taille humaine et non pas une pseudo-région européenne tentaculaire. Actuellement, la tendance est à l’inflation des régions. Vous l’avez noté, mes chers collègues, un amendement vise à réunir la Lorraine, la Champagne-Ardenne et l’Alsace. Un autre y ajoute la Bourgogne et la Franche-Comté. Bientôt, cela représentera la moitié de la France !

M. Michel Bouvard. On va recréer la Lotharingie !

M. Jean Louis Masson. Au moins, ces propositions nourrissent le Journal officiel ! Toutefois, à un moment donné, il faut tout de même faire preuve d’un minimum de bon sens. Créer un lien réunissant le sud de la Franche-Comté et le nord des Ardennes me paraît quelque peu surprenant. De même, joindre la Picardie, qui remonte jusqu’à la mer du Nord, avec les Vosges et la Lorraine, c’est également déconcertant.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Jean Louis Masson. Aussi cet amendement ne porte-t-il que sur ma région. Si on pouvait y faire ce que nos voisins alsaciens proposent pour leur propre région, ce serait une bonne chose.

M. André Reichardt. Très bien !

M. le président. Les deux amendements suivants sont identiques.

L'amendement n° 70 est présenté par Mme Létard et M. Lecerf.

L'amendement n° 43 est présenté par MM. Delebarre et Vandierendonck, Mme Génisson et MM. Poher, D. Bailly, Percheron et J.C. Leroy.

Tous deux sont ainsi libellés :

Alinéa 15

Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :

« - Nord-Pas-de-Calais ;

« - Picardie ;

La parole est à Mme Valérie Létard, pour présenter l’amendement n° 70.

Mme Valérie Létard. Avec difficulté, le Sénat a tranché, mais son choix est désormais clair, en faveur de l’amélioration de la carte régionale plutôt que de sa suppression. Nous savons tous pour quelles raisons.

Dans ces conditions, à nous de faire progresser au mieux ce qui a mal démarré. Car nous n’avons que ce choix : limiter les effets collatéraux d’une réforme élaborée à l’envers, faisant courir de gros risques à nos régions et à leurs habitants, par absence de dialogue et de préparation. À cet égard, il suffit de rappeler ce que vous avez tous dit, mes chers collègues, à savoir l’extrême imprécision des études d’impact qui nous ont été fournies pour alimenter ce texte.

Permettez-moi de le rappeler, le texte initial du projet de loi faisait le choix de conserver la région Nord-Pas-de-Calais dans son périmètre actuel, et ce pour trois raisons : sa densité urbaine – 4,1 millions d’habitants –, son dynamisme économique et ses relations privilégiées avec les pays d’Europe du Nord, puisque nous sommes véritablement dans des stratégies de développement économique transfrontalières. Il s’agissait donc bien de capitaliser sur l’effort déjà entrepris par notre région, pour définir un projet de territoire cohérent, tirant parti de nos atouts et appuyé sur une maquette budgétaire significativement financée par les fonds européens. Malheureusement, l’Assemblée nationale est revenue sur une telle décision.

Dans un contexte socioéconomique extrêmement fragile où les taux de chômage de nos régions atteignent des pics de 15 %, la fusion du Nord-Pas-de-Calais avec nos voisins et amis picards ne pourrait qu’amplifier et aggraver un phénomène touchant déjà sévèrement nos deux régions. En effet, au-delà du seul trait de dessin, nous nous posons des questions essentielles et très concrètes. Que deviendront nos stratégies d’aménagement du territoire respectives, nos axes de développement économique, les investissements pertinents, dans une nouvelle région à l’échelle élargie ? Quelles ambitions allons-nous partager ? Quelle communauté de projet, de destin, comme le rappelait Bruno Retailleau, allons-nous construire, et avec quels moyens ?

Aujourd'hui, la feuille de route est blanche, car il n’y a eu encore aucun travail partenarial pour confronter les aspirations des territoires de nos deux régions et, surtout, définir des contours pertinents si fusion il devait y avoir.

Mes chers collègues, vous avez entendu M. Daudigny, et vous entendrez tout à l’heure nos collègues du Nord-Pas-de-Calais. Un collègue de l’UMP a notamment évoqué l’attraction de l’Oise par l’Île-de-France. Vous pourrez également constater que les trois départements de Picardie se tournent naturellement vers trois régions différentes,…

Mme Valérie Létard. … chacun, M. Daudigny l’a rappelé, expliquant l’intérêt et la réalité de sa propre attraction.

Face à ces éléments, on voit bien l’intérêt de rester dans la configuration actuelle, qui permettrait ensuite à la Picardie de bénéficier du droit d’option pour choisir la région dont elle se sent économiquement, culturellement et géographiquement la plus proche, ce qui permettrait de mettre en œuvre des communautés de projets efficaces et intelligentes, dans l’intérêt des habitants. Car si les deux régions sont fusionnées d’office, il sera bien évidemment quasi impossible de revenir sur une telle décision, les conditions du droit d’option, une fois les régions fusionnées, étant beaucoup plus complexes à mettre en œuvre.

Quant à notre région, le Nord-Pas-de-Calais, le maintien de ses limites actuelles lui permettrait de se réserver la possibilité d’une fusion des trois institutions territoriales, c'est-à-dire de la région et des deux départements, avec une métropole centrale, qui, de toute façon, à terme, coupera en son milieu le département du Nord, ce qui ne sera pas cohérent.

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Valérie Létard. Monsieur le président, je n’ai jamais pris la parole depuis le début de ce débat. Si vous le permettez, j’essaierai de m’exprimer en une seule fois à l’occasion de la présentation de cet amendement.

M. le président. Efforcez-vous d’être synthétique !

Mme Valérie Létard. Concernant les limites préservées, qui permettraient de ne pas insulter l’avenir et de conserver la possibilité de fusionner nos trois institutions, elles me paraissent aller dans le sens de ce que veut le Gouvernement, à savoir une maîtrise des dépenses publiques – il s’agit d’un projet rationnel –, mais aussi une simplification de l’accès aux procédures administratives, grâce à une cohérence administrative et institutionnelle mieux maîtrisée.

Enfin, si cette fusion est votée, je vous rappelle tout de même, monsieur le ministre que, dans des territoires aussi fragiles économiquement que les nôtres, il existe un risque de gel des investissements publics des collectivités soutenus par les contrats de plan État-régions et les fonds européens, pendant les deux ans qui seraient nécessaires pour reconquérir et rétablir une stratégie de développement économique et d’aménagement du territoire. En effet, il ne sera pas question d’investir dans un aménagement structurant, par exemple un port à conteneurs, sur un territoire qui pourrait ne plus être, demain, celui qui serait destiné à développer la logistique. Par conséquent, tous les projets seraient arrêtés pendant deux ans. Or, dans un territoire où le chômage atteint 15 %, on crée les conditions de porter ce taux à 25 % au bout de deux ans si on ne fait pas en sorte que les communautés de projets soient anticipées.

Quand deux régions normandes fusionnent, elles y travaillent depuis des années ! À l’inverse, pour ce qui concerne le Nord-Pas-de-Calais et la Picardie, on prévoit d’abord de nous séparer, puis on nous dit subitement que nous serons rassemblés. Je n’ai rien contre mes amis picards ! Peut-être même est-il possible de travailler à une région plus importante. Mais encore faudrait-il que celle-ci ait un sens stratégique et économique. Il conviendrait également qu’elle soit préparée, anticipée et de bon sens. Quel est aujourd'hui le territoire de bon sens ?

On le voit, nous ne sommes pas mûrs. Quoi qu’il en soit, chacun s’est exprimé, les représentants du Nord-Pas-de-Calais et nos amis picards, chacun avec sa façon de parler, son cœur et son bon sens, ainsi que son expertise des territoires. Si, aujourd'hui, on place le Nord-Pas-de-Calais dans cette voie, on le met dans une situation dont il mettra des décennies à se remettre. (Applaudissements sur certaines travées de l'UDI-UC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Michel Delebarre, pour présenter l’amendement n° 43.

M. Michel Delebarre. Je ne suis pas non plus intervenu depuis le début du débat. En outre, à la lecture du dérouleur de séance, je m’attendais à intervenir juste avant Mme Létard. Monsieur le président, vous avez fait un cadeau à ma collègue, qui a pris huit minutes pour s’exprimer. Vous savez donc à quoi vous attendre avec moi… (Sourires.)

J’évoquerai le même sujet que ma collègue, à savoir le Nord-Pas-de-Calais et ne dirai pas un mot de l’Alsace. J’ai pourtant compris, depuis quelques heures, qu’il valait mieux en parler…

Monsieur le ministre, je ne crois que ce soit une bonne idée de rapprocher la Picardie et le Nord-Pas-de-Calais – ces deux régions, en définitive, ne sont associées à aucune autre région –, en disant « puisqu’elles sont là-haut, on va les fusionner ». Ces deux régions n’ont aucun rapport entre elles. Les différents intervenants ont d’ailleurs du mal à argumenter sur l’importance de notre solidarité de fait. Quand on vit dans le Nord-Pas-de-Calais, on ne vit pas avec la Picardie. Et quand on vit en Picardie, je ne crois pas qu’on vive avec le Nord-Pas-de-Calais.

Historiquement, à terme, est-ce notre destin ? Je ne peux pas le dire. Nous avons un atout possible, le canal Seine-Nord Escaut, lequel, s’il était un jour réalisé, créerait sans doute des liens plus importants. Mais tel n’est pas aujourd'hui le cas.

La première carte établie par le Gouvernement ne fusionnait pas le Nord-Pas-de-Calais et la Picardie. Elle partait d’un constat légitime et exact : ces régions doivent avoir leur propre destin. Dans le Nord-Pas-de-Calais, nous le considérons ainsi.

Sans doute – j’écoute avec attention tout ce qui s’est dit sur l’Alsace – une évolution des structures internes de la région et des deux départements, qui avancera plus vite qu’on ne l’a jamais imaginé, nous permettra-t-elle de travailler davantage ensemble, voire de faire évoluer nos propres structures. C’est ainsi que je vois l’avenir, dont les perspectives doivent procéder d’une décision interne très forte, dans un cadre défini par une carte, qui, je l’espère, permettra de distinguer nos deux régions.

Monsieur le ministre, je voudrais faire une remarque, dans le prolongement de propos qui ont été tenus par différents intervenants.

La géographie et l’histoire sont ainsi faites que nos plus proches voisins, que certains voient en Picardie, sont peut-être belges aussi.

M. Michel Delebarre. La région Nord-Pas-de-Calais se créera son propre destin et les conditions de son développement seulement si elle est capable de regarder le nord de l’Europe, si elle est capable, à l’instar de quelques autres régions françaises, de regarder au-delà de sa frontière pour une coopération intelligente avec les territoires voisins.

M. Michel Bouvard. Très bien !

M. Michel Delebarre. Vous le savez, depuis des années, l’Union européenne appuie les stratégies transfrontalières. L’Alsace, la Lorraine le savent bien ; certaines communautés autonomes espagnoles entretiennent quant à elles des relations avec des régions françaises. Envisageons donc l’avenir aussi dans les relations transfrontalières. C’est ainsi que le Nord-Pas-de-Calais, qui a durement vécu les dernières décennies, s’inscrira sans doute dans son histoire et dans son avenir. Le Gouvernement devrait y être attentif. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Valérie Létard applaudit également.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur. Je veux rappeler la position générale de la commission spéciale sur cette carte.

Nous avons décidé que l’Alsace pourrait vivre le destin qu’elle s’est assigné depuis de nombreuses années hors de toute fusion avec les régions Champagne-Ardenne et Lorraine. Nous avons également décidé que les régions Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon vivraient leur autonomie, revenant ainsi à la position que nous avions adoptée en première lecture.

Par conséquent, la commission spéciale a émis un avis défavorable sur l’ensemble des amendements qui viennent d’être présentés, car ils visent tous à modifier la carte des régions telle qu’elle l’a élaborée. Je précise néanmoins qu’elle n’a pas examiné le sous-amendement n° 145 dans la mesure où il a été déposé après sa réunion d’hier. Cependant, puisqu’il tend à contrevenir à sa position, j’émets également un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Le Gouvernement émet un avis favorable sur l’amendement n° 41 rectifié ter et retire l’amendement n° 143 à son profit.

Le Gouvernement émet un avis défavorable sur le sous-amendement n° 146, qui est incompatible avec la position de retrait qu’il a adoptée, ainsi que sur l’amendement n° 24 rectifié et le sous-amendement n° 145.

Le Gouvernement sollicite le retrait de l’amendement n° 66 au profit de l’amendement n° 41 rectifié ter.

Il émet un avis défavorable sur les amendements nos 1 rectifié bis, 45 et 8, ainsi que sur les amendements identiques nos 43 de M. Delebarre et 70 de Mme Létard, et ce pour des raisons sur lesquelles je veux dire un mot.

Madame Létard, monsieur Delebarre, vous avez fait l’un et l’autre une intervention extrêmement forte, et je souhaiterais y apporter quelques réponses.

Je comprends parfaitement l’intérêt pour le Nord-Pas-de-Calais de se tourner vers les régions nord de l’Europe, et je partage totalement cette vision des choses. Monsieur Delebarre, lorsque j’étais ministre délégué aux affaires européennes, je vous ai rencontré en tant que président de la mission opérationnelle transfrontalière ; nous avons eu l’occasion de traiter cette question, et j’ai parfaitement conscience de l’intérêt que peut représenter pour le Nord-Pas-de-Calais le développement de coopérations renforcées avec les régions du nord de l’Europe dans le domaine universitaire, dans le domaine des transports, dans le domaine culturel. Mais je ne vois aucune antinomie, bien au contraire, entre le développement de ces coopérations et la création d’une région plus grande qui pourrait se donner cette ambition européenne. Considérer que l’un serait exclusif de l’autre reviendrait à penser que les régions françaises auraient tout intérêt à se tourner vers les régions européennes, en aucun cas vers les régions sœurs françaises, et que se tourner vers ces dernières rendrait peu ou prou impossibles les coopérations européennes. Ce n’est pas vrai, ni pour la grande région Est ni pour Nord-Pas-de-Calais-Picardie.

Vous dites également qu’il n’existe ni points communs ni coopération entre les régions Nord-Pas-de-Calais et Picardie. Je ne partage pas du tout votre sentiment. D’ailleurs, les présidents de chacune de ces deux régions ont eux-mêmes, à plusieurs reprises, verbalisé les zones de coopération existant entre celles-ci.

Reprenons-les.

Vous avez parlé du canal Seine-Nord. Ce n’est quand même pas un chantier à trois francs, six sous ! C’est un chantier qui va mobiliser des fonds européens.

Lorsque j’étais ministre délégué au budget, vous avez suffisamment défendu auprès de moi – avec brio et talent – le canal Seine-Nord en m’expliquant qu’il était structurant d’un axe transrégional passant à la fois par la Picardie et le Nord-Pas-de-Calais pour m’expliquer maintenant, avec le même brio, à travers cet amendement, que ce canal Seine-Nord ne serait plus structurant au motif qu’il n’existe pas encore. Il existera, il mobilisera des financements et sera un axe structurant de ces deux régions.

Par ailleurs, vous le savez très bien, en dépit de leur dissemblance due aux différentes dimensions des ports, sur les façades maritimes peuvent se développer des coopérations très importantes dans le domaine du tourisme, dans le domaine des activités de pêche et de transformation des produits de la mer.

Vous le savez également, des pôles de compétitivité travaillent ensemble : entre l’université de technologie de Compiègne et un certain nombre de départements de l’université de Lille, il existe des coopérations hautement technologiques qui sont à l’origine de transferts de technologies vers le privé. Ces coopérations sont revendiquées par les régions comme extrêmement denses, extrêmement riches et porteuses d’avenir, notamment si on les inscrit dans des programmes européens tels qu’Interreg.

Je peux comprendre l’argument de temps consistant à dire que cette réforme ne serait pas nécessairement opportune à cet instant précis, mais, tout simplement par souci de rigueur et d’honnêteté, je ne peux pas accepter devant cette assemblée l’idée qu’il n’existerait aucune coopération possible entre ces deux régions ; je ne peux pas non plus accepter l’idée que, dès lors qu’elles coopéreraient, elles ne pourraient plus coopérer avec d’autres régions de l’Union européenne.

Je me range à nombre de vos arguments, mais, pour autant, je ne suis pas convaincu par vos propositions. D’autant que plusieurs de ces arguments – qui n’ont pas été développés, mais c’est là tout le plaisir de la rhétorique – plaident plutôt en faveur de la carte retenue par l’Assemblée nationale.

Par souci de cohérence et par souci de rendre possibles les coopérations entre régions, le Gouvernement, je le répète, émet un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.

M. le président. L'amendement n° 143 est retiré.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance. (Protestations sur diverses travées.)

Je précise qu’il reste 116 amendements à examiner.

Article 1er (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral
Discussion générale

13

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, jeudi 30 octobre 2014 :

À neuf heures trente :

1. Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant la ratification du protocole facultatif se rapportant au pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (n° 660, 2013-2014) ;

Rapport de Mme Joëlle Garriaud-Maylam, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 27, 2014-2015) ;

Texte de la commission (n° 28, 2014-2015).

2. Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant la ratification de l’accord sur la création d’un espace aérien commun entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et la Géorgie, d’autre part (n° 661, 2013-2014) ;

Rapport de Mme Hélène Conway-Mouret, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 19, 2014-2015) ;

Texte de la commission (n° 20, 2014-2015).

3. Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant la ratification de l’accord euro-méditerranéen relatif aux services aériens entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et le Royaume hachémite de Jordanie, d’autre part (n° 662, 2013-2014) ;

Rapport de Mme Josette Durrieu, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 21, 2014-2015) ;

Texte de la commission (n° 22, 2014-2015).

4. Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant la ratification du protocole modifiant l’accord de transport aérien entre la Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et les États-Unis d’Amérique, d’autre part (n° 780, 2013-2014) ;

Rapport de Mme Nathalie Goulet, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 23, 2014-2015) ;

Texte de la commission (n° 24, 2014-2015).

5. Projet de loi autorisant la ratification du traité entre la République française et la République tchèque sur la coopération dans le domaine de la protection civile, de la prévention et de la gestion des situations d’urgence (n° 516, 2012-2013) ;

Rapport de Mme Nathalie Goulet, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 25, 2014-2015) ;

Texte de la commission (n° 26, 2014-2015).

6. Projet de loi autorisant l’approbation du protocole additionnel à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne relative au tunnel routier sous le Mont-Blanc (n° 518, 2012-2013) ;

Rapport de M. Yves Pozzo di Borgo, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 17, 2014-2015) ;

Texte de la commission (n° 18, 2014-2015).

7. Suite de la deuxième lecture du projet de loi, modifié par l’Assemblée nationale, relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral (n° 6, 2014-2015) ;

Rapport de M. François-Noël Buffet, fait au nom de la commission spéciale (n° 42, 2014-2015) ;

Texte de la commission (n° 43, 2014-2015).

À quinze heures :

8. Questions d’actualité au Gouvernement.

À seize heures quinze, le soir et, éventuellement, la nuit :

9. Suite de l’ordre du jour du matin.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée le jeudi 30 octobre 2014, à zéro heure vingt-cinq.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART