M. Alain Richard. Quel cadeau aux défenseurs des fraudeurs !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur Richard, tous les membres de cette assemblée savent que vous avez été ministre de la défense. Les plus jeunes ne s’en souviennent peut-être pas, mais, quelques années auparavant, vous aviez été garde des sceaux.

M. Alain Richard et M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Pendant deux jours !

M. Jacques Mézard. Mais c’est entré dans l’Histoire !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Cette fonction a durablement et profondément frappé les esprits réceptifs. (Sourires.)

En tout état de cause, vous étudiez ces questions depuis longtemps. Vous savez bien que le principal intérêt de la compétence concurrente est d’éviter les annulations des actes de procédure accomplis avant la saisine par le procureur. Comment pouvez-vous en faire grief au Gouvernement ? Comment pouvez-vous lui reprocher d’avoir fait preuve de perspicacité et d’avoir pris une mesure de précaution ?

En effet, imaginons qu’une juridiction ou une JIRS ait été saisie d’une affaire et que l’enquête montre qu’il vaut mieux saisir le procureur de la République financier en raison du caractère complexe de la procédure. Si la compétence est exclusive, tous les actes de procédure antérieurs seront annulés. Si elle est concurrente, tout le travail effectué par la juridiction ou par la JIRS préalablement saisie sera repris par le procureur de la République financier à compétence nationale et l’instruction se poursuivra.

Par ailleurs, le procureur de la République financier est placé sous l’autorité hiérarchique du procureur général de Paris qui n’est pas hors sol. La formule est sans doute belle, mais je ne suis pas sûre que l’on cultive encore de tomates hydroponiques ! (Sourires.)

Quant à une éventuelle rivalité, je n’ose y croire. Nous parlons de l’institution judiciaire, du ministère public, de magistrats du parquet auxquels est confiée la haute mission de représenter la société, d’ouvrir des enquêtes préliminaires, de requérir, de garantir les libertés individuelles. Comment peut-on penser qu’ils vont s’amuser à se disputailler telle affaire, telle procédure !

Pour ce qui concerne les moyens, la création d’une trentaine de postes est d'ores et déjà prévue dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014 et vous sera prochainement soumise, mesdames, messieurs les sénateurs.

J’en viens maintenant au coût. Je le dis et je l’assume : la démocratie a un coût. Si nous voulons effectivement lutter contre la fraude fiscale et faire en sorte que les évasions de capitaux qui privent la puissance publique des moyens d’assurer son action au bénéfice des citoyens de notre pays, il faut y mettre le prix, d’autant qu’il s’agit en l’espèce…

M. Alain Anziani, rapporteur. D’un investissement !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Tout à fait, monsieur le rapporteur !

M. Leconte demande des garanties absolues. Je ne connais que les régimes totalitaires pour apporter de telles garanties. Dans une démocratie, on doit mettre en place des règles de droit et d’usage, de façon à s’assurer du bon fonctionnement des institutions.

Monsieur Hyest, comme je vous l’ai déjà indiqué, le procureur n’est pas tout seul ; il n’est pas hors sol.

M. Jean-Jacques Hyest. Je n’ai pas employé cette expression. Je l’ai qualifié d’« objet judiciaire non identifié », c’est pire !

M. Michel Mercier. C’est moi, madame la garde des sceaux, qui ai utilisé ces termes !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Mais tel n’est pas le cas.

Vous avez évoqué l’Audience nationale espagnole, mais ce n’est pas notre référence. Le Gouvernement n’a pas choisi de créer une juridiction avec un parquet et un pôle d’instruction spécialisés. En revanche, nous le savons, il est nécessaire que les juges d’instruction soient spécialisés, et le procureur de la République financier le sera. C’est essentiel. Il sera spécialisé dans les domaines de la fraude fiscale complexe, des atteintes à la probité, des délits boursiers, avec, dans ce dernier cas, compétence exclusive. Il aura des moyens dédiés.

M. Jean-Jacques Hyest. Madame la garde des sceaux, me permettez-vous de vous interrompre ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je vous en prie, monsieur le sénateur.

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, avec l’autorisation de Mme la garde des sceaux.

M. Jean-Jacques Hyest. Le parquet, d’ores et déjà, n’est-il pas spécialisé ? Vous le savez fort bien, dans les grands parquets, il y a des procureurs adjoints qui sont particulièrement spécialisés. Croyez-vous que les procureurs adjoints chargés du commerce ou des activités boursières à Paris, qui travaillent avec des collaborateurs et avec le concours de la police judiciaire et de la brigade financière, ne sont pas ultra-spécialisés ?

Même dans les parquets de province, le procureur adjoint chargé des affaires financières, notamment des affaires commerciales, joue un rôle extrêmement important pour débusquer non seulement les fraudes fiscales, mais aussi toutes les infractions commises en matière de droit des sociétés.

Il existe d’autres méthodes plus simples qui aboutissent au même résultat que celui que vous recherchez. Le système tel qu’il existe me semble préférable.

M. le président. Veuillez poursuivre, madame la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est votre droit de penser ainsi, monsieur Hyest. J’observe simplement que vous opposez à la création d’un parquet financier avec des moyens dédiés, un procureur adjoint spécialisé dans une juridiction…

MM. Jean-Jacques Hyest et Michel Mercier. La JIRS !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Éventuellement, oui ! Toutefois, nous ne sommes pas à la même échelle.

Le Gouvernement estime répondre aux atteintes à la probité, aux techniques de dissimulation de la fraude fiscale complexe, à ses ramifications, notamment internationales. Ne m’opposez pas à un parquet spécialisé qui, à terme, aura une cinquantaine de magistrats,…

M. Jean-Jacques Hyest. Combien y en a-t-il à Paris ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … une vingtaine de magistrats instructeurs, une cinquantaine de greffiers, un procureur adjoint spécialisé dans une JIRS. Nous ne parlons pas de la même chose ! Le Gouvernement estime que, dans la situation actuelle, c’est une réponse de cette envergure qui convient. Je prends toutefois acte de nos désaccords.

M. Jean-Jacques Hyest. Pour moi, c’est le procureur de Paris qui est compétent !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est parfaitement votre droit !

Le procureur de Paris a en charge de nombreux contentieux.

M. Jean-Jacques Hyest. Nous sommes d’accord !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il est chargé de la délinquance économique et financière, du terrorisme, de la santé, de la piraterie, des crimes contre l’humanité. Vous voulez que le contentieux particulier, très spécialisé, qui est en cause relève non du procureur de la République financier à compétence nationale, parce que c’est un super-procureur et une usine à gaz, mais du procureur de Paris, dont vous faites un super-super-super-procureur !

M. Michel Mercier. Ce n’est pas ce que nous avons dit !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Quoi qu’il en soit, je vois quelques incohérences dans vos propos.

Quant aux juges d’instruction, je l’ai expliqué aussi hier soir, il y aura une procédure d’habilitation, qui fonctionne déjà dans les JIRS et qui n’est pas un objet non identifié : les premiers présidents du tribunal de grande instance et de la cour d’appel de Paris, sur avis du président, habiliteront des magistrats, après consultation, comme l’a souhaité la commission des lois, de la commission restreinte de l’assemblée générale des magistrats.

Pour quelles raisons le Gouvernement a-t-il préféré le système qu’il vous propose ?

L’Assemblée nationale a introduit dans le projet de loi organique l’article 2, qui spécialise les juges d’instruction et prévoit des nominations prédéterminées. Comme nous l’avons expliqué, ce mécanisme fait courir un risque de cloisonnement des contentieux et d’éclatement des procédures. En effet, dans certaines procédures, plusieurs matières peuvent coexister. J’en veux pour preuve la délinquance économique et financière, la fraude fiscale, la criminalité en bande organisée, notamment.

Le système que nous vous soumettons présente une certaine souplesse. De surcroît, le magistrat saisi peut poursuivre l’instruction de l’affaire qu’il a en charge.

Monsieur Hyest, personne n’a pensé une seconde que les juges puissent être corrompus ! Considérez-vous la création du procureur de la République financier comme un acte de défiance vis-à-vis d’eux ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Puisque j’ai mal compris vos propos, mon explication devient nulle et non avenue.

M. Jean-Jacques Hyest. C’était pour rejeter la comparaison avec l’exemple espagnol !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’en prends acte, monsieur le sénateur.

Monsieur Richard, un débat passionnant, j’en conviens et que vous avez fortement contribué à éclairer, s’est récemment déroulé dans cette enceinte sur Eurojust, dans le cadre de l’examen d’un projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice, en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France.

À ce propos, je vous ferai une remarque quelque peu perfide. Aujourd'hui, pour contester la création du parquet financier, vous reprenez un argument que vous aviez soutenu alors, mais pour fonder un raisonnement inverse.

Ainsi, lors de ce débat, à l’issue de votre intervention, il est devenu clair pour le Sénat, jusqu’alors réticent, qu’il ne convenait pas de donner un certain nombre de compétences que lui avait attribuées l’Assemblée nationale à un membre national d’Eurojust, car cela aurait créé un entrelacement pernicieux avec les capacités de ce membre national d’Eurojust à enclencher l’action publique alors qu’il n’appartient pas à l’architecture de notre ministère public.

M. Jean-Jacques Hyest. C’est pareil !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Non, justement, ce n’est pas pareil, car ce membre d’Eurojust ne peut pas exercer l’action publique. Il serait dangereux de lui permettre de la déclencher, alors que le procureur financier, dont la compétence sera nationale, exercera une telle responsabilité, grâce, je le répète, à des moyens dédiés.

Une fois de plus, j’ai probablement été trop longue. J’espère du moins ne pas avoir été confuse. Au demeurant, cela n’aura peut-être aucun effet sur vos choix et vos décisions…

M. Alain Richard. Pourquoi un tel aveu d’impuissance ? Vous pouvez le penser, madame la garde des sceaux, mais jamais le dire !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Oui, j’admets que je manque de sens tactique ! (Dénégations amusées sur les travées de l'UMP.)

J’en suis consciente depuis très longtemps, mais c’est un défaut qui me paraît à la fois rédhibitoire et rattrapable.

M. Yann Gaillard. Felix culpa !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je crois avoir répondu, monsieur Mercier, à toutes vos interrogations.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’ai écouté avec une grande attention, et répondu avec le plus de précision possible. Mesdames, messieurs les sénateurs, j’attends non pas votre verdict, car je ne me sens pas mise en cause, mais votre décision : nous verrons bien ce que nous faisons et ce que nous disons aux citoyens de notre pays.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi d’apporter brièvement mon soutien aux propos de Mme la garde des sceaux, en insistant sur un point : nous prendrions un risque considérable si le Gouvernement n’était pas accompagné, au terme de ce débat, dans sa volonté de créer ce parquet spécialisé.

Je voudrais donner les raisons pour lesquelles je soutiens ce que vient de dire Mme la garde des sceaux et pour lesquelles nous aurions grand tort de ne pas la suivre.

J’insisterai tout d’abord sur l’équilibre de ce texte, qui lui confère toute sa pertinence. D’une part, l’administration fiscale aura le pouvoir de procéder aux contrôles qui relèvent de sa compétence et d’appliquer des amendes à ceux qui sont à l’origine de fraudes. D’autre part – c’est une nécessité aux yeux de l’administration fiscale –, la justice sera armée de moyens spécialisés pour poursuivre les fraudeurs, lorsque cela se révèle nécessaire et que l’administration fiscale n’est pas en situation de le faire.

Pourquoi avons-nous besoin de ces deux éléments, sur lesquels se fonde l’équilibre du texte ? Tout d’abord, l’administration fiscale est confrontée à des procédés de fraude fiscale de plus en plus sophistiqués, qui font appel à des moyens de plus en plus opaques, mobilisant trusts, comptes à l’étranger ou paradis fiscaux. Il est nécessaire, compte tenu des effets collatéraux ou induits de ces montages sophistiqués, lesquels, par ailleurs, révèlent parfois d’autres infractions pénales, que la justice puisse faire son travail.

Vous rappeliez tout à l’heure, madame la garde des sceaux, et c’est très important, que 1 000 dossiers seulement sont transmis chaque année à la CIF, la commission des infractions fiscales. L’administration fiscale s’est tout simplement armée avec le temps, en renforçant ses prérogatives de contrôle et sa capacité de sanction pour un certain nombre de dossiers fiscalement complexes. Par ailleurs, elle transmet à la CIF des dossiers de plus en plus sophistiqués, nécessitant des enquêtes de plus en plus poussées, susceptibles de justifier la mobilisation du juge.

Ce n’est donc pas le nombre de dossiers transmis à la CIF, qui reste stable, qu’il faut considérer, mais leur nature, qui a évolué vers une plus grande complexité. Un très grand nombre d’entre eux justifient des compléments d’enquête que seule la justice se trouve en situation d’engager.

J’estime donc quelque peu pervers le raisonnement selon lequel le maintien du monopole de l’administration constituerait une raison suffisante pour rejeter la création du parquet financier.

En réalité, le maintien de ce monopole pour ce qui concerne les poursuites apportera la garantie d’une application très rapide de l’amende après qu’un certain type d’infractions fiscales aura été constaté. En même temps, le juge doit pouvoir aller au-delà de ce que fait l’administration fiscale, grâce aux compétences qui sont les siennes, pour des affaires extraordinairement complexes, et il en est un nombre de plus en plus significatif.

C’est la raison pour laquelle la garde des sceaux et moi-même vous présentons ce texte ensemble. Nous tenons à cet équilibre, que vous auriez grand tort de rompre en ne donnant à cette loi qu’une partie des moyens dont elle a besoin pour aller au bout de l’ambition qu’elle porte, à savoir la lutte résolue contre la fraude fiscale.

En guise de conclusion, je dirai que ce parquet spécialisé est nécessaire pour doter la justice de moyens qu’elle n’a pas toujours eus. En ne lui permettant pas de mener ses investigations à leur terme, nous donnerions aux fraudeurs le sentiment qu’ils peuvent continuer d’agir en toute impunité.

Si nous n’avons pas souhaité remettre en cause le monopole de saisine de l’administration fiscale, c’est pour ne laisser subsister aucun interstice dans lequel les fraudeurs auraient l’impression de pouvoir s’engouffrer. C’est la même raison qui nous conduit à vous demander, mesdames, messieurs les sénateurs, de donner au parquet spécialisé les moyens de conduire son action. Si vous ne le créez pas, vous donnerez une seconde fois le sentiment aux fraudeurs qu’il existe un chemin leur permettant d’échapper à la sanction.

Tel est l’équilibre de ce texte. Il y a une cohérence entre la logique de ce que vous avez nommé le « verrou », qui est celle de Bercy, et celle de l’« écrou », défendue à l’instant par Mme la garde des sceaux.

Ces deux éléments clefs fondent l’équilibre de ce texte. Je vous demande donc, mesdames, messieurs les sénateurs, de ne pas dénaturer ce texte en le privant de l’une de ses deux dimensions, qu’il s’agisse de la capacité de Bercy d’engager les contrôles et d’appliquer les sanctions ou de la capacité de la justice de faire son travail lorsqu’elle peut et doit pouvoir conduire ses propres investigations.

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.

Mme Éliane Assassi. Parce que je veux dissiper toute ambiguïté, je tiens à préciser que notre groupe votera ce texte, mais sans doute pas pour les raisons que M. le ministre chargé du budget vient d’évoquer.

Pour ma part, je suis vraiment persuadée que la lutte contre la fraude fiscale nécessite de rétablir le rôle central de la justice, en créant le procureur financier. Certains de mes collègues ont eu l’occasion d’avancer d’autres raisons justifiant notre soutien à ce projet de loi. Je souscris donc complètement aux propositions formulées par M. le rapporteur de la commission des lois.

Toutefois, nous devons également avoir à l’esprit la façon dont ces textes seront compris par nos concitoyens. In fine, nous sommes aussi ici pour leur apporter des réponses sur de tels sujets. Nous voterons pour ce procureur financier, mais il faut être clair : en l’état, son rôle sera amoindri et il manquera de légitimité, parce que le verrou de Bercy ne saute pas et parce que la réforme du CSM a été retoquée.

Nous voterons donc contre les amendements de suppression de l’article 15 proposés par nos collègues et pour ce texte, pour les raisons que je viens d’évoquer.

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.

M. Jacques Mézard. Après avoir entendu l’excellente plaidoirie de mon excellent confrère et collègue Alain Anziani en faveur de la création du procureur financier, je ne veux laisser subsister aucune confusion.

Vous prétendez, monsieur le rapporteur, que ce texte est un message adressé aux citoyens. Toutefois, c’est un message aux fraudeurs qu’il devrait envoyer, ce qui est tout à fait différent ! On ne lutte pas efficacement contre la fraude fiscale et la délinquance financière par des messages médiatiques. On lutte efficacement avec des textes concrets et applicables. Telle est la réalité.

Le remodelage de l’article 1741 du code général des impôts et la nécessité d’abandonner la politique de dépénalisation de la délinquance économique et financière, que j’ai évoqués, correspondent également à des réalités ! Seulement, comme vous avez voulu aller extrêmement vite, pour répondre à la difficulté découlant de l’affaire que l’on connaît, vous vous êtes demandé quel message vous pouviez donner. Vous avez alors décidé de créer un procureur financier. Vous auriez pu – pourquoi pas ? – inventer un tribunal spécial. Cela aurait été un message encore plus fort.

Pour notre part, nous demandons de l’efficacité. Or ce texte prévoit une construction beaucoup trop complexe, qui suscitera des conflits de compétences évidents, nous le savons tous. Avec tout le respect que je dois à nos deux excellents et brillants ministres, nous ne pouvons pas être totalement convaincus par les arguments qui nous ont été donnés concernant les conflits de compétences.

Soyons clairs : ce n’est pas parce qu’on vote contre le procureur financier qu’on vote contre la lutte contre la délinquance économique, financière et fiscale.

M. Jacques Mézard. Bien au contraire ! Nous considérons que d’autres moyens, d’autres méthodes, plus faciles et plus rapides à mettre en œuvre, doivent être utilisés.

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’entends vos propos, monsieur Mézard. À cet égard, je vous rappelle que nous avons déjà eu une discussion de fond sur ce sujet.

Vous ne pouvez pas évoquer un risque de concurrence de compétences ! Tout d’abord, certaines compétences sont exclusives. Ensuite, les compétences d’attribution concurrentes seront, de fait, exclusives. À titre d’exemple, si la compétence d’attribution pour les actes terroristes est, en droit, une compétence concurrente, elle est, de fait, exclusive.

En réalité, une juridiction ne se rend compte qu’elle instruit une affaire de terrorisme qu’après le début de l’instruction. Par la suite, parce qu’il s’agit d’une compétence concurrente, l’affaire monte jusqu’à la section anti-terroriste de Paris, sans annuler les actes. Vous ne pouvez donc pas prétendre que l’existence de compétences concurrentes conduira les procureurs à s’arracher les dossiers.

L’objet de ce texte, c’est de nous donner les moyens de lutter contre les fraudeurs. Par ailleurs, vous avez parlé d’affichage, et nous avons répondu qu’il est extrêmement important d’envoyer des messages à nos concitoyens.

En tout état de cause, je ne comprends pas que vous parliez d’usine à gaz face à un schéma aussi clair et simple, à savoir un procureur financier à compétence nationale, placé sous l’autorité du procureur général. Nous avons réorganisé le dispositif, puisque nous supprimons, vous le savez, les pôles économiques et financiers, qui constituaient justement un échelon de confusion. Vous en convenez, monsieur Mercier ?

M. Michel Mercier. Nous n’avons rien dit à ce sujet ! Nous sommes d’accord.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous aurons désormais à la fois les JIRS, les juridictions interrégionales spécialisées, qui ont une compétence en matière de délinquance économique et financière, et le procureur financier, à compétence nationale. Dans la mesure où le schéma est particulièrement simple, le fait de dénoncer une usine à gaz ne tient pas. Trouvez d’autres arguments !

Je le répète, le schéma est simple : nous mettons en place un parquet financier, sous l’autorité hiérarchique du procureur général de Paris, avec des moyens et des effectifs dédiés. Il sera spécialisé dans les contentieux concernant les atteintes à la probité, à savoir la corruption, la fraude, le favoritisme, le conflit d’intérêts, le détournement de fonds publics et les délits boursiers.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. J’ai écouté avec attention l’ensemble de ce débat et je dois dire qu’il n’est pas si facile de prendre position. Néanmoins, mes chers collègues, je tiens à vous indiquer quelle sera la mienne.

Les arguments invoqués ont une certaine force, en particulier ceux de Jean-Pierre Michel. Toutefois, je considère que, quels que soient les inconvénients – et ils sont réels – du dispositif proposé par le Gouvernement, quelque difficulté que suscite éventuellement sa mise en œuvre, l’impérieuse nécessité de lutter contre la fraude, de se donner tous les moyens pour ce faire, il faut voter la création de ce procureur financier. J’ajoute que la puissance de conviction de Mme le garde des sceaux n’a pas été sans effet sur mon choix.

Je mesure, bien entendu, les inconvénients d’une telle solution, mais je sais aussi la force que nous donnerons ainsi à notre combat contre cette fraude, un combat qui requiert des moyens à la hauteur de l’ampleur du fléau.

Quoi qu’il en soit, une institution peut toujours être améliorée et l’expérience nous permettra d’avancer.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 3 rectifié, 94 rectifié bis et 115 rectifié.

J'ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe du RDSE, l'autre, du groupe UMP.

Je rappelle que la commission s’en est remis à la sagesse du Sénat, cependant que le Gouvernement a émis un avis défavorable.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 318 :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 332
Pour l’adoption 186
Contre 146

Le Sénat a adopté.

En conséquence, l'article 15 est supprimé et les amendements nos 85 rectifié, 107 rectifié, 146, 108 rectifié, 139 et 149 n'ont plus d'objet.

Toutefois, pour la bonne information du Sénat, je rappelle les termes de ces amendements.

L'amendement n° 85 rectifié, présenté par M. de Montgolfier, était ainsi libellé :

I. - Alinéa 9

Supprimer cet alinéa.

II. - Alinéa 10

Rédiger ainsi cet alinéa :

« 4° Blanchiment des délits mentionnés aux 1° à 3° du présent article et infractions connexes.

III. - Alinéa 14, première phrase

Compléter cette phrase par les mots :

ainsi qu'aux articles 1741 et 1743 du code général des impôts, lorsqu'ils sont commis en bande organisée ou lorsqu'il existe des présomptions caractérisées que les infrastructures prévues à ces mêmes articles résultent d'un des comportements mentionnés aux 1° à 4° de l'article 705 du présent code

Les amendements identiques n° 107 rectifié, présenté par MM. Détraigne, Delahaye et Guerriau, et n° 146, présenté par M. Charon, étaient ainsi libellés :

Alinéa 9

Supprimer cet alinéa.

Les amendements identiques n° 108 rectifié, présenté par MM. Détraigne, Delahaye et Guerriau, et n° 139, présenté par M. Charon, étaient ainsi libellés :

Alinéa 14, première phrase

Compléter cette phrase par les mots :

ainsi qu’aux articles 1741 et 1743 du code général des impôts, lorsqu’ils sont commis en bande organisée ou qu’il existe des présomptions caractérisées que les infractions prévues à ces mêmes articles résultent d’un des comportements mentionnés aux 1) à 5) de l’article L. 228 du livre des procédures fiscales

L'amendement n° 149, présenté par le Gouvernement, était ainsi libellé :

I. – Alinéa 16, première phrase

Supprimer les mots :

Le procureur général près la Cour d’appel de Paris ou

II. – Alinéa 19

1° Première phrase

Supprimer les mots :

du procureur général de la Cour d’appel de Paris,

2° Dernière phrase

Supprimer les mots :

Le procureur général près la cour d’appel de Paris ou

III. – Alinéa 21, deuxième phrase

Supprimer cette phrase.

Nous en revenons à présent, au sein du chapitre Ier du titre III, à l’article 12.

Article 15 (priorité)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière
Article 13 (priorité)

Article 12 (priorité)

(Non modifié)

Avant l’article 704 du code de procédure pénale, il est ajouté un chapitre Ier intitulé : « Des compétences des juridictions interrégionales spécialisées en matière économique et financière » et comprenant les articles 704 à 704-4, dans leur rédaction résultant des articles 13 et 14 de la présente loi. – (Adopté.)

Article 12 (priorité)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière
Article 14 (priorité - Texte non modifié par la commission)

Article 13 (priorité)

L’article 704 du code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est ainsi rédigé :

« Dans les affaires qui sont ou apparaîtraient d’une grande complexité, en raison notamment du grand nombre d’auteurs, de complices ou de victimes ou du ressort géographique sur lequel elles s’étendent, la compétence territoriale d’un tribunal de grande instance peut être étendue au ressort de plusieurs cours d’appel pour l’enquête, la poursuite, l’instruction et, s’il s’agit de délits, le jugement des infractions suivantes : » ;

2° Au 1°, après la référence : « 434-9, », est insérée la référence : « 434-9-1, » ;

3° Il est rétabli un 10° ainsi rédigé :

« 10° Délits prévus aux articles L. 106 à L. 109 du code électoral ; »

4° Le dix-huitième alinéa est supprimé ;

5° Au dix-neuvième alinéa, les mots : « et à l’alinéa qui précède » sont supprimés.

(nouveau) Les deux derniers alinéas sont ainsi rédigés :

« Au sein de chaque tribunal de grande instance dont la compétence territoriale est étendue au ressort d’une ou plusieurs cours d’appel, le premier président, après avis du président du tribunal de grande instance donné après consultation de la commission restreinte de l’assemblée des magistrats du siège, désigne un ou plusieurs juges d’instruction et magistrats du siège chargés spécialement de l’instruction et, s’il s’agit de délits, du jugement des infractions entrant dans le champ d’application du présent article. Le procureur général, après avis du procureur de la République, désigne un ou plusieurs magistrats du parquet chargés de l’enquête et de la poursuite des infractions entrant dans le champ d’application du présent article.

« Au sein de chaque cour d’appel dont la compétence territoriale est étendue au ressort d’une ou plusieurs cours d’appel, le premier président, après consultation de la commission restreinte de l’assemblée des magistrats du siège, et le procureur général désignent respectivement des magistrats du siège et du parquet général chargés spécialement du jugement des délits et du traitement des affaires entrant dans le champ d’application du présent article. »