M. Henri de Raincourt. Et les gendarmes !

M. Gérard Larcher. … on voit que les grandes victimes ne sont pas les Yvelines ! Non, les grandes victimes, ce sont les territoires ruraux, au nom de la logique du seul indicateur démographique ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. Alain Fauconnier. Et le conseiller territorial ?...

M. Gérard Larcher. Ici, au Sénat, l’assemblée des territoires, nous avons le devoir d’y être particulièrement attentifs. C’est la vitalité, c’est la représentation des territoires ruraux qui sont en cause !

Il n’est pas acceptable que, dans votre approche, vous privilégiiez le modèle urbain.

M. Jean Bizet. Très juste !

M. Gérard Larcher. Il ne faut pas opposer territoire rural et territoire urbain.

Ne l’oublions pas : c’est au territoire rural que nous devons le deuxième excédent de notre commerce extérieur, au travers de l’agriculture et de la filière agroalimentaire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. Jean Bizet. Soit 12 milliards d’euros !

M. Bruno Sido. Très bien !

M. Gérard Larcher. En tant qu’élu d’un département mi-urbain, mi-rural, je pense qu’il est de mon devoir d’être concrètement comptable de l’intérêt de l’ensemble du territoire.

Dans certains départements, la taille moyenne des cantons pourra dépasser 75 000 habitants, distendant par leur taille même la relation entre l'élu, le département et ses administrés. Dans d’autres, certains cantons ruraux seront noyés dans de vastes territoires – je citais il y a peu, à cette tribune, l’exemple des Cévennes et du Gard. Et les chefs-lieux de canton, avec ce que représente le principe en termes de symboles et de services, vont se trouver remis en cause, leur nombre étant divisé par deux, et par beaucoup plus en territoire rural.

En outre, même pour ce qui est de la promotion de la parité – alors que c'est l'objectif au nom duquel vous faites fi de tous les autres –, je me reporterai aux propos de la présidente, socialiste, de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes de l'Assemblée nationale, Mme Catherine Coutelle, qui, dans la Nouvelle République, en décembre dernier, disait ceci du scrutin binominal :

« C'est une solution qui me choque énormément et qui me heurte profondément. Le message que je reçois en tant que femme politique, c'est : " Vous n'êtes pas capable d'y arriver toute seule, donc il faut faire des couples ! " ».

Je la cite toujours : « C'est stupéfiant ! Je trouve même cela humiliant et je le vis comme un mépris ». Et, plus loin : « C'est un dévoiement de la parité. Je n'ai pas envie, si je devais me présenter au conseil général, d'aller chercher un homme pour le faire ».

Voilà ce qu’a dit Mme Coutelle dans la Nouvelle République en décembre dernier ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.- Mme Bernadette Bourzai proteste.)

Monsieur le ministre, le contexte actuel de « récidive électorale » contribue également à nous interroger. Depuis neuf mois, il s’est trouvé peu de conseils des ministres où de nouveaux projets de loi électoraux n’aient pas été présentés…

C'est bien simple, toutes les élections sont passées en revue, conseillers territoriaux, élections cantonales, municipales, sénatoriales, Assemblée des Français de l'étranger ! Et bientôt, peut-être, les élections européennes…Quant aux législatives, c'est sûr !

Il ne reste guère que l'élection du Président de la République, protégée par la Constitution, qui échappe à cette ambition de réforme…

Alors, monsieur le ministre, à quoi correspond l’attitude volontariste qui est la vôtre ? On passe tellement de temps – et vous-même, monsieur le ministre – au Parlement sur ces sujets électoraux, qui peuvent attendre, que l’on en oublie l’essentiel : la compétitivité, l’emploi, l’économie (Vifs applaudissements sur les travées de l'UMP.),…

M. Gérard César. Le chômage !

M. Claude Bérit-Débat. Quelle amnésie !

M. Manuel Valls, ministre. C’est incroyable !

M. Gérard Larcher. … au point que, ce matin, sur ces sujets essentiels, le conseil des ministres décide de légiférer par ordonnances, privant le Sénat et l’Assemblée nationale – donc, le législateur – de son rôle ! (M. le ministre s’exclame.)

Nous allons passer des semaines et des semaines à travailler sur ces sujets électoraux, tandis que l’essentiel de ce qui préoccupe nos concitoyens sera décidé par ordonnances ! (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Alain Fauconnier. Un peu de pudeur, tout de même !

M. Manuel Valls, ministre. Mais enfin !...

M. Gérard Larcher. Je le dis au président du Sénat et j’appelle chacun à la réflexion : peut-on accepter que, sur des sujets aussi importants, nous légiférions par ordonnances, comme c’est annoncé ?

M. Manuel Valls, ministre. Non ! C’est soit mentir soit être mal informé !

M. Gérard Larcher. Monsieur le ministre, c’est en tout cas ce que la porte-parole du Gouvernement a rapporté du conseil des ministres… (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Mes chers collègues, j’en viens au texte issu des travaux de notre commission des lois qui, lui, présente des avancées non négligeables dans d’autres domaines.

Premièrement, la suppression des triangulaires qui, je dois le dire, sont une préoccupation pour chacune et chacun d’entre nous.

Deuxièmement, la plus grande souplesse pour le découpage des cantons. Porter de 20 % à 30 % les écarts autorisés permet d’atténuer le déficit de représentation des territoires ruraux engendré par cette réforme sans que cette marge d’écart pose, apparemment, de problèmes constitutionnels insolubles.

Troisièmement, relever de 500 à 1 000 habitants le seuil d’application du scrutin proportionnel pour les municipales – même si nous avions proposé un seuil plus élevé en première lecture – est une option qui permettra d'épargner à 7 000 communes le passage à la proportionnelle.

Quatrièmement, enfin, concernant les représentants des communautés de communes, des agglomérations ou des communautés urbaines, comme Jean-Jacques Hyest, je préfère au terme de « conseiller » celui de « délégué », parce qu’il ne fait pas présager la disparition des communes, absorbées qu’elles seraient par les communautés.

Sur tous ces points, nous avançons. Mais nous sommes alors confrontés à un choix difficile. (Eh oui ! sur plusieurs travées du groupe socialiste.)

M. Michel Delebarre, rapporteur. Très bien !

M. Gérard Larcher. Si, en effet, nous rejetons l'ensemble du texte, nous condamnons le Sénat à s'en remettre à la rédaction finale de l'Assemblée nationale, ce qui ne serait pas bien pour une assemblée dont la responsabilité constitutionnelle est de représenter les territoires. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) J’y vois le risque d’un affaiblissement de plus de notre assemblée.

Alors, monsieur le ministre, l’attitude du Gouvernement au cours du débat déterminera aussi la nôtre. Soit nous rejetterons la totalité du texte, mais en rejetant également des avancées qui ont été véritablement « coconstruites »…

M. Michel Delebarre, rapporteur. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. En effet !

M. Gérard Larcher. … en commission des lois par la majorité, dans ses diverses sensibilités, et par l’opposition ; soit, pour éviter le pire et défendre nos collectivités, nous assumerons qu’un texte, même partiellement mauvais, sorte du Sénat.

Tout cela dépend de la qualité de nos travaux et nous verrons le moment venu, y compris après la commission mixte paritaire, si nous pouvons dégager ensemble un certain nombre de dispositions qui nous assurent que toute la France sera bien représentée, y compris à l’occasion de l’élection départementale, et cela sans gommer les territoires ruraux qui, pour nous, sont essentiels parce que, au-delà de leur importance économique, ils font aussi l’identité et la force de la France ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme Bernadette Bourzai.

Mme Bernadette Bourzai. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat reprend aujourd'hui, pour une deuxième lecture, l'examen du projet de loi relatif à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux, des conseillers intercommunaux et modifiant le calendrier électoral.

Après le rejet de ce texte en première lecture, ce que j'ai fortement regretté car, à mon sens, le Sénat s'est lui-même dessaisi de son pouvoir d'organisation des territoires que les sénateurs représentent, nous sommes maintenant saisis du dispositif tel qu'adopté par l'Assemblée nationale.

Nous avons là une nouvelle occasion de faire entendre la voix des collectivités locales et territoriales. Notre commission des lois, sous l'impulsion de son rapporteur, Michel Delebarre, a déjà enrichi le texte de propositions tout à fait pertinentes visant à préciser et à compléter les dispositions concernant le mode de scrutin départemental et les modes de scrutin locaux, afin de faciliter le pluralisme dans la vie municipale et conforter le principe de l'élection des conseillers communautaires au suffrage universel direct, et je l'en félicite !

Cette fois-ci, je souhaite que nous aboutissions à l'adoption d'un texte afin que le Sénat puisse, lors de la commission mixte paritaire, peser de tout son poids sur le contenu de la loi, ce qui est l’essentiel.

Mon intervention comportera deux points.

En premier lieu, je veux à nouveau exprimer avec force, comme j'ai pu le faire en première lecture, ma satisfaction de voir l'objectif de parité maintenu et conforté, malgré les atermoiements de certains.

Monsieur Larcher, vous nous avez cité la position personnelle de Mme Coutelle, présidente de la délégation aux droits de femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de l’Assemblée nationale, personnelle, car notre collègue députée n’a pas été suivie par sa délégation. En revanche, je tiens à rappeler que c’est un texte issu de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité entre les hommes et les femmes du Sénat qui sert de base à ce projet de loi, et qu’il a été voté à l’unanimité ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Michel Delebarre, rapporteur. C’est vrai !

Mme Bernadette Bourzai. Donc, chacun retrouve bien ses votes !

En second lieu, j’estime que le futur redécoupage cantonal doit être révisé pour une meilleure prise en compte de la situation des départements ruraux. Je reviens donc quelques instants sur ce scrutin binominal qui effraie tant certains de nos collègues, notamment masculins, mais pas seulement.

Je ne vise personne, mais que n'a-t-on entendu sur ces travées lors des débats de première lecture ! Les propos sexistes et d'un autre âge qui ont été tenus démontrent bien notre retard considérable en matière de parité et l'urgente nécessité d'y remédier.

Pour ma part, je crois donc que tout effort qui tend à favoriser cette parité doit être encouragé. Et c'est bien l'un des objectifs politiques affiché avec le choix du scrutin majoritaire binominal : faire progresser la parité politique dans les assemblées départementales tout en maintenant la proximité nécessaire à l'exercice des fonctions des élus départementaux.

Au-delà, j'attire votre attention sur le fait que, dans le prolongement de ces dispositions, qui assureront l'élection d'un homme et d'une femme dans chaque canton, ce projet de loi concerne également le scrutin municipal à la proportionnelle, qui implique la parité, à partir de 500 habitants – seuil voté par l’Assemblée nationale – ou de 1 000 habitants – seuil proposé par notre commission des lois –, ainsi que l'élection des conseillers communautaires.

Il permettra également d'assurer la parité au sein des exécutifs départementaux : il y aura autant d'hommes que de femmes parmi les membres du bureau et au sein de la commission permanente. Il y a là une logique d'ensemble et un souci de cohérence que je tiens à saluer.

Ce texte constitue le fondement – je dirai même les fondations – d'une représentation paritaire qui sera désormais acquise à tous les niveaux de responsabilité démocratique… enfin presque, car il reste encore deux bastions à conquérir pour la parité : l’Assemblée nationale et le Sénat !

Mme Bernadette Bourzai. Et c’est un gros travail !

Pour revenir à mon second point, qui concerne le remodelage de la carte cantonale, je constate avec satisfaction qu’au Sénat nos débats ont permis de progresser significativement sur ce point et d’assurer la proximité.

En première lecture, nos débats nous avaient permis d’exprimer fortement notre souci de garantir une représentation effective et juste des territoires ruraux, tout particulièrement ceux qui présentent des handicaps naturels, au sein du futur conseil départemental.

Cela avait conduit le Sénat à adopter à l'unanimité un amendement présenté par le rapporteur, tendant à élargir les dérogations possibles aux principes du remodelage de la carte cantonale. Ainsi, outre les dérogations géographiques, ont été rendues possibles des dérogations tenant à la démographie, à l’équilibre et à l'aménagement du territoire ainsi qu’au nombre des communes. Cet amendement permettait ainsi de prendre en considération différentes spécificités et d'éviter la constitution de cantons trop étendus, particulièrement dans les zones présentant des handicaps naturels et climatiques. Nos débats ont eu le mérite d’inspirer l’Assemblée nationale, et je m’en réjouis.

Notre commission propose de relever à 30 % l'écart maximum entre la population d'un canton et la population moyenne des cantons du département. Cette modification est très importante pour les territoires de montagne et je tiens à en remercier notre commission des lois.

En conclusion, je pense que cette réforme contribuera au renouveau et la modernisation de la démocratie locale et départementale. Je tiens à saluer les nombreuses avancées que comporte ce texte, que je voterai avec conviction. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey.

M. Hervé Maurey. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons en deuxième lecture le projet de loi modifiant les modes de scrutin pour les élections des conseillers municipaux, des conseillers intercommunaux et des conseillers départementaux.

Ce texte a été rejeté par le Sénat le 18 janvier dernier : je crois que c’est la première fois qu’un texte aussi important pour les collectivités locales est rejeté par l’assemblée chargée de les représenter…

Ce texte a été adopté par l’Assemblée nationale, mais avec la plus courte majorité jamais obtenue sur texte du Gouvernement depuis le début de la législature. C'est dire, monsieur le ministre, l’enthousiasme qu’il suscite, y compris dans votre majorité !

C’est aussi la première fois que des changements de législation concernant une élection demeurent inconnus moins d’un an avant celle-ci. Je fais naturellement référence aux dispositions qui concernent les élections municipales, notamment pour la question du seuil à partir duquel s’appliquera le scrutin de liste.

Ce texte, qui modifie trois modes de scrutin, n’est que le premier d’une série…

M. Hervé Maurey. … destinée à modifier tous les modes de scrutin, ou presque. Là aussi, c’est une première ; là aussi, c’est du jamais vu ! Jamais un gouvernement n’avait, en aussi peu de temps, modifié tous les modes de scrutin.

La semaine prochaine, le Sénat examinera un texte destiné à modifier le collège qui élit les sénateurs représentant les Français établis hors de France. Ensuite, nous serons saisis d’un projet de loi, déjà adopté en conseil des ministres, qui modifiera les conditions d’élection des sénateurs. On nous annonce, même si cela n’est plus très sûr, une modification du mode de scrutin pour les élections européennes et, ensuite, une modification du mode de scrutin pour les élections législatives…

Ce qui est très curieux, monsieur le ministre, c’est qu’à chaque fois vous invoquez des raisons différentes.

Afin de nous « vendre » le scrutin binominal, vous nous dites que cette solution, que vous n’envisagez pas, d’ailleurs, d’étendre à une autre élection, notamment celle des députés, permet d’éviter la proportionnelle. Et vous faites, je m’en réjouis, l’éloge du scrutin majoritaire, soulignant tout à l’heure que ce mode de scrutin permettait le pluralisme : nous l’avons noté et nous saurons vous le rappeler !

Mais, monsieur le ministre, si le scrutin majoritaire est à ce point formidable – et je suis d’accord avec vous sur ce point –, pourquoi envisagez-vous de conserver le scrutin proportionnel aux élections régionales, de l’étendre pour les élections sénatoriales - en portant de 50 % à 70 % la proportion de sénateurs élus grâce à ce mode de scrutin - et de l’instaurer pour les élections législatives ?

Ces arguments qui diffèrent selon les textes, monsieur le ministre, peinent à masquer la réalité : le Gouvernement n’a qu’un seul but, échapper à la sanction populaire lors des prochaines élections en se livrant à un « tripatouillage » électoral destiné à conserver la mainmise du parti socialiste sur les différentes institutions et collectivités.

Voilà la réalité !

C’est d’autant plus choquant que nos concitoyens sont bien loin de ces préoccupations, malheureusement pour eux. Je vous rappelle, monsieur le ministre, que le chômage a franchi la barre des 10 % - record qui n’avait pas été atteint depuis 1999, à l’époque du gouvernement Jospin – et que nous comptons, selon l’INSEE, 3,7 millions de chômeurs, dont 25 % des jeunes : du jamais vu depuis que les statistiques existent, c’est-à-dire depuis 1975 !

M. Claude Bérit-Débat. Combien étaient-ils, il y a dix mois ?

M. Hervé Maurey. Le Président de la République a reconnu hier que l’objectif de limitation du déficit à 3 % du PIB ne serait pas tenu. Alors, oui, les Français ont d’autres préoccupations, monsieur le ministre de l’intérieur, et notamment en termes d’insécurité.

Au-delà de ces remarques, ce texte ne nous convient pas. Ce scrutin « croquignolesque » qui consiste à avoir deux élus par canton est en fait un mauvais coup porté à la ruralité, sous couvert de faire avancer la parité.

M. Jean-Jacques Mirassou. Ah, la bannière de la ruralité !

M. Hervé Maurey. Vous nous avez expliqué que c’était le seul moyen d’échapper à la proportionnelle, mais c’est tout à fait faux, nous aurons l’occasion d’en reparler lors de l’examen des amendements. Il est possible d’opter pour un scrutin mixte maintenant le scrutin majoritaire en zone rurale et instaurant le scrutin proportionnel en zone urbaine. Il est également possible de conserver le mode de scrutin cantonal actuel en prévoyant des sanctions financières pour les partis politiques qui ne respecteraient pas la parité.

Nous ne sommes pas favorables non plus au report des élections cantonales et régionales en 2015, report que rien ne justifie, si ce n’est, là encore, la volonté d’un « tripatouillage » électoral.

Je dois dire, monsieur le ministre, que le texte qui nous revient de l’Assemblée nationale est pire que celui que nous avait soumis le Gouvernement, puisque le seuil de population à partir duquel s’appliquera le scrutin de liste bloqué aux élections municipales a été ramené à 500 habitants. J’en ai été d’autant plus surpris, monsieur le ministre, que vous aviez fait l’éloge du seuil de 1 000 habitants et indiqué au Sénat à juste titre – je vous avais même applaudi, c’est dire ! – qu’abaisser le seuil à 500 habitants serait trop brutal et entraînerait des difficultés.

M. Manuel Valls, ministre. C’est la décision de l’Assemblée nationale !

M. Hervé Maurey. Le texte adopté par l’Assemblée nationale prévoit également une diminution systématique du nombre de conseillers municipaux dans les communes de moins de 3 500 habitants. Je n’en vois ni l’utilité ni, surtout, la justification, dès lors que l’on se limite aux seules communes de moins de 3 500 habitants.

Je voudrais donc saluer le travail de la commission des lois, qui a permis de revenir à une solution beaucoup plus favorable sur ces deux points ainsi que sur la question de l’écart de population dans le redécoupage des cantons.

Je suis en revanche désagréablement surpris de constater que le Gouvernement a déposé un amendement visant à supprimer le dispositif proposé par la commission des lois sur cet écart de plus ou moins 30 %.

En conclusion, nous souhaitons que nos amendements soient adoptés pour que nous puissions voter ce texte. Je rappelle en effet que le Parlement est bicaméral, monsieur le ministre, et que la Haute Assemblée représente les collectivités territoriales : il serait regrettable que, pour la première fois, un texte concernant les collectivités territoriales soit rejeté par le Sénat.

Vous n’avez pas de majorité politique au Sénat, monsieur le ministre : vous semblez l’oublier, mais c’est la réalité.

M. Manuel Valls, ministre. Je n’oublie rien !

M. Hervé Maurey. Il est donc de votre devoir de tenter de trouver une majorité sur ce texte. Pour cela, il faudrait que vous procédiez à une vraie concertation, à un véritable échange, que vous écoutiez vraiment nos demandes. Vous avez dit que vous étiez prêt à faire des compromis,… sauf sur le mode de scrutin, sauf sur la date des élections, sauf sur l’écart dans le découpage des cantons, bref, sur tout sauf sur les points importants ! Permettez-moi de m’en étonner.

Le groupe UDI-UC aborde la discussion de ce texte avec la ferme volonté de défendre les territoires ruraux, mais sans arrière-pensées politiciennes (Exclamations sur certaines travées du groupe socialiste.) : je considère que la balle est dans votre camp bien plus que dans le nôtre. Nous attendons donc de voir quelles avancées vous êtes réellement prêt à accomplir ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. Manuel Valls, ministre. Prenez vos responsabilités !

M. le président. La parole est à M. Bruno Sido.

M. Bruno Sido. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la Haute Assemblée est à présent saisie en deuxième lecture du dispositif électoral relatif à l’élection des conseillers départementaux, tel qu’adopté par l’Assemblée nationale et amendé par notre commission des lois.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je constate que la pugnacité des débats parlementaires a été à la hauteur des ambiguïtés et des dangers que fait peser l’application du mode de scrutin binominal sur l’avenir des territoires ruraux. En effet, les récentes simulations de redécoupage cantonal ont permis de concrétiser ce que seront les conséquences d’un tel scrutin : un éloignement programmé du futur conseiller départemental de ses électeurs et une marginalisation de la représentation territoriale de proximité.

C’est pourquoi, au-delà des améliorations rédactionnelles, je salue le travail de la commission des lois, qui a permis d’apporter, au gré d’amendements et d’argumentations, un certain nombre d’améliorations.

Première amélioration : le texte de la commission prévoit de relever l’écart entre la population d’un canton et la population moyenne des cantons d’un même département de 20 % à 30 %.

Cette adaptation aux enjeux territoriaux va dans le bon sens, et je la salue. C’est l’espoir d’un peu plus de souplesse, de cantons qui seront un peu moins mis à mal par la prise en compte du critère désormais pondéré de la représentation démographique. Souhaitant que cette piste de progrès aboutisse, je propose cependant de relever l’écart des moyennes à 40 % pour respecter les spécificités territoriales en termes de superficie, de densité de population, de nombre de communes et de relief.

Deuxième amélioration : les principes du remodelage de la carte cantonale, prévus par l’article 3 et amendés en commission, encadrent un régime dérogatoire un peu plus équilibré, fondé sur des critères géographiques, démographiques ou d’équilibre territorial. Ce rééquilibrage sera une véritable reconnaissance de la ruralité et de la représentation des territoires faiblement peuplés, qui témoignent chaque jour de leur vitalité.

Mais quel est l’intérêt d’imposer une réforme électorale au détriment de la tradition républicaine qui, depuis la IIIe République, assied sur les communes et les départements la vitalité de la démocratie locale, avec le souci de la proximité ? Cette réforme s’apparenterait tout simplement à une révolution électorale, pour laquelle les Français ne nous ont pas missionnés.

La proximité doit rester adossée aux élections départementales, à plus forte raison au moment où le département devrait être prochainement conforté par le futur projet de loi de décentralisation dans son « chef de filat » des politiques sociales et des politiques de solidarités territoriales.

Je ne pense pas que l’éloignement démocratique soit le signe d’une modernité des départements. Il serait d’ailleurs contraire à l’acte III de la décentralisation, qui ambitionne un retour aux sources en identifiant clairement « les échelons pertinents de l’action publique afin d’accroître la performance de l’ensemble des collectivités publiques, participant ainsi à la réalisation d’objectifs partagés [...] », comme l’indique l’exposé des motifs du projet de loi.

À mon sens, il aurait mieux valu que l’acte III précède la modification des scrutins locaux pour que le conseiller départemental soit la cheville ouvrière d’une action publique cohérente dans les cantons.

Troisième amélioration : j’approuve l’amendement de la commission qui acte le principe selon lequel seuls les deux binômes de candidats arrivés en tête au premier tour peuvent se maintenir au second tour. Introduite par notre collègue Jean-René Lecerf, cette modification sera gage de clarté pour nos électeurs et gage de transparence pour les élus, soucieux d’éviter une multiplication de triangulaires qui ne sont pas toujours à l’honneur de la démocratie. Je sais que des amendements tenteront de revenir sur cette avancée, mais je commente ici le texte tel qu’il est issu des travaux de notre commission.

Pour autant, et au-delà des améliorations apportées par la commission des lois, le projet de loi maintient les principes fondamentaux contre lesquels nous nous étions opposés en première lecture.

La notion de solidarité, qui est au cœur de la gestion de nos assemblées départementales, restera, à l’usage, malmenée par le fonctionnement même du binôme. La création d’un binôme d’élus est vraiment source de confusions et de complications. Comment le partage d’un même territoire par deux légitimités sera-t-il compris ?

Je reste très circonspect quant à son application concrète. Son seul avantage, réel, est d’introduire la stricte parité dans nos assemblées sans recourir pour autant à la proportionnelle.

Solidaire en campagne électorale mais indépendant tout au long du mandat, le binôme ne donne aucune assurance à l’électeur quant à sa solidarité politique lors de la mise en œuvre de la politique départementale dans les futurs cantons.

La dimension binominale, source de tensions, risque de fragiliser la stabilité politique des futures assemblées départementales. Je n’oublie pas que l’efficacité d’une assemblée dépend de sa capacité à créer une majorité, sans que tout soit sujet à discussion ou à négociation. Dans ces conditions, je m’interroge sur l’efficacité démocratique de cette réforme.

J’en conviens, aucun mode de scrutin ne combine toutes les qualités – l’ancrage territorial, la représentation fidèle des opinions politiques, la parité, la proximité et le caractère gouvernable des assemblées délibérantes… – mais il nous revient de nous adapter aux exigences démocratiques actuelles.

Nous ne sommes pas hostiles au rééquilibrage démographique des cantons, dont la plupart des tracés remontent à leur création, en 1801. Il est vrai qu’ils sont datés, voire inadaptés. En revanche, les modalités électorales du scrutin binominal doivent correspondre le plus possible aux missions des conseils généraux, qui sont des missions de proximité et de solidarité.

L’activité du conseil général s’organise tout autant autour de la population, son budget étant très largement consacré aux dépenses de caractère social, que du territoire, par le biais de dépenses d’équipement. De ce fait, il serait contraire au principe d’égalité que toutes les portions de territoire départemental ne soient pas représentées de la même manière.

Chaque conseiller départemental est à la fois le représentant des besoins généraux du département et des besoins spécifiques de son canton d’élection. Ne dépossédons pas nos électeurs et leurs territoires d’une fidèle représentation démocratique au profit d’une stricte parité, qui apparaît comme le seul apport du scrutin binominal, comme je l’ai dit précédemment.

Mes chers collègues, les améliorations apportées par les travaux de la commission des lois sont réelles, car elles prennent en compte un certain nombre d’inquiétudes de parlementaires et d’élus locaux, mais revenir à l’esprit du texte initial aura pour conséquence de modifier durablement le territoire national et d’organiser la disparition progressive des territoires ruraux au profit du seul fait urbain.

Par une méconnaissance des pratiques électorales locales, ce mode de scrutin binominal fragilisera la gouvernance des territoires ruraux, dont on sait qu’ils peuvent, en période de crise, être un élément « ressort », pour peu que nous n’organisions pas leur abandon.

Évitons de figer ce projet de loi et de faire de l’écart démographique une règle d’airain qui aboutirait à sous-représenter des territoires au sein de collectivités censées les soutenir et à constituer des circonscriptions d’élection si vastes que le lien de proximité avec nos concitoyens, principal intérêt du scrutin majoritaire, ne serait plus qu’un souvenir.

C’est pourquoi, malgré quelques améliorations tout à fait positives, nous ne pouvons soutenir ce projet de loi, sauf à abandonner le caractère binominal du scrutin. (Applaudissements sur certaines travées de l'UMP.)