SEANCE DU 7 DECEMBRE 2001


La parole est à M. Raoult.
M. Paul Raoult. Monsieur le ministre, à la suite de ma première question, qui portait sur l'adduction d'eau, la seconde aura trait, fort logiquement, à l'assainissement à travers deux aspects de cette mission de service public essentielle pour la préservation de l'environnement.
Le premier aspect se situe au niveau de ce que l'on appelle le raccordement à l'égout au domicile des particuliers, notamment les plus modestes, qui, dans un habitat comme celui que connaît, notamment, l'ex-bassin minier du Nord - Pas-de-Calais, n'est pas relié au réseau d'assainissement collectif.
Les résidents sont cependant au fait des nécessités d'un tel raccordement, d'autant qu'ils sont tenus de le pratiquer. Ils déposent des demandes de subventions auprès d'un organisme spécialisé naguère dans la lutte contre les taudis, le PACT : protéger, améliorer, conserver, transformer.
Si je prends l'exemple de Saint-Amand-les-Eaux, dans le Valenciennois, des centaines de demandes ne sont pas satisfaites, faute de moyens. Pourtant l'enjeu financier par logement n'est pas insurmontable : de 8 000 à 15 000 francs.
Quant au second aspect de ma question, il porte sur le problème des boues de station d'épuration.
Il est en effet notoire que l'épandage de ces dernières, qui est actuellement pratiqué dans le respect des dispositions en vigueur, risque d'être rendu considérablement plus difficile du fait d'un prochain et, semble-t-il, probable durcissement des normes en la matière.
Pas plus tard que ce matin, à l'agence, j'apprenais qu'il était question d'interdire l'épandage des boues provenant des stations d'épuration reliées à un abattoir. Dans le cas de l'agence de l'eau Artois-Picardie, cela signifie que l'on ne pourrait plus épandre sur les terres agricoles les boues provenant des vingt-deux stations d'épuration auxquelles sont reliés vingt-cinq abattoirs.
D'ailleurs, les industriels du secteur agroalimentaire eux-mêmes sont, d'ores et déjà, de plus en plus réticents devant le recours à cette solution, et l'opinion se montre de plus en plus méfiante à son égard.
Or, d'un strict point de vue économique, il s'agit de la formule la moins onéreuse par rapport, notamment, à l'incinération de ces résidus, qui coûte beaucoup plus cher.
Qui plus est, d'un point de vue environnemental, l'épandage contrôlé en agriculture représente, selon l'audit réalisé pour le Comité national des boues, la solution optimale pour les petites et moyennes stations d'épuration.
Il est vrai que la tendance semble être au recours croissant à l'incinération, comme le montre le cas de la future station d'épuration que la Communauté d'agglomération du Boulonnais vient de concevoir avec l'appui technique de l'agence de l'eau Artois-Picardie.
En effet, il est d'ores et déjà prévu qu'une enquête publique sera diligentée au cours du déroulement du chantier pour permettre l'installation d'un incinérateur sur le site.
Tout se passe donc comme si, avec un aval officiel, les installations de l'avenir devaient être dotées d'incinérateurs. Si tel était le cas, il en résulterait, nécessairement, une modification des données économiques présidant in fine au calcul du prix de l'eau pour les usagers.
Là encore, je suis convaincu que les opérateurs de l'assainissement, quels que soient leurs statuts, sauront assumer leurs responsabilités.
Mais force est de constater qu'ils ne maîtrisent nullement cet éventuel accroissement de la sévérité en matière de normes à l'origine de la possible réorientation de leur politique en matière de boues.
C'est pourquoi, comme pour la suppression du plomb, il serait souhaitable que l'Etat indique qu'il est prêt à soutenir les efforts des collectivités désireuses de se doter des moyens d'abandonner l'épandage s'il doit être, lui aussi, de fait, prohibé.
Là encore, il pourrait s'agir soit d'une aide directe, soit d'un abondement des ressources des agences de bassin.
Monsieur le ministre, tout en nous éclairant sur les perspectives de réglementation en matière d'épandage de boues de stations d'épuration, pourriez-vous nous indiquer si l'Etat est disposé à permettre que soient réunies les conditions d'une protection optimale de l'environnement, tant au début qu'à la fin du processus d'assainissement ?
M. le président. La parole est à M. Soulage.
M. Daniel Soulage. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, ma question porte sur la relation entre l'environnement et l'agriculture, et comporte deux volets : la protection de l'eau et le potentiel des biocarburants.
L'émergence des préoccupations environnementales, ces vingt dernières années, a conduit à mettre en cause les méthodes intensives de production agricole. Ces dernières ont eu, il est vrai, des répercussions parfois lourdes sur l'environnement, notamment la pollution des nappes phréatiques dans certaines régions.
Conscients de leurs responsabilités et de l'attente croissante des consommateurs à leur égard, les agriculteurs se sont engagés, depuis quelques années, dans la voie de pratiques plus respectueuses de l'environnement. Leur participation à la protection et à la gestion concertée de l'eau s'est traduite par de nombreuses initiatives - Ferti-Mieux, Agri-mieux, mise en place de l'agriculture raisonnée, développement de l'agriculture biologique - et l'adhésion d'un grand nombre d'éleveurs au programme de maîtrise des pollutions agricoles.
Comme vous le savez, monsieur le ministre, le secteur agricole est très concerné par l'ensemble du projet de loi sur l'eau, notamment par la refonte de la redevance pour la consommation d'eau et la mise en place d'une redevance sur les excédents d'azote. Les exploitants, notamment les plus fragiles, s'inquiètent légitimement de son impact.
Les nouvelles redevances vont d'abord s'ajouter à la TGAP sur les phosphates et produits phytosanitaires décidée en 2000. Par ailleurs, le texte prévoit une modulation du taux de la redevance pour consommation d'eau en fonction de la ressource en eau. Dans les zones de ressource en eau à préserver, le montant atteindra un niveau tellement dissuasif qu'il condamne toute pratique de l'irrigation, y compris en cas de gestion collective. Selon l'assemblée permanente des chambres d'agriculture, l'APCA, l'impact sur le revenu pourrait atteindre des baisses allant jusqu'à plus de 40 %. Enfin, s'agissant de la redevance pour excédents d'azote, les plus touchés seront les systèmes aux potentiels agronomiques les plus faibles, dépourvus de cultures industrielles.
Il paraît souhaitable que le projet de loi tienne compte de ces éléments. Allez-vous, monsieur le ministre, apporter, en ce sens, votre pierre à l'édifice ?
En tout état de cause, la mise en oeuvre de ces redevances supposait que soient réglés les dossiers du PMPOA et du traitement des boues résiduelles.
La deuxième mouture du PMPOA vient fort heureusement d'être approuvée par la Commission après un an de débats internes. Soyez convaincu que les éleveurs attendent déjà les décrets avec impatience. Les conditions de financement fixées jusqu'en 2006 maintiennent les taux de subvention. Toutefois, les travaux subventionnables sont plus strictement encadrés et le nouveau programme aura vocation à intervenir de manière prioritaire dans les zones vulnérables, où les impératifs liés à la qualité de l'eau justifient une action renforcée.
Qu'en sera-t-il de l'accompagnement des éleveurs ne se situant pas dans ces zones ? On peut aussi se demander si les agriculteurs auront encore les moyens, la volonté et suffisamment d'assurances quant à leur avenir pour entrer dans ce programme.
Permettez-moi de dire aussi un mot sur le traitement des boues de stations d'épuration, question que mon collègue vient d'aborder. Actuellement, 60 % des 700 000 à 800 000 tonnes de boues produites chaque année font l'objet d'épandage. Cette pratique a soulevé des questions dans un contexte de sensibilité accrue de l'opinion publique aux risques sanitaires. Les intérêts divergents entre élus, industrie agro-alimentaire et grande distribution, d'une part, et agriculteurs, d'autre part, ont favorisé la concentration des rejets sur certains sites, ce qui n'est en aucun cas satisfaisant.
Un accord national entre tous les acteurs concernés semblait sur le point d'aboutir en juiller dernier. Il reconnaîtrait l'intérêt économique et écologique de l'épandage agricole. Il comprendrait un engagement des représentants de l'industrie agroalimentaire et de la grande distribution à ne pas appliquer des mesures discriminatoires à l'encontre des produits issus de parcelles ayant reçu des boues.
Enfin, il prévoirait un dispositif de garantie pour les exploitants agricoles. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous confirmer ces orientations et la signature prochaine de cet accord ?
Si l'activité agricole produit des nuisances, elle peut aussi contribuer à atténuer certains problèmes environnementaux. Les cultures énergétiques, en particulier celles qui conduisent aux biocarburants, en sont un exemple.
Deux députés membres de l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques ont remis un rapport très réaliste sur les énergies renouvelables, confirmant l'intérêt de la biomasse dans la réduction de la facture énergétique des transports et des émissions globales de CO2 de ce secteur.
Selon eux, une augmentation des surfaces agricoles consacrées aux cultures énergétiques est possible à hauteur de trois à quatre millions d'hectares et pourrait fournir l'équivalent de 20 % de la consommation d'hydrocarbures des transports. Ils préconisent que la France, à l'instar de certains pays, impose un quota de biocarburants dans l'essence, étende le bénéfice de l'exonération de la TIPP aux huiles végétales brutes et mette en place des incitations fiscales pour toute la filière des biocarburants.
Ces mesures me semblent relever de l'écologie concrète et pratique, qui change de l'écologie dogmatique marquant parfois votre ministère. Il manque simplement un peu de volonté politique.
La Commission européenne a adopté récemment deux propositions de directives visant à promouvoir les biocarburants dans les transports et à leur appliquer un taux d'accises réduit. Monsieur le ministre, allons-nous attendre que les biocarburants nous soient imposés par Bruxelles ou allons-nous aller de l'avant dans ce domaine ?
M. Yves Cochet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Yves Cochet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Messieurs les sénateurs, vous m'avez tous deux fait part de l'inquiétude de certains agriculteurs qui craignent d'être lourdement pénalisés par les nouvelles redevances prévues par le projet de loi sur l'eau. Elles ont été conçues dans un souci d'équité et selon un principe de péréquation.
En outre, avec ces redevances, l'objectif du ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement est non pas de faire entrer de l'argent dans les caisses de l'Etat, mais de proposer des mesures incitatives, afin que notre agriculture soit plus respectueuse à la fois de la santé et de l'environnement.
La redevance « excédent nitrate » ne s'appliquerait - avec une marge de 25 kilos par hectare d'ailleurs - qu'aux personnes qui seraient effectivement en excédent par rapport à ce que nous proposons. Pour l'instant, il ne s'agirait que de 25 % des agriculteurs actuels. Il suffit donc que ces agriculteurs accomplissent un effort pour avoir une agriculture plus « raisonnée » ; vous avez prononcé ce mot vous-mêmes. Je préfère le terme « raisonnable », parce que l'agriculture raisonnée est un concept sur lequel je m'interroge, sachant qu'il pourrait y avoir un danger non du côté des agriculteurs, mais de celui des magasins, des distributeurs, des grandes surfaces, de voir apparaître des étiquettes de produits portant la mention « produit par l'agriculture raisonnée ».
Or le consommateur n'aurait aucune garantie bien que le prix de ce genre de produits risque d'être plus élevé.
Beaucoup de travail reste donc à faire dans le domaine de l'agriculture raisonnée, au sens où l'entend la profession agricole. Si les agriculteurs sont raisonnables, ils ne paieront pas de redevance sur l'excédent de nitrate.
En ce qui concerne la gestion de l'eau, bien entendu, chacun devra acquitter une redevance, mais celle-ci sera beaucoup moins élevée pour les agriculteurs qui s'engageront dans une gestion collective. Celui qui préférera réaliser seul des captages ou des forages sera évidemment davantage redevable. Mais, en cas de gestion collective, car il existe souvent une solidarité interne au bassin pour la gestion d'une nappe d'eau, eh bien ! la redevance sera beaucoup moins élevée. Cette incitation à une gestion commune figurera dans le projet de loi.
En ce qui concerne les boues d'épuration, une nouvelle réglementation a été mise en place depuis le mois de décembre 1997. Elle donne une garantie de qualité des boues, de traçabilité, d'organisation et de suivi des épandages. Des épandages respectant ces conditions constituent un excellent moyen, d'un point de vue à la fois environnemental et économique, de recycler les boues.
Pour prendre en compte les interrogations que vous avez soulevées et les réticences des différents partenaires, nous avons mis en place, depuis février 1998, avec le ministère de l'agriculture - vous y avez fait allusion - un comité national sur les épandages de boues de stations d'épuration urbaines en agriculture, qui associe l'ensemble des acteurs de la filière. Ses travaux ont permis de faire naître de nombreux points d'accord entre les différents acteurs, y compris en aval de la production agricole, sur l'intérêt et le bien-fondé de cette filière d'épandage des boues en agriculture dans les conditions fixées par la nouvelle réglementation de 1997.
Si une véritable politique de qualité est suivie par les agriculteurs, ces producteurs de boues, et si un dispositif offrant toutes les garanties est mis en place, recycler ainsi ces boues pourra se révéler très profitable pour tout le monde.
S'agissant des questions extrêmement précises sur l'Agence que vous avez posées tout à l'heure dans la première partie de votre question, monsieur Raoult, je vous répondrai par écrit. Vos questions sont en effet très pertinentes et légitimes, mais je ne dispose pas des éléments précis d'information sur un problème local qui appelle une véritable réponse.
Je conclus par les biocarburants. Pour ma part, je m'interroge ! Des parlementaires demandent de ne pas construire d'éoliennes. Mais si, il faut en construire ! Il ne faut pas les rejeter a priori. Nous devons regarder filière par filière ce qui peut être entrepris, d'un point de vue à la fois économique et écologique.
Les biocarburants sont susceptibles de permettre une diversification des productions agricoles. On a parlé de 4 millions d'hectares. C'est considérable ! Il est possible d'encourager au moins la recherche et de soutenir cette agriculture énergétique, mais des questions se posent en matière environnementale et énergétique : sommes-nous complètement convaincus que la production de ces biocarburants - avec les intrants, les tracteurs, les véhicules à moteur thermique - n'entraîne pas une dépense d'énergie plus grande que celle que l'on utilise pour se mouvoir ? Il s'agit d'une véritable question, dont je n'ai pas la réponse définitive.
Par ailleurs, du point de vue environnemental, l'introduction du bioéthanol et du biodiesel présente un certain intérêt pour lutter contre l'accroissement de l'effet de serre, mais les essais réalisés sur les véhicules font apparaître sur d'autres points un bilan très contrasté en termes de rejet de polluants : il n'y a pas qu'une diminution de CO², il y a plus de polluants.
Je ne suis pas certain qu'on puisse asseoir durablement cette filière biocarburant. Il faut donc continuer la recherche, y compris en matière fiscale. La réduction des droits d'accise, par exemple, peut être une solution en tenant compte de la réglementation communautaire. La Commission européenne étudie, dans le cadre du programme européen sur le changement climatique, la possibilité de déroger au régime des droits d'accise pour les biocarburants. Mais, du point de vue aussi bien économique, fiscal, écologique qu'énergétique, il nous faut poursuivre la recherche ! Pour l'instant, l'interrogation scientifique, le doute cartésien, m'habite encore !
M. le président. Je mets aux voix les crédits figurant au titre III.

(Ces crédits ne sont pas adoptés.)
M. le président. « Titre IV. - 69 466 754 euros. »