SEANCE DU 7 DECEMBRE 2001


M. le président. « Art. 70 bis. - L'article L. 351-10-1 du code du travail est ainsi rédigé :
« Art. L. 351-10-1. - Les demandeurs d'emploi qui justifient, avant l'âge de soixante ans, d'au moins 160 trimestres validés dans les régimes de base obligatoires d'assurance vieillesse ou de périodes reconnues équivalentes bénéficient sous conditions de ressources d'une allocation équivalent retraite.
« Cette allocation se substitue, pour leurs titulaires, à l'allocation de solidarité spécifique mentionnée au premier alinéa de l'article L. 351-10 ou à l'allocation de revenu minimum d'insertion prévue à l'article L. 262-3 du code de l'action sociale et des familles. Elle prend la suite de l'allocation d'assurance chômage pour ceux qui ont épuisé leurs droits à cette allocation. Elle peut également la compléter lorsque cette allocation ne permet pas d'assurer à son bénéficiaire un total de ressources égal à celui prévu à l'alinéa suivant.
« Le total des ressources du bénéficiaire de l'allocation équivalent retraite, dans la limite de plafonds fixés par décret en conseil d'Etat, ne pourra être inférieur à 877 euros. Les ressources prises en considération pour l'appréciation de ce montant ne comprennent pas les allocations d'assurance ou de solidarité, les rémunérations de stage ou les revenus d'activité du conjoint de l'intéressé, ou de son concubin ou de son partenaire lié à lui par un pacte civil de solidarité, tels qu'ils doivent être déclarés à l'administration fiscale pour le calcul de l'impôt sur le revenu.
« Les bénéficiaires de l'allocation équivalent retraite bénéficient, à leur demande, de la dispense de recherche d'emploi prévue au deuxième alinéa de l'article L. 351-16.
« L'allocation équivalent retraite est à la charge du fonds mentionné à l'article L. 351-9. Son service est assuré dans les conditions prévues par une convention conclue entre l'Etat et les organismes gestionnaires des allocations de solidarité mentionnés à l'article L. 351-21.
« Un décret en Conseil d'Etat fixe les plafonds de ressources mentionnés au troisième alinéa et les conditions de ressources mentionnées au premier alinéa pour les personnes seules et les couples, ainsi que les autres conditions d'application du présent article.
« Le montant de l'allocation équivalent retraite à taux plein est fixé par décret. »
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° II-27 est présenté par M. Ostermann, au nom de la commission des finances.
L'amendement n° II-15 est déposé par M. Souvet, au nom de la commission des affaires sociales.
Tous deux sont ainsi libellés :
« Supprimer l'article 70 bis . »
La parole est à M. le rapporteur spécial, pour défendre l'amendement n° II-27.
M. Joseph Ostermann, rapporteur spécial. La commission des finances vous propose de supprimer l'article 70 bis . Issu d'un amendement du Gouvernement déposé à l'Assemblée nationale, il vise à instituer une allocation équivalent retraite, ou AER, prenant la suite de l'allocation spécifique d'attente, l'ASA.
La commission ne saurait accepter cet article, et ce pour plusieurs raisons. J'en rappellerai quelques-unes.
Il convient, d'abord, de rappeler que cet article a été introduit par le Gouvernement afin de sortir de l'inconstitutionnalité du dispositif prévu, sur son initiative, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2002.
Le dispositif finalement voté, que nous examinons maintenant, est pour le moins imprécis.
Le coût de cette nouvelle allocation a ainsi été estimé à 45,73 millions d'euros en 2002, soit 300 millions de francs, et le nombre de ses bénéficiaires potentiels, entre 50 000 et 100 000, soit du simple au double ! Il me paraît indispensable d'avoir davantage d'informations.
De surcroît, l'essentiel des dispositions du présent article relèvent du domaine réglementaire.
Pourquoi le Gouvernement n'a-t-il pas publié tout simplement un nouveau décret d'application de la loi du 17 avril 1998 qui a institué l'allocation spécifique d'attente, afin de modifier les dispositions actuelles qui posent problème ?
Ce faisant, il aurait, bien sûr, perdu le principal avantage de cette manoeuvre législative peu glorieuse, à savoir un affichage politique destiné à sa majorité plurielle, au groupe communiste en particulier.
Il convient, en effet, de rappeler que le Gouvernement a opposé une fin de non-recevoir - l'article 40, en l'occurrence - au groupe communiste de l'Assemblée nationale, qui avait déposé une proposition de loi tendant à ouvrir le droit à la retraite à taux plein pour les salariés ayant cotisé quarante annuités avant d'avoir atteint l'âge de soixante ans.
Cet article constitue donc « la carotte » que le Gouvernement a bien voulu consentir à une composante turbulente de sa majorité. (Rires sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen.)
Enfin, le présent article pose de réels problèmes de fond, même si ses objectifs ne laissent évidemment pas la commission insensible.
Il s'agit du problème des retraites, pour lequel le Gouvernement n'a strictement rien fait depuis cinq ans. Le taux d'activité des salariés de plus de cinquante-cinq ans en France est parmi les plus bas des pays industrialisés, et cet article conforte cette situation. Le conseil d'orientation des retraites a d'ailleurs critiqué ce type de dispositif.
Peut-être le Gouvernement s'estime-t-il quitte, avec cet article adopté en catimini, pour ce qui est de la réforme des retraites. La commission des finances ne saurait, quant à elle, s'en satisfaire !
M. le président. La parole est à M. Souvet, rapporteur pour avis, pour défendre l'amendement n° II-15.
M. Louis Souvet, rapporteur pour avis. C'est peut-être une « carotte », monsieur le rapporteur spécial, mais nos collègues ne sont pas des lapins ! (Sourires.)
La commission des affaires sociales s'interroge sur la nécessité de créer un nouveau dispositif pour résoudre un problème né avec l'instauration de l'allocation spécifique d'attente, créée, il convient de le rappeler, par la loi du 17 avril 1998. Des précisions apportées à cette mesure auraient été suffisantes nous semble-t-il ; je l'ai écrit dans mon rapport, je l'ai dit devant la commission, je le répète aujourd'hui.
Si le coût du dispositif proposé est connu pour 2002 - vous l'avez rappelé, monsieur Ostermann : 45,73 millions d'euros -, le nombre des bénéficiaires semble encore osciller, dans les déclarations du Gouvernement lui-même, du simple au double, entre 50 000 et 100 000. Un tel flou laisse présumer une certaine précipitation - du moins est-ce ainsi que nous l'analysons - dans la préparation de cette mesure.
A cet égard, monsieur le secrétaire d'Etat, je souhaiterais vous poser deux questions. Les bénéficiaires du RMI relèveront-ils toujours de la CMU lorsqu'ils basculeront dans la nouvelle allocation équivalent retraite ? Lors des débats à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a déclaré que l'allocation équivalent retraite serait dégressive ; pouvez-vous nous expliquer les raisons et les modalités de cette dégressivité ?
Compte tenu des nombreuses imprécisions que je viens de rappeler et du caractère fortement inutile, nous semble-t-il, de cette nouvelle allocation - alors qu'il aurait suffi de mieux définir les modalités d'application des dispositions auxquelles il se substitue -, la commission des affaires sociales, comme la commission des finances, a adopté un amendement de suppression de cet article. (M. Chérioux applaudit.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Guy Hascoët, secrétaire d'Etat. Monsieur le rapporteur, si nous pouvons faire en sorte qu'un affichage politique représente, en plus, un véritable progrès social, pourquoi nous en priver ? Le problème est réel, c'est un problème de fond, et il a fait l'objet de véritables discussions.
Il arrive que des personnes ayant commencé à travailler très jeunes soient au chômage de longue durée alors qu'elles ont déjà cotisé plus de quarante ans. Il nous faut trouver un moyen de leur éviter d'être éternellement tributaires des minima sociaux, compte tenu de leur parcours professionnel. Je suis moi-même élu d'un bassin d'emploi où les travailleurs du textile ayant commencé à travailler à treize, quatorze ou quinze ans sont nombreux, et je puis vous assurer qu'il s'agit là d'une question sociale brûlante.
Nous avons donc trouvé une solution, que certains disent inutile. Non ! Elle n'est pas inutile ! Elle élargit un droit à des personnes qui jusqu'alors ne pouvaient pas en bénéficier et qui se débattaient dans l'accumulation des dispositifs. Elle représente donc une simplification. Pour d'autres personnes, au contraire, elle sera un droit nouveau.
Quant au maintien ou non du droit à la CMU, il faut bien comprendre que, dès lors que les allocataires accèdent, personnellement, à un revenu de base de 5 750 francs, la question ne se pose plus : ils ne relèvent plus du dispositif de la CMU.
Vous m'avez interrogé sur les effets d'appel et de sortie du dispositif, en me reprochant l'imprécision des fourchettes. Je ne rappellerai pas d'autres débats au cours desquels on a entendu des chiffres parfois tout à fait fantaisistes. J'attirerai cependant votre attention sur un point : lorsqu'une mesure comme celle que nous proposons est arrêtée, avant qu'elle ne s'applique pleinement, il faut le temps que les intéressés se rendent compte qu'ils sont concernés et fassent les dossiers de demande : cela prend quelques mois.
Inversement, et heureusement, il y aura ceux qui après en avoir bénéficié, accéderont à la retraite à laquelle leur âge leur donnera désormais droit et qui sortiront du dispositif.
La fourchette que nous avons indiquée tente de tenir compte de l'écart possible entre le niveau initial du dispositif, sa crête et le niveau auquel il est vraisemblable qu'il se maintiendra au fil des années. Elle intègre donc l'effet d'appel et l'effet de sortie.
M. le président. Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s II-27 et II-15.
M. Gilbert Chabroux. Je demande la parole contre les amendements.
M. le président. La parole est à M. Chabroux.
M. Gilbert Chabroux. Nous avons découvert avec une certaine surprise l'amendement n° II-15, présenté par le rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Nous avons ensuite découvert l'amendement n° II-27 de la commission des finances, qui est identique.
Nous nous étonnons. En effet, la mesure proposée par l'article 70 bis est une mesure véritablement sociale, attendue par de nombreux chômeurs âgés. Notre rapporteur indique d'ailleurs, « sur le fond, [...] partager le souci du Gouvernement et de l'Assemblée nationale d'améliorer la situation de ces chômeurs en fin de droits ayant quarante années de cotisations d'assurance vieillesse ».
Il est infiniment regrettable qu'il se laisse arrêter ensuite par d'autres considérations, peut-être - je m'interroge - plus politiciennes que sociales.
M. Joseph Ostermann, rapporteur spécial. Mais non !
M. Gilbert Chabroux. Il est vrai que le rapport a été présenté à la commission avant la discussion budgétaire à l'Assemblée nationale, ce qui nous a privés des informations communiquées à nos collègues députés.
Aujourd'hui, nous savons que cette allocation équivalent retraite permettra aux salariés concernés de bénéficier d'une somme correspondant au cumul de l'allocation de solidarité spécifique majorée et de l'allocation spécifique d'attente, soit 7 550 francs par mois. Le nouveau plafond de ressources sera de 9 000 francs au lieu de 6 013 francs pour une personne seule, et de 13 000 francs au lieu de 9 449 francs pour un couple, ce qui représente une très nette réévaluation.
Cette allocation sera prise en charge par le fonds de solidarité. Il convient donc que le législateur lui donne une base légale dans la présente loi de finances.
Le groupe socialiste est particulièrement heureux de pouvoir contribuer, par son vote, à ce progrès attendu par nombre de gens modestes.
Bien entendu, il ne peut que s'agir d'un premier pas avant que la question des retraites ne soit mise à plat sous tous ses aspects : durée de cotisations, âge et taux de remplacement, pénibilité du métier exercé.
Le Conseil d'orientation des retraites a remis son rapport, et le Premier ministre a pris des engagements. Nous espérons pouvoir nous saisir bientôt de cette question dans les conditions les plus favorables aux salariés.
Dans l'immédiat, nous voterons contre l'amendement de suppression de la commission.
M. Roland Muzeau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Muzeau.
M. Roland Muzeau. Je voudrais d'abord souligner que qualifier de « carotte » la disposition que visent à supprimer les présents amendements n'est pas très correct. C'est faire bien peu de cas de la forte attente sociale des salariés qui travaillent depuis des années dans des conditions extrêmement difficiles, qu'ils soient 50 000, ou 100 000, ou un nombre compris entre les deux, et c'est tenir leur vécu pour peu de chose !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Oui, et dans des conditions très pénibles !
M. Roland Muzeau. Cela étant, venons-en à la question de fond.
Oui, monsieur le rapporteur pour avis, l'Assemblée nationale a été le théâtre d'un débat animé au sein de la majorité plurielle. Mais, j'ai déjà eu l'occasion de le dire ici même, le temps des majorités « godillots » est terminé, avant même d'avoir commencé pour nous. (Sourires.) C'est tout à notre honneur d'avoir un débat franc, constructif, qui débouche soit sur des compromis, soit sur des accords parfaits, soit sur des désaccords : c'est la vie politique, c'est la démocratie qui s'exerce au sein même d'une majorité. C'est là une preuve d'honnêteté donnée à nos électeurs respectifs, donnée aux Français.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Très bien !
M. Roland Muzeau. Le parti communiste français revendique l'accès à la retraite à soixante ans pour tous les salariés qui ont cotisé plus de quarante ans. Tel est l'objet de la proposition de loi que vous avez discutée et qui n'a pas été retenue. Nous l'avons bien évidemment regretté, et nous continuons à le déplorer.
Cela étant, la disposition en débat est somme toute positive, car, je le rappelle, elle concerne de 50 000 à 100 000 personnes, et il est profondément injuste d'en demander la suppression. Je ne doute pas que l'Assemblée nationale la rétablira, mais notre assemblée ne se grandit pas à rejeter ainsi les aspirations fortes de salariés qui ont travaillé durant toute leur carrière dans des conditions extrêmement pénibles. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
Mme Marie-Claude Beaudeau. Très bien !
M. Louis Souvet, rapporteur pour avis. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Souvet, rapporteur pour avis.
M. Louis Souvet, rapporteur pour avis. Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous avais posé deux questions auxquelles je n'ai pas l'impression que vous ayez répondu.
Je vous les rappelle.
Les bénéficiaires du RMI relèveront-ils toujours de la CMU lorsqu'ils basculeront dans la nouvelle allocation équivalent retraite ? Par ailleurs, lors des débats à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a déclaré que l'allocation équivalent retraite serait dégressive. Pouvez-vous nous expliquer les raisons et les modalités de cette dégressivité ?
Si vous ne pouvez pas répondre tout de suite, ce que je regretterais, peut-être pouvez-vous vous engager à le faire rapidement par écrit ?
M. Joseph Ostermann, rapporteur spécial. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Joseph Ostermann, rapporteur spécial. Monsieur le secrétaire d'Etat, j'ai relevé dans l'intervention de M. Muzeau le mot « compromis », et c'est bien de cela qu'il s'agit.
Lors de la discussion sur l'épargne salariale, nous avons eu l'occasion d'évoquer ensemble le problème des retraites. Je n'ai pas senti alors la même ouverture d'esprit ni le même enthousiasme qu'aujourd'hui à mettre en place une mesure forte, à engager un débat fort et à parvenir à une solution.
C'est la raison pour laquelle, compte tenu des informations dont elle dispose, la commission des finances maintient un avis défavorable.
M. Guy Hascoët, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Guy Hascoët, secrétaire d'Etat. Je croyais, monsieur le rapporteur, avoir répondu à vos questions. Mais sans doute n'ai-je pas été assez précis !
J'ai déjà exposé que, à partir du moment où les bénéficiaires du RMI accèdent à un niveau de revenus supérieur au plafond de la CMU, il était bien évident qu'ils n'en relevaient plus.
Quant à la règle de la dégressivité, elle recouvre le fait que si, dans un couple, l'un des conjoints perçoit déjà une retraite, l'allocation versée est fixée de telle sorte que les revenus du couple ne dépassent pas le seuil de 13 000 francs. La dégressivité est donc un simple « calage ».
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques n°s II-27 et II-15, repoussés par le Gouvernement.

(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, l'article 70 bis est supprimé.
Nous avons achevé l'examen des dispositions du projet de loi de finances concernant l'emploi.

II. - SANTÉ ET SOLIDARITÉ