SEANCE DU 27 NOVEMBRE 2000


M. le président. Par amendement n° I-10, M. Marini, au nom de la commission des finances, propose d'insérer, avant l'article 4 bis, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - L'article 762 du code général des impôts est ainsi rédigé :
« Art. 762. - I. Pour la liquidation des droits de mutation à titre gratuit, la valeur de la nue-propriété et de l'usufruit est déterminée par une quotité exprimée en pourcentage de la propriété entière, en fonction de l'âge de l'usufruitier, conformément au barème ci-après.



BÉNÉFICIAIRES



ÂGE DE L'USUFRUITIER

Usufruit

Nue-propriété
Moins de 25 ans 80 20
De 25 à moins de 30 75 25
De 30 à moins de 35 70 30
De 35 à moins de 40 65 35
De 40 à moins de 45 60 40
De 45 à moins de 50 55 45
De 50 à moins de 55 50 50
De 55 à moins de 60 45 55
De 60 à moins de 65 40 60
De 65 à moins de 70 35 65
De 70 à moins de 75 30 70
De 75 à moins de 80 25 75
De 80 à moins de 85 20 80
De 85 à moins de 90 15 85
De 90 à moins de 95 10 90
Plus de 95 ans révolus 5 95


« Pour déterminer la valeur de la nue-propriété, il est tenu compte des usufruits ouverts au jour de la mutation de cette nue-propriété ainsi que des usufruits successifs éventuellement stipulés au contrat.
« II. - L'usufruit constitué pour une durée fixe est estimé aux deux dixièmes de la valeur de la propriété entière pour chaque période de cinq ans de la durée de l'usufruit, sans fraction et sans égard à l'âge de l'usufruitier.
« III. - Les dispositions des paragraphes I et II entreront en vigueur un an après la promulgation de la loi de finances pour 2001 (n° du ).
« II. - La perte de recettes résultant pour l'Etat des dispositions du I ci-dessus est compensée par la création à due concurrence d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Il convient de rappeler que le barème des valeurs relatives de l'usufruit et de la nue-propriété est fixé par l'article 762 du code général des impôts, leur conversion en pleine propriété étant nécessaire en vue de la détermination de l'assiette des droits de mutation à titre gratuit. Or ce barème est identique depuis 1901, puisqu'il a été construit il y a un siècle sur la base d'étapes d'espérance de vie de la période 1898-1903 et d'un rendement des biens détenus en usufruit à 2 % l'an.
Le maintien d'un tel barème a pour principale conséquence d'être très pénalisant pour les contribuables en maximisant l'assiette de l'impôt. L'an dernier, nous avions appelé l'attention sur cette anomalie - un archaïsme incroyable ! - et la commission des finances avait déjà proposé un amendement visant à actualiser ce barème. A la suite des explications de M. Pierret, qui représentait le ministre des finances, j'avais accepté de retirer l'amendement de la commission. M. le secrétaire d'Etat avait en effet jugé nécessaire de faire « évoluer une situation devenue largement absurde ».
Madame le secrétaire d'Etat, aucune mesure n'est proposée dans le projet de loi de finances pour 2001. Malgré la réflexion qui avait été annoncée par M. Christian Pierret voilà un an, et j'avoue ne pas comprendre pourquoi cette affaire traîne à ce point, d'autant qu'il ne s'agit nullement d'un problème de politique. La question est simplement de savoir comment, en fonction des taux de rendement actuels et des espérances de vie contemporaines, on pourrait rétablir une comparaison raisonnable entre la valeur de l'usufruit et celle de la nue-propriété.
Le temps est donc venu de traiter de ce sujet et c'est pourquoi nous proposons, par cet amendement, de reprendre la barème. Madame le secrétaire d'Etat, à partir du jugement qui a été porté par votre collègue voilà un an, nous voudrions que vous exprimiez un avis favorable sur cette initiative qui nous semble être tout à fait justifiée et même relever du strict bon sens.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. M. le rapporteur général a rappelé à bon droit les engagements qui avaient été pris l'année dernière à la même époque sur la question difficile de l'actualisation du barème fiscal fixant les valeurs respectives de l'usufruit et de la nue-propriété lors des transmissions à titre gratuit de biens dont la propriété est démembrée.
Il est vrai que ce barème - comme il a été rappelé - instauré au début du siècle n'est pas forcément tout à fait adapté aux situations juridiques actuelles ni à l'allongement de la durée de la vie humaine, ce qui avait justifié l'engagement pris voilà un an sur le lancement d'une réflexion. Elle est en cours, mais n'est pas terminée pour une raison simple : il est très difficile d'obtenir des éléments précis sur les conséquences financières de cette mesure, non seulement pour le budget de l'Etat, mais aussi pour les personnes concernées.
Ne disposant pas d'informations précises en cette matière, mes services se sont donc tournés vers le Conseil supérieur du notariat, qui s'est avéré ne pas détenir non plus d'informations permettant de vous présenter d'ores et déjà une réponse satisfaisante. Nous avons donc diligenté une enquête interne au sein des services de la Direction générale des impôts pour tenter de disposer de données utilisables, mais ses résultats ne sont pas encore disponibles. Pourtant, ce n'est qu'en ayant une connaissance approfondie de tous les effets de cette mesure que le Gouvernement pourra proposer une solution pertinente à un problème qui est réel.
Toutefois, il m'est possible de vous indiquer quels sont les premiers éléments d'analyse dont nous disposons et qui mettent en évidence le fait que le barème proposé dans l'amendement n° 10 pourrait conduire à pénaliser dans certains cas les plus âgés de nos concitoyens, notamment dans l'hypothèse de l'application des dispositions de l'article 767 du code civil, relatif aux droits du conjoint survivant. Dans ce cas, en effet, la valeur du droit d'usufruit transmis se trouverait réévaluée, donc plus taxée qu'en fonction du barème actuel.
Par ailleurs, cette réflexion que nous nous sommes engagés à mener ne peut, de notre point de vue, être limitée au seul aspect de l'actualisation du barème. Il convient aussi de s'interroger sur l'incohérence de la situation actuelle dans laquelle la méthode d'évaluation des biens démembrés est différente selon qu'il s'agit de bien transmis à titre gratuit ou à titre onéreux.
Vous conviendrez avec moi, monsieur le rapporteur général, que, ce sujet étant vaste et complexe, on ne peut se contenter de traiter de manière autonome la question de la réactualisation souhaitable du barème. Pour l'ensemble de ces raisons, je vous demande donc de ne pas insister, pour l'instant, pour l'adoption de cet amendement, sachant que, conformément aux engagements qui ont été pris devant vous et que je réitère, le Gouvernement étudie cette question, mais qu'il souhaite le faire de manière sérieuse.
M. le président. L'amendement est-il maintenu, monsieur le rapporteur général ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Pardonnez-moi, madame le secrétaire d'Etat, mais je ne peux pas retirer l'amendement.
M. Alain Gournac. Pas deux fois !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Absolument ! Bis repetita « non » placent ! (Sourires.)
En un an, on avait tout le temps nécessaire pour faire le tour de cette question et votre réponse est d'autant plus surprenante, madame le secrétaire d'Etat, que ce barème traduit une réalité économique : l'espérance de vie, le rendement des capitaux. Ne nous dites pas que vous cherchez à savoir quelles seront les conséquences d'une telle réévaluation du barème, qui sera avantagé ou désavantagé...
Il faut plutôt se demander quelle est l'utilité d'un barème des valeurs respectives de l'usufruit et de la nue-propriété. S'il s'agit d'un barème administratif établi en dehors de toute réalité économique, à quoi cela sert-il ? C'est comme le Gosplan, c'est n'importe quoi ! C'est un barème complètement artificiel établi autoritairement par l'administration. Or un barème n'a de légitimité que s'il correspond bien à des éléments à la fois économiques et sociaux.
Quant à l'impact sur les finances publiques, je conçois qu'il soit difficile à calculer mais, par définition, si l'on ajuste les valeurs sur la base d'étapes d'espérance de vie de la période actuelle et d'un rendement des capitaux tel qu'on peut le retenir aujourd'hui, l'usufruit va s'apprécier pour certaines catégories de détenteurs et, à due concurrence, la nue-propriété va se déprécier. En toute logique, la modification sera donc neutre.
Enfin, je ne pense pas qu'il soit possible, sur ce sujet, de disposer de statistiques absolument exactes permettant de connaître la répartition de la détention du patrimoine en usufruit selon les âges et les caractéristiques de leurs détenteurs.
En tout état de cause, madame le secrétaire d'Etat, il est d'autant plus difficile de conserver le barème actuel que, dans certains cas - c'est ce que l'on me dit - vos services procèdent à des redressements fiscaux à l'encontre de contribuables qui ont évalué leurs biens par référence au barème officiel, sous le prétexte que ce n'est ni conforme à la réalité économique ni vraisemblable ! Il faut donc faire preuve de raison et être de son temps, dans ce domaine comme dans les autres ! Ce n'est pas un sujet d'une importance telle qu'il nécessite de réunir des commissions pendant des années !
A défaut de propositions du Gouvernement en la matière, il convient donc, mes chers collègues, de voter l'amendement n° I-10 de la commission des finances.
MM. Alain Gournac, Bernard Murat et Yves Fréville. Absolument ! Très bien !
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° I-10, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi de finances, avant l'article 4 bis.

Article 4 bis