SEANCE DU 23 NOVEMBRE 2000


M. le président. La séance est reprise.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Laffitte.
M. Pierre Laffitte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, gouverner, c'est prévoir. Désormais, c'est aussi innover. Monsieur le ministre, dans la déclaration de Lisbonne, les Quinze ont affiché leur volonté de rattraper les Etats-Unis. Quel plaisir pour beaucoup d'entre nous ! Innovations et nouvelles technologies allaient donc exploser en Europe.
Je m'en suis réjoui car je sais, à titre personnel, que l'innovation non seulement permet de faire bouillonner les esprits, mais aussi peut rapporter gros ! Depuis plus de trente ans, je me consacre en effet à l'innovation, notamment avec la création et le développement de Sophia Antipolis, exemple qui peut être désormais chiffré : plus de 40 000 emplois qualifiés directs, près de 200 000 emplois au total avec les emplois indirects, et, surtout, puisque nous abordons la discussion budgétaire, plus de 20 milliards de francs annuels de recettes fiscales et sociales nouvelles. Ces chiffres valent pour un seul département. Si tous les départements étaient comme celui-là, quel bon budget pour l'Etat ! L'innovation est donc un investissement très rentable.
M. le rapporteur général, notre collègue et ami Philippe Marini regrettait ce matin la faiblesse des investissements dans le budget. J'intégrerai dans l'investissement ce qui est immatériel et lié à la recherche publique et privée, et je déplore tout autant que lui cette faiblesse par rapport aux dépenses courantes.
Malgré la réorganisation, assez efficace, des priorités décidées par le ministre de la recherche dans son budget, et que j'approuve fortement, je constate que celui-ci manque du souffle nécessaire pour aller dans le sens de ce qui, à Lisbonne, avait des accents gaulliens. Ce budget n'a pas d'accents gaulliens !
Monsieur le ministre, à la lecture de l'ouvrage publié par votre ministère, on sent pourtant l'importance capitale du domaine concerné par les technologies de l'information, les télécommunications, notamment les télécommunications spatiales, le multimédia. Ces techniques touchent toute l'économie, elles sont transversales. Il est assez difficile d'évaluer leur impact direct. On voit bien qu'il s'agit de quelque chose qui est tout à fait nouveau et qui explique la dynamique économique particulièrement longue et soutenue des Etats-Unis.
Pourquoi ce projet de budget ne contient-il pas ce que nous pouvions espérer à la suite des déclarations de Lisbonne ? D'une certaine façon, vous en aviez les moyens, monsieur le ministre. La ponction, à mon avis excessive, de 130 milliards de francs sur les opérateurs utilisant les bandes de fréquence UMTS résulte de votre choix. J'aurais préféré que ce choix fût soumis au Parlement.
Il s'agit tout de même d'une opération importante. Cela a correspondu, en Grande-Bretagne et en Allemagne, à une mise aux enchères d'un bien public rare ; c'est une grave erreur !
Pour ma part, je serais opposé à la mise aux enchères de Versailles ou du Louvre. Or une bande de fréquences, c'est aussi rare. Je déplore donc ce qui s'est passé dans ces deux pays. Je crois qu'ils ont eu tort, et leurs opérateurs commencent d'ailleurs à en avoir conscience.
Vous n'avez pas non plus pris exemple sur nos amis scandinaves qui, pourtant, en matière de nouvelles technologies, figurent parmi ceux qui ont le mieux su entrer dans la société de l'information. Ils ont eu la sagesse de ne pas ponctionner leurs industriels dans ce domaine, en se disant qu'ils auraient, avec les Nokia, Ericsson et autres sociétés de télécommunications, sans parler des sociétés de services autour, la possibilité de rattraper très largement par des recettes fiscales ce qui aurait été une grosse recette de poche, mais non renouvelable. Par conséquent, ils vont être parmi les premiers sur le marché, et en profiteront pour gagner des parts du marché mondial.
Mais, me semble-t-il, vous n'avez pas tenu à en parler au Parlement. Est-ce parce que l'ensemble des problèmes de fréquences vous paraissaient trop complexes pour être examinés par les parlementaires ?
Au contraire, du débat jaillit la lumière, et il faudra reprendre, avec l'ensemble du spectre, un débat désormais indispensable, car on ne peut distribuer gratuitement ce que, par ailleurs, on fait payer 32,5 milliards de francs.
Mon collègue Trégouët a brillamment démontré tout à l'heure à quel point la décision concernant les licences UMTS, qui ne correspondent qu'à des engagements concernant 40 % du territoire et 80 % de la population française, puisque, d'après le cahier des charges, c'est à cela que se limitent les obligations des titulaires, compte tenu du développement futur du télétravail, des téléactivités, posera un problème majeur dont doit être saisi le Parlement, en particulier le Sénat, qui représente l'ensemble des territoires.
Le problème est d'autant plus grave qu'avec la numérisation l'ensemble des fréquences du spectre vont pouvoir être utilisées de façon nouvelle et que les besoins en fréquences deviennent de plus en plus nombreux.
Actuellement, la télévision hertzienne analogique utilise toute une série de bandes - de cinquante-cinq à soixante-trois mégahertz, de cent soixante-seize à deux cent seize mégahertz, de quatre cent soixante et onze à huit cent vingt-deux mégahertz - et, dans ces domaines de fréquences, l'économie en fréquences n'est pas optimisée.
Le numérique hertzien terrestre, comme on l'appelle désormais, va permettre une nouvelle économie des fréquences, une multiplication au minimum par six, peut-être par beaucoup plus, du nombre des licences d'utilisation de ces fréquences, et nous allons nous trouver devant une trentaine ou une quarantaine d'opérations analogues aux licences UMTS.
Le déploiement de ces fréquences, beaucoup moins onéreux sur la surface du territoire, si on prenait en compte les mêmes chiffres que ceux que vous avez cités, pourrait représenter des sommes de 500 milliards à 1 000 milliards de francs, car tout ne pourra être concédé gratuitement, compte tenu des nouveaux besoins qui concernent très directement toute une série de domaines - la santé, les services de télé-santé, de prévention - et qui peuvent avoir des conséquences considérables en matière de sécurité sociale, et donc de dépenses sociales de l'Etat.
Ces questions concernent également la télé-formation et la télé-éducation, grâce auxquelles on pourrait éviter que les dépenses d'éducation ne soient majorées chaque année, ce qui est le cas actuellement. Il en va de même pour tout ce qui touche au télé-travail.
Tout cela mériterait, monsieur le ministre, l'organisation d'un débat au Sénat et la discussion d'un projet de loi spécifique, discussion au cours de laquelle pourraient être examinées un certain nombre de réaffectations des possibilités d'utilisation par tel ou tel service, notamment par les opérateurs disposant actuellement de licences UMTS, de zones de fréquences beaucoup plus faciles à déployer sur le territoire.
Monsieur le ministre, je souhaiterais vivement que vous puissiez nous répondre sur ce point. A défaut de réponse, je crois que nous serons amenés à créer une commission ad hoc pour traiter spécifiquement de ce problème qui est vraiment du domaine parlementaire. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour l'essentiel, mon intervention portera sur le contexte du projet de loi de finances plutôt que sur son texte même.
Loi de finances pour 1998, projet de loi de finances pour 2001 : depuis trois ans, notre pays connaît une croissance économique ininterrompue. La politique volontariste et les réformes économiques et sociales conduites par Lionel Jospin et le gouvernement de la gauche plurielle ont rendu possible le retour à l'emploi de près de un million de personnes et le rétablissement progressif des comptes publics et sociaux.
Quel contraste spectaculaire avec la période de récession, de chômage de masse et de régression sociale que notre pays a connue sous les gouvernements de MM. Balladur et Juppé !
Après avoir joué aux Cassandre et annoncé l'imminence d'un retournement de conjoncture, la droite - principe de réalité oblige - se voit aujourd'hui contrainte de changer son discours. L'heure est aux conseils avisés sur le bon usage des fruits de la croissance.
M. Alain Gournac. Il en faut, des conseils !
M. Paul Loridant. Curieuse attitude, lorsque l'on sait quelle a été sa « réussite » aux affaires ! Dont acte.
Notre économie est pour l'instant en bonne santé. Le chômage diminue, les entreprises, malgré les discours alarmistes du MEDEF, relayés par certains de nos collègues, se portent plutôt bien. Bref, la croissance semble durablement installée, et tout pourrait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes si la Banque centrale européenne et les banques centrales nationales, par leur gestion désastreuse de l'euro, ne venaient pas hypothéquer les efforts de redressement accomplis par le Gouvernement depuis trois ans.
Loin d'être le fruit d'une quelconque excentricité de ma part, cette question mérite que l'on s'y attarde. J'estime en effet, compte tenu des prérogatives et des décisions prises par la Banque centrale européenne en matière de politique monétaire, qu'il est désormais indispensable d'élargir le champ de réflexion qui encadre l'examen de la loi de finances.
C'est un observateur critique de l'euro et de sa mise en application qui vous donne ce conseil !
Souvenez-vous, mes chers collègues, l'euro, piloté par une banque centrale européenne indépendante et un système européen de banques centrales elles-mêmes indépendantes de leur gouvernement, était censé contester la toute-puissance du dollar. Deux ans plus tard, on en est à juguler le énième accès de faiblesse de la monnaie européenne, qui accuse plus de 30 % de baisse depuis son lancement.
La Banque centrale européenne, le nez fixé sur le guidon d'un indicateur unique, celui de la hausse des prix, s'évertue sans succès à maintenir le niveau de l'euro par des hausses à répétition des taux d'intérêts directeurs européens. Résultat : non seulement la monnaie unique continue de plonger, mais, en plus, le renchérissement du loyer de l'argent risque d'entraîner un ralentissement de l'activité économique.
Cette faillite était prévisible et compromet la croissance économique, c'est-à-dire l'emploi de centaines de milliers de nos concitoyens.
Tant de choses stupides ont été dites au moment du lancement de l'euro qu'elles pourraient nourrir un bêtisier ! Il fallait, pour que l'euro soit fort, que la Banque centrale européenne, à l'image de la FED, la Federal reserve system, soit la plus indépendante possible et qu'elle ait la stabilité des prix comme seul et unique objectif. Pourtant, même aux Etats-Unis, la banque centrale n'est pas complètement indépendante puisque responsable devant le Président et le Congrès, auxquels elle rend des comptes extrêmement sérieux. Les auditions d'Alan Greenspan devant le Congrès ne sont d'ailleurs pas d'aimables conversations !
En outre, le plein emploi des moyens de production figure officiellement dans les objectifs assignés à la banque centrale américaine.
Certes, de temps à autre, le gouverneur de la Banque centrale européenne ou le gouverneur de la Banque de France sont entendus par le Parlement européen ou par le Parlement français, par notre commission des finances, notamment. Mais, sans pouvoirs réels, nous en sommes réduits à écouter les conseils des gouverneurs en matière de politique économique ! Quel paradoxe !
Modération salariale, baisses des impôts, remises en cause de la protection sociale et de notre système de retraite, tel est leur credo. Ils ne manquent pas de propositions sur la conduite de la politique économique et sociale. Pourtant, le bilan de la gestion de l'euro et les comptes déficitaires de la Banque centrale européenne devraient les ramener à un peu plus d'humilité. Bref, très diserts et prolixes sur les mesures de politique économique, les banquiers centraux sont quasi muets sur le coeur de leur métier : la gestion de la monnaie. Telle est la réalité.
Monsieur le ministre, la France, qui préside en ce moment l'Union européenne, ne peut plus laisser cette situation perdurer sous peine d'engager les économies européennes dans la voie du ralentissement économique, voire de la récession. Je pense, monsieur le ministre, qu'il est temps de repenser les statuts de la Banque centrale européenne.
Alors que les thuriféraires de la politique du franc fort reconnaissent aujourd'hui les dégâts humains de la politique monétaire suivie aveuglément durant les années quatre-vingt, je souhaite vivement qu'en vertu du « principe de précaution » on ramène la Banque centrale européenne à un peu plus de réalisme. Monsieur le ministre, mes chers collègues, il faut remettre de la politique dans tout cela !
S'agissant du projet de loi de finances pour 2001, je voudrais formuler quelques remarques sur le volet des mesures fiscales.
Je déplore la gestion, pour le moins désastreuse, de ce dossier au regard tant de la majorité plurielle que des prérogatives du Parlement. Monsieur le ministre, je forme le voeu que, à l'avenir, le choix d'orientations aussi lourdes en matière fiscale soit certes discuté au sein du Gouvernement, c'est bien le moins, mais qu'il le soit aussi, au préalable, au sein des organisations politiques formant la majorité et non pas seulement devant les médias ou dans des cercles restreints limités à Bercy, Matignon ou rue de Solferino.
Monsieur le ministre, vous avez affirmé que votre plan triennal de baisse des impôts visait à répondre aux impératifs économiques et de justice sociale. Ce sont des objectifs louables auxquels je souscris, même si je ne fais pas partie des fondamentalistes en matière de baisse des impôts.
Toutefois, lorsque ces baisses ont pour effet de limiter à 0,3 % la progression en volume de la dépense publique alors que le budget est bâti sur une hypothèse de croissance de plus de 3 %, sans entrer dans le détail, on peut affirmer que ce différentiel se traduira concrètement par un mouvement de repli de l'Etat et des services publics préjudiciable tant aux impératifs de justice sociale qu'à la croissance économique elle-même.
Certes, des mesures positives en faveur des revenus modestes figurent en bonne place dans les propositions de baisse de la fiscalité, comme la suppression de la CSG pesant sur les bas salaires.
Par ailleurs, j'aimerais vous faire remarquer que 78 milliards de francs, sur les 140 milliards de francs de baisse d'impôts prévus, ne profiteront qu'à 25 % des Français les plus aisés.
A mes yeux, cette réforme fiscale manque d'ambition, en se sens que l'effort porte sur la fiscalité directe plutôt que sur la fiscalité indirecte, notamment la TVA, source des plus grandes injustices de notre système fiscal.
Mais la limite la plus essentielle de ce dispositif tient à ce qu'il ne s'attaque pas suffisamment aux inégalités, à la divergence de traitement entre les revenus du patrimoine et ceux qui sont issus du travail.
Par ailleurs, je m'interroge sur l'opportunité d'une généralisation des allégements d'impôts accordés aux entreprises, qui du reste affichent pour l'instant de confortables bénéfices, et ce sans prise en considération de leurs comportements.
Est-il normal, par exemple, de réduire les impôts acquittés par le groupe Michelin lorsque l'on sait par expérience que l'objectif de ses dirigeants est d'abord la valorisation boursière, fût-ce au prix de licenciements ? Quelques semaines après avoir examiné le projet de loi portant sur les nouvelles régulations économiques, cette question mérite d'être posée.
En réalité, ces mesures d'allégement de la fiscalité des entreprises n'ont pas de fondements économiques si l'on se limite à une analyse des performances des entreprises depuis ces dernières années. L'objectif non avoué est de faire face au dumping fiscal de nos voisins européens et, en particulier, à celui de nos amis allemands.
Sans doute serait-il préférable, monsieur le ministre, d'engager une concertation avec les pays de l'Union européenne et de livrer une lutte déterminée contre les paradis fiscaux européens, véritables centres off-shore qui pratiquent la « flibuste fiscale » et accueillent avec hospitalité des capitaux d'origine parfois douteuse. Oui, il faut plus d'Europe, mes chers collègues ! Il faut plus d'Europe pour réduire et faire disparaître les paradis fiscaux !
Le groupe communiste républicain et citoyen vous fera des propositions, tant en matière de recettes qu'en matière de dépenses, pour mettre le budget 2001 à la hauteur des enjeux économiques et sociaux.
Monsieur le ministre, le rendez-vous avec la croissance et la justice sociale ne peut être manqué comme ce fut, hélas ! le cas de 1988 à 1991. Le strict respect des grands équilibres économiques ne suffit pas à faire une vraie politique économique et sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais formuler quelques observations sur la situation actuelle et à court terme de nos finances publiques.
Je me contenterai de rappeler quelques évidences tout droit sorties, je le crois, d'une sorte de simple bon sens puisque la technique a été maniée avec beaucoup de brio par mes amis socialistes qui se sont exprimés avant moi.
D'abord, la nécessité et l'obligation de poursuivre la réduction des déficits publics.
Ce n'est pas seulement notre engagement européen qui nous dicte cette obligation, même si, nous le savons bien, la création de la monnaie unique et son essoufflement actuel n'autorisent aucun écart. Personne en Europe, c'est bien évident, ne paiera désormais les éventuelles fantaisies des uns et des autres à leur place.
C'est surtout le bon sens qui nous recommande, Europe ou pas, de poursuivre dans cette voie.
Réduire la dette et sa charge, c'est tenir l'inflation en contenant les taux d'intérêt, c'est donner moins aux banquiers, et donc retrouver des marges de manoeuvre pour soutenir l'économie et l'emploi, pour la solidarité, pour lutter efficacement contre le chômage et l'exclusion qui va avec.
Fort heureusement, la politique conduite avec raison et courage depuis 1997 va dans ce sens.
Sauf peut-être à Lourdes, nous le savons bien - en tout cas, moi, je le sais -, il n'y a pas de miracle : la croissance ne serait pas repartie aussi fortement, elle ne se serait pas maintenue à un haut niveau, le chômage n'aurait pas à ce point reculé si les déficits publics n'avaient pas été réduits de près de 200 milliards de francs, soit 2,5 points de PIB.
Nous étions à 3,5 % en 1997, hors soulte de France Télécom, et vous nous proposez 1 % pour 2001, contre 1,4 % en 2000 et 1,8 % en 1999.
Il faut absolument tenir ce cap pour parvenir à bonne date au déficit zéro promis à nos partenaires, dont, je le rappelle, la moitié est aujourd'hui en excédent, l'autre moitié, dont nous sommes, ayant promis d'être à l'équilibre ou en excédent en 2004.
Grâce à cette politique financière, nous avons pu ramener le poids de la dette dans le PIB à deux ou trois points en dessous des fatidiques 60 % prévus par le traité de Maastricht et stabiliser la charge des intérêts entre 235 milliards et 240 milliards de francs par an, malgré les variations de taux.
Cela n'a pas été facile, mais rien n'aurait été possible si le Gouvernement et sa majorité n'avaient pas fait des choix clairs et courageux, en fonction de priorités affirmées, confirmées et respectées, dont les conséquences ont été tirées sur les autres dépenses.
Votre projet de budget pour 2001 me réjouit, monsieur le ministre, parce qu'il porte toujours la trace de ces priorités et des efforts nécessaires pour contenir les déficits, notamment la progression moyenne des dépenses de 0,3 %.
Et pourtant, je vous l'avoue, je ne peux pas m'empêcher de ressentir une espèce de malaise pour l'avenir lorsque apparaissent des dépenses inattendues, parce qu'elles étaient devenues inhabituelles - plus de 10 000 emplois nouveaux dans la fonction publique, par exemple -, lorsqu'on annonce une exécution budgétaire de 2000 moins facile que prévue, lorsqu'on décide ou annonce tous les jours des milliards de francs de dépenses nouvelles - j'ai entendu parler de 200 000 embauches à terme pour l'éducation, d'un programme d'investissement d'une dizaine de milliards de francs pour les prisons et, hier, de plus de 3 milliards de francs pour la vache folle - sans nous dire quelles économies vont financer tout cela puisque l'impôt nouveau n'est plus à l'ordre du jour.
M. Alain Gournac. Ça, c'est très bien !
M. Michel Charasse. Attendez, ne vous réjouissez pas trop vite ! (Sourires.)
M. Josselin de Rohan. En tout cas, ça commence bien ! (Nouveaux sourires.)
M. Jacques Oudin. Jusqu'à présent, nous sommes d'accord !
M. Michel Charasse. Je le répète : ne vous réjouissez pas trop vite !
Il m'arrive de me poser la question : cette évolution vertueuse de nos comptes publics nous a-t-elle déjà essoufflés ou à ce point impressionnés ou effrayés ? Ou bien la croissance aurait-elle joué sur l'inconscient collectif - dont chacun de nous a une part - le même effet d'illusion ou de griserie que la drogue ou l'alcool qui, comme on le sait, ont le don de réveiller les appétits ?
Certes, la croissance a apporté des richesses publiques nouvelles, mais moins qu'on le croit en fantasmant parfois un peu trop sur cette fameuse « cagnotte » qui déclenche dans les esprits un effet d'envie aussi fort que les peurs collectives que suscite la vache folle. En fait, mes chers collègues, cette cagnotte est un peu le prion de la dépense publique ! (Nouveaux sourires.)
C'est elle qui fait oublier qu'on doit d'abord utiliser les gains de la croissance pour réduire les déficits et rembourser la dette, plutôt que pour dépenser ou réduire l'impôt. C'est elle qui fait oublier aussi un passé récent, que j'ai vécu à Rivoli et à Bercy, quand les plus-values de recettes se transformaient aussitôt en dépenses nouvelles devenues impayables dès lors que, comme aurait pu dire La Fontaine, la bise de la récession fut venue, en 1992-1993.
A quoi bon réduire les impôts s'il faut les augmenter demain pour payer les dépenses parce que la croissance n'est plus là et qu'il est plus facile de pressurer le contribuable que d'arracher des économies aux uns et aux autres, comme on l'a fait - c'est pourquoi je vous disais de ne pas vous réjouir trop vite - après 1993 ou en 1995 ?
Donc, il faut d'abord nettoyer le passé, c'est-à-dire les scories de la crise ; et, chacun à notre tour, nous en avons laissé quelques strates ici et là.
Cette euphorie artificielle née de la croissance n'est-elle pas porteuse, si elle n'est pas dominée courageusement par les plus hauts responsables du pays - et vous en êtes un, monsieur le ministre - des plus grands périls pour demain ? On peut et on doit se poser la question.
Concernant le budget de l'Etat, pour poursuivre sur la voie actuelle et honorer nos engagements européens, il faut contenir les charges de la dette - donc le déficit -, tirer les conséquences de l'amélioration de l'emploi pour réorienter une partie des dépenses du chômage, tenir les dépenses militaires sans tour de vis supplémentaire, car on voit l'os,...
MM. Alain Gournac et Josselin de Rohan. Très bien !
M. Michel Charasse. ... et être clair sur la fonction publique.
Les charges de la fonction publique représentent, y compris les pensions, 700 milliards de francs. Elles pèsent donc lourd, mais c'est sans doute le prix à payer pour un service de qualité. Cependant, on n'évitera pas de poser le problème face au pays : peut-on augmenter à la fois les effectifs et les salaires ? Ne faut-il pas choisir entre les deux ?
M. Josselin de Rohan. C'est clair !
M. Michel Charasse. L'indexation des salaires sur les prix et la création de plusieurs milliers d'emplois pourraient faire augmenter la masse salariale de l'Etat de 25 à 30 milliards de francs - et je ne parle pas des 3 ou 4 milliards de francs que cela coûterait aux hôpitaux et aux collectivités locales - contre une vingtaine de milliards de francs ces dernières années.
Mes chers collègues, c'est un choix politique.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Absolument !
M. Michel Charasse. S'il faut plus de fonctionnaires mieux payés, il conviendra d'en tirer les conséquences sur les autres dépenses et de dire clairement au pays où l'on va prendre l'argent et qui paiera.
MM. Philippe Marini, rapporteur général, et Josselin de Rohan. Très bien !
M. Michel Charasse. Sinon, on peut prévoir un dérapage des dépenses de l'Etat à un rythme bien supérieur au 1 % promis à Bruxelles et un déficit supplémentaire qui peut apparaître dès 2002, ce qui veut dire que la France ne respectera peut-être pas ses engagements européens, ce qui l'exposera à d'éventuelles sanctions.
Pour les comptes sociaux, les menaces ne sont pas moindres. Si les dépenses de maladie continuent à dépasser les normes votées par le Parlement, le régime général se dégradera d'une ou deux dizaines de milliards de francs.
La nouvelle convention UNEDIC n'entraînera-t-elle pas pour 2003 ou 2004 de 15 à 20 milliards de francs de dépenses en plus et autant de recettes en moins ? Comme elle ne prévoit, en outre, aucune participation pour la réduction du temps de travail, il faudra trouver quelques dizaines de milliards de francs pour le FOREC en 2003 ou en 2004.
Les projets concernant les personnes âgées dépendantes qu'on nous annonce ici ou là, et qui, personnellement, m'effraient beaucoup, pourraient conduire à une dizaine de milliards de francs supplémentaires en 2004.
Finalement, selon les tendances actuelles, que, je dois le dire, j'ai évaluées très approximativement, avec beaucoup de prudence et d'humilité - je ne dispose pas de tous les éléments -, l'exédent des régimes sociaux qui doit financer les retraites pourrait être fortement réduit. Et je n'ai pas compté l'effet des prestations familiales et des retraites si elles varient plus que les prix, non plus que les milliards nécessaires à la vache folle ou aux augmentations salariales dans les hôpitaux.
On le voit bien, mes chers collègues, quels que soient ses bienfaits sur les ressources publiques, la croissance, que j'espère voir se maintenir, ne couvrira pas tout. Nos dépenses pourraient augmenter en trois ans beaucoup plus que prévu, sans compter les baisses d'impôts et de charges sociales déjà annoncées, et le déficit repartir de plus belle en 2003 ou en 2004, sinon avant. Notre situation est bonne, mais elle reste fragile.
La conclusion de tout cela est très claire. On ne peut que se réjouir de constater que le projet de budget pour 2001 ne dégrade rien et continue sur la lancée des années précédentes. Acte en soit donné au Gouvernement et à vous, monsieur le ministre, avec, au passage, un coup de chapeau concernant les dotations aux collectivités locales ; notre ami Michel Sergent l'a excellemment dit tout à l'heure.
Pour les trois années à venir, si la croissance se maintient entre 2,5 % et 3 %, le chômage pourrait reculer de 6 % à 8 % - quelle victoire ! - et les prélèvements obligatoires retomber en deçà de 44 % ; encore faut-il que les disciplines budgétaires et financières soient maintenues, ne serait-ce que pour ne pas compromettre la croissance.
Il faut, en conséquence, absolument maintenir l'objectif de 4 % de progression en volume des dépenses en trois ans. Les objectifs fixés précédemment doivent donc impérativement être respectés, ce qui suppose un retour à 1,5 % par an en volume pour les dépenses sociales existantes, un redéploiement volontaire pour financer les dépenses nouvelles et pas plus de 20 milliards de francs supplémentaires chaque année pour les fonctionnaires, sauf si l'on trouve des économies pour en faire plus.
Nous trouverons les marges de manoeuvre nécessaires dans la baisse de l'endettement public, ce qui implique de ramener la dette aux alentours de 54 % du PIB en 2004.
Monsieur le ministre, pour tenir nos engagements, pour respecter ces normes de prudence et de bonne gestion, pour réduire les charges qui pèsent sur les Français tout en maintenant des politiques sociales et de solidarité audacieuses, il vous faudra beaucoup de courage, à vous et au Premier ministre. Mais, au côté du chef du Gouvernement, vous serez souvent, toujours, en première ligne, et seul !
Bien entendu, vous aurez l'appui total de tous ceux qui, dans la majorité plurielle et au-delà, pensent d'abord au bien de la France. Mais vous vous sentirez souvent bien seul, et les échéances électorales qui vont bientôt se succéder à un train d'enfer n'arrangeront rien. Quelle illusion de penser que distribuer toujours plus fait gagner des voix ! J'en sais quelque chose, et je ne suis pas le seul... (Rires et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.) Je suis persuadé, chers collègues, que vos applaudissements vous vont droit au coeur...
C'est sans doute le sort éternel des ministres des finances, qui savent bien que les conseilleurs ne sont pas les payeurs. Je me garderai donc, en raison de l'amitié très fidèle que je vous porte, de vous donner quelque conseil que ce soit, sauf un peut-être.
Si donc, un soir, vous vous sentez trop seul dans cet immeuble sans âme de Bercy, glissez-vous, dans le silence des interminables couloirs aux lumières si crues et si tristes, jusqu'à l'antichambre de la direction du budget. On a dû y garder affiché, comme de mon temps, ce texte magnifique que Turgot écrivait au Roi depuis Compiègne, le 24 août 1774,...
M. Philippe Marini, rapporteur général. Exactement !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. On devrait le relire chaque jour !
M. Michel Charasse. ... alors que nos finances étaient bien malades et que la Révolution, née de la crise financière, n'était plus très loin.
Permettez-moi de vous en lire quelques extraits :
« Point de banqueroute ;
« Point d'augmentation d'impôts ;
« Point d'emprunt.
« Point de banqueroute, ni avouée, ni masquée par des réductions forcées.
« Point d'augmentation d'impôts : la raison en est dans la situation de vos peuples, et plus encore dans le coeur de Votre Majesté.
« Point d'emprunt, parce que tout emprunt diminue toujours le revenu libre ; il nécessite au bout de quelque temps ou la banqueroute, ou l'augmentation des impositions. Il ne faut en temps de paix se permettre d'emprunter que pour liquider les dettes anciennes ou pour rembourser d'autres emprunts faits à un denier plus onéreux.
« Pour remplir ces trois points, il n'y a qu'un moyen. C'est de réduire la dépense en dessous de la recette...
« On demande sur quoi retrancher, et chaque ordonnateur, dans sa partie, soutiendra que presque toutes les dépenses particulières sont indispensables. »
C'est un peu ce que font nos rapporteurs budgétaires, monsieur le président de la commission des finances.
« Ils peuvent dire de fort bonnes raisons ; mais il n'y en a pas pour faire ce qui est impossible, il faut que toutes ces raisons cèdent à la nécessité absolue de l'économie...
« On peut espérer de parvenir, par l'amélioration de la culture, par la suppression des abus dans la perception, et par une répartition plus équitable des impositions, à soulager sensiblement le peuple, sans diminuer beaucoup les revenus publics ; mais si l'économie n'a pas précédé, aucune réforme n'est possible, parce qu'il n'en est aucune qui n'entraîne le risque de quelque interruption dans la marche des recouvrements, et parce qu'on doit s'attendre aux embarras multipliés que feront naître les manoeuvres et les cris des hommes de toute espèce intéressés à soutenir les abus ; car il n'en est point dont quelqu'un ne vive...
M. Philippe Marini, rapporteur général. Vive Turgot !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Même sa statue applaudit !
M. Michel Charasse. « J'ai prévu que je serais seul à combattre contre les abus de tout genre, contre les efforts de ceux qui gagnent à ces abus, contre la foule des préjugés qui s'opposent à toute réforme, et qui sont un moyen si puissant dans les mains de gens intéressés à éterniser le désordre... On m'imputera tous les refus ; on me peindra comme un homme dur... »
Pourtant, monsieur le ministre, ceux qui vous connaissent... (Rires.) « Ce peuple auquel je me serai sacrifié est si aisé à tromper que, peut-être, j'encourrai sa haine par les mesures mêmes que je prendrai pour le défendre contre la vexation. Je serai calomnié, et peut-être avec assez de vraisemblance pour m'ôter la confiance de Votre Majesté. Je ne regretterai point de perdre une place à laquelle je ne m'étais jamais attendu. Je suis prêt à la remettre à Votre Majesté dès que je ne pourrai plus espérer de lui être utile. »
Bien entendu, c'est un texte historique, qui n'a aucun rapport avec la situation actuelle. (Nouveaux rires.)
Turgot n'a pas été écouté, et c'est la France la plus pauvre qui a souffert.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Exactement !
M. Michel Charasse. Aujourd'hui, le souverain, c'est le peuple. Si vous savez lui parler aussi bien et aussi clairement que vous l'avez fait jusqu'ici, et le Gouvernement avec vous, vous pourrez continuer d'espérer lui être utile, ainsi bien sûr qu'à la France. (Applaudissements.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle à la concision dans vos propos et au respect des temps pour lesquels vous vous êtes inscrits, de manière que nous puissions en terminer à une heure raisonnable.
La parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, disons d'emblée les choses clairement, simplement - presque aussi simplement que M. Charasse - et franchement : ce budget pour 2001 n'est ni sincère, ni clair, ni maîtrisé, ni porteur d'avenir.
Je suis, pour ma part, frappé par la juxtaposition de trois éléments.
Le premier, c'est l'existence, parfois oubliée, d'un texte fondamental, qui complétera la lettre de Turgot dont on vient d'avoir la lecture, un texte qui devrait guider l'action quotidienne de tout responsable public, et au premier chef du ministre de l'économie et des finances : je veux parler des articles XIV et XV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
L'article XIV dispose : « Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs Représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et d'en déterminer la quantité, l'assiette, le recouvrement et la durée. »
L'article XV précise : « La Société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. »
Nous sommes réunis dans cet hémicycle, monsieur le ministre, pour vous demander des comptes sur la gestion financière de la France.
Le deuxième élément concerne justement l'ardeur que vous mettez, que l'ensemble des administrations qui sont sous votre contrôle met à exiger de nos concitoyens, qu'ils soient élus, chefs d'entreprise ou simples citoyens, des comptes clairs, exhaustifs, précis, rigoureux de leur propre gestion.
La rigueur de la comptabilité générale imposée aux entreprises est reconnue. Les contrôles auxquels celles-ci sont soumises sont nombreux. Personne ne saurait contester de telles obligations.
Quant aux règles comptables imposées aux collectivités territoriales, elles sont d'une extrême précision. La mise en oeuvre de la M 14 pour les communes nous a donné bien des soucis, mais cela était nécessaire. Comptabilité analytique, comptabilité générale, comptabilité patrimoniale, équilibre budgétaire rigoureux permettent à l'ensemble des instances de contrôle de connaître très précisément la situation budgétaire, comptable et financière de nos collectivités.
Les receveurs des finances, les trésoriers-payeurs généraux, les chambres régionales des comptes sont présents pour remettre dans le droit chemin l'élu local ou la collectivité qui aurait l'imprudence de s'en écarter.
Les résultats sont d'ailleurs remarquables. Nos collectivités territoriales sont globalement bien gérées, leur situation budgétaire est excédentaire et, de toute façon, aucun déficit ne leur est autorisé. Elles supportent désormais les trois quarts de l'investissement public de notre pays et l'Etat n'a de cesse de leur transférer des charges supplémentaires, tout en s'efforçant au passage de leur supprimer le maximum de recettes autonomes.
Ma troisième observation tend à souligner que tout cela contraste étonnamment avec la situation du budget de l'Etat et des finances sociales. Nos finances publiques sont mal gérées, mal présentées, mal maîtrisées. Aurai-je l'outrecuidance de dire que cela dure depuis longtemps ?
Au niveau de l'Etat, notre comptabilité analytique et notre comptabilité patrimoniale sont inexistantes. Les tentatives des budgets de programme et de rationalisation des choix budgétaires ont piteusement échoué. Les nomenclatures changent constamment, ce qui rend encore plus incompréhensible, sur le moyen terme, la lecture des « bleus budgétaires » qui, de toute façon, monsieur le ministre, sont illisibles pour tout citoyen normal.
Les évaluations a priori font le plus souvent défaut. Les évaluations a posteriori des ratios coût-efficacité ne sont quasiment jamais ni établies ni a fortiori présentées au Parlement.
Votre gouvernement et votre ministère agissent, bien souvent, dans ce domaine, avec un certain cynisme et en toute impunité compte tenu de l'inégalité des pouvoirs financiers et budgétaires entre l'exécutif et le législatif.
Bien que le Parlement puisse s'appuyer sur la Cour des comptes, qui nous apporte un concours précieux, le pouvoir législatif que nous représentons n'a peut-être pas pris les moyens de ses responsabilités, de ses ambitions et des attentes de nos concitoyens.
L'échec de l'Office parlementaire d'évaluation des politiques publiques a montré les limites de notre volonté et de nos possibilités. La mission d'évaluation et de contrôle de l'Assemblée nationale devra encore faire ses preuves.
L'accès du Parlement aux rapports des corps d'inspection des ministères n'est pas aussi large et facile que nous le souhaiterions.
La transformation temporaire de la commission des finances du Sénat en commission d'enquête ne saurait, bien sûr, se pérenniser. Mais elle souligne la méfiance qui existe entre l'exécutif et le législatif dans le domaine financier et budgétaire.
Il devient donc désormais urgent, comme l'ont souligné le président de la commission des finances et le rapporteur général, de réformer l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique et, dès lors, les pratiques administratives qui s'y rapportent.
Le principe de la réforme de l'ordonnance rallie désormais la quasi-totalité des positions. La Cour des comptes, dans son dernier bulletin interne, le reconnaît elle-même : la situation actuelle ne peut plus durer.
La deuxième réforme a pour objet de renforcer le droit à l'information du Parlement et, en contrepartie, les sanctions qui seraient susceptibles de frapper les administrations ou les fonctionnaires se livrant à des actions tendant à occulter les actes de leur gestion.
Ces considérations générales m'amènent à formuler cinq remarques.
Tout d'abord, en matière de finances publiques, l'opacité l'emporte trop souvent sur la transparence.
Il est inhabituel que le Sénat, dont chacun connaît la pondération, publie des rapports avec un titre aussi percutant que celui du rapport qui a été déposé par la commission des finances le 29 septembre 2000 : « En finir avec le mensonge budgétaire : enquête sur la transparence très relative des comptes de l'Etat ».
Le constat, largement développé à cette tribune, est accablant : données largement faussées transmises au Parlement sur l'état des finances publiques ; report de recettes, anticipation de dépenses, dissimulation des dérives et des plus-values engendrées par la croissance ou des moins-values, telles que celles qui résultent de l'affaire du Crédit Lyonnais ; manque de transparence des documents budgétaires, difficultés de comparaison d'une année sur l'autre en raison des changements permanents de nomenclatures et de périmètres ; interactions peu claires, et de plus en plus nombreuses, entre loi de finances et loi de financement de la sécurité sociale.
La lecture du rapport sénatorial suscite, légitimement, des inquiétudes.
Le constat a été fait que notre système de gestion budgétaire « repose sur le contrôle juridique de l'engagement de la dépense et non sur son efficacité ». Dans ces conditions, on ne peut éviter les dérives !
Comment ne pas s'étonner, par exemple, de lire que les comptes de la SNCF sont désormais excédentaires, alors que nous savons que l'ensemble du système ferroviaire ne peut fonctionner qu'avec des contributions publiques qui s'élèvent à plus de 65 milliards de francs par an et que personne ne sait comment rembourser la dette de 150 milliards de francs qui a été affectée à Réseau ferré de France, RFF ?
Comment ne pas être irrité d'entendre un ministre dire qu'il a trouvé un système autoroutier au bord de la faillite financière alors que l'Etat, qui ne lui accorde aucune subvention, ponctionne chaque année près de 9 milliards de francs de taxes et d'impôts sur des recettes de péage qui augmentent de 10 % par an pour atteindre 34 milliards de francs cette année ?
Comment accepter de ne recevoir que des réponses vagues - ou pas de réponse du tout, comme ce fut le cas ici même voilà quelques jours -, quand le Parlement demande que lui soient présentées les prévisionsfinancières de la Caisse d'amortissement de la dette sociale, la CADES, ou du Fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale, le FOREC ?
Ma deuxième remarque consiste à souligner, avec regret, qu'en matière financière et budgétaire la France reste l'un des plus mauvais élèves de la classe européenne.
En dépit de la croissance, dont tous nos partenaires ont su profiter, nous avons le déficit structurel le plus élevé des pays européens, et il n'y aura aucune amélioration en 2001. Ceratins de nos partenaires ont même des excédents budgétaires, situation dont nous ne pouvons que rêver.
L'évolution de notre dette publique ne donne pas plus d'élément de satisfaction : même si elle est passée de 60 % à 57 % du produit intérieur brut, elle génère 240 milliards de francs d'intérêts, et je ne compte pas les petites dettes dissimulées ici et là !
Le poids de notre fonction publique est excessif. Mais si les Français souhaitent être bien administrés, il n'est pas certain qu'ils soient satisfaits des gaspillages auxquels donne lieu la gestion de la fonction publique.
Vous estimez nécessaire d'augmenter le nombre de fonctionnaires plutôt que de les redéployer. C'est votre politique, mais cela suscite un certain étonnement de la part des instances internationales, surtout lorsque le ministre chargé de la fonction publique déclare solennellement que « la connaissance par les ministères des emplois dont ils disposent effectivement relève aujourd'hui de l'impossible ».
Enfin, vous avez décidé de créer un observatoire de l'emploi public destiné à « observer pour anticiper » l'évolution des emplois et des effectifs. Vaste programme qui me rend quelque peu perplexe : comment prévoir des évolutions sur des bases que l'on connaît mal ?
A cet égard, je vous suggère une priorité : essayer de régler ce scandale permanent qui existe au sein de la fonction publique et que sont ce que j'appelle les « emplois fictifs légaux » - je dis bien les « emplois fictifs légaux » - qui résultent de la mise à disposition de fonctionnaires par des administrations ou des établissements publics à d'autres organismes et ce, bien entendu, sans contreparties financières.
Cette pratique était difficile avant les lois de 1984 et 1991. Elle se développe maintenant au mépris des budgets que nous votons pour l'Etat ou pour les établissements publics.
Si nous votons des crédits et si nous créons des emplois pour une administration, c'est bien pour remplir des missions dont on nous dit qu'elles sont indispensables au fonctionnement de l'Etat et des services publics. Que certains fonctionnaires soient momentanément affectés à d'autres missions en rapport avec leurs activités d'origine et que cette pratique donne lieu à des compensations financières, cela est normal et peut se comprendre. Mais que dire des milliers de fonctionnaires ou d'agents publics qui ne travaillent plus dans leur cadre d'origine et dont les rémunérations ne donnent lieu à aucune compensation ? Il s'agit bien là, d'une façon ou d'une autre, d'emplois fictifs et d'abus de biens publics.
Pour tenter de résoudre ce problème, avec un objectif de clarté qui n'éliminerait pas la souplesse, j'ai déposé une proposition de loi qui, je vous rassure, monsieur le ministre, n'a obtenu aucun succès, jusqu'à présent ! (Sourires.)
En tant que rapporteur spécial du budget du ministère des affaires sociales, j'ai relevé six cent trente emplois de cette nature, répartis entre les services centraux et les services déconcentrés de ce ministère.
Ces agents proviennent généralement des organismes placés sous la tutelle du ministère - il s'agit essentiellement des hôpitaux et les organismes de sécurité sociale - et ils participent ensuite à l'exercice de cette même tutelle. Cela est d'autant plus malsain qu'aucun texte n'a jamais prévu que ces organismes aient vocation à financer l'Etat.
Un début de régularisation sera engagé en 2001, avec un crédit de 25 millions de francs inscrits auchapitre 3712, article 20, concernant quelques dizaines d'emplois.
Je vous demande de calculer les sommes considérables qui ont été et sont encore détournées par le biais de ces pratiques.
Dans un souci de clarté et de rigueur dans la gestion publique de l'Etat, je vous demande, monsieur le ministre, de mettre fin à de tels abus.
Ma troisième remarque complétera ce que de nombreux orateurs ont décrit et dénoncé avant moi : chaque fois que l'on baisse les impôts, les prélèvements obligatoires augmentent. C'est le paradoxe français !
Ma quatrième remarque touche à la détérioration constante de l'investissement de l'Etat, en raison de l'incapacité de celui-ci à maîtriser ses dépenses de fonctionnement et l'accroissement de son endettement.
Une fois encore, les dépenses civiles en capital de l'Etat vont baisser, pour atteindre 78 milliards de francs en 2001, soit moins que le coût du passage aux 35 heures, qui s'élève à 85 milliards de francs.
Heureusement que la bonne gestion des collectivités locales et de certains établissements publics permet de financer les trois quarts restants de l'investissement public dont, par exemple, les collèges, les lycées, certaines routes, certains ports ou certaines universités.
En réduisant les investissements, vous sacrifiez délibérément l'avenir de notre pays à son présent.
Vous sacrifiez les investissements, par exemple, dans les infrastructures de transport. En dépit d'une demande qui ne cesse d'augmenter et qui poursuivra sa croissance au cours des vingt prochaines années, nous n'avons pas accru notre effort financier dans ce domaine au cours des dernières années. Le budget routier et autoroutier baisse.
Jamais la SNCF et RFF n'ont aussi peu investi, en dépit de la priorité affichée pour le ferroviaire. D'ailleurs, la politique de développement du fret ferroviaire et celle qui concerne l'intermodalité ont des résultats consternants.
Il n'y a plus de grands programmes pour les voies navigables. La politique portuaire, navale et de sécurité maritime est toujours aussi médiocre et donne les résultats que nous connaissons : catastrophes maritimes à répétition, flotte de commerce au vingt-huitième rang mondial, ports de commerce en régression relative dans un monde où le transport maritime ne fait que croître.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, comment admettre dans notre système parlementaire, comme l'ont constaté les rapporteurs de la commission des finances, que « la sincérité des données à partir desquelles sont élaborés les projets de loi de finances n'apparaît pas comme l'une des premières préoccupations du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, que ce soit des services mais également des ministres ».
Par le biais des pratiques budgétaires malsaines apparaissent tous les travers, les faiblesses et les défauts d'une société. Vous les avez poussés à leur paroxysme au détriment de la crédibilité de l'Etat, dont désormais les citoyens et les élites se méfient.
L'Etat semble ne plus avoir ni le respect de ses engagements ni le respect de sa signature. Une oeuvre de rénovation fondamentale est nécessaire. Elle devra trouver sa concrétisation dans des adaptations constitutionnelles.
Dans le débat budgétaire, le Parlement a trop longtemps été ignoré et bafoué. Cela est malsain pour l'équilibre de nos institutions.
J'espère que le débat d'aujourd'hui vous aura permis de prendre la mesure de l'irritation, de l'amertume, mais aussi de la détermination du Parlement et, plus particulièrement, de la Haute Assemblée.
Comme le disait un grand ancien, « seule la vertu pourra sauver la République ». (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Deneux.
M. Marcel Deneux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat budgétaire qui s'ouvre aujourd'hui est très singulier : les règles qui le régissent seront sans doute obsolètes dans les mois qui viennent avec la réforme de l'ordonnance de 1959. Je ne parle pas du passage à l'euro qui sera effectif pour le budget de l'année 2002. Par ailleurs, les inquiétudes s'accumulent quant à l'évolution de la conjoncture et on peut légitimement s'interroger sur la validité des hypothèses économiques sur lesquelles est fondé ce projet de budget.
Les dernières enquêtes auprès des chefs d'entreprises montrent une nette baisse de confiance. Au niveau même du Gouvernement, nous sommes loin de l'euphorie de l'année dernière, une euphorie un peu déplacée alors que la France occupe en Europe l'une des dernières places, si l'on établit un classement vertueux, en termes de dépenses publiques, de déficit et de prélèvementsobligatoires.
Les récents chiffres du déficit pour l'année 2000, sensiblement plus élevés que les prévisions, ne sont sans doute pas étrangers à la très grande modestie - relative - qui est de mise désormais.
Deux sujets me paraissent particulièrement préoccupants, monsieur le ministre, il s'agit de l'explosion de la dette publique et de la baisse des investissements publics.
La situation de la dette de l'Etat, tout d'abord. La charge de la dette atteindra en 2001 plus de 240 milliards de francs. L'ensemble de l'endettement public en France devrait représenter, l'année prochaine, près de 5 563 milliards de francs environ, c'est-à-dire l'équivalent de seize ans d'impôt sur le revenu !
Sommes-nous au-delà des 60 % du PIB, qui est l'un des critères de convergence de Maastricht ? Il faut s'interroger.
L'endettement s'accroît d'année en année, puisque chaque année le budget présenté et réalisé comporte un déficit - en diminution certes, je ne chipoterai pas sur les chiffres - mais, en gestion, un déficit reste un déficit ; et une dette a vocation à être remboursée. Cette dette devient ainsi vraiment insupportable.
La seule dette de l'Etat atteint actuellement, écoutez-bien, mes chers collègues, 200 000 francs par actif dans ce pays. En d'autres termes, si la dette est, par hypothèse, à 6 %, c'est chaque mois 1 000 francs d'intérêts, et sans remboursement en capital ; que chaque personne active doit normalement acquitter à l'Etat. C'est en ce sens que je dis, monsieur le ministre, que c'est insupportable !
La conjoncture favorable de ces dernières années aurait dû être l'occasion de diminuer la dette, à condition de réduire de façon significative les dépenses publiques, ce qui n'a pas été le cas, malheureusement, puisque ces dernières se sont accrues en francs constants.
C'est une certaine forme de gestion publique qui est en cause. Quelle entreprise du secteur concurrentiel supporterait, en effet, une proportion aussi importante de dettes par rapport à son actif ? Quel conseil d'administration, quel groupe d'hommes responsables accepteraient de donner quitus à de telles dérives ?
L'Etat vit au-dessus de ses moyens. Dans le monde de l'entreprise dont je viens, c'est un comportement qui conduit inévitablement, nous le savons, au dépôt de bilan. Pour l'Etat, les choses sont différentes, et l'image est osée, je le sais. Du moins permet-elle de s'interroger, un peu sur la qualité des gestionnaires, beaucoup sur les méthodes de gestion retenues. Or la vérité oblige à constater que l'Etat n'est pas géré de manière rigoureuse et que, d'ailleurs ; dans de nombreux domaines, il ne s'en donne pas les moyens.
Il est donc urgent d'introduire des méthodes modernes de « management » au niveau de l'Etat lui-même, un Etat en l'espèce vraiment mal placé pour donner des leçons de modernité à la société civile et être crédible dansl'Euroland.
Ce qui est également critiquable dans la gestion actuelle, c'est l'utilisation de la dette, c'est-à-dire de l'emprunt, pour financer des dépenses de fonctionnement, car nous empruntons davantage et nous n'investissons pas.
Parallèlement, et ce sera le second volet de mon intervention, les crédits d'investissement de l'Etat sont en net retrait, d'année en année, d'après les comptes qui nous sont communiqués. Il est dommage, à ce propos, que nous ne disposions pas, comme lors du débat d'orientation budgétaire de 1996, de données comparatives sur l'évolution des dépenses d'investissement et de fonctionnement, qui représentent près de 50 % du budget général de l'Etat.
La croissance constante des dépenses de fonctionnement depuis 1997 amène l'Etat - obligé - à contenir ou à réduire son effort en matière d'investissement dans des secteurs pourtant cruciaux comme l'équipement et les transports. Les investissements civils de l'Etat devraient ainsi baisser de 2,2 % en 2001. Parallèlement, l'Etat a laissé aux collectivités locales le soin d'essayer de compenser, elles qui assurent maintenant plus de 70 % de l'investissement public.
Phénomène général pour ce qui est de l'Etat, l'investissement se trouve donc plus ou moins sacrifié par rapport aux dépenses de fonctionnement et de personnels. Il est tombé à un niveau que les générations futures seront en droit de nous reprocher, monsieur le ministre. C'est l'avenir de nos enfants qui est en cause et que nous n'assurons pas.
Il s'agit, là aussi, d'une exception française, car la plupart des pays européens ont réussi à réduire leurs dépenses publiques sans toucher aux investissements publics.
Si l'actuel gouvernement veut retrouver une véritable marge de manoeuvre financière simplement pour assurer l'avenir, il lui faut s'attaquer de façon draconienne au problème des crédits de fonctionnement : des économies sont possibles, comme on a pu le démontrer en 1996 et en 1997. Ce n'est pas facile, mais il y a là une voie que l'on peut continuer à explorer.
Comme l'a dit tout à l'heure Jean Arthuis, je crois que le corollaire à toute politique de réduction du train de vie de l'Etat doit être l'application de nouvelles méthodes de gestion, calquées, dans la mesure du possible, sur celles qui sont appliquées dans le secteur privé. Je pense évidemment à une gestion patrimoniale tenant compte des engagements futurs, à une gestion par objectifs, à une politique dynamique et moderne de gestion des ressources humaines.
La sphère publique en France a encore beaucoup à apprendre du monde de l'entreprise ainsi que des exemples étrangers.
Certains de nos voisins européens ont, en effet, montré l'exemple en matière de rigueur budgétaire ces dernières années. Ainsi, les Pays-Bas, qui disposent d'un système de protection sociale comparable au nôtre, ont montré la voie à cet égard. A nous d'en tirer les conséquences, à nous de ne pas nous laisser enfermer dans une sorte de suffisance hexagonale et, au contraire, à nous enrichir, si je puis dire, de l'expérience de nos partenaires européens.
Nous n'avons pas le droit, monsieur le ministre, de perpétuer l'exception française qui consiste à consommer les fruits de l'amélioration conjoncturelle sans engager de véritables réformes structurelles.
La crédibilité de la France au sein de l'Euroland est à ce prix.
Nous sommes un grand pays, riche, prospère. Avec une autre gouvernance, avec un redéploiement de nos moyens, nous pouvons faire mieux que ce que l'on nous propose dans le projet de budget pour 2001.
En conclusion, si mes propos ont été parfois passionnés, ce dont je vous prie de m'excuser, monsieur le ministre, sachez que j'écouterai vos réponses avec intérêt.
Mais je ne saurais terminer sans remercier notre rapporteur général, le président de la commission des finances et les présidents des commissions permanentes qui, par leurs apports fort intéressants et constructifs, nous ont permis de mieux comprendre ce débat budgétaire. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travéees du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Bourdin.
M. Joël Bourdin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme vous le savez, l'économie française est engagée dans sa troisième année de forte croissance. Entre 1998 et 2000, en effet, la croissance aura été supérieure à 3 % en moyenne, ce qui est bien.
La dernière fois que la France a connu un tel phénomène, c'est au cours de la période 1988-1990. Si je rappelle ce précédent, d'ailleurs après Michel Charasse, c'est qu'il s'agit d'un exemple significatif de cycle de croissance interrompu par des politiques économiques, budgétaire comme monétaire, inadaptées.
Beaucoup de choses ont été dites, tant par M. le président de la commission des finances que par M. le rapporteur général ou par M. du Luart, avec lesquelles je suis plutôt en convergence.
Simplement, à la lumière du rapport que j'ai présenté ce matin à la délégation du Sénat pour la planification sur les prévisions économiques à 2005, je ferai quelques observations sur la croissance.
Le projet de loi de finances est fondé sur un taux de croissance de l'ordre de 3,3 %. Pourquoi pas ! Il est vrai que les services du Gouvernement ont commencé à travailler très tôt dans l'année et peut-être au mois de mai ou de juin la croissance estimée pouvait-elle être de cet ordre. Aujourd'hui, à partir d'études réalisées par des instituts de qualité et au vu des réflexions échangées au sein de la Commission économique de la nation, il apparaît que la croissance probable pour l'année 2001 sera non pas de 3,3 % mais plutôt de 3 %.
Tous les différents organismes qui sont réunis autour de la Commission économique de la nation, à part trois d'entre eux, prévoyaient une croissance pour 2001 comprise entre 2,8 % et 3,2 %, ce qui correspond d'ailleurs à la moyenne repérée par l'Observatoire français des conjonctures économiques, l'OFCE.
Je précise d'ailleurs que l'OCDE a présenté tout récemment ses prévisions de croissance pour la France, qui font apparaître un taux de croissance inférieur, puisqu'il se situe à 2,9 % pour 2001.
On peut donc considérer qu'il y a actuellement un quasi-consensus parmi les prévisionnistes pour dire que la croissance sera, l'année prochaine, de l'ordre de 3 %, soit 0,3 % point de moins que ce que prévoit le Gouvernement.
Il n'est pas dans mon intention de critiquer les organismes de l'Etat qui ont conclu à l'existence de cette pente de croissance, mais ces estimations entraînent un certain nombre de conséquences sur les équilibres.
Notons que cette croissance prévue à 3 % suppose qu'un certain nombre d'incertitudes soient levées. Par exemple, je cite, au hasard, l'atterrissage de l'économie américaine.
On sait très bien que l'économie américaine est en pleine croissance depuis plusieurs années, mais aussi qu'elle est caractérisée par un certain nombre de paramètres inquiétants : un taux d'épargne des ménages qui est nul, un taux d'endettement des mêmes ménages qui est particulièrement élevé et qui fait qu'un certain nombre d'Américains vivent sur leurs plus-values boursières. Nous sommes donc devant un système qui, un jour, peut connaître la récession.
Donc, l'atterrissage plus ou moins violent de l'économie américaine est une hypothèse qui, si elle s'avère, ne manquera pas d'avoir des incidences sur l'évolution de l'économie française. Tout le monde sait que l'Amérique est le moteur de l'économie mondiale.
Autre incertitude : le prix du pétrole. Je ne vous apprends rien en signalant que le prix du pétrole est une donnée « volatile », et qu'il a particulièrement augmenté au cours de ces dernières années. Là encore, l'équilibre budgétaire semble avoir été bâti sur l'hypothèse d'un baril de pétrole à 26 dollars. Or nous sommes loin du compte, puisque ce prix est déjà supérieur.
D'après les simulations demandées à l'OFCE, une persistance d'un dollar élevé peut avoir des incidences sur le taux de croissance, mais pas aussi fortes qu'on peut l'imaginer, car l'économie française a beaucoup changé depuis les années soixante-dix et le pétrole a moins d'incidence sur notre économie.
Néanmoins, si le cours du pétrole se maintenait à un haut niveau et devait par malheur augmenter, il aurait une incidence de 0,2 ou de 0,1 point sur les 3 % que j'ai indiqués.
Un autre risque, pour n'être pas élevé, ne doit pas être sous-estimé, je veux parler du risque d'accélération de l'inflation. Dans ce domaine aussi on doit indiquer que les tensions qui se manifestent sur le marché du travail dans certains secteurs, le bâtiment et les travaux publics, en particulier, ainsi que l'augmentation du prix du pétrole et la baisse de l'euro par rapport au dollar, qui entraîne le renchérissement des importations, rendent non négligeable la possibilité de tensions inflationnistes au cours de l'année prochaine, tensions peut-être faibles, tensions difficiles à estimer, mais qui s'ajoutent aux incertitudes précédemment signalées.
Si le taux de croissance n'est pas de 3 %, il est évident que cela aura une incidence sur l'évolution du déficit. M. le rapporteur général s'est exprimé au nom de la commission des finances sur ce point, de même que des orateurs de toutes les sensibilités politiques, notamment M. Charasse.
Le déficit n'est pas simplement un phénomène comptable ; il a des incidences économiques. Un déficit qui s'accroît se traduit par des impôts, des difficultés et des charges supplémentaires.
Il faut savoir que, si la croissance doit effectivement se maintenir à 3 % en 2001, le déficit sera, non de 1 % du PIB, mais de 1,4 %, ce qui change évidemment la donne et laisse présager que le programme établi par le Gouvernement pour les années qui viennent sera naturellement décalé.
Je signale, après d'autres, que la France est quand même montrée du doigt par ses partenaires européens pour ne pas respecter les objectifs qui ont été assignés aux Etats membres de l'Union.
Je formulerai deux observations relatives à la politique qui sous-tend ce budget et selon laquelle il faut soutenir la consommation et les ménages.
Des mesures ont été prises. L'accroissement du niveau de l'emploi va, bien sûr, dans le sens de l'augmentation de la demande des ménages. Les mesures fiscales proposées sont, pour l'essentiel, dirigées vers les ménages. Or, on observe, et cela a été rappelé sur les différentes travées, des grippages au niveau de l'offre. Si notre croissance n'est pas plus élevée, c'est probablement parce qu'un freinage se manifeste au niveau de l'offre de travail. Les 35 heures jouent sans doute, mais aussi un certain nombre d'autres facteurs, qui ont été analysés dans le cadre d'autres débats. On peut donc se demander si la politique contenue dans ce budget est tout à fait adaptée et s'il n'aurait pas fallu, au contraire, tout en prenant des mesures en faveur des ménages - parce que la consommation est tout de même un facteur de la demande globale - ajouter un dispositif pour permettre aux entreprises de fonctionner, de créer des emplois, de se développer et de participer encore plus activement à la politique de résorption du chômage.
J'en viens à ma seconde observation. Je faisais remarquer tout à l'heure que le taux de croissance serait probablement non pas de 3,3 %, mais de 3 %, et que des incertitudes subsistent sur ce taux. Cela me permet de faire des observations sur la politique économique expansionniste qui est adoptée et qui vise à créer des dépenses supplémentaires de caractère pérenne - quand on embauche des gens, c'est pour trente ans ! - à partir d'estimations qui sont des estimations annuelles. La marge de manoeuvre que se donne le Gouvernement avec ce budget est donc étroite. Si, par mallheur, la croissance, même établie à 3 %, n'était pas au rendez-vous, les charges, elles, seraient là. On serait alors confronté à de graves difficultés, au niveau du déficit mais, surtout, au niveau des autres agrégats, avec des augmentations des taux d'intérêt et un certain nombre de conséquences de nature plutôt récessionnistes.
J'aurais pu formuler d'autres observations mais M. le président a déjà été généreux à mon égard étant donné le temps qui restait imparti à mon groupe.
Monsieur le ministre, je confirme, après notre vice-président Roland du Luart, que le groupe des Républicains et Indépendants ne suivra pas toutes vos propositions mais que, en revanche, il sera très attentif aux amendements présentés par la commission des finances, amendements qu'il votera avec beaucoup de conviction. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Flosse.
M. Gaston Flosse. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me bornerai à quelques considérations générales sur ce qui, dans le budget de la nation, concerne le plus directement l'outre-mer et la Polynésie française.
Tout d'abord, je constate, pour m'en féliciter, que la France reste fidèle à sa mission vis-à-vis des peuples d'outre-mer, en garantissant son appui technique et financier à ces parcelles de la République dispersées aux quatre coins du monde.
La solidarité nationale qui s'exprime permet à nos départements et territoires de faire l'envie des petits pays qui les entourent. C'est ce qu'oublient trop souvent les indépendantistes. Fort heureusement, ils ne trouvent pas chez nous la majorité qui leur permettrait d'obtenir l'indépendance qu'ils cherchent car ils trouveraient avec elle la misère qu'ils oublient.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Très bien !
M. Gaston Flosse. Nos compatriotes d'outre-mer et de Polynésie française en particulier, mes chers collègues, sont plus sensés que certains idéologues pervers qui, de métropole, les incitent à quitter le giron de notre nation ! En tout cas, moi, je continuerai, avec mon mouvement, à me battre pour que la Polynésie reste française. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
L'augmentation du budget propre du secrétariat d'Etat à l'outre-mer ne reflète pas la totalité de l'évolution de l'effort de l'Etat en faveur de l'outre-mer. Je souhaiterais une nouvelle fois, comme, je le pense, tous mes collègues de l'outre-mer, qu'une récapitulation claire et concomitante à la présentation de la loi de finances puisse être faite, de manière que les parlementaires sachent exactement de quoi l'on parle dans ce domaine.
Certes, des gestes sont faits pour transférer quelques moyens d'actions, mais ils restent marginaux. Je note, par exemple, que le fonds de reconversion de la Polynésie française reste inscrit au budget du ministère de la défense, alors qu'il était envisagé, lors de la signature de la convention entre l'Etat et le territoire, de le transférer au budget du secrétariat d'Etat à l'outre-mer.
Or ce fonds est évidemment un moyens très important de développement et d'investissement public, maintenant qu'il n'est plus obéré par les dépenses militaires qu'il a financées jusqu'au milieu de cette année. Le ministère de la défense ne prélève plus désormais que les crédits correspondant à la prise en charge de la surveillance et du contrôle des sites d'expérimentation et du financement du service militaire adapté. Il paraîtrait logique que le fonds soit désormais géré par le secrétariat d'Etat à l'outre-mer.
Je saisis cette occasion pour noter qu'ici ou là - mais, vous l'aurez deviné, mes chers collègues, c'est plutôt là qu'ici - on critique l'avantage que représente, pour la Polynésie, l'existence d'un fonds de cette nature. M. Boucheron, par exemple, rapporteur à l'Assemblée nationale du budget de la défense s'étonne en ces termes : « Aucune autre collectivité territoriale de la République affectée par les nombreuses dissolutions d'unités accompagnant la professionnalisation des armées n'a bénéficié d'un traitement si généreux ! » Je suppose que M. Boucheron regrette que sa belle ville de Rennes, dont il est conseiller municipal, ou la Bretagne dans son ensemble, où il est conseiller régional, n'aient pas eu la chance d'être le site des expérimentations nucléaires ! (Sourires sur les travées du RPR.)
Nous, nous avons accueilli le Centre d'expérimentation du Pacifique pendant trente-deux ans. Quarante et un essais nucléaires atmosphériques et cent quarante essais nucléaires souterrains ont été effectués sur notre territoire. Est-ce toujours cela que M. Boucheron souhaite pour la Bretagne ?
Ma deuxième remarque concerne l'exécution des mesures prévues par la loi d'orientation pour le développement économique, social et culturel de la Polynésie française. Un compte rendu d'exécution des cinq premières années - 1994-1998 - a été présenté par le secrétaire d'Etat au Parlement, conformément aux dispositions du texte. Ce compte rendu fait apparaître le succès des mesures prises. J'invite mes collègues à en prendre connaissance.
Je regretterai seulement que, dans l'exécution du contrat de développement, plus de 50 millions de francs de crédits destinés au logement social n'aient pas été mis en place par l'Etat, alors que le secteur est, nous dit-on, prioritaire.
Je souhaiterais aussi que l'Etat, responsable des communes, leur accorde plus de moyens financiers, puisque c'est une préoccupation affichée par M. Christian Paul. Aujourd'hui, c'est le budget du territoire qui alimente l'essentiel du budget des communes. Je demande donc au secrétariat d'Etat à l'outre-mer d'augmenter la participation de l'Etat au fonds intercommunal de péréquation.
J'en viens à un autre moyen important de développement : les incitations fiscales à l'investissement privé. La loi Pons était indispensable compte tenu de la faible dimension des marchés de nos départements et territoires d'outre-mer, de leur éloignement, de leurs surcoûts.
Je ne peux que me réjouir que M. Christian Paul, reprenant les travaux de M. Jean-Jack Queyranne, ait pu mettre au point avec vous, monsieur le ministre, un nouveau mécanisme. J'émettrai à son sujet un regret : que les bateaux de croisière, qui avaient si bien relancé l'activité des chantiers de l'Atlantique, et qui représentent une activité nouvelle intéressante pour nos îles d'outre-mer, ne soient plus éligibles.
J'ajouterai une inquiétude : que la concurrence des différents autres types de défiscalisation ne réduise pas l'intérêt des détenteurs de positions fiscales pour les investissements outre-mer. La réussite du dispositif suppose en effet la rencontre de deux volontés : celle du promoteur et celle du financier. Si un seul d'entre eux n'y trouve pas son compte, il ne sera pas au rendez-vous et le projet ne se fera pas !
Enfin, je veux évoquer la difficile question des modalités d'affectation des aides de l'Etat. Une partie des sommes consacrées par ce dernier à l'outre-mer sert en fait à payer le fonctionnement des services et les investissements de l'Etat dans les départements et territoires d'outre-mer. Je n'en parlerai pas, sinon pour dire qu'il s'agit de l'exercice des compétences conservées par le gouvernement central, en fonction des statuts locaux, et non d'une aide.
L'autre partie des dépenses, versée en application de diverses conventions, comme les contrats de plan ou de développement, ou encore comme la convention de reconversion pour la Polynésie française, constitue une contribution directe au développement. Dans ce cadre, notre expérience en Polynésie me conduit à affirmer que c'est en jouant honnêtement et complètement la carte de la responsabilité des élus locaux que la meilleure efficacité est atteinte.
Dans le cas de la Polynésie française, dont l'autonomie est maintenant bien rodée et constitue un banc d'essai sans précédent, la loi elle-même a précisé les modalités d'intervention de l'Etat. Quels sont en effet les termes de la loi d'orientation pour le développement économique, social et culturel de la Polynésie française, que vous avez approuvée - je n'était pas encore sénateur - en 1994 ?
L'article 1er dispose que « La solidarité exprimée par la nation aidera le territoire de la Polynésie française. »
Puis l'article sur les orientations générales stipule que « L'Etat apportera, notamment dans le cadre du contrat de développement et des conventions prévues à l'article 8 de la présente loi, un appui technique et financier au territoire afin d'aider ce dernier à atteindre les objectifs de développement économique, social et culturel que le territoire a définis dans l'exercice de ses compétences. »
La Polynésie a pris ses responsabilités, fixé ses choix et réussi à passer d'une situation de quasi-faillite à un développement reconnu par tous. Faut-il citer l'agence internationale Standard and Poors, les rapports de l'Institut d'émission des départements d'outre-mer, le rapport du secrétaire d'Etat sur l'exécution de la loi d'orientation ?
Je pense que personne de bonne foi ne peut nier la réussite de notre politique concertée de développement. Et pourtant, il semble que certains nous le reprochent. Faut-il alors ruiner un pays pour mériter des compliments ?
Nul ne saurait critiquer les institutions nationales de s'assurer de la régularité de la dépense publique. En Polynésie comme dans les autres départements et territoires d'outre-mer, le dispositif de contrôle a priori puis a posteriori fonctionne. Mais, de grâce, que le Gouvernement ou son administration ne cherche pas à rétablir le tout centralisateur, comme au temps des colonies, pour imposer ses choix à 20 000 kilomètres de distance !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Très bien !
M. Gaston Flosse. Les habitants et les élus d'outre-mer demandent un peu de respect : respect de leur compétences, respect de leur personnalité, respect de leurs choix. Je souhaite que cela inspire en permanence les réflexions et les actions du Gouvernement de la République, comme cela inspire les délibérations de la Haute Assemblée ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, à cette heure de la soirée, je voudrais d'abord remercier chaleureusement toutes celles et tous ceux qui sont intervenus dans cette discussion, ainsi d'ailleurs que ceux qui ne se sont pas exprimés. (Sourires.)
M. Jacques Machet. Merci !
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. D'entrée de jeu, je voudrais exprimer nos remerciements - c'est un point qui nous rassemblera au début de cette discussion, qui sera longue et souvent austère - ceux du Gouvernement, comme, j'en suis sûr, d'une façon générale, ceux de la Haute Assemblée, à l'égard de tous ceux qui ont préparé ce projet de loi de finances et qui en suivent le déroulement. Je veux associer, espérant que vous ne serez pas choqués de cette synthèse, à la fois les services de l'Etat et ceux du Sénat,...
M. Philippe Marini, rapporteur général. Très bien !
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... puisque les uns et les autres, chacun avec la responsabilité qui est la sienne, travaillent pour l'intérêt général et pour le bien de la nation.
Avant de répondre aux divers orateurs, je présenterai quelques réflexions générales.
Tout d'abord, je voudrais, à l'intention des groupes de la majorité plurielle, dire combien le Gouvernement et moi-même sommes sensibles à leur soutien affirmé, même s'il est parfois présenté de façon nuancée - mais c'est la liberté de parole et cela tient à l'existence de la majorité plurielle.
Je tiens à leur préciser - cela allait de soi dans leur expression, même s'il n'en va pas toujours ainsi dans l'expression générale - que le budget que je présente, de même que les dispositions fiscales qu'il contient, est arrêté par le Gouvernement. Donc, à part une présentation tendant à personnaliser les choses - et c'est probablement la loi de la société moderne qui veut cela - je prends mes responsabilités - un certain nombre d'entre vous, dans des formules qui m'ont touché et qui m'ont amusé, m'ont d'ailleurs appelé, les uns, à la libération, les autres à je ne sais quoi - et je conduis bien sûr mon travail au nom du Gouvernement.
Je m'adresserai ensuite aux sénateurs de l'opposition, qui sont intervenus avec leur liberté de parole. Le budget est l'acte principal et, en général, il est de tradition - peut-être y aura-t-il des exceptions cette année - que l'opposition ne vote pas massivement le budget. (Sourires.) Mais j'ai noté dans ces formes d'opposition - peut-être était-ce dû à la différence des groupes et des individus ? Je n'ai pas à juger, et je ne me lancerai pas dans cette herméneutique, des différences d'approche. Mais n'est pas Saint-Just ou Fouquier-Tinville qui veut. D'ailleurs, cela se termine souvent mal pour les intéressés ! Certains, même si c'est dans le climat feutré de cette assemblée, ont procédé à des affirmations péremptoires, à des critiques définitives - en période révolutionnaire, il aurait fallu que je fasse attention, me disais-je (Sourires) - les autres étant plus nuancés, car connaissant les difficultés de l'exercice et - c'est le plus important - la situation réelle du pays. En effet, mesdames, messieurs les sénateurs de l'opposition, à entendre certaines de vos descriptions, je me demandais comment pouvait être, la France parmi les grands pays d'Europe, celui qui a la plus forte croissance, celui qui, depuis trois ans, a réduit de près d'un million de personnes le nombre de chômeurs,...
M. Michel Sergent. Eh oui !
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... celui que les entreprises étrangères choisissent pour investir. La description que certains d'entre vous faisaient de notre territoire était telle que j'avais l'impression qu'il ne s'agissait pas exactement du pays que je connaissais. J'étais, dans mon esprit peut-être un peu trop logique, frappé par le fait que la réduction du chômage était considérée comme un détail, un acquis.
Sauf que, depuis une vingtaine d'années, tous les gouvernements, de droite comme de gauche - et je suis bien placé pour en parler - ont essayé de réduire le chômage ! Jusqu'à présent, ils n'y étaient pas parvenus. (Eh oui ! sur les travées socialistes.) Par conséquent, la réduction du chômage enregistrée par ce gouvernement n'est pas un détail sur lequel on peut passer sans s'y arrêter !
J'ai noté également une espèce de rupture logique. En effet, si l'on soutient, comme plusieurs d'entre vous l'ont fait - je le comprends et j'assume -, que ce qui ne va pas en France est de la responsabilité du Gouvernement, il faut alors, avec la même logique, considérer que ce qui va mieux, en particulier du point de vue de l'emploi, ressortit également à la responsabilité du Gouvernement.
M. Roland Courteau. Exactement !
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Mais il serait un peu trop facile - et ce n'est pas l'habitude du Sénat de sombrer dans la facilité - de soutenir que ce qui va est dû à la conjoncture internationale alors que ce qui ne va pas encore relève de la responsabilité du Gouvernement. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.) Je propose donc que l'on soit un peu plus rigoureux dans l'analyse et que l'on prenne la situation comme elle est.
Je répondrai maintenant aux divers orateurs, et, si vous n'y voyez pas d'inconvénient, mesdames, messieurs les sénateurs, je le ferai dans l'ordre inverse des interventions, en commençant par celle de M. Flosse. Ce dernier, comme c'est bien compréhensible, s'est exprimé essentiellement à propos de l'outre-mer, en particulier de la Polynésie française. N'étant pas un spécialiste de ces questions, je n'ai pas suivi dans le détail ce qu'il disait à propos du député M. Boucheron. Mais, connaissant le sérieux de ce dernier et ayant cru comprendre - mais peut-être me suis-je trompé - que l'intervention de M. Flosse était critique à cet égard, j'ai tout de même tendance à faire confiance à M. Boucheron.
J'ai en revanche entendu M. Flosse saluer l'effort réalisé, même s'il peut y avoir telle ou telle insuffisance, par M. Queyranne, à qui je transmettrai le compliment, puis par son successeur M. Paul, en direction de l'outre-mer, et singulièrement de la Polynésie. Je tiens à dire à M. Flosse que le Gouvernement honore ses engagements, ce qui est tout à fait normal, qu'il est attentif à l'outre-mer et qu'il continuera de l'être.
M. Bourdin a développé de façon très précise les hypothèses économiques ou, plutôt, une certaine réserve qu'il avait par rapport aux hypothèses économiques arrêtées par le Gouvernement. Mais, en même temps, M. Bourdin a eu l'honnêteté de dire - c'est la loi du genre du point de vue budgétaire - que ces prévisions, au moment où elles ont été arrêtées, correspondaient au consensus.
Nous n'allons pas nous disputer à une décimale près, même s'il souhaite certainement comme moi que la décimale soit la plus haute possible. Je ferai néanmoins remarquer que j'ai entendu plusieurs d'entre vous citer, cet après-midi, l'OFCE, organisme avec lequel vous travaillez sans doute. Or, tout d'un coup, une certaine discrétion apparaît lorsqu'il s'agit des prévisions de croissance de l'OFCE ! Mais, monsieur Bourdin - vous me corrigerez si je me trompe - la dernière prévision de croissance de l'OFCE pour 2001 est de 3,7 %. Alors, là aussi, on prend ou on ne prend pas ! Mais c'est un peu difficile de prendre d'un côté et de laisser de l'autre !
Pour ma part, je suis plus prudent. La direction de la prévision, la direction du budget et l'INSEE sont certes très compétents, mais je me suis habitué - c'est l'avantage du grand âge (Sourires) - à ne pas retenir, en général, ce qui vient directement des services et à essayer de trouver le point moyen des prévisions communiquées par lesdifférentes institutions, qu'elles soient françaises ouétrangères.
S'agissant des prévisions de croissance, nous disposons de quelques éléments récents. La Commission européenne, hier, je crois, a évoqué, pour 2001, une croissance de 3,1 %, les chiffres communiqués par le FMI et l'OFCE étant respectivement de 3,25 % et de 3,7 %. A partir de cela sera-ce 3,3 %, un peu plus ou un peu moins ? En tout cas, c'est la zone prévisible.
Monsieur Bourdin, si la croissance était inférieure, comme vous l'anticipez, de 0,3 % à la cible affichée, cela n'aurait heureusement pas les conséquences que vous avancez. Ce serait en effet non pas 0,4 % de PIB de déficit supplémentaire mais en réalité quatre fois moins dans l'hypothèse la plus défavorable. De toute manière, on arrête les prévisions et on le fait le plus honnêtement possible, mais, en même temps, les mécanismes sont tels que ce n'est pas une science tout à fait exacte.
S'agissant des prix, j'ai une certaine différence d'appréciation avec vous, monsieur Bourdin ; mais vous n'avez pas été très long sur ce point, et peut-être suis-je trop schématique dans mon jugement.
Tous les observateurs reconnaissent, je crois, que l'inflation sous-jacente est très maîtrisée en France, beaucoup plus que chez nos voisins. Les pays dont vous avez parlé, pour les vanter m'a-t-il semblé - l'Espagne, entre autres - ont un fort taux d'inflation, ce qui est peut-être porteur de conséquences pour le niveau actuel de l'euro. J'espère donc que les éléments qui peuvent déterminer l'inflation ne se déclencheront pas en France. En tout cas, pour le moment, nous ne voyons pas cela dans nos comptes.
Pour le reste, je remercie M. Bourdin de son intervention, qui était assez nuancée. Il sait les difficultés de ces exercices. Nous allons nous employer à ce que la fourchette haute l'emporte, puisque tout le monde en serait heureux.
M. Deneux, comme beaucoup d'entre vous, a évoqué la dette et les investissements publics.
M. Deneux qui, visiblement, connaît très bien le sujet de la dette, sait aussi que le poids de la dette publique - il ne l'a d'ailleurs pas nié - a augmenté de manière continue depuis 1978, ce qui signifie, au terme d'un rapide calcul que, en 1998, cette situation durait déjà depuis vingt ans. Et un examen attentif des chiffres, comme celui auquel s'est livré M. Deneux, montre que l'inversion de la spirale de la dette est engagée exactement depuis 1998 - pas assez, sans doute, et, sur ce point, je ne serai pas loin d'être d'accord avec lui. Mais tout de même, en présence d'une courbe suivant un mouvement ascendant pendant vingt ans et un mouvement descendant depuis deux ans, convenez qu'on a le choix : soit on souligne que le second mouvement n'est pas assez fort, soit on met en avant l'existence d'un coude, lequel date d'ailleurs de deux ans.
En tout cas, si nous voulons, comme c'est indispensable - je rejoins d'ailleurs sur ce point les observations de la quasi-totalité des orateurs - aller vers une réduction de la « dette », mot prétentieux signifiant qu'il faudra bien un jour payer - cela représente X francs par Français, à cela près que, comme cela a été exposé avec beaucoup de talent par M. le président de la commission des finances, ainsi que par M. Charasse et beaucoup d'autres, le paiement n'est pas immédiat : il est reporté sur ceux qui viendront après nous, ce qui n'est tout de même pas la définition principale de ce qu'est la solidarité - si nous voulons, disais-je, comme j'y suis extrêmement attaché, réduire la dette publique, il nous faut aller vers l'équilibre des finances publiques en 2004. Cela nécessite des efforts, et il faut en particulier écarter les contradictions : on ne peut, d'un côté, plaider en faveur d'une réduction des déficits, et, de l'autre, demander une augmentation des dépenses ponctuelles. Qu'il y ait une schizophrénie latente chez beaucoup d'entre nous, soit ; mais, en politique, il ne faut pas en faire une théorisation !
Il nous faut donc, pour aller vers l'équilibre des finances publiques, poursuivre les efforts, et j'espère que, sur ce point, les uns et les autres, vous nous soutiendrez.
M. Deneux a insisté aussi sur l'investissement public. Je n'ai pas exactement les mêmes chiffres que lui, même si je reconnais évidemment qu'il y a toujours des progrès à faire en la matière. Toutefois, ce budget comporte une part d'investissement qui progresse de plus de 2 %, soit un taux nettement plus important que la progression moyenne des dépenses.
M. Oudin est intervenu d'une façon qui n'était pas nécessairement la plus nuancée... Il a critiqué le fonctionnement de l'Etat, et il parle d'expérience. Cela étant, nous essayons, monsieur Oudin, d'améliorer les choses, et je suis sûr que vous serez très attentif au moment où votre assemblée, comme l'Assemblée nationale, prendra à bras-le-corps la réforme de l'ordonnance du 2 janvier 1959, qui est tout de même la constitution financière de la Ve République. On a souvent modifié la Constitution de la Ve République, mais jamais sa constitution financière. Nous allons donc nous y attacher...
M. Michel Charasse. Bien !
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... et, vous ayant entendu, je ne doute pas - ou alors, ce serait vraiment contradictoire - que nous aurons, à ce moment-là et sur ce texte-là, votre soutien.
Je voudrais aussi vous rendre attentifs au fait que j'ai annoncé la réforme du code des marché publics - elle entrera en vigueur l'année prochaine - et que le ministère des finances lui-même se réforme, même s'il y a encore beaucoup de progrès à accomplir sur ce point.
M. Michel Charasse. Oh oui !
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Nous n'avons pas les mêmes chiffres - mais je pense que les nôtres sont exacts, ce qui, par contrecoup, signifie ce que je pense des vôtres - en ce qui concerne les prélèvements obligatoires. Non, ils n'augmentent pas !
Je sais bien qu'un de mes prédécesseurs, que vous avez un peu moqué, disait - et c'était vrai, mais en même temps difficile à expliquer - que les prélèvements obligatoires allaient dans un sens et les impôts dans un autre. Cette fois-ci - et certains nous l'ont reproché, mais nous l'assumons et, même, nous le revendiquons - il y a à la fois une certaine baisse des impôts et une baisse des prélèvements obligatoires.
Au demeurant, plusieurs orateurs, notamment MM. Foucaud et Loridant, ont dit qu'une des raisons pour lesquelles l'exercice budgétaire nétait pas facile était qu'il y avait simultanément réduction des impôts et des prélèvements obligatoires.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Non !
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Voilà qui fait litière de l'observation - ce n'est d'ailleurs pas au Sénat mais à l'Assemblée nationale qu'elle a été formulée récemment, mais ce sont des choses qui ne devraient pas se dire entre nous tant elles sont schématiques - selon laquelle il y a eu une augmentation des prélèvements de 400 milliards de francs, ou de 500 milliards de francs, que sais-je encore, depuis trois ou quatre ans.
Non ! Si nous avions le temps de regarder ce qui se passe dans chacune de nos communes, dans chacun de nos départements et dans chacune de nos régions, nous observerions, pour nous en réjouir, que, compte tenu de la croissance que nous connaissons depuis trois ou quatre ans, la masse des prélèvements a évidemment augmenté. Mais, quand on se livre à l'exercice sérieux auquel nous nous astreignons depuis ce matin, on ne peut pas dire qu'il y a une baisse ou une augmentation des impôts, car il faut évidemment raisonner à législation et situation économique constantes. Il y a suffisamment de sujets sur lesquels nous pouvons sérieusement discuter pour ne pas nous permettre ces approximations !
M. Charasse est intervenu avec beaucoup de force. Il a retenu votre attention, je l'ai bien senti, et il nous a dit, en tant qu'ancien responsable du budget très averti de tout cela, des choses que je comprends.
Il a raison sur le fait que nous devons tenir nos engagements. Mais il est vrai que, parmi les principes auxquels on croit, lorsqu'on s'engage en politique, il y a le principe de non-contradiction : on ne peut pas faire une chose et son contraire !
A partir du moment où nous voulons développer l'emploi, ce qui suppose d'encourager la croissance, dans le même temps, nous devons donc opérer une certaine réduction des déficits publics, non pas pour des raisons théologiques mais parce que tout est lié, ce qui signifie un certain nombre de choix.
Comme le disait ce grand économiste qu'est Gide - Charles, pas André (Sourires) ... -, « ce qui coûte, dans les choix, ce n'est pas ce qu'on élit, c'est ce qu'on n'élit pas ». Eh bien oui, c'est le triste lot des responsables des finances, lot qu'a connu M. Charasse et dont il se souvient aujourd'hui.
Quant à Turgot, là, l'interprétation est libre ! Je me souviens d'ailleurs de ce que disait Edgar Faure - je ne saurais l'imiter, car de même que, à propos du départ du secrétaire général du ministère de l'éducation nationale, il disait : « M. Laurent est irremplaçable, donc il ne sera pas remplacé », il est lui-même inimitable -, je me souviens, dis-je, de ce que disait Edgar Faure alors qu'on l'interrogeait sur la Terreur : « Il y a deux hommes qui auraient pu épargner la Terreur : Turgot, mais il était mort, et moi-même, mais je n'étais pas encore né. » (Sourires.) Je pensais à cela en écoutant Michel Charasse : comparaison n'est pas raison, par conséquent, laissons cela de côté.
Aujourd'hui, il est vrai que le Gouvernement doit faire preuve de courage, de vérité, et M. Charasse, dans son énumération historique, a d'ailleurs oublié Jean Jaurès : « Le courage, c'est de connaître la vérité et de la dire. » (M. Charasse opine.)
M. Loridant est intervenu essentiellement à propos de la Banque centrale européenne, dont l'orientation actuelle ne semble pas recueillir ses préférences. (Sourires.)
Il l'a critiquée, ce qui n'est pas nouveau, mais il a le mérite d'être cohérent car je me rappelle que, lorsque cette institution a été créée, il y était déjà opposé.
Au demeurant, n'y a-t-il pas quelque ironie - je le dis de façon plaisante, parce que M. Loridant est un homme que j'estime et que des relations d'amitié nous lient - à avoir combattu le franc fort et à condamner l'euro faible ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est vrai !
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je crois qu'en la matière certains ajustements pourraient être opérés, ce qui donnerait encore plus de force à la thèse.
S'agissant de l'euro, même si tel ou tel regret peut être émis par rapport à son niveau actuel, sa création, ne l'oublions jamais, a rendu de grands services à la France. Depuis son instauration, en janvier 1999, et même dans la période qui a précédé, nous avons connu, sur le plan mondial, des crises financières : en Asie, en Russie, en Amérique latine, etc. Or notre monnaie est restée impavide et nos taux d'intérêt - même si, à certains moments, on peut regretter qu'ils soient trop élevés - n'ont tout de même pas entravé la croissance, à preuve les chiffres que nous enregistrons depuis quelques années.
Je pense - et je suis tout à fait prêt à en discuter avec M. Loridant s'il en a le loisir - que nous n'aurions pas connu cette stabilité monétaire, en tout cas entre les différents pays de la zone euro, si, par définition, l'euro n'avait pas été institué. Disant cela, je pense à un débat qui prendra sans doute de plus en plus d'ampleur au fur et à mesure que nous allons nous rapprocher du 1er janvier 2002 : quand on entend parler de l'euro, ce sont toujours les mêmes termes qui reviennent - faiblesse, diminution, menace - mais on fait alors exclusivement allusion à la valeur externe de cette monnaie et à son cours par rapport au dollar.
Je ne dis pas que c'est sans importance, mais, pour ce qui nous intéresse plus directement, c'est-à-dire le pouvoir d'achat des Français, nous ne devons pas laisser s'accréditer l'illusion que, parce que le cours de l'euro aurait diminué depuis quelques semaines, cela menacerait le pouvoir d'achat des Français par rapport à une situation irénique où ils se seraient trouvés si l'euro n'avait pas existé et que nous étions resté en francs.
Songeons tout de même que 90 % de nos échanges se font avec nos voisins européens, qui sont nos partenaires dans l'euro ! De ce point de vue, qu'il s'agisse des entreprises ou des particuliers, la stabilité absolue existe désormais, avec des effets très positifs.
Même si je ne pense pas convaincre M. Loridant sur ce point, je voulais tout de même lui dire à quel point l'euro est une décision utile, même si, bien évidemment, dans le fonctionnement même du système, de grands progrès restent à accomplir. En tout cas, je suis à sa disposition pour en discuter.
M. Laffitte et M. Trégouët sont intervenus essentiellement sur l'UMTS. Peut-être puis-je leur répondre d'un mot en disant qu'au moment où nous avons opéré le choix de la procédure d'attribution des licences detroisième génération et, en liaison avec l'Autorité de régulation des télécommunications, fixé les montants, je crois me rappeler - je suis même sûr de me rappeler - que certains nous reprochaient plutôt la faiblesse des montants envisagés.
Certains nous disaient : « Ah ! que n'avez-vous choisi les enchères à la britannique ou à l'allemande ! » D'autres répondaient : « Les enchères ne sont pas la meilleure méthode et, s'il s'agit de mettre ultérieurement les entreprises sur le flanc pour encaisser dans un premier temps un gain plus important, à terme, c'est l'usager qui paiera. »
Il y avait donc deux critiques de sens contraire, comme c'est souvent le cas en politique, vous le savez très bien. Les uns disaient : c'est trop ; les autres rétorquaient : ce n'est pas assez.
Compte tenu du déroulement des enchères tel que nous avons pu l'observer dans d'autres pays, je pense que nous avons eu plutôt raison de ne pas nous lancer dans ce que Molière aurait appelé une galère.
La procédure que nous avons retenue me semble être conforme aux intérêts des usagers - et c'est ce qui compte d'abord - sans être contraire aux intérêts des entreprises. Au demeurant, elle n'est pas achevée : maintenant, des propositions vont être présentées, et l'Autorité de régulation des télécommunications se prononcera.
Même si, je le constate, MM. Laffitte et Trégouët n'ont pas exactement la même position sur ce point, ils m'ont tous deux demandé si les conditions d'attribution permettront d'assurer une desserte équilibrée de tout le territoire.
Pour en avoir longuement discuté avec le président de l'ART, pour connaître sa position sur ce point, pour avoir écouté vos collègues de l'Assemblée nationale, pour vous avoir entendus cet après-midi - et ce que vous avez dit sur ce point est extrêmement important - je suis convaincu que ce critère de l'aménagement du territoire sera au centre des décisions qui seront prises. Pour ma part, je considère en effet, je le répète, que ce critère est extrêmement important, parce qu'il ne s'agit pas d'avoir une France à deux vitesses avec, d'un côté, les plus grandes villes bien desservies et, de l'autre, les campagnes qui ne le seraient pas.
M. Michel Moreigne. Très bien !
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. M. Puech est intervenu sur plusieurs sujets, en particulier pour dire que l'exclusion lui semblait s'accroître dans le pays.
Je serai plus nuancé. Le fait qu'il y ait près d'un million de chômeurs en moins dans le pays signifie qu'il y a moins d'exclusion mais, en même temps - c'est là que M. Puech a sans doute raison ce n'est pas parce qu'il y a plus d'emplois que, pour autant, l'exclusion a disparu. En effet, beaucoup de Françaises et de Français sont encore sans emploi et, même parmi ceux qui travaillent, certains le font dans des conditions telles que l'on parle de « travailleurs pauvres », et ce n'est pas là une formule en l'air.
M. Puech a été assez critique sur les baisses d'impôts, qui ne trouveraient pas, selon lui, de traduction concrète. Je vérifierai volontiers ce qui se passe dans son département de l'Aveyron et dans sa région.
Les Aveyronnais doivent être en train de recevoir leur avis de taxe d'habitation ; il m'étonnerait - s'il a une indication contraire, il me la donnera - qu'ils ne bénéficient pas des baisses de taxe d'habitation dont bénéficient des millions d'autres Français ! Par ailleurs, même si l'on se plaint parfois des routes dans l'Aveyron, il y a tout de même, dans ce département, pas mal d'automobilistes, et ceux-ci n'auront pas à payer la vignette. Enfin, il y a aussi en Aveyron pas mal de gens qui paient l'impôt sur le revenu.
Si l'on peut estimer que tout cela est insuffisant, il y a tout de même un mouvement positif en matière de baisse d'impôt.
M. de Villepin a parlé des difficultés de l'euro et de la nécessité d'une plus grande coordination économique. Sur ce dernier point, il sait bien, puisque nous en avons souvent parlé, que je suis l'un de ceux qui soutiennent le mouvement en ce sens. Ce n'est pas facile, car on oublie souvent, quand on parle de l'Europe - ce n'est pas le cas de M. de Villepin - que, par définition, la France ne peut pas décider toute seule. C'est un peu dommage, mais c'est la loi du genre ! (Sourires.)
Il faut donc, lorsque nous prenons des initiatives, qu'elles soient soutenues par les autres partenaires, et certains sont beaucoup moins allants que nous sur ce sujet, il le sait bien.
M. de Villepin - c'est un trait commun avec bien d'autres orateurs - a fait une description très élogieuse de la situation allemande en matière de finances publiques, de déficit, de fiscalité, etc. Je ne tiendrai évidemment aucun propos critique à cet égard, compte tenu des liens d'amitié qui m'unissent à mon ami Hans Eichel, qui me disait d'ailleurs que, lorsqu'il va devant le Parlement allemand, nombre d'élus, en particulier au sein de la gauche, lui disent : « Ah ! si vous pouviez faire comme en France ! » (Sourires.)
M. Josselin de Rohan. Il s'en garde bien !
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Bon !... On sait bien qu'il y a une espèce de tradition selon laquelle les bons socialistes sont ceux des autres ! (Sourires.)
J'ajoute que, quand on considère - comme vous l'avez certainement fait avec précision - l'évolution des finances publiques en Allemagne, on constate que, si des efforts ont bien été accomplis, il y aura néanmoins, l'année prochaine, une dégradation du solde public...
M. Michel Charasse. Absolument !
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... qui passera, si ma mémoire est exacte, de moins 1 % à moins 1,5 %. L'Allemagne s'en est expliquée. Mais on ne peut pas, d'un côté, dire - comme c'est mon cas - que notre objectif, c'est la réduction des déficits et faire de l'autre, dire qu'il faut comme l'Allemagne, où l'on constate, pour l'accepter d'ailleurs, une dégradation l'année prochaine.
Quant au plan Schroder-Eichel en matière d'impôt, plusieurs d'entre vous ont estimé qu'il était exemplaire. Je ne porterai pas de jugement. Il est certainement très intéressant. Mais si l'on compare simplement les montants - ils portent sur sept ans en Allemagne et sur trois ans plus cette année, c'est-à-dire quatre ans, chez nous -, on constate qu'ils sont, annuellement, plus importants en France.
S'agissant de la répartition entre les ménages et les entreprises, je me souviens avoir entendu tel ou tel responsable du MEDEF dire qu'en Allemagne, pour les entreprises, c'était magnifique. J'ai étudié de très près la question : il y a, certes, des baisses de taux, mais qui sont compensées par des extensions d'assiette.
Par ailleurs, en Allemagne les personnes privées ne bénéficient pas de l'abattement de 20 %. Quand on entend parler du taux marginal de 42 %, il faut donc corriger.
Ce qui se passe en Allemagne doit être suivi avec beaucoup d'intérêt, d'autant que c'est notre premier fournisseur et notre premier client, et que c'est le plus grand pays d'Europe. Et si, quand c'est positif, il faut le constater, ce n'est pas parce que ce serait positif en Allemagne que ce serait négatif en France.
Comme je sais, monsieur de Villepin, que vous n'êtes pas suspect de préférer tel autre pays au nôtre (rires) , je voulais vous dire cela gentiment, en vous incitant à regarder la réalité économique telle qu'elle est.
M. Sergent a fait preuve de beaucoup de précision, de talent, de force de conviction. Je serais d'ailleurs heureux qu'il me remette le texte de son intervention ; je l'enverrais volontiers aux maires de mon département, comme d'autres le feront peut-être dans le leur.
M. Sergent a dit qu'il soutenait, bien sûr, ce projet de budget et il a fait valoir qu'en matière de collectivités locales un effort important était fait. Peut-être aurait-on pu penser, bien sûr, à tel ou tel autre complément, mais, par rapport à des budgets que nous avons connus, singulièrement dans la période précédant 1997, il y a un mieux, qui se traduit évidemment par une certaine dépense.
Les maires, qui sont des personnes justes et dotées du sens commun, verront bien qu'un effort est fait, même s'il y a encore beaucoup de progrès à accomplir, notamment sur le plan de la fiscalité locale, chantier que M. le Premier ministre m'a demandé de regarder de près, avec le ministre de l'intérieur.
M. Foucaud, qui est mon « pays » (sourires) , est intervenu avec beaucoup de force. Il a évoqué, en particulier, les questions de fiscalité, de TVA, d'impôt sur les sociétés, de déficit.
S'agissant de la TVA, je lui rappelle, car il sait très bien tout cela, que nous avons, en 2000, opéré deux mouvements. Nous avons, d'abord, diminué la TVA d'un point, ce qui représente, si ma mémoire est exacte, 31 milliards de francs. Nous avons par ailleurs décidé - je crois que c'était extrêmement utile - de faire passer la TVA sur les travaux dans les habitations de 19,6 % à 5,5 %.
Ces deux mouvements cumulés représentent 60 milliards de francs, c'est-à-dire, à 1 milliard près - en plus ! -, l'équivalent de l'augmentation de deux points de TVA que M. Madelin, qui désormais poursuit d'autres ambitions et qui plaide pour la baisse des impôts, avait décidée. (Sourires.) Autre temps, autre pratique ! Enfin, mettons le manteau de Noé sur tout cela !
M. Michel Charasse. C'est le devoir de mémoire !
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Oui, c'est cela ! En tout cas, nous avons en quelque sorte supprimé l'augmentation de 60 milliards de francs décidée par le gouvernement précédent.
M. Foucaud s'est demandé s'il n'aurait pas fallu agir sur la TVA plutôt que sur la fiscalité directe. Nous en avons beaucoup discuté au sein du Gouvernement. Les masses disponibles n'étant pas infinies, nous avons pensé qu'il fallait, cette année et l'année prochaine, centrer notre action sur l'impôt direct et les cotisations, parce qu'il y avait nombre d'abus à réduire dans ce domaine.
Je suis sûr que M. Foucaud apprécie la mesure qui a été prise concernant la CSG, comme celle qui porte sur l'impôt sur le revenu pour les petits et moyens contribuables, même si je le sens plus réservé en ce qui concerne les tranches les plus hautes du barème. (Sourires.)
En fait, je crois que les mesures touchant la TVA - nous devons y réfléchir, et je suis à votre disposition, monsieur Foucaud, ainsi que mon administration, pour ce faire - sont intéressantes lorsqu'elles sont ciblées.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Nous vous présenterons des mesures ciblées, monsieur le ministre ! (Rires.)
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je n'en doute pas !
Lorsque les mesures sont générales, elles risquent de se perdre un peu dans les sables.
En ce qui concerne les mesures ciblées, il faut, bien sûr - c'est là notre triste lot, à vous, spécialistes des finances, à moi, qui essaie de le devenir (Sourires) - faire les additions, savoir quelle est la dépense, quelle est la recette - mais cela, nous connaissons ! - afin que tout soit en équilibre.
Il en va de même que pour les collectivités locales, monsieur Foucaud, vous qui êtes très précis lorsqu'il s'agit de votre propre ville. Ce qui vaut au niveau local n'est pas très différent, vous le savez, de ce qui vaut au niveau national.
En tout cas, j'ai été très attentif à vos propos, à votre soutien comme à vos réserves sur plusieurs points, comme c'est évidemment normal dans notre majorité plurielle.
Vous avez insisté sur ce que vous avez appelé « les contreparties des impôts ». C'est un langage qui doit être tenu.
Le Gouvernement souhaite qu'il y ait une réduction parce que, structurellement, les impôts sont devenus lourds en France. Mais il faut mieux expliquer - trop souvent, nous ne le faisons pas - à quoi servent les impôts, car ce qui choque les Français ce n'est pas seulement le poids des impôts, c'est aussi l'impression qu'ils ont que ces impôts vont dans un puits sans fond. Il faut savoir qu'il y a en face des éducateurs, des infirmières, des policiers, etc.
Je pense que la Haute Assemblée sera attentive à ce rôle pédagogique vis-à-vis de l'impôt, la pédagogie étant évidemment le contraire de la démagogie.
M. Paul Girod est intervenu sur plusieurs sujets, mais notamment sur les déficits et sur la réforme des collectivités locales. Je lui confirme qu'il devrait y avoir, en 2001, une réduction du déficit par rapport à 2000. Je confirme aussi que nous sommes tout à fait déterminés à aller vers la réforme des collectivités locales.
M. du Luart nous a mis en garde contre le déficit. Il a dit que le taux de croissance de 3 % lui paraissait assez difficile à atteindre. J'espère que ses réserves seront levées par les faits.
Il a fait - c'est un point commun avec M. Charasse - une comparaison audacieuse avec le prion.
M. Roland du Luart. Ce n'était pas concerté !
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. D'ailleurs, s'il a utilisé plusieurs fois le substantif, il a aussi, de temps en temps, utilisé le verbe conjugué.
En tout cas, si M. du Luart pense que nous bénéficions de la croissance sans efforts, je n'aurai pas de mal à le persuader du contraire, en disant que ce sont tout de même les efforts faits par les Français qui expliquent que nous soyons parmi ceux qui sont en tête de la croissance en Europe depuis maintenant quelques années.
Evidemment, si nous voulons continuer, il faut que nous maintenions un certain nombre de règles, que nous ne nous laissions pas aller à je ne sais quelles dérives que le Gouvernement ne souhaite pas.
M. du Luart, au début de son propos, a parlé, me semble-t-il, des armées.
M. Roland du Luart. En effet !
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je suis sûr que, lorsque nous discuterons du budget de la défense, il sera attentif au fait que, si la défense doit recevoir les moyens nécessaires, dans le même temps, elle représente un élément non négligeable dans l'addition d'ensemble. Mais il le sait bien.
M. Durand-Chastel est intervenu sur bien des sujets : les collectivités locales, les sports, les affaires étrangères, etc.
Sur les collectivités locales, je n'ai rien à ajouter à ce que j'ai dit tout à l'heure, si ce n'est pour relever - mais je reconnais que, cet après-midi, il a été l'un des seuls à se livrer à cet exercice - qu'au début de son propos il a critiqué l'excès de dépenses et qu'il a ensuite proposé d'augmenter ces mêmes dépenses.
C'était vrai pour le budget de la jeunesse et des sports, c'était vrai pour le budget des affaires étrangères. Je pensais en écoutant M. de Rohan demander que je sois « libéré », que M. Durand-Chastel offrait en définitive une image assez proche de ce que certains d'entre nous feraient s'ils étaient « libérés » ! (Sourires.)
M. Arthuis a insisté, et je l'en remercie, sur l'ordonnance du 2 janvier 1959, sur la question de l'éducation, sur la difficulté de l'exercice budgétaire, difficulté qu'il connaît bien pour l'avoir pratiquée.
Il nous a dit, et je pense que la formule était sévère, voire injuste, que la France était le mauvais élève de l'Europe. Elle l'était assurément en 1997 puisque vous vous rappelez très bien que la France était la dernière de la zone euro et qu'elle ne s'est qualifiée à l'euro que grâce à la fameuse soulte de France Télécom, sujet que M. Arthuis connaît mieux que moi. (Sourires.)
Je voudrais lui dire, toujours par référence à cette comparaison franco-allemande, qu'en 2001 il est prévu que notre déficit s'élève à 1 % du PIB ; il sera de 1,5 % en Allemagne.
En ce qui concerne la progression de la dette - il connaît les chiffres comme moi - de 1993 à 1997, le poids de la dette publique est passé de 40 % à 60 % du produit intérieur brut, et de 1998 à 2001, il est passé de 60 % à 57 %. Mais je sais l'attention que porte M. Arthuis à toutes ces questions et je serais heureux qu'il nous apporte son soutien lorsque nous réviserons l'ordonnance de 1959.
M. de Rohan est intervenu en particulier pour nous dire que, finalement, l'Allemagne était mieux gérée que la France. Je transmettrai ce compliment à mes amis socio-démocrates. Si les Allemands font de gros efforts, la France en fait aussi.
Il a évoqué des relations très difficiles entre l'Etat et la sécurité sociale : nous essayons tout de même de lesaméliorer.
M. de Rohan a également relevé une baisse très faible des emplois au ministère de l'économie et des finances. L'engagement a été pris au nom de l'Etat, à la suite des conflits qui ont marqué le ministère de l'économie et des finances et motivé le départ de M. Sautter, d'une stabilité des effectifs...
M. Michel Charasse. Cette année !
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... pour l'année 2001, et cet engagement est respecté, comme cela est tout à fait normal.
M. Josselin de Rohan. Hélas ! C'est un mauvaisengagement !
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. M. de Rohan a cité en outre ce qu'il considère être des exemples de gabegie dans le domaine de l'éducation nationale. Il s'agit évidemment de sujets très importants, mais que l'on ne peut traiter rapidement, car je suis sûr que, si nous avions le temps d'examiner ces questions, vous seriez l'un des premiers, monsieur de Rohan, à juger que, dans votre région, votre département ou telle commune que vous connaissez bien, des besoins existent, peut-être même des besoins en personnels supplémentaires. Je pense donc qu'il faut regarder cela avec un esprit d'équité : il existe des ministères où des besoins se font sentir ; il en est d'autres où l'on peut procéder à des réductions d'effectifs. Tel est l'état d'esprit qui nous anime, mais dire d'entrée de jeu que, dans l'éducation nationale, il faudrait procéder avec je ne sais quel sabre - M. de Rohan n'a toutefois pas employé cette expression - me semble injuste.
S'agissant des prélèvements obligatoires, c'est là une notion qu'il faut manier avec prudence, d'un côté comme de l'autre, car elle varie tellement en fonction du rythme de la croissance que l'on a parfois de mauvaises surprises.
Enfin, dans les prévisions que nous avons faites, compte tenu de l'évolution générale de la croissance et des décisions que nous prenons en matière fiscale, on devrait normalement constater une diminution desprélèvements obligatoires. C'est sur cette base que nous travaillons.
J'ai été très sensible, venant de M. de Rohan, à son appel à ma propre libération. Je me sens très libre, monsieur le sénateur, mais j'ai pris cet appel comme un compliment d'autant que je sais d'expérience, comme tous ceux qui siègent dans cet hémicycle, qu'on n'est pas compromis par un seul compliment. (Sourires.)
M. Angels a apporté le soutien de son groupe à cet exercice. Il l'a fait avec beaucoup de précision et en même temps une grande mesure, en défendant, et je lui en sais gré, la nécessité de réduire les déficits et de - j'ai retenu cette formule - « sans cesse penser à la durée ». Je crois qu'il a tout à fait raison. Quand on connaît très bien, comme c'est son cas, les questions financières, on sait qu'une action financière ne se juge que dans la durée. Une année on peut avoir un coup de chance ou un coup de malchance. Le lot des ministres des finances et, d'une façon plus générale, des hommes politiques est de regarder loin devant eux et surtout de ne pas être myopes.
M. Delaneau a dû regagner sa circonscription en raison d'un délicat problème familial : je veux, en cette circonstance, l'assurer de mon amitié.
Il a insisté sur les relations entre l'Etat et la sécurité sociale, sujet qu'il connaît fort bien. Nous avons publié un « jaune » faisant le bilan de ces relations financières et je pense qu'il permet tout de même de bien s'y retrouver.
Enfin, je demanderai à M. le président de la commission des finances et à M. le rapporteur général de ne pas m'en vouloir de leur répondre en dernier, mais ils avaient donné le « la » et nombre de sénateurs ont repris les thèmes de leurs interventions respectives. Mais il ne m'appartient pas de porter un jugement sur le ton utilisé par les uns ou par les autres.
Sur le fond, M. Lambert a insisté sur un certain nombre d'axiomes propres à la gestion des finances publiques dont la nécessité de réduire le déficit. Nous le faisons, peut-être insuffisamment mais en tout cas plus rapidement que nous nous y étions engagés dans le programme pluriannuel 2001-2003.
Même si on peut juger cela insuffisant, nous réduisons tout de même notre déficit depuis 1997 d'une façon linéaire et plus rapidement que nos partenaires européens puisque nous l'avons baissé de 2,7 points entre 1997 et 2001 contre 1,7 point en moyenne dans la zone euro. Nous n'allons pas chicaner sur les chiffres ; j'essaierai de faire en sorte que la tendance se poursuive, car c'est cela qui est important.
Ainsi, en 2001, nous reviendrons dans la moyenne de la zone euro alors que - M. Lambert le sait fort bien - notre besoin de financement en 1997 était le plus dégradé de la zone, hors, bien sûr, la soulte de France Télécom.
M. Lambert s'inquiète du montant de la dette publique, car il pense - c'est un des thèmes sur lesquels il insiste toujours - aux générations futures. Je le rejoins sur ce point : c'est la définition même de la solidarité.
Mais quand on passe aux propositions, évidemment c'est autre chose ! J'ai cru comprendre, monsieur le rapporteur général, que vous nous avez promis des propositions. Très bien, elles seront examinées. Evidemment, pour réduire le déficit, il faut dépenser moins. Si vos propositions sont faisables, nous les examinerons avec grand intérêt.
M. le rapporteur général s'est exprimé avec beaucoup de force, certains diraient de véhémence. Après la première demi-minute de son intervention, il a multiplié les critiques sur ce projet de budget. Ces critiques, il faut les écouter et, à chacune d'entre elles, une réponse peut être apportée.
S'agissant de la situation économique générale, mon cher collègue - je peux vous appeler ainsi puisque nous avons été en classe ensemble ; je peux vous faire cette révélation, mesdames, messieurs les sénateurs. (Marques d'étonnement sur certaines travées.)
M. Serge Vinçon. Ah, nous allons tout savoir !
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Tout à fait ! Il ne vous l'avait pas dit ?...
M. Joël Bourdin. C'est un compromis !
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je ne vous dirai pas tout ! Depuis, il a intégré l'inspection des finances, ce qui tend à montrer qu'il savait faire les additions. Pour ma part, je me suis dirigé vers le Conseil d'Etat. Mais ce n'est pas l'objet de ce débat.
Sur l'appréciation économique, n'oubliez pas, monsieur le rapporteur général, l'évolution du chômage. Certes, et je l'indiquais au début de mon propos, la conjoncture internationale y est pour beaucoup. Mais enfin, on ne peut pas vouer aux gémonies les efforts des Français et tenir pour néant l'action de ce gouvernement. Nous comptions un million de chômeurs de plus il y a trois ans. Il faut en tenir compte. Toute critique, pour être entendue, doit être mesurée.
Sur les déficits, j'ai essayé de montrer, à la fois dans mon exposé à la tribune et dans les réponses que j'ai faites aux différents intervenants, qu'ils se réduisaient. Je serai bien sûr attentif aux propositions de réduction des dépenses que vous formulerez dès lors qu'elles seront praticables et dénuées de toute démagogie.
S'agissant de votre souci de plus de transparence, souci défendu au premier chef par M. Lambert, mais aussi par vos collègues et par mes amis de la majorité plurielle, je souhaite que le travail que vous avez engagé sur l'ordonnance de 1959 nous permette d'aboutir à un texte dès le printemps parce que nous devons penser à ce qui vient après. Si nous arrivons à bien travailler, de premières applications très importantes pourraient être mises en oeuvre dès l'année prochaine. Par conséquent, souvenez-vous, au moment où vous examinerez ce texte, des critiques que vous aurez faites pour essayer de passer à la partie positive.
Je n'ai pas la même vision un peu pessimiste et négative que vous, ni sur la politique ni sur la situation du pays.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je pense que notre pays est un pays puissant, que les orientations qui ont été prises sont des orientations pertinentes, que, même si c'est la loi de la démocratie que tout projet de budget soit soumis à la critique, il faut que cette critique soit mesurée si elle vise à être entendue. J'ai apprécié vos différentes interventions et j'ai essayé d'y répondre, mais, malheureusement, je n'avais qu'une heure pour le faire.
En terminant ce propos, je veux remercier la majorité nationale de son soutien, dire à l'opposition que j'ai entendu ses critiques et que j'ai essayé d'y répondre. Je souhaite que la suite du débat soit de même qualité que les propos que nous avons entendus aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La suite de la discussion du projet de loi de finances est renvoyée à la prochaine séance.

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