SEANCE DU 23 NOVEMBRE 2000
PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président
M. le président.
La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi de finances pour 2001, adopté
par l'Assemblée nationale.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 65 minutes ;
Groupe socialiste, 53 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 39 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 36 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 23 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 20 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe,
9 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Angels.
M. Bernard Angels.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà
maintenant bientôt quatre ans, le Premier ministre fixait les priorités du
Gouvernement, au premier rang desquelles figuraient le retour à l'emploi et une
plus juste répartition des richesses. Aujourd'hui, le bilan est plutôt positif
et, en tout cas, en contradiction flagrante avec les invariables récriminations
de mes collègues de la majorité sénatoriale.
M. Claude Estier.
Très bien !
M. Jean Chérioux.
Ben voyons !
M. Bernard Angels.
De nombreuses réformes ont été concrétisées, de nombreux chantiers sont
ouverts, de nombreuses perspectives seront encore tracées.
A travers une politique budgétaire résolument de gauche, nous avons su, pour
notre pays, allier non seulement les vertus de justice sociale et d'innovation,
mais aussi - et c'était là une nécessité absolue - les valeurs de
responsabilité et de courage.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Ça, c'est bien !
M. Bernard Angels.
Le budget 2001 s'inscrit dans la continuité de cette politique budgétaire qui
a, depuis plus de trois ans, remis la France sur la voie de la croissance.
Il ne sombre ni dans la dilapidation des acquis ou le conservatisme, ni dans
l'utopie ou la gestion à courte vue, ni dans la surenchère ou la résignation.
C'est un budget équilibré, un budget d'équilibre.
Cet équilibre doit s'appuyer sur la croissance, la soutenir, mais aussi et
surtout la faire partager au plus grand nombre.
S'appuyer sur la croissance, c'est profiter de ce socle de crédibilité sur
lequel de nouvelles ambitions collectives peuvent être posées. Aujourd'hui,
notre ambition doit consister non plus à lutter simplement contre le chômage,
mais à aller vers le plein-emploi, non plus seulement à agir contre les
exclusions, mais à s'engager pour une France plus juste, non plus seulement à
respecter les critères de Maastricht, mais à installer un cycle durable de
prospérité en France et en Europe.
Selon les dernières études, la croissance sera comprise en 2001 dans une
fourchette de 3 % à 3,6 %. Ces études montrent aussi que le retour de la
croissance s'est accompagné d'un retour de la confiance.
Aussi, animés par ce renouveau de confiance, les Français ont légitimement le
sentiment qu'ils ont, par leurs efforts passés et leur travail actuel,
contribué à ces résultats. C'est donc tout aussi légitimement qu'ils aspirent à
en retirer les fruits, pour eux-mêmes et pour leurs enfants.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Là, il y a du travail !
M. Bernard Angels.
Nous devons répondre à ces nouvelles attentes par une politique volontaire en
matière d'emploi, de services publics et de justice sociale. Ce doit être le
sens de notre programme de dépenses publiques. Pour autant, notre volonté a
été, depuis 1997, de ne pas dilapider les acquis économiques, de ne pas rompre
la dynamique de notre pays par un laxisme budgétaire, de maintenir un cap
économique qui tienne compte, tout à la fois, des aspirations des Français et
des nécessités de pérennisation de la croissance.
C'est dans cette optique que se situe notre volonté de maîtriser les dépenses
publiques. Cela ne signifie pas nécessairement moins d'Etat ; cela signifie
surtout mieux d'Etat. Nous devons dépasser les aspects dogmatiques de cette
question pour nous attacher à la nécessité de réformer progressivement l'Etat
et ses services, dans la transparence et la concertation.
M. Michel Moreigne.
Très bien !
M. Bernard Angels.
Au-delà de la simple - et parfois simpliste - dichotomie du « plus ou moins
d'Etat », notre action doit avant tout tendre à redonner aux services publics
les moyens de fonctionner de façon moderne, d'assurer la cohésion sociale et
l'égalité de traitement sur l'ensemble du territoire, d'encourager les
initiatives et de soutenir le dynamisme économique. C'est au travers des
services publics dont bénéficie l'ensemble des Françaises et des Français que
nous pourrons assurer la solidarité et mettre en oeuvre les principes d'égalité
et de libertés publiques auxquels nous sommes tous attachés.
Tels sont, en effet, les principes qui doivent nous animer dans la définition
de nos priorités budgétaires, et c'est à l'aune de ces choix - car il est bien
question ici de choix - que se définit l'action du Gouvernement. En finir avec
une gestion à court terme, privilégier la responsabilité et la volonté
politique, tout cela passe encore une fois par des décisions économiques et
budgétairesd'équilibre.
Pour l'année 2001, le Gouvernement a ainsi retenu une progression en volume
des dépenses de 0,3 %. Ce taux me paraît raisonnable dans la mesure où il
répond à nos engagements européens et permet le financement de nos priorités :
l'éducation, dont les crédits s'élèvent à 388 milliards de francs, en
progression de 2,7 %, avec 6 600 créations d'emplois prévues ; la justice, qui
bénéficie d'une augmentation de 3 % débouchant sur la création de plus de 1 500
emplois ; l'environnement, qui augmente de 8 %, avec 324 créations de postes
déconcentrés ; la sécurité, dont les crédits augmentent de 4,9 %, avec 800
postes supplémentaires pour la police nationale et 1000 pour la gendarmerie.
Je ne pense pas que quiconque puisse, dans ces conditions, nous accuser de
brader ou de sacrifier les services publics. Je ne pense pas non plus que
quiconque puisse nous faire le procès du gaspillage ou de la dilapidation.
Encore une fois, l'équilibre est de mise et nous permet, je le crois fermement,
d'améliorer le quotidien des Français sans casser la croissance. Il donne une
nouvelle ambition à notre pays, sans freiner son dynamisme.
Certes, nous sommes désormais dans une phase de croissance, mais les stigmates
de la longue crise que nous avons traversée et la possibilité d'un retournement
de conjoncture ne nous mettent pas à l'abri de nouvelles difficultés. C'est
pourquoi, à l'image de notre choix demaîtrise des dépenses publiques, nous
devons préparer l'avenir et affermir la croissance par des actions résolues en
matière de déficit budgétaire et de dette publique.
Soutenir la croissance, c'est avant tout tenir compte des impératifs de
solidarité et de partage qu'implique notre responsabilité envers nos enfants et
nos petits-enfants. En ce sens, la lutte contre les déficits est une priorité
incontournable, car laisser l'économie vivre en déficit, en crédit renouvelé et
permanent, relève d'une politique égoïste, à courte vue et irresponsable pour
l'avenir.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Les résultats restent imparfaits
!
M. Bernard Angels.
De même, il est nécessaire de réduire de manière forte le service de la dette
pour dégager les marges de manoeuvre nécessaires à la mise en place d'une
politique ambitieuse et moderne.
Sur ce terrain, les résultats sont encore une fois significatifs.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Mais à parfaire !
M. Bernard Angels.
Depuis 1997, le déficit budgétaire aura reculé de près de 100 milliards de
francs, et la dette aura été ramenée de 60 % à 57,2 %.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Parlez en valeurs absolues et
non en pourcentage !
M. Bernard Angels.
Si nous nous accordons tous, je pense, sur les principes que j'ai formulés, en
revanche, monsieur le président, nous divergeons fortement sur la méthode et le
chemin à emprunter. Chaque année, depuis 1997, M. Marini, dans ses rapports,
appelle le Gouvernement à faire « toujours plus et toujours plus vite ».
M. Henri de Raincourt.
Il a raison !
M. Bernard Angels.
Sans ironiser sur la propre capacité de vos amis, monsieur le rapporteur
général, à appliquer cette exhortation lorsqu'ils étaient en fonction,...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Il n'y avait pas de croissance !
M. Bernard Angels.
... je tiens à souligner les risques que comporte une telle attitude.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
On n'avait pas d'argent, pas de « cagnotte » !
M. Bernard Angels.
La politique budgétaire d'un pays est avant tout affaire de pondération, et
agir de la sorte reviendrait purement et simplement à rompre l'équilibre
construit patiemment depuis plus de trois ans et à compromettre par là même
l'ensemble des résultats acquis pendant cette période.
« Le budget ne peut plus être l'addition de moyens, coupés des objectifs
poursuivis par l'action publique et votés sans considération des résultats
obtenus. » Je me permets d'emprunter cette phrase pleine de bon sens au récent
rapport de notre président de la commission des finances, M. Alain Lambert,
tant elle me paraît résumer tout à la fois la pertinence des choix
gouvernementaux et la menace que ferait peser sur notre économie l'application
des injonctions répétées de notre rapporteur général.
Toute la cohérence de notre projet - et sa réussite aussi sans doute - réside,
en effet, dans la fidélité et le respect des priorités et des objectifs que
nous nous sommes fixés dès le début de la législature. A chaque difficulté
rencontrée, d'aucuns n'ont pas manqué de souligner que les choix du
Gouvernement n'étaient pas les bons et que nous faisions preuve d'un optimisme
béat devant le retour de la croissance. A chaque fois, nous avons répété que,
si un taux de croissance ne se décrétait pas, il ne fallait pas réduire pour
autant la politique économique à l'impuissance. La continuité et le respect de
nos engagements, telle est la méthode que nous nous sommes donnée et elle
semble porter ses fruits. Nous continuerons donc à l'appliquer pour renforcer
notre économie, lui donner encore plus de vitalité, libérer les énergies et
favoriser les initiatives. C'est la seule voie possible, à mon sens, pour
réussir ce pari que nous nous sommes fixé : une société de travail pour tous,
plus juste et où chacun bénéficierait des fruits de la croissance retrouvée.
Car, outre le fait de s'appuyer sur la croissance et de la soutenir,
l'équilibre budgétaire que nous mettons en place, loi de finances après loi de
finances, doit avoir pour ambition de faire partager la croissance.
Faire partager la croissance, c'est aussi bien poursuivre notre action pour
l'emploi, privilégier la participation de tous à la création de la richesse que
valoriser le pouvoir d'achat des Français.
La lutte contre le chômage est bien engagée, mais elle n'est pas encore
gagnée. Nous ne nous situons pas sur une pente naturelle de décrue du chômage
où nous pourrions nous laisser glisser jusqu'au plein emploi. Nous devons, au
contraire, nous battre, jour après jour, pour faire reculer ce fléau social et
ne pas nous satisfaire, comme je l'ai entendu dire ici ou là, d'un chômage
structurel à 8 % ou 9 %.
Notre ambition, je le répète, c'est le plein emploi et c'est ce vers quoi nous
allons mobiliser toutes les énergies. D'ores et déjà, plus de 1 300 000 emplois
ont été créés depuis juin 1997 et il est prévu que 900 000 emplois
supplémentaires seront créés entre 2000 et 2001.
Ainsi, 800 000 personnes sont sorties du chômage ; en outre, nous avons
accueilli 500 000 actifs supplémentaires. Le dynamisme de notre économie,
renforcé par le plan emplois-jeunes, la réduction du temps de travail et la
modernisation de notre appareil industriel nous a permis de remporter ces
premières batailles contre l'inactivité. La route reste longue, surtout pour
ceux qui sont encore sur le bord du chemin, et nous devons multiplier nos
efforts pour offrir aux 2 millions de Françaises et de Français encore en
recherche d'emploi une place dans la communauté du travail.
La réforme de notre système de formation professionnelle, la validation des
acquis d'expérience professionnelle, la recherche constante d'une meilleure
qualité de l'emploi et d'une plus grande protection des travailleurs sont
autant de chantiers qu'il nous faut poursuivre.
En donnant la priorité à la création massive d'emplois, nous avons changé le
rythme de la croissance économique, mais nous avons aussi changé sa nature et
la répartition de ses résultats. La participation croissante de tous les
acteurs de notre économie à la création de richesses a profondément modifié la
répartition de la progression du revenu entre activité et capital. De 1994 à
1996, revenus du travail et du capital progressaient faiblement, à concurrence
de 1,1 % par an environ. Depuis 1998, le revenu des ménages a augmenté de 2,8 %
par an et, de plus, le partage de cette richesse supplémentaire a largement
profité aux revenus du travail, pour plus de 80 %.
Nous avons donc engagé un véritable renversement de logique, tant au plan
économique, puisque la croissance est tirée vers le haut par la consommation et
l'emploi, qu'au plan social, puisque le partage de la richesse se fait
désormais au profit des travailleurs, qu'au plan politique enfin, car ce
nouveau partage n'est pas sans conséquence sur le rapport de forces sur le
marché du travail et, au-delà, dans la société.
A une croissance faible et mal distribuée a succédé une croissance plus forte
et plus juste. Il nous faut poursuivre en ce sens sans jamais opposer emploi et
pouvoir d'achat. C'est cette évolution que les choix budgétaires et fiscaux du
Gouvernement pour 2001 se proposent de prolonger et d'amplifier.
Je ne détaillerai pas l'ensemble des mesures fiscales qui ont déjà été
exposées avec clarté par M. le ministre des finances, je me bornerai à vous
présenter simplement les raisons qui justifient, à mon sens, de telles
mesures.
Tout d'abord, la baisse des prélèvements obligatoires était nécessaire car, à
l'évidence, leur niveau était élevé.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Ah oui, alors !
M. Bernard Angels.
Pour autant, elle ne pouvait s'effectuer en portant préjudice aux services
publics ou en négligeant la nécessaire redistribution des richesses dont la
croissance nous ouvre la perspective. Il semble clair que les mesures fiscales
proposées ont évité cet écueil.
Ensuite, cette baisse était nécessaire pour la simple et bonne raison que nous
nous y étions engagés. En cela, l'attitude de la majorité n'a pas varié du
précepte énoncé par Lionel Jospin en 1997 : « Faire ce que l'on dit et dire ce
que l'on fait ».
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Très bien !
M. Bernard Angels.
En outre, les résultats de notre politique économique nous permettaient -
j'irai plus loin - nous obligeaient à redistribuer les fruits de la croissance
retrouvée.
Ainsi ces mesures fiscales, de par leurs cibles, servent-elles l'emploi et
bénéficient-elles en premier lieu aux ménages, aux salariés et aux petites
entreprises.
Enfin, face au renchérissement des cours du pétrole, ces propositions se
présentent comme des mesures contracycliques pertinentes et comme de nouveaux
outils propres à réinjecter des revenus dans le circuit économique.
Mes chers collègues, je souhaiterais enfin profiter de cette discussion pour
élargir le débat fiscal à l'échelon européen.
A quelques jours du sommet européen de Nice, je souhaite plaider une fois
encore pour une harmonisation fiscale accélérée. Il nous faut répondre avec la
plus grande vigueur aux menaces de délocalisation, de dumping fiscal,
d'appauvrissement de nos services publics dont nous sommes en droit de vouloir
nous prémunir à l'avenir.
(M. Jean Arthuis applaudit.)
Les Etats membres, sur l'initiative de la France, ont effectué des
propositions fort intéressantes pour lutter contre les paradis fiscaux et le
blanchiment d'argent sale, propositions qu'il convient de saluer.
Des efforts ont également été entrepris pour lever les blocages quant à
l'harmonisation commune sur l'imposition à la source des produits d'épargne ou
sur l'échange d'informations fiscales.
Pour autant, les résistances sont encore bien réelles et les avancées trop
lentes au regard des enjeux.
Je souhaite, pour ma part, que des réponses institutionnelles puissent
rapidement être trouvées en matière de vote à la majorité qualifiée et de
coopérations renforcées. Ces réformes permettraient sans conteste d'accélérer
la construction de l'Europe au service de la croissance et du plein emploi.
Monsieur le ministre, je connais votre attachement comme celui du Gouvernement
à tous les dossiers que j'ai évoqués. Je ne doute pas que vous poursuivrez le
travail déjà entrepris pour respecter les engagements que nous avons
collectivement pris devant les Français. Ce budget d'équilibre en est une
preuve évidente, c'est pourquoi vous pourrez compter sur le total soutien du
groupe socialiste tout au long de sa discussion.
(Applaudissements sur les travées socialistes. - Mme Luc applaudit
également.)
M. le président.
La parole est à M. de Rohan.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Josselin de Rohan.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « un taux de
dépenses de l'Etat plus bas n'est pas le signe d'un retrait de l'Etat, d'un
Etat faible.
« L'Etat doit se concentrer sur ce qu'il a à résoudre de manière obligatoire.
Nous savons que bien des choses peuvent être réalisées bien, voire mieux sans
l'Etat. Là où l'individu peut s'aider lui-même, une aide de l'Etat n'est pas
absolument nécessaire.
« L'excédent du PIB sera pour les deux tiers consacré à des investissements
pour le futur, le dernier tiers à la baisse des prélèvements obligatoires. Les
dépenses de l'Etat devront à l'avenir croître deux fois moins vite que le PIB.
»
Ces propos comme ces engagements ne sont, hélas ! pas ceux du gouvernement
français, ce sont ceux du ministre allemand des finances. On voit par là même
qu'il y a deux manières d'être socialiste et deux manières de gérer en deçà et
au-delà du Rhin...
Pour ce qui est de la conduite des finances publiques, nous regrettons de ne
pas être sur la bonne rive !
Pourtant, les premières déclarations de M. le ministre de l'économie et des
finances étaient prometteuses : « Il s'agit de substituer à une logique de
dépenses une logique de résultats. Il s'agit que l'administration rompe avec
une logique du toujours plus et qu'elle soit rendue sans cesse plus attentive à
l'efficacité de son action. » Vous voyez que j'ai de bons auteurs, mes chers
collègues !
Je souhaiterais, bien entendu, que ce que l'on disait quand on était à
l'Assemblée nationale se traduise dans les faits une fois que l'on est au
pouvoir. Mais, est-ce qu'un socialiste ministre fait un ministre socialiste, ou
inversement, comme disait Bismarck ? Nous verrons.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Excellentequestion !
M. Claude Estier.
Et au RPR, comment cela se passe-t-il ?
M. Josselin de Rohan.
La dérive constatée à l'occasion de la présentation du collectif budgétaire
d'automne est de mauvais augure, puisqu'on annonce un déficit de 209 milliards
de francs, en hausse de 3 milliards de francs par rapport à celui de 1999 ; on
est loin des 185 milliards de francs prévus avant l'été, et ce malgré des
recettes fiscales en forte croissance !
D'ores et déjà, une hypothèque lourde pèse sur nos capacités à respecter nos
engagements européens, à savoir de limiter la hausse annuelle des dépenses à 1
% en francs constants de 2001 à 2003, soit 0,3 % par an.
En 1998, le Gouvernement annonce une stabilité de la dépense en volume ; le
résultat est une hausse de 3 %. En 1999, l'annonce est de 1 % de hausse, la
réalisation de 2,8 %. Comment, dans ces conditions, peut-on croire à l'annonce
d'une croissance zéro des dépenses publiques cette année et à celle d'une
légère progression de 0,3 % l'an prochain ?
En effet, en débudgétisant certaines dépenses de nature sociale, on ne diminue
pas les dépenses, on ne fait que les déplacer. Ainsi, le FOREC voit ses charges
passer de 67 milliards de francs à 85 milliards de francs en 2001. Ainsi, les
organismes de sécurité sociale devront assumer le poids des allégements de la
CSG et de la CRDS pour les bas salaires consentis par l'Etat.
Dans tous les cas, ces manipulations, qui conduisent à accroître la dépense
publique d'une année sur l'autre de 4,61 % et non de 0,31 %, ne trompent pas
les autorités communautaires, qui s'inquiètent de notre volonté d'assumer nos
engagements.
Pour les laudateurs de la dépense publique, son seul caractère public suffit à
la parer de toutes les vertus. Pour ses détracteurs, c'est cette spécificité
qui est la source de tous les maux. En fait, la dépense publique doit être
examinée à l'aune des mêmes exigences de transparence et d'efficacité que les
dépenses des entreprises, chacune l'étant selon ses objectifs propres.
Avec plus de 52 points de son PIB consacrés à la dépense publique, la France
reste le mauvais élève de la classe Union européenne et de la classe OCDE.
L'écart s'accentue par rapport à nos partenaires lorsque l'on prend en compte
la dépense publique hors charge de la dette. Si nos finances publiques étaient
gérées comme celles de l'Allemagne, notre dépense publique serait inférieure de
500 milliards de francs. Par rapport à l'Italie, ce chiffre passerait à 635
milliards de francs. Pourquoi ce qui est possible chez nos partenaires est-il
irréalisable chez nous ?
M. Xavier de Villepin.
Très bien !
M. Josselin de Rohan.
Nos partenaires ont, dans l'ensemble, concentré leurs efforts sur les deux
postes les plus importants de la dépense : la charge des prestations sociales
et la rémunération des agents publics. Ces efforts se sont manifestés par des
réformes de structure et des méthodes de gestion des dépenses qui ont permis à
la fois de mieux maîtriser leur utilisation et d'assurer une plus grande
transparence.
Inspirons-nous de la sagesse de ces Etats !
Il est regrettable que nos concitoyens ne soient pas informés qu'il existe des
alternatives crédibles et efficaces au modèle français de service public.
M. Xavier de Villepin.
Très juste !
M. Josselin de Rohan.
C'est bien l'Etat qui est à l'origine du dérapage de la dépense publique :
alors que les dépenses de la fonction publique représentent plus de 42 % du
budget général, elles continuent de progresser chaque année.
Au 30 septembre 2000, dernier état budgétaire disponible, les rémunérations,
pensions et charges sociales s'établissaient à 438,5 milliards de francs,
contre 424,9 milliards de francs un an plus tôt et 411,1 milliards de francs en
1998. En un an, la progression est donc de 3,2 % et s'accentue par rapport au
mois d'août.
Dans le dossier des négociations salariales dans la fonction publique,
l'arbitrage prononcé par le Premier ministre en faveur du ministre en charge de
ce secteur, contre votre avis, monsieur le ministre, et contre la rigueur
budgétaire bien opportune que vous prôniez, a de quoi inquiéter en termes
d'évolution des dépenses jusqu'en 2002. Le Gouvernement s'est en effet engagé à
ce que la valeur du point d'indice ne soit pas inférieure à l'inflation sur les
années 2000, 2001 et 2002. Pour la seule année 2000, il s'agit de 3 milliards
de francs. Pour l'an prochain, ce sont 8 milliards de francs qui seront
nécessaires. A l'examen des documents budgétaires, on constate que seuls 3,2
milliards de francs ont été provisionnés au titre de 2000 et de 2001, comme le
soulignait M. le rapporteur général ce matin.
Mauvais employeur, l'Etat est incapable de gérer correctement ses ressources
humaines.
Que dire de l'insincérité croissante de l'évaluation des effectifs budgétaires
opérée dans la loi de finances ? Les transformations d'emplois en crédits de
vacation, les missions permanentes confiées à des emplois-jeunes et la pratique
des « surnombres » sont autant de cas où le Parlement se voit dépossédé de son
droit d'information budgétaire et de son pouvoir d'autorisation préalable à
toute création d'emploi public.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Tout à fait !
M. Josselin de Rohan.
Pis, le ministre de la fonction publique déclarait il y a peu que l'Etat ne
connaissait pas le nombre de ses fonctionnaires !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Quel aveu !
M. Josselin de Rohan.
Néanmoins, les documents budgétaires récapitulant les effectifs nouveaux
autorisés en 2001 recensent la création de deux emplois au ministère de la
culture et la suppression de deux emplois au ministère des finances, alors même
que l'Etat reconnaît qu'il ignore le nombre de ses fonctionnaires à l'unité
près. En outre, cette suppression de deux emplois au ministère des finances en
dit long sur la volonté réelle du Gouvernement d'entreprendre une véritable
réforme de l'administration des finances !
Le nombre de fonctionnaires ne cesse de progresser. Ainsi, chaque fois que la
population d'âge actif a augmenté de 100 dans les pays du G7, pris dans leur
ensemble, on a assisté à la création de 68 emplois privés, de 11 emplois
publics, ainsi qu'à l'apparition de 18 chômeurs et de 3 inactifs. En Allemagne,
ces chiffres s'élèvent respectivement à 32, 10, 34 et 24. La France, quant à
elle, a détruit 18 emplois privés mais créé 27 emplois publics, 45 chômeurs et
46 inactifs.
Dispendieuse, la politique de la fonction publique menée par le Gouvernement
n'est, de surcroît, guère cohérente. Depuis trois ans, on affichait le maintien
des effectifs à leur niveau et la volonté d'utiliser la voie des
redéploiements. Or, pour 2001, le Gouvernement programme une vaste campagne de
recrutements dans la fonction publique. Ces recrutements sont justifiés par la
nécessité d'améliorer la qualité du service public. Pourtant, c'est bien cette
amélioration qui engendre des gains de productivité, seuls à même de permettre
une réduction des effectifs.
Près des deux tiers des 10 112 emplois créés en 2001 le seront dans
l'éducation nationale, alors que le nombre d'élèves diminue chaque année !
Que dire des 263 000 emplois-jeunes qui, à deux ans de l'expiration de leur
contrat, ne savent toujours pas de quoi leur avenir sera fait ? Notons que,
avant de répondre à cette question capitale en termes de finances publiques, le
Gouvernement s'est fixé pour objectif les 350 000 emplois-jeunes d'ici à la fin
de 2001. Leur avenir passe, semble-t-il, par une titularisation dans la
fonction publique, après pérennisation de leurs emplois, pour un coût estimé en
2001 à 37 milliards de francs à l'issue de tous les recrutements.
La ressource humaine est la ressource la plus gâchée par l'Etat. Le risque est
majeur d'en voir les conséquences dans la qualité des services rendus aux
usagers des services publics.
Face à ces dérapages de la dépense publique, nous proposons, depuis plusieurs
années, qu'elle soit stabilisée et réduite. Immanquablement, face à une telle
proposition, la réaction du Gouvernement est double.
D'abord, réduire le nombre des agents publics nuirait, dit-il, à la qualité du
service. Mais le coût n'est pas forcément synonyme de qualité. Pourquoi
l'éducation nationale, par exemple, refuse-t-elle la publication des
différences constatées entre établissements scolaires dans l'amélioration
moyenne du niveau des élèves au cours de la scolarité, afin de mesurer la
qualité du travail ? Les « géniteurs d'apprenants », puisque c'est ainsi qu'on
appelle les parents d'élèves, doivent-ils être maintenus dans l'ignorance de la
seule information qui vaille : le rapport entre le taux d'encadrement des
élèves et l'efficacité de l'enseignement que ceux-ci reçoivent ?
Ensuite, le Gouvernement nous met au défi de choisir les secteurs dans
lesquels on pourrait réaliser des économies. Or il existe plusieurs « viviers »
où des réductions d'effectifs ou le non-remplacement des départs à la retraite
peuvent être décidés sans remettre en cause la qualité du service.
Tel est le cas de l'éducation nationale. Selon la commission d'enquête du
Sénat sur les personnels de l'éducation nationale, 50 000 agents décomptés en
tant qu'enseignants ne voient jamais un élève.
M. Martial Taugourdeau.
Qu'est-ce qu'ils font ?
M. Josselin de Rohan.
Or ces 50 000 personnes représentent les besoins de la totalité des
établissements scolaires - maternelles, établissements primaires et secondaires
- de huit départements, absences de courte et moyenne durée comprises. Cela
représente une académie !
Bien qu'on enregistre en trois ans 190 000 élèves en moins dans nos écoles,
les emplois budgétaires de l'enseignement scolaire sont passés de 941 075 -
compte tenu de la politique de réduction lancée par le Gouvernement d'Alain
Juppé - à 945 140, soit une progression de 4 174 unités. Les effets de la
politique menée en 1995-1997 ont donc été effacés.
Prenons maintenant l'exemple de l'agriculture.
Le nombre d'agents du ministère de l'agriculture se situe peu ou prou aux
alentours de 30 000 depuis le début des années quatre-vingt-dix, alors que la
population active agricole s'est réduite de près de 40 %, soit un fonctionnaire
pour cinquante agriculteurs au début des années quatre-vingt-dix pour un
fonctionnaire pour trente agriculteurs à la fin de cette décennie.
M. Roland du Luart.
Ce sera bientôt un pour dix !
M. Josselin de Rohan.
Des sommes se chiffrant en milliards de francs sont affectées chaque année
sous forme de crédits d'équipement informatique ou à l'amélioration des moyens
de télécommunication. Quelle est l'incidence de ces sommes sur la productivité
des services administratifs ? Se traduit-elle par une diminution de leurs
effectifs, une évolution de ces derniers vers des emplois plus qualifiés, une
réduction du nombre d'agents d'exécution ?
Une telle réduction n'interviendra, je le note, ni au ministère des finances -
conséquence de l'accord tacite conclu à la suite de la grève survenue au mois
de février dernier -, ni au ministère de l'équipement, ni au ministère de
l'intérieur, ni dans les services des préfectures, qui comptent pourtant de
nombreux agents d'exécution.
Les dépenses publiques évoluent à l'inverse des exigences d'une gestion saine
: la part des dépenses de fonctionnement s'accroît d'année en année, tandis que
celle des dépenses d'investissement connaît une évolution inverse, puisque
celles-ci atteignent 78 milliards de francs en 2001, soit 3 milliards de moins
qu'en l'an 2000.
L'ensemble des dépenses d'investissement consacrées aux universités, à
l'aménagement du territoire, à l'environnement ou au patrimoine est inférieur
de 10 milliards au montant des crédits consacrés aux 35 heures. Les crédits des
titres V et VI - investissements - diminueront de manière sensible d'une année
sur l'autre : de 3,5 %.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
On prépare l'avenir !
M. Josselin de Rohan.
La réduction de la dépense publique est affaire de courage politique et doit
s'accompagner de la nécessaire simplification des structures publiques. Ainsi,
le principe de responsabilité deviendra la base du fonctionnement des services
publics. Il s'agira ensuite d'élaborer les outils de contrôle de l'efficacité
et de l'utilité comparée de chaque dépense. Le bon emploi des ressources dont
dispose le service public concerné sera alors analysé et amélioré.
La réduction d'un point de PIB par an de la dépense publique semble un
objectif raisonnable, à condition qu'elle soit conduite dans la durée.
En préférant la redistribution des fruits de la croissance à la réduction des
déficits publics, le Gouvernement suit sa pente naturelle. Il est vrai que des
échéances électorales ne sont pas éloignées !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Ces élections, il les perdra
!
M. Josselin de Rohan.
La baisse des prélèvements obligatoires proposée dans ce projet de budget pour
2001 est non pas gagée par une réduction du train de vie de l'Etat, mais
financée par une partie des recettes fiscales exceptionnelles résultant de la
croissance, le solde de ces recettes finançant pour sa part des recettes
nouvelles. Voilà bien la preuve que l'Etat finance des dépenses structurelles
par des recettes conjoncturelles. La conséquence de cette politique, c'est la
persistance des déficits en période de croissance.
Mme Hélène Luc.
Mais vous, quelle est votre politique, monsieur de Rohan ? Que proposez-vous
?
M. Josselin de Rohan.
Entre 1997 et 1998, la réduction du déficit de l'Etat était de 0,6 point de
PIB ; elle n'est plus que de 0,3 point entre 2000 et 2001.
Passons sur l'épisode tragicomique de la « cagnotte », qui était vraiment
digne de Labiche, et sur les plus-values fiscales camouflées, puis avouées.
Passons sur les reports de recettes sur les exercices 2000 et 2001, réalisés en
violation de l'ordonnance de 1959 et dénoncés par la commission des finances
comme par la Cour des comptes.
En franchissant à nouveau le seuil des 200 milliards de francs de déficit
budgétaire, nous nous distinguons de la plupart de nos partenaires de l'Union
européenne puisque, dès cette année, huit d'entre eux dégageront des excédents
budgétaires.
Le Gouvernement annonce aux Français, pour 2001-2003, un plan de diminution
des prélèvements obligatoires de 120 milliards de francs, mais, dans le même
temps, depuis 1997, dix-huit taxes et impôts nouveaux ont été créés,
représentant plus de 400 milliards de francs de prélèvements obligatoires
supplémentaires.
Alors que nos prélèvements obligatoires ramenés au PIB sont parmi les plus
élevés du monde occidental, le Gouvernement continue d'ajouter de la pression
fiscale.
En 1997, la pression atteignait 44,9 % du PIB. En 1998, le Gouvernement
annonçait une baisse des prélèvements obligatoires de 0,2 point : il n'en a
rien été. En 1999, une baisse de 0,2 point a été annoncée. Le résultat ? Une
hausse de 0,8 point !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Que depromesses !
M. Josselin de Rohan.
Pour cette année, l'annonce d'une baisse de 0,5 point de PIB reste en deçà des
annonces du programme pluriannuel du début de l'année. A la fin du mois de
septembre, le dynamisme des recettes fiscales fait douter du caractère
réalisable de cet objectif.
Pour 2001, le Gouvernement a annoncé un objectif de 44,7 % du PIB, soit celui
qu'il s'était fixé initialement en 1998.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Encore de belles promesses !
M. Josselin de Rohan.
Voilà illustré le « théorème de DSK » : « Les impôts baissent et les
prélèvements obligatoires augmentent » !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Il avait raison !
M. Josselin de Rohan.
Entre mai 1997 et décembre 2000, l'écart entre les promesses du Gouvernement
et la réalité représente 2,2 points du PIB, soit environ 200 milliards de
francs de prélèvements : les 120 milliards de francs du plan pluriannuel à
compter de 2001 apparaissent plutôt comme un mirage.
Les ménages modestes non « smicards », les familles et les retraités attendent
pourtant de bénéficier des fruits de la croissance sous forme d'une baisse de
leur imposition. Mais il est vrai qu'il est plus facile de sanctionner les
familles par le plafonnement du quotient familial ou de prodiguer des «
générosités » au détriment des collectivités locales et de transférer à
celles-ci de nouvelles charges que de réformer l'administration.
En outre, l'endettement de la France reste à un niveau très élevé. En quatre
ans, notre endettement s'est accru de plus de 800 milliards de francs, soit
près de 15 000 francs supplémentaires par Français. Pour la première fois
depuis 1997, les dépenses destinées au paiement des intérêts de la dette
s'accroissent à nouveau : 240 milliards de francs en 2001, contre 234 milliards
de frances en l'an 2000.
Les choix opérés par le Gouvernement pour le budget de 2001 risquent d'obérer
l'avenir du fait de leur manque de rigueur.
Un certain nombre de blocages risquent de limiter nos perspectives de
croissance.
Songeons aux difficultés grandissantes de nos entreprises pour recruter leur
personnel, en dépit du nombre encore élevé de chômeurs ; notre système de
formation et notre système d'aide sociale, qui favorise les « trappes »
d'inactivité, sont à l'origine de ces difficultés.
Pensons aussi aux conditions dans lesquelles s'applique la réduction du temps
de travail, qui prive également de souplesse nos entreprises et affecte leur
compétitivité. A cet égard, mes critiques sont d'ailleurs infiniment moins
vives que celles d'augustes personnages...
N'oublions pas la faiblesse relative des taux d'activité des moins de
vingt-cinq ans et des plus de cinquante-cinq ans par rapport à ce qu'ils sont
dans les autres pays industrialisés.
Comment ne pas mentionner, enfin, la saturation des capacités de production et
l'insuffisance des créations d'entreprises, ainsi que le manque
d'investissement de ces dernières, qui nous font prendre du retard par rapport
à nos partenaires ?
Le projet de budget pour 2001 n'apporte guère de remèdes à l'excès de
prélèvements et de contraintes en tous genres ainsi qu'au poids du secteur
public dont souffre notre économie.
Dans la mesure où le Gouvernement attend de la seule conjoncture qu'elle
réduise les déficits publics, il prend de sérieux risques, car un retournement
de cette conjoncture pèsera lourdement sur l'équilibre de nos comptes. Au lieu
d'agir sur les structures en période de croissance économique, le Gouvernement
préfère l'utilisation immédiate des marges de manoeuvre en finançant des
dépenses structurelles par des recettes conjoncturelles.
« Défiez-vous du premier mouvement, c'est le bon », disait Talleyrand. Votre
premier mouvement, monsieur le ministre, était de réclamer une fiscalité moins
lourde, une application raisonnable des 35 heures, la modération des
rémunérations dans la fonction publique, une politique de recrutement des
agents publics adaptée aux impératifs réels de notre administration.
Malheureusement, la plupart des arbitrages rendus par le Premier ministre vous
ont été défavorables.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Quelle tristesse !
M. Josselin de Rohan.
Dans notre jeunesse, hélas ! aujourd'hui lointaine...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Mais non !
M. Josselin de Rohan.
... le parti communiste couvrait les murs d'inscriptions « Libérez Henri
Martin »...
Mme Hélène Luc.
C'est vrai !
M. Josselin de Rohan.
... du nom d'un militant emprisonné pour sabotage pendant la guerre
d'Indochine. Nous demandons à notre tour au Premier ministre « Libérez Laurent
Fabius »
(Sourires),
libérez-le des quémandeurs de la gauche plurielle qui
réclament à l'envi des crédits pour leurs clients...
Mme Hélène Luc.
Ça n'a rien à voir !
M. Josselin de Rohan.
... libérez-le des idéologues qui divinisent la dépense publique de ceux qu'il
nomme lui-même les « étatolâtres », libérez-le de la technostructure
administrative, toujours réfractaire aux innovations ou aux allégements
fiscaux, ou de la technostructure syndicale adepte du « toujours plus ».
M. Daniel Goulet.
Il n'en aura que plus de mérite !
M. Josselin de Rohan.
Mais parce que je crains que la levée d'écrou de M. Fabius ne soit pas
immédiate, je crois surtout, monsieur le président, mes chers collègues, que,
pour nous libérer définitivement, mieux vaut nous appuyer sur les sages avis de
M. le président et de M. le rapporteur général de la commission des
finances...
M. Paul Loridant.
Pour dissoudre l'Assemblée nationale !
M. Josselin de Rohan.
... et sur nos propres forces pour convaincre l'opinion qu'une autre politique
est souhaitable et qu'elle est possible, qu'elle est même la seule possible si
nous voulons tirer un profit durable des acquis de la croissance.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
indépendants et de l'Union centriste.)
M. Claude Estier.
Vous n'avez pas fait une seuleproposition !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Lisez le rapport de la commission des finances, vous
trouverez les propositions !
M. Claude Estier.
Tout y est mauvais !
M. le président.
La parole est à M. Arthuis.
M. Jean Arthuis.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais
d'abord vous demander pardon...
(Mais non ! sur les travées du RPR.)
M. Claude Estier.
Pardon d'avoir été ministre des finances ?
M. Jean Arthuis.
Ce n'est pas une repentance
(Ah ! sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants)
mais,
ce matin, je n'ai pu être présent en séance pour écouter M. le ministre de
l'économie, des finances et de l'industrie,...
M. Claude Estier.
Vous avez beaucoup perdu !
M. Jean Arthuis.
... M. le rapporteur général, M. le président de la commission des finances et
M. le président de la commission des affaires sociales. En effet, j'avais
répondu à l'invitation de M. le président de l'Assemblée nationale, en sa
qualité de président de la commission spéciale chargée de la réforme de
l'ordonnance de 1959.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Nous étions sur le même sujet !
M. Jean Arthuis.
Cette réforme-là, monsieur le ministre, est peut-être l'instrument de votre
libération.
(Exclamations amusées sur les travées du RPR.)
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Libérons Fabius !
(Sourires.)
M. Jean Arthuis.
S'il est une démarche qui doit être suprapartisane et bicamérale, c'est bien
la réforme de la discussion des lois de finances. Il faut tout le talent du
ministre, du rapporteur général et du président de la commission des finances
pour ne pas accéder à la tentation de penser que nous vivons un exercice
hallucinant, formel. Dans quelques semaines, à la veille de Noël, nous
examinerons un projet de loi de finances rectificative et il faudra la période
complémentaire, le mois de janvier, pour l'exécuter ; démarche absurde,
ridicule, dans laquelle nous nous trouvons enfermés.
Alors, je souhaite en effet que, au-delà des partis, et en rassemblant le
Sénat, l'Assemblée nationale et le Gouvernement, nous réformions l'ordonnance
de 1959. Je n'étais pas présent ce matin, monsieur le ministre, mais j'ai noté
votre volonté d'y parvenir. Cette réforme structurelle sera une épreuve de
vérité, de transparence, de lucidité et de courage. Si nous n'y procédons pas,
mes chers collègues, les désinformateurs courront toujours plus vite et
bloqueront toutes les réformes possibles en portant l'accent sur les peurs.
Dans la discussion budgétaire qui s'ouvre aujourd'hui, nos interventions
doivent désormais, suivant en cela l'initiative heureuse de la commission des
finances, être marquées du sceau de la concision et de la pugnacité. Je ne peux
qu'approuver cette démarche, gage de vitalité et d'efficacité renouvelée. Elle
préfigure, je le souhaite, l'évolution d'une procédure budgétaire jusqu'à
présent rituelle pour le Gouvernement, frustrante pour les parlementaires,
illusoire pour nos concitoyens.
Pourtant, la loi de finances demeure l'acte fondateur de l'action politique.
Elle détermine le pacte républicain. Dans le contexte économique international
favorable que nous connaissons, nous espérions nous éloigner enfin de la
singularité française. Hélas ! monsieur le ministre, ce n'est pas le cas. Votre
projet de loi de finances pour 2001, tel qu'il vient d'être voté par
l'Assemblée nationale, apparaît extrêmement décevant. Il porte la marque de la
résignation, comme si le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie
avait oublié les engagements du président de l'Assemblée nationale.
Résignation, celle du Gouvernement face au déficit, plaçant la France parmi
les mauvais élèves de l'Europe. Est-ce l'exemple que doit donner la nation
présidant l'Union européenne jusqu'à la fin de l'année ? Est-ce la bonne
manière, monsieur le ministre, pour stabiliser l'euro par rapport au dollar
?
Résignation face à l'endettement qui, en près de quatre années de croissance
robuste, aura augmenté de plus de 700 milliards de francs.
Résignation face aux dépenses publiques puissamment nourries à coup de
création d'emplois publics. Le ministre de l'éducation nationale vient à cet
égard, par ses annonces récentes, de dissiper avec fracas toute ambiguïté. J'ai
bien noté vos propos de ce matin, monsieur le ministre : vous remettez en cause
ce qui, au début des années quatre-vingt dix, apparaissait comme une priorité
nationale ; la réhabilitation de la dépense publique. Mais de la déclaration
aux actes, il y a encore une distance.
Résignation face au dogme malthusien de la réduction du temps de travail.
Résignation face aux réformes structurelles. Votre ministère, qui compte tant
de talents, ne s'est-il pas lui-même livré récemment à un exercice révélateur
au travers de l'hypothétique rapprochement de la comptabilité publique et de la
direction générale des impôts ?
Résignation face aux jeunes générations, trompant leurs espérances et leur
laissant en héritage le financement des régimes de retraite et le remboursement
des dettes publiques.
Résignation face à la nécessaire harmonisation fiscale européenne.
Les communiqués se suivent, à l'issue des conseils des ministres des finances.
Ils ont tous la même saveur tiède et ne traduisent aucun progrès.
Résignation, enfin, face à la réforme de nos impôts, condition pourtant
essentielle de la cohésion sociale. C'est ce dernier point que je souhaite
commenter.
Après les épisodes, toujours en mémoire, du feuilleton de la désormais célèbre
« cagnotte », après le constat du record absolu de prélèvements obligatoires,
vous avez, monsieur le ministre, tenté de convaincre les Français de votre
volonté de faire baisser les impôts. Intention louable !
C'est ainsi que vous avez présenté, sans aucune concertation, sans aucun
dialogue avec le Parlement, une mosaïque de mesures fiscales estivales,
disparates, illisibles, ponctuelles et quelque peu clientélistes. Chacun y
cherche vainement l'expression d'une vision de la fiscalité moderne, intégrant
les exigences de la mondialisation de l'économie, comme le rappelait M. Angels
tout à l'heure, comme la construction européenne. Est-ce la raison pour
laquelle vous avez renoncé à nous proposer le grand débat que nous attendons
sur la fiscalité ? J'avais pourtant cru lire voilà peu de temps, sous votre
plume, dans un journal du soir, que ce qui comptait, pour vous, c'était la
capacité à « entraîner notre économie vers l'avenir ».
Pensez-vous que l'on puisse, en quelques heures, àl'occasion de l'examen des
articles de la première partie du projet de loi de finances, engager le débat
sur la réforme fiscale ? Certainement pas ! Pis, en remettant en cause la CSG
sur les bas salaires, vous brisez, monsieur le ministre, la seule vraie réforme
accomplie, discrètement il est vrai, par les gouvernements successifs durant
les années quatre-vingt dix et qui consistait à mettre en place un impôt
proportionnel sur tous les revenus.
Vous réalisez ainsi le dramatique exploit d'enfermer les plus modestes de nos
concitoyens dans de redoutables « trappes à bas salaires ». De combien
l'employeur devra-t-il augmenter le coût du travail pour permettre à ses
collaborateurs de percevoir un supplément de salaire net significatif ?
Plusieurs sénateurs du RPR.
Très bien !
M. Jean Arthuis.
N'est-ce pas bloquer l'ascension sociale dont la République tire l'une de ses
fiertés ? « Le progrès social a besoin de développement économique »
écriviez-vous. Il est temps de dire aux Français que vous faites le
contraire.
Le contenu et la forme sont décidément critiquables. L'objectif consiste bien
à favoriser la création de richesses, sans lesquelles le progrès social est
impossible, nous le savons bien. Nous y sommes attachés et la voie que vous
empruntez est, en réalité, une impasse.
Le groupe de l'Union centriste retient donc trois priorités, dont devrait être
imprégné un budget porteur d'avenir.
Tout d'abord, il importe d'alléger les cotisations sociales, en écrêtant
progressivement les effets restrictifs, les seuils, les dispositions de toute
nature qui multiplient les blocages, les stratégies de contournement et qui
font perdre aux Français les chances d'améliorer leur niveau de vie. La
cohésion d'une communauté de destins en découle. C'est en effet la condition du
plein emploi et de la mobilisation de toutes les ressources de la nation.
Le moment paraît venu de désacraliser les salaires comme assiette des
cotisations sociales. Nous devons désormais rechercher un autre impôt, mieux
adapté aux nouvelles contraintes économiques. Cet autre impôt ne doit-il pas
être fondé sur la valeur ajoutée ? N'existe-t-il pas, monsieur le ministre ? Il
faudra ouvrir ce débat sur l'évolution des cotisations sociales et l'impôt de
consommation.
Deuxième priorité : il faut rendre l'impôt sur le revenu supportable. Il est
au coeur de la solidarité citoyenne. Il doit être compris et accepté par
l'ensemble des contribuables qui y sont assujettis, par les classes moyennes si
pénalisées aujourd'hui.
Après avoir bloqué la réforme engagée en 1996, la majorité plurielle,
particulièrement divisée sur ce sujet, procède au travers de ce projet de
budget à de bien timides avancées, prenant le risque de reléguer la France au
rang des pays les moins compétitifs. Au surplus, quel dommage, monsieur le
ministre, que vous n'ayez pas cru devoir suivre certaines des dernières
recommandations du Conseil national des impôts !
Il est vraiment temps que des réformes aussi attendues soient débattues dans
le cadre de projets de loi spécifiques, hors de l'examen des articles de la
première partie de la loi de finances initiale. Peut-être accepterez-vous, un
jour, dans le cadre de la réforme de l'ordonnance de 1959, de déposer le projet
de loi de finances dès le printemps, mettant à l'écart un débat d'orientation
budgétaire dont je ne suis pas certain qu'il réponde aux attentes de ses
promoteurs. Ainsi, nous aurons le temps d'engager le débat sur les réformes
fiscales.
Troisième priorité, que vous semblez partager, sans toutefois oser passer à
l'acte : libérer l'offre de travail en assouplissant le régime autoritaire et
généralisé des 35 heures, notamment dans les petites et moyennes
entreprises.
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Jean Arthuis.
A défaut de remettre en cause les 35 heures, élargissons l'enveloppe d'heures
supplémentaires...
Mme Hélène Luc.
Ça ne passe pas, les 35 heures !
M. Jean Arthuis.
... et donnons du temps aux petites et moyennes entreprises. En s'abstenant de
ce geste d'élémentaire pragmatisme, vous mettez en péril la croissance, vous
bridez notre potentiel productif, vous détruisez une partie du tissu économique
français. Nous sommes loin de l'hypothèse d'école puisque, selon certaines
analyses récentes, notre pays a créé cette année davantage d'emplois que de
richesses. Pour ce qui est de l'emploi, les effectifs ont progressé de 3,5 %,
tandis que les richesses ne croissaient que de 3,4 %.
J'ajoute que ce n'est pas en travaillant moins que nous parviendrons à
financer décemment et durablement les retraites.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'est clair !
M. Jean Arthuis.
Vous comprendrez, monsieur le ministre, que nous ne puissions accepter votre
projet de budget en l'état. Fort heureusement, la commission des finances va
nous aider à l'améliorer, à l'engager sur la voie du réalisme, de la cohésion
sociale...
Mme Hélène Luc.
Pas du progrès social !
M. Jean Arthuis.
... - mais vous nous aiderez dans ce sens, madame Luc - et du dynamisme
économique.
Je tiens à saluer la démarche et l'autorité du président de la commission des
finances, M. Alain Lambert,...
M. Jacques Oudin.
Elle est grande !
M. Jean Arthuis.
... et de son rapporteur général, M. Philippe Marini. Leur talent et
l'éclairage qu'ils nous proposent vont redonner du sens à notre discussion.
Je ne doute pas que, grâce à eux, grâce au Sénat, le débat qui s'ouvre marque
la fin d'une pratique et signe la renaissance d'un pouvoir parlementaire
pleinement assumé.
C'est dire, monsieur le ministre, si nous devons réformer avec courage et
audace la discussion budgétaire et l'ordonnance de 1959. C'est une épreuve de
vérité. C'est aussi le socle de la cohésion sociale et du pacte républicain.
Tous les parlementaires doivent pouvoir examiner l'article d'équilibre comme un
document lisible. De même, tous nos concitoyens doivent s'approprier
laproblématique budgétaire. Sinon, mes chers collègues, méfions-nous : le pacte
républicain pourrait bien se trouver en danger, et je ne suis pas sûr que nous
serions alors en situation de combler le fossé d'incompréhension qui peut
séparer le politique de la nation.
(Applaudissements sur les travées de
l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Durand-Chastel.
M. Hubert Durand-Chastel.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon collègue
non inscrit Philippe Darniche aurait souhaité intervenir dans cette discussion
générale. Aussi, mon intervention s'inspire largement de ce qu'il aurait voulu
exprimer aujourd'hui.
L'examen du projet de loi de finances pour 2001 apporte, cette année encore,
la preuve que la priorité gouvernementale, dans une conjoncture favorable, est
non pas d'assainir durablement nos finances publiques, mais, à l'opposé,
d'ouvrir toutes grandes les « vannes » de la dépense publique.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, si l'on tient compte du financement
des 35 heures et de la CMU, les dépenses de l'Etat augmenteront en 2001 de plus
de 2 %.
Je dénonce ce laxisme budgétaire coupable, qui se caractérise par un
emballement des dépenses de fonctionnement, alors que l'investissement continue
de régresser année après année.
Les 35 heures pèsent sur la compétitivité intérieure et internationale de nos
PME-PMI. Elles coûteront plus de 80 milliards de francs en 2001, soit
l'équivalent du tiers de l'impôt sur le revenu ou de deux points de TVA.
De plus, alors que les perspectives démographiques de la fonction publique
devraient nous inciter à réduire ses effectifs, le Gouvernement décide une
nouvelle fois de les accroître par la création de 11 000 postes et la
titularisation de 10 000 vacataires.
Enfin, en matière de dette publique, nous demeurons les « mauvais élèves » de
l'Europe. Elle représente, dans notre budget, 5 200 milliards de francs, soit
86 000 francs par habitant, tandis que le service de la dette, qui ne retrace
pourtant que le paiement des intérêts, absorbe, pour l'année 2001, plus de 240
milliards de francs.
En 2001, l'Etat empruntera 542 milliards de francs, dont 186 milliards de
francs pour combler le déficit, 348 milliards de francs pour s'acquitter des
titres arrivant à échéance et 8 milliards de francs pour répondre à des
engagements divers. A l'inverse, la dette publique des Etats-Unis sera
totalement effacée dans une dizaine d'années et plusieurs pays européens
commencent d'ores et déjà à enregistrer des excédents budgétaires, donc à
réduire leur dette publique.
Je voudrais maintenant, monsieur le ministre, attirer votre attention sur
trois budgets en particulier : le budget des collectivités locales, celui qui
est consacré aux sports et celui du ministère des affaires étrangères.
En ce qui concerne le budget des collectivités locales, les élus n'ont plus
les moyens de supporter les charges croissantes qui leur incombent et une
réforme fondamentale de la fiscalité locale s'avère indispensable.
Les besoins financiers des collectivités augmentent du fait de charges
obligatoires croissantes, alors que, dans le même temps, nous assistons à un
effort rampant de « recentralisation » des finances locales par leGouvernement
et à l'étatisation des impôts locaux àhauteur de plus de 50 milliards de francs
- taxe professionnelle, taxe d'habitation et vignette automobile.
Tout cela entraîne une perte réelle d'autonomie des collectivités locales, qui
deviennent ainsi dépendantes de l'Etat et n'ont plus les ressources nécessaires
pour mener à bien leurs propres projets.
Je souhaite que, dans le cadre des prochains débats, nous marquions notre
volonté d'approfondissement de la décentralisation en même temps qu'une
transparence et une responsabilité accrues dans l'action des élus locaux. C'est
pourquoi je soutiens la proposition de loi constitutionnelle sénatoriale
relative à l'autonomie financière et fiscale des collectivités locales, et je
défends l'idée, simple, d'une « fiscalité locale comportant une fraction
d'impôt d'Etat et du partage d'impôts d'Etat donnant lieu au Parlement à un
vrai débat politique sur la part des ressources nationales consacrée aux
besoins croissants descollectivités ».
En ce qui concerne le budget des sports, je suis gêné, monsieur le ministre,
de devoir dire de la sixième nation olympique que, avec 0,18 % de son budget,
cette nation consacre au budget des sports une somme très inférieure au 1 % de
la culture, que je ne conteste pas, mais qui résulte d'un véritable choix
politique.
Toutefois, il ne suffit pas de simples effets d'annonces pour mener à bien une
politique sportive nationale de grande ampleur. Le sport demeure une formidable
école d'insertion sociale que nous ne devons pas négliger et pour laquelle nous
devons accroître les moyens financiers et humains au niveau tant municipal,
départemental que national. Mais cette école se doit avant tout d'englober tout
le monde, des plus défavorisés aux plus professionnels, des personnels
d'encadrement aux bénévolesassociatifs.
Pour résumer, on ne peut se glorifier de remporter des médailles prestigieuses
et rester si « chiche » quant aux moyens alloués par l'Etat. Les résultats
olympiques de Sydney sont l'arbre qui cache de la forêt. Nous n'attendons pas
seulement du ministre compétent qu'il soit présent médiatiquement au côté de
chaque médaillé. Nous appelons plutôt de nos voeux la mise en place d'une
véritable politique sportive dans notre pays, dès l'école primaire, dotée de
moyens appropriés.
Enfin et surtout, je regrette que notre budget des affaires étrangères reste
très insuffisant au regard des enjeux de la globalisation. Ainsi, notre pays,
malgré le record des recettes fiscales enregistré cette année, n'assure pas le
paiement des cotisations à certaines organisations internationales, en
particulier à l'Organisation mondiale du commerce et à l'Organisation mondiale
météorologique.
Pour conclure, mes chers collègues, sachant que, en 1999, 70 % des fruits de
la croissance ont été captés par le fisc, j'espérais - comme l'ensemble de mes
concitoyens soucieux d'une gestion maîtrisée de la dépense publique par le
Gouvernement - voir diminuer les impôts, les taxes et les cotisations. C'est
l'inverse qui se produit, avec la création, depuis 1997, de quinze nouvelles
taxes, l'augmentation des prélèvements obligatoires pour plus de 500 milliards
de francs - pour un niveau record de 45,6 % en 1999 - et un déficit public qui
demeure supérieur à 200 milliards de francs.
Inquiet de la progression rapide et régulière des dépenses de fonctionnement,
qui accroît la dette et alimente les déficits à venir et qui place la France en
contradiction totale avec ses engagements européens, je considère préoccupant
de voir amputer des budgets d'investissement civils qui, eux, devraient être
prioritaires en période de croissance.
Avec certains de mes collègues, je tiens à signifier ma profonde
désapprobation sur les orientations de ce projet de budget pour 2001, que
j'estime avant tout non conforme à l'intérêt national.
(Applaudissements sur
les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. du Luart.
M. Roland du Luart.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quand on a
le privilège de monter régulièrement à cette tribune pour y exposer une analyse
des finances publiques, on ressent à chaque période budgétaire, tout
particulièrement depuis trois ans, une désagréable sensation d'impuissance de
l'Etat, de la nation tout entière, à se réformer paisiblement.
En effet, la fonction publique continue - de fait - de commander le
Gouvernement, et non l'inverse ; le fonctionnement continue d'évincer
l'investissement, car il est électorablement plus rentable ; la politique
fiscale est de nouveau calibrée en fonction de considérations idéologiques, et
non en vue de renforcer notre dynamisme économique ; la politique de défense
nationale est sans cesse écornée et nos armées abaissées dans leur potentiel et
leur moral ; des politiques sociales généreuses sont lancées, mais elles ne
sont pas financées durablement par la maîtrise des dépenses.
Rappelons-nous un instant ces violentes critiques proférées par l'équipe
aujourd'hui au pouvoir sur le non-financement présumé de la réforme de l'impôt
sur le revenu initiée, hier, par Alain Juppé : critiques purement partisanes,
car chacun peut constater que la réforme Jospin d'aujourd'hui n'est pas le
moins du monde gagée par de moindres dépenses mais qu'elle repose sur le pari
de la croissance continue.
Ce seul exemple illustre la fragilité de la politique de la demande conduite
depuis plusieurs années. Habillée de considérations théoriques parfois
justifiées, cette politique freine, voire interdit toute réforme structurelle
audacieuse, ou simplement courageuse. Augmentation des effectifs et des
rémunérations de la fonction publique, revalorisation du SMIC et des minima
sociaux, financement des emplois-jeunes et des 35 heures : assurément, toutes
ces mesures soutiennent la demande et constituent souvent des avancées
sociales, mais ce sont des avancées sociales sans financement pérenne assuré et
qui ne répondent en rien aux déficits structurels auxquels notre économie est
confrontée. Or, le plus souvent, une avancée sociale dont le financement
pérenne n'est pas assuré ressemble plus à une mesure électorale qu'à un progrès
durable.
Car il ne peut être véritablement contesté que la politique budgétaire de
notre pays, largement fondée sur cette politique de la demande, suscite plus la
perplexité qu'elle ne soulève l'enthousiasme.
Mes chers collègues, le Gouvernement semble malheureusement n'avoir « rien
appris ni rien oublié » de la politique budgétaire catastrophique des années
1988-1992, qui a conduit à l'effondrement de 1993, avec un déficit avoisinant
les 6 % du produit intérieur brut.
L'enchaînement est pourtant simple. En période de bonne conjoncture, le
Gouvernement laisse filer les dépenses : le déficit global est contenu, voire
diminué, mais le déficit structurel s'accroît. Comme cet indicateur structurel
n'est que rarement commenté, personne ne critique véritablement la politique
conduite. Quand la conjoncture se retourne, le déficit global réapparaît avec
force, car les recettes diminuent quand les dépenses rigides sont impossibles à
diminuer. L'équilibre ne se rétablit ensuite que par des ponctions fiscales
accrues qui pèsent sur la croissance future. Dans notre raisonnement, nous
prenons date aujourd'hui.
Ces dépenses accrues en période de conjoncture favorable, aujourd'hui comme
hier, constituent une espèce de « prion budgétaire »
(Sourires),
qui
demeure invisible en période de hautes eaux économiques, mais qui s'active en
cas de « coup de tabac ». Certes, ce « prion » est détruit par la croissance,
mais à la condition que celle-ci dure au moins une dizaine d'années. Rien n'est
malheureusement moins sûr ici. Sans jouer les Cassandre, il convient de poser
quelques repères à ce propos.
Le taux de 3 % de croissance du produit intérieur brut, tel que nous l'avons
enregistré ces dernières années, est deux fois supérieur à la croissance
moyenne des années quatre-vingt. Il est, de plus, supérieur au taux de
croissance potentielle de l'économie française, qui s'établit aux alentours de
2,5 %, ce qui n'est pas une situation durablement tenable sans politique active
de l'offre. Il est, par certains aspects, inespéré, en tant qu'il repose sur
les charmes imprévus mais éphémères d'une monnaie faible. Enfin il est, par
nature, fragile, dans le seul pays développé, le nôtre, qui ne place pas les
entreprises privées et les emplois qu'elles créent au centre de ses
préoccupations, le seul pays développé qui ne soit pas
business
friendly
, selon le jargon à la mode.
On peut donc affirmer que notre croissance est fragile sur le moyen terme et
qu'elle ne sera pas indéfiniment conciliable avec une politique budgétaire qui
penche beaucoup plus vers le laxisme que vers la rigueur. Il faut être bien
distrait ou posséder la foi du charbonnier pour ne pas s'inquiéter des
clignotants passés au rouge : déficit structurel plus élevé que celui de nos
partenaires de l'euro 11, abandon en rase campagne de la maîtrise des dépenses
et de la réforme de l'Etat, maintien des prélèvements obligatoires à un niveau
plus élevé que celui de nos concurrents directs. Le « prion » est encore vivace
et nous menace directement.
Je n'en veux pour preuve supplémentaire que les analyses pertinentes
développées par le récent rapport de notre collègue Joël Bourdin, qui les
exposera d'ailleurs lui-même dans quelques instants à cette tribune. En effet,
le rapport de la délégation pour la planification du Sénat, qu'il préside,
estime que le déficit public pourrait être supérieur à celui qui est prévu par
le Gouvernement dans les années à venir. Une simulation commandée à l'OFCE -
Observatoire français des conjonctures économiques - par la délégation fait
apparaître que, si la croissance s'établissait à 3 % en moyenne dans les cinq
prochaines années, ce serait déjà une performance considérable ; le déficit
public en 2001 atteindrait 1,4 % du produit intérieur brut, au lieu de 1 %
selon le projet de loi de finances, et 1,1 % en 2003, au lieu de 0,3 % selon le
programme pluriannuel des finances publiques. En 2005, le déficit serait encore
supérieur - de 0,7 % - à celui qui est prévu pour 2003. Bref, cela tend à
prouver que le programme pluriannuel transmis aux autorités communautaires par
le Gouvernement souffre d'un manque évident de crédibilité.
Alors même que nos finances publiques ne sont pas durablement assainies,
est-il vraiment raisonnable de continuer la fuite en avant, toujours plus de
dépenses, en priant pour que la conjoncture reste durablement bien orientée ?
Je ne le crois pas. Je suis même persuadé du contraire, même si je ne saurais
méconnaître les vertus de la prière.
Le projet de budget qui est soumis à notre appréciation est un nouveau budget
de facilité. Alors que de 1994 à 1997, le gouvernement que nous soutenions
avait réduit de plus de moitié le déficit structurel, en le ramenant de 4,6 % à
2,2 % du produit intérieur brut, le gouvernement auquel vous appartenez l'a
laissé à ce niveau depuis son entrée en fonctions - 1,8 % - en 1999...
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
C'est exact !
M. Roland du Luart.
... alors même que la croissance n'a jamais été aussi « belle » depuis la fin
des années quatre-vingt. De plus, la barque des dépenses est encore lourdement
chargée pour 2001. Le taux de croissance affiché, à savoir 1,5 % en valeur,
apparaît bel et bien comme un taux d'affichage. Hors changements de périmètre,
l'augmentation est en fait de 4,3 %. Selon les calculs de certains experts,
elle atteint même 4,6 %, à périmètre constant cette fois-ci. De tels écarts ne
sont d'ailleurs pas facilement compréhensibles et laissent supposer que le
mouvement vers la transparence des comptes publics s'apparentera plus à une «
longue marche » qu'à une promenade d'agrément. Ces chiffres sont d'ailleurs
vraisemblablement sous-estimés car ils n'intègrent pas totalement les
augmentations prévisibles des traitements dans la fonction publique ni le coût
des mesures prises ou à prendre en faveur de la filière bovine, mesures qui ont
été évoquées ce matin par le président Lambert.
Cette absence de maîtrise de la dépense entraîne les autres conséquences bien
connues : impossibilité de baisser suffisamment le niveau des prélèvements
obligatoires, sauf à dégrader le solde d'exécution, et accroissement de
l'endettement de l'Etat, en valeur absolue comme en valeur relative.
Bref, d'aussi faibles résultats enregistrés en matière d'assainissement des
finances publiques, alors qu'entre 1998 et 2000 la croissance aura été
supérieure à 3 % en moyenne, ne conduisent pas à un optimisme sans nuance.
N'en déplaise aux Chantecler de l'exception française
(Sourires)
, ce
n'est pas la France qui apporte la croissance à l'Europe et au monde, mais
l'inverse. Les économies mondiales sont quasiment à l'unisson depuis 1991, les
variations de croissance sont étroitement corrélées, les Etats-Unis, jusqu'en
1999, et la Grande-Bretagne, jusqu'en 1998, étant sensiblement au-dessus des
autres nations. Notre éminent collègue Joël Bourdin précisera cette analyse,
qui devrait nous inciter à plus de modestie et de prudence en matière
budgétaire.
On commence par annoncer des réformes ambitieuses de l'Etat, au ministère des
finances ou à l'éducation nationale, et cela se termine par une augmentation
des effectifs nets de fonctionnaires à structures désespérément constantes. On
annonce une réforme fiscale ambitieuse et l'on ne voit venir qu'un saupoudrage
électoraliste qui se moque des entrepreneurs et qui stigmatise le fruit
monétaitre de l'audace et du travail. On annonce, discipline européenne oblige,
une maîtrise des dépenses de l'Etat, mais toutes les astuces et les ficelles
sont mises en oeuvre pour en gommer la progression réelle.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Le FOREC !
M. Roland du Luart.
Tout cela n'est pas convenable. Tout cela est même proprement inadmissible en
période de forte croissance.
Dans ces conditions, le groupe des Républicains et Indépendants soutiendra la
commission des finances du Sénat dans sa volonté de programmer un retour à
l'équilibre des finances publiques et défendra en séance des amendements en
cohérence avec elle.
Monsieur le président, mes chers collègues, mon groupe ne pourra, bien
évidemment, accepter le budget de facilité que nous présente le Gouvernement. A
l'inverse, nous défendrons et soutiendrons toutes les initiatives qui vont dans
le sens de la sincérité et de la responsabilité budgétaire. Nous en faisons une
question de principe et de courage politique.
(Applaudissements sur les
travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues,
permettez-moi tout d'abord une réflexion. Le Sénat dispose d'un droit
constitutionnel, garanti par un délai, pour s'exprimer sur le budget. Or, une
fois de plus, nous nous trouvons non pas devant un coup d'Etat - ce serait
excessif - mais, à tout le moins, devant un abus du Gouvernement. En effet, en
plein débat budgétaire, celui-ci nous impose le retour du projet de loi de
financement de la sécurité sociale pour 2001 et, si mes souvenirs sont exacts,
de la proposition de loi relative à la contraception d'urgence. Cela réduit
d'autant nos possibilités d'expression. Je tenais d'emblée à faire état de cet
élément qui concerne la déontologie des relations entre le Gouvernement et le
Parlement.
En matière budgétaire, nous avons des textes complexes, c'est le moins que
l'on puisse dire, monsieur le ministre. Je traiterai, d'une part, de la
politique budgétaire du Gouvernement et, d'autre part, des problèmes de
relation avec les collectivités territoriales.
D'après ce que j'entends, les hypothèses de croissance pour 2000 se
situeraient aux environs de 3,4 %. Peut-être ? Est-on sûr que l'impact des 35
heures sur la réalité du fonctionnement de notre économie permettra de
maintenir ce pourcentage ? Pour ma part, je n'en suis pas vraiment persuadé.
Parallèlement, les déficits publics s'élèveront à 1,4 % du produit intérieur
brut et les prélèvements obligatoires à 45,2 % du produit intérieur brut. Nous
sommes, cette fois, dans le domaine des records, alors que voilà un instant
nous étions peut-être dans celui de l'illusion.
Le Gouvernement nous dit qu'il mène une politique budgétaire rigoureuse.
Ainsi, les chiffres annoncés décriraient une faible croissance des dépenses, un
allégement d'impôts important et une réduction sensible du déficit budgétaire
d'environ 30 milliards de francs. Monsieur le ministre, je ne suis pas
absolument certain que, derrière les annonces, il n'y ait pas, en la matière,
en réalité un certain laxisme.
Si je lis bien, les dépenses de l'Etat pour 2001 croîtront plus rapidement que
les richesses nationales, alors que l'on nous explique qu'elles seront quasi
stables en francs constants.
Le Gouvernement ne propose de rendre sous forme de baisse d'impôts que le
tiers de la croissance des recettes fiscales. Ces baisses d'impôts, plus
apparentes que réelles, sont globalement consacrées aux ménages. Monsieur le
ministre, les entreprises qui subissent une légère hausse ne méritent-elles pas
un sort différent de celui qu'on leur réserve ?
Nous constatons aussi que ce projet de budget marque l'arrêt du mouvement de
réduction du déficit budgétaire qui avait été enclenché en 1994. Le niveau de
déficit ne diminue pas si l'on tient compte de la réalité des recettes non
fiscales. En effet, le Gouvernement reporte 15 milliards de francs de produits
de l'exercice 1999 sur l'exercice 2001 pour limiter l'impact sur le déficit.
Est-ce sérieux ? En fait, en baissant les impôts sans réduire les dépenses, le
Gouvernement creuse en réalité le déficit. Pour le financer, devrons-nous faire
appel à l'emprunt et donc le reporter sur les générations futures ? Cette
question commence à sourdre de certaines réflexions.
Le collectif budgétaire, qui est un moment important et qui marque le virage
d'un exercice sur un autre, souligne, me semble-t-il, le manque de régularité
dans la réduction du déficit, si on le prend en considération à périmètre
constant.
En effet, le déficit budgétaire pour 2000 a peut-être atteint le niveau
initialement affiché par le Gouvernement. Néanmoins, le 11 juillet dernier,
monsieur le ministre, vous faisiez état - ce n'est pas moi qui l'ai inventé -
après les réévaluations effectuées par le collectif de printemps pour l'année
en cours, d'un nouveau surplus de recettes fiscales de 30 milliards de francs
qui serait affecté à la réduction du déficit et, par conséquent, à l'allégement
du poids de la dette.
Je ne suis pas certain que ce soit concrétisé dans les documents qui nous ont
été communiqués. Certes, la conjoncture vous aide plus que les réformes de
fond. S'agissant de la conjoncture, soyons clairs : tout le monde s'est trompé.
Nous n'y avons pas cru lorsque ses aspects positifs se sont fait sentir. Je
crains que le Gouvernement ne se soit trompé en s'en attribuant le mérite. La
conjoncture, c'est la conjoncture. Nous n'avons pas su en profiter. Vous l'avez
abusivement confisquée.
Voilà qui m'amène à poser une question. Assistera-t-on à un accroissement du
déficit budgétaire en 2001 par rapport à 2000, compte tenu de l'impact sur
notre économie des 35 heures et des incertitudes, voire des trous que vous êtes
en train de laisser se creuser ? Monsieur le ministre, pour être tout à fait
franc, je ne peux pas croire que ce soit cela et personne ne peut accepter de
croire que ce soit vous qui soyez à l'origine d'une telle contradiction.
Que ce soit en matière de déficit budgétaire, de dépenses publiques ou de
prélèvements obligatoires, nous retrouvons une fois encore « l'exception
française ». D'exception en exception, cela commence à faire beaucoup !
En admettant que les prélèvements obligatoires représentent 44,7 % du PIB l'an
prochain - à mon avis, ils s'élèveront à 45,2 % - ils seront toujours
supérieurs à ceux du Royaume-Uni et de l'Allemagne qui est en train de réformer
profondément ses finances. Pourtant, il s'agit d'un gouvernement dont vous vous
sentez proche ! De ce côté, je ne vois rien arriver. Même l'Italie, le Portugal
et la Grèce connaîtront des prélèvements inférieurs aux nôtres ! Où va-t-on
?
Monsieur le ministre, il n'existe pas trente-six créateurs de richesses. Il y
a les entreprises. Elles ne peuvent pas devenir les boucs émissaires des
cadeaux faits aux ménages.
M. Paul Blanc.
Très bien !
M. Paul Girod.
Je n'ose pas dire que votre main gauche ignore ce que fait votre main droite.
En effet, je ne sais pas si votre main gauche est en direction des entreprises
et votre main droite en direction des ménages, ou l'inverse. Mais, en l'état
actuel, je constate une contradiction dans l'action du Gouvernement : ou bien
on vise les familles et les individus en renforçant les entreprises, ou bien on
fait des cadeaux électoraux, en tuant l'avenir.
M. Paul Blanc.
Eh oui !
M. Paul Girod.
Votre projet de budget ne comporte pas la répartition qui convient pour tenir
compte de ces deux éléments. Si on y ajoute le projet de loi de financement de
la sécurité sociale, ma perplexité est accrue. Or, pour un parlementaire - et
vous le savez mieux que personne, monsieur le ministre, puisque vous l'avez été
très longtemps -, rien n'est pire que la perplexité, surtout face à un
gouvernement dont l'action aboutit à ce que, d'année en année, les cerveaux
soient plus nombreux à fuir notre pays. Et ce ne sont ni le Gouvernement, ni
l'administration, ni les cadeaux accordés aux ménages qui les retiendront. Ce
sera la capacité qu'ils auront de pouvoir s'épanouir au sein de notre société
et au coeur de notre économie.
M. Paul Blanc.
Très bien !
M. Paul Girod.
Est-ce cette direction que nous prenons ? Je n'en suis pas sûr.
J'en viens aux collectivités territoriales.
La Constitution précise que les collectivités territoriales s'administrent
librement dans les conditions prévues par la loi ». Depuis 1981, j'entends les
mots « décentralisation », « autonomie », « liberté de gestion ». Très bien !
Il n'y a pas longtemps, notre collège Mauroy - votre estimé prédécesseur au
poste de Premier ministre - nous expliquait que l'on devait renforcer la
décentralisation et l'autonomie financière. Avec la suppression tant de la taxe
d'habitation perçue par les région que de la vignette dont le produit revenait
aux départements, l'autonomie financière peut se concevoir ; mais cela veut
dire, si l'on pousse le raisonnement jusqu'au bout, que l'on substituera des
dotations de l'Etat à la fiscalité locale. Cela justifierait au moins un
changement de vocabulaire : ce serait non plus l'effort de l'Etat, mais la
reconnaissance de l'Etat, le tribut de l'Etat.
En plus de cela, quelles seraient les caractéristiques de répartition des
dotations baptisées d'avance « effort » par vos services et récusées d'avance
par nous dans cette formulation ? Quel serait le système de répartition tenant
compte plus ou moins des ukases que l'Etat, par politiques interposées et
dotations truquées, veut imposer aux collectivités territoriales ? C'est une
question qui mérite d'être posée, et ce n'est pas au moment où l'on plaide en
faveur de la décentralisation et où l'on réduit l'autonomie fiscale des
collectivités territoriales que l'on peut esquiver le fond de la question.
Monsieur le ministre, j'entends bien les bonnes intentions proclamées, mais je
constate les difficultés croissantes des collectivités locales. Je ne suis pas
certain que l'on puisse aussi facilement qu'on le dit ou qu'on manipule les
concepts aboutir à une réforme profonde de la fiscalité locale autrement qu'en
transférant le poids de la charge du contribuable local vers le contribuable
national. En définitive, au regard des prélèvements sur le PIB, nous serons
dans la même situation qu'avant, et l'exception française perdurera.
Tout cela n'est pas franchement résolu, nous semble-t-il, ni même
malheureusement franchement posé en tant que question, encore moins en tant que
solution, dans le projet de budget que vous nous proposez.
Je siège au sein d'un groupe non pas pluriel
(Sourires),
mais pluraliste - ce n'est pas la même chose ! - dont les
membres auront bien évidemment des approches différentes face à ce projet de
budget. Ainsi, la majorité observera avec intérêt les propositions de la
commission des finances et les suivra très vraisemblablement. D'autres seront
probablement quelque peu troublés par la réalité des débats. Et même ceux qui
vous apporteront leur soutien, monsieur le ministre, auront ici ou là - vous le
savez d'ailleurs bien - quelques restrictions mentales.
C'est au nom de ce groupe pluraliste que j'exprime en cet instant les
préoccupations des uns, les doutes des autres, l'angoisse de tous devant un
avenir qui n'est pas aussi riant que quelques proclamations de tréteaux
l'affirment ici ou là, et notre perplexité face à vos propres évolutions - il y
a quelques différences entre les thèses que vous défendiez naguère et les
propositions que vous nous soumettez aujourd'hui -, notre souci n'étant que de
servir l'intérêt collectif avec vous et en essayant quelquefois de jouer les
garde-fous.
(Applaudissements sur les travées du RSDE, de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Foucaud.
M. Thierry Foucaud.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la
discussion de ce projet de loi de finances pour 2001 s'inscrit, pour
l'essentiel, dans un contexte marqué par un certain nombre de données
économiques et sociales qu'il est primordial de restituer avant toute analyse
des dispositions de la loi.
Fortement engagé depuis 1997, le processus de croissance économique de la
France continuerait, quant à l'équilibre général du projet de loi, de marquer
l'exécution budgétaire de l'année 2001.
S'interroger sur la réalité de cette croissance, ce qui a pu la prolonger et
encore la développer, est, à notre avis, une priorité du débat.
Le nombre des créations d'emploi, la baisse du nombre des faillites
d'entreprises, le maintien à un haut niveau de la rentabilité des entreprises,
que matérialisent, par exemple les profits de Total Fina - plus 165 % -, de PSA
- plus 39 % -, d'Aventis - plus 57 % -, le développement de la consommation et
de l'investissement sont certains caractères parmi d'autres de la situation.
De même, quoi qu'en disent certains, la mise en oeuvre des accords de
réduction négociée du temps de travail a participé et participe encore de la
croissance économique.
Pour autant, il conviendrait, à notre avis, d'éviter à ce stade de la
discussion deux écueils essentiels : le premier serait de tout voir en rose et
de considérer que la croissance se suffirait à elle-même pour terminer de
résoudre les difficultés que connaît encore notre pays, qu'il s'agisse de
l'emploi ou des déficits publics qui y sont profondément liés ; le second
serait, à l'inverse, de tout voir en noir et de dire que rien de ce qui a pu
être entrepris depuis 1997 n'a permis de répondre aux nécessités du temps.
Comment, dès lors, inscrire dans le texte du projet de loi de finances pour
2001 nos choix de justice sociale, de soutien à la croissance solidaire ?
Comment aller plus loin dans la direction indiquée, notamment par le
Gouvernement ?
Notre position sera donc définie avec le souci de construire, dans le cadre de
la discussion budgétaire, un projet de loi de finances permettant de faire de
l'action publique un vecteur essentiel de la poursuite du processus de
croissance, de réduction des inégalités sociales, de réponse aux besoins
collectifs tels que les exprime la communauté des habitants de ce pays.
Des signes de mécontentement existent, vous le savez, notamment pour les plus
modestes, sur les salaires, les minima sociaux, les retraites, l'aggravation
des inégalités, mais aussi la permanence de la pauvreté, alors que la
croissance retrouvée, l'explosion des profits et la financiarisation extrême
encouragent au développement de l'action revendicative, non sans résultats,
comme le montre, par exemple, le collectif de printemps.
C'est, en la matière, peu de dire que nous ne sommes qu'imparfaitement
convaincus de la qualité et de la teneur d'une partie des mesures contenues
dans l'actuel projet de loi.
Ainsi, le ministère des finances a fait le choix de consacrer une part
importante de la croissance et des recettes fiscales que cette dernière
occasionne, naturellement et mécaniquement, à la poursuite d'une réforme
fiscale portant, notamment, sur les impôts directs, et singulièrement sur
l'impôt sur le revenu et sur l'impôt sur les sociétés.
Ce choix n'est pas forcément le meilleur, et nous aurons l'occasion d'y
revenir.
M. Paul Blanc.
Ah !
M. Thierry Foucaud.
La problématique de notre système fiscal nous invite en particulier à nous
demander si une mesure visant la fiscalité indirecte - et je pense ici à la
taxe sur la valeur ajoutée - n'aurait pas été la plus indiquée.
La réduction du taux normal de la TVA n'a pas, en effet, à l'examen des
données disponibles, profondément détérioré la situation des comptes publics,
les recettes nettes de TVA ayant crû de deux points entre septembre 1999 et
septembre 2000, c'est-à-dire de 10 milliards de francs environ.
Est-ce à dire qu'une réduction supplémentaire du taux normal, revenant
définitivement sur la majoration « Juppé », aurait eu sa place dans la loi de
finances de 2001 ? Nous le pensons.
S'agissant des dispositions relatives à la réforme des impôts directs,
permettez-moi tout d'abord de souligner que l'angle d'attaque choisi n'est pas
nécessairement le plus adapté.
Réduire les taux d'imposition des différentes tranches du barème de l'impôt
sur le revenu ne permet pas, à notre avis, de faire abstraction du débat
essentiel : celui des modalités de prise en compte de chaque catégorie de
revenu et, notamment, de l'importante distorsion de traitement qui continue
d'exister entre revenus du travail, salarié ou non, et revenus du capital et du
patrimoine.
Je sais bien que l'on nous rétorquera - et ce serait justifié - que l'assiette
de la contribution sociale généralisée a été élargie, que les prélèvements
sociaux pesant sur les salaires ont été relativement allégés et sont encore
modifiés d'ailleurs par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001,
que la taxe d'habitation est aujourd'hui réformée, etc.
Certes, mais on persiste à tourner autour de la question essentielle : celle
qui veut que l'impôt sur le revenu continue de donner une image tronquée du
revenu des ménages, les salaires en constituant plus de 60 % de l'assiette.
Je citerai une autre de ces inégalités persistantes : le fait que l'essentiel
de la très importante dépense fiscale liée à l'impôt sur le revenu continue
d'être concentré sur le traitement des revenus du capital et du patrimoine,
dépense fiscale qui atteint, par exemple, 25,8 milliards de francs sur
l'assurance vie, plus de 15 milliards de francs sur les plans d'épargne en
actions, 15 milliards de francs sur l'avoir fiscal ou 23,2 milliards de francs
sur les plus-values.
Ce ne sont là que quatre exemples d'une législation fiscale qui, au motif
d'encourager au développement de l'épargne, coûtent 80 milliards de francs, au
détriment de la justice et de l'équité.
La véritable réforme de l'impôt sur le revenu est donc, nous le pensons,
encore à faire et ne peut s'arrêter à modifier seulement les taux d'imposition
des tranches du barème.
Concernant l'impôt sur les sociétés, nous sommes dans une situation
identique.
Le calcul de l'impôt est éminemment plus favorable aux grands groupes qu'aux
petites et moyennes entreprises et, de manière plus générale, aux sociétés
qu'aux entreprises individuelles, toujours taxées au barème progressif de
l'impôt sur le revenu.
L'équilibre global des mesures préconisées dans le projet de loi ne constitue
encore qu'un premier pas.
Nous devons clairement et définitivement tourner la page de l'avoir fiscal,
notre pays étant désormais l'un des derniers à appliquer ce dispositif complexe
et archaïque de rémunération du capital par l'impôt.
La suppression de la surtaxe « Juppé », que vous aviez acceptée ici à l'été
1995, sans doute à contre-coeur, ne devait pas intervenir tant que la situation
des comptes publics ne serait pas parvenue à un état plus satisfaisant ; ou
alors elle doit aller de pair avec le retour au taux normal de la taxe sur la
valeur ajoutée, votée au même moment et pour les mêmes motifs.
Une véritable réforme fiscale, monsieur le ministre - et je crois que vous
partagez cette analyse - est une réforme qui favorise la croissance, permet la
relance de l'investissement et pénalise la spéculation.
Cela me permet de faire le lien avec la question des déficits publics.
La majorité sénatoriale, dont la discussion générale et la discussion des
articles permettront de mettre en évidence les contradictions, est
particulièrement soucieuse de mettre notre pays en situation de « rattraper son
retard » en matière de déficit public.
Dans son rapport général, notre éminent collègue M. Marini qualifie ainsi la
France de « mauvais élève » de l'Union européenne, le pourcentage des déficits
publics s'y avérant plus élevé que dans bon nombre d'autres pays de la zone
euro ou encore qu'aux Etats-Unis, où l'on trouve des excédents budgétaires.
Une question se pose d'emblée quand on examine cette situation : parlons-nous
nécessairement de la même chose, monsieur le rapporteur général ?
On peut en effet constater, de-ci, de-là, une situation budgétaire florissante
; mais doit-on en conclure que les habitants de ces pays sont plus heureux, que
les besoins collectifs et sociaux sont mieux couverts ?
Quand quarante millions d'Américains - sans doute une partie des cent millions
qui n'ont pas voulu choisir entre Bush et Al Gore - demeurent dépourvus de
couverture sociale, peut-on se féliciter de l'existence d'excédents budgétaires
?
Quand les enfants de Liverpool, de Glasgow ou de Belfast sont obligés de
travailler à huit ou à douze ans pour compléter le maigre salaire de leurs
parents, quelle est la valeur d'une situation « assainie » des comptes publics
?
Non, monsieur Marini, nous ne serons jamais des partisans de la réduction des
déficits publics coûte que coûte et quel qu'en soit le prix, prix qui pourrait
aller jusqu'à l'abandon pur et simple de l'action publique et à la soumission
aux seules règles du marché, donc à la loi des inégalités sociales.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Vous êtes des partisans de l'impôt !
Mme Hélène Luc.
« Coûte que coûte », a-t-il dit, monsieur Marini !
M. Thierry Foucaud.
Mais il est normal que les gens qui gagnent beaucoup d'argent paient de
l'impôt ! Je ne vais pas revenir sur le préambule de la Constitution !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Vous les incitez à partir ailleurs !
M. Thierry Foucaud.
Certains facteurs essentiels de déficit public existent encore aujourd'hui,
parce qu'il faut que l'action publique réponde aux défis de la formation des
jeunes, de la lutte contre les exclusions, de l'action contre le chômage de
masse, parce que le marché et ceux qui le dirigent n'ont pas, en ces matières,
la volonté politique et éthique de répondre à hauteur des besoins.
La dépense publique, saine, certes, et judicieusement utilisée, est seule,
selon nous, en situation de répondre à ces défis. Car que veulent nos
compatriotes en contrepartie des impôts et taxes qu'ils acquittent ? Ils
veulent un service public de l'éducation digne de ce nom, ils veulent des
agents hospitaliers et des services de santé performants, ils veulent une
présence sur le terrain des fonctionnaires de police pour assurer leur
sécurité.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Oui, et il n'y en a pas assez !
M. Thierry Foucaud.
Certes, mais cela coûte cher, monsieur Marini !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Oui, grâce aux 35 heures !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Il faut choisir !
M. Thierry Foucaud.
De la même manière, la réforme fiscale doit se prolonger pour répondre à ces
défis.
A taux constant, depuis 1985, l'impôt sur les sociétés rapporterait 140
milliards de francs de plus, et le déficit de l'Etat serait ramené à 0,5 point
du produit intérieur brut, en dessous des taux de la plupart de nos partenaires
européens.
Cet exemple est sans doute un peu audacieux, mais il tend à montrer que la
réforme fiscale prend tout son sens, pour peu qu'elle soit équilibrée et vise
effectivement des objectifs de soutien à la croissance par le jeu de
l'incitation à l'utilisation vertueuse des richesses créées et de la
pénalisation des comportements nocifs au développement de l'activité.
Le véritable défi que nous devons relever pour améliorer durablement la
situation des comptes publics est bien connu, mais il faut pourtant chaque fois
le rappeler : c'est celui du chômage.
Que vous le vouliez ou non, mes chers collègues, l'amélioration des comptes
publics n'est pas liée, dans la dernière période, au développement forcené des
prélèvements fiscaux et sociaux, mais à l'amélioration de la situation
économique qui, bon an mal an, fait par exemple entrer 15 milliards de francs
supplémentaires dans les caisses de l'Etat au titre de l'impôt sur le revenu,
et a conduit à cette amélioration des comptes sociaux que tous vos plans de
rigueur malthusienne n'avaient jamais pu atteindre entre 1993 et 1997.
De la création d'emplois dans notre pays dépend étroitement l'amélioration des
comptes publics.
Tout doit donc être fait pour favoriser effectivement la création d'emplois,
et cela passe, d'ailleurs, par d'autres solutions que celles qui sont encore un
peu trop facilement utilisées avec les allégements des cotisations sociales.
C'est là que se situe aujourd'hui le débat essentiel : comment la politique
publique peut-elle favoriser la création d'emplois tout en répondant aux
exigences de réparation des difficultés sociales qui procèdent de la pure
application des règles économiques du marché ?
Conscient que beaucoup a été fait - nous le rappelons souvent, notamment dans
cette enceinte - je souhaitais néanmoins rappeler l'orientation que, au travers
de ses amendements et propositions dans la discussion des articles, face aux
initiatives de la majorité sénatoriale, notre groupe va, à la mesure de la
situation, faire sienne, et sur laquelle nous reviendrons tout au long de cette
discussion budgétaire qui s'ouvre
(Applaudissements sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
Mes chers collègues, permettez-moi de vous indiquer les temps de parole dont
disposent encore les différents groupes, compte tenu des décisions de la
conférence des présidents : groupe socialiste, trente-trois minutes pour deux
orateurs ; groupe du Rassemblement pour la République, quarante-quatre minutes
pour quatre orateurs ; groupe de l'Union centriste, vingt-quatre minutes pour
deux orateurs ; groupe des Républicains et Indépendants, vingt-quatre minutes
pour deux orateurs ; groupe du Rassemblement démocratique et social européen,
douze minutes pour deux orateurs ; groupe communiste républicain et citoyen,
six minutes pour un orateur.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Sergent.
M. Michel Sergent.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après mon
ami Bernard Angels, qui a largement développé la position de notre groupe sur
ce projet de loi de finances, il m'appartient de me pencher sur les finances
locales et leur impact sur nos collectivités territoriales.
Dans le contexte d'un budget 2001 qui marque un progrès constant de
l'équilibre des finances publiques, félicitons-nous que la situation des
collectivités locales soit en progrès, tant en raison de l'augmentation des
recettes fiscales que de l'évolution favorable des concours financiers de
l'Etat, qui passeront de 293,5 milliards de francs en 2000 à 337 milliards de
francs en 2001, soit une progression de 14,8 %.
Ce budget apparaît comme un budget de consolidation, 2001 devant être la
troisième année d'application du contrat de croissance et de solidarité entre
l'Etat et les collectivités locales, plus respectueux des besoins des
collectivités que le pacte de stabilité, ce pacte tant décrié par les maires
avant 1997.
Et il est satisfaisant qu'au titre de ce contrat de croissance et de
solidarité un tiers de la croissance du produit intérieur brut soit pris en
compte dans le calcul de l'évolution des dotations de l'Etat, même s'il serait
souhaitable de parvenir, à terme, à 50 %.
C'est que la politique du Gouvernement, telle qu'elle se traduit dans le
budget dont nous commençons la discussion, est profitable aux citoyens non
seulement directement en tant que tels, mais, indirectement, par
l'intermédiaire des collectivités locales, qui profitent elles aussi de la
croissance.
Jusqu'en 1997, les collectivités locales subissaient la double contrainte de
dépenses de fonctionnement qui croissaient rapidement et de recettes
insuffisantes, en particulier pour ce qui est des dotations de l'Etat, les
dotations de fonctionnement étant restées stables et les dotations d'équipement
ayant très nettement baissé.
Des modifications d'indexation et des ponctions diverses avaient entraîné des
pertes financières pour les collectivités locales, qui, d'un côté, avaient dû
restreindre leur effort d'équipement et, de l'autre, augmenter fortement leur
fiscalité.
Depuis 1997, c'est avec constance que les collectivités locales s'efforcent de
limiter la pression fiscale qui s'exerce sur les contribuables locaux. L'année
2000 est, de fait, la quatrième année consécutive pendant laquelle les
collectivités ont limité la croissance de leurs taux d'imposition, qu'il
s'agisse des communes ou des groupements, qui bénéficient, certes, de la baisse
des taux d'intérêt, mais aussi de dotations supérieures à l'inflation.
Les départements ont, eux aussi, fortement limité la progression de leurs
taux, puisque, en moyenne, ceux-ci ont baissé.
Pour ce qui concerne les régions, beaucoup d'entre elles ont maintenu une
politique de stabilité fiscale.
Par ailleurs, les collectivités locales profitent, dans leur ensemble, d'une
croissance très soutenue des bases de la taxe professionnelle du fait de
l'amélioration de la situation économique de notre pays.
La fiscalité directe des collectivités locales devrait donc poursuivre une
évolution satisfaisante, une part plus importante que par le passé du produit
de cette fiscalité devant toutefois être perçue sous la forme de
compensations.
Il est vrai que le remplacement des impôts locaux par les dotations n'augmente
pas les ressources de ces collectivités, Parfois même il les réduit, lorsque
ces compensations, même indexées, évoluent moins vite que certains impôts
dynamiques auxquels ces compensations se substituent : je pense notamment à la
taxe professionnelle.
J'ajoute que cela se traduit par une augmentation des dépenses de
fonctionnement de l'Etat.
La taxe d'habitation a vu sa part régionale supprimée et les mécanismes de
dégrèvement remplacés par un dispositif faisant varier le montant de la taxe en
fonction du revenu du contribuable.
En 2001, la suppression de la vignette, perçue par les départements,
confirmera cette tendance. J'ai noté avec satisfaction que la compensation de
la suppression de la vignette serait intégrale et indexée sur la dotation
générale de décentralisation, entraînant une progression de 3,4 %.
J'ajoute que chaque citoyen ne peut que se réjouir de la suppression d'une
taxe ou d'un impôt, et je suis certain que M. de Rohan, qui se plaignait tout à
l'heure des taxes et des impôts supplémentaires, se réjouira, lui aussi, de la
disparition d'une taxe.
M. Claude Estier.
Sans aucun doute !
M. Michel Sergent.
Que n'entendions-nous chaque année, à cette même époque - et y compris ici,
dans cet hémicycle -, sur cet impôt instauré voilà quarante-quatre ans et que
beaucoup jugeaient obsolète ! Bien des départements, d'ailleurs, avaient
enclenché le mouvement de baisse, et se plaisaient à paraître les plus vertueux
et à figurer parmi ceux où le prix de la vignette était le plus bas !
Néanmoins, à la suite de cette suppression - venant après la disparition de la
part régionale de la taxe d'habitation et de la part « salaires » de la taxe
professionnelle -, un débat s'est instauré sur le problème de la nécessaire
autonomie financière des collectivités locales et sur le principe de leur libre
administration, M. Paul Girod l'évoquait voilà quelques instants. Pourtant, ces
deux notions ne sont pas forcément liées. Dans certains pays, telle
l'Allemagne, citée également en exemple tout à l'heure, il n'y a pas
d'autonomie financière des collectivités locales, les finances de ces dernières
étant alimentées essentiellement par des dotations de l'Etat et le principe de
leur libre administration n'est nullement entamé pour autant.
M. Jean-Pierre Demerliat.
Eh oui !
M. Michel Sergent.
De plus, la France reste quand même l'un des rares pays où l'autonomie fiscale
des collectivités locales est grande, même si, dans la France d'aujourd'hui,
les collectivités locales dépendent, pour 50 % environ de leurs recettes, des
dotations de l'Etat.
Les recettes des départements, quant à elles, dépendent pour un tiers des
concours de l'Etat. Or je pense qu'il est bon qu'un lien étroit continue à
exister entre le contribuable local et la collectivité locale, surtout pour les
communes ou les groupements de communes.
La commission sur l'avenir de la décentralisation, présidée par notre collègue
et ami Pierre Mauroy, s'est saisie de ce débat. N'est-il pas temps en effet de
revoir le système en profondeur, même si l'autonomie fiscale des collectivités
locales doit être doublée, en tout état de cause, par un système de péréquation
aussi ambitieux que généreux, conduit par un Etat jouant pleinement son rôle de
régulateur, garant de la solidarité et, par conséquent, de la réduction des
inégalités ?
M. Jean-Pierre Demerliat.
Très bien !
M. Michel Sergent.
Globaliser et simplifier les règles de répartition des dotations de l'Etat par
les marges de manoeuvre que ces réformes induiraient serait sans doute une
façon d'amplifier une politique de péréquation qui se cherche encore dans une
large mesure.
Par ailleurs, s'il semble souhaitable que la fiscalité demeure une recette
prépondérante des budgets des collectivités locales, ne serait-il pas plus
judicieux, dans un souci de lisibilité, d'aboutir à une spécialisation des
impôts entre les divers niveaux de collectivités : communes, intercommunalités,
départements, régions ?
La question est désormais posée, mais je reconnais que la réponse n'est pas si
simple.
Enfin, pour moderniser la taxe d'habitation et réduire ainsi les inégalités
fiscales engendrées par cet impôt, ne conviendrait-il pas d'associer pleinement
les maires dans la responsabilité de la révision tant attendue des valeurs
locatives servant de base à cette taxe ?
M. Michel Charasse.
Ah oui ! Très bien !
M. Michel Sergent.
Quant à son assiette, ne devrait-elle pas être revue pour que soit davantage
pris en compte, dans le calcul de l'impôt, la capacité contributive de chaque
foyer ?
J'en reviens au projet de loi de finances et aux dotations.
Le total des dotations sera donc de 167 milliards de francs. Au sein de
l'enveloppe normée, la dotation globale de fonctionnement occupe une place
prépondérante. Avec 114 milliards de francs, elle augmente de 3,42 % par
rapport à la loi de finances de 2000, soit une progression de 3,8 milliards de
francs en volume. Comment, monsieur le ministre, mes chers collègues, ne pas se
réjouir de la plus importante augmentation octroyée ces dernières années ?
La DGF de l'année 2001 est, par ailleurs, abondée de trois majorations
exceptionnelles inscrites au projet de loi de finances, pour un montant de
1,850 milliard de francs : 500 millions de francs pour la DSU prévus dès la loi
de finances 1999, auxquels il faut ajouter 350 millions de francs aujourd'hui
pour cette même DSU et un milliard de francs demain pour la dotation
d'intercommunalité, soit un doublement par rapport au budget 2000.
Je me félicite que cette majoration, destinée à renforcer et à simplifier la
coopération intercommunale, soit la conséquence du succès croissant des
nouvelles communautés d'agglomération, même s'il est vrai - il faut bien le
reconnaître - que ce succès croissant va nous amener à voir leur nombre doubler
au cours de l'année qui vient.
Cependant, dans le même temps, je me permettrai d'attirer l'attention du
Gouvernement sur ce qui pourrait être un déséquilibre, même s'il est
explicable, entre les masses consacrées aux agglomérations urbaines et celles
qui sont consacrées aux structures rurales.
M. Jean-Pierre Demerliat.
Très bien !
M. Michel Sergent.
Les crédits alloués à la ville augmentent, pour leur part, de 70 %.
La dotation de solidarité rurale a été abondée de 150 millions de francs dans
sa fraction bourg-centre, après avoir augmenté de 25 % en 2000.
Plusieurs dotations évoluent comme la DGF ; c'est le cas de la dotation «
instituteur » et de la dotation « élu local ».
La dotation générale de décentralisation s'élève à 37,3 milliards de francs et
intègre, outre la progression de 3,42 %, la compensation de la suppression de
la vignette aux départements, dont le montant, 12,5 milliards de francs cette
année, progressera comme la DGD, dans laquelle il est intégré.
Ainsi, en masse, les concours de l'Etat s'élèveront, je le répète, à 337
milliards de francs, soit une augmentation de 15 %, alors même que le budget de
l'Etat ne progresse que de 1,5 %. Les concours de l'Etat progresseront donc dix
fois plus que son budget. Il s'agit bien là d'un véritable accompagnement de la
croissance.
Pour autant, ces ressources seront bien nécessaires aux collectivités
territoriales, car les charges ne manquent pas.
M. Michel Charasse.
Les pompiers, le traitement des déchets, etc. !
M. Michel Sergent.
Les normes, les réglementations, les règles de sécurité, de plus en plus
contraignantes, irritent les élus et la population.
Le statut des agents territoriaux, la réduction du temps de travail et
l'intégration des emplois-jeunes auront un impact financier.
Je n'aurai garde d'oublier les services départementaux d'incendie et de
secours, les SDIS...
M. Michel Charasse.
C'est une gangrène !
M. Michel Sergent.
... dont la gestion est de plus en plus coûteuse. L'augmentation est de 10 %
dans la quasi-totalité des départements.
M. Michel Charasse.
Elle est de 20 % dans le Puy-de-Dôme !
M. Michel Sergent.
Ajoutons à cela les dossiers liés à l'environnement : le ramassage, le tri et
l'élimination des déchets, l'assainissement ou la garantie de la qualité de
l'eau, qui génèrent des coûts considérables.
Nous pourrions aussi reparler, hélas !, des effets de la tempête de décembre
1999,...
M. Jean-Pierre Demerliat.
Très bien ! Il ne faut pas l'oublier !
M. Michel Sergent.
... plus particulièrement dans les petites communes rurales, mais pas
seulement.
Les effets de la tempête sont loin d'avoir été réparés et les conséquences des
travaux de déblaiement et de réparation se font et se feront encore durement
sentir tout au long de l'hiver prochain, notamment sur les routes communales,
sur les voies forestières ou dans le lit des rivières !
M. Jean-Pierre Demerliat.
Très bien !
M. Michel Sergent.
Ne serait-il pas possible, monsieur le ministre, afin de venir en aide aux
collectivités locales qui se trouvent confrontées à une forte augmentation de
leurs dépenses d'investissement, de proroger, l'an prochain, la dérogation à la
règle du décalage de deux ans pour le versement du fonds de compensation pour
la TVA ?
M. Jean-Pierre Demerliat.
Très bien !
M. Michel Sergent.
Cela étant, comment ne pas marquer notre satisfaction, monsieur le ministre,
en voyant que la mise en oeuvre de la réforme des marchés publics interviendra
dès janvier prochain ? Ce sera un progrès non seulement pour les collectivités
locales, mais aussi pour les entreprises, et surtout pour les plus petites
d'entre elles, qui pourront ainsi bénéficier de ces marchés.
Monsieur le ministre, depuis 1997, les relations financières entre l'Etat et
les collectivités locales ont fait de gros progrès dans le sens de la
concertation, de la coopération et de l'équilibre. Je ne peux que souhaiter que
ces progrès se poursuivent au cours des prochaines années.
Permettez-moi donc, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers
collègues, au nom du groupe socialiste, de féliciter le Gouvernement d'avoir
compris que, devant l'ampleur des missions qui sont assignées aux collectivités
locales, il était indispensable de leur donner les moyens financiers permettant
d'accomplir ces missions, d'autant que cet accomplissement a pour conséquence
un formidable effet de levier, du fait des dépenses et des investissements
locaux, sur l'ensemble de la vie économique du pays.
Les collectivités n'ont pas oublié comment elles avaient été traitées par le
gouvernement Juppé. C'est pourquoi elles apprécient, monsieur le ministre, le
projet de budget que vous leur proposez.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. Paul Blanc.
Ça, c'est moins évident !
M. le président.
La parole est à M. Trégouët.
(Applaudissement sur les travées du RPR.)
M. René Trégouët.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite,
dans mon intervention de ce jour, ne vous parler que d'une seule ligne de ce
projet de budget pour 2001, mais une ligne particulièrement symbolique et
importante pour l'avenir de notre pays.
Cette ligne, c'est celle de la téléphonie de troisième génération permettant
l'accès mobile à Internet, plus communément connue maintenant sous le sigle
UMTS.
Vous avez décidé, monsieur le ministre, de demander 32,5 milliards de francs à
chacun des quatre opérateurs qui seront retenus par l'Autorité de régulation
des télécommunications pour déployer ces nouvelles technologies sur l'ensemble
de notre pays, soit un total de 130 milliards de francs.
Cette somme, à mes yeux, n'est pas réaliste, si par ailleurs nous avons
véritablement la volonté d'imposer aux opérateurs retenus de couvrir l'ensemble
du territoire, ce qui devrait avoir un coût réel de 50 milliards à 70 milliards
de francs par opérateur - et encore, en utilisant l'itinérance en dessous d'une
certaine densité de population !
Un véritable vent de folie a balayé l'Europe en cette année 2000. Les
opérateurs majeurs de télécommunications, dont France Télécom, ont répondu dans
l'irrationnel à des mises aux enchères, souvent irréfléchies, lancées par
plusieurs gouvernements européens. Ils se sont ainsi déjà engagés à dépenser
quelque 2 500 milliards de francs pour rémunérer les licences et déployer cette
nouvelle technologie, l'UMTS, qui n'est pas encore totalement maîtrisée et pour
laquelle, surtout, nous n'avons aucune certitude quant à son appropriation, au
niveau des usages, par le consommateur européen.
M. Xavier de Villepin.
Très bien !
M. René Trégouët.
Ce pourrait être une erreur fatale de croire que l'UMTS sera une réussite pour
la simple raison que le téléphone portable de première génération, le GSM, est
un incontestable succès.
Il faudra que les opérateurs réalisent de nombreux investissements connexes
s'ils veulent que l'UMTS atteigne les objectifs ambitieux qu'ils se sont fixés
dans le domaine d'Internet et de l'image.
Pendant plusieurs mois, les grands acteurs des télécommunications semblent
avoir flotté dans l'irréel ; ils semblent être revenus récemment aux terribles
réalités, comme l'indique le récent échec des enchères en Italie et leur
annulation en Suisse.
Ce froid qui souffle maintenant, après le chaud qui a marqué le printemps et
l'été, vient d'atteindre la France puisque, après le retrait de Deutsche
Telekom, ces jours derniers, nous nous retrouvons avec quatre candidats
seulement là où il y a quatre licences à attribuer par l'Autorité de
régulation.
Comment, dans ces conditions, cette autorité, qui pourtant remplit avec
rigueur et compétence sa difficile mission, pourra-t-elle imposer des règles
strictes à sesopérateurs, surtout au niveau de l'aménagement duterritoire ?
M. Paul Blanc.
Très bien !
M. René Trégouët.
J'arrive au coeur de mon intervention.
Dans quelques années, les entreprises, non seulement les grandes mais aussi
les moyennes et même les petites, quel que soit leur secteur d'activité,
devront, si elles veulent rester dans la compétition - donc continuer à vivre -
avoir la capacité de se connecter à des réseaux larges bandes, car, avant dix
ans, l'image animée de haute qualité se sera substituée aux fichiers textes
actuellement utilisés.
Pour qu'une entreprise reste dans la course, aussi bien dans ses relations
avec ses clients qu'avec ses fournisseurs, il lui sera aussi vital de disposer
d'un signal à haut débit qu'il lui est nécessaire aujourd'hui de disposer de
l'électricité ou du téléphone.
M. Jacques Chaumont.
Très bien !
M. René Trégouët.
L'enjeu est d'une telle importance que les principaux acteurs mondiaux des
télécommunications ont développé cinq technologies concurrentes - le câble,
l'ADSL, la boucle locale radio, le satellite et l'UMTS - pour porter ce signal
à haut débit.
Malheureusement pour notre pays, qui, géographiquement, avec ses 560 000
kilomètres carrés, est le plus grand d'Europe, aucune de ces technologies ne
sera déployée dans des conditions économiques satisfaisantes dans le monde
rural si une volonté politique ne s'exprime pas clairement et très
rapidement.
MM. Jacques Chaumont et Xavier de Villepin.
Très bien !
M. René Trégouët.
Alors que le câble est très largement développé aux Etats-Unis et chez nos
principaux partenaires d'Europe du Nord, il est presque inexistant en France,
en dehors de quelques unités urbaines. Ce grave déficit de la France est dû aux
erreurs politiques des années quatre-vingt, et nous n'avons aucune chance de
combler ce déficit tant que sera maintenu le regrettable amendement sur les
fibres noires voté par l'Assemblée nationale il y a quelques mois.
M. Paul Blanc.
Très bien !
M. René Trégouët.
L'ADSL, qui permettra de porter les hauts débits sur les fils en cuivre de
notre vieux téléphone, devrait être proposée sur une large échelle dans les
grandes villes à partir du 1er janvier prochain. Mais, là aussi, cette nouvelle
technologie ne sera pas diffusée dans le monde rural, et ce pour une simple
raison technique : l'ADSL ne permet pas de transporter des hauts débits dès que
le terminal se trouve à plus de trois kilomètres de l'autocommutateur.
La boucle locale radio, plus connue sous ses initiales, BLR, a porté de grands
espoirs. Malheureusement, là aussi, les déceptions seront nombreuses pour le
monde rural.
En effet, à la suite d'une erreur technique peu compréhensible, les fréquences
permettant d'installer les relais assez loin les uns des autres ont été
attribuées aux opérateurs nationaux, qui auront tout intérêt à équiper de
préférence les territoires qui leur rapporteront le plus, c'est-à-dire les
villes.
Les fréquences exigeant d'installer les relais à cinq kilomètres les uns des
autres ont été attribuées aux opérateurs régionaux. C'est à eux qu'aurait dû
être confiée la mission de déployer la BLR dans le monde rural. Or, comment
voulez-vous qu'un opérateur régional amortisse en milieu rural des relais
placés à cinq kilomètres les uns des autres, alors que la densité de population
est faible ?
Aussi - je l'affirme sereinement - M. le ministre de l'industrie a tort
d'annoncer que le problème de la BLR est résolu en France parce que de nouveaux
candidats viennent de se présenter pour des régions essentiellement rurales,
comme l'Auvergne ou la Franche-Comté, en remplacement de ceux qui avaient
baissé les bras il y a quelques mois.
Une simple équation nous permet de constater que ces opérateurs régionaux ne
pourront installer la BLR que dans des unités urbaines de 20 000 habitants au
mieux et que tous les territoires situés en dehors de ces unités urbaines, qui
représentent près de 90 % de la surface de ces régions rurales, ne
bénéficieront jamais de la BLR si les règles du jeu ne sont pas profondément
modifiées.
Quand nous abordons ce problème des hauts débits pour le monde rural, certains
esprits avisés nous affirment que les satellites résoudront tous les
problèmes.
Si nous parlons des flux descendants, ils ont tout à fait raison : les
satellites ont parfaitement la capacité de nous apporter des larges débits, et
ce pour des prix qui deviendront de plus en plus accessibles.
Mais il n'en est pas de même pour la voie remontante, qui permettrait à tout
un chacun, sur l'ensemble du territoire, d'envoyer des signaux lourds au reste
du monde. Cela est techniquement possible, mais, en raison de la complexité du
problème, cela restera toujours une opération onéreuse, donc inaccessible aux
petites et moyennes entreprises, et plus encore à l'internaute de base.
Ces quatre technologies que sont le câble, l'ADSL, la BLR et le satellite ne
permettant pas, pour des raisons politiques, réglementaires, technologiques ou
financières, de desservir le monde rural, qui représente une grande partie du
territoire de la France, il ne reste qu'une technologie, l'UMTS, qui semble
avoir la capacité, pour des coûts acceptables, de porter les hauts débits sur
l'ensemble de notre pays.
Or, là encore, pour des raisons irréfléchies qui privilégient trop l'instant
par rapport à l'avenir, le Gouvernement, en ne posant pas l'équation
élémentaire qui s'impose, prend le grand risque de voir l'UMTS être déployé
seulement dans les unités urbaines où, pour un investissement raisonnable, un
gros chiffre d'affaires est garanti, et de reporter aux calendes grecques le
déploiement de l'UMTS dans le monde rural.
S'il en était ainsi, ce serait une véritable fracture numérique qui se
creuserait dans notre pays entre les villes et le monde rural. Pour un simple
respect de la devise de la France qui fait l'unité et la force de notre pays,
cela serait intolérable. Aussi, mes chers collègues, nous nous devons d'envoyer
un message fort aux Français pour leur dire que nous n'acceptons pas cette
fracture numérique.
C'est pourquoi, mes chers collègues, nous serons plusieurs à vous proposer,
dans la discussion budgétaire de cette première partie de la loi de finances,
une autre répartition des 130 milliards de francs attendus de l'attribution des
licences UMTS.
M. Pierre Laffitte.
Très juste !
M. René Trégouët.
Nous vous proposerons que la moitié de cette somme soit réservée au
déploiement de ces technologies large bande pour les régions déshéritées de
notre pays.
M. Serge Vinçon.
Très bien !
M. René Trégouët.
Si nous ne le faisions pas, nous manquerions à notre mission, en laissant se
creuser la fracture entre les régions nanties et les régions pauvres. J'espère
de tout coeur que nous serons très nombreux à nous retrouver sur cette
nécessaire volonté.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. de Villepin.
M. Xavier de Villepin.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la
discussion budgétaire s'engage aujourd'hui dans une conjoncture économique pour
le moins incertaine. Il est vrai que les menaces qui pèsent sur la croissance
européenne et mondiale se sont accumulées ces derniers mois. Je pense, bien
sûr, au renchérissement du prix du pétrole, avec ses incidences sur l'inflation
et notre balance commerciale, ainsi qu'aux problèmes que connaît l'euro. Or, à
un an et demi d'échéances politiques capitales, le Gouvernement cherche à
entretenir l'illusion d'une poursuite de la croissance au même rythme,
relativement soutenu, que ces dernières années.
Le projet de budget pour 2001, fondé sur des hypothèses excessivement
optimistes, apparaît comme un cadre virtuel en décalage par rapport à
l'évolution de la situation économique internationale.
De 1997 à 1999, nous avons connu des années fastes, des recettes fiscales
supérieures aux prévisions. Notre pays et notre continent, quoique dans une
proportion moindre que d'autres régions du monde, ont profité de la reprise de
l'activité et des échanges internationaux. Mais la France n'a pas su en
profiter pour mener les réformes structurelles qui s'imposent.
Que constate-t-on en effet ? La France reste à la traîne des nations
industrialisées en matière de réduction des dépenses publiques et des impôts.
Je rappellerai juste à ce sujet que la France est l'un des pays de l'OCDE où
les prélèvements obligatoires sont les plus élevés et qui possède un taux de
dépenses publiques de près de 53 % du produit intérieur brut. Dans ces
conditions, il est logique que notre pays ait malheureusement encore un taux de
chômage supérieur à celui de ses principaux partenaires, avec 1,5 point de plus
que la moyenne européenne.
Les solutions au « mal » français dépendent évidemment en premier lieu de la
capacité des responsables de ce pays à engager les réformes dont il a
impérativement besoin.
Mais ces solutions résident également au niveau européen, dans
l'affermissement d'une union monétaire actuellement en crise : ce sera le
premier point de mon propos.
Les difficultés de l'euro se sont en effet accélérées au début du mois de mai.
Elles favorisent les tendances inflationnistes et la hausse des taux d'intérêt,
avec toutes les conséquences que l'on peut imaginer à terme sur l'activité.
Les gouvernements, ainsi que les acteurs économiques, ont sans doute eu tort
de croire, dans un premier temps, aux bénéfices de l'érosion de l'euro pour la
compétitivité de nos exportations. En réalité, conjuguée au renchérissement du
prix du baril de pétrole, cette érosion est devenue un facteur de
déstabilisation pour l'intégration économique et pour la construction
européenne elle-même. Voilà pour le constat.
Comment expliquer la chute de la devise européenne face à un dollar qui ne
nous avait pas habitués depuis longtemps à une telle solidité ? Le dollar reste
fragile. Il est un peu facile de faire peser la responsabilité de cette
situation sur une Banque centrale européenne qui, en dehors de maladresses de
communication évidentes, remplit correctement son mandat. Responsable de la
politique monétaire, elle se trouve confrontée à une reprise de l'inflation
dans la zone euro de 2,8 % sur un an en septembre dernier. Les causes de la
perte de confiance des investisseurs internationaux vis-à-vis de l'euro sont
plus profondes : l'Euroland, en dix ans, a accumulé au regard des Etats-Unis un
retard de croissance de 10 % environ et un retard d'investissement de plus de
30 %.
Je crois sincèrement au caractère irréversible de l'euro. Mais il faut
reconnaître que le processus engagé dès 1979 avec le système monétaire européen
reste inachevé : face à une Banque centrale responsable de la
politiquemonétaire, il manque encore une véritable coordination des politiques
économiques entre les différents gouvernements européens.
Il est vrai que la croissance économique de ces dernières années n'a pas été
une invitation à coopérer et à coordonner nos politiques économiques. La
tentation est grande, dans une conjoncture favorable, de « nationaliser » la
croissance et de réserver la coordination aux périodes de récession
économique.
Ainsi en est-il de la gestion de la « cagnotte » fiscale française ou de la
réforme de la fiscalité allemande au printemps 2000. Ni l'une ni l'autre n'ont
fait, à notre connaissance, l'objet d'une consultation des pays partenaires. La
coordination des politiques économiques figure pourtant dans le traité de
Maastricht parmi l'un des objectifs des pays membres.
Ainsi faut-il clarifier les principes et les règles de conduite grâce à la
définition, par les pays membres de la zone euro et la Banque centrale, d'une
véritable charte de la politique économique.
Cette charte pourrait comprendre, par exemple, les principes de réponse face
aux chocs économiques, ou ceux d'une approche à moyen terme de la
politiquebudgétaire prenant en compte les engagements futurs à la charge de
l'Etat. Il paraît également indispensable de transformer l'Euro 11 en un
véritable conseil de politique économique de la zone et de le doter d'une
représentation extérieure crédible, ce qui n'est pas le casactuellement.
Le dynamisme de la France au sein de l'économie mondiale dépend également de
sa capacité à se réformer. Deux priorités s'imposent : réduire les dépenses
publiques et réformer la fiscalité.
En matière de réduction du déficit et de la dette, la France est encore en
retrait par rapport à ses principaux partenaires, notamment vis-à-vis de son
voisin allemand. Il suffit de rappeler les principaux objectifs du programme de
stabilité en Allemagne : l'équilibre budgétaire en 2006, une dette publique de
moins de 55 % du produit intérieur brut dès 2004. Nous en sommes très loin en
France : l'effort de réduction du déficit budgétaire y connaît un net
ralentissement depuis 1998 alors même que les recettes fiscales sont
importantes. L'année 2000 constituera « une année blanche » en la matière, le
déficit restant le même qu'en 1999.
Autre fait inquiétant : l'importance croissante des dépenses de fonctionnement
de l'Etat. Elles représentent 48 % du budget général, soit 4 points de plus par
rapport à 1996 ; 20 000 emplois publics seront créés en 2001 et ce n'est qu'un
début si l'on en croit les annonces de créations de postes.
Non, manifestement, ce n'est pas un hasard si la France a été montrée du doigt
pour son laxisme budgétaire par la Commission européenne le 16 octobre
dernier.
La résolution de nos partenaires allemands contraste avec les hésitations d'un
gouvernement français obligé de composer sans cesse entre les obligations du
pacte de stabilité au niveau européen et les revendications irréalistes de sa
majorité parlementaire.
A cet égard, des divergences apparaissent de plus en plus nettement au sein de
la majorité et du Gouvernement lui-même. Ce fut le cas en particulier ces
derniers jours sur la question de la revalorisation des salaires de la fonction
publique.
Parmi les réformes de structures, une réforme s'impose particulièrement :
celle de la fiscalité. Je n'y reviendrai pas, après les interventions du
président de la commission des finances Alain Lambert, du rapporteur général
Philippe Marini et du président du groupe de l'Union centriste Jean Arthuis. La
plupart des pays européens et les Etats-Unis ont ramené à moins de 50 % le taux
marginal de l'impôt sur le revenu. En Allemagne, notre principal partenaire
économique, le gouvernement social-démocrate l'a d'ores et déjà réduit de 53 %
à 42 %.
Un effort de modération fiscale est vital pour notre pays alors que
s'intensifie un mouvement très inquiétant de migration des talents vers
l'étranger, ce que démontre le rapport publié en juin 2000 par la commission
des affaires économiques du Sénat.
A ce propos, il serait bon que la loi de finances comportât chaque année,
monsieur le ministre, en annexe, un tableau comparatif des taux d'imposition
dans les différents pays de la zone euro. Le vote de l'impôt, première fonction
du Parlement, doit se faire en toute transparence et tenir compte de la
nouvelle réalité qui est celle dès aujourd'hui des entreprises de notre pays :
un marché unique doté d'une monnaie unique.
Je sais que la commission des finances est particulièrement soucieuse d'une
amélioration de l'information budgétaire. Elle vient de rendre public un
rapport remarquable intitulé :
En finir avec le mensonge budgétaire.
Notre démocratie gagnerait en crédibilité et en efficacité si le Parlement, à
l'occasion de la discussion budgétaire, disposait de données plus claires et
plus fiables sur les recettes et les dépenses.
Je conclurai en rendant hommage à l'excellent travail réalisé par mon ami
Alain Lambert, président de la commission des finances, et par notre rapporteur
général. Avec mes collègues du groupe de l'Union centriste, nous voterons les
amendements et suivrons les différents avis de la commission des finances sur
le projet de budget pour l'année 2001.
(Applaudissements sur les travées de
l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Puech.
M. Jean Puech.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, maîtrise des
dépenses publiques, réduction du déficit budgétaire, baisse des impôts, voilà
des engagements que l'on aime entendre. Mais ce projet de budget pour 2001
est-il conforme à ces objectifs ?
Avec ce projet de loi de finances, quelle voie empruntez-vous ? On a plutôt le
sentiment que c'est, encore et encore, le tonneau des Danaïdes !
Or, pour ces trois orientations générales, comme pour les choix de répartition
des résultats de la croissance, une question est omniprésente dans toutes les
interventions, celle du poids de la dépense publique et de ses évolutions.
La maîtrise de la dépense publique est à la fois, vous le savez, une nécessité
et une obligation.
C'est une nécessité, car nous devons tenir nos engagements européens en faveur
d'un rétablissement de nos comptes. C'est une obligation pour nos concitoyens
et nos entreprises, tant nous dépassons le seuil de l'inacceptable en matière
de prélèvements.
Or, les propositions qui nous sont faites dans ce projet de loi de finances
vont à l'encontre de cet objectifimpérieux.
La France continue à cultiver des dogmes d'un autre temps, et la loi de
finances pour 2001 y contribue.
Quelle est la situation actuelle ? Alors que l'année 2000 s'achève et que tout
le monde s'accorde à dire qu'il s'agira, en termes de croissance, d'une année
exceptionnelle - ce sera la meilleure performance de la décennie ! - au même
moment, les experts se demandent si la croissance, justement dans un proche
avenir, ne pourrait pas « caler », comme vient de le souligner M. Xavier de
Villepin.
Il aura suffi de la hausse des produits pétroliers, d'un léger fléchissement
des indicateurs économiques, d'un moral des ménages en chute significative au
mois de septembre pour qu'on s'inquiète. Il y a pourtant d'autres paramètres
qui nous inquiètent.
En France, on constate que, malgré un taux de chômage encore important, les
entreprises éprouvent de plus en plus de difficultés à recruter, on parle même
de pénurie de main-d'oeuvre. C'est un véritable paradoxe pour un pays qui,
malheureusement, doit déplorer encore, hélas ! 2,5 millions de chômeurs.
Peut-on voir dans ce phénomène seulement le fait qu'en France nous
souffririons d'une inadaptation de l'offre de travail à la demande des
entreprises ? Cela ne peut être la seule cause de cette difficulté à
recruter.
On sait bien que la difficulté réside aussi dans le faible écart entre le
montant des aides à caractère social et celui du salaire minimum, qui ne
constitue pas, reconnaissons-le, une saine émulation au travail.
Par ailleurs, on voit que cette croissance a finalement peu de prise sur le
recul de l'exclusion. A cet égard, dans le projet de budget que vous nous
soumettez, le poste de financement du RMI n'augmente-t-il pas de un milliard de
francs ?
Par ailleurs, on constate également un taux d'activité faible par rapport à
celui des pays industrialisés ; c'est particulièrement vrai pour les moins de
vingt-cinq ans et pour les plus de cinquante-cinq ans. Après cinquante-cinq ans
et jusqu'à soixante-quatre ans, seules 38 % des personnes de cette classe d'âge
travaillent encore.
On a fait un choix clair dans notre pays, celui de tenter de réduire le
chômage par le partage du temps de travail plutôt que par la croissance, qui
génère l'emploi. C'est un choix, un choix politique qui n'est pas sans
conséquence, et, tout d'abord, pour la compétivité de nos entreprises.
Appliquer les 35 heures dans les petites et moyennes entreprises n'est pas
chose facile et il est évident, aux yeux de tous, qu'il est indispensable
d'adapter la loi pour éviter de faire courir aux entreprises des risques
insurmontables.
On voit bien aussi combien ce choix pèse sur les finances publiques. On a déjà
rappelé ce matin ce chiffre qui fait frémir, mais il est bon de l'avoir
toujours présent à l'esprit : la perte de recettes pour les régimes sociaux
décidée par le Gouvernement pour financer les 35 heures est, au titre de 2001,
de l'ordre de 40 milliards de francs !
On sait aussi que ce choix n'est pas neutre dans le règlement du dossier des
retraites. On se souvient du premier rapport Charpin, qui préconisait de
repousser l'âge de la retraite. Voilà une vraie question, que l'on feint
toujours d'ignorer.
Cela a été dit et redit, mais il est bon de rappeler cette autre particularité
française : le nombre d'heures travaillées par les Français est plus faible que
partout ailleurs. Avec 1 539 heures, un Français travaille 438 heures de moins
qu'un Américain, 360 heures de moins qu'un Japonais, 183 heures de moins qu'un
Anglais. C'est la conséquence de ce choix politique de partage du temps de
travail qui consiste à faire croire qu'on peut avoir une économie forte en
travaillant moins.
Quand on évoque la création d'entreprises, signe tangible de la vitalité de
notre économie, nos experts disent que notre pays affiche le plus mauvais
résultat des pays industrialisés, et ce malgré un engagement et un soutien à la
création d'entreprises. L'effort est important. Mais, les conditions et
l'environnement n'étant pas favorables, le taux de création est faible et le
taux de mortalité des entreprises est très fort. Une entreprise sur deux ne
passe pas le cap des cinq ans.
Aux difficultés que je viens de rappeler s'ajoute la croyance, typiquement
française, qui voudrait qu'un déficit élevé soit un mal nécessaire, chronique.
Cela relève d'un comportement irréaliste, d'un comportement d'un autre
temps.
Il faut sortir de ce déficit chronique.
Le déficit pour l'année 2000 est en augmentation sur les prévisions. Une
question se pose à nous : pourquoi les autres pays, qui n'affichent pas
forcément notre bon taux de croissance réduisent-ils ce déficit, voire
réalisent des excédents, alors que nous laissons notre déficit de gestion
enfler, ce qui alimente chaque année la dette.
La France a l'un des taux de prélèvements obligatoires les plus élevés. De
1997 à 2001, ils se sont accrus de 470 milliards de francs.
La dette publique s'élève à 5 200 milliards de francs, soit 86 000 francs par
habitant et une somme bien évidemment plus importante par foyer fiscal. Elle a
progressé de 800 milliards de francs entre 1997 et 2001. Le poids de nos
intérêts s'élève à 243 milliards de francs, c'est-à-dire que, chaque jour
ouvré, notre pays doit payer 1 milliard de francs pour se libérer uniquement
des intérêts de la dette !...
Aujourd'hui, on peut dire que ce déficit nous relègue, pour reprendre une
expression utilisée en réaction à ce constat, « parmi les tout derniers de
l'Union européenne ». Un journaliste, certainement un peu sévère, nous a même
traités de « cancres de la classe » !
Nous avons ainsi un Etat budgétivore en fonctionnement et particulièrement
chiche en investissement !
Le train de vie de l'Etat ne baisse pas ! On choisit l'accroissement des
effectifs de notre fonction publique - c'est la solution de facilité - plutôt
que de prendre à bras le corps le problème de sa valorisation et de sa
modernisation, afin de la rendre plus performante. Cela pèse bien sûr sur le
budget, sans résoudre des questions de fond.
Par ailleurs, les dépenses dans bien d'autres secteurs ne sont pas maîtrisées.
Alors que les dépenses de fonctionnement augmentent, les dépenses
d'investissement, elles, régressent dans ce projet de budget.
Ce n'est pas une bonne nouvelle, car l'investissement public participe à la
croissance, c'est-à-dire à l'emploi. Cette diminution signifie que l'Etat
n'entend pas assumer pleinement ses responsabilités en garantissant le niveau
d'équipement en infrastructures dont il a la charge. Ce désengagement touche
bien évidemment l'aménagement du territoire, ou ce qu'il en reste.
Il est vrai qu'en la matière l'Etat a pris la mauvaise habitude, depuis de
nombreuses années, par ses politiques contractuelles, de laisser les
collectivités locales s'engager dans le financement des équipements publics
normalement à sa charge. Les contrats de plan 2000-2006 n'échappent pas à cette
règle, maintenant presque écrite.
Comme on sait que l'Etat garde la maîtrise d'ouvrage des opérations concernées
et récupère la TVA, c'est autant de moyens financiers en moins qu'il engage
réellement. Et je ne parle pas des avances de trésoreries faites par les
collectivités locales à l'Etat pour préfinancer les dossiers soutenus par les
fonds européens !
Il n'y a donc pas de véritable engagement en faveur d'un assainissement de nos
comptes. Comment une telle pratique peut-elle perdurer sans qu'un jour l'Etat
ne se trouve non seulement en décalage avec l'opinion, avec les contribuables,
mais aussi sans moyens pour réagir en cas de baisse de conjoncture ?
Par ailleurs, je rappelle que les collectivités locales doivent voter leurs
budgets en équilibre. Leurs ratios d'endettement sont bien encadrés. Depuis
plusieurs années, on constate qu'elles ont assaini leurs comptes, qu'elles
optent pour une politique de modération fiscale. Or, l'Etat joue en permanence
les vertueux en étant très exigeant à leur égard. Qu'il commence donc par
lui-même et qu'il s'inspire de leur gestion !
Quant aux annonces de baisse des impôts, vous me permettrez, en tant que
représentant des collectivités locales, de dire que c'est du trompe-l'oeil !
Faut-il rappeler que, en trois ans, de nombreuses taxes et cotisations, de
nouveaux impôts ont été créés, comme l'écotaxe, dont le Conseil d'Etat a
dénoncé le caractère inégalitaire, la taxe sur les logements vacants, une
contribution sociale sur les bénéfices ?...
Faut-il rappeler encore l'extraordinaire hypocrisie d'une baisse des impôts
qui concerne nos collectivités locales ? Les suppressions unilatérales de la
part régionale de la taxe d'habitation et de la vignette constituent une baisse
de l'impôt pour le contribuable local. Mais, comme il y aura une compensation
nationale, c'est le contribuable national qui sera appelé à financer cette
baisse d'impôt local. Globalement, il n'y a donc pas de baisse d'impôt ; il
s'agit d'une illusion. Ces deux mesures coûteront près de 20 milliards de
francs.
Si vous ne réduisez pas la dépense publique et si vous ne réduisez pas la
dette, ne faites pas croire que vous pouvez réduire les recettes, c'est-à-dire
les impôts.
Il ne peut y avoir de véritable baisse des impôts sans véritable baisse de la
dépense publique et sans maîtrise de la dette. Pour parvenir à une situation
saine, il faut accepter une totale remise en cause de notre action publique.
Dans cette perspective, il est indispensable de procéder à une véritable
réforme de l'Etat. Une évolution de ses missions, de son organisation, de son
administration centrale et de son administration déconcentrée, un nouveau
partage des compétences entre les collectivités locales et l'Etat sont des
passages obligés pour un assainissement en profondeur de nos finances
publiques.
La modernisation de l'Etat doit être synonyme de suppression des doublons, de
redéploiements, d'optimisation de la dépense. Pour cela, il faut une vraie
volonté, une adhésion du plus grand nombre, à commencer par celle de l'ensemble
des corps constitués. Plus qu'un changement d'état d'esprit, c'est
effectivement à un changement de modèle de société qu'il faut procéder.
Encore une fois à l'occasion de l'examen de ce projet de loi de finances, le
problème de la transparence des comptes et de leur sincérité a été abordé. Je
rends à cet égard hommage à l'excellent travail de notre commission des
finances, de son président et de son rapporteur général. Je souhaite qu'il
inspire le Gouvernement dans les mesures à prendre.
Nos collègues ont démontré, dans leur rapport intitulé
En finir avec le
mensonge budgétaire,
combien la représentation nationale et, à travers
elle, nos concitoyens étaient mis en quelque sorte à l'écart de la réalité de
la situation des finances publiques de notre pays. Dans une démocratie comme la
nôtre, eu égard au poids de notre dette, cette situation n'est pas
acceptable.
Il ne s'agit pas d'amener le Parlement à se substituer au Gouvernement, qui a
la responsabilité de préparer le budget et de l'exécuter. Il s'agit de
permettre au Parlement de disposer des éléments qui sont nécessaires pour
éclairer ses débats et ses choix. De tout temps, on a fait dire beaucoup de
choses aux chiffres ! Le Sénat a fait des propositions très concrètes pour
modifier l'ordonnance de 1959. J'attends avec intérêt les évolutions.
Il faut que l'Etat s'impose à lui-même, une bonne fois pour toutes, ce qu'il
exige des autres et de tous ses partenaires. La transparence est en effet le
gage non seulement de la responsabilité, mais aussi de la réhabilitation du
politique auprès de nos concitoyens. C'est en tout cas la priorité qui surpasse
toutes les autres !
(Applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, de l'Union centriste, du RPR, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous propose, à ce stade du
débat, d'interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-cinq, est reprise à dix-sept
heures cinquante-cinq.)