SEANCE DU 23 NOVEMBRE 2000


M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi de finances que j'ai l'honneur de vous présenter avec Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget, qui, retenue actuellement à Bruxelles, nous rejoindra ultérieurement, repose sur trois objectifs : une meilleure satisfaction des besoins de nos concitoyens tout en maîtrisant les dépenses ; un déficit public qui poursuit sa réduction ; des baisses d'impôts importantes et équitables qui s'inscrivent dans un cadre pluriannuel.
C'est donc un budget de cohérence qui vous est soumis, cohérence avec les choix engagés par le Gouvernement et la majorité plurielle depuis le début de la législature pour l'activité et pour l'emploi, cohérence aussi avec les valeurs de progrès que nous défendons : croissance réformatrice, Etat partenaire et solidarité durable.
Avant de passer à l'examen proprement dit du budget et en vous remerciant beaucoup, monsieur le président, des propos que vous avez tenus sur l'organisation de vos travaux, je souhaite en quelques mots revenir sur trois débats qui ont accompagné la présentation de ce texte.
L'élaboration du budget a tenu compte, tout d'abord, de l'aléa pétrolier.
Voilà un mois, la tension sur les marchés faisait craindre, à l'approche de l'hiver, une éventuelle pénurie de produits raffinés, notamment en Amérique du Nord. Aujourd'hui, nous constatons des variations presque quotidiennes sur les prix des carburants, en même temps - je veux le signaler - qu'une volonté de concertation nouvelle et, je l'espère, réelle à l'échelon international pour entretenir et développer un dialogue durable entre pays producteurs et pays consommateurs de pétrole.
Dans ce contexte, des mesures ont été prises par le Gouvernement, en particulier une baisse de la TIPP - taxe intérieure sur les produits pétroliers - sur le fioul domestique et la mise en place de ce que l'on a appelé la TIPP stabilisatrice. Nous devons rester vigilants, mais ne pas surréagir. S'agissant de l'évolution des prix du pétrole, le Gouvernement demeure prudent, mais plutôt optimiste à moyen terme.
L'élaboration du budget - c'est ma deuxième remarque liminaire - intègre la variation du cours externe de l'euro. Alors que la monnaie unique est adoptée sur tous les marchés, sa valeur actuelle oscille loin de son cours d'introduction. Pour autant, il ne faut pas, là non plus, céder au pessimisme. La croissance de la zone euro est bien assise, comme nous l'escomptions. Notre détermination à soutenir le cours de la monnaie unique a été prouvée. La coordination des politiques économiques se poursuit, ce qui n'est pas facile car on ne se défait pas du jour au lendemain en Europe de réflexes dispersés.
Je veux préciser, à ce sujet, que 2001 sera l'année de montée en régime de la préparation de l'euro pratique. J'aurai l'occasion de vous en entretenir souvent, comme parlementaires et comme élus locaux, car ce sera une préparation que nous devrons faire dans la concertation, qui est tout à fait essentielle et qui ne sera pas facile. En tout cas, ce budget est le dernier que je vous présenterai en francs.
Enfin, l'élaboration du budget a bien sûr respecté le cap fixé par le Premier ministre voilà trois ans : priorité à la lutte contre le chômage et à la solidarité. Cette politique, personne, je crois, ne le conteste, a permis à près de un million de chômeurs de retrouver un emploi a redonné du pouvoir d'achat aux ménages, notamment les plus modestes, et a consolidé l'activité de la plupart des entreprises. Depuis quelques semaines, de nombreux commentaires ont été consacrés à ce que j'appelle « la politique économique de l'emploi ». Je me réjouis que ce débat ait commencé d'entrer dans le domaine public, même si, souvent, on le réduit à un clivage beaucoup trop facile, et à vrai dire sommaire, entre politique de l'offre et politique de la demande. Méfions-nous du manichéisme et du dogmatisme en économie. Il n'y a pas à choisir entre le pouvoir d'achat des Français et la solidité des entreprises, qui sont en fin de compte interdépendants, pas plus qu'il n'y a à trancher entre efficacité économique et justice sociale, qui sont toutes deux les conditions du développement durable du pays.
Faudrait-il, pour avancer, choisir entre ses deux jambes ? Assurément non. Croissance à la hausse et chômage à la baisse vont de pair. En trois ans, près de un million de personnes sont sorties du chômage, qu'il s'agisse de primo-demandeurs, de jeunes, de chômeurs de longue durée. Toutes les catégories sont concernées. Mais rappelons-nous que l'on dénombre encore en France plus de deux millions de chômeurs et que beaucoup d'efforts restent à faire pour en finir avec le chômage de masse. Voilà notre priorité absolue : revenir, si possible, au-dessous de deux millions de chômeurs d'ici à 2002. C'est dans cet esprit que ce budget a été préparé. Notre politique économique, je vous le confirme, est bien lapolitique économique de l'emploi.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l'examen en première lecture du projet de loi de finances à l'Assemblée nationale a permis de préciser certaines dispositions du texte, d'en compléter d'autres, en particulier en matière de fiscalité écologique et de finances locales, sans pour autant bouleverser l'architecture initiale. C'est le rôle du Parlement. Nous avons, je crois, modernisé le système fiscal des sociétés de capital-risque, amélioré, sur certains points, la fiscalité des agriculteurs, majoré la dotation de solidarité rurale et le financement de l'intercommunalité, favorisé les conditions d'amortissement pour les équipements de production d'énergies renouvelables, accordé un abattement de taxe foncière pour les HLM en zone sensible et un dégrèvement de cette même taxe pour les personnes âgées de plus de soixante-dix ans non imposables, consolidé la condition d'emploi pour le bénéfice de la loi sur les départements d'outre-mer. Je connais, par expérience, la qualité des débats qui se déroulent au sein de la Haute Assemblée, j'espère qu'ils seront fructueux. Je veux saluer les travaux de votre commission des finances,...
M. Alain Lambert, président de la commission des finances du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Merci !
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... le président Alain Lambert et le rapporteur général Philippe Marini, ainsi que tous les membres de cette commission et, plus généralement, tous les membres de votre assemblée, en particulier celles et ceux qui nous font l'honneur d'être présents aujourd'hui.
Le premier objectif de ce budget, c'est la consolidation de nos atouts économiques fondamentaux. Nous avons choisi de préparer ce budget à partir d'une fourchette de croissance assez large, puisqu'elle se situe entre 3 % et 3,6 %. Depuis lors, d'autres estimations élaborées par une série d'organismes nationaux et internationaux nous font penser que, quelle que soit la décimale, la croissance devrait être soutenue l'an prochain, à peu près deux fois supérieure à ce qu'elle fut ces quinze dernières années. Pour 2001, et dans le sillage des trois dernières années, les indicateurs sont dans l'ensemble favorables.
La consommation devrait rester vigoureuse et le pouvoir d'achat progresser. Les dépenses des ménages n'ont cessé de croître : 2,1 % en 1999, 2,7 % en 2000 ; nous prévoyons 3,5 % l'an prochain. Comme le taux d'épargne reste fixe et que l'inflation a atteint, en octobre, 1,9 % en glissement annuel, c'est, quelles que soient les contestations, une traduction indiscutable de la hausse du pouvoir d'achat auquel vous êtes, je le sais, très attentifs. En termes réels, c'est-à-dire après inflation, la masse salariale globale devrait augmenter en francs constants de 4,2 % l'année prochaine, prolongeant une hausse d'environ 3,9 % cette année. Elle confirme que des ressources nouvelles sont apparues dans les foyers ; 2,5 % de l'accroissement du volume global des salaires devraient aller aux créations d'emploi, 1,7 %, soit plus des deux cinquièmes, abondant le pouvoir d'achat par tête.
Je souligne ce point, mesdames, messieurs les sénateurs, parce qu'il est souvent passé sous silence : il existe une masse salariale globale qui augmente, et même, historiquement, qui augmente beaucoup. Comment se répartit-elle ? Nous avons fait le choix, en 1997, que l'essentiel aille à la création d'emplois, et c'est ce qui s'est passé. Cela signifie mécaniquement que les augmentations salariales pour les personnes déjà en activité sont moins importantes, même si elles demeurent positives, que ce qui se serait produit s'il n'y avait pas eu ces créations d'emplois. Mais on le sait bien, en économie comme dans la vie, on ne peut pas faire une chose et son contraire. L'aspect principal est que priorité est donnée aux créations d'emplois, ce qui absorbe toute une partie de la masse salariale globale. Dès lors, la progression du pouvoir d'achat de ceux qui sont déjà en activité est positive, mais pas autant que s'il n'y avait pas eu ces créations d'emplois.
S'agissant de ce que l'on appelait naguère la formation brute de capital fixe et qu'il vaut mieux appeler l'investissement, l'augmentation prévue pour 2001 est de 6,9 %. Elle pourrait donc être un peu au-dessous du niveau exceptionnel de 1999, à savoir 7,6 %, mais légèrement supérieure au remarquable résultat de l'an 2000, déjà estimé à 6,6 %. C'est une novation en France. Ce ne sont pas les taux que nous avons connus pendant de longues années, et je pense que nous devons, toutes et tous, nous en réjouir. Même si ces taux restent inférieurs à ce qu'ils sont par exemple aux Etats-Unis, où ils atteignent parfois 14 % ou 15 %, ils montrent une disponibilité de nos entreprises à aller de l'avant et à préparer l'avenir, qui est la meilleure garantie des futures créations d'emplois.
C'est la preuve que l'investissement, notamment celui des petites et moyennes entreprises, est devenu non pas totalement, mais relativement indépendant des aléas ponctuels de la conjoncture, son volume démontrant la confiance et la rentabilité de nombre de nos sociétés.
Enfin, je veux souligner que le commerce extérieur, et singulièrement la balance des paiements, reste dynamique, même si la part des exportations dans l'addition finale sera peut-être moins élevée que les années passées. Au total, sur les sept premiers mois de l'année, les exportations auront atteint le niveau record de 1 200 milliards de francs, soit une progression de 13 % par rapport à 1999.
Le deuxième objectif du Gouvernement est de rassembler les moyens nécessaires pour le service de l'intérêt général tout en respectant nos priorités budgétaires. Comme l'a souligné votre commission des finances, la valeur réelle d'une politique budgétaire tient dans un objectif pluriannuel de dépenses publiques vérifiable. En choisissant une évolution raisonnable des dépenses, en fixant un certain nombre de règles du jeu, nous prenons la décision de laisser fonctionner sans à-coups les stabilisateurs automatiques qui y contribuent.
Le choix du budget pour 2001 est celui d'une progression en volume de 0,3 % des dépenses, nettement moindre que celle de la richesse nationale, qui s'élève à plus de 3 %. La part des dépenses publiques dans le produit intérieur brut baisse ainsi de près de deux points au total en 2000 et 2001. Cette lisibilité de notre politique de finances publiques est une condition pour mener à bien les réformes de structure dont les administrations ont besoin et pour redonner à l'action publique des marges de manoeuvre, non par une augmentation exponentielle des dépenses, mais par une meilleure efficacité. Cet effort, pour vous toutes et vous tous qui êtes des praticiens de la chose publique, ne doit pas être sous-estimé : chaque année depuis 1997, ce sont environ 30 milliards de francs qui sont ainsi réaffectés. Cette année, nous en « bougeons » 36 au profit de mesures nouvelles. Au total, 150 milliards de francs auront ainsi été redistribués, soit presque 10 % des dépenses. Tous les parlementaires savent qu'un tel résultat, même s'il n'est pas à la hauteur de ce que certains souhaiteraient, est important compte tenu de la grande inertie de la dépense publique.
Les postes qui ont été désignés par le Premier ministre comme prioritaires dans les lettres de cadrage connaîtront une hausse des dépenses plus rapide que l'ensemble du budget de l'Etat.
Les moyens consacrés à l'éducation nationale croîtront en 2001 de 2,7 %, pour atteindre, la somme est considérable, 388 milliards de francs.
Le budget de la justice progresse de 3 % par rapport à la loi de finances initiale 2000 ; ces moyens permettront notamment de renforcer l'administration pénitentiaire, comme les deux chambres du Parlement l'ont souhaité ; 1 milliard de francs d'autorisations de programme ont été inscrites en amendement dans le projet de budget pour 2001 afin d'initier un programme ambitieux de rénovation indispensable des prisons.
La priorité accordée à la sécurité se traduira par une augmentation de 7 % des crédits de fonctionnement de la police.
Le budget de l'environnement, qui est moins important en masse, progressera de 8,2 % par rapport au budget 2000, contribuant à restaurer les milieux naturels après les catastrophes de l'hiver dernier.
En outre - j'y reviendrai dans un instant - les concours aux collectivités locales augmenteront de 2,6 % en 2001 au titre du contrat de croissance et de solidarité. Le soutien à l'intercommunalité sera renforcé.
S'agissant des emplois publics, les effectifs civils de l'Etat et de ses établissements publics progresseront, compte tenu des priorités que je viens de rappeler, de 11 337 emplois par rapport à l'an dernier. Ce chiffre, je le précise, est celui des agents effectivement engagés et payés pour la première fois en 2001, et non une reconstruction théorique qui, finalement, n'a pas grand sens. Il équivaut à 2 % de la progression des effectifs du secteur privé l'année dernière, pour développer la sécurité, accroître le niveau de nos équipements et préparer sous toutes ses formes l'avenir.
Je connais, mesdames, messieurs les sénateurs, votre intérêt pour les questions touchant aux collectivités locales, et c'est pourquoi je voudrais attirer votre attention quelques instants de plus sur les moyens financiers prévus à ce titre dans le projet de budget pour 2001. Ils progresseront de manière significative, et ce pour quatre raisons principales.
La forte croissance globale des concours de l'Etat, en 2000 comme en 2001, sera, à l'examen des chiffres, la plus soutenue et la plus dynamique depuis une décennie. Ainsi, la dotation globale de fonctionnement des communes augmentera de 3,4 % l'an prochain, pour atteindre près de 95 milliards de francs, et la dotation générale de décentralisation bénéficiera d'une évolution positive.
Le contrat de croissance et de solidarité fera profiter les collectivités locales d'un supplément de recettes par rapport à celles qui étaient prévues dans l'ancien pacte de stabilité. Après avoir atteint 1 milliard de francs en 1999, 1,9 milliard de francs en 2000, elles seront équivalentes à 4 milliards de francs en 2001. Ce contrat triennal aura donc permis non seulement une meilleure prévisibilité de nos ressources, mais surtout leur accroissement.
Les abondements exceptionnels pour aider les collectivités les moins favorisées seront maintenus et amplifiés. Ainsi, la dotation de solidarité urbaine, qui a augmenté de 45 % en 1999 et encore de 14 % en 2000, bénéficiera non seulement, comme c'est normal, de l'abondement décidé en 1999 pour trois ans, mais aussi d'un versement exceptionnel de 350 millions de francs dans le projet de budget pour 2001. Le budget du ministère de la ville, qui progressera de près de 70 %, viendra compléter cet effort exceptionnel. La dotation de solidarité rurale, qui a également augmenté régulièrement, notamment de 25 % au titre de la loi de finances pour 2000, bénéficiera, dans le projet de budget pour 2001, pour sa fraction « bourgs-centres », d'un abondement exceptionnel de 150 millions de francs.
Enfin, le succès de la loi du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale s'est révélé un impératif supplémentaire pour nous convaincre d'accélérer cette réforme nécessaire. Nous y avons, je crois, largement répondu. Après un financement de 750 millions de francs en 2000, ce sera au total 1,2 milliard de francs qui sera prélevé sur les recettes du budget en 2001 pour financer la dotation d'intercommunalité et la diminution de la DCTP, la dotation de compensation de la taxe professionnelle, pour l'ensemble des communes. Au total, je l'ai dit, les concours de l'Etat aux collectivités locales augmenteront de 2,6 % et, toutes choses comprises, de près de 15 % en 2001, soit de 337 milliards de francs, c'est-à-dire beaucoup plus que le budget de l'Etat, qui progresse, lui, de 1,5 %.
Le troisième objectif est un impératif de saine gestion : des dépenses maîtrisées et des recettes équilibrées. Le plan d'allégement et de réforme des impôts 2001-2003 répond à un constat que j'ai, pour ma part, dressé depuis plusieurs années : s'il est trop élevé, le montant des prélèvements obligatoires est antiproductif et mal accepté.
M. Jacques Oudin. Il y a longtemps qu'on le dit !
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Il y aura donc une baisse sensible des impôts. D'ici à 2003, la baisse nouvelle des impôts atteindra 120 milliards de francs qui s'ajoutent à près de 100 milliards de francs depuis 1997. La baisse du fioul bénéficie à ceux, nombreux, qui l'utilisent pour chauffer leur maison. La disparition de la vignette de leur pare-brise renforcera la visibilité de 30 millions d'automobilistes sans que les finances des départements aient à en souffrir. Les baisses de taxe d'habitation du collectif de printemps que vos électeurs, mesdames, messieurs les sénateurs, doivent être en train de constater et dont vous vous félicitez certainement auront profité dès 2000 à tous les occupants d'un logement ; la ristourne de CSG, la contribution sociale généralisée, profitera à tous les actifs percevant jusqu'à 1,4 fois le SMIC.
Le Gouvernement a approuvé plusieurs modifications proposées par l'Assemblée nationale, notamment l'exonération de la redevance audiovisuelle pour les personnes non imposables âgées de plus de soixante-dix ans, l'abattement de taxe foncière pour les HLM en zone sensible et le dégrèvement de 500 francs sur cette même taxe pour nos concitoyens âgés de plus de soixante-dix ans et non imposables. Au total, le gain de revenu disponible approchera 3 % pour l'ensemble des ménages, soit l'équivalent d'une année de croissance.
La baisse des impôts proposée est pluriannuelle, car, imitant en cela ce que nous pratiquons en matière de maîtrise de la dépense et pour le solde budgétaire, nous inscrivons nos recettes et notre fiscalité dans une dimension qui dépasse l'annualité.
Cette baisse, qui a été et qui sera discutée, comme cela est bien normal, aura des effets redistributifs. Grâce aux effets cumulés des mesures prises depuis le printemps 2000, les revenus ont augmenté de 2,9 % en moyenne et le gain dépasse 5 % pour les 40 % des ménages les moins fortunés. La réforme de la décote et la baisse proportionnellement plus forte des tranches basses et moyennes de l'impôt sur le revenu, comme c'est juste, accentueront ce bonus pour ceux qui en ont le plus besoin. La baisse de l'impôt sur le revenu touche toutes les tranches du barème, et ce point a également été discuté ; c'est un geste qu'a voulu faire le Gouvernement en direction des cadres, des créateurs et des entrepreneurs, pour que ces derniers exercent leur talent au service du pays qui les a formés.
Rendue possible par la croissance, cette baisse des impôts devrait la favoriser en retour. C'est ce que nous appelons la « croissance réformatrice ». En permettant une hausse du pouvoir d'achat, la baisse du barème de l'impôt sur le revenu et la réduction du taux de la CSG et de la CRDS, la contribution pour le remboursement de la dette sociale, engendrent des ressources nouvelles qui, à leur tour, par un effet d'assiette, pourront permettre plus d'activités, la réduction de notre déficit et de notre dette. Cette baisse des impôts favorise le développement des entreprises par la suppression progressive de ce qui a été appelé la « surtaxe Juppé », suppression qui ramènera le taux normal de l'impôt sur les sociétés de 40 % en 1997 à 33 %.
Pour favoriser la création et l'innovation, un effort particulier est accompli en faveur des petites entreprises puisque le taux d'imposition de leurs bénéfices sera réduit jusqu'à 15 % sur les 250 000 premiers francs pour celles dont le chiffre d'affaires est inférieur à 50 millions de francs. Ces mesures permettront de renforcer les fonds propres des sociétés et de soutenir leur capacité à se développer, donc à créer des emplois, comme y aidera la modernisation du régime fiscal des sociétés de capital-risque.
Cette réforme est un élément de notre politique économique de l'emploi. L'augmentation de ce que les économistes appellent le « coin fiscal » entre la richesse produite et la rémunération du travail pénalise en effet l'activité. Le niveau des impôts peut introduire un écart important entre le niveau des rémunérations effectives du travail et celui des efforts consentis par tous les salariés et les entrepreneurs. De fait, le retour à l'activité des personnes bénéficiant des minima sociaux se traduit par un gain net par heure de travail qui ne s'élève souvent qu'à quelques francs. Certains sont alors mis en situation de choisir entre le chômage et un emploi avec diminution de leur pouvoir d'achat. Dans ce contexte, la mise en place d'une ristourne dégressive de CSG augmentera sensiblement la rémunération nette du travail et avantagera les revenus d'activité. Ainsi, pour un smicard, cela représentera, dès le mois de janvier 2001, à peu près 200 francs et, à la fin de notre exercice triennal, un treizième mois supplémentaire, ce qui est toujours appréciable en particulier pour des personnes disposant de faibles revenus.
Compte tenu de la nécessité de poursuivre la réduction du poids de la dette publique, une extension de cette disposition à un nombre plus important de contributeurs conduirait à baisser le gain net au niveau du SMIC. Avec la réforme des dégrèvements de taxe d'habitation, des allocations de logement et le mécanisme de cumul du revenu minimum d'insertion et d'un salaire, ce sont au total près de 40 milliards de francs qui iront vers les salaires les plus modestes.
Réduire les impôts que nous payons aujourd'hui ne suffit pas. Une diminution du déficit et, de ce fait, une réduction de l'endettement sont indispensables pour associer une solidarité durable et une croissance soutenue. En 2001, pour la troisième année consécutive, le poids de la dette publique se réduira pour se rapprocher d'un niveau de 57 % du produit intérieur brut contre près de 60 % en 1998. Trois points de dette en moins, cela peut paraître abstrait, mais c'est environ 15 milliards de francs de charges d'intérêt qu'il ne faudra plus payer. Moins de dette, c'est moins d'impôts et plus d'initiatives pour les générations futures. Ce mouvement doit reposer à la base sur une réduction continue des déficits publics.
M. Roland du Luart. Il y a du travail...
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. A ceux qui préféreraient une augmentation massive des dépenses, je rappelle la leçon de l'histoire, y compris de l'histoire récente : une réduction insuffisante des déficits en phase d'expansion fragilise les finances publiques au premier retournement de conjoncture et finit par menacer l'emploi. Personnellement, je n'attends pas un tel mouvement, mais ce n'est pas une raison pour ne pas s'en prémunir : en économie, il y a aussi un principe de précaution à respecter.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Nous allons vous aider, monsieur le ministre !
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je vais y venir dans un instant, cher ami !
De plus, laisser filer les dépenses serait un principe égoïste, aux antipodes du principe de solidarité.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Comptez sur nous pour vous aider !
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Alors que des générations nombreuses parviendront à l'âge de la cessation d'activité à partir de 2005, les engagements des régimes de retraite constituent plusieurs dizaines de points de produit intérieur brut de « dette publique implicite » que nous ne pourrons pas combler si nous n'avons pas amélioré les comptes de l'Etat. C'est pourquoi le gouvernement de Lionel Jospin a décidé d'affecter au fonds de réserve des retraites une partie des recettes tirées de la vente des licences des téléphones mobiles de troisième génération, dites UMTS. (Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Alain Gournac. Vous ne vendrez rien du tout !
M. Patrick Lassourd. Il n'y a plus d'acheteurs !
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Aux tenants de la thèse adverse, c'est-à-dire du sabrage tous azimuts des dépenses - ils proposent d'ailleurs souvent dans le même temps par amendements des milliards de francs de dépenses supplémentaires -...
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Mais non !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Pas du tout ! Ce sont des changements d'affectation !
M. Alain Gournac. Il faut mieux utiliser l'argent !
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... je ferai remarquer avec sourire que des efforts d'économies ont été accomplis : alors que nous nous situions encore en queue du peloton européen en 1997,...
M. Josselin de Rohan. Ben voyons !
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... au moment où ce gouvernement prenait ses fonctions, nous nous retrouverons en 2001 avec un besoin de financement proche de celui de la moyenne de nos partenaires. Depuis trois ans, les dépenses en volume ont progressé au total de 1 %. En prévision, le budget affichait, en 1997, un déficit de 285 milliards de francs, en 1998 un déficit de 258 milliards de francs, en 1999 un déficit de 237 milliards de francs, en 2000 un déficit de 215 milliards de francs. En exécution, le déficit du budget de l'Etat avait été de 248 milliards de francs en 1998, de 206 milliards de francs en 1999, et nous attendons pour 2000 un déficit effectif inférieur à 200 milliards de francs. Dans le cadre du projet de loi de finances rectificative, le Gouvernement a annoncé la semaine dernière que le déficit était fixé à 209,5 milliards de francs pour 2000,...
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Ce n'est pas brillant !
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... soit une réduction de 5,5 milliards de francs par rapport au collectif de printemps et à la loi de finances initiale. Ce résultat a suscité bien des remarques. Pour ma part, j'en ferai deux.
D'une part, sauf à confondre deux logiques, il ne faut pas assimiler, vous le savez bien, le déficit inscrit en loi de finances, même rectificative, avec le déficit effectivement constaté : pour l'année en cours, je l'ai dit, celui-ci sera vraisemblablement inférieur à 200 milliards de francs, donc plus faible que celui qui a été observé l'an dernier.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Alors, les lois de finances ne servent à rien ?
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. D'autre part, si l'on considère les chiffres en tendance, on constate que, cette année, le Gouvernement a privilégié les baisses d'impôts. Le projet de budget pour 2000 tablait sur 40 milliards de francs de baisses d'impôts, le collectif de printemps en a décidé 40 milliards de francs supplémentaires tandis que celui de l'automne supprimait la vignette. Au total, pour la seule année 2000, les impôts seront réduits de l'ordre de 90 milliards de francs. En 2001, l'objectif est de poursuivre cette réduction progressive des déficits, pour parvenir progressivement à notre objectif, qui est celui de tous les partenaires de l'euro : l'équilibre global des finances publiques en 2004.
Je serais très attentif dans cette discussion - et je ne serais pas le seul - si devait se développer un discours trop facile, pour ne pas dire un peu démagogique, consistant, d'un côté, à regretter l'ampleur du déficit et, de l'autre côté, à proposer des dépenses ou des baisses de recettes qui auraient pour effet incontestable de massivement l'aggraver.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. La démagogie peut jaillir de partout !
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Comme ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, je plaide et j'essaie d'agir pour la continuation de ce mouvement de réduction des déficits et de l'endettement, non par je ne sais quelle orthodoxie budgétaire bornée, mais parce qu'un déficit élevé aggrave l'endettement, finit par peser sur la croissance et donc sur l'emploi.
Enfin, pour réussir, la politique économique de l'emploi nous conduit à faire de la transparence un objectif permanent. L'Etat ne peut pas prétendre qu'il n'est pas concerné par la modification des comportements des acteurs économiques et des attentes des citoyens à son égard. Il serait illusoire d'imaginer qu'une société nouvelle, une économie nouvelle ne produisent pas le besoin d'un renouveau de l'Etat. Cela ne condamne nullement l'Etat à l'impuissance. Plus transparent, plus proche des citoyens et des usagers, l'Etat ne sera pas moins efficace : il pourra jouer son véritable rôle de garant du long terme, du stratégique...
M. Alain Gournac. Amen !
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... et, plutôt que de prétendre tout régenter, il pourra promouvoir des politiques véritablement efficaces.
Les initiatives actuelles de ce point de vue, qui guident la participation du ministère que je dirige à la réforme de l'Etat, sont importantes.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Qu'il se réforme d'abord lui-même !
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Elles sont peu connues, y compris par les spécialistes.
Trois orientations, notamment, les résument : réforme du ministère des finances, réforme de l'ordonnance de 1959 sur les finances publiques et réforme du code des marchés publics.
Au printemps prochain, ces trois réformes fondamentales concernant à la fois l'Etat et les finances seront engagées.
La réforme du ministère des finances consistera à la modernisation et à l'adaptation du service, l'information et la simplification pour l'usager, l'expérimentation des dispositifs envisagés, la concertation avec les personnels et leurs représentants syndicaux, mais aussi avec tous les partenaires, services de l'Etat et collectivités locales.
Plusieurs applications majeures ont d'ores et déjà été retenues : la préparation de la mise en place du compte fiscal simplifié des contribuables, grâce à un nouveau système d'information ; la création d'une direction des grandes entreprises au 1er janvier 2002, qui sera le correspondant de quelque 17 000 sociétés ; la mise en place d'un interlocuteur fiscal unique, expérimentée dans près de 170 sites répartis dans 42 départements ; la création de maisons de services publics économiques et financiers.
Concilier le développement économique, la justice sociale, l'égalité territoriale : tels sont les objectifs que doit se fixer un service public proche, efficace et responsable. Nous y travaillons activement avec vous.
La révision de l'ordonnance du 2 janvier 1959, à laquelle vous avez fait allusion, monsieur le président, point d'appui de cette nouvelle architecture, est désormais bien engagée. Pour en avoir été l'un des initiateurs, lorsque je présidais l'Assemblée nationale, je m'en réjouis. Un équilibre retrouvé des pouvoirs exécutif et législatif, une place plus grande donnée au contrôle du Parlement participent de ce processus nécessaire de modernisation et de démocratisation. En effet, notre objectif est bien celui-là ! Notre pratique budgétaire changera, sera plus simple et plus lisible. On peut, d'ores et déjà, en éclairer les axes : plus de cohérence, plus de transparence, plus de permanence dans le suivi parlementaire et l'exposé gouvernemental des recettes et des dépenses.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Si cela pouvait être vrai !
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. C'est ce à quoi nous devrions arriver, grâce à la globalisation des crédits, la généralisation d'indicateurs de résultats et l'obligation de rendre compte. La commission des finances du Sénat a publié très récemment un rapport suggérant que la France soit dotée d'une « nouvelle constitution financière ». Il faut inscrire la transparence dans la loi. Nous y sommes déterminés et j'en serai le premier militant.
Quelques mots, enfin, sur la réforme du code des marchés publics. On en parlait depuis longtemps et nous avons engagé un énorme travail en ce sens, dans trois directions : simplifier une réglementation trop complexe et source d'insécurité juridique pour tout le monde ; encourager les petites et moyennes entreprises et les très petites entreprises ; débureaucratiser en tenant compte des normes européennes.
Le résultat, actuellement soumis à concertation, est positif et a été accueilli comme tel. Le nouveau code devrait pouvoir être adopté en janvier prochain, entraînant dans l'économie, dans nos collectivités et dans l'Etat une réforme et une amélioration sensibles. Ce n'est peut être pas très spectaculaire, mais cela devrait être très utile.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, solidité des éléments fondamentaux de notre économie, recherche de la satisfaction des besoins essentiels de la nation, maîtrise des dépenses, allégement et meilleure justice des impôts, le budget que j'ai l'honneur de vous présenter au nom du Gouvernement montre que notre volonté active de réformer est intacte, pour la croissance et pour l'emploi. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) M. le président. Monsieur le ministre, je vous félicite et je vous remercie : vous avez respecté le temps de parole qui vous était imparti, ce qui me permet de dire que la discussion budgétaire commence dans de bonnes conditions.
Mme Hélène Luc. Qu'il serve d'exemple !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. S'agissant du temps de parole, oui ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteurgénéral.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ô que de belles paroles nous venons d'entendre ! Elles étaient d'ailleurs encore plus belles, monsieur le ministre, lorsque vous étiez à l'hôtel de Lassay.
M. Josselin de Rohan. Très bien !
M. Marcel Charmant. Celles que nous allons entendre maintenant vont être moins bonnes !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Maintenant, voyons la réalité. Si cette réalité pouvait être conforme à vos paroles, que nous serions plus heureux ici, dans cet hémicycle !
Ce budget, c'est le dernier budget de l'ancien temps : dernier budget du siècle, dernier budget en francs, dernier budget, peut-être, avant la réforme si nécessaire de la constitution financière de la France.
Est-ce pour autant un budget plus transparent ? Est-ce un budget qui tourne le dos à la culture du secret de Bercy ? Est-ce un budget qui tourne le dos aux mauvaises habitudes ?
Nous l'avons analysé, monsieur le ministre, très techniquement - vous avez bien voulu rendre hommage à nos travaux - et nous constatons les contradictions les plus manifestes.
Ces contradictions traduisent, bien entendu, les pressions auxquelles vous êtes confronté comme tous les ministres des finances, mais, sur trois aspects essentiels, il y a contradiction.
Les dépenses de l'Etat, vous dites en prôner la maîtrise, mais c'en est fini du gel de l'emploi public.
Les prélèvements obligatoires, vous en préconisez la baisse, mais, en 1999, plus de 70 % de la richesse nationale a été captée par la sphère publique.
Vous nous avez annoncé le plan de baisse fiscale d'abord le plus simple - mais c'était une coquille, hélas ! - puis le plus ample des cinquante dernières années. Or les enquêtes d'opinion montrent que les Françaises et les Français se s'en rendent pas compte.
Vous nous parlez de la dette, de l'intérêt du désendettement, mais le déficit de l'Etat devrait augmenter en 2000 par rapport à l'exécution de 1999 et, surtout, en 2001, la dette négociable de l'Etat augmenterait de 250 milliards de francs selon votre direction du Trésor.
Enfin, monsieur le ministre, ce budget est-il un vrai budget, complet et exhaustif ?
Non ! C'est un budget tronqué, car nous avons d'un côté les organismes sociaux et de l'autre l'Etat.
Monsieur le ministre, où sont les 35 heures dans votre budget ? Nous n'en parlerons pas ? Les 35 heures, c'est 85 milliards de francs en 2001 dans le fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale, le FOREC ! Et qu'est-ce que le FOREC ? Une usine à gaz incompréhensible et faite, précisément, pour être incompréhensible.
M. Roland du Luart. Tout à fait !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Monsieur le ministre, où sont les 35 heures ? Que vont-elles coûter à la fonction publique ? Où sont les provisions de M. Sapin pour lui permettre de négocier avec les partenaires sociaux et syndicaux ?
Hélas ! hélas ! Nous sommes loin des bonnes intentions à la réalité.
Ce budget, dans quel cadre global s'inscrit-il ? C'est toujours - et nous en sommes heureux, mes chers collègues, toutes et tous, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons - un budget dans la croissance et un budget par la croissance.
Mais cette croissance inspire, ce qui est normal dans la phase du cycle économique où nous nous trouvons, quelques inquiétudes : il y a les aléas extérieurs...
Mme Hélène Luc. La croissance suscite surtout des espoirs !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Chère madame Luc,...
M. le président. Monsieur le rapporteur général, je vous en prie, poursuivez !
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... nous avons déjà plusieurs années de belle croissance derrière nous. Nous voudrions bien, d'ailleurs, en avoir autant devant nous !
M. Marcel Charmant. Ce n'est pas un hasard, depuis 1997 !
Mme Hélène Luc. C'est pour cela que les 35 heures, c'est bien !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Et le pouvoir d'achat ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Voilà pourquoi il faut faire très attention aux aléas, madame Luc. Ainsi, le document pour 2001 retient comme hypothèse 25,8 dollars pour le baril de pétrole. Or le chiffre de 2 000 était de 28,3 dollars. J'espère que cette hypothèse se vérifiera, je n'en dis pas plus !
De plus, que voyons-nous à l'oeuvre, tant en Europe que, surtout, en France ? C'est le retour, la résurgence d'un mal ancien dont nous pensions être guéris et qui s'appelle l'inflation.
M. Roland du Luart. Hélas !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Qu'observe-t-on ? Saturation des capacités de production, tensions sociales - Mme Luc dirait « luttes sociales » - dans les entreprises...
Mme Hélène Luc. C'est normal ! Les salariés veulent bénéficier de la croissance !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Bien sûr ! C'est logique : en termes d'analyse économique, c'est le moment où cela doit se produire. Vous avez totalement raison !
Et l'on observe aussi des tensions fortes dans la fonction publique : quel sera le résultat auquel parviendra M. Sapin, ministre de la fonction publique, et quelles en seront les répercussions sur le reste de l'économie ? Quelle sera la contagion du public au privé ?
Voudra-t-on nous parler de l'impact des 35 heures sur la compétitivité des entreprises, sur l'esprit de travail de l'économie française ? Or, clé très importante pour comprendre votre politique, la réduction du temps de travail crée très peu d'emplois puisque, selon vous, on en préserve ou on en crée 200 000, ce qui, au total, est extrêmement peu au rythme actuel de notre économie.
Tel est, mes chers collègues, le contexte dans lequel s'inscrit notre discussion budgétaire. (MM. Vinçon etChérioux applaudissent.)
M. Paul Loridant. Maigres applaudissements !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Un budget, cela devrait exprimer une volonté, je pense que tout le monde peut être d'accord sur ce point.
M. Henri de Raincourt. C'est sûr !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Or nous voyons que ce budget est un budget dans la croissance et par la croissance. Je veux dire par là que vous avez la chance de nous proposer la répartition d'un peu plus de 100 milliards de francs de fruits de la croissance. Mais qu'en faites-vous ? Pour une petite moitié, baisse des impôts ; pour un bon tiers, augmentation des dépenses ; et, pour un bon quart, baisse du déficit.
Reprenons ces éléments, si vous le voulez bien, mes chers collègues.
Baisse des impôts ? Vous le savez, le Sénat est pour : il est pour la baisse de tous les impôts. (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Paul Loridant. Pour qui ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Mais à une condition bien précise, mes chers collègues : c'est que nous en ayons pour notre argent ! (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
En d'autres termes, les sacrifices faits - 50 milliards de francs de recettes fiscales - seront-ils suffisamment percutants pour changer dans le bon sens les comportements des agents économiques et pour aboutir à plus de compétitivité de l'industrie et des entreprises françaises à l'intérieur de l'ensemble européen ? C'est la question que nous nous posons et sur laquelle je reviendrai dans quelques instants.
Nous avons la grande chance de bénéficier de cette aubaine de la croissance, elle est encore présente dans la dynamique des recettes fiscales, en 2000 comme en 1999.
C'est ainsi que, dans le collectif du mois de mai, vous avez « mis au pot », si j'ose dire, 50 milliards de francs de recettes supplémentaires, qui, à la vérité, venaient de 1999. Vous avez été obligé de les admettre, mais vous les avez admises en arrivant à Bercy, alors que vos prédécesseurs étaient un peu gênés par cette abondante cagnotte.
Dans le collectif d'automne, que nous allons examiner prochainement, nous trouverons 40 milliards de francs de recettes non prévues dans les documents budgétaires initiaux et, encore plus près de nous, au 31 octobre, le document retraçant la situation hebdomadaire - dont, grâce à vous, et aussi un peu grâce à notre pugnacité et à notre action, nous sommes dorénavant destinataires, le président de la commission des finances et moi-même - indique que l'impôt sur les sociétés a augmenté de 17 % par rapport au 31 octobre 1999, l'impôt sur le revenu de l'ordre de 6 %,...
Mme Marie-Claude Beaudeau. Tout va bien !
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... la TVA de 2 %, et, accessoirement, l'ISF de 25 %.
Mais nous savons aussi, lorsque nous vous écoutons, que vous voulez reporter 15 milliards de francs de recettes de 2000 sur 2001. Voilà qui affiche vos inquiétudes pour 2001, inquiétudes que l'on peut comprendre, tant vis-à-vis de la conjoncture que du comportement dépensier de beaucoup de vos collègues du Gouvernement. En effet, monsieur le ministre, vous nous disiez tout à l'heure qu'il faut faire preuve d'esprit de responsabilité et d'esprit de cohérence, et si nous espérons qu'au sein du Gouvernement ce double esprit prévaut, nous n'en sommes pas complètement certains.
S'agissant de la baisse des prélèvements fiscaux, votre plan du mois d'août est extraordinaire : cela coûte très cher, cela n'épargne que peu d'impôts, c'est-à-dire que l'effet de ce plan sera complètement dilué, puisqu'il n'y a pas de véritable cible. En effet, tout le monde doit en profiter un peu : c'est vraiment ce que l'on peut appeler en propres termes, monsieur le ministre, du clientélisme fiscal. (Protestations sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Paul Loridant. Vous ne connaissez pas ? Quelle découverte !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Ce n'est pas un plan de réforme ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Paul Loridant. Vous n'avez jamais pratiqué le clientélisme, vous ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est la réalité : vous espérez faire plaisir à beaucoup de gens, moyennant quoi vous risquez fort de gaspiller l'argent du contribuable.
Voulez-vous quelques éléments très concrets à ce sujet ?
J'ai comparé sans a priori et sans tabous votre plan et celui de M. Schroeder, qui gouverne lui aussi avec une majorité quelque peu plurielle pour tenir compte de la situation interne de son pays : il y a les Verts...
M. Henri de Raincourt. Mais il n'y a pas les Rouges !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Or M. Schroeder a privilégié un impératif, et un seul : la compétitivité de l'Allemagne en Europe. Son objectif n° 1, c'est de rendre les entreprises, petites ou grandes, toutes les entreprises, compétitives. Pour cela, son plan comporte trois volets : obtenir une baisse importante de l'impôt sur le revenu - en particulier de onze points sur le taux marginal - mais aussi aboutir à court terme, pour l'impôt sur les sociétés, à un taux de 25 % sur les bénéfices ; enfin, toujours en termes d'incitation à la restructuration, exonérer de taxes les cessions de participations, notamment croisées, détenues par les grands groupes financiers et industriels allemands.
Le plan de M. Schroeder est d'abord tourné vers les entreprises avant de l'être vers les ménages, alors que votre plan, monsieur le ministre, ignore complètement les entreprises.
Mme Hélène Luc. Pour que les entreprises prospèrent, il faut que les ménages y trouvent leur compte !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Certes, il y a bien de petites mesures, voire des mesurettes, ici ou là, mais les entreprises vont globalement payer plus qu'avant.
M. Marcel Charmant. Elles gagnent aussi plus !
M. Josselin de Rohan. Mais elles ne votent pas !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Est-ce travailler pour l'emploi, monsieur le ministre ? Est-ce travailler pour la compétitivité de notre pays ?
Certes, vous êtes très habile pour déplacer les problèmes, en particulier pour faire des cadeaux avec les impôts des autres ! N'est-ce pas, messieurs les présidents de conseil général,...
M. Josselin de Rohan. Et régional !
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... avec vos vignettes ?
M. Henri de Raincourt. Absolument !
M. Philippe Marini, rapporteur général. N'est-ce pas, messieurs les présidents de conseil régional, avec votre argent un peu plus tôt ?
Vous êtes également très habile pour réduire l'autonomie fiscale de nos collectivités - n'est-ce pas, monsieur le président ? - et, en même temps, rigidifier le budget de l'Etat : en 1997, les dotations de compensation pour les collectivités territoriales atteignaient 30 milliards de francs ; en 2001, elles atteindront 90 milliards de francs !
Il faudra continuer à payer, et indexer ! Compte tenu de la rotation rapide des ministres des finances, ce ne sera peut-être plus votre problème, mais ce sera certainement, un jour, celui de l'un de vos successeurs !
M. Josselin de Rohan. Très juste !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Enfin, les prélèvements obligatoires, pris globalement, atteignent un taux extrêmement important et, en leur sein, la part des prélèvements sociaux ne cesse d'augmenter.
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. Tout à fait !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Lorsque nous considérons les recettes et la baisse des impôts, voilà, monsieur le ministre, ce que nous sommes conduits à dire !
Examinons, maintenant, les dépenses.
Vous avez pris des engagements vertueux, et l'on ne peut qu'être heureux d'entendre l'expression de la vertu. Mais ces engagements sont-ils crédibles ? Pour le savoir, regardons le passé.
La Cour des comptes a établi que, pour 1999, on avait affiché une croissance en volume de l'ensemble des dépenses de 1 % et que la réalité a été de 2,8 %. La Cour des comptes a-t-elle mal fait son métier ? Faut-il réprimander M. Joxe ? Ou bien faut-il réprimander le ministre des finances et le Premier ministre ? Je vous laisse, naturellement, juges de la réponse à apporter, mes chers collègues !
Pour 2000 et 2001, vos objectifs sont respectivement, en volume, de 0 % et 0,3 %. Ces objectifs sont-ils tenables ?
M. Jacques Oudin. Ils ne sont même pas crédibles !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Monsieur le ministre, où est la provision de M. Michel Sapin pour négocier avec les syndicats ? Montrez-la moi dans le budget ! Où sont les crédits destinés à financer les 35 heures dans la fonction publique ? Montrez-les moi dans le budget ! Lorsque vous aurez bien voulu faire cette démonstration, peut-être croirai-je un peu plus à vos engagements.
Mme Hélène Luc. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le rapporteur général ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je vous en prie, madame.
M. le président. La parole est à Mme Luc, avec l'autorisation de M. le rapporteur général.
Mme Hélène Luc. Monsieur le rapporteur général, je souhaite vous poser une simple question : êtes-vous d'accord pour ajouter dans le budget le financement des 35 heures dans la fonction publique ?
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Madame Luc, si l'on devait le faire, il faudrait réduire d'autres dépenses, ne pas augmenter le déficit, ne pas augmenter l'endettement ! Que vous répondre d'autre ! Je ne peux plaider ni pour l'augmentation du déficit ni pour l'augmentation de l'endettement.
Mme Hélène Luc. Nous, nous ferons des propositions !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Si vous avez la gentillesse et la patience de m'écouter encore quelques instants, madame, vous verrez apparaître mes réponses au problème dans la suite de mon propos.
Monsieur le ministre, la situation au regard des charges de fonctionnement de l'Etat est extrêmement préoccupante. Depuis 1997, 71 % de la progression des dépenses de l'Etat - soit près des trois quarts - a été imputable à la fonction publique.
Or, si l'on ne maîtrise pas la dépense de la fonction publique, on ne maîtrise pas le budget de l'Etat. C'est aussi simple que cela.
Politique des effectifs, politique des rémunérations, politique du temps de travail : dites-nous ce que vous voulez faire dans ces trois domaines, et nous vous dirons comment vont évoluer globalement les dépenses de l'Etat, donc le déficit, donc l'endettement, et donc la compétitivité de notre pays en Europe et dans le monde.
Dans votre projet de budget, il y a beaucoup d'impasses sur l'avenir.
Les emplois-jeunes coûteront 37 milliards de francs à terme. Par comparaison, vous avez, tout à l'heure, parlant de la sécurité, prétendument priorité du Gouvernement, cité un chiffre très intéressant. Vous avez dit que les crédits affectés à la sécurité étaient en augmentation de 7 %.
Il se trouve que les chiffres concernant la sécurité sont très présents dans mon esprit puisque nous avons entendu, hier, l'excellent rapport de M. André Vallet sur le sujet.
L'augmentation sera peut-être de 7 %, mais c'est un effet d'optique. A périmètre constant, elle sera de 4,4 %, et cela englobe la sécurité civile. En outre, il y a une commande importante d'hélicoptères ; si on l'enlève, on arrive à 2,1 %. Enfin, si l'on ne considère que la police nationale, celle qui assure les tâches de sécurité dans nos villes, le taux tombe à 1,86 %.
Venons-en à l'évolution des effectifs : il y aura en moins 2 000 policiers auxiliaires, que l'on nous a « vendus », à nous, les maires, comme étant de vrais policiers, et en plus 700 emplois permanents ; on arrive ainsi à un solde sur le terrain de 1 300 personnels en tenue de moins.
Mes chers collègues, est-ce là une politique qui va renforcer le sentiment de sécurité dans ce pays ? Est-ce là une politique qui touche au coeur des vraies responsabilités régaliennes de l'Etat, de ce qu'il doit faire avant toute chose ?
Oui, vous avez choisi, monsieur le ministre : vous avez choisi les emplois-jeunes contre les policiers pour assurer la sécurité dans nos villes.
Mais ce problème des emplois-jeunes, il faudra bien le traiter ! Que va-t-on dire à ces jeunes ? Va-t-on les intégrer comme ils l'escomptent ? Va-t-on leur demander d'aller chercher une situation ailleurs ? Il faudra bien, un jour, leur tenir un langage de vérité et de courage !
Un autre poste qui suscite nos craintes, c'est la dette, monsieur le ministre. En effet, les charges de la dette - les seules qui sont dans le budget - s'accroissent à nouveau avec les tensions sur les taux d'intérêt : plus 6,3 milliards de francs de charges brutes pour 2001 ; plus 1,5 millard de francs dans le collectif pour 2000 que nous allons bientôt examiner.
M. le président. Monsieur le rapporteur général, pour votre information, sachez que vous disposez encore de dix minutes.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je devrais m'y tenir, monsieur le président.
Monsieur le ministre, le déficit affiché dans cette loi de finances est, une nouvelle fois, un déficit à géométrie variable.
Pour prévoir le déficit de 2001, il faut être en mesure de porter un jugement sur le déficit probable de 2000.
Prenant des risques, monsieur le ministre, je vais vous dire que j'estime, pour ma part, le déficit économique de l'Etat pour 2000 à 180 milliards de francs environ. Tous les indicateurs dont je dispose me conduisent à formuler ce pronostic.
Le chiffre de 209 milliards de francs annoncé par Florence Parly, qui a courageusement présenté le collectif budgétaire il y a quelques jours,...
M. Josselin de Rohan. Toute seule !
M. Jean-Pierre Demerliat. C'est élégant !
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... ne me semble pas être un chiffre crédible.
Là encore, instruisons-nous du passé. L'année dernière, nous avions eu une controverse sur les chiffres avec votre prédécesseur, M. Christian Sautter. Le 24 novembre, le Gouvernement avait annoncé le déficit de l'exercice à 234 milliards de francs. Il a été exécuté à 206 milliards de francs. Nous le savons tous.
Par rapport aux 180 milliards de francs probables de la gestion 2000, les 186 milliards de francs que vous annoncez pour 2001 sont-ils eux-mêmes un chiffre crédible ? Permettez-moi d'en douter quelque peu.
Du déficit, nous passons tout naturellement et logiquement à la dette. Le déficit engendre en effet le besoin d'endettement de l'Etat.
Nous avons la chance d'être en période de croissance, mais, je le disais, il y a une tension des taux d'intérêt et, surtout, un effet de volume.
Voyons ce qui s'est passé sous votre gestion, c'est-à-dire de 1997 à 2001. Selon les propres chiffres de la direction du Trésor, on enregistre 1 000 millards de francs de dette négociable supplémentaires. Bien sûr, compte tenu de l'amélioratoin de la situation économique, on peut escompter progressivement - mais trop progressivement - réduire le rythme de progression de la dette. Mais celle-ci progresse toujours, et elle continue encore à financer, en 2001, à hauteur de 13 milliards de francs, des dépenses de fonctionnement, ce que nous persistons à considérer comme étant tout à fait scandaleux.
Cela va me conduire, monsieur le président, à formuler quelques remarques finales sur le rôle que nous exerçons ici, et plus généralement dans les assemblées parlementaires, vis-à-vis de la loi de finances.
Nous espérons que la règle du jeu va pouvoir être ajustée et que les plateaux de la balance vont pouvoir être quelque peu rééquilibrés, tout en manifestant, bien entendu, notre attachement viscéral et convaincu aux principes de la Ve République.
Mais, à considérer le budget de 2001, je me dois de dire qu'il n'est pas de bon augure, monsieur le ministre, car sur un sujet lourd - 130 milliards de francs ! - le Parlement n'a pas été traité comme il aurait dû l'être, n'a pas été respecté comme il aurait dû l'être. C'est un Parlement abaissé qui, aujourd'hui, essaie de reprendre pied dans un débat conclu sans lui.
Naturellement, vous aurez compris, mes chers collègues - je vois M. Pierre Laffitte qui opine - de quoi je veux parler : les licences de nouvelle génération UMTS.
La commission des finances proposera, mes chers collègues, de rejeter purement et simplement l'article dont il s'agit dans la loi de finances. Pourquoi ? Parce que le Gouvernement n'a pas fait diligence, comme il aurait pu et comme il aurait dû le faire.
Si nous étions passés avant les Allemands, les Anglais, les Italiens, les Néerlandais, et d'autres encore, le contribuable français se porterait mieux. Je ne sais pas quel est le bon niveau de prélèvement sur ces industries, mais ce que je sais, c'est qu'elles ont payé en Angleterre, c'est qu'elles ont payé en Allemagne, et en Allemagne - je l'ai vérifié en allant sur place - les versements sont intervenus cash dès que le processus de mise en concurrence, de mise aux enchères s'est réalisé.
Bien entendu, passant après les autres, nos entreprises paient au prix fort les licences des autres et l'Etat français, lui, est obligé, quel que soit le mode de mise en concurrence, de travailler sur de plus petits montants.
Je ne sais pas si l'Europe se trompe, mais je vois le budget de l'Etat, l'endettement, le déficit, la situation de nos concitoyens, le besoin de compétitivité dans ce pays et je dis simplement, monsieur le ministre, qu'en passant après les autres nous avons travaillé contre la compétitivité de la France.
Par ailleurs, quelle est la nature de ces versements ? Est-ce une « imposition de toute nature », qui requiert l'accord préalable du Parlement ? Est-ce, comme vous nous le dites, une redevance susceptible d'être traitée par l'administration, le Gouvernement, puis, sur certains points seulement, confirmée par le Parlement ?
La commission des finances, dont l'analyse n'est peut-être pas complète, estime que l'on peut raisonnablement penser qu'il s'agit bien là d'« impositions de toute nature » et elle fera, naturellement, valoir ses divers arguments en temps utile dans le débat.
Enfin, l'affectation de ces sommes ne saurait être approuvée. Le fonds de réserve pour les retraites, monsieur le ministre, vous le savez fort bien, est une fiction cosmétique. C'est, dans un Etat aussi endetté que le nôtre, une simple commodité de présentation pour montrer que l'on fait quelque chose sans dire combien d'argent on y mettra en définitive, à quel horizon le problème se place, comment cet argent sera géré et par qui.
La seule chose que nous savons, c'est que l'argent qui a déjà été affecté au fonds est placé en bons du Trésor. C'est intéressant : on a un fonds dans les écritures de l'Etat qui finance le déficit de l'Etat. Mes chers collègues, essayez de comprendre la logique économique de cesystème.
Monsieur le ministre, l'exercice que nous faisons au Sénat, chaque année, n'est qu'un exercice complaisant. Nous essayons d'aller au fond des choses et, en même temps, nous exprimons nos valeurs et nos convictions en nous efforçant de le faire dans un souci de cohérence.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le rapporteur général !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je termine, monsieur le président.
Cette cohérence, je l'espère, s'exprimera dans le cadre de la réforme de l'ordonnance de 1959. A cet égard, je voudrais simplement dire qu'il y a, pour ce qui me concerne, trois choses auxquelles je tiens, et auxquelles je vous invite à tenir tout particulièrement dans cette réforme.
Premièrement, la non-rétroactivité fiscale. Il faut en finir avec cette pratique administrative qui consiste trop souvent à changer les règles du jeu en cours de partie.
M. Roland du Luart. C'est inadmissible !
M. Philippe Marini, rapporteur général. En deuxième lieu, la règle d'or devrait être de ne jamais consacrer un franc d'emprunt à payer des dépenses ordinaires...
M. Roland du Luart. Il y a encore beaucoup de travail !
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... et séparer, dès lors, dans le budget de l'Etat, les dépenses ordinaires et les dépenses en capital, comme nous le faisons dans chacune de nos collectivités territoriales. Ce que nous pouvons faire à notre niveau, l'Etat doit s'astreindre également à le faire.
Enfin, troisième et dernier point par lequel je termine : débat consolidé sur les prélèvements obligatoires, en finir avec les usines à gaz, les faux-semblants et les comptes d'affectation spéciale refuges, mettre en oeuvre le principe de transparence grâce au rôle de la représentation nationale, chaque année avoir un vrai débat consolidé du projet de loi de financement de la sécurité sociale et du projet de loi de finances initial pour arbitrer le niveau des prélèvements obligatoires. Quelle est la place de la sphère publique ? Quelle est la place de la sphère privée ? Comment l'Etat veut-il organiser l'économie ? Quels sont les principes qu'il veut faire prévaloir ?
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'en ai terminé. J'espère que cette discussion du projet de loi de finances nous permettra d'aller au fond de tous ces vrais sujets. Par avance, je remercie très vivement l'ensemble des collègues qui voudront bien enrichir la réflexion de la Haute Assemblée. (Vifs applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Monsieur le rapporteur général, je vous remercie d'avoir strictement respecté votre temps de parole.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des finances est tellement engagée dans le processus de rénovation budgétaire que je me dois de donner l'exemple et, naturellement, de ne pas consommer la totalité de mon temps de parole.
M. le rapporteur général, avec un talent que nous lui envions tous,...
M. Henri de Raincourt. C'est vrai !
M. Roland du Luart. Tout à fait.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. ... a d'ailleurs si bien dit les choses que nous sommes fixés, monsieur le ministre, sur la copie budgétaire que vous nous présentez. Je vais donc me limiter à reprendre quelques aspects traités par M. le rapporteur général.
Monsieur le ministre, je voudrais tout d'abord vous demander si vous ne craignez pas que ne pèse une sorte de malédiction sur les ministres des finances.
M. Jacques Oudin. Les ministres socialistes !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. En effet, l'année dernière, je saluais au banc du Gouvernement le sixième ministre des finances en sept ans et j'ai l'honneur ce matin de saluer en votre personne le septième ministre des finances en huit ans.
M. Michel Moreigne. Sept, c'est un bon chiffre !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Dans un combat estimable contre les exclusions, le Gouvernement réserve un sort malheureux aux ministres des finances. (Sourires.)
M. Serge Vinçon. Très bien !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Je n'y vois d'ailleurs pas un très bon présage. Pendant ces huit ans, j'ai exercé durant trois ans les fonctions de rapporteur général et deux ans celles de président de la commission des finances et j'ai appris à comprendre l'extrême difficulté de la tâche des ministres des finances.
Monsieur le ministre, j'ai constaté que les gouvernements finissent toujours par désavouer - puis-je aller jusqu'à dire par lâcher ? - les ministres des finances. C'est à chaque fois pour tenter de gagner les élections alors que, depuis vingt ans, les majorités sortantes n'ont pourtant jamais été reconduites. Cela mérite d'être médité...
M. Serge Vinçon. C'est très intéressant !
M. Jean-Pierre Demerliat. Il y aura une exception !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. J'en reviens à mes observations.
S'agissant d'abord de la croissance, je continue de m'étonner que le Gouvernement puisse laisser entendre qu'il en décide lui-même. J'ai pensé, au début, qu'il s'agissait d'une figure de dialectique, classique dans l'art politique, mais l'insistance qu'il y met me fait craindre qu'il n'y croit désormais lui-même, ce qui serait naturellement fâcheux pour l'avenir.
Chacun sait en effet que la croissance s'inscrit dans des cycles d'ailleurs plus ou moins longs, et que ses fruits doivent être soigneusement utilisés pour reconstituer des marges de manoeuvre dont tout Etat a besoin pour faire face aux périodes de récession.
Pourtant, la période favorable que nous traversons donne lieu à un laxisme généralisé qui entraîne nos finances publiques dans une spirale de dépenses nouvelles, pérennes et rigides qui, au premier retournement conjoncturel, nous pousseront dans l'abîme.
S'agissant des recettes, à peine les recettes supplémentaires sont-elles anticipées - je ne dis même pas « encaissées » ! - qu'elles se pulvérisent immédiatement dans une tempête démagogique qui appelle à des dépenses nouvelles - c'est plutôt du côté gauche de l'hémicycle, d'ailleurs, que nous les entendons - ou à des baisses d'impôts en tous genres, sans la moindre vision d'ensemble et sans donner satisfaction aux Français, puisqu'ils n'en constatent jamais les effets.
On les comprend, car, depuis 1997, on ne peut pas, monsieur le ministre, admettre que le Gouvernement ait réduit les prélèvements. En effet, ils ont augmenté de 500 milliards de francs, et ce compris, naturellement, l'an 2000, soit une hausse de 11 % en valeur. Si ce sont là des baisses d'impôt, il faut nous dire en quoi !
Au moins, la forte augmentation des recettes fiscales depuis 1998 aurait dû conduire à la quasi-suppression du déficit budgétaire. Nous en sommes loin. De 1997 à 2001, les recettes fiscales nettes se sont accrues de 219 milliards de francs et le déficit, lui, ne s'est réduit que de 107 milliards de francs, soit moins de la moitié. Où est passée la différence ?
En réalité, vous l'aviez dit vous-même quand vous étiez président de l'Assemblée nationale, les prélèvements ne pourront réellement baisser que si un effort substantiel est réalisé sur les dépenses.
Or, depuis 1997, je suis désolé de le dire, les dépenses ont toujours filé plus vite que ce que le Gouvernement prévoyait. Sur les seules années 1998 et 1999, elles ont progressé - et c'est la Cour des comptes qui le dit - de quasiment 6 %, exactement de 5,9 %, alors que l'objectif du Gouvernement était de 1 %.
Alors, monsieur le ministre, votre arrivée pouvait-elle permettre de corriger cette funeste trajectoire ? Je dis sincèrement que j'étais de ceux qui l'espéraient, mais je regrette de devoir constater le contraire car cette trajectoire se confirme et j'ai même peur qu'elle ne s'aggrave.
Pour donner un support concret à cette crainte, je ferai un pronostic. L'année dernière, à l'endroit de votre prédécesseur, je m'étais livré à un pronostic sur les recettes et j'avais affirmé que le taux des prélèvements atteindrait 45,7 % en 1999. Ce pronostic s'est malheureusement avéré. Cette année - il faut bien varier un peu les plaisirs - je vais me permettre un pronostic sur les dépenses et je vous donne rendez-vous, en espérant que vous soyez au banc du Gouvernement l'année prochaine : la dérive des dépenses en 2001 sera supérieure à celle que vous affichez aujourd'hui. Pourquoi ? Elle sera supérieure parce que vos hypothèses reposent sur la stabilité de la masse des rémunérations publiques, mais vous ne résisterez pas à la pression. Elle est trop forte. Je ne veux pas être du tout désobligeant à votre endroit mais, quand on a des amis remuants comme les vôtres, on n'a pas besoin d'ennemis supplémentaires. (Sourires.) Le robinet des surenchères de votre majorité plurielle est ouvert. Vous recommencez à créer des emplois dans la fonction publique. Quant aux négociations salariales qui sont engagées par M. Sapin, vous verrez qu'elles coûteront entre 10 milliards de francs et 20 milliards de francs de plus que ce qui était prévu.
M. Josselin de Rohan. Quand on aime, on ne compte pas !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Au fond, depuis 1997, ce budget de l'Etat n'est plus qu'un budget de fonctionnement.
M. Henri de Raincourt. Eh oui !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Tout est allé à la fonction publique. Comment stabiliser les dépenses si celles qui sont consacrées à la fonction publique ne le sont pas ?
Naturellement, pour essayer de masquer cette dérive des dépenses de fonctionnement, vous réduisez l'investissement public civil : il diminue de 3,4 % dans ce projet budget.
N'êtes-vous pas troublé, monsieur le ministre, par le fait que le montant total de l'investissement civil de l'Etat - cela concerne les routes, les chemins de fer, l'énergie, la sécurité - soit devenu inférieur au coût du passage aux 35 heures ? N'êtes-vous pas troublé par le fait que le coût des emplois-jeunes ait largement dépassé le montant des crédits dévolus à des missions régaliennes comme la justice - chers collègues de la commission des lois - ou comme la police - cher Christian Bonnet ?
M. Christian Bonnet. Très bien !
M. Serge Vinçon. Ou l'investissement des armées !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Oui, c'est l'arbitrage qui est fait par le Gouvernement depuis 1997, et que je résume ainsi : le présent d'abord, pour l'avenir, on verra plus tard.
Que restera-t-il de cette période 1997-2001, sinon le coupable sacrifice des générations futures ?
Rien de concret en matière de préparation de l'avenir n'aura été engagé. La majorité « supposée » soutenir le Gouvernement est traversée de courants si divers, si divergents, parfois si contradictoires, que toutes les décisions, pourtant urgentes, n'ont cessé d'être différées.
La dette - M. le rapporteur général parlait tout à l'heure de la dette négociable, je parle pour ma part de la dette publique - vous l'aurez accrue de 680 milliards de francs selon vos propres chiffres.
Les retraites : vous avez entassé des rapports sans jamais rien décider, excepté ce fonds de retraite constitué à crédit, et dont la gestion semble d'ailleurs s'inspirer du bon sapeur Camember.
S'agissant de la réforme de l'Etat, dont vous parliez tout à l'heure, vous n'aurez pas avancé, vous aurez même fâcheusement reculé du côté de Bercy.
S'agissant de l'investissement public, vous l'aurez quasiment stoppé, soit pour plier devant les frondes des Verts, soit par défaut de financement.
Monsieur le ministre, le Sénat ne renonce pas à vous proposer une autre voie.
La commission des finances recommande - et le Sénat, je le sais, la suivra - de réduire la dette publique, par exemple, comme le rapporteur général le suggérait, en cédant des actifs de l'Etat.
La commission insiste sur la nécessité de réduire les dépenses publiques, car il faut nous préparer au financement des retraites, qui, a défaut, deviendra absolument impossible.
Depuis 1996 - vous vous posiez des questions tout à l'heure, monsieur le ministre - la commission travaille sur les dépenses et ses rapports constituent une mine d'informations sur leur degré de rigidité, sur leur absence, parfois, de pertinence, ou leur absence d'efficacité.
Pour conclure, monsieur le ministre, si je résume les chiffres clés de la gestion du Gouvernement, on y voit, sur trois ans et demi, 500 milliards de francs de prélèvements supplémentaires, 680 milliards de francs de dettes supplémentaires et, pendant le même temps, le déficit de l'Etat n'aura été réduit que d'une centaine de milliards de francs, les dépenses publiques auront « filé » de 500 milliards de francs - ce sont vos chiffres. Et tout cela pour quelle priorité ? Pour la fonction publique, qui est la grande gagnante, car, au fond, entre le chiffre de 1997 et celui d'aujourd'hui, on constate 73 milliards de francs d'augmentation ; pour les 35 heures dont les crédits sont aujourd'hui supérieurs à tout l'investissement de l'Etat ; pour les emplois-jeunes, dont les crédits ont dépassé soit ceux de la justice, soit ceux de la police, qui sont des missions régaliennes de l'Etat.
Alors, quelle nouvelle voie pourriez-vous nous proposer d'emprunter désormais, monsieur le ministre ? Au fond, la vraie copie budgétaire n'est pas celle que vous nous proposez de discuter aujourd'hui, c'est celle que vous êtes, peut-être d'ailleurs, au banc du Gouvernement, en train de rédiger, et qui est à l'intention de nos partenaires de la zone euro. Vous pourriez nous dire un mot sur ce sujet : quelle trajectoire de recettes, de dépenses et de solde allez-vous leur proposer dans les semaines qui viennent ? Quel niveau d'investissement allez-vous annoncer ?
En un mot, ferez-vous de la politique ce qu'elle est devenue, de l'arbitrage entre intérêts immédiats, ou, au contraire, en ferez-vous, ce qui est courageux et responsable, un arbitrage entre les attentes présentes et pressantes de nos concitoyens et nos devoirs à l'endroit des générations futures ?
C'est à l'aune de cette dernière exigence que le Sénat jugera votre action, sans malveillance, sans faiblesse non plus, mais avec une irrépressible détermination pour offrir à la France et aux Français une autre voie, fondée sur le courage et sur la responsabilité, qui est la seule garantie du progrès. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Mes compliments, monsieur le président de la commission des finances, vous avez rigoureusement respecté votre temps de parole. J'espère que l'orateur suivant va s'inspirer de votre exemple.
La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'intervention ès qualités du président de la commission des affaires sociales dans la discussion générale du projet de loi de finances a une signification forte et je remercie M. le président de la commission des finances de l'avoir voulue ainsi.
Il ne s'agit pas pour moi de résumer les observations de nos différents rapporteurs pour avis. Rien ne justifierait un tel traitement particulier réservé à notre commission.
Il s'agit en revanche de manifester clairement la volonté des commissions compétentes sur chacun des deux textes financiers, de présenter des analyses communes et des propositions coordonnées.
De fait, la récente discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale a été exemplaire de ce travail en amont conduit en parfaite entente entre les deux commissions, avec la présence simultanée ou symétrique, aux différents stades de la réflexion, du rapporteur général, M. Philippe Marini, du rapporteur sur les équilibres financiers, M. Charles Descours, ou de M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis.
Mon intervention d'aujourd'hui signifie notre volonté commune de clarifier un débat sur les finances publiques dont le Gouvernement s'acharne à brouiller les enjeux par un jeu de bonneteau de plus en plus perfectionné, avec de multiples dispositifs en miroir entre les deux textes.
J'en donnerai deux exemples.
J'évoquerai, tout d'abord, la débudgétisation de la compensation des exonérations de charges sociales liées aux 35 heures. Pour 2001, ce sont 85 milliards de francs de dépenses qui sont prises en charge par un fonds, le FOREC, qui n'existe d'ailleurs toujours pas, mais qui bénéficie déjà d'une « collection » de taxes affectées.
Ensuite, je mentionnerai l'utilisation des prélèvements sociaux comme instrument d'une politique fiscale. Il en est ainsi de la ristourne dégressive de CSG, qui porte une atteinte grave à l'universalité du financement de la protection sociale et que vous avez « agrégée » vous-même aux mesures fiscales, monsieur le ministre, par une nouvelle taxe affectée à la sécurité sociale.
Je salue l'ingéniosité du ministère des finances qui, au prix d'une parfaite opacité, ou plutôt grâce à elle, réussit une remarquable opération d'habillage budgétaire.
Le dégonflement des masses budgétaires permet de masquer la réalité des progressions, tant des dépenses que des recettes de l'Etat.
L'amélioration des soldes du projet de loi de finances résulte de transferts de recettes qui ne sont pas à la hauteur des transferts de dépenses et de certains transferts de dépenses qui ne sont pas compensés.
Notons également le cantonnement du financement des 35 heures, dont l'Etat se retire désormais totalement, et dont il appartiendra à la sécurité sociale de sedébrouiller.
Il convient de souligner aussi le transfert à la sécurité sociale de ce que j'appellerai les « rossignols de la fiscalité », c'est-à-dire de taxes dont le fondement économique est fragile, telles la taxe sur les conventions d'assurance et la taxe sur les véhicules de sociétés, ou de taxes qui ont pour vocation ou pour ambition de « s'autodétruire », si du moins une véritable politique de protection de la santé publique et de l'environnement était conduite. Je pense naturellement aux droits sur les tabacs et à la taxe générale sur les activités polluantes.
Le résumé de cette opération brillante et incompréhensible est probablement la taxe sur les conventions d'assurance, « vendue » en quelque sorte deux fois à la sécurité sociale : une première fois pour compenser la ristourne dégressive de CSG, une seconde fois pour contribuer au financement des 35 heures.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Cela, c'est la transparence !
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. Effectivement !
Aussi votre commission des affaires sociales, en parfait accord avec la commission des finances, a-t-elle choisi, dans la loi de financement, de désamorcer la série de branchements alimentant le fonds de financement des 35 heures, que ce soit la « tuyauterie » branchée sur la sécurité sociale ou les transferts de dépenses et de taxes venant du budget général.
Il appartient ainsi au Gouvernement de faire apparaître clairement le coût des 35 heures sous la forme de dotations budgétaires. Ainsi mesurera-t-on parfaitement l'impact de cette politique sur les finances publiques.
Toujours en parfaite coordination avec la commission des finances, la commission des affaires sociales a proposé de rejeter la ristourne dégressive de CSG, la commission des finances proposant d'y substituer, en loi de finances, un dispositif de crédit d'impôts. Une politique fiscale n'est jamais aussi bien menée qu'avec des instruments fiscaux dans le cadre d'une loi de finances.
Je crois qu'il faut essayer de rappeler quelques grands principes.
J'évoquerai d'abord celui de la compensation intégrale à la sécurité sociale des exonérations de charges sociales décidées par l'Etat. Les dotations budgétaires sont la voie normale et claire de cette compensation qui relève d'une politique de l'emploi et qui doit donc être examinée en loi de finances.
Je rappellerai ensuite la clarification des prélèvements fiscaux affectés à la sécurité sociale. Ces prélèvements sont souvent anciens. Il suffit de rappeler la taxe sur les primes d'assurance automobile, qui date de 1967, ou la contribution sociale de solidarité sur les sociétés, la C3S, créée en 1970. Ces deux taxes représenteront 25 milliards de francs en 2001.
L'origine de ces prélèvements affectés tient bien souvent aux crises successives qu'a connues la sécurité sociale et qui entraînaient l'intervention parcellaire et dans l'urgence du Parlement pour ratifier un nouveau plan de sauvetage.
La réforme constitutionnelle de 1996 a eu précisément l'ambition de mettre un terme à cette situation et d'imposer un débat annuel sur les comptes sociaux.
Le paradoxe d'aujourd'hui c'est que ces prélèvements affectés se multiplient alors même que les comptes sociaux sont de nouveau en équilibre.
Toutes ces affectations relèvent d'improvisations imposées par des décisions dont aucune n'obéit à une réflexion de fond sur le financement de la protection sociale.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Absolument !
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. Bientôt, comme les collectivités locales, la sécurité sociale n'aura pas de recettes, mais des compensations de pertes de recettes.
Or, la situation d'équilibre des comptes sociaux aurait dû précisément être mise à profit pour remettre de l'ordre dans les finances sociales, pour s'interroger sur la logique et la cohérence de l'affectation de tel ou tel impôt à la sécurité sociale.
Peut-être aurait-il été logique et cohérent de faire des droits sur les tabacs et les alcools un impôt social affecté à l'assurance maladie, qui assume le coût du tabagisme et de l'alcoolisme.
Peut-être aurait-il été logique et cohérent que ces impôts et taxes, à l'instar de la CSG, soient évalués et votés dans les lois de financement, dès lors qu'ils sont un des éléments qui, selon l'article 34 de la Constitution, déterminent « les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale ».
A l'évidence, c'est la direction inverse qui a été prise.
Cette question sur la nature des impôts susceptibles d'être affectés à la sécurité sociale va de pair avec la question, plus délicate encore, de la nature des dépenses.
Les frontiètes de l'assurance et de la solidarité se sont progressivement brouillées et le Gouvernement actuel n'est pas pour rien dans l'accélération de cette évolution.
Ainsi, la majoration de pension pour enfant, avantage vieillesse à l'origine, a évolué vers une dépense de solidarité prise en charge par le fonds de solidarité vieillesse avant que le Gouvernement ne décide, cette année, qu'il s'agissait d'une prestation familiale.
Parallèlement, le Gouvernement a décidé que le fonds de solidarité vieillesse, dont l'objet est de prendre en charge les dépenses de solidarité des régimes de base, étendrait sa sollicitude aux régimes de retraite complémentaire en assumant la dette contractée par l'Etat à l'égard de ces régimes.
Que dire encore du chassé-croisé que représente par exemple la majoration de l'allocation de rentrée scolaire, qui devient une prestation familiale, alors que l'allocation de parent isolé, qui était une prestation familiale, figure désormais au budget général, pour des raisons anecdotiques liées à l'abaissement du plafond du quotient familial ?
Au total, à la question « qui fait quoi ? », le Gouvernement répond, année après année, en déplaçant à sa guise les excédents et les déficits, au gré souvent d'un arbitrage de dernier moment entre les ministres successifs chargés respectivement des finances et de la sécurité sociale.
Les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale relèvent de deux logiques et de deux cohérences également respectables, et il est impératif que plus de transparence et de rigueur président aux arbitrages qui concernent ces deux textes.
C'est la raison pour laquelle, fortes de l'appui du président du Sénat, la commission des affaires sociales, comme la commission des finances, demandent, depuis trois ans déjà, que soit organisé, au printemps de chaque année, un débat consolidé sur les finances publiques.
M. Jacques Oudin. Très bien !
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. Ce débat est le seul qui soit cohérent avec nos engagements européens.

Il est le seul qui permette d'exiger du Gouvernement une cohérence de sa politique des finances publiques.
Depuis trois ans, nous formulons cette demande de bon sens. Je forme le voeu, pour ma part, qu'un tel débat consolidé soit le premier acquis d'une rénovation de l'examen des textes financiers, à laquelle nos deux commissions sont très attachées. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Je vous remercie, monsieur Delaneau, d'avoir, vous aussi, rigoureusement respecté votre temps de parole.
Ce matin, chacun des intervenants a fait un effort. J'espère que les orateurs suivants s'inspireront de leur exemple.
Nous allons maintenant interrompre nos travaux : nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quarante, est reprise à quinze heures cinq, sous la présidence de M. Jean Faure.)