Séance du 06 juin 2000







M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons le débat d'orientation budgétaire consécutif à une déclaration du Gouvernement.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, comme tous mes collègues, je veux d'abord me féliciter de la tenue de ce débat d'orientation budgétaire, qui permet au Parlement d'entendre le Gouvernement sur les grands choix qu'il compte faire en matière financière et économique pour l'année qui vient.
La procédure est récente. Elle s'inscrit dans une démarche de reconquête des droits du pouvoir législatif, dont l'autorité en matière de loi de finances avait été abusivement réduite par la Constitution de la Ve République.
Nous savons à ce propos, monsieur le ministre des finances, que vous avez vous-même beaucoup oeuvré en faveur de ce rééquilibrage. Quand vous étiez à la tête de l'Assemblée nationale, vous avez en effet mis en place une mission d'évaluation et de contrôle dont l'efficacité est indéniable. Vous avez par ailleurs appelé de vos voeux une réforme des textes régissant les finances publiques, notamment de l'ordonnance de 1959. Plus important, vous avez confirmé votre intention d'y travailler depuis que vous êtes en charge du ministère clé qu'est celui des finances.
Les conditions sont donc réunies pour qu'un nouveau pas significatif soit fait en ce sens d'ici à la fin de la législature.
M'en tenant volontairement au domaine limité du débat d'orientation budgétaire, je suggère que celui-ci intervienne désormais avant que ne soit envoyée par le Premier ministre la lettre de cadrage à chaque membre du Gouvernement. Cette chronologie s'impose pour des raisons d'efficacité et, tout simplement, de courtoisie à l'égard du Parlement... Connaissant le Premier ministre, je ne doute pas que, sur ce point mineur, mais symbolique, nous serons entendus.
Mais nous voudrions aller plus loin et obtenir un ordre de discussion plus conforme à la logique que celui qui nous est imposé d'ici à jeudi.
Le bon sens voudrait que s'enchaînent le débat sur le projet portant règlement définitif du budget de l'année 1998, puis le projet de loi de finances rectificative pour l'an 2000 et, seulement après, le débat d'orientation budgétaire pour 2001.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Parfaitement d'accord !
M. Gérard Delfau. N'est-ce pas raisonnable que de ne vouloir discuter de prévisions qu'après avoir engrangé toutes les informations sur le passé et sur le futur immédiat ?
Ces deux améliorations de la procédure sont légères mais non dénuées d'intérêt. Pourtant, si le Gouvernement veut aller plus loin et donner un signal fort de son souci de rééquilibrage des institutions - j'ai entendu le Premier ministre s'y engager à plusieurs reprises - il doit accepter que le débat d'orientation budgétaire soit conclu par un vote. Cela responsabiliserait les divers intervenants et limiterait un peu le risque d'un manque de cohérence, tout en obligeant le Gouvernement à plus de précision sur ses véritables intentions.
Je ne parle pas pour vous, monsieur le ministre, puisque chacun se loue de votre « transparence » et de la qualité de vos informations. Mais je pense à vos successeurs..., même si je souhaite l'échéance lointaine.
M. Jean-Pierre Schosteck. M. le ministre vient seulement d'arriver à son poste !
M. Gérard Delfau. Il y a une raison forte pour que ce pas que je viens de décrire soit franchi : un débat d'orientation budgétaire plus vote de l'assemblée délibérante, c'est ce qui se passe dans nos communes, du moins dans celles qui comptent plus de 3 500 habitants. L'Etat ne devrait pas pouvoir refuser une procédure démocratique que le Parlement a imposée aux collectivités locales, en accord avec le Gouvernement.
J'en viens maintenant au fond.
Il convient, d'abord, de saluer les performances économiques qu'obtient le Gouvernement depuis trois ans : croissance inespérée, réduction importante du déficit budgétaire, baisse des impôts et des charges, après une hausse vertigineuse de 1993 à 1997.
Les résultats de cette politique tranchent avec ceux, « calamiteux » - ce n'est pas moi qui ai inventé l'adjectif ! - de MM. Balladur et Juppé ! Sans doute est-ce pour cette raison que les représentants de la droite ergotent, discutent des mérites de l'équipe de M. Jospin et expliquent que les bons chiffres tiennent d'un hasard heureux,...
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je n'ai pas dit cela !
M. Gérard Braun. On n'a pas dit cela !
M. Gérard Delfau. ... comme si l'intervention politique n'avait aucune incidence sur la bonne ou la mauvaise santé économique d'un pays !
C'est la justesse des choix, c'est-à-dire un équilibre subtil entre relance de la consommation et réduction du déficit budgétaire, qui permet aujourd'hui de constater un « surplus » de rentrées fiscales, que le collectif nous permettra demain de répartir.
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est la foi du charbonnier !
M. Gérard Delfau. Ne boudons pas notre plaisir, monsieur le rapporteur général !
Réduction de la taxe d'habitation pour un coût de onze milliards de francs, allégement de l'impôt sur le revenu à hauteur de 11 milliards de francs, baisse d'un point du taux normal de TVA pour 18,45 milliards de francs),...
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est très insuffisant tout cela !
M. Gérard Delfau. ... c'est le père Noël au mois de juin !
A partir d'une situation aussi positive, il est possible de s'engager dans un débat d'orientation budgétaire qui fasse preuve d'imagination.
Mais, je suis maire depuis plus de vingt ans et je sais bien que la réalité impose de composer entre toutes les demandes légitimes et de ramener le souhaitable au possible si l'on veut rester crédible.
Aussi, je me garderai d'un projet de budget idéal et, ayant précisé ma philosophie, je ferai des propositions modestes et réalistes.
Bien sûr, je ne me range pas dans le camp des thuriféraires de la réduction drastique des dépenses publiques, impôts, cotisations et charges, dont le héraut, ici, est M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je suis très touché ! Merci du compliment !
M. Hilaire Flandre. C'est un compliment !
M. Gérard Delfau. Il préconise d'y aller à la hache : 250 milliards de francs en trois ans, en prenant prétexte du modèle allemand. Mais ni le chancelier Schroeder, ni le Premier ministre Tony Blair ne sont mes maîtres à penser, et les performances comparées de leur pays par rapport au nôtre n'incitent guère à une conversion.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Vous avez approuvé les 160 milliards de francs, il ne vous reste plus qu'un petit effort à faire !
M. Gérard Delfau. Tout au plus retiendrai-je volontiers - je vais donc vous faire plaisir, monsieur le rapporteur général - l'une de vos propositions : le maintien de la part régionale de la taxe d'habitation, compensée par la suppression des frais d'assiette que recouvre l'Etat pour préparer une réforme qu'il reporte depuis plus de dix ans...
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. C'est une bonne idée.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Voilà une heureuse idée !
M. Gérard Delfau. A l'inverse, je ne vais pas décliner sur tous les modes l'antienne : « les riches peuvent payer ». Non que je n'éprouve souvent ce sentiment, ou plus précisément, disons le mot, cette colère subite devant les profits isensés réalisés en bourse. Mais je suis informé des limites que nous imposent une économie mondialisée et des rapports de forces insuffisants.
Si je préconise un sursaut du politique, c'est en partant du possible au plan national et en faisant pression sur l'Union européenne pour qu'elle mène le combat pour une taxation des opérations sur les marchés financiers, dont ne veulent aujourd'hui ni les Etats-Unis ni le Japon.
Oui, monsieur le ministre, il faut continuer à baisser le prélèvement fiscal, mais de façon ciblée, en conjuguant justice sociale et efficacité économique. C'est pourquoi je souhaite que le Gouvernement poursuive l'an prochain son effort en faveur des tranches d'imposition les plus basses, celles des salariés à petits revenus dont le salaire est proche du SMIC. C'est une façon de les préserver du découragement et de les inciter à poursuivre leur effort. Alléger leur charge fiscale aura, en outre, un impact économique immédiat par la relance de la consommation. C'est faire coup double !
J'applique le même raisonnement à la TVA, sauf que je ne suis pas tout à fait convaincu de la pertinence de la baisse globale d'un point.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Vous avez raison, cela coûte cher !
M. Gérard Delfau. Je préfère quand même une baisse à une augmentation de deux points, monsieur le rapporteur général ! (Sourires.)
Je préférerais que la France instaure un taux intermédiaire, voisin de 13 à 14 %, pour un certain nombre de services, la restauration notamment. Je sais bien qu'il faut un accord avec la Commission de Bruxelles. Mais compte tenu du poids de la France et de votre forte personnalité, monsieur le ministre, il est possible d'arracher cette décision.
Une troisième mesure serait utile et juste, et il n'est pas besoin d'attendre 2001 pour l'appliquer : il s'agit de la nécessaire réévaluation du taux de rémunération du livret A, compte tenu du niveau d'inflation.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre des finances, a créé en 1998 un « comité consultatif des taux réglementés » chargé d'émettre deux fois par an un avis sur l'adéquation entre la rémunération des dépôts réglementés et les taux d'intérêt. Ce groupe d'experts va se réunir en juillet. Nul doute, vu la conjoncture, qu'il vous conseille une hausse significative, qui, elle aussi, soutiendra la consommation.
Mais vous pourriez, en outre, monsieur le ministre, décider que les sommes collectées sur le livret A pourraient désormais financer, outre le logement social, les équipements collectifs, comme cela vous est demandé de plus en plus souvent. Mesure technique, mais décision conforme à la philosophie de votre gouvernement, et elle serait bien accueillie par les collectivités locales.
Or les collectivités locales, justement, ont besoin de votre sollicitude. Elles s'estiment défavorisées dans la répartition des nouvelles rentrées fiscales générées par la croissance. Et je dois avouer que je partage ce sentiment.
De plus, les élus locaux sont inquiets devant la propension du Gouvernement à rogner par pans entiers leur autonomie fiscale. Il y a eu l'épisode de la suppression de la part salariale de la taxe professionnelle et la décision de Bercy de la compenser par une dotation. Aujourd'hui, vous récidivez concernant la part régionale de la taxe d'habitation.
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est bien regrettable !
M. Gérard Delfau. Je peux comprendre la raison de ce choix : aller vite parce que la conjoncture est propice.
Mais, sans crier à la recentralisation, comme l'a fait la majorité du Sénat, qui a pourtant supporté stoïquement un traitement beaucoup plus rude des gouvernements Balladur et Juppé,...
M. Philippe Marini, rapporteur général. La conjoncture était autre !
M. Gérard Delfau. ... je voudrais vous dire qu'il faut veiller à ce que le pacte de confiance entre l'Etat et les collectivités territoriales ne soit pas altéré durablement. Sur ce sujet, sachez que nous attendons beaucoup de vous.
A vrai dire, nous espérons l'impossible : que vous vous attaquiez à la réduction des inégalités qu'engendre la taxe professionnelle, créant une situation encore plus inique, si possible, que celle qu'engendrent les différences de revenus entre les particuliers.
Le dossier est connu : il suffit d'une grande surface ou d'une centrale nucléaire pour qu'une commune - ou une communauté de communes - vive à l'aise, voire dans l'opulence, alors qu'à ses côtés c'est l'indigence, avec, pour corollaire, l'incompréhension des citoyens, qui font du maire un facile bouc émissaire.
Quoi de commun entre les ressources de Neuilly ou de Courbevoie et celles de Béziers ou de Lunel ? Quel fossé entre le budget du département des Hauts-de-Seine et celui de l'Hérault, qui détient les tristes records du chômage et du nombre de RMIstes, du sous-encadrement scolaire et du nombre de ménages à petits revenus !
Depuis les années 1991-1992, le chantier de la péréquation de la taxe est en panne, ou, plutôt, il est laissé au bon vouloir des municipalités qui acceptent d'entrer dans une communauté de communes ou d'agglomération. Mais l'inégalité de base demeure, et seul l'Etat républicain a le pouvoir d'y remédier. Il est urgent de reprendre ce chantier, même si, je le sais, il y faut du courage. Heureusement, la répartition des fruits de la croissance permet de rendre un peu plus indolore le traitement !
Il me reste à parler des services publics, auxquels je consacre, on le sait, beaucoup de mon temps.
Il y a une semaine, je visitais le bureau de poste de Bagatelle, dans un quartier urbain dit « sensible » à Toulouse. J'y ai rencontré des postiers passionnés par leur métier. Ils m'ont expliqué comment ils offrent à une population en difficulté les services bancaires de base que les établissements privés leur ont refusés. Et ils se sont plaints du manque d'effectifs.
Hier soir, j'étais près d'Abbeville, dans un canton rural. Les élus m'ont expliqué leur révolte devant la réduction des horaires de guichets dans leur village, la concentration du tri, la surcharge des tournées de facteurs, l'affaiblissement d'un service public irremplaçable et apprécié de la population. Je leur ai répondu 35 heures, concurrence étrangère, pressions de la Commission en faveur de la déréglementation des services du courrier... J'ai expliqué la difficile position du Gouvernement français et son combat courageux à Bruxelles. J'ai parlé évaluation et modernisation.
J'ai rappelé mes propositions pour compenser financièrement les missions de service public de La Poste, pour renforcer la polyactivité de ses points de contact, pour intégrer ses implantations en zones fragiles, rurales ou urbaines, aux Maisons de service public dont nous avons voté le principe l'an passé.
Mais que peut ma parole alors que le Gouvernement se tait sur cette entreprise publique et n'expose pas aux Français ce qu'il en attend pour les dix ans à venir ? Pourquoi, monsieur le ministre, le Gouvernement manifeste-t-il, et depuis si longtemps, si peu de volontarisme quand il s'agit de La Poste, alors que la SNCF, EDF et France Télécom font l'objet d'une attention soutenue,...
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Bonne question !
M. Gérard Delfau. ... ce dont, par ailleurs, je me réjouis ?
Plus généralement, le maintien ou la création d'un service public de proximité et de qualité sur l'ensemble du territoire est le souci constant des élus locaux et de la population. L'implantation est inégale, parfois disparate, qu'il s'agisse de gendarmeries, de commissariats, de perceptions ou d'écoles ; l'évolution nécessaire se fait mal ou dans l'incompréhension.
C'est sur ces réalités-là que nous attendons le discours de réforme et de modernisation du Gouvernement.
Je sais que vous n'avez pas la partie facile, d'autant que beaucoup d'erreurs ont été commises, récemment encore... Mais nous voudrions que la loi de finances pour 2001 prenne à bras-le-corps cette question des services publics dans l'aménagement du territoire et la cohésion sociale, et que la France profite de sa présidence de l'Union européenne pour mieux faire respecter par la Commission l'article 16 du traité d'Amsterdam. A ce prix, et à ce prix seulement, le discours sur la nécessaire modernisation des services publics sera audible, et ceux qui veulent comme moi une adaptation raisonnée auront des arguments.
Chaque service public, au demeurant, a sa spécificité. S'agissant de l'éducation nationale, il y a un rattrapage à faire en faveur de départements où les dotations en postes n'ont pas suivi la progression démographique. Mais il faut tenir compte aussi de la dégradation des conditions du métier d'enseignant pour comprendre la longueur et la dureté du conflit qui a perturbé la vie scolaire pendant deux mois et demi dans deux départements duLanguedoc-Roussillon, dont le mien.
Tout ne se soigne pas avec des moyens humains ou financiers, mais rien ne peut se faire si l'encadrement est insuffisant. Il y a des rendez-vous à ne pas manquer d'ici à mars 2001 !
Voilà quelques réflexions, forcément rapides, forcément fragmentaires, pour éclairer les choix budgétaires que vous aurez à faire, monsieur le ministre. Je n'ai pas cherché à éluder les problèmes qui sont devant nous ; c'était la règle du jeu. Mais, en terminant, je voudrais vous dire, ou plutôt vous redire, au nom des radicaux de gauche, que nous sommes fiers de soutenir votre action et celle du Gouvernement. Je redis notre confiance dans votre savoir-faire, qui est grand, et dans votre détermination. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Merci beaucoup !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Bel exercice !
M. le président. La parole est à M. Angels.
M. Bernard Angels. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il y a un an, presque jour pour jour, je dressais à cette même tribune, à l'occasion du débat d'orientation budgétaire pour 2000, un bilan d'étape encourageant des deux premières années d'exercice du Gouvernement et de sa majorité.
Je souhaiterais aujourd'hui, dans cette discussion qui fait désormais partie de la préparation du débat budgétaire proprement dit, actualiser ce bilan et élargir un peu plus cet exercice en analysant successivement les conditions, les outils et les perspectives de développement de notre économie.
La reprise de la croissance, le recul progressif du chômage, le regain de confiance manifeste des ménages et des entreprises sont autant d'éléments qui constituent la base d'une nouvelle donne économique que je m'attacherai, tout d'abord, à analyser rapidement.
Je m'emploierai ensuite, ainsi que je l'ai fait en d'autres occasions - mais la pédagogie passe parfois par la répétition - à vous donner mon sentiment sur la place importante que doit tenir le budget dans le combat pour la justice sociale et le partage des richesses.
Enfin, en m'appuyant sur le travail déjà réalisé depuis 1997, je vous proposerai quelques réflexions propres - je l'espère - à ouvrir de nouvelles pistes, de nouveaux chantiers, de nouvelles perspectives.
J'osai utiliser en introduction - à dessein, est-il besoin de le préciser - l'expression de « nouvelle donne économique ».
Nous sommes, en effet, entrés de plain-pied dans une période de croissance soutenue telle que nous n'en avions pas connu depuis plus de vingt ans. De nombreux signes de rupture évidente avec la spirale du chômage ou de la stagnation de l'économie nationale sont apparus. Nous - et quand je dis nous, j'entends l'ensemble des Françaises et des Français - avons intégré un nouveau cercle vertueux que j'avais énoncé en ces mots voilà quelques mois : croissance, confiance, activité.
S'il reste encore beaucoup à faire, les premiers résultats statistiques - chiffrés, incontestables et implacables - de cette rigueur dont, mes chers collègues de la droite sénatoriale, vous vous arrogez trop souvent le bénéfice sont là. Pourtant, au-delà de ce strict bilan comptable, notre réussite collective est surtout d'avoir su réorienter les priorités, d'avoir redonné un sens à l'action contre le chômage, d'avoir soutenu les initiatives et déployé les énergies.
Revenons-en tout de même à ces fameux chiffres qui laissent si peu de place à votre critique, mes chers collègues de la droite sénatoriale. Je me permettrai d'en citer rapidement quelques-uns.
Le PIB, tout d'abord,...
M. Philippe Marini, rapporteur général. On ne peut pas critiquer le PIB !
M. Bernard Angels. ... indicateur unanimement accepté de bonne santé économique, retrouve un rythme de croissance élevé puisque son mouvement annuel de progression est passé de 1,7 % en 1997 à 3,6 % en 2000. Ces résultats s'accompagnent d'un faible taux d'inflation qui renforce la stabilité de notre économie.
Dans le même temps, la balance commerciale, qui fut, en d'autres temps, l'un de vos chevaux de bataille, a doublé son excédent annuel, passant d'à peine 50 milliards de francs avant 1997 à plus de 100 milliards de francs depuis lors.
Au-delà de ces agrégats généraux, les ménages et les entreprises ont largement bénéficié de ce fort retour d'activité. En effet, la hausse du pouvoir d'achat global, qui était de 0,2 % en 1996, sera probablement de plus de 2,7 % en 2000 et de 3 % en 2001. De même, le rythme annuel d'investissement des entreprises aura enregistré, signe d'une croissance interne et d'une confiance affirmée, une croissance de 7,2 % en 2000, après avoir connu un recul de 0,8 % en 1996.
L'emploi bénéficie, lui aussi, de ce renouveau économique, puisqu'il n'est pas utopique de tabler sur un recul au-dessous du seuil, ô combien symbolique, des deux millions de chômeurs et que les gisements d'emplois sont en fort développement.
Si vous ne pouvez que convenir avec moi, mes chers collègues, de la réalité et de l'éloquence de ces chiffres, nos analyses respectives de leurs fondements ont bien souvent divergé. Je me permettrai donc de vous rappeler mes convictions en la matière.
Cette nouvelle donne économique trouve évidemment son explication en partie - et en partie seulement - dans le contexte économique international. Toute la différence qui nous oppose tient à la mesure de ce « tout ou partie ».
En effet, la comparaison avec nos partenaires européens est riche d'enseignements : sur la période 1998-2001, la croissance devrait s'établir, selon les prévisions, à 8,4 % en Italie, à 8,9 % en Allemagne, à 9,3 % en Grande-Bretagne et - vous ne pourrez, encore une fois, contester ce chiffre - à 12,7 % en France !
La croissance ne se décide par arbitrairement, mais un gouvernement peut la soutenir, la renforcer, comme il peut aussi, parfois, la briser. N'ayez pas la mémoire courte, monsieur le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Que va-t-il sortir ? (Sourires.)
M. Bernard Angels. En 1994, la croissance était amorcée, mais elle a aussitôt été stoppée de façon brutale, dès l'été 1995, par une politique trop restrictive,...
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Et en 1992 ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Oui, pour faire de l'histoire, il faut remonter plus haut !
M. Bernard Angels. ... par une augmentation des impôts et une absence manifeste de prise en compte des aspirations de nos concitoyens.
M. Gérard Delfau. C'est vrai !
M. Bernard Angels. Depuis 1997, le Gouvernement a su faire des choix courageux, ambitieux et respectueux des volontés et des demandes des Françaises et des Français ; il a su accompagner la croissance, la soutenir dans le sens du progrès économique, certes, mais aussi du progrès social.
Je n'ose imaginer vos interventions, monsieur le rapporteur général, ni celles de vos collègues, si les chiffres que je vous ai présentés précédemment avaient été, disons mauvais. Que n'aurions-nous entendu, alors, de critiques, de reproches et autres mises en garde ! Je vous appelle donc à un peu d'éthique politique (Protestations sur les travées du RPR et de l'Union centriste),...
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Oh ! oh !
M. Gérard Braun. Quelle intolérance et quel sectarisme !
M. Philippe Marini, rapporteur général. On a le droit d'être dans l'opposition !
M. Bernard Angels. Ecoutez-moi, monsieur le rapporteur général, je poursuis : ... de cette éthique dont j'ai pu souvent voir les traces dans nos travaux communs,...
M. Philippe Marini, rapporteur général. Ah ! Très bien !
M. Bernard Angels. ... pour vous inciter à reconnaître à la majorité et au Gouvernement la responsabilité de leurs réussites tout autant que de leurs échecs.
M. Charles Descours. On verra dans le budget !
M. Bernard Angels. L'heure n'est plus aujourd'hui à la gestion de la crise, elle est à la répartition des fruits de la croissance. En ce domaine, de nombreux efforts restent à faire pour les Français les plus défavorisés, en particulier. La croissance n'a de sens que par les réformes qu'elle permet de réaliser.
M. Charles Descours. Le nombre de RMIstes augmente.
M. Bernard Angels. C'est aussi dans cette optique que doit s'inscrire ce qu'il est courant d'appeler « l'arme budgétaire ».
Oui, il faut bien parler d'arme dans la mesure où le budget reste le fer de lance, le moyen privilégié du combat politique et social. Pour parfaire cette métaphore, convenons ensemble que c'est le nerf de la guerre ! Tout dépend ensuite de la guerre que l'on entend mener. La droite au pouvoir a fait le choix de la dérégulation, de la libéralisation, de la flexibilité et du moins d'Etat. La gauche, depuis 1997, a inversé les priorités, replacé au coeur de son combat la cohésion et la justice sociale, l'emploi et la solidarité.
M. Hilaire Flandre. Tu parles !
M. Gérard Miquel. C'est vrai !
M. Bernard Angels. Quels sont les moyens à notre disposition pour assurer une telle politique ?
Les impératifs de solidarité et de partage impliquent une responsabilité des générations actuelles envers leurs enfants et leurs petits-enfants. En ce sens, la lutte contre les déficits est une priorité à renouveler sans cesse. Laisser l'économie vivre en déficit, à crédit, relève d'une politique égoïste, à courte vue, au détriment des générations à venir.
MM. Alain Lambert, président de la commission des finances, et Philippe Marini, rapporteur général. Ça, c'est parfaitement vrai !
M. Bernard Angels. Le service de la dette représente 230 milliards de francs par an, soit les deux tiers des recettes de l'impôt sur le revenu.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. C'est trop !
M. Bernard Angels. C'est un véritable tonneau des Danaïdes, qui appelle des décisions fortes. Il convient donc de dégager les marges de manoeuvre nécessaires à la mise en place d'une politique ambitieuse et efficace.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Donc, il faut réduire les dépenses !
M. Bernard Angels. Des efforts importants sont consentis depuis trois ans dans ce domaine, mais je ne peux qu'encourager le Gouvernement à aller plus loin dans cette démarche.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. On peut faire mieux !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Nous voulons l'aider !
M. Bernard Angels. Sur ce terrain, les résultats sont encore une fois significatifs : depuis 1997, le déficit budgétaire a reculé de plus de 60 milliards de francs et les prévisions jusqu'en 2003 laissent entrevoir une tendance tout à fait favorable.
Si nous nous accordons tous sur l'objectif, nous nous séparons nettement sur la méthode, sur le chemin à emprunter. Le rapporteur général et, derrière lui, l'ensemble de la droite sénatoriale se réfugient dans le credo : « toujours plus, toujours plus vite ». Sans ironiser sur leur propre capacité à maintenir ce cap lorsqu'ils étaient en fonctions, je voudrais souligner les risques que comporte une telle attitude.
La politique budgétaire d'un pays est avant tout affaire d'équilibre. Or agir comme ils le prônent reviendrait purement et simplement à rompre l'équilibre construit patiemment depuis trois ans et à compromettre par là même les résultats acquis : la confiance des Français, la marche vers le plein emploi...
Dans le même ordre d'idées, je ne doute pas que les efforts du Gouvernement concernant la maîtrise des dépenses publiques recueillent un écho favorable auprès de la droite sénatoriale.
Les prévisions en volume fixent la hausse des dépenses à 0,3 %, c'est-à-dire à un niveau qui s'inscrit tout à fait dans plan pluriannuel présenté par le Gouvernement. Cet objectif d'évolution de la dépense publique, indépendant de la conjoncture et parfaitement cohérent avec nos engagements européens, confère à la politique de finances publiques le rôle de stabilisation de l'activité qui doit être le sien, prémunissant l'économie nationale contre une éventuelle surchauffe et lui fournissant une garantie en cas de ralentissement.
Là aussi, vous seriez sûrement prêts à affirmer votre accord quant à une nécessaire maîtrise devant les risques conjoints de voir s'envoler le déficit ou les prélèvements obligatoires. Et pourtant, là aussi au-delà du fait que nous ne nous contenterons pas de dire, et que nous faisons, c'est sur la méthode que notre différence s'affirme.
Maîtriser les dépenses publiques ne signifie pas moins d'Etat, mais mieux d'Etat. Si l'on dépasse le caractère volontairement sentencieux de cette expression, le problème est de réformer progressivement l'Etat et ses services dans la transparence et la concertation.
Cela signifie aussi, parfois, donner des moyens supplémentaires lorsque la qualité du service public n'est pas ou n'est plus à la hauteur des besoins et des attentes légitimes de nos concitoyens.
Au-delà du « plus ou moins d'Etat », notre action doit tendre à redonner aux services publics les moyens de fonctionner de façon moderne, d'assurer la cohésion sociale et l'égalité de traitement sur l'ensemble du territoire, d'encourager les initiatives et de soutenir le dynamisme économique.
Les objectifs de notre majorité en la matière sont connus : garantir la qualité des services publics en accordant une priorité à l'emploi, à l'éducation nationale, à la santé, à la sécurité et à la justice.
C'est à travers les services publics dont bénéficient l'ensemble des Françaises et des Français que nous pourrons assurer la solidarité et mettre en oeuvre les principes d'égalité et de libertés publiques auxquels nous sommes attachés.
Nos concitoyens sont fortement attachés, eux aussi, à leurs services publics. Les élus locaux que vous êtes peuvent témoigner des mobilisations qui prennent corps dans leur ville ou dans leur canton lorsqu'il s'agit de défendre un hôpital, une école, un commissariat, une gendarmerie ou, comme ce fut récemment le cas, une perception. De grâce, ne sombrez pas dans la paranoïa partisane en défendant ici le contraire de ce pour quoi vous vous battez dans vos départements !
Santé, éducation, formation, justice, sécurité : nous avons su, collectivement et sur le long terme, construire et défendre une vision que je crois toujours moderne des services publics dits « à la française ». Cette construction, inégalée et reconnue dans le monde entier, il nous incombe maintenant de la renforcer, de l'améliorer en intégrant tout à la fois la nécessaire réforme de l'Etat, l'apport des nouvelles technologies et les redéploiements d'effectifs et de responsabilités qui nous aideront à rester en phase avec les évolutions de la société et de notre territoire national.
Réduction des déficits, maîtrise des dépenses, donc, mais aussi poursuite de la réforme fiscale. Cette réforme fiscale que j'appelle de mes voeux doit être équilibrée et respectueuse tout à la fois des équilibres nationaux et des obligations redistributives. Elle doit tenir compte des capacités contributives de chacun. Elle doit enfin s'intégrer dans une politique active de relance sociale et économique.
La barre est haute, les objectifs sont ambitieux, j'en conviens.
Dans notre esprit, une société moderne et responsable n'est pas nécessairement une société dans laquelle on paie peu d'impôts ; c'est, avant tout, une société dans laquelle chaque citoyen a conscience que sa contribution personnelle est utilisée de la façon la plus efficace pour l'intérêt général.
Dans la pratique, avec 60 milliards de francs de baisse de TVA depuis 1997, le Gouvernement aura rendu aux Français l'équivalent du surcoût provoqué par les hausses décidées par le gouvernement d'Alain Juppé en 1995.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Mais il l'aura fait à crédit !
M. Bernard Angels. Concernant le taux de prélèvements obligatoires - et je garde à l'esprit les réserves que peut susciter la pertinence même de cette notion - la tendance générale suivie depuis 1997 est à l'inverse de l'alourdissement de deux points décidé par le gouvernement Juppé.
M. Charles Descours. Vous êtes le seul à le dire !
M. Hilaire Flandre. Il n'y croit pas lui-même !
M. Bernard Angels. Dépassons encore une fois les chiffres pour nous attacher aux principes qui doivent guider nos choix en matière fiscale.
Si la baisse des prélèvements obligatoires est effectivement nécessaire, elle ne saurait s'effectuer en portant préjudice aux services publics et à la solidarité qu'ils génèrent ou en négligeant la nécessaire redistribution des richesses dont la croissance nous ouvre la perspective. Cette baisse peut être regardée comme une légitime contrepartie des efforts consentis par nos concitoyens, qui ont participé avec courage, confiance et détermination à la relance engagée par le Gouvernement et sa majorité. Elle est le signe d'un contrat de confiance retrouvée entre les Français et leurs élus.
Dans ce contexte, la lisibilité, la compréhension et la justification de l'impôt me semblent importantes. La réforme fiscale doit tenir compte, certes, du rendement de l'impôt, mais aussi de la manière dont celui-ci est « perçu » par le contribuable, de ce que j'appellerai sa légitimité. A cet égard, certains impôts posent quelques problèmes. Je ne prendrai pour exemple que la redevance télévisuelle.
M. Charles Descours. Archaïque !
M. Bernard Angels. Outre le fait qu'elle implique des coûts de perception élevés, cette taxe n'est plus comprise par les contribuables. L'explosion des réseaux câblés et des programmes satellitaires, donc de l'offre télévisuelle, le fonctionnement même des chaînes hertziennes publiques concourent à rendre de moins en moins compréhensible la redevance télévisuelle. C'est pourquoi j'invite le Gouvernement à se pencher sur l'hypothèse de son éventuelle suppression.
M. Charles Descours. Et les 1 100 emplois de fonctionnaires qu'elle représente ?...
M. Bernard Angels. Si les efforts fiscaux concernant les prélèvements indirects ont été réels et significatifs depuis 1997, nous devons aujourd'hui « changer de braquet » et nous attaquer aux impôts directs, auxquels nos concitoyens sont plus sensibles et dont la baisse constitue une source de pouvoir d'achat supplémentaire qui permettra de nourrir à nouveau la croissance.
La justice fiscale et, par là même, la justice sociale : tels doivent donc être nos objectifs prioritaires en matière de réforme de l'impôt, dans une dynamique orientée vers l'emploi, la solidarité et le partage des richesses.
La justice sociale, en effet, doit être au coeur de notre action car, depuis déjà plus de vingt ans, les Françaises et les Français ont eu à subir une « injustice sociale » majeure : le chômage.
C'est pourquoi Lionel Jospin a, dès son arrivée, fait de l'emploi la priorité de son programme gouvernemental, et nous ne pouvons qu'être satisfaits des résultats d'ores et déjà obtenus : 750 000 emplois créés depuis 1997, 400 000 emplois prévus pour 2000.
Pourtant, le chômage demeure une dure réalité pour un trop grand nombre de nos concitoyens. Nous devrions repasser sous la barre des deux millions de chômeurs, mais notre ambition doit rester la marche progressive vers le plein emploi. Cet objectif, dont beaucoup se sont gaussés à son annonce par le Premier ministre, n'est plus irréaliste, et les meilleurs spécialistes reconnaissent sa pertinence.
La croissance est un élément de la réussite de la politique de lutte contre le chômage. Mais c'est un élément parmi d'autres, et l'on ne peut compter uniquement sur elle, sur le libre jeu de l'offre et de la demande, pour réintégrer sur le marché du travail des milliers de personnes brisées par plusieurs années d'inactivité, handicapées par une formation inadaptée aux besoins actuels des entreprises, humiliées par un système ultra-libéral qui ne laisse de place qu'à la productivité et à la rentabilité des travailleurs.
A force de répéter que la croissance est de retour, que l'activité économique a redémarré, que le chômage recule, le risque est grand de voir se creuser le fossé entre les travailleurs et les laissés-pour-compte d'une reprise qui ne pourra qu'être progressive. Nos efforts doivent s'accentuer pour permettre au plus grand nombre, par delà les start-up et les business angels, de profiter, à tous les niveaux de qualification et d'emploi, de la croissance retrouvée.
Nombreux sont aujourd'hui ceux qui voient dans l'augmentation des minima sociaux la réponse à l'isolement de ces personnes. J'avancerai, pour ma part, une autre piste de réflexion et de travail.
Notre action doit, en effet, être guidée par la nécessité d'un retour à l'emploi pour tous plutôt que par la prorogation d'un système d'assistanat qui exclut trop souvent plutôt qu'il n'intègre, ne serait-ce que pour éviter les risques d'opposition entre les travailleurs à bas salaires et ceux qui ne bénéficient que d'aides de substitution pour survivre. Une prestation chômage ne remplacera jamais un emploi, et nous devons lutter pour rendre à chacun une place dans la société et une dignité mise à mal par les assauts répétés du chômage de masse.
Ainsi, un chantier pourrait être ouvert sur le champ du revenu minimal d'insertion à travers la mise en place d'un plan généralisé d'insertion par l'économique. Il s'agira pour nous de faire preuve d'imagination,...
M. Philippe Marini, rapporteur général. Il vous suffit de suivre les propositions de l'opposition !
M. Bernard Angels. ... comme ce fut le cas lors de la réflexion menée pour mettre en oeuvre le programme « nouveaux emplois, nouveaux services ». Nous pourrions, par exemple, réfléchir à la définition d'un processus de suivi individualisé des bénéficiaires du RMI et, dans le cadre d'une incitation au retour à l'emploi, à la possibilité de cumul entre prestation RMI et activité professionnelle.
Je me réjouis que cette disposition ait été prévue dans la loi sur les exclusions, mais j'appelle le Gouvernement à prendre en compte la nécessité d'une plus grande lisibilité, d'une plus grande facilité d'accès et, surtout, de l'allongement de la période de cumul.
MM. Alain Lambert, président de la commission des finances, et Philippe Marini, rapporteur général. Il faudra voter notre proposition de loi !
M. Bernard Angels. En matière de justice et de cohésion sociale, les pouvoirs publics doivent engager à chaque étape un dialogue renouvelé avec les partenaires sociaux afin de définir ensemble les priorités et les pistes de travail.
A ce titre, je m'interroge sur le rôle à donner à l'UNEDIC dans la recherche de financements des programmes de lutte contre les exclusions ou pour le retour à l'emploi. Dans les années quatre-vingt-dix, l'Etat a tenu, pour de nombreux régimes sociaux, la place d'assureur en dernier ressort. Il a ainsi apporté un soutien important à l'UNEDIC - comme il l'a d'ailleurs fait pour d'autres régimes - quand celle-ci s'est trouvée en difficulté.
Aujourd'hui, en cette période de nouvelle croissance, certains régimes sociaux se trouvent dans une situation plus aisée, jusqu'à atteindre parfois l'excédent. Dès lors, il ne serait pas incongru, à mon sens, de réfléchir à des financements croisés sur des programmes concertés dans le cadre d'un processus rénové.
Au terme de cette intervention, je souhaite, mes chers collègues, reprendre en quelques mots les principes et les objectifs qui fondent, certes, ma réflexion budgétaire, mais plus largement mon action d'élu et mon engagement politique.
Il s'agit, d'abord, de l'écoute des besoins, des demandes, des revendications de nos concitoyens, sans laquelle nous ne saurions ni nous montrer dignes de notre fonction ni être en mesure de saisir les évolutions de la société.
Il s'agit, ensuite, de la volonté, à chaque étape de notre réflexion, d'assurer à tous une véritable égalité des chances en matière non seulement d'éducation, de formation, d'emploi, de fiscalité, mais aussi de justice, de sécurité, de logement ou de loisirs.
Ce sont, j'en suis persuadé, ces principes qui inspireront les choix budgétaires que le Gouvernement nous proposera pour l'année 2001. (Applaudissements sur les travées socialistes. - M. Delfau applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Badré.
M. Denis Badré. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous avons gardé en mémoire les termes d'un débat un peu surréaliste entre le Gouvernement et notre commission des finances sur ce qui fut appelé la « cagnotte », les estimations qu'en fit très tôt notre commission devant finalement s'avérer les bonnes, plus de 30 milliards de francs de recettes supplémentaires apparaissant à la fin de l'année 1999.
Notons à nouveau, tout de même, combien le terme de « cagnotte » est impropre, puisqu'il ne s'agit jamais que de plus-values de recettes par rapport à ce qui a été budgété et que les recettes budgétaires ainsi dégagées ne font jamais, elles aussi, qu'améliorer l'équilibre d'un budget qui en a bien besoin tant que subsiste un déficit. L'idée d'affecter ces recettes à de nouvelles dépenses devrait alors laisser songeur. Serions-nous en train de nous habituer à ce qui doit rester hors de la norme ?
J'ai toujours dit qu'il vaudrait mieux appeler « emprunt » ce déficit, comme le font toute nos collectivités locales. C'est d'ailleurs la réalité, et cela protège contre les tentations de la facilité.
Le dernier rapport de la Cour des comptes nous éclaire un peu mieux sur les pratiques budgétaires en usage depuis 1998. Celles-ci ont généralement sous-estimé les plus-values fiscales afin de constituer des « marges de manoeuvre » pour l'avenir, et ce, bien sûr, au détriment de l'indispensable transparence de nos finances publiques.
Monsieur le ministre, vous avez annoncé des mesures allant dans le sens de cette transparence, rompant ainsi avec ces pratiques. J'en suis heureux, mais, bien sûr, j'attends de voir. Nous vous jugerons en effet sur vos actes, notre commission des finances travaillant également, vous le savez, sur l'amélioration de la procédure budgétaire et sur la réforme de l'ordonnance de 1959.
Je me demande par ailleurs, monsieur le ministre, si ce n'est pas l'annonce de la nouvelle progression des prélèvements obligatoires en 1999 jusqu'à des niveaux records qui a contraint votre gouvernement à modifier sa stratégie budgétaire et à proposer dès maintenant certaines réductions d'impôts.
Ces réductions demeurent cependant bien modestes par rapport aux 400 milliards de francs de prélèvements suplémentaires appelés depuis 1997. Votre politique, monsieur le ministre, se veut vertueuse ; elle a jusqu'ici surtout les apparences de la vertu, mais, là aussi, nous vous jugerons sur les faits. Comme l'a d'ailleurs excellemment expliqué le président de la commission des finances, M. Lambert, le Gouvernement se fonde, pour assainir les finances publiques et réduire les prélèvements, sur une conjoncture exceptionnnelle, sans vraiment faire, pour l'instant du moins, de réformes structurelles.
Mon propos portera sur ces trois sujets : la conjoncture économique, les prélèvements en France, le contenu de la dépense publique et les réformes de structures, toujours plus faciles à conduire en période de croissance, même si cette facilité amène, au contraire, à les considérer comme peut-être moins urgentes.
La conjoncture économique, si elle est particulièrement favorable à court terme, reste fragile, surtout en Europe, et notamment en France.
Les prévisionnistes nous encouragent plutôt à demeurer optimistes pour les mois qui viennent, mais gardons-nous d'un enthousiasme excessif ! Les observateurs restent prudents pour ce qui concerne le plus long terme. Comme ce fut déjà le cas dans des périodes précédentes, la forte croissance de l'économie mondiale risque, en effet, d'entraîner une remontée des cours des matières premières, une reprise de l'inflation et une hausse des taux d'intérêt. Un retournement de conjoncture - M. Angels lui-même le soulignait à l'instant - ne doit donc pas être exclu.
Par ailleurs, la croissance ne durera en Europe qu'à deux conditions : d'une part, l'investissement doit encore progresser afin d'incorporer les nouvelles technologies dans le capital productif ; d'autre part, une attention particulière doit être portée aux emplois qualifiés. Mais la France supporte d'autres handicaps ; je pense, en particulier, aux retards pris dans les domaines de la fiscalité sur les entreprises, de l'épargne salariale ou, bien entendu, de la création d'une épargne-retraite.
On ne peut donc miser de manière certaine sur une croissance forte dans les prochaines années ni tabler sur de futures « cagnottes ». Sans réformes de structures, notre pays pourrait « déchanter » après avoir vécu une éphémère embellie.
Une première réforme est donc indispensable : la baisse des prélèvements obligatoires. M. le Premier ministre s'était engagé, en 1997, à « diminuer leur taux pour la première fois depuis 1992 ». Eh bien ! le taux des prélèvements obligatoires a augmenté de près de deux points en quatre ans !
Pour s'en tenir à l'année dernière, les recettes fiscales, nettes des remboursements et dégrèvements, ont augmenté de près de 8 %, c'est-à-dire deux fois et demie plus vite que le PIB en valeur. Une telle augmentation est sans précédent. Elle ne peut être acceptée comme une réalité ordinaire. Du moins devons-nous l'analyser de très près.
La quasi-stabilité des prélèvements en 2000 s'explique, notamment, par la poursuite de la baisse de la taxe professionnelle, compensée par l'institution de la contribution sociale sur les bénéfices, l'alourdissement de la taxe générale sur les activités polluantes, la TGAP, et le durcissement de la fiscalité des dividendes.
A cet égard, l'annonce, en mars, du record atteint par les prélèvements obligatoires en 1999 a provoqué, bien légitimement, un mécontentement de l'ensemble des contribuables, alors qu'en même temps on estimait à plus de 30 milliards de francs le niveau de la « cagnotte ».
Sous la pression de l'opinion publique, le Gouvernement a bien voulu parler de réductions d'impôts. Celles-ci ne suffiront pas, en tout état de cause, à annuler l'effet des hausses intervenues depuis 1997.
J'ajoute que certaines baisses, comme la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation, supposent une compensation de la part de l'Etat, donc une augmentation des dépenses que celui-ci devra bien financer. S'il n'avait par à les financer, une baisse plus forte de la fiscalité serait envisageable. Il s'agit donc d'une forme de transfert de charge. La « charge » demeure en effet et elle est incontournable. Cette opération ne peut donc être considérée en soi comme réduisant les prélèvements obligatoires. Plus que le manque d'ambition du programme de baisse d'impôts, c'est le choix des impôts sur lesquels portent ces baisses qui me pose problème. Il est vrai que, pour ce qui touche la taxe d'habitation, je le disais à l'instant et j'y insiste, la réforme entame, à l'évidence, l'autonomie de nos collectivités locales. Mais il en est de même pour la TVA, qui reste le seul moyen de taxation de biens importés en provenance de pays dans lesquels les charges sont moins lourdes. D'un effet assez réduit sur le niveau des prix, comme le démontre l'étude de l'Institut national de la statistique et des études économiques pour le mois d'avril, la baisse d'un point du taux normal de la TVA n'était probablement pas ce que les Français attendaient en priorité.
Cependant, à partir du moment où vous avez choisi d'intervenir d'abord sur la TVA, monsieur le ministre, je note que, à coût égal, des passages ciblés au taux réduit peuvent avoir une efficacité beaucoup plus forte qu'une réduction générale, mais bien sûr de moindre amplitude, du taux normal. Le passage de celui-ci de 20,6 % à 19,6 % coûte, vous le rappeliez vous-même tout à l'heure dans votre exposé introductif, 30 milliards de francs en année pleine.
Comparons cette somme aux 4 milliards de francs que représente le passage au taux réduit pour l'ensemble des produits de la chocolaterie et de la margarine ! Je rappelle qu'une telle mesure, parfaitement « euro-compatible », s'impose aujourd'hui parce que la frontière entre ce qui relève du taux normal et ce qui relève du taux réduit est, dans ce domaine, tout a fait illisible. J'ai moi-même beaucoup de mal à distinguer, entre deux produits à base de chocolat, lequel relève de l'un et lequel relève de l'autre. Je n'aurai pas l'impertinence de vous suggérer, monsieur le ministre, de faire vous-même le test. Même pour vous, je pense que l'échec resterait possible. J'en parle avec une grande humilité, car je m'y suis hasardé et j'ai systématiquement échoué.
Une situation aussi confuse crée des distorsions totalement injustifiées et d'autant plus insupportables que l'écart entre les deux taux - quatorze points, même avec la réduction du taux normal à 19,6 % - reste l'un des plus forts d'Europe.
A ce point de mon exposé, je reviendrai aussi sur le secteur de la restauration et sur les innombrables difficultés qui apparaissent aux limites des domaines respectifs des restaurations traditionnelle, collective et rapide. Où finit le service à table et où commence la vente à emporter ? That is the question, si j'ose dire ! En tout cas, le problème n'est pas résolu et, là aussi, la seule manière de faire cesser des distorsions inexplicables et injustifiées consiste à appliquer le taux réduit à toute la restauration. Il en coûterait 20 milliards de francs. Si nous les ajoutons aux 4 milliards de francs du chocolat et de la margarine, nous sommes encore loin des 30 milliards de francs que vous venez d'engager avec la baisse d'un point du taux normal. Pour moins cher, donc, vous auriez traité de vrais problèmes, des problèmes que vous ne pouvez ignorer et auxquels vous devrez bien, un jour ou l'autre, apporter une solution.
Ainsi, vous auriez sans aucun doute donné un coup de fouet à des secteurs porteurs d'emplois, qui contribuent tout à la fois au rayonnement de la France et à la qualité de la vie quotidienne de tous les Français.
S'agissant de la restauration, vous savez d'ailleurs que vous pouvez étaler sur deux exercices l'effort à accomplir. Les Etats de l'Union européenne peuvent, en effet, rappelons-le, disposer de deux taux réduits compris entre 5 % et 15 %. Le coût, dans un premier temps, du retour à un taux de 14 % de ce qui reste à 19,6 % dans le domaine de la restauration coûterait moins de 10 milliards de francs. Cela ramènerait à 8,5 points les écarts subsistant à l'intérieur du secteur et réduirait déjà le caractère aigu des problèmes qui s'y posent.
L'auteur du rapport Comment baisser le taux de TVA ? doit à l'honnêteté de rappeler qu'une telle mesure n'est pas actuellement euro-compatible. Et je continue à regretter que vous n'ayez pas saisi l'opportunité qui vous avait été offerte de lever cette difficulté à l'automne dernier, lors de l'adoption de la directive sur les services à haute intensité de main-d'oeuvre.
Depuis, directement ou indirectement, chaque Etat trouve sa solution, même le Portugal, qui aurait alors souhaité une alliance plus forte avec nous sur ce thème ; mais nous lui avons un peu fait défaut.
Monsieur le ministre, nous sommes les derniers à ne pas l'avoir fait. Il vous faudra bien vous engager sur cette voie, en prenant d'abord une initiative à Bruxelles pour lever l'euro-incompatibilité actuelle, sachant qu'ensuite, dans le contexte actuel, la difficulté budgétaire devrait pouvoir être surmontée.
Vous ne pouvez ignorer le problème. D'ailleurs le Conseil d'Etat vient d'annuler deux décisions ministérielles exonérant la restauration collective. Comment celle-ci va-t-elle être traitée ? Se verra-t-elle appliquer un taux de 19,6 % ? Cela m'étonnerait, et cela me paraît même impossible pour les cantines scolaires. Mais le problème est bien réel.
Plus généralement, qu'attendent les Français aujourd'hui en matière fiscale ? Un allégement réellement perceptible de leurs charges, donc à l'évidence de l'impôt sur le revenu pour ceux qui le payent, de leurs charges sociales, ou de la CSG. Une baisse des cotisations sur les salaires entre 1 et 1,3 SMIC constituerait une mesure sociale vraiment significative, cela a déjà été dit, en permettant d'augmenter le salaire direct de 7 millions de personnes.
Cependant, comme le démontrent des expériences étrangères récentes, des progrès réellement durables ne peuvent passer que par la réduction de la dépense publique. Or, jusqu'ici, monsieur le ministre, vous ne semblez pas vous être engagé sur cette voie. Sans doute devez-vous compter avec les nécessités de l'union de la majorité plurielle et avec la préparation d'échéances qui se rapprochent. Mais vous ne préparez pas l'avenir !
Les dépenses continuent à progresser à peu près au rythme de la richesse nationale, alors que la France, en dépensant plus de 54 % de son PIB, bat un record qui la situe quinze points au-dessus de la moyenne des pays du G7 et plus de six points au-dessus de la moyenne de la zone euro.
Là aussi, soyons complets : le programme pluriannuel prévoit de ramener le rapport de la dépense publique au PIB à 51,1 % en 2003, voire à 50,4 % si le taux de croissance est de 3 %.
Je regrette cependant que le rapport préparé pour ce débat d'orientation budgétaire ne nous donne aucune indication sur les moyens que vous entendez vous donner pour y parvenir, monsieur le ministre. Peut-être allez-vous nous apporter des précisions à l'occasion de ce débat.
De plus, en 2001, pour la première fois depuis 1998, la France ne pourra pas compter sur le poste des charges de la dette pour réaliser des économies. Au contraire, les intérêts nets versés par le Trésor aux détenteurs d'obligations françaises vont progresser sous l'effet de la hausse des taux.
En outre, la rigidité des dépenses publiques s'accroît : la part des dépenses en capital n'est plus que de 9,8 % des dépenses totales, hors remboursements et dégrèvements, en 1999, au lieu de 11 % en 1995. Aucune des dépenses parmi les plus rigides - fonction publique ou assurance maladie - n'a fait l'objet de véritables réformes.
Ainsi, s'agissant des effectifs de l'administration, si la stabilité reste en principe l'objectif - et cela me paraît être la moindre des choses - la lettre de cadrage pour 2001 maintient un flou total sur vos intentions, monsieur le ministre. Vous envisageriez même une hausse de ces effectifs, et ce en contradiction flagrante avec le rapport Cieutat rédigé pour le compte du Commissariat général du Plan.
Cette évolution de la structure de notre dépense publique rend le budget de l'Etat plus vulnérable à un retournement de la conjoncture économique. Elle accroît le risque de dérapage par rapport aux normes de la discipline budgétaire européenne en cas de ralentissement de la croissance, ralentissement qu'il ne faut pas écarter, comme je l'indiquais en préambule.
Ainsi, il ne faut pas s'étonner que le Gouvernement français continue à afficher les plus mauvais résultats de la zone euro pour ce qui concerne les déficits publics : 1,7 % en 2000 dans la meilleure des hypothèses.
La baisse du déficit du budget de l'Etat résulte actuellement d'une forte croissance des recettes et de la diminution des taux d'intérêts. Examinant la situation des finances publiques françaises, la Commission européenne a rappelé récemment qu'atteindre un équilibre, voire dégager un excédent budgétaire - ce qui serait un miracle - restait la règle du pacte de stabilité. Diminuer les recettes sans accélérer la baisse des dépenses freine la réduction des déficits et de la dette.
En conclusion, pour être vraiment porteur d'espoir, le budget de 2001 devra traduire une véritable volonté de réforme. L'économie française ne se situe dans le peloton de tête des pays de l'euro que dans deux domaines : la balance courante et l'inflation. Aujourd'hui, il faut lui insuffler le dynamisme nécessaire pour consolider durablement le mouvement de baisse du chômage. Le préalable est évidemment une réforme en profondeur de l'Etat, réforme que la France continue à éluder, tournant le dos aux choix courageux de ses principaux partenaires comme de ses concurrents (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Bourdin.
M. Joël Bourdin. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'économie française est engagée dans sa troisième année de forte croissance : pour les trois années 1998-2000, celle-ci sera en effet supérieure à 3 % en moyenne, comme vous le savez.
Depuis l'avènement de ce que l'on qualifie généralement d'« économie mondialisée », laquelle se caractérise par la liberté des mouvements de capitaux et la surveillance permanente des politiques économiques nationales par les marchés financiers, l'économie française n'avait connu qu'un seul épisode comparable de forte croissance : c'était au cours de la période 1988-1990.
Si je rappelle ce précédent, c'est parce que nous devons tous l'avoir présent à l'esprit, et en particulier le Gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le ministre : il s'agit là, en effet, d'un exemple particulièrement significatif d'un cycle de croissance brutalement interrompu par des politiques économiques - budgétaire comme monétaire - tout à fait inadaptées.
Dans les systèmes économiques complexes que nous connaissons, la croissance se mérite par des politiques vertueuses et crédibles. La question principale et fondamentale soulevée par ce débat me paraît ainsi être la suivante : quelle politique économique et, en particulier, quelle politique budgétaire doivent être mises en oeuvre pour que la phase actuelle d'expansion économique et de diminution du chômage se prolonge durablement ?
C'est en se référant constamment à cette question que doivent être appréciés les mesures contenues dans les orientations budgétaires et dans ce collectif, ainsi que les engagements proposés pour les trois prochaines années par le programme triennal des finances publiques.
S'agissant, tout d'abord, de l'année budgétaire, trois questions nous sont posées, monsieur le ministre.
Premièrement, les mesures d'allégement d'impôts constituent-elles les prémices d'une politique durable d'allégement des prélèvements obligatoires ou de la réforme fiscale dont notre pays a besoin ?
Deuxièmement, les mesures que vous nous proposez sont-elles favorables à la construction européenne, en particulier à la crédibilité de la construction monétaire ?
Troisièmement, enfin, l'inflexion de la politique budgétaire que traduit le collectif que nous examinerons demain est-elle adaptée au contexte macroéconomique actuel ?
Pour répondre à la première question, je rappellerai cette évidence : en France, les mesures d'allégement des prélèvements obligatoires n'ont jamais été durables pour la simple raison qu'elles n'ont jamais été accompagnées des mesures d'allégement des dépenses publiques correspondantes. Ainsi les hausses d'impôts ont-elles succédé aux allégements, au gré de la conjoncture et de l'évolution des rentrées fiscales. Je parlais, au début de mon intervention, de la période 1988-1990 : celle-ci est un exemple criant de ce que je viens de dire. La croissance a certes permis à l'époque d'alléger massivement les impôts - de près de deux points de PIB - mais, faute d'économies sur les dépenses, cela n'a fait que creuser le déficit structurel des finances publiques, le ralentissement puis la récession de 1993 obligeant, par la suite, à instaurer de nouvelles hausses d'impôts pour rétablir les comptes publics.
Pour cette raison, les orientations budgétaires que vous nous proposez apparaissent comme une occasion manquée pour enfin mettre en oeuvre cette politique d'allégement des prélèvements obligatoires à laquelle vous vous déclarez si attaché, monsieur le ministre.
De même, vos orientations budgétaires ne constituent en aucun cas l'ébauche de la réforme fiscale d'ensemble dont notre pays a besoin. En effet, rien n'est proposé pour remédier à ce qu'un rapport du conseil d'analyse économique présenté par M. Bourguignon mettait en évidence, après bien d'autres, à savoir des taux d'imposition marginaux totalement anti-économiques aux deux bouts de l'échelle des revenus : taux marginaux facteurs de non-incitation au travail pour les personnes qui ont les plus bas revenus et de délocalisation pour celles qui ont les plus hauts revenus.
La période de croissance actuelle aurait été favorable à une réforme d'ensemble de la fiscalité, dans la mesure où tous les agents, grâce aux surplus de recettes, auraient pu y être « gagnants ». Avec le saupoudrage de mesures ponctuelles comme celles qui nous sont proposées, on a encore le sentiment qu'une occasion a été gâchée.
J'en viens à ma deuxième question : ce collectif est-il favorable à la construction européenne ? Une chose, tout d'abord, est certaine : les mesures proposées ne sont pas de nature à améliorer la compétitivité fiscale de la France, surtout si on se réfère aux programmes fiscaux arrêtés par nos partenaires, en particulier par l'Allemagne.
La France continue à surtaxer les ressources les plus délocalisables, à savoir les entreprises et l'épargne.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Tout à fait !
M. Joël Bourdin. Ni ces contraintes, ni celle de l'harmonisation des fiscalités au sein de la zone euro ne sont prises en compte dans les mesures d'allégements d'impôts que vous nous proposez.
Surtout, croyez-vous, monsieur le ministre, que la France, dont le Gouvernement souhaite, par ailleurs, renforcer à juste titre le rôle du Conseil de l'euro 11 afin qu'il devienne un partenaire de discussion crédible pour la Banque centrale européenne, s'engage réellement dans cette voie en étant le seul pays à dépenser ainsi les dividendes de la croissance, à ne pas véritablement réduire son déficit structurel ? Seule l'Autriche fait plus mal en la matière, selon l'OCDE. Il s'agit là, à l'évidence, de ce que les économistes qualifient de comportement non coopératif, ou encore de « passager clandestin », alors que chacun sait que c'est le manque de coordination des politiques budgétaires et fiscales qui pénalise actuellement l'euro sur les places financières internationales.
Enfin, ce collectif budgétaire est-il adapté au contexte macroéconomique actuel ?
Les mesures proposées ne concernent que les ménages et sont favorables à la demande. Pourtant, eu égard au dynamisme actuel spontané de la demande et alors que des incertitudes de plus en plus fortes apparaissent quant à la possibilité pour l'économie française d'accroître ses capacités de production et de soutenir une croissance durable sans saturation de l'offre et sans risques inflationnistes, des mesures de soutien de l'offre et de l'investissement auraient sans aucun doute été plus opportunes.
Surtout, l'orientation expansionniste de la politique budgétaire ne se justifie pas dans une période de forte croissance. Je ne suis pas de ceux qui s'inquiètent d'une dégradation passagère des finances publiques en période de récession, mais celle-ci n'est acceptable que si l'on constitue des réserves et si l'on rétablit résolument les comptes publics dans une période favorable comme celle que nous connaissons actuellement. J'ai d'ailleurs cru comprendre que, sur ce point, vous n'étiez pas loin de penser comme nous.
De ce point de vue, les Etats-Unis nous ont offert et nous offrent un exemple remarquable de ce rôle de « stabilisation automatique » par les finances publiques : un de vos prédécesseurs, M. Strauss-Kahn, souhaitait d'ailleurs légitimement que la France s'en inspire. A cet égard, je ne suis pas sûr - il faudrait lui demander son avis - qu'il aurait beaucoup apprécié les orientations actuelles.
Certes, nous savons tous que le budget n'est pas le fruit d'une réflexion globale sur la politique économique ou la fiscalité, mais qu'il est une réponse politique, sous la contrainte de l'urgence, à cette grave erreur de communication qu'aura été ce que les médias ont nommé « l'affaire de la cagnotte ». Comment le Gouvernement a-t-il pu laisser s'installer l'idée qu'un pays dont la dette publique atteint 4 500 milliards de francs et le déficit budgétaire 215 milliards de francs disposerait d'un « trésor » d'une cinquantaine de milliards de francs, qu'il faudrait restituer immédiatement aux contribuables, comme si ce n'étaient pas les mêmes contribuables qui finançaient par leurs impôts la charge de la dette ? J'aimerais être sûr que le Gouvernement en a retiré la conviction qu'en ces matières la transparence et le débat démocratique sont toujours préférables au secret et à l'opacité technocratiques.
Venons-en maintenant au moyen terme et aux orientations proposées par le programme pluriannuel des finances publiques. Je formulerai, sur ce programme, une double appréciation : manque de volontarisme et manque de transparence.
Manque de volontarisme, tout d'abord, en matière d'allégement des prélèvements obligatoires : le Gouvernement propose, en effet, d'alléger le taux des prélèvements obligatoires de 1,35 point en moyenne à l'horizon 2003. Or cette évolution est tout à fait insuffisante car elle ne nous permettrait pas de revenir au niveau de nos principaux partenaires européens, au contraire même si ceux-ci confirment les programmes d'allégements qu'ils ont engagés.
Manque de volontarisme, ensuite, en matière de dépenses : comme je l'ai dit tout à l'heure, il n'y a d'allégement durable des prélèvements obligatoires que s'il s'accompagne d'une réduction des dépenses publiques. Or, à l'horizon 2003, il nous est proposé une augmentation des dépenses publiques de 1,3 % par an, en francs constants.
Manque de volontarisme, enfin, en matière de déficit et de redressement des finances publiques : l'objectif affiché à l'horizon 2003 est un déficit public équivalent à 0,4 % du PIB. Ainsi, si on retient vos hypothèses de croissance, après six années de croissance soutenue, c'est-à-dire entre 1998 et 2003, les finances publiques ne seront pas revenues à l'équilibre : cet objectif n'est ni suffisant ni raisonnable.
M. le président de la commission des finances et M. le rapporteur général ont longuement expliqué comment la France pouvait s'engager dans un programme beaucoup plus ambitieux de réduction concomitante des prélèvements obligatoires, des dépenses publiques et des déficits, sans pénaliser la croissance économique à moyen terme. Je reprendrai plus particulièrement, en insistant sur ce point, la proposition d'allégement des cotisations sociales employeurs, l'expérience montrant, depuis 1993, qu'elle est extrêmement favorable à la création d'emplois. Dans la période qui s'annonce, de tension sur l'offre productive, c'est le moyen le plus approprié pour alléger le coût du travail et abaisser le niveau du chômage structurel dans notre pays, afin d'augmenter ainsi la croissance potentielle.
Si le Gouvernement souhaite engager une réforme utile et efficace des prélèvements obligatoires, je lui suggère - comme la majorité de la commission des finances - modestement de réfléchir à une baisse conjointe des cotisations à la charge des employeurs et de celles qui sont payées par les salariés. Je crois que cette double baisse serait socialement bien acceptée et permettrait de soutenir à la fois l'offre productive et la demande des ménages, tout en réduisant les risques inflationnistes.
Il me semble même qu'une initiative française à l'échelon européen dans ce domaine serait tout à fait opportune, tant la pénalisation fiscale excessive du travail semble un facteur commun à l'ensemble de la zone euro.
Je conclurai sur le manque de transparence des engagements à moyen terme du Gouvernement en matière de finances publiques. Annoncer des orientations générales en matière de finances publiques pour les trois prochaines années est, certes, un progrès, que l'on doit - faut-il le souligner ? - au traité de Maastricht.
Mais décrire par le détail la manière dont les engagements pourraient être obtenus les rendrait nettement plus crédibles. Quel crédit accorder, en effet, à une programmation triennale qui ne dit rien de l'évolution des effectifs publics, des conséquences des 35 heures dans la fonction publique sur les effectifs et les rémunérations, ou encore de l'effet, sur les finances publiques, des 35 heures dans le secteur privé ?
Nous ne doutons pas, monsieur le ministre, que vous disposiez de simulations à moyen terme décrivant l'évolution détaillée des dépenses publiques compatible avec les objectifs globaux que vous affichez. La communication de ces travaux serait tout à fait utile à l'information du Parlement ; il est d'ailleurs une époque lointaine où la direction de la prévision les communiquait au Sénat. Après ce que j'ai entendu cet après-midi, je ne doute pas que vos prises de position en matière de transparence des finances publiques vous conduiront à donner, dans quelque temps, une suite favorable à cette requête.
Entre des orientations budgétaires que nous jugeons inadaptées au contexte économique actuel, qui ne constituent, en outre, qu'une réponse politique de circonstance à une mauvaise communication, et des orientations à moyen terme peu crédibles et manquant d'ambition, vous comprendrez, monsieur le ministre, que, comme l'a dit avant moi M. Roland du Luart, le groupe des Républicains et Indépendants émette des réserves sur vos orientations budgétaires. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste. - M. Paul Girod applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Descours.
M. Charles Descours. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, étant rapporteur de la loi de financement de la sécurité sociale, je parlerai, bien évidemment, des problèmes liés aux finances sociales. C'est d'ailleurs un exercice un peu curieux que d'évoquer ces problèmes alors que le ministre en charge de ce secteur n'est pas devant nous ! Mais nous n'avons pas d'autre possibilité pour parler des lois de financement de la sécurité sociale en cours d'année que d'intervenir lors du débat d'orientation budgétaire. On voit bien que, sur ce point, nous en sommes encore aux balbutiements de l'ère de la démocratie sociale, qui ne progresse pas vite !
Je souscris bien évidemment aux propos tenus tout à l'heure par M. Delaneau, président de la commission des affaires sociales : nous devons effectivement tirer les conséquences du changement de nature de ce débat.
Je formulerai trois remarques relatives aux finances sociales.
Tout d'abord, s'agissant des comptes sociaux et des dépenses d'assurance maladie, dont notre excellent rapporteur général a parlé dans son intervention, il est banal de dire que l'équilibre atteint en 1999 et en 2000 est obtenu grâce à la croissance et aux mesures de redressement prises par les lois de financement de 1997 et 1998, dont l'effet en année pleine se fait sentir. Ces « mesures de redressement » ont consisté à accroître les prélèvements sociaux, en particulier sur l'épargne, avec le basculement CSG/cotisations d'assurance maladie. Cette pression supplémentaire avait sa contrepartie : la conduite d'une politique de maîtrise des dépenses d'assurance maladie. C'était le sens du plan Juppé. En 1997, malgré un ONDAM rigoureux - il progressait de 1,6 % - cette maîtrise était assurée.
Acutellement, il est banal de dire que les dépenses d'assurance maladie continuent à déraper. L'inquiétant, comme vous l'avez dit vous-même, monsieur le ministre, est de savoir ce qui se passerait en cas de retournement de la conjoncture.
Actuellement, nous le savons, l'assurance maladie est déficitaire de 9 milliards de francs, même si Mme Aubry, par une petite astuce banale et bien compréhensible - elle a additionné les choux et les navets ! - a trouvé 250 millions de francs d'exédents. C'est oublier que, depuis la loi de 1994, on n'a plus le droit d'additionner les résultats de l'assurance maladie, de la vieillesse et de la famille !
Nous avons assisté au dérapage de l'ONDAM 1998 et de l'ONDAM 1999, et nous sommes en train d'assister au dérapage de l'ONDAM 2000. Un débat me semble donc nécessaire. Mme Aubry, en septembre 1999, avait proposé, devant la commission des comptes de la sécurité sociale, un débat sur la santé publique - je l'avais même approuvée - en déclarant qu'un tel débat aurait lieu au printemps 2000. J'espère que la démocratie sanitaire aura plus de réalité que ce débat que, hélas ! nous n'avons pas eu ! Nous avons simplement constaté que le Gouvernement a dénoncé des accords signés entre les caisses et les médecins.
Or on voit bien que l'on ne peut pas, aujourd'hui, maîtriser les dépenses d'assurance maladie sans les partenaires sociaux qui sont les gestionnaires des caisses et sans les professionnels de santé.
Le Gouvernement s'est attaqué au paritarisme, en voulant mettre les branches de la sécurité sociale à contribution pour financer les 35 heures. Au même moment, la Caisse nationale d'assurance maladie proposait un « plan stratégique » que le Gouvernement n'a voulu ni étudier ni même soumettre à débat. Il faut d'ailleurs dénoncer le climat actuel régnant entre la CNAMTS et le ministre de tutelle, climat qui a été illustré jusqu'à la caricature lors du dernier conseil de la commission des comptes de la sécurité sociale, le 22 mai dernier.
Je le rappelle, le Gouvernement a cantonné la CNAMTS au pilotage de la seule enveloppe des « soins de ville ». Pourtant, cette séparation entre les quatre grandes enveloppes de l'ONDAM est de plus en plus artificielle. Chacun sait que, pour éviter l'affrontement permanent entre les dépenses de soins dans les hôpitaux publics et dans les hôpitaux privés, il faudra « fongibiliser » les dépenses de santé et transformer les agences régionales d'hospitalisation en agences régionales de santé.
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. Très bien !
M. Charles Descours. Il s'agit d'une tendance lourde à laquelle nous serons contraints, et ce quel que soit le Gouvernement. Mme Aubry s'est accaparé les hôpitaux - mais c'était déjà le cas avant elle -, les cliniques privées et, maintenant, le médicament, ne laissant à la CNAMTS que la médecine ambulatoire. Ce « saucissonnement » est peut-être une stratégie des Horaces ou des Curiaces ; en tout cas, en termes de politique sanitaire, c'est catastrophique. Nous ne pouvons pas, me semble-t-il, compte tenu de notre histoire, faire l'impasse sur les partenaires sociaux dans notre système de protection sociale. Sommes-nous bismarckiens, beveridgiens ? Depuis 1945, en tout cas, les partenaires sociaux sont des acteurs incontournables de la protection sociale, et il faut que le climat qui règne entre eux, notamment la CNAMTS, et le ministre de tutelle change, car la situation actuelle n'est pas bonne pour notre système d'assurance maladie.
Je voudrais également souligner que, dans ce domaine, l'Etat a des obligations, même s'il laisse les partenaires sociaux travailler dans des conditions convenables. En effet, il a la responsabilité essentielle de définir des priorités de santé publique - et là aussi nous attendons des textes qui nous avaient été annoncés pour le printemps mais qui seront, paraît-il, présentés à l'automne, saison qui devrait être bien chargée ! - ainsi qu'un « panier de soins » remboursable. En définissant ce « panier de soins », je crois qu'il faut affecter des moyens en fonction d'objectifs clairs qui soient discutés par le Parlement et sortir de la logique comptable qui est aujourd'hui celle de l'ONDAM.
Je dois dire objectivement que je comprends les professionnels de santé - j'en suis un - et que j'ai défendu les ordonnances « Juppé », estimant qu'elles ne relevaient pas d'une simple logique comptable. Cela étant, le dispositif reste très largement comptable, et il est évident que, si l'on veut solliciter les professionnels de santé, il faudra changer de logique. Je pense qu'il n'y a pas de fatalité à l'accroissement des dépenses de santé, même si le vieillissement de la population représente un enjeu considérable.
Ma deuxième observation concerne le financement du passage aux 35 heures. Il s'agit là d'un feuilleton à rebondissements, dont le déroulement risque de peser lourd, à l'avenir, sur les finances publiques. Je rappelle que le FOREC, le fonds de financement des 35 heures, est une machine extrêmement lourde et complexe, et je voudrais vous dire, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, qu'il semble que vous-mêmes et vos services vous trompiez quelque peu puisque, à la page 32 du rapport déposé par le Gouvernement pour le débat d'orientation budgétaire, vous affectez au FOREC une partie des prélèvements sociaux sur le capital, alors qu'il s'agit d'une partie des droits de consommation sur les alcools...
Bref, dire que le FOREC n'est pas une usine à gaz serait une contrevérité !
Et puisque vous parliez tout à l'heure de démocratie et de transparence, monsieur le ministre, laissez-moi vous dire que la création d'une institution comme le FOREC est complètement contraire à la transparence financière ! Je suis d'ailleurs sûr que même les membres de votre cabinet ne sont pas tous susceptibles de nous dire comment est financé ce fameux FOREC ! Alors, comment voulez-vous que les parlementaires et, au-delà, l'opinion publique y comprennent quelque chose ? Et pourtant, c'est pour les 35 heures !
Je rappelle que le Gouvernement avait initialement prévu que devaient contribuer au financement de la réduction du temps de travail l'UNEDIC - j'étais un peu inquiet, tout à l'heure, quand on a parlé du rôle de l'UNEDIC et de ses excédents -, les régimes sociaux et l'Etat, sous le fameux prétexte qu'il y aurait un « retour pour les finances publiques ». Seulement, la théorie du « retour pour les finances publiques » n'a pas convaincu les partenaires sociaux. La contribution demandée à l'UNEDIC - 7 milliards de francs - a donc été retirée du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000. Puis, la contribution demandée aux régimes sociaux a également été supprimée, moyennant un prélèvement sur leurs recettes. Enfin - cerise sur le gâteau - le Conseil constitutionnel est passé par là et a supprimé la taxe sur les heures supplémentaires de 7 milliards de francs censée pallier la défaillance de l'UNEDIC. Si bien que, aujourd'hui, je cherche toujours à savoir comment est financé ce fonds sur les 35 heures.
J'ai étudié de près, à l'occasion d'une mission de contrôle, au nom de la commission des affaires sociales, le nouveau mécanisme d'allégement de charges. Tous les responsables d'URSSAF que nous avons rencontrés nous ont dit que le nombre d'emplois créés par les 35 heures ne sera jamais précisément connu, parce qu'il ne peut pas être connu ! Seuls peuvent être additionnés les engagements de création d'emplois des entreprises lors de la signature de l'accord sur les 35 heures. Les entreprises les plus malignes, c'est-à-dire les plus grosses, ont bien compris le système, et elles se sont engagées dans cette affaire ; mais on ne sait absolument pas si les emplois créés l'ont bien été au titre des 35 heures ou s'il ne s'agit pas d'emplois qui auraient été créés de toute façon du fait de la croissance économique. Bref, je crains que nous ne soyions déçus lorsque nous ferons un bilan à froid.
Monsieur le ministre, si j'ai bien compris, la « participation de l'Etat » de 4,3 milliards de francs n'était pas une subvention d'équilibre. Toutefois, le fonds doit quand même être équilibré « dans les conditions prévues par la loi de financement », aux termes de l'article 5 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000. A défaut d'un projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificatif - Mme Aubry m'a expliqué qu'on ne faisait pas un projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificatif chaque fois qu'il y avait une grippe, et j'ai cru comprendre que les décisions du Gouvernement et du Conseil constitutionnel étaient au-dessus des grippes - quelles sont les pistes envisagées par le Gouvernement ? Faut-il augmenter la fiscalité affectée au FOREC ? Dans l'affirmative, laquelle ? La taxe générale sur les activités polluantes ? La contribution sociale sur les bénéfices ? Les droits sur les alcools ? Les droits sur le tabac ? En tout état de cause, je rappelle que la loi prévoit que le FOREC doit être équilibré.
Pour 2000, je ne me fais pas trop de souci pour le financement des 35 heures. Certes, les recettes manquent, mais les dépenses ne sont pas non plus au rendez-vous. Les entreprises ont prudemment attendu avant de se lancer dans l'aventure du nouveau mécanisme d'allégement de charges. Apparemment, il n'y a que 57 milliards de francs de recettes « sûres », alors qu'on en avait prévu 105 milliards de francs. Même si les recettes du FOREC progressent de façon très dynamique, il manquerait malgré tout entre 40 milliards de francs et 50 milliards de francs, d'après ce que nous ont dit ceux qui suivent ce financement.
Ma dernière observation portera sur le financement des retraites. C'est bien évidemment la question majeure à long terme. Mais c'est un long terme qui ne cesse de se rapprocher : la branche vieillesse du régime général serait en déficit à partir de 2007-2008. Que peut-on retenir des dispositions gouvernementales sur les retraites ? Contrairement à ce qui est dit ici ou là, la commission des affaires sociales et le Sénat avaient voté pour la création du fonds de réserve sur les retraites. Vous venez de nous redire, monsieur le ministre, que vous souhaitiez l'augmenter d'une façon plus substantielle - pour le moment, il y a 2 milliards de francs, et il y aura probablement 20 milliards de francs d'ici à la fin de l'année avec l'apport des fonds des caisses d'épargne - par l'affectation du produit de la mise aux enchères des licences téléphoniques de troisième génération.
Je voudrais simplement rappeler que M. le Premier ministre a évoqué un chiffre magique de 1 000 milliards de francs en 2020. Mais il ne faut pas oublier que, pour la seule année 2020, le besoin de financement des régimes de retraite atteindrait 400 milliards de francs. Dans ces conditions, que peut signifier le fait de disposer de 1 000 milliards de francs en 2020 quand le déficit cumulé des régimes de retraite sur les années 2010 à 2020 serait de 1 500 milliards de francs ? Là-dessus, je crois que nous sommes à peu près tous d'accord. Je comprends très bien qu'avant les élections législatives et l'élection présidentielle, il vous sera très difficile de mettre en oeuvre des réformes, puisqu'il faudra de toute façon commencer par s'occuper des retraites de la fonction publique et qu'une telle démarche est évidemment, pour vous, suicidaire. Mais plus on tarde, plus on sera à la traîne des autres pays. Même l'Italie, pays qui, pourtant, en termes de réforme n'a pas pour habitude d'être à la pointe, a pris des mesures sur cette réforme des retraites.
Je voudrais rappeler que la seule décision, à part le fonds de réserve, est la création d'un « conseil d'orientation des retraites » ; le Gouvernement a placé un haut fonctionnaire à la tête de ce conseil, ce qui laisse augurer de son indépendance et de sa volonté de proposer des décisions désagréables. (Sourires.) Ce haut fonctionnaire placé à la présidence a d'ailleurs tout de suite déclaré que le conseil d'orientation des retraites ne serait « ni un lieu de décision ni un lieu de négociation mais un lieu de mûrissement du débat ». Vraiment, si avec cela on se sort de la réforme des retraites... Je crois en réalité que la réforme et la sauvegarde des régimes de retraite par répartition méritent mieux que cela. La politique du Gouvernement dans le domaine des retraites tient à deux mesures symboliques.
La première est l'abrogation de la loi Thomas, prévue par le projet de loi de modernisation sociale. Une proposition de loi sur l'épargne retraite a été adoptée par le Sénat, sur l'initiative de M. Arthuis et de moi-même, en présence de M. Strauss-Kahn, alors ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Ce dernier nous avait alors expliqué que le Gouvernement entendait prochainement déposer un projet de loi qui n'aurait pas été très éloigné du texte adopté par le Sénat. Cependant, une partie de votre majorité est très hostile à la sortie en rente. Vous nous avez proposé voilà quelques semaines, d'instituer une nouvelle forme d'épargne salariale, sorte d' ersatz des fonds de pension, mais qui n'est pas de nature à régler toutes les questions.
La seconde mesure est la création d'un comité consultatif.
Ces deux mesures représentent peu de chose pour un enjeu aussi considérable.
Vous avez dit, monsieur le ministre, que la méthode du Gouvernement se résumait au triptyque « diagnostic, dialogue, décision ». Les diagnostics se répètent. Les dialogues s'apparentent à une forme de bégaiement. Je souhaiterais, avec l'ensemble de la majorité sénatoriale, que l'on en vienne aux décisions sans attendre les échéances législatives. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, après l'Assemblée nationale, nous voici donc penchés sur les orientations que le Gouvernement a prévues pour l'année 2001.
C'est un débat intéressant, qui doit être évalué à sa juste mesure, et permettez-moi, monsieur le ministre, de saluer la volonté du Gouvernement de poursuivre dans une voie qui n'est pas si récente que cela puisque, même si l'on nous dit qu'il y a cinq ans que l'on pratique ainsi, en réalité, le premier exercice remonte à 1990, si mes souvenirs sont exacts.
Je crois que c'est un exercice louable à tous points de vue, parce qu'il faut effectivement éclairer l'opinion et les parlementaires sur ce que sont les prévisions du Gouvernement en matière de finances publiques pour l'année suivante. N'a-t-on pas fait la Révolution pour que les représentants du peuple consentent à la dépense et aux recettes ?
Bien entendu, ce débat ne vient pas tout à fait à son heure, parce que nous savons bien, monsieur le ministre, que les arbitrages budgétaires sont quand même déjà très engagés. Personne ne saurait cependant vous le reprocher : vous êtes à ce poste depuis un temps relativement limité et, par conséquent, c'est une preuve de courtoisie de votre part - et nous vous en sommes reconnaissants - de venir aujourd'hui devant le Sénat. Mais nous pouvons peut-être espérer que, l'année prochaine, si la situation est toujours celle que nous connaissons, nous pourrons en délibérer un peu plus tôt.
Mes chers collèges, je voudrais attirer l'attention du Sénat et celle du Gouvernement sur trois points : d'abord, le contenu des informations qui nous sont transmises à l'occasion de ce débat ; ensuite, le bilan de la politique économique, financière et budgétaire du Gouvernement et ses perspectives ; enfin - personne ne s'en étonnera - la situation des collectivités locales en la matière : j'avais eu l'occasion d'appeler l'attention de M. le Premier ministre, il n'y a pas très longtemps, sur le sujet, en lui faisant remarquer la contradiction qu'il y a à pousser l'idée de la décentralisation d'un côté et à mettre en pratique une politique de restriction des capacités et des libertés financières des collectivités locales de l'autre - mais j'y reviendrai dans quelques instants.
En ce qui concerne les informations qui nous sont transmises, monsieur le ministre, je prends acte de vos engagements devant l'Assemblée nationale, que vous avez réitérés tout à l'heure devant notre assemblée. Je me permets d'ailleurs de constater - avec une certaine joie, d'ailleurs - que les remarques formulées lors du débat d'orientation budgétaire de 1997 par notre collègue M. Lambert ont porté leurs fruits. Ainsi, à titre d'exemple, avez-vous, semble-t-il, décidé avec sagesse de communiquer à la commission des finances du Sénat, et ce dès le débat sur le projet de loi de finances pour 2001, les lettres de cadrage du Premier ministre. Il est en effet extrêmement important que nous ayons en main ce document, car c'est, en définitive, celui qui va orienter réellement les dépenses, sous réserve que les lettres de cadrage telles qu'elles sont formulées à cette époque soient effectivement mises en oeuvre - mais, de ce côté-là, nous n'avons pas d'inquiétude - et qu'une fois le vote du Parlement acquis, il n'y ait pas de bouleversement subreptice du budget.
Quoi qu'il en soit, c'est un élément intéressant de réflexion, encore que nous soyons un peu inquiets sur le fameux problème du périmètre : chaque fois qu'on parle de périmètre, on parle de frontière et, quand on parle de frontière, on parle vite de conflit.
De la même manière, vous vous êtes engagé, afin de mieux garantir la sincérité des prévisions de recettes, à saisir la commission des comptes économiques de la nation avant même la commission des finances de l'assemblée concernée. Tout cela fait partie d'innovations qui répondent aux voeux formulés par nos collègues.
Permettez-moi tout de même deux interrogations, monsieur le ministre.
Comptez-vous renforcer également l'information des parlementaires en communiquant, par exemple, aux assemblées les éléments transmis habituellement à la fin du mois de mars par le Gouvernement à la commission des comptes de la nation, avant l'examen du projet de loi de finances ? En second lieu, ne considérez-vous pas que ces nombreuses promesses de réformes traduisent cruellement, et par contraste, une transparence aujourd'hui peu satisfaisante ? J'y reviendrai dans quelques instants au sujet des collectivités territoriales.
Sur le bilan de la politique économique, budgétaire et financière du Gouvernement, je n'aurai pas, monsieur le ministre, l'indélicatesse à la fois naïve et partisane de dénier au gouvernement auquel vous appartenez quelque mérite quant aux résultats économiques obtenus par notre pays, même si nous ne sommes pas les seuls à les obtenir et si les comparaisons de l'évolution des uns et des autres en pourcentage et en efficacité ne manqueraient pas d'intérêt.
Je ne tomberai pas non plus dans une sorte d'angélisme, dont vous savez la crainte toute philosophique qu'elle inspirait à Pascal. Vous êtes trop fin économiste, monsieur le ministre, pour ignorer que les marges de manoeuvre des exécutifs des pays de l'OCDE ont beaucoup diminué et que la politique budgétaire, si elle apparaît moins contrainte, demeure toutefois largement déterminée par des données monétaires et par la croissance, la policy mix , ainsi que disent les économistes, demeurant, en l'absence de modèle économique définitif, un outil plus qu'une solution.
Les théories keynésiennes de relance temporaire en cas de dépression ponctuelle ont fait leur temps. Nous ne sommes plus en dépression ponctuelle, nous sommes en reprise générale, dont la sûreté n'est d'ailleurs peut-être pas aussi assurée qu'on le dit dans la mesure où elle est fortement tirée par une croissance américaine reposant elle-même sur la psychologie des Américains, elle-même influencée par un certain nombre de phénomènes boursiers dans lesquels la part d'illusion n'est peut-être pas complètement purgée.
D'ajustement en ajustement, peut-être y parviendrons-nous, mais ce n'est pas encore tout à fait réalisé et l'accroissement des rentrées fiscales, dans ces conditions, nous semble, par mesure de précaution, devoir être d'abord affecté à la réduction du déficit et à la diminution de la charge de la dette, quelle que soit la conjoncture de l'instant. C'est de règle normale d'administration d'un ménage ; est-ce vraiment de règle d'administration de l'Etat dans les conditions actuelles ? Peut-être pourrions-nous nous interroger un peu sur le sujet.
Vous nous annoncez, il est vrai, une réduction des déficits et une baisse des impôts, mais permettez-moi de formuler quelques remarques. Sur la baisse des déficits et la maîtrise des dépenses publiques, la baisse des taux d'intérêt vous a beaucoup aidé, mais elle est probablement derrière nous. Quant à la baisse des intérêts de la dette, elle permet d'assouplir les choses et c'est effectivement un élément de cet équilibre primaire. Toutefois, dans le collectif, monsieur le ministre, nous sommes toujours à 215 milliards de francs de déficit, soit 10 milliards de francs de plus qu'à la fin de 1999 et, sur ces 215 milliards de francs, 145 milliards de francs sont consacrés à des dépenses autres que des dépenses civiles d'investissement, si je sais bien compter. Or seules ces dernières sont admissibles pour les générations futures.
Et, si le déficit prévu pour 2001, soit 195 milliards de francs, paraît tolérable - par comparaison, bien entendu - c'est pourtant sans compter sur une évaluation des dépenses dont on peut craindre légitimement, à l'aune des prévisions antérieures, qu'elle ne soit sous-évaluée. C'est là où, me semble-t-il, naît un problème sur lequel il faudrait peut-être que nous nous expliquions les uns et les autres.
Si M. le Premier ministre a pris en compte, dans ses lettres de cadrage, les sources de dépenses que constituent les mesures de lutte contre les précarités, une partie - cela reste à déterminer, et M. Descours vient d'en parler à l'instant - est liée aux 35 heures et aux départs à la retraite. Aussi est-il quand même difficile d'accorder crédit à une prévision d'augmentation des dépenses de 0,3 % en volume. Vraiment, 0,3 %, c'est sympathique à l'annonce, mais cela ne satisfait pas certains de nos collègues, si je les ai bien entendus tout à l'heure.
Cela étant, certaines augmentations structurelles vont intervenir, et nous pourrions faire la même remarque en ce qui concerne la sécurité sociale.
Monsieur le ministre, j'ai repris ce que j'avais eu l'occasion de dire à votre prédécesseur le 25 novembre dernier, à savoir que le déficit annoncé de 115 milliards de francs était à rapprocher de la réalité financière de l'époque et qu'on aurait pu, compte tenu de ce qu'on connaissait - je veux parler de la « cagnotte » des plus-values fiscales - espérer un peu mieux. C'est pourquoi je l'accusais - gentiment ! - de prendre tant de précautions qu'en réalité il était en train de peindre en noir ce que chacun savait être un peu rose, à savoir le redressement des recettes.
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'était même d'un rose soutenu !
M. Paul Girod. Mais, quand on lit d'un peu plus près vos prévisions pour 2001, on commence à se demander si, cette fois-ci, vous ne peignez pas en rose ce que nous sommes bien obligés de voir au moins en gris s'agissant de ces augmentations de dépenses, d'autant plus que l'évolution des recettes fiscales pose aussi des problèmes : l'affectation un peu prématurée et un peu opaque des surplus de recettes fiscales - on a dit la « cagnotte », ce qui n'est probablement pas une bonne formule - interdit en définitive toute réforme fiscale d'ampleur, cette réforme, que, me semble-t-il, vous appeliez de vos voeux il n'y a pas si longtemps. Je pense, bien entendu, à une baisse des impôts directs, alors même que l'impôt sur le revenu vient d'augmenter de 35 milliards de francs.
Il y a dans tout cela un certain nombre de contradictions sur lesquelles nous aimerions avoir quelques éclaircissements.
Je ne parle même pas de l'investissement public, qui paraît insuffisant, ni de l'harmonisation des politiques fiscales européennes : vous venez de sortir d'une réunion où, me semble-t-il, vous n'avez pas été totalement satisfait, pas plus que vos collègues, d'ailleurs. (M. le ministre sourit.) Il semble ainsi qu'il y ait eu insatifaction croisée sur le sujet et que la question des fameuses « trappes à inactivité », qui nécessitent tout de même un arbitrage fin entre les revenus du travail et les revenus de solidarité, n'ait pas même été abordée.
Or vous venez d'adresser, si j'ai bien lu la presse, une lettre aux partenaires sociaux qui, lue entre les lignes et avec malveillance - ce qui n'est pas mon cas -, donne le sentiment que la volonté du Gouvernement de poursuivre les « trappes à inactivité » n'est pas aussi affirmée que celle de certains des partenaires sociaux de notre pays. Je terminerai en évoquant les collectivités locales.
Monsieur le ministre, si nous sommes entrés dans l'euro, c'est en grande partie grâce à la qualité de la gestion des collectivités territoriales avant 1997, et sans doute depuis. Sinon, nous serions, je le crains, confrontés à quelques difficultés bruxelloises... Donc, tant que les collectivités territoriales garderont leur capacité d'autofinancement, cela ira à peu près, mais on ne peut pas à la fois tenir le discours décentralisateur qui est celui du Gouvernement - discours relayé avec bonheur et ampleur par la commission que préside votre ancien prédécesseur à Matignon, notre collègue Pierre Mauroy, et qui pousse à davantage de décentralisation - et, dans le même temps, ne faire porter les réformes d'impôts que sur les impôts locaux, l'Etat ne compensant, par ses dotations, ces réductions d'impôts locaux dans leur impact sur la population qu'avec - pour reprendre une expression populaire - « un élastique ». On ne peut à la fois réduire la capacité d'adaptation des collectivités territoriales et leur demander toujours davantage d'interventions !
Aujourd'hui encore, j'ai entendu, dans cet hémicycle, certains de nos collègues convenir que, sur tel ou tel grand service public, l'intervention des collectivités était nécessaire. Mais cela demande de la souplesse ! Or comment peut-on trouver de la souplesse dans une dotation d'Etat figée ? Il y a là une vraie question qui s'imposera à nous tous.
Les orientations budgétaires du Gouvernement perpétuent un certain nombre de mesures, telles que la réduction de la taxe professionnelle, sur laquelle tout le monde est d'accord sur le papier ; telles que l'indexation de la compensation, sur laquelle on est déjà moins d'accord ; telles que le gel de cette compensation, sur lequel personne n'est d'accord. Si l'on ajoute à cela que cette compensation ne prend aucunement en compte les implantations futures pour lesquelles la part « salaires » de la taxe professionnelle aura été supprimée, tout cela ne peut que plonger les collectivités territoriales dans une certaine perplexité.
C'est dans cette ambiance que nous débattons aujourd'hui des orientations budgétaires du Gouvernement. Certes, nous éprouvons une certaine satisfaction à voir que la croissance retrouvée, par vous et par nous, vous aide - un peu,... beaucoup - mais nous sommes perplexes - un peu,... beaucoup - sur la manière dont vous l'utilisez et sur la manière dont vous permettrez aux collectivités territoriales d'accompagner un effort d'investissement qui reste nécessaire plus que jamais, avec une souplesse qui leur est nécessaire plus que jamais. Et les méthodes « recentralisatrices » du ministère des finances, alors que les discours sont décentralisateurs, ne font que renforcer cette perplexité.
Alors, monsieur le ministre, nous vous savons gré de tout ce que vous avez dit sur les finances publiques. Nous vous attendons cependant aux actes sur les mêmes thèmes ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Sergent.
M. Michel Sergent. Vous poursuivez, monsieur le ministre, une tradition maintenant bien établie en organisant un débat d'orientation budgétaire. Je m'en réjouis.
Ce rendez-vous nous permet de présenter nos suggestions au moment même où commence la préparation du budget pour l'année 2001.
Cette occasion nous permet également de dresser un bilan rapide et de rappeler le chemin parcouru depuis 1997 - on se souvient dans quel état étaient les finances publiques cette année-là...
M. Philippe Marini, rapporteur général. Depuis, la lumière a éclairé notre pays !
M. Michel Sergent. Oh, la situation est plus brillante qu'en 1997, monsieur le rapporteur général !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Bien sûr...
M. Michel Sergent. Nous constatons, en effet, pour peu que nous fassions preuve d'un minimum d'objectivité, combien la politique menée a fort bien réussi.
Pour la troisième année consécutive, nous allons connaître un taux de croissance élevé, bien supérieur à la moyenne européenne. Que vous le vouliez ou non, mes chers collègues, elle a en effet dépassé de quatre points en quatre ans celle de nos voisins.
C'est ce taux de croissance, qui a été supérieur aussi aux prévisions de l'automne, qui vous permet, monsieur le ministre, de présenter un collectif de plus de 50 milliards de francs, dont 40 milliards de francs de réductions d'impôts qui s'ajoutent aux 40 milliards de francs de baisses d'impôts déjà intégrés dans la loi de finances de 2000, soit une baisse totale de 80 milliards de francs pour l'année en cours.
Il faut noter aussi dans le collectif que vous allez nous soumettre demain 10 milliards de francs pour le financement de dépenses exceptionnelles de solidarité. Et qui pourrait critiquer l'affectation de ces 10 milliards de francs, qui bénéficieront essentiellement à nos concitoyens touchés au cours des derniers mois de l'année 1999 par des tempêtes et des cataclysmes ?
Ce qui était l'objectif principal du Gouvernement, et qui le reste, c'est évidemment la baisse du chômage et, là aussi, c'est une indéniable réussite : nous sommes parvenus à ce fameux taux à un chiffre que l'on n'avait pas connu depuis dix ans.
Aujourd'hui, le taux de chômage est passé sous la barre des 10 % de la population active. Ainsi, 1 million d'emplois auront été créés à la fin de cette année.
Certes, la croissance et la conjoncture internationale ont permis cette amélioration. Mais les mesures prises depuis 1997 - les emplois-jeunes, les 35 heures... - la confiance retrouvée de nos citoyens et la reprise des investissements des entreprises ont été tout aussi déterminantes.
J'entends bien nos collègues de la majorité sénatoriale affirmer que le Gouvernement n'est pour rien dans cette embellie de l'économie nationale...
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je n'ai pas dit ça !
M. Michel Sergent. ... mais que n'aurait-on entendu si les résultats n'avaient pas été au rendez-vous ?
Au-delà des orientations générales pour le budget 2001, largement développées par mon ami Bernard Angels, je veux évoquer très rapidement les mesures concernant les collectivités territoriales et les services publics.
S'agissant des collectivités territoriales, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, la loi sur le renforcement de l'intercommunalité du 12 juillet 1999 a connu un incontestable succès. Mais la mise en place de communautés d'agglomération s'est faite au détriment financier des communautés de communes, qui ont connu, notamment en milieu rural, une baisse sensible de leur dotation globale de fonctionnement.
Il me paraîtrait donc souhaitable que des moyens supplémentaires soient affectés l'an prochain à l'intercommunalité.
Dans le même ordre d'idée, la mise en place des services départementaux d'incendie et de secours, issue de cette mauvaise loi, reconnaissons-le, du 3 mai 1996, crée partout des difficultés. En effet, les dépenses augmentent considérablement, tant en fonctionnement qu'en investissement, et les collectivités sont confrontées à des hausses de leurs participations, qui sont pourtant déjà très élevées, trop élevées.
Il serait donc souhaitable que l'Etat intervienne financièrement pour ce qui relève en fait, à mon sens, de l'accompagnement de ses missions régaliennes, je veux parler de la sécurité des biens et des personnes.
En ce qui concerne la réduction de la taxe d'habitation, surtout pour les plus bas revenus, nous ne pouvons qu'y souscrire, même s'il nous faut préserver l'autonomie des collectivités locales, qui restent, ne l'oublions jamais, le principal investisseur public.
Rappelons néanmoins, là aussi, que nos collectivités ont été bien mieux traitées depuis 1997 que sous le gouvernement précédent, auteur d'un pacte de stabilité de triste mémoire, qui n'avait de pacte que le nom puisque, en fait, personne n'avait voulu le signer.
J'ajouterai encore quelques mots à propos des collectivités locales.
Ne pourrait-on supprimer ce que l'on peut appeler les « taxes sur les taxes » qui touchent les Français dans leur vie quotidienne ? Je veux parler bien sûr des taxes sur l'eau ou sur les redevances pour l'enlèvement des ordures ménagères. Ne pourrait-on en outre étudier les moyens d'abaisser les frais de recouvrement des impôts ?
Par ailleurs, s'agissant du manque à gagner dû à la réforme de la taxe professionnelle de 1987 - car s'il y a eu perte d'autonomie des collectivités locales, c'est bien à partir de 1987 que cela a commencé, avec les « 16 % » ! mon collègue Jacques Mahéas m'indiquait tout à l'heure que le manque à gagner cumulé, pour une ville comme Neuilly-sur-Marne, s'élève à 20 millions de francs ; pourtant, le potentiel fiscal de cette ville est très en dessous de la moyenne. Cela montre la nécessité de remettre en oeuvre une indispensable péréquation de la taxe professionnelle.
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Michel Sergent. Un mot encore, monsieur le ministre - mais cela a déjà été évoqué - pour souhaiter que soit réglé le problème de l'exonération de la TVA sur les cantines scolaires.
Il est un autre sujet dont je veux traiter : France Télécom, devenue une entreprise « ordinaire », ne pourrait-elle aujourd'hui s'acquitter de la taxe professionnelle ? Les collectivités locales n'y trouveraient certainement rien à redire !
M. Gérard Delfau. Très bonne idée !
M. Michel Sergent. Par ailleurs, il ne nous semble pas souhaitable d'aller au-delà de la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation.
Le dernier point que je souhaite évoquer concerne les services publics. Il a déjà été longuement traité tout à l'heure par mon collègue et ami Bernard Angels, mais j'y reviens d'un mot.
Nous avons souscrit au programme pluriannuel de maîtrise des dépenses publiques et les objectifs sont atteints. Pourtant, la réduction des dépenses ne peut pénaliser nos services publics.
Il ne s'agit pas de s'opposer à une gestion plus rigoureuse, à une meilleure utilisation des personnels et à une amélioration des services. Mais nous devons veiller à la qualité de ces services publics indispensables à l'éducation nationale, à la santé, à la sécurité, à la justice età l'emploi.
C'est grâce à la qualité des services publics et de leurs agents que nous pouvons assurer la solidarité entre nos concitoyens.
Je ne peux pas m'empêcher de revenir sur les propos tenus tout à l'heure par M. Jean François-Poncet nous faisant part d'une migration économique vers la Grande-Bretagne.
Mes chers collègues, je suis un élu du Pas-de-Calais, plus voisin que jamais de l'Angleterre depuis l'ouverture du tunnel sous la Manche, et je peux vous assurer, d'expérience, qu'il vaut mieux emprunter les trains français pour arriver à l'heure, de même qu'il vaut mieux s'adresser aux hôpitaux français pour être soigné en urgence et, même, fréquenter les écoles primaires ou maternelles françaises.
M. Gérard Delfau. C'est sûr !
M. Michel Sergent. On ne compte d'ailleurs plus les Britanniques qui se font soigner chez nous et qui jalousent tout simplement nos services publics.
Nous souhaitons en définitive le renforcement des services publics.
Mais, je le répète, il ne s'agit pas de vouloir une croissance non maîtrisée des dépenses. Il faut aller, pour reprendre une expression qui nous est chère, vers le « mieux d'Etat ».
Nous croyons à la réforme de l'Etat à condition qu'elle se fasse dans la transparence et la concertation.
Notre société évolue, les nouvelles technologies s'imposent. Pourquoi ne pas redéployer, modifier, pour répondre plus et mieux aux attentes de nos concitoyens ?
Conforter la croissance, continuer à améliorer la situation de l'emploi, accentuer la cohésion sociale, renforcer les services publics, voilà ce qui me semble être les priorités pour 2001. Vous pouvez, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, compter sur nous pour vous accompagner dans cette voie. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Merci beaucoup !
M. le président. La parole est à M. Fréville.
M. Yves Fréville. Oui, monsieur le ministre, nous vivons nous aussi un temps intéressant : le temps de la confrontation, grâce au calendrier parlementaire, entre, d'une part, une stratégie des finances publiques que vous avez développée et, d'autre part, la pratique et les contingences du collectif budgétaire qui nous sera présenté demain. Quel constraste entre le discours et les faits !
D'un côté, on nous expose une doctrine qui a le mérite de la clarté : une maîtrise affichée de la dépense publique indépendante de la conjoncture. C'est sans aucun doute préférable à la réhabilitation de la dépense publique que l'on nous proposait voilà une dizaine d'années. On nous présente une alternative, non tranchée, entre la baisse des impôts d'aujourd'hui et celle des impôts de demain, c'est-à-dire du déficit au gré d'un surplus évoluant selon la conjoncture. Voilà pour la doctrine.
D'un autre côté, nous sera soumis un collectif qui sacrifie la réduction du déficit par un accroissement des dépenses.
Permettez-moi de vous faire part de trois inquiétudes justifiées par ce contraste.
D'abord, il me semble que la réduction du déficit cesse d'être une priorité ; ensuite, la maîtrise des dépenses est loin d'être obtenue ; enfin, le choix des baisses d'impôts n'est certainement pas l'option la plus favorable à l'emploi.
Première inquiétude, l'arrêt de la réduction du déficit budgétaire.
Certes, quand j'ai lu le fascicule bleu de présentation de ce débat, je me suis réjouis, car la réduction du déficit budgétaire semblait demeurer un choix majeur. N'énonciez-vous pas, monsieur le ministre, six bonnes raisons pour réduire le déficit ? Oui, tous nos partenaires réduisent leurs déficits plus rapidement que nous. Oui, le déficit en phase d'expansion est un choix défavorable aux jeunes générations. Oui - et l'argument n'est pas souvent avancé - le financement des dépenses par l'endettement est un choix injuste, qui est défavorable à la redistribution, les impôts du plus grand nombre finissent par payer les intérêts, dites-vous - ce qui est exact - de la dette due à des prêteurs plus aisés, dont un tiers d'ailleurs sont des non-résidents et auxquels doivent être accordés des avantages fiscaux substantiels.
Que voilà de bons arguments ! Et il en est bien d'autres.
Mais, hélas ! la mise en oeuvre pratique ne suit pas.
Que propose le Gouvernement ? Le déficit budgétaire que vous nous demandez de voter dans le collectif, 215 milliards de francs, est le même que celui qui était prévu en loi de finances initiale malgré 50 milliards de francs de recettes supplémentaires. C'est plus que les 206 milliards de francs de l'année dernière. Et encore vous avez dû étirer ce solde sur le lit de Procuste des artifices budgétaires pour le rendre plus présentable, c'est-à-dire plus important qu'il n'aurait dû être - paradoxe ? Et vous annoncez encore 195 milliards de francs pour l'année prochaine.
Dès lors, il n'y a pas de réduction du déficit et votre tentative de justification de cette pause me paraît bien fragile. « La France - écrivez-vous - a pris par rapport à ses engagement européens un an d'avance. » En conséquence, vous estimez qu'on peut relâcher l'effort et se permettre quelques libertés : laissons faire l'arithmétique, le déficit diminuera en pourcentage du PIB du fait de la croissance et tout ira bien.
Ce raisonnement ne prêterait pas à conséquence si nous étions assurés d'une croissance longue et continue. Or, le rapport de printemps de la Commission économique de la nation compare la reprise actuelle à celle de la fin des années quatre-vingt et signale des éléments de vulnérabilité identiques, à savoir l'apparition d'une pénurie de travail qualifié et une forte progression du crédit.
Je ne voudrais pas jouer les Cassandre, car je crois que sauf imprévu, la croissance actuelle s'auto-entretiendra, mais nous devons nous tenir prêts à encaisser un choc dont les conséquences seraient aussi dangereuses que celles qui ont été enregistrées en 1992-1993, après la guerre du Golfe et la tension sur les taux d'intérêt qui a suivi la réunification allemande.
Le mieux serait donc de revenir très rapidement à ce que vous appeliez le « solde protecteur » de 1 % pour pouvoir disposer à plein, dans des circonstances analogues, de l'arme budgétaire. Le principe de précaution me semble, en ce domaine, encore devoir être observé.
Je reconnais bien volontiers au Gouvernement - il faut être juste - le mérite d'avoir su procéder à un réglage fin de la conjoncture budgétaire au cours des années passées. Mais il n'existe plus, me semble-t-il, de raison, au moment où des tensions risquent d'apparaître, de soutenir une croissance désormais auto-entretenue et de pratiquer une politique procyclique de déficit budgétaire. Voilà donc ma première inquiétude : le déficit ne diminue plus.
Deuxième inquiétude : l'insuffisante maîtrise de la dépense publique.
Le deuxième objectif que vous assignez à la politique budgétaire me paraît sain. Les dépenses de l'Etat ne devront croître en trois ans que de 1 % en volume, et donc seulement d'un tiers de point l'année prochaine. Je ne vous proposerai pas un objectif plus ambitieux, et je serais pleinement satisfait si celui que vous proposez ne relevait pas simplement de l'effet d'annonce.
Que constatons-nous ? En 1999, le Gouvernement s'était fixé un objectif de 1 % en volume. Très bien ! C'était trois fois plus que ce que vous proposez dans votre programme. Or, qu'en a-t-il été ? Le rapporteur général de l'Assemblée nationale, non suspect, annonce 1,6 %, la Cour des comptes 2,8 % et l'INSEE, dans le numéro de mai d' INSEE Première est encore plus sévère. Je lis que, dans le périmètre retenu par la comptabilité nationale, les dépenses de l'Etat ont progressé de 4 % en valeur et de 4,5 % hors charge de la dette. Voilà les chiffres de la comptabilité nationale sur les dépenses de l'année prochaine.
Or je considère que le périmètre de la comptabilité nationale est le bon périmètre de référence parce qu'il retient en dépenses ce que, vous, vous classez en dépenses exceptionnelles pour les éliminer de votre calcul - le versement de dix milliards de francs à l'UNEDIC, par exemple. Il tient également compte des prélèvements et dégrèvements qui sont transférés aux collectivités locales et qui sont économiquement, bien entendu, des dépenses.
De très grandes difficultés sont donc prévisibles pour cette année, avec une augmentation des dépenses de l'Etat de 4 % en valeur, au lieu de 1 %.
Mais ces difficultés ne seront que plus grandes dans les années à venir, comme cela a été dit très bien à plusieurs reprises, notamment par notre rapporteur général.
La charge nette de la dette avait été stabilisée grâce à la baisse des taux d'intérêt. Cette situation ne se renouvellera pas : la hausse des taux d'intérêt, même minime, peut démarrer ; en tout cas, nous ne bénéficierons plus, l'année prochaine, de la baisse des taux. La charge de la dette augmentera donc certainement, mécaniquement, de 8 milliards à 10 milliards de francs. De plus, l'autre grande source d'économies qu'avait constitué la baisse des dépenses militaires, qui a rapporté 15 milliards de francs hors personnel au cours des années passées, ne me paraît pas renouvelable.
Mais mon interrogation principale porte sur l'évolution des dépenses liées à la fonction publique, qui représentent près de 700 milliards de francs et qui évoluent plus rapidement que le budget total : leur progression a été de 57 milliards de francs en trois ans. Il me semblait que le débat d'orientation budgétaire aurait constitué le moment idéal pour que le Gouvernement expose sa politique salariale pour l'année à venir et sa politique de recrutement à moyen terme. Je ne peux que constater que ce n'est jusqu'à présent pas le cas.
Le problème est pourtant posé dans le rapport : en huit ans, l'évolution du salaire net dans la fonction publique a été de 5,9 points supérieure à celle qui a été constatée dans le secteur privé, ce qui témoigne de « l'avance prise par la fonction publique dans la première moitié des années quatre-vingt-dix ». Une question vient immédiatement à l'esprit : quelles seront les conséquences financières des politiques de réduction du temps de travail dans la fonction publique d'Etat - pour ne pas parler de son extension aux collectivités locales ! - ou de résorption de la précarité ?
Monsieur le ministre, il ne suffit pas de nous assener une norme d'évolution acceptable, il faudrait nous expliquer comment vous comptez la faire respecter. Dois-je comprendre que, du fait de la croissance et de la réduction du chômage, vous espérez réduire les dépenses d'intervention ? J'aimerais avoir des explications sur ce point.
Enfin, vos choix en matière de réduction d'impôt ne sont pas les plus favorables à l'emploi.
Vous êtes évidemment contraint de réduire l'impôt.
Les statistiques ont démenti les promesses qui nous avaient été faites l'an passé : les prélèvements obligatoires ont atteint, en 1999, le record absolu de 47,5 % du PIB et les recettes de l'Etat ont progressé de 7,4 %, plus que celles des collectivités locales et de la sécurité sociale.
Cela démontre tout simplement que notre système fiscal, avec ses taux élevés d'impôt sur le revenu et d'impôt sur les sociétés, surréagit à une amélioration de la conjoncture. Nous savons bien par ailleurs que la réduction du quotient familial n'a fait qu'alourdir la pression fiscale sur les ménages. Vous nous promettez - je reprends, là encore, les chiffres du rapport - une baisse d'un point de PIB en 2000 et d'un demi-point seulement en 2001. L'essentiel de l'effort va donc résulter des choix qui ont été faits dans le collectif. Je n'ai d'ailleurs trouvé ni dans le rapport du Gouvernement ni dans vos propos, monsieur le ministre, l'amorce d'une réforme en profondeur des défauts de notre système fiscal.
Je ne parlerai pas aujourd'hui de la fiscalité locale. Mais pour ce qui concerne la fiscalité d'Etat et les prélèvements sociaux, nous savons tous que les taux marginaux d'imposition sont trop élevés, non seulement pour les hauts revenus d'activité, mais surtout pour les bas revenus salariaux.
Dans le premier cas, on freine l'incitation à prendre des risques alors que les rentiers à revenus élevés bénéficient fiscalement du régime plus intéressant des prélèvements libératoires. Ce n'est pas par hasard que Pierre Bérégovoy, qui avait bien compris qu'il fallait lâcher du lest pour placer les titres de la dette publique, avait fait baisser les prélèvements libératoires.
Dans le second cas, on freine l'incitation à la reprise du travail. Et je lis à la page 24 de votre rapport, qui est très intéressant et fort bien fait : « Si l'un des conjoints obtient un travail à mi-temps rémunéré au SMIC, le revenu familial demeure inchangé », et s'il s'agit d'un travail à plein temps pour le conjoint, le revenu familial s'accroît de 600 francs, soit moins de 4 francs par heure travaillée. Dans le premier cas, le taux d'imposition est voisin de 100 %, dans le second cas, il doit être légèrement supérieur à 90 %.
Je ne vois pas de véritable mesure, hormis la réduction des taux d'imposition sur le revenu des premières tranches, qui permette de réduire le chômage structurel, dont le taux semble proche de 8,5 %.
Comme cela a été souligné par le groupe de l'UDF dans une autre enceinte, il aurait fallu utiliser la totalité de la force de frappe constituée par les réductions d'impôt du collectif, et pas seulement les 11 milliards de francs de baisse de l'impôt sur le revenu, pour réduire le coin fiscal entre salaire brut et salaire net pour tous les salaires inférieurs à 1,3 ou 1,4 fois le SMIC et favoriser ainsi les retours à l'activité.
Voilà une politique efficace en faveur de l'emploi qui aurait permis de donner à cette manne, à cette marge de manoeuvre retrouvée, toute son efficacité.
Au lieu de cela, vous avez préféré un saupoudrage de mesures fiscales dont la cohérence globale m'échappe.
Le Gouvernement a encore le choix entre la voie de la facilité et la voie de la réforme. Tout dépendra de sa capacité à respecter sans truquage ni manipulation des chiffres l'objectif de maintien de la dépense publique sous la barre du 1 % de croissance en trois ans.
La voie de la facilité consiste à réduire les investissements, les dépenses militaires ; la voie de la réforme consiste à accroître la productivité et l'esprit d'initiative dans la fonction publique. Si cet objectif n'est pas atteint - et je doute qu'on vous laisse faire, monsieur le ministre - les marges de manoeuvre qu'engendre la croissance seront une nouvelle fois dilapidées, comme ce fut le cas de 1989 à 1991.
Monsieur le ministre, nous sommes prêts à participer à la réforme, si vous avez le courage de l'entreprendre ; mais nous serons vigilants pour dénoncer les solutions de facilité qui consistent à faire payer demain par nos enfants les dépenses de fonctionnement et le déficit d'aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. César.
M. Gérard César. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, dans le rapport déposé par le Gouvernement pour le débat d'orientation budgétaire, j'ai cherché, vainement, une orientation sur le budget 2001 du ministère de l'agriculture.
Une seule phrase, à propos de la hausse des prix, à la page 39 des annexes, fait mention de « l'influence modératrice de la réforme de la politique agricole commune sur les prix alimentaires en 2001 ».
Une nouvelle analyse de l'impact de la réforme de la PAC décidée à Berlin en avril 1999 vient d'être réalisée par le bureau de l'analyse économique et de la prospective du ministère français de l'agriculture, qui évalue à 7 % la baisse de revenu supportée par les agriculteurs. Cette diminution atteindrait 23 % pour le secteur des céréales et oléoprotéagineux, 1 % pour les producteurs de lait et 4 % pour les autres recteurs.
Les experts du ministère de l'agriculture analysent une série de scénarios qui, avec le concours des aides directes dans la formation du revenu des agriculteurs, permettraient, eux, d'amortir les effets de cette réforme.
Le revenu disponible de la ferme « France » baisserait donc de six milliards de francs, ce qui correspond à une ponction de 7 %, qui toucherait plus spécialement cinq ou six grandes régions.
Nous savons, monsieur le ministre, que le budget du ministère de l'agriculture devient marginal dans l'ensemble des soutiens publics à l'agriculture, puisqu'il représente désormais seulement la moitié des versements de l'Union européenne à l'agriculture française. Par ailleurs, les dépenses de nature économique au sein de ce budget sont faibles ; elles n'en représentent plus qu'un tiers : soit 11 milliards de francs.
Cette contrainte de la politique agricole nationale est d'autant plus forte que, désormais, un grand nombre de politiques sont cofinancées par l'Union européenne, qu'il s'agisse de la politique de modernisation, d'installation, de compensation de handicaps ou, désormais, celle des contrats territoriaux d'exploitation dans le cadre du plan de développement durable mis en place à Bruxelles.
Cette contrainte est d'autant plus forte que l'évolution du budget du ministère de l'agriculture au cours de ces dernières années a été le fruit de redéploiements internes, ce qui enlève toute souplesse de gestion, et que les préoccupations de l'environnement sont très fortes et mises en oeuvre par le ministère de l'environnement dans le cadre d'une concertation particulièrement difficile.
Il ressort de ce constat que la politique agricole nationale risque d'être définie de moins en moins par le ministre de l'agriculture et de plus en plus par l'Union européenne, le ministre de l'environnement et celui de la santé en raison des préoccupations majeures en matière de santé publique.
Monsieur le ministre, il est impératif que des mesures significatives soient prises et mises en oeuvre en faveur du monde agricole.
Je vous rappelle que la simplification de la fiscalité agricole est une revendication constante de l'ensemble de la profession. Depuis 1997, le Gouvernement promet d'annoncer une réforme en ce sens. Pourtant, il a refusé l'inscription des dispositions fiscales dans la loi d'orientation agricole votée en juillet 1999, laquelle renvoyait à des mesures ultérieures qui n'ont toujours pas été présentées.
Le rapport parlementaire de Mme Marre et de M. Cahuzac, rendu public en mai dernier, dessine les voies d'une réforme attendue. Il doit maintenant faire l'objet de concertations entre tous les acteurs concernés. Il faut espérer que la parution de ce rapport ne sera pas un nouveau prétexte à l'organisation de concertations qui n'auraient d'autre but que de différer encore la réforme.
M. Philippe Marini, rapporteur général. On va réunir une nouvelle commission !
M. Gérard César. Que je sache, le Gouvernement ne s'est pour l'heure, pas engagé de manière précise sur la mise en oeuvre des propositions formulées. Entend-il enfin y donner suite dans le projet de loi de finances pour 2001 ? J'attends votre réponse, monsieur le ministre.
Le rapport précité prévoit de conduire cette réforme suivant deux axes principaux.
D'une part, il préconise de séparer le revenu du travail du revenu du capital immobilisé dans l'exploitation. Une telle mesure permettrait notamment d'asseoir les cotisations sociales des agriculteurs sur une assiette comprenant les seuls revenus du travail. Elle rapprocherait donc la situation des agriculteurs de celle de l'ensemble des salariés et serait conforme au principe de neutralité fiscale que le Gouvernement entend respecter.
D'autre part, le rapport recommande une refonte des régimes d'imposition agricoles en vue de leur simplification. Il s'agirait de réduire le nombre de régimes de bénéfices agricoles et celui des seuils des régimes d'imposition de la TVA. En mettant en oeuvre ces préconisations, le Gouvernement servirait la simplification du système fiscal tout en améliorant sa pertinence économique.
Le rapport préconise également la mise en place d'incitations fiscales en faveur de l'installation des jeunes agriculteurs, comme la loi d'orientation agricole de juillet 1999 l'avait prévu. La politique en faveur de l'installation, mise à mal par le redéploiement de ses crédits au profit du financement des contrats territoriaux d'exploitation, les CTE, est actuellement en panne. Certaines mesures fiscales ont été annoncées par le ministre de l'agriculture lors de la journée sur l'installation du 15 mai dernier. Il serait souhaitable que le Gouvernement s'engage à les reprendre dans le projet de loi de finances pour 2001.
A ces mesures attendues par les agriculteurs, il conviendrait d'ajouter la suppression des droits de mutation à titre gratuit sur les transmissions d'entreprises, l'exonération des plus-values en cas de cession à un jeune agriculteur et l'installation de prêts bonifiés à 0 % pour faciliter l'installation de ces derniers, la défiscalisation de la dotation jeunes agriculteurs ainsi qu'une exonération pour ces derniers des cotisations sociales étalée sur cinq ans à raison de 30 % par an.
Par ailleurs, à propos de la DPI, la déduction pour investissement, fruit d'un long combat mené par la profession, il est indispensable qu'elle soit maintenue pour une fiscalité moderne d'entreprise.
En ce qui concerne les préoccupations environnementales, notamment le projet de réforme de la politique de l'eau, le choix d'une approche fondée sur la sanction, avec la mise en avant du principe du « pollueur-payeur », est dénoncée par les agriculteurs. S'étant déjà vu imposer par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 une extension aux produits phytosanitaires de la taxe générale sur les activités polluantes, ils devraient s'acquitter en sus, à l'horizon 2002, d'une redevance sur les excédents d'azote.
En outre, la redevance sur la consommation d'eau payée par les agriculteurs devrait augmenter du fait de la suppression annoncée par le ministre de l'environnement des coefficients d'usage, qui font actuellement varier les bases de calcul de cette redevance en fonction des usages de l'eau - irrigation, industrie, usage domestique. D'après les simulations faites par la profession, la redevance serait multipliée par six, ce qui est impensable.
Alors que le Gouvernement prétend privilégier la baisse des prélèvements obligatoires, il n'a de cesse d'alourdir les taxations pesant sur le monde agricole. Cette démarche tient plus du signal politique visant à manifester une certaine fermeté sur le sujet que d'une véritable recherche de la maîtrise des pollutions. Ainsi, malgré l'ampleur des moyens mis en oeuvre - la dérive du coût du programme de maîtrise des pollutions agricoles en témoigne, puisqu'il a été réévalué de 7 milliards de francs à 14 milliards de francs sur dix ans - la pollution des eaux s'est encore aggravée sur le territoire français, comme le souligne une étude récente.
En matière de politique de l'eau, la profession agricole plaide pour une approche fondée sur la responsabilisation des exploitants et la prévention, et non sur la sanction bête et méchante.
En dépit des mesures prises en faveur des exploitants victimes de la tempête de la fin du mois de décembre 1999, la situation de bon nombre d'entre eux reste critique en raison des dégâts subis par les bâtiments agricoles.
Alors que le Gouvernement affirme privilégier la baisse d'impôts, ne serait-il pas opportun d'autoriser une réduction du taux de TVA à 5,5 % sur les matériaux nécessaires à la reconstruction des bâtiments agricoles, ainsi que sur les travaux de reconstruction eux-mêmes ? Pour ce faire, il suffirait d'étendre la mesure figurant à l'article 5 de la loi de finances de 2000, qui prévoit un taux réduit de TVA pour les travaux d'amélioration, de transformation, d'aménagement et d'entretien. Une telle initiative serait une occasion supplémentaire d'exprimer la solidarité nationale à l'égard des victimes de la tempête. Les mesures annoncées par M. le Premier ministre n'ont malheureusement pas été suivies d'effet ou ont été mises en oeuvre trop lentement, en particulier pour la sylviculture, pourtant fortement touchée.
Monsieur le ministre, dans la perspective de la présidence française de l'Union européenne, j'attire de nouveau votre attention sur l'opposition du monde agricole à toute révision à la baisse du montant des crédits affectés à la politique agricole commune.
La Commission européenne avait en effet proposé, le 3 mai dernier, une diminution du plafond des dépenses prévues pour la PAC pour les exercices 2001 et 2002 afin de faire face au surcroît de dépenses - de 300 millions d'euros par an - du chapitre « actions extérieures », dû à la guerre du Kosovo, tout en laissant inchangé le montant total des perspectives financières pour 2000-2006.
La présidence française aura aussi à faire face à la reprise des négociations sur l'agriculture au sein de l'OMC, l'Organisation mondiale du commerce, après le grave échec de Seattle, ainsi qu'à l'élargissement de l'Union européenne aux pays de l'Est.
Les faiblesses inhérentes au budget de l'agriculture touchent également la politique de la montagne, qui se trouve presque dépourvue de moyens, ce qui a des conséquences sur la poursuite de la nécessaire modernisation des exploitations, qu'il s'agisse des bâtiments d'élevage ou de la mécanisation agricole.
Il me paraît également nécessaire d'insister sur la suite à donner au rapport Babuziaux sur l'assurance récolte. En tant que rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques du budget de l'agriculture pour 1999, j'avais souligné l'absence totale de dotation du fonds des calamités agricoles et l'insuffisance manifeste de celle-ci dans le budget pour 2000, puisqu'elle atteint 50 millions de francs.
Monsieur le ministre, dans l'attente de la mise en place de l'assurance récolte, allez-vous doter suffisamment le fonds pour 2001, ce qui permettrait de rassurer les agriculteurs ?
Enfin, les dotations des offices, notamment l'enveloppe des crédits d'orientation, doivent impérativement être au minimum maintenues, afin de ne pas réduire les marges de manoeuvre, d'autant qu'une partie de ces crédits est contractualisée.
Par ailleurs, n'oublions pas la juste revalorisation des retraites agricoles, à hauteur de 75 % du SMIC.
Monsieur le ministre, mon groupe sera très attentif à l'attribution des dotations nécessaires au maintien du revenu des agriculteurs et au financement de l'installation aidée des jeunes agriculteurs, qui exige une revalorisation de la dotation aux jeunes agriculteurs. Rappelons-nous à ce propos que le nombre des installations aidées a chuté de 45 % en dix ans, d'où l'obligation de mettre en oeuvre les mesures que je viens de citer.
Nous pensons qu'il est important d'évoquer le devenir de l'agriculture dans le cadre du débat d'orientation budgétaire, cette agriculture qui devrait avoir toute sa place, eu égard au rôle qu'elle joue dans la société.
Monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, le monde agricole, et plus largement le monde rural, sont dans l'attente de vos décisions financières. Nous espérons vivement que vous répondrez positivement à leurs demandes légitimes. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Braun.
M. Gérard Braun. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les dépenses de la fonction publique, parce qu'elles représentent 43,5 % du budget de l'Etat, soit trois points de plus qu'en 1997, constituent un élément déterminant des orientations budgétaires et de la gestion des finances publiques.
Le Gouvernement en est d'ailleurs lui-même bien conscient, puisqu'il a consacré d'assez longs développements à ce sujet, fort intéressants au demeurant, dans l'annexe VIII du rapport qu'il a déposé en vue du présent débat.
Pourtant, la question des dépenses de la fonction public illustre sans doute mieux que toute autre l'attitude paradoxale du Gouvernement : avec le collectif, il prend le contre-pied des intentions qu'il affiche dans ce rapport.
En effet, le Gouvernement n'a entrepris aucune réforme à même de réduire les missions et le format de l'Etat, seule capable de se traduire par un reflux conséquent des crédits alloués à la fonction publique, et donc de la dépense publique. Le Gouvernement affiche même sur la question une sérénité qui, compte tenu de la situation, ne peut que susciter le scepticisme quant à ses intentions réformatrices.
Ainsi, dans le dernier rapport annuel sur La Fonction publique et la réforme de l'Etat, on peut lire un avant-propos de l'ancien ministre de la fonction publique, qui écrit : « La politique conduite par le Gouvernement s'est traduite par toute une série de mesures visant à dynamiser et à moderniser la gestion des ressources humaines. La plus marquante, et la plus symbolique à la fois, est indéniablement la conclusion de l'accord salarial du 10 février 1998. »
L'ancien ministe poursuit : « J'ai engagé une concertation avec l'ensemble des partenaires sociaux pour la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail. Il s'agit de faire bénéficier les fonctionnaires d'une avancée sociale historique, tout en s'efforçant d'améliorer l'offre et la qualité des services publics. »
Le ministre insistait avec raison : la seule mesure concrète prise par le Gouvernement en matière de politique de la fonction publique est la signature de l'accord salarial, fort coûteux, du 10 février 1998. L'année 2000 est d'ailleurs l'exercice sur lequel l'ensemble des mesures adoptées jouera en année pleine. Pour cette année, le coût de cet accord s'établit à 23,3 milliards de francs, voire à 41,3 milliards de francs, si l'on prend en considération son impact sur la fonction publique territoriale, pour 10 milliards de francs, et sur la fonction publique hospitalière, pour 8 milliards de francs.
Ces chiffres montrent que, par-delà tous les discours, la vraie priorité du Gouvernement est la rémunération des fonctionnaires.
Pour le reste, le tableau est plus sombre.
La gestion de la fonction publique n'est pas moderne, l'Etat employeur méconnaissant même le nombre de ses agents.
La réforme de l'Etat a été sacrifiée au profit de la satisfaction de revendications corporatistes, le Gouvernement renonçant à sa réforme de l'administration fiscale.
Les négociations visant à élaborer un accord-cadre fixant les principes de la réduction du temps de travail au sein de la fonction publique ont échoué.
Les conflits sociaux se sont multipliés au sein de la fonction publique, qu'il s'agisse des enseignants, des personnels des hôpitaux ou des agents des entreprises publiques mécontents de la façon dont se déroulent les négociations sur le passage aux 35 heures.
Je tiens à préciser que mes propos ne visent pas les fonctionnaires eux-mêmes, bien évidemment. Je sais ce que l'on doit aux agents du service public. Les récentes catastrophes qui ont frappé notre pays, que ce soit la tempête ou la marée noire, l'ont une fois de plus démontré. Ils ne sont nullement responsables des égarements de l'Etat employeur ni de l'indécision du Gouvernement.
Mes propos s'inscrivent dans un contexte marqué par deux principaux événements : d'une part, la publication, en janvier dernier, du rapport public particulier de la Cour des comptes consacré à la fonction publique de l'Etat et, d'autre part, l'actualité sociale, qui a conduit le Gouvernement à renouer avec une logique dépensière, tenant lieu de politique réformatrice.
Je prendrai un exemple, véritablement symptomatique de la politique du Gouvernement, qui s'en remet à la facilité de l'accroissement de la dépense plutôt qu'à l'engagement de vraies réformes d'amélioration du service public.
Qui ne voit en effet que le malaise de l'éducation nationale ne cesse de s'approfondir à mesure de l'accroissement de ses moyens ?
En fait, l'éducation nationale ne manque pas de moyens : elle souffre d'une « mal-administration » propice à la hausse perpétuelle de ses crédits !
Le secrétaire d'Etat au budget et la ministre déléguée à l'enseignement scolaire avaient reconnu devant la commission d'enquête du Sénat que l'éducation nationale pouvait être réformée à moyens constants. Pourquoi, dès lors, avoir accordé cette dotation supplémentaire à un ministère qui coûte déjà pratiquement 1 milliard de francs par jour aux contribuables ?
Quant au rapport de la Cour des comptes, il est accablant, son introduction résumant d'une phrase toute l'ampleur des carences de l'Etat : « Les documents budgétaires et comptables ne permettent pas de prendre une vue exacte et précise des effectifs employés dans les services de l'Etat ni du montant et de la structure des rémunérations qui leur sont allouées. »
La lecture de ce rapport est édifiante tant sont nombreux les dysfonctionnements ou irrégularités relevés : système de contrôle des effectifs réels insatisfaisant, gestion prévisionnelle des ressources humaines défaillante, voire carrément inexistante, emplois en surnombre ou bloqués, existence de mises à disposition ou de détachements injustifiés ou irréguliers, dépenses indemnitaires financées sur des ressources extra-budgétaires, avantages indus sans base juridique autre qu'une simple décision ministérielle, flou sur la connaissance des effectifs de fonctionnaires... Je pourrais multiplier les exemples.
Que comptez-vous faire, monsieur le ministre, pour remédier à tous ces défauts ?
Toutes ces critiques, pourtant, au-delà de leurs conséquences relatives à la seule gestion des personnels, traduisent surtout une absence de rigueur préjudiciable à la maîtrise des dépenses publiques.
En fait, le Gouvernement ne contrôle plus l'évolution des dépenses de la fonction publique et ne paraît d'ailleurs guère soucieux de le faire.
Des chiffres très intéressants fournis par le Gouvernement dans son rapport montrent que, depuis 1997, les dépenses de l'Etat ont augmenté de 77,8 milliards de francs, dont 57 milliards de francs au titre des seules dépenses de la fonction publique, soit près de 75 % de cette augmentation.
Comme le note le Gouvernement, « les dépenses de personnel ont évolué depuis dix ans à un rythme plus rapide que celui des dépenses totales ».
Ainsi, la part croissante des dépenses de personnel accentue la rigidité du budget de l'Etat, comme l'avait rappelé la Cour des comptes dans son rapport sur l'exécution des lois de finances pour 1998.
Le Gouvernement a répété, à maintes reprises, qu'il entendait stabiliser le nombre total de fonctionnaires, tout en procédant à des redéploiements d'effectifs au bénéfice de départements ministériels sous-administrés, notamment celui de la justice, grâce à la réalisation de gains de productivité dans d'autres ministères, celui des finances en particulier. La capitulation du Gouvernement dans sa réforme de l'administration fiscale vient bouleverser ce programme. Dès lors, il faut craindre une augmentation globale du nombre de fonctionnaires.
De surcroît, des inconnues persistent sur ce sujet, à commencer par l'avenir des emplois-jeunes. Que vont devenir les 350 000 jeunes concernés à l'issue de leur contrat de cinq ans ? Faut-il voir en eux de futurs fonctionnaires ? Je crains que oui, l'ancien ministre de la fonction publique ayant déclaré que « certains titulaires d'emplois-jeunes intégreront la fonction publique à l'issue de leur contrat de cinq ans ». Combien d'entre eux seront concernés ? Selon quelles modalités intégreront-ils la fonction publique ? Quel coût cela représentera-t-il pour le budget de l'Etat ?
Une autre question est particulièrement préoccupante, celle du coût des pensions, qui va se poser rapidement.
L'évolution du montant des charges de pension des fonctionnaires de l'Etat et des militaires a suivi une tendance extrêmement rapide : de 1990 à 1997, ce montant est passé, en francs constants, de 136 milliards de francs à 164,5 milliards de francs, soit une progression supérieure à 20 %.
Or les évolutions démographiques sont très préoccupantes eu égard à leurs conséquences budgétaires. D'ici à 2010 en effet, comme l'ont rappelé plusieurs de mes collègues, plus de 40 % des fonctionnaires partiront à la retraite, la moitié en 2012. En 2005, les dépenses de pension devraient s'établir à plus de 210 milliards de francs, à plus de 260 milliards de francs en 2010 et à plus de 320 milliards de francs en 2015. Ainsi, de 2001 à 2015, les dépenses de pensions devraient croître de près de 75 %.
Il me semble donc indispensable d'engager rapidement la réforme des régimes spéciaux de retraite, qui, je le rappelle, n'ont pas été concernés par la réforme de 1993.
Or je crains que le Premier ministre n'ait annoncé, le 21 mars dernier, une non-réforme. Un allongement de la durée de cotisation des fonctionnaires à 40 ans contre 37,5 ans actuellement, dont chacun sait depuis le rapport Charpin qu'il s'agit d'une solution inévitable, a été présenté comme une simple piste de réforme, la concertation et la négociation avec les organisations syndicales devant permettre d'assurer l'avenir des retraites. Cette simple proposition de réforme connaîtra-t-elle le même sort que celle de l'administration fiscale ?
Enfin, le coût du passage aux 35 heures dans la fonction publique est également une source d'inquiétudes. Aujourd'hui, le Gouvernement est placé face à ses propres contradictions : présentées comme un moyen de créer beaucoup d'emplois dans le secteur privé, les 35 heures devraient être appliquées dans la fonction publique à effectif constant ! Le refus du Gouvernement de satisfaire les revendications des syndicats en matière de créations d'emplois est à l'origine de l'échec des négociations visant à élaborer une convention-cadre. Pourquoi ? La réponse est simple : elle se trouve dans le rapport sur le temps de travail dans les trois fonctions publiques que M. Jacques Roché avait remis, en février 1999, au ministre de la fonction publique.
Ce rapport rappelait, en effet, que la durée du travail dans la fonction publique est très contrastée, variant entre 29 heures et 40 heures par semaine pour la seule fonction publique de l'Etat. Il recommandait, en outre, de considérer la réduction du temps de travail comme « une formidable occasion d'une remise à plat de l'organisation actuelle du temps de travail dans les fonctions publiques ».
Le Gouvernement n'a pas voulu prendre d'engagement en matière de créations d'emplois, mais, dans le même temps, il a renoncé à mettre en oeuvre la réforme qualitative recommandée par le rapport Roché. Il est pourtant une question à laquelle je vous demande de nous apporter aujourd'hui une réponse, monsieur le ministre : à quel coût le ministère de l'économie et des finances évalue-t-il le passage des trois fonctions publiques au 35 heures ?
Les réponses que vous apporterez, je l'espère, à l'ensemble de ces questions, conditionnent en effet fortement l'orientation de nos finances publiques au cours des années à venir.
Vous nous avez dit en préambule, monsieur le ministre, qu'un Etat moderne devait rendre des comptes sur son administration, devait compter juste et parler clair. C'est ce que nous attendons de vous et du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Darcos.
M. Xavier Darcos. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, dans le projet de loi de finances pour 2000 les sections « enseignement scolaire » et « enseignement supérieur » du ministère de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie, se sont établies à 361 milliards de francs, en augmentation de 3,3 % par rapport à la loi de finances de 1999.
Cette progression de 11,7 milliards de francs des dotations allouées à l'éducation nationale devait permettre d'assurer le financement de l'action gouvernementale autour de cinq axes principaux : l'amélioration de la qualité des enseignements scolaire et supérieur ; la mise en oeuvre de la réforme des collèges et des lycées ; la lutte contre l'exclusion sociale, notamment grâce à la poursuite du coûteux « plan social étudiant » ; la revalorisation de la situation des ensignants ; enfin, la préparation de l'université au troisième milléaire, le plan U 3 M.
Monsieur le ministre, je suis parfaitement conscient que le budget de l'enseignement scolaire est l'un des budgets les plus rigides de l'Etat puisque plus de 82 % de ses crédits sont affectés à des dépenses de personnel.
Or le débat d'orientation budgétaire d'aujourd'hui porte sur des choix et surtout sur l'ordre des priorités dans l'utilisation des crédits restants, priorités qui seront au nombre de trois : la réduction du déficit budgétaire, une plus grande maîtrise des dépenses publiques et l'évolution des recettes fiscales puisqu'il est prévu, pour 2001, 40 milliards de francs de diminutions d'impôts.
Comment s'inscrivent donc, dans ce contexte, les dépenses afférentes à l'enseignement ?
Tout d'abord, je voudrais rappeler les observations formulées par la commission des finances lors de l'examen de la dernière loi de finances.
Cette commission s'interrogeait sur le bien-fondé d'une augmentation des crédits de 10,3 milliards de francs par rapport à l'année précédente pour les effectifs d'enfants scolarisés dans l'enseignement primaire et secondaire, alors que, globalement, ces effectifs restaient stables, voire enregistraient une légère diminution.
Notre rapporteur spécial du budget de l'enseignement scolaire s'était inquiété précisément sur la gestion inadéquate des effectifs, évoquant ainsi la dérive du budget de l'éducation nationale, en opposition avec la décroissance démographique.
Notre rapporteur spécial avait également jugé inquiétante pour les finances publiques la mesure concernant l'intégration des instituteurs dans le corps des professeurs des écoles, insistant sur le fait que, si cette mesure ne paraissait pas illégitime au regard de l'équité, son impact sur les finances publiques - et, ajouterai-je, sur le service des pensions - devait être clairement mesuré.
Enfin et surtout, notre rapporteur spécial regrettait que la réforme des lycées pour les classes de seconde, première et terminale ne soit pas réalisée à moyens constants, inquiétude d'autant plus légitime que la réforme proposée concerne des diminutions d'horaires et des diminutions des temps disciplinaires. N'a-t-on pas parlé, à ce sujet, de « lycées light » ?
Or le collectif budgétaire qui doit nous être prochainement présenté fait ressortir 769 millions de francs de dépenses nouvelles de fonctionnement, contre 110 millions de francs seulement de dépenses d'investissement.
Il paraît donc essentiel, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, que, dans ce contexte, vous nous apportiez toutes justifications utiles sur la légitimité de ces dépenses nouvelles et de ces augmentations, et que le débat d'aujourd'hui soit l'occasion de faire le point sur les mises en garde pertinentes formulées par la commission des finances de la Haute Assemblée lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2000.
Ces derniers mois se sont traduits par un mécontentement profond du corps enseignant et des élèves des enseignements primaire et secondaire. Ce mécontentement, même s'il est rituel, s'est cristallisé sur l'inanité du concept de collège unique, sur l'organisation des programmes, sur la carte scolaire ou sur la gestion des heures supplémentaires.
Dans ce débat d'orientation budgétaire, où la question de l'enseignement devrait être essentielle, alors qu'elle a été très peu évoquée, y compris à l'Assemblée nationale, lors du débat du 16 mai dernier, pourriez-vous, monsieur le ministre, nous préciser quelle est votre politique et nous indiquer si vos orientations sont identiques à celles de votre prédécesseur ?
Nous ne pouvons évidemment qu'appeler au volontarisme budgétaire dans le domaine de l'enseignement, sachant que le ministère de l'éducation nationale est le ministère du destin, mais nous exigeons, étant donné l'ampleur des chapitres concernés, la plus grande transparence possible. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.) M. le président. La parole est à M. Joyandet.
M. Alain Joyandet. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à cette heure, je serai extrêmement bref et cantonnerai mon propos à quelques réflexions concernant les investissements.
Sur un budget de 2 300 milliards de francs, seuls 180 milliards sont consacrés aux investissements, dont 80 milliards aux véritables investissements, c'est-à-dire les investissements productifs. Chiffre dérisoire par rapport aux autres budgets publics de notre pays !
J'aurais d'ailleurs souhaité établir une comparaison avec ce qu'il en était à cet égard voilà une vingtaine d'années. Hélas ! la comptabilité publique telle qu'elle existait à l'époque ne m'a pas permis de faire ce travail. En effet, la comptabilisation des investissements n'existe que depuis quelques années. Je note au passage que le rapport de notre éminent rapporteur comporte un paragraphe entier consacré à la présentation des comptes, et les propositions qu'il contient me paraissent tout à fait judicieuses.
Monsieur le ministre, je souhaiterais que vous puissiez nous dire vos intentions en ce qui concerne les investissements. Depuis quelque temps, l'Etat transfère aux collectivités régionales, départementales et locales un certain nombre d'investissements : pour les lycées, pour les collèges, pour les transports régionaux. Force est de constater que tout cela génère une fiscalité locale supplémentaire.
Par ailleurs, sur un certain nombre de dossiers, nous n'arrivons plus à obtenir des financements de l'Etat. Dans certains départements - en particulier dans un département que je connais bien -, on ne parvient plus à financer les travaux intéressant les routes nationales, celles-là mêmes qui relèvent de l'Etat.
Alors que des contrats de plan viennent d'être signés, il apparaît que, dans un département qui n'a pas un kilomètre d'autoroute, les deux routes nationales ne verront pas leur mise à deux fois deux voies avant environ vingt ans !
Des calculs ont été faits qui démontrent que, compte tenu des fonds de concours demandés à nos collectivés locales, le rythme d'investissement sera forcément celui du plus petit payeur, c'est-à-dire celui de nos petites collectivités locales.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Mme Voynet n'aime pas les routes !
M. Alain Joyandet. Cela laisse pantois, monsieur le ministre, notamment quand la croissance offre des marges de manoeuvre supplémentaires.
D'ailleurs, j'ai été assez étonné quand j'ai entendu dire, après qu'il eut été question d'une « cagnotte » de 50 milliards de francs, qu'on allait engager des dépenses de fonctionnement supplémentaires sans qu'il soit, à aucun moment, envisagé de procéder à des investissements. Car il y a tout de même des investissements productifs dont nous avons besoin !
Je voudrais vous interroger, monsieur le ministre, sur un sujet qui me tient particulièrment à coeur, celui des investissements de l'Etat permettant de préparer l'entrée de la France dans la société de l'information.
Observant ce qui se passe sur le terrain, je constate que, lorsqu'il faut équiper nos établissements scolaires en ordinateurs, de manière à former nos élèves à Internet, ce sont encore les collectivités locales qui, la plupart du temps, doivent les financer. Et elles ont les pires difficultés à trouver sur place des personnels de l'Etat susceptibles d'organiser tout cela !
Au demeurant, M. Abramatic, dans le rapport qu'il a établi, constate que la France est à la traîne dans ce domaine, y compris par rapport à ses voisins. L'Allemagne compte ainsi dix millions d'internautes quand ils ne sont que quatre millions en France. Cela pose un véritable problème, non seulement pour le grand public mais aussi pour les entreprises.
Si l'Etat ne développe pas ses investissements, s'il ne conduit pas une politique volontariste dans le domaine du numérique, s'il laisse faire le marché et les entreprises, je crains que nous ne soyons amenés à déplorer, dans les toutes prochaines années, sur le territoire français, une « fracture numérique » qui viendra accentuer la fracture sociale.
Quelle sera la démarche de l'Etat pour faire en sorte que l'ensemble de nos concitoyens, quel que soit leur niveau social et où qu'ils vivent sur le territoire national, puissent être le plus rapidement possible reliés au numérique à haut débit, de façon à pouvoir se former chez eux, créer leur entreprise. Il ne faut surtout pas que, de la même manière que l'on a laissé des no man's land sans autoroute en macadam, on laisse ces mêmes territoires sans autoroute de l'information.
En l'occurrence, l'investissement public est indispensable. Si l'on s'en remet au seul marché, une fois de plus, ceux de nos territoires qui ne sont pas « rentables » seront laissés de côté : ils resteront sur le bord des autoroutes de l'information.
Ce soir a été rendu public le chiffre de 130 milliards de francs au titre de l'attribution des fréquences UMTS. Fort bien ! C'est une cagnotte supplémentaire ! Cela peut tout changer. Mais nous avons ici, au Sénat, défendu des amendements tendant à faire en sorte que les entreprises bénéficiaires d'un certain nombre de fréquences s'engagent à couvrir 100 % du territoire français, de façon que tous les citoyens puissent bénéficier de ces services. On nous a répondu que ce n'était pas possible parce que cela coûterait trop cher. Or, aujourd'hui, on prend 130 milliards de francs à ces entreprises !
Ne craignez-vous pas, monsieur le ministre, qu'en prélevant cette somme on n'incite encore ces mêmes entreprises à privilégier les territoires les plus rentables ?
Ne serait-il pas de bonne méthode de réduire de 10 milliards ou de 15 milliards de francs la ponction opérée sur ces entreprises mais d'exiger d'elles, en contrepartie de l'attribution des fréquences, l'engagement d'équiper l'ensemble du territoire français dans un certain délai ? Dès lors, la perte de recette serait largement compensée.
Si la totalité du territoire français n'est pas équipée, ce sont certaines régions qui se trouveront handicapées, ce sont nos entreprises, nos écoles qui seront pénalisées et c'est l'avenir de notre pays dans la compétition mondiale qui se trouvera ainsi hypothéqué.
Je serai heureux d'entendre votre réponse, monsieur le ministre, sur ce grave problème. ( Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. )
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. En dépit de l'heure, il me paraît non seulement courtois mais aussi utile à la qualité du travail parlementaire de répondre, fût-ce succinctement, aux différents orateurs.
Au demeurant, le débat d'orientation budgétaire et la discussion du collectif budgétaire étant très proches, un certain nombre des réponses que je ne peux pas apporter ce soir le seront certainement par Mme Parly dans la discussion qui va s'ouvrir ici même dans quelques heures.
M. le rapporteur général a, tout d'abord, exprimé une critique, en forme d'interrogation, sur le mépris relatif dans lequel serait tenu le Parlement à propos de l'attribution des licences UMTS. Etant retenu au Sénat, il ne pouvait pas savoir que, quelques dizaines de minutes plus tôt, j'avais été interrogé sur ce point à l'Assemblée nationale, comme je l'avais déjà été à plusieurs reprises auparavant, ainsi que M. Pierret. Le système institutionnel français comporte deux assemblées et je ne pense pas que le Sénat puisse considérer comme une marque de mépris particulier pour le parlementarisme le fait que je me sois adressé à l'Assemblée nationale.
J'ai donc répondu d'une façon très précise, comme cela était d'ailleurs parfaitement normal, à la question qui m'avait été posée sur ce sujet. Je ne l'ai pas fait à nouveau ici, parce que, depuis, vous avez sans doute pris connaissance, mesdames, messieurs les sénateurs, des déclarations que j'ai prononcées à l'Assemblée nationale. Je voudrais tout de même indiquer que nous avons étudié de façon approfondie les trois ou quatre grandes questions qui sont posées au travers d'un choix de ce type.
Une question, d'ordre technique, portait sur le nombre des licences attribuées, puisque, à partir d'une certaine bande de fréquence de 120 MégaHertz, il était théoriquement possible d'attribuer de quatre à six licences. Les pays voisins de la France ont d'ailleurs retenu à cet égard diverses solutions : l'Allemagne a opté pour six licences, les Britanniques pour cinq et les Scandinaves pour quatre.
Au terme d'une étude approfondie, nous avons pensé que la solution préconisée par l'autorité de régulation des télécommunications, soit quatre licences, était la bonne. Il y aura donc attribution de quatre licences.
La deuxième question, très importante elle aussi, concernait évidemment la procédure. Il existe, vous le savez, toute une série de procédures possibles. Il y a d'abord la procédure dite « des enchères », qui a déjà été retenue par nos voisins britanniques et qui sera retenue par nos voisins allemands, et dont les résultats, en termes financiers, ont été très importants. Il y a ensuite la procédure dite « mixte », à l'italienne, qui ajoute à une soumission comparative des enchères. Puis il y a la procédure dite de « soumission comparative », qui nous avait été proposée par l'autorité de régulation des télécommunications, procédure qui a été adoptée en particulier par les pays scandinaves et par d'autres encore, notamment l'Espagne.
Nous avons beaucoup réfléchi sur ces questions, parce qu'il faut prendre en considération l'intérêt de l'usager : c'est quand même lui le premier concerné. Mais il y a aussi le développement de la technologie, et je fais ici allusion à la dernière intervention, fort pertinente, de M. Joyandet : il faut parvenir à développer la technologie sur le plan industriel, et partout.
De même, il nous faut prendre en considération l'aménagement du territoire ainsi que les opérateurs. Et il nous faut arriver à déterminer, au travers de tout cela, où se trouve l'intérêt général.
Nous avons estimé que c'est par la procédure dite de la « soumission comparative » que l'intérêt général serait le mieux assuré, notamment par le cahier des charges qui contiendra en particulier, monsieur Joyandet, des exigences tenant à la couverture du territoire national ; c'est très important.
Une troisième question a été posée, tout aussi importante, qui, aux termes de la loi, relève du Gouvernement : à partir du moment où nous retenions la procédure de « soumission comparative », qui n'exige pas de texte supplémentaire, à quel montant devait être fixée l'attribution des licences ?
Nous n'avons pas voulu faire un choix arbitraire. C'est pourquoi nous avons demandé, d'une part, à l'administration et, d'autre part, à un consultant privé, indépendant de tout lien avec les opérateurs potentiels, de nous présenter des analyses et des recommandations en s'appuyant sur la situation d'autres pays et en considérant les différences puisqu'il ne s'agit pas exactement de la même couverture géographique ni de la même durée de licence.
C'est à partir de ces études précises que nous avons arrêté les sommes dont vous avez pu prendre connaissance. Il sera demandé, pour la délivrance de chaque licence, une somme de 32,5 milliards de francs, soit, au total, pour quatre licences, 130 milliards de francs, c'est-à-dire 19,8 milliards d'euros, ce qui est plus que l'Espagne et que d'autres pays, mais nettement moins que la Grande-Bretagne.
Enfin, une question concernait l'affectation de ces sommes. Je me suis déjà prononcé sur ce sujet à l'Assemblée nationale voilà quelques semaines. J'ai indiqué, d'entrée de jeu, qu'il me semblait déraisonnable, d'un point de vue budgétaire, d'affecter tout ou partie de ces sommes aux dépenses courantes et que la meilleure solution me paraissait être de les consacrer, d'une façon ou d'une autre, au désendettement. Il nous a semblé que la solution la plus expédiente était d'attribuer l'essentiel de ces sommes au fonds de réserve des retraites, qui est, tous les économistes le reconnaissent, une forme de dette publique. En outre, nombre d'entre nous insistent sur l'importance de maintenir un système de répartition en France. Or il n'est pas de meilleur moyen de prouver notre attachement à ce système que de doter le fonds de répartition.
Je réponds ainsi à plusieurs orateurs - ils se reconnaîtront - qui m'ont interrogé quant à l'affectation directe d'une partie de ces sommes à des investissements.
Je suis amené ici à faire état de conversations que nous avons eues sur le plan européen voilà quelques semaines, et encore hier et avant-hier, parce que le même problème se retrouve dans différents pays. Nous avons estimé les uns et les autres, et la Commission européenne nous a engagés à aller dans ce sens, que ces sommes devaient être affectées non pas à l'augmentation des dépenses, fussent-elles d'ailleurs très utiles, mais au désendettement d'une façon ou d'une autre, qu'il s'agisse du budget ou des retraites. C'est ce que nous ferons !
Cela n'a pas empêché le Premier ministre - vous avez peut-être cela en mémoire - de demander à M. Lang et à moi-même toute une série de mesures tendant à élargir l'accès à Internet, et nous allons nous y employer dans les semaines à venir.
Vous vous rappelez sans doute, cela avait été à la fois un échec et un succès, et il faut en tirer les leçons - que, voilà déjà de nombreuses années, ne trouvant alors dans une position différente, j'avais lancé le plan « Informatique pour tous », qui avait de bons et de mauvais côtés. Le bon côté, c'est que nous avions, vingt ans à l'avance, une perception de ce qu'il fallait faire. Le mauvais côté, c'est que nous avions recours à une technique unique de matériel et que, comme cela arrive souvent en France, la mise en oeuvre du plan n'avait pas été poursuivie par mes successeurs.
Il faut maintenant s'inspirer d'une démarche non pas identique mais voisine s'agissant d'Internet.
Vous avez tout à fait raison de dire que le meilleur service que l'on puisse rendre aux jeunes et aux moins jeunes, c'est de mettre à leur disposition, dès l'école et sous des formes diverses, toute une série d'outils.
Les collectivités ont accompli un effort important. L'Etat a fait aussi un certain effort. Il faut aller plus loin. On a progressé, mais on est en retard par rapport à d'autres. J'ai reçu la mission, que je remplirai avec plaisir, conjointement avec M. Lang, d'avancer en ce sens.
M. le rapporteur général a attiré notre attention sur le fait - et je le remercie de la sollicitude qu'il manifeste à travers cette formulation - que son rapport avait pour sous-titre : « Comment être crédible en Europe ? Je ne sais pas s'il s'agit de dire - cela est laissé à l'interprétation de chacun - « comment être crédible dans le futur en Europe ? ou, s'il veut dire : « au fond, la traduction de la politique du Gouvernement, c'est comment être crédible en Europe ».
J'ai plutôt tendance à considérer que c'est la seconde acception qui convient, car, si, la première, M. le rapporteur général serait vraiment en contradiction - ce serait paradoxal s'agissant d'un Français, patriote au demeurant - avec la totalité de nos voisins européens qui considèrent - peut-être sont-ils trop aimables, mais, entre homologues, on ne l'est pas toujours, vous en avez l'expérience - que, du point de vue économique, la France est l'un des pays les plus crédibles en Europe. Ne soyons donc pas moins Français que nos voisins !
M. le rapporteur général nous suggère - ce qu'il dit est sans surprise et se retrouve d'ailleurs dans les interventions de plusieurs de ses collègues - de baisser davantage les prélèvements obligatoires et de maîtriser les dépenses. Même si, sur ce point - j'y reviendrai brièvement tout à l'heure - nous rencontrons toujours le même problème -, et plusieurs d'entre vous ont exercé ou exerceront des responsabilités imminentes : c'est donc un conseil erga omnes - , en général le tout est la somme des parties. On se trouve dans une situation un peu difficile lorsque, globalement, on recommande la maîtrise des dépenses - ce qui est souvent un mot aimable pour signifier leur réduction - mais que, examinant chaque budget en particulier, on trouve pertinent d'en proposer l'augmentation.
Par conséquent, de ce point de vue, je serais très intéressé par ce que j'appellerai une « confrontation » - non pas au sens juridique du terme, mais amicale - entre, par exemple, M. le rapporteur général, très attaché à la réduction des dépenses, M. de Villepin, qui demande l'augmentation des dépenses militaires, et on le comprend, et M. César, qui nous a expliqué qu'il fallait augmenter le budget de l'agriculture de façon substantielle.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous vous connaissez : rapprochez-vous et, une fois que vous aurez procédé aux arbitrages, nous serons à votre disposition pour vous écouter ! (Sourires.) .
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est facile !
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. M. Marini a posé ensuite une question précise, très intéressante, qui a été reprise par certains de ses collègues : comment le Sénat sera-t-il informé en cours d'année sur l'exécution du budget 2000 ? Et puis, question connexe, comment se fait-il que, d'une part, nous présentions un collectif budgtéaire avec 215 milliards de francs de déficit et que, d'autre part, nous annoncions, Mme Parly et moi-même, que compte tenu de nos prévisions, il est probable que ce déficit s'établira à environ 200 milliards de francs ?
Nous avions le choix.
Laissant de côté toute bataille idéologique, il faut que chacun se représente quelle est la tâche du Parlement et quelle est celle du Gouvernement.
Nous sommes au début du mois de juin et, en recourant aux méthodes de calcul de l'administration, nous avons anticipé, d'une certaine façon, sur le déroulement de l'année 2000. Mais il faut reconnaître honnêtement qu'il peut arriver encore beaucoup de choses. De ce point de vue, vous devez savoir qu'il n'existe pas une exacte analogie avec ce que connaissent nos collectivités locales, où les recettes sont à peu près connues et les dépenses à peu près maîtrisées. Nous pouvons rencontrer des difficultés comme nous pouvons avoir de bonnes surprises ! Je fais maintenant parvenir un relevé de situation tous les quinze jours aux présidents et aux rapporteurs des commissions des finances des deux assemblées.
Compte tenu de notre évaluation des dépenses et des prévisions de recettes, nous devrions être en dessous du chiffre qui été retenu. Mais nous n'en sommes absolument pas certains ! Nous ne voulons pas nous trouver, car vous nous le reprocheriez à juste titre, dans une situation où nous passerions de 215 milliards de francs à 210 milliards ou 205 milliards de francs, pour, trois mois plus tard, vous demander de voter un chiffre plus important.
En raison de cette exigence de vérité - Mme Parly reviendra sur ce sujet dans quelques heures - qui, je crois, doit nous animer, nous disons qu'il s'agit d'un chiffre provisoire - une loi de finances rectificative vous sera présentée - et que ce n'est pas une certitude mathématique.
Quand cela devra-t-il devenir une certitude mathématique ? A l'automne, à une date qui sera très proche de la présentation de la loi de finances ; nous vous présenterons alors une loi de finances rectificative qui devra comporter des chiffres extrêmement proches de ce que seront les chiffres en fin d'année en termes d'exécution.
Je vous propose de procéder ainsi car si, aujourd'hui, nous baissions beaucoup notre chiffre, nous risquerions de nous tromper. Si, en revanche, nous ne vous donnions aucune indication sur ce qu'est notre perception, à coup sûr, nous ne vous dirions pas quel est notre état d'esprit. Donc, c'est ainsi que nous nous proposons de procéder.
Les autres années nous n'aurons probablement pas la même difficulté. En effet, l'élaboration de ce collectif est due, en grande partie, au fait que nous avons eu à financer des dépenses exceptionnelles, que nous ne pouvions pas ne pas financer. Mais, en général, on peut n'avoir qu'un collectif de fin d'année, il n'est pas nécessaire d'avoir deux collectifs par an.
Voilà les quelques explications que je souhaitais donner sur ce point. J'espère que je n'ai pas été trop long ou, au contraire, trop court à l'égard du rapporteur général. M'adressant à lui, je répondais aussi, d'ailleurs, à beaucoup d'autres interrogations convergentes qui émanaient d'autres membres du Sénat.
M. le président Lambert a réaffirmé le souhait - nous en avions parlé - qui est aussi celui de beaucoup d'autres membres de votre assemblée, de ne pas limiter le débat d'orientation budgétaire au budget mais d'intégrer, sous une forme ou sous une autre, la sécurité sociale. Pour s'en tenir à la rigueur des appellations, et sans y voir d'allusion personnelle, ma collègue ministre de l'emploi et de la solidarité, qui est une femme extrêmement compétente et dont le portefeuille ministériel est très vaste, sera, j'en suis sûr, très heureuse de vous expliquer la situation telle qu'elle la voit, si elle n'a pas déjà eu l'occasion de le faire.
Sur le plan strictement juridique, étant ministre des finances, je suis comptable des finances budgétaires et des finances sociales. Donc, même si notre document se penchait essentiellement sur l'aspect budgétaire, comme plusieurs d'entre vous l'ont remarqué, nous ne nous interdisons pas de faire des incursions dans le domaine social, et lorsque nous avons transmis nos prévisions à Bruxelles, nous avons couvert le champ proprement budgétaire d'Etat, le champ social et même le champ local. Il est donc tout à fait normal que vous nous interrogiez sur ces points.
On pourrait en effet avoir une conception plus large, en disant que Mme Aubry - pour personnaliser les choses - devrait aussi participer au débat. Pour le moment, ce n'est pas ainsi que nous procédons.
De surcroît, il faut bien voir que, à l'heure actuelle, les règles de comptabilisation des finances sociales ne sont pas exactement les mêmes ; je pense notamment au moment où se réunit la commission des comptes de la sécurité sociale. Donc, cela n'est pas très facile à monter, et c'est sans doute ce qui explique que, jusqu'à présent, cette demande - tout au moins sur la forme - n'ait pas pu être satisfaite.
M. le président Lambert a posé, bien sûr, une question tout à fait centrale : comment peut-on concilier la baisse des prélèvements obligatoires et la baisse du déficit, ne pourrait-on pas mieux maîtriser la dépense ?
J'ai entendu, ainsi que Mme Parly, toutes les suggestions que vous avez faites. Ce débat est intéressant, je l'espère, pour vous ; en tout cas il l'est pour nous, car nous tenons compte de ce que vous nous suggérez.
Les pistes qu'a indiquées le président Lambert - nous avons eu l'occasion d'en parler plusieurs fois - m'intéressent et il se reconnaîtra volontiers - je ne vais pas le compromettre en disant cela ! - dans un certain nombre de décisions que nous avons prises, notamment pour assurer une plus grande transparence.
Je me permets d'avoir une divergence avec lui et avec quelques autres parlementaires sur un chiffre cité à plusieurs reprises ; je ne sais pas si vous l'avez trouvé, ou si vous l'avez bâti. Mais si vous l'avez trouvé, ce n'est pas chez un bon auteur, et si vous l'avez bâti, je vous invite à le reconsidérer. Vous avez mis en doute la réalité des baisses de prélèvements obligatoires ou d'impôts puisque - et c'est ce chiffre qui a été cité plusieurs fois - il y avait 400 milliards de francs de prélèvements obligatoires en plus.
Nous sommes, les uns et les autres, suffisamment avertis des réalités fiscales et de leurs difficultés pour ne pas en rajouter ! Lorsqu'on fait des comparaisons fiscales, on travaille bien sûr en annulant l'effet de richesse. Lorsqu'on dit qu'il y a une augmentation ou une baisse des prélèvements obligatoires ou des impôts, c'est après s'être demandé si les innovations de la législation fiscale apportent un plus ou un moins. Or, on ne peut pas soutenir - et je crois qu'aucun d'entre vous ne s'y risquerait - que les modifications fiscales introduites par le Gouvernement depuis trois ans ont conduit à une augmentation de 400 milliards de francs des prélèvements obligatoires. Ce n'est absolument pas exact ! Il a pu y avoir une augmentation sur certains points ; je crois me souvenir d'une surtaxe sur l'impôt sur les sociétés, ou d'un ou deux éléments de ce type, qui, par la suite, ont d'ailleurs été annulés. Mais, au total - le calcul a d'ailleurs été fait par mes collaborateurs - les modifications de la législation fiscale depuis trois ans ont conduit globalement à une baisse de la pression fiscale. C'est indéniable ! Et si nous sommes d'accord sur ce point, nous avons peut-être déjà avancé.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Le théorème DSK !
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je ne suis pas sûr que la notion de prélèvements obligatoires dise grand-chose aux Français.
Puisque vous avez cité le nom d'un de mes prédécesseurs, M. Dominique Strauss-Kahn, je l'avais gentiment taquiné le jour où, avec le brio que chacun lui connaît, il nous avait expliqué - je ne sais pas si je ne vais pas me tromper, inverser... car c'est tellement complexe ; il n'y a que lui pour s'y retrouver ! - (Sourires.) que les prélèvements obligatoires baissaient alors que les impôts augmentaient. C'était d'ailleurs certainement vrai.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Théorème !
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Mais, pour les modestes Français que nous sommes tous, c'est surtout l'impôt qui compte, et on a du mal à expliquer à nos concitoyens qu'une grandeur chérie des statisticiens augmente ou baisse si une grandeur plus aisée à comprendre, à percevoir... ou à débourser, évolue, elle, dans le sens inverse !
Je m'étais fait apporter un jour des ouvrages volumineux - par la suite, je me les suis fait résumer, sinon je ne m'en serais pas sorti ! - qui expliquent que c'est une notion très intéressante, mais qu'elle est difficilement comparable, au demeurant, avec celle que pratiquent nos voisins. Plusieurs d'entre vous ont cité l'exemple de l'Allemagne. Oui, mais les différences s'expliquent, en particulier, par le fait que, dans un cas, les retraites complémentaires sont incluses, mais pas dans l'autre. Il faut faire attention à cela.
Par ailleurs, et je reviens sur ce qui s'est passé dans les années récentes, les prélèvements obligatoires, c'est un ratio entre un numérateur et un dénominateur. Lorsque la croissance augmente fortement, les prélèvements obligatoires baissent mécaniquement. C'est assez facile à comprendre : puisque le numérateur augmente fortement alors que le dénominateur bouge peu, le rapport baisse. Mais si, l'année suivante, la croissance, tout en étant forte, est moins forte que l'année précédente, alors les prélèvements obligatoires se remettent à augmenter. Personne n'y comprend rien. Je ne suggère pas d'abandonner cette notion, qui permettra à beaucoup d'étudiants et à quelques professeurs de passer des nuits blanches, mais de toujours la compléter par l'évocation directe des impôts et des cotisations, car c'est tout de même là que les gens s'y retrouvent à mon avis le mieux.
M. le président Lambert est revenu longuement, et il a eu raison de le faire, sur le chômage. Je suis tout à fait d'accord avec lui et je crois l'avoir dit dans mon propos initial ; en tout cas, si je ne l'ai pas dit suffisamment, je complète immédiatement.
Le chiffre actuel - 2,3 millions de chômeurs, soit 9,8 % de la population active - c'est encore beaucoup trop, nous le savons tous dans nos cantons, dans nos communes, dans nos circonscriptions, dans nos départements. Mais, avec la même authenticité, on doit reconnaître, pour s'en réjouir - et, d'ailleurs, je vous remercie car toutes et tous vous vous en êtes réjouis -, que c'est tout de même moins que ce que nous avons connu à une autre période, même si c'est le même chiffre que voilà dix ans ; mais peut-être la perception n'est-elle pas la même sur le plan psychologique.
En répondant à M. le rapporteur général, je crois avoir déjà répondu à la question parfaitement pertinente de M. le président Lambert : pourquoi 215 milliards de francs, et non 200 milliards de francs ? Vous avez ajouté un élément supplémentaire : qu'est-ce qui change dans ce chiffre ? Est-ce que ce sont les recettes qui augmentent ou les dépenses qui baissent ?
Je dirai au civil que vous êtes que les recettes - d'ailleurs, le papier qui a été publié ces jours-ci va dans ce sens - seront sans doute un peu plus élevées que prévu... mais je touche du bois car on a parfois de mauvaises surprises. Quant aux dépenses, nous avons passé ce que nous avons appelé des contrats de gestion avec les différents ministères : Mme Parly et moi-même leur avons donc demandé de procéder eux-mêmes à des économies. C'est donc à la fois l'addition de ces éventuelles recettes et le constat - j'espère que nous serons suivis - que les contrats de gestion sont lancés qui nous permettent de penser que nous serons beaucoup plus près de 200 milliards de francs que de 215 milliards de francs.
M. François-Poncet est intervenu longuement sur le fait que beaucoup de jeunes quittent la France. C'est un thème que l'on connaît bien, qui n'est d'ailleurs pas inexact, dès lors, bien entendu, qu'on le relativise. Sans confondre les phénomènes, il n'est tout de même pas mauvais qu'un certain nombre de jeunes, non pas s'expatrient ou s'exilent, mais aillent voir à l'étranger ce qui s'y passe. En contrepartie, et c'est heureux, beaucoup d'étrangers viennent chez nous.
Par conséquent, le régime parfois un peu dantesque que M. François-Poncet, qui est un homme nuancé, décrivait n'est tout de même pas à ce point infernal qu'il empêche nombre d'étrangers, notamment des cadres, de venir en France.
Il n'en demeure pas moins, et je suis le premier à le dire, ce qui m'a d'ailleurs parfois été reproché, que des modifications doivent être apportées, à notre fiscalité.
Nous avons procédé assez largement en ce sens. Par exemple, même si vous n'avez pas eu encore l'occasion d'examiner le projet de loi sur les nouvelles régulations économiques - puisque vous avez voulu avoir le temps suffisant pour le « savourer » ! - nous avons proposé de modifier le régime des stock-options et de pérenniser et d'étendre le régime dit des BSPCE, qui est très intéressant pour tous les nouveaux entrepreneurs, de sorte que les créateurs d'entreprise dont parlait M. François-Poncet, s'il décident de rester en France, n'ont que des taxes très faibles à acquitter. Je crois qu'il s'agit d'un bon régime. Mais il est certainement vrai qu'il reste des progrès à accomplir.
Je dois ajouter que Mme Parly et moi-même avons publié un rapport de la direction générale des impôts sur les personnes qui partent à l'étranger, sans doute très insuffisant, mais qui a le mérite de constituer la première évaluation grossière de ce phénomène. Or, ce rapport indique, s'agissant de l'aspect fiscal de la question, que c'est non pas le niveau absolu de tel ou tel impôt qui représente le point le plus gênant, mais l'addition de ces impôts, et que la mesure - et ce n'est pas simplement un trait facétieux ! - dont l'effet a été incontestablement le plus négatif - mais on ne peut pas nous en tenir comptables - c'est la fin du plafonnement de l'ISF par rapport aux revenus. Chacun s'y retrouvera !
Je répondrai brièvement à M. Delaneau, qui a évoqué les conséquences de la réforme de 1996 sur le débat d'orientation sur les finances publiques. Comme d'autres intervenants, il a souhaité que le débat porte sur l'ensemble.
Monsieur Delaneau, vous avez parlé de « trappes à inactivité », ce que j'appelle, moi, des « pièges à inactivité ». Ne croyez pas du tout que nous abandonnons cette voie ; si vous avez pu avoir ce sentiment, c'est que nous nous sommes mal exprimés. D'une part, le collectif lui-même contient la mesure d'abaissement des deux premières tranches de l'impôt sur le revenu, qui va en ce sens ; d'autre part, nous sommes en train de réfléchir à une réforme des allocations logement ; il y a en effet un problème aussi de ce point de vue, car les personnes ne sont pas traitées de la même façon, au regard de l'allocation logement, selon qu'elles sont ou non bénéficiaires du RMI.
D'une façon plus large, Mme Parly et moi-même réfléchissons à des mesures - pourquoi pas de type fiscal ? Mais c'est très compliqué - que nous pourrions proposer pour, précisément, aller plus loin dans l'encouragement à l'activité ou le « découragement » à l'inactivité.
Vous avez également souhaité - sur ce point, je ne peux que vous rejoindre - une plus grande transparence des comptes sociaux et une plus grande clarté dans les rapports entre l'Etat et la sécurité sociale. Nous avons d'ores et déjà fait un certain nombre d'efforts, mais il faut aller plus loin et, là-dessus, nos orientations se rejoindront totalement, je crois.
Devant rencontrer M. le Premier ministre, je n'ai pu écouter toute l'intervention de M. de Villepin, que j'avais d'ailleurs prié de m'excuser. Mais je sais que, comme très souvent, il a traité non seulement des affaires étrangères mais aussi des questions de défense.
Le niveau de consommation des crédits du ministère de la défense en 1999 a été assez spécifique. Les crédits prévus ont permis de faire ce qui était nécessaire. Depuis, le montant des engagements du ministère de la défense s'est sensiblement redressé pour atteindre, en 1999, le chiffre très important de 93 milliards de francs. Cette évolution va continuer, dans une moindre mesure, en 2000. Aussi, je dirai, répondant à la question précise posée par M. de Villepin, que le niveau des crédits de paiement prévu en loi de finances pour 2000 est suffisant au regard des besoins.
M. de Villepin a également évoqué les autorisations de programme, problème récurrent lorsque l'on parle des crédits de la défense, le respect de la loi de programmation militaire, tous points qu'il maîtrise parfaitement. Je crois qu'il n'y a pas du tout lieu de s'inquiéter. Simplement - et je vous renvoie au début de mon propos - examinant ce poste très important de nos dépenses publiques, les choix européens qui sont faits et les nouveaux programmes qui sont lancés, nous ne pouvons pas ne pas nous interroger sur la compatibilité entre, d'une part, tout cela et, d'autre part, les exigences que vous avez légitimement formulées quant à une bonne maîtrise des dépenses publiques. Comme je le dis parfois à Mme Parly, lorsque je suis de bonne humeur - cette formule vaut d'ailleurs bien plus pour elle que pour moi ! - la plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu'elle a ! (Sourires.)
M. du Luart a évoqué les travaux, confidentiels au demeurant, de la commission d'enquête qui a été formée sur la préparation et l'exécution de la loi de finances, estimant que l'Etat ne disait pas la vérité. Sur ce point, je ne veux pas entrer dans la discussion de fond pour la raison que je viens d'indiquer ; mais autant ce travail de transparence est parfaitement légitime, autant il n'est pas question - d'ailleurs vous ne le souhaiteriez pas, et le Gouvernement ne pourrait l'accepter - que cela modifie les rapports entre l'exécutif et le législatif. Il faut que chacun puisse travailler. Cela dit, nous essayons d'améliorer la transparence.
M. du Luart, ainsi qu'un autre intervenant, a considéré que le fait, pour le Gouvernement, de proposer maintenant une plus grande transparence signifiait que cette dernière n'était pas suffisante auparavant. Il est effectivement possible de présenter les choses ainsi ; mais, dans ce cas, il faut aller au bout du propos : lorsque tel ou tel d'entre vous considère que, depuis 1997, il n'y avait pas assez de transparence, je pense qu'il faut enlever les mots « depuis 1997 » et tailler plus large !
M. Adnot a bien voulu préciser son opinion quant à la responsabilité des pouvoirs publics dans le retour de la croissance et de la confiance. Il a félicité le Gouvernement, ce dont je le remercie.
Il s'est néanmoins inquiété du niveau et de l'utilisation de la dette, tout en nous incitant à nous montrer vertueux dans la gestion des fonds publics.Nous allons suivre son conseil !
M. Oudin a examiné les rapports entre la croissance et les comptes sociaux, et nombre de ses observations étaient parfaitement pertinentes.
Sa préoccupation quant à l'évolution des dépenses de santé est aussi celle de Mme Aubry, de Mme Parly, ainsi que la mienne.
Si nous enregistrons une amélioration indéniable des comptes de la sécurité sociale, nous sommes cependant confrontés à une difficulté persistante en matière d'assurance maladie. Mme Aubry a annoncé que des décisions seraient prises à la fin du mois de juin pour remédier à une évolution qui n'est pas satisfaisante. Soyez donc assurés, mesdames, messieurs les sénateurs, que le Gouvernement travaille sur ces sujets.
M. Delfau a bien voulu m'apporter un soutien dont je le remercie beaucoup. Il a abordé en peu de temps énormément de sujets. Je lui ai répondu d'une certaine manière sur la question du débat d'orientation budgétaire. Une partie de la question qu'il soulève ne se posera d'ailleurs plus dans le futur puisque nous avons pris l'engagement de présenter les lois de règlement en automne, avant le projet de loi de finances.
Quant aux collectifs, ils sont rares en début d'année. C'est lié à des circonstances particulières. Le vrai problème sera donc l'extension du champ du débat d'orientation budgétaire au domaine social. Mais, s'agissant de la liaison avec les autres textes, je crois que le problème ne se posera pas.
Faut-il faire un vote sur le débat d'orientation budgétaire ? Je n'en sais trop rien. Auriez-vous tous les éléments pour voter ? Un intervenant a même déclaré que, dans les conseils municipaux, cela se passait ainsi. (Non ! sur de nombreuses travées.) A ma connaissance, ce n'est pas le cas ! En tout cas, dans mon conseil municipal, un débat d'orientation budgétaire est organisé, mais il n'est pas procédé à un vote.
MM. Alain Lambert, président de la commission des finances, et Philippe Marini, rapporteur général. On n'est pas tenu de faire voter !
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Le vote apporterait-il quelque chose ? Evidemment, compte tenu du débat de ce soir, je suis persuadé que le Gouvernement aurait recueilli l'unanimité ! (Sourires.) Mais je ne suis pas sûr que les clivages seraient absolument différents de ceux que l'on observe en d'autres circonstances.
M. Delfau a bien voulu approuver les résultats gouvernementaux et a soulevé la question de la rémunération du livret A. Je précise qu'une réunion est prévue en juillet sur cette question que, bien sûr, je suis.
Comme d'autres sénateurs, il a rappelé la situation des collectivités locales que, d'une façon générale, vous trouvez - cela ne m'étonne d'ailleurs pas - très difficile en même temps que très méritoire. C'est un premier adjoint rétrogradé, qui a quand même été maire durant quelques années, qui vous parle.
Les élus locaux réussissent cette performance d'être rançonnés par l'Etat et, en même temps, d'investir beaucoup et de bien gérer les collectivités. Bravo donc !
S'il est vrai que les collectivités locales sont, en général, bien gérées et qu'elles sont des investisseurs publics tout à fait déterminants, je ne pense pas, en revanche - ce n'est pas simplement ma position actuelle qui me le fait dire - qu'elles puissent être considérées comme étant défavorisées par l'Etat. Un grand mouvement de décentralisation s'est produit, que, désormais, tout le monde approuve ; de plus, compte tenu de la masse de crédits engagés tant par les régions que par l'Etat dans les contrats de plan 2000-2006, il serait inexact de dire que l'Etat se désengage. S'il s'était désengagé, je suis sûr que les régions n'auraient pas signé ces contrats.
Il y a donc tout de même un gros effort, même si je peux bien sûr comprendre qu'il soit perçu comme insuffisant.
M. Delfau est revenu sur la question des services publics, qui lui tient à coeur, en particulier sur celle des postes. La directive qui vient d'être discutée au sein de la Commission européenne est extrêmement inquiétante. En effet, sans entrer dans les détails, je dirai que le fait de mettre en pièces le service public, appelé, en l'occurrence, « service universel », risquerait d'entraîner non seulement les conséquences en termes d'emplois que l'on peut imaginer, mais aussi des conséquences en termes de cohésion territoriale et de cohésion sociale absolument massives. Il importe de bien expliquer cela à nos collègues, ministres ou parlementaires, des autres pays qui, telles la Hollande ou l'Allemagne, par exemple, ne sont pas dans la même situation territoriale que la France du point de vue de l'aménagement du territoire.
Sans vouloir hiérarchiser les services publics, je dirai que nous constatons bien dans toutes nos communes, qu'elles soient rurales ou urbaines, le rôle de La Poste : non seulement un rôle en tant que tel, mais aussi un rôle social et un rôle d'aménagement du territoire absolument déterminants. M. Christian Pierret suit ce dossier ; il se bat avec force, à juste raison, sur ce sujet qui, à mon sens, est l'un des grands dossiers pour le Gouvernement français.
Si la poste française a su convaincre dix des quinze postes européennes qu'il fallait ne pas suivre les orientations de cette directive, les choses sont beaucoup plus difficiles au niveau des gouvernements. Il va falloir nous appuyer sur le Parlement européen qui, sur ce sujet, est beaucoup plus proche de nos thèses que la Commission, d'après ce que je comprends. En tout cas, pour l'administration du territoire, pour la réforme et la modernisation du service public, qui sont des thèmes auxquels vous êtes attachés, c'est tout à fait fondamental.
Mme Beaudeau a exprimé à la fois les objectifs de son groupe et ses analyses. Elle est revenue, avec raison à mon sens, sur le soutien à la consommation, sur le retour à l'emploi, sur la réduction des inégalités ; ce sont des thèmes qui nous rassemblent. Bien sûr, s'agissant du rythme et des priorités sur lesquels elle a insisté, on peut toujours faire mieux, et c'est l'esprit dans lequel doit travailler le Gouvernement. Je crois que sa préoccupation a été bien comprise.
Je voudrais souligner que, s'il faut se réjouir de la croissance mondiale, notamment américaine, il importe aussi de bien voir qu'elle est fragile. C'est un thème sur lequel vous avez insisté, et je crois que c'est tout à fait juste. La remontée du chômage sur une rive ou sur une autre de l'Atlantique n'est jamais une bonne nouvelle. Il faut donc faire attention, compte tenu, en plus, de l'aspect spéculatif que peuvent avoir un certain nombre de ces phénomènes.
En même temps, je pense que, de ce point de vue, la coordination des politiques économiques européennes peut constituer un atout, et tous les ministres de ce gouvernement vont donc essayer, à travers la présidence française, de se mobiliser dans ce sens.
M. Angels, qui a traité beaucoup de sujets, y compris celui des business angels (Sourires) , a bien voulu nous apporter son soutien, et je l'en remercie. Il a estimé que les résultats étaient encourageants. Il a parlé - j'ai retenu cette expression et, s'il ne prélève pas de droits d'auteur trop importants, Mme Parly et moi-même la reprendrons peut-être (Sourires) - du « cercle vertueux croissance - confiance - activité ». Il a donné une explication que je crois pertinente de la croissance ; il a insisté sur la maîtrise de la dette, sur la réforme de l'Etat et sur l'importance des nouvelles technologies, sur la réforme fiscale, sur la lutte contre les pièges de l'inactivité, sur l'UNEDIC, sur l'importance de l'écoute et de l'égalité des chances. Je ne l'étonnerai pas en lui disant que je me suis tout à fait retrouvé dans les propos qu'il a bien voulu tenir.
M. Badré a évoqué la réduction des prélèvements obligatoires. Il a repris le chiffre de 400 milliards de francs, mais ce dernier n'est pas plus exact dans ce cadre-ci que dans un autre cadre.
Il s'est montré critique sur la baisse de la TVA - comme plusieurs autres intervenants, d'ailleurs - en estimant que ce n'était pas la mesure la plus pertinente. Nous avons eu de longues discussions sur ce sujet, et cette décision correspond, indépendamment de toutes les analyses économiques que l'on peut faire et que nous faisons, à un engagement que nous avions pris. Or il est important aussi de tenir ses engagements électoraux ! Vous vous rappelez sans doute que l'une des mesures les plus contestées de la majorité précédente avait été l'augmentation de deux points du taux de TVA, et nous nous sommes engagés à la rapporter. Il y a donc eu un point de TVA à travers des mesures ciblées, et un second point vous sera proposé à travers la mesure générale que nous avons inscrite dans le collectif.
M. Badré a aussi souligné les risques de la conjoncture. Je suis d'accord avec lui, il ne faut pas tomber dans l'autosatisfaction ; je crois cependant que les risques inflationnistes dans la conjoncture présente ne sont pas grands en ce qui concerne la France !
Par ailleurs, il sait qu'il y a déjà eu une baisse assez forte de la fiscalité indirecte et, sur la baisse des dépenses publiques - puisque c'est un thème qu'il a aussi abordé -, les propositions de la commission des finances, si elles sont précisées, seront examinées avec beaucoup d'intérêt par Mme Parly et par moi-même.
M. Bourdin a fait une analogie entre la croissance actuelle et celle de la fin des années quatre-vingt.
Il y a effectivement des éléments d'analogie, mais il y a une différence, qui est la création de l'euro, et je crois que cette création - sur laquelle il ne m'est pas possible de revenir longuement - contribue l'un des éléments principaux de cette différence.
Par ailleurs, M. Bourdin a estimé que, plutôt que de baisser les impôts, il aurait été préférable de baisser les déficits de 40 ou 50 milliards de francs. Nous avons considéré qu'il fallait poursuivre les deux objectifs à la fois, ce qui n'est pas toujours facile tant il est vrai qu'on ne peut pas dire que les impôts sont trop élevés sans prendre des dispositions pour les réduire.
M. Descours est intervenu très précisément sur les aspects financiers, estimant que l'ONDAM dérapait. Je me suis exprimé sur les mesures qu'il fallait prendre et qui sont en préparation concernant l'assurance maladie.
Il considère qu'on ne peut pas additionner ce qui concerne la famille, la vieillesse et la maladie. Pourtant, il le sait bien, c'est une pratique constante depuis l'origine de la commission des comptes de la sécurité sociale ! C'est cette méthode qui peut montrer la forte amélioration des comptes depuis maintenant plusieurs années.
Il a tout à fait raison sur la coquille rédactionnelle à propos du financement du FOREC.
Sur le financement même du FOREC, sur le plan juridique, je rappelle après Mme Aubry que la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 prévoit que « les recettes et les dépenses du fonds doivent être équilibrées dans les conditions prévues par la loi de financement de la sécurité sociale ».
J'ajoute que, à cette époque de l'année, nous ne disposons pas encore des éléments suffisants pour apprécier le montant exact du déficit du fonds. En particulier - beaucoup d'entre vous l'ont d'ailleurs remarqué, mais n'en ont pas tiré les conséquences -, nous ne disposons pas à ce moment d'informations comptables exactes sur les montants constatés d'exonération. Les données que nous avons sont donc assez partielles et, en tout cas, ne permettent pas aujourd'hui de proposer au Parlement une modification des recettes du FOREC. Si une telle démarche s'avérait nécessaire, au vu de la gestion de l'année 2000, nous vous la présenterions bien évidemment dans un projet de loi d'ici à la fin de l'année.
M. Paul Girod a lui aussi abordé beaucoup de sujets en peu de temps.
Les informations transmises sont plus transparentes qu'auparavant. Cette transparence est-elle suffisante ? Nous essayons d'améliorer les choses !
Je lui ai répondu tout à l'heure sur la question des 215 milliards de francs, ramenés à 200 milliards puis à 195 milliards de francs. Il s'est aussi demandé comment on pouvait arriver à 0,3 % en volume. Or, chaque année, nous constatons un effort de redéploiement des dépenses de l'ordre de 30 milliards de francs, et nous avons anticipé le même effort pour l'année qui vient.
Il a posé la question des « trappes à inactivité », des collectivités territoriales et de la réforme des impôts locaux. Je ne répondrai pas en détail, parce que je m'aperçois que je suis déjà trop long.
M. Sergent a bien voulu souligner que la situation s'était améliorée et a marqué - ce qui sera rappelé dans quelques heures, mais qui mérite de l'être déjà - que, s'il y avait un collectif, c'est notamment parce qu'il y avait plusieurs milliards de francs de dépenses de solidarité à financer. On peut contester globalement ce chiffre, mais, si l'on entre dans le détail - comme vous le ferez -, on ne peut que l'approuver. Qui, parmi vous, voterait en effet contre l'inscription de crédits pourt réparer des dégâts causés par les tempêtes ? C'est tout de même l'aspect initial du collectif...
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Nous avons connu les décrets d'avance !
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Oui, mais ce n'est tout de même pas un bon système, surtout lorsque l'on est en début d'année !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Il faut surtout utiliser les recettes en surplus !
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. M. Sergent est revenu sur la question des collectivités territoriales, qu'il connaît admirablement ; il a posé la question de la loi sur l'intercommunalité, des SDIS, des services publics, de la nécessité de la bonne gestion. Il a fait des suggestions en matière de fiscalité locale, et nous les avons notées.
Je veux lui dire, mais peut-être le sait-il déjà, qu'un groupe de travail « planche » actuellement sur l'assujettissement de France Télécom à la taxe professionnelle. Ce n'est pas très facile, puisqu'il faut voir comment tout cela évolue dans le temps. En tout cas, je voulais le remercier de son soutien et des propositions qu'il a faites.
M. Fréville est intervenu de manière dense quoique rapide. Il a dit - et je ne le suivrai pas sur ce point - qu'il y avait un contraste entre la théorie que nous avons développée et le collectif, qui sacrifierait la réduction du déficit aux dépenses. Je ne crois pas que ce « contraste » apparaisse dans les chiffres. Un certain nombre de dépenses sont évidemment inscrites, mais j'ai dit à l'instant qu'elles étaient nécessaires ; mais, en même temps, nous prévoyons aussi une certaine réduction du déficit.
Je veux vous rassurer, monsieur Fréville : nous ne relâchons pas l'effort, et les propos que j'ai tenus ne sont pas des propos de tribune ; je les ai tenus parce que, comme beaucoup d'entre vous, je les crois justes.
Cela ne veut pas dire que ce sera facile à tenir et, lorsque Mme Parly et moi-même nous examinons les questions de la dette, les questions de dépenses militaires - évoquées tout à l'heure - les questions de fonction publique avec les évolutions de pouvoir d'achat, nous nous rendons bien compte que, sur d'autres postes, il faut être extrêmement rigoureux, et c'est d'ailleurs ce que nous disent nos collègues ministres dépensiers.
De même, je souhaite que vous ne vous inquiétiez pas sur la question de l'abandon des « pièges à inactivité », que nous ne négligeons nullement : au contraire, nous travaillons dans cette direction.
Puisque vous êtes un homme de chiffres, examinons les chiffres : il n'y a pas de relâchement entre le programme à moyen terme et le débat d'orientation budgétaire. Ainsi, dans le programme à moyen terme, le déficit des finances publiques, prévu en 1999 de 2,1, sera de 1,8 ; en 2000, prévu de 1,7, il sera de 1,5 ; en 2001, nous prévoyons 1,2.
L'essentiel de votre intervention consistait à nous rappeler, outre le discours, les actes. Nous veillons à ce que les actes soient en accord avec nos propos.
M. César est intervenu longuement et avec précision sur l'agriculture. Il ne le niait d'ailleurs pas tout à l'heure, avant de se retirer... pour réfléchir sans doute ! (Sourires.)
Dans son propos consacré à l'agriculture, il n'a pas fait les choses à moitié ! Je me retourne donc vers ceux de vos collègues qui dirigent la commission des finances pour leur demander d'intégrer ses considérations dans leurs réflexions sur la baisse des dépenses.
Quelles dispositions prendre dans le projet de loi de finances pour 2001 pour alléger les recettes fiscales sur les agriculteurs ? Quels crédits supplémentaires attribuer à la montagne ? Comment augmenter les crédits européens ? Comment doter d'une façon plus substantielle le fonds d'assurance récolte ? Comment améliorer les retraites agricoles ? Ce sont des questions parfaitement pertinentes, dont la réponse doit être rendue compatible avec la maîtrise des dépenses publiques.
M. Braun a soulevé, lui aussi, des questions parfaitement justifiées.
S'agissant de la politique de la fonction publique, il a affirmé - et je veux le détromper - que le Gouvernement avait renoncé à toute réforme de l'administration des finances. Non, monsieur Braun ; certes, il est vrai que la réforme préparée par mes prédécesseurs n'a pu voir le jour, pour des raisons sur lesquelles il serait trop long de revenir, mais j'ai présenté à la fin du mois d'avril au comité technique paritaire ministériel, de concert avec mes secrétaires d'Etat, nombre de décisions et d'orientations en matière de réforme. Je crois d'ailleurs vous avoir écrit à ce propos : un tableau de bord a été établi et, conformément à ce que j'avais prévu, nous avons nommé, ce qui s'est révélé très utile, un secrétaire général de l'administration, qui pourra suivre ce dossier.
Nous commençons - il faut, bien sûr, que cela se fasse dans le dialogue - à mettre en oeuvre tous ces éléments de réforme, en liaison avec les élus. De la sorte, si, comme me l'ont déjà signalé certains de vos collègues, vous êtes intéressé pour accueillir chez vous, dans votre département ou dans telle ou telle commune, une expérience pilote qui ensuite sera évaluée pour être éventuellement généralisée, je suis tout à fait disposé à vous entendre.
Quoi qu'il en soit, la réforme de l'administration des finances est bien une nécessité, et il n'est absolument pas question de ne pas y procéder.
Vous avez également posé des questions relatives à l'éducation nationale ainsi qu'aux retraites et aux pensions. Ce sont en effet des paramètres que nous devons, Mme Parly et moi, intégrer dans nos préoccupations. Il est vrai que cela représente de gros chiffres, que ce sont des masses considérables. C'est d'ailleurs l'une de nos contraintes et, quand nous faisons nos évaluations de 0,3 % en volume ou de 1,22 % en valeur, nous devons évidemment intégrer tout cela.
M. Darcos a traité d'un seul sujet - mais il est très important - à savoir le budget de l'enseignement.
Il a proposé, en gros, de limiter les dépenses. Mais le calcul devrait être fait, par exemple - je le dis au hasard ! -, de ce que cela représenterait dans son département ! Je suis sûr qu'en entrant en contact avec ses collègues parlementaires élus de la Dordogne il pourrait faire un calcul rapide pour voir ce que cela signifie en termes de diminution du nombre des enseignants ou de fermeture de classes.
Tout cela pour dire qu'il faut que nous travaillions à maîtriser la dépense publique, mais, vous le savez, ce n'est pas facile ; d'ailleurs, si c'était si facile, il est probable que cela aurait déjà été fait par l'un des gouvernements qui se sont succédé depuis quelques années.
Je n'en tire pas la conclusion - qu'il n'y ait pas de confusion entre nous, monsieur Darcos - qu'il y a un parallélisme absolu entre l'augmentation des dépenses et l'augmentation de l'efficacité du système. Toutefois, on ne peut pas non plus considérer que moins il y aura de dépenses plus le système sera efficace. Dès lors, nous risquerions, je le crains, d'aboutir assez vite à un mécanisme de blocage.
Enfin, M. Joyandet a souligné, à juste titre, que dans le budget la part de l'investissement public était faible. Mais il faut savoir que les dépenses strictes de la fonction publique représentent déjà 42 % du budget et qu'elles évoluent à un rythme nettement plus élevé que le rythme de 0,3 % en volume ou 1,2 % en valeur que nous avons fixé. D'un point de vue mécanique, cela signifie que la part de l'investissement ne peut pas avancer à la même vitesse ! Cela est d'autant plus regrettable que nombre de ces investissements sont tout à fait essentiels.
D'ailleurs, et c'est sur ce point que je conclurai, nous avons tous beaucoup insisté sur la nécessité de maîtriser les dépenses publiques, de diminuer les prélèvements, les impôts, et de réduire les déficits. Sur ces points, nous sommes nombreux à nous rejoindre. Pour autant, il ne faudrait pas que nos concitoyens aient le sentiment - en tout cas ce n'est pas le mien, ni le vôtre sans doute - que la dépense publique n'est pas utile. Certaines actions ne sont possibles qu'au travers de l'investissement public et de la dépense publique.
Le Gouvernement a déclaré qu'il fallait réduire les prélèvements obligatoires. Certes. Mais l'impôt n'en est pas moins utile. De même qu'il faut s'attacher à réduire les prélèvements, il faut s'efforcer d'expliquer mieux aux Français à quoi servent leurs impôts.
L'impôt serait beaucoup mieux accepté s'il était moins lourd, bien sûr, mais surtout si ceux qui l'acquittent savaient à quoi il sert. Nous avons là un grand travail à faire, sans démagogie. On dit parfois que c'est facile, même si les gens n'en croient rien. Mais, pour parler familièrement : celui qui supprimera les impôts n'est pas né !
Le scepticisme des contribuables est grand, mais il faut essayer de le surmonter en faisant oeuvre de pédagogie civique. C'est notre rôle d'élus d'expliquer à quoi servent les prélèvements, que ce soient les prélèvements d'Etat, les prélèvements sociaux ou les prélèvements locaux. Nombre d'entre nous le faisons déjà au plan local, nous devons nous efforcer de mieux le faire au plan national.
L'une des utilités de ce débat d'orientation budgétaire est de nous permettre d'échanger nos vues et - pourquoi pas ? - de mieux informer nos concitoyens sur ce que vous, mesdames, messieurs les sénateurs, vous pensez des choix qui doivent être faits en matière de financement public.
En tout cas, Mme Parly et moi-même, avons énormément apprécié les observations que vous avez pu nous présenter. Nous vous en remercions beaucoup. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Le débat est clos.
Acte est donné de la déclaration du Gouvernement, qui sera imprimée sous le numéro 384 et distribuée.

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