Séance du 06 juin 2000






ORIENTATION BUDGÉTAIRE

Suite du débat sur une déclaration du Gouvernement

M. le président. Nous reprenons le débat d'orientation budgétaire consécutif à une déclaration du Gouvernement.
Dans la suite du débat, la parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le ministre, je souhaite vous saluer au banc du Gouvernement à l'occasion de ce débat d'orientation budgétaire, après l'avoir fait au sein de notre commission. Je souhaite également vous dire que j'ai été sensible, comme beaucoup de mes collègues sans doute, à la reconnaissance que vous avez marquée pour la valeur du travail mené par notre assemblée et, un peu aussi, par notre commission. Cette reconnaissance est le gage, me semble-t-il, d'un dialogue fécond entre le Gouvernement et le Parlement, et ce pour le bien de la démocratie, pour le bien de la France et des Français.
Le regroupement des débats budgétaires est une bonne idée. Nous allons ainsi pouvoir observer ce qui s'est passé pendant trois ans, ce que vous vous proposez de faire au moins pour les deux années à venir ; nous allons pouvoir examiner la politique de finances publiques du Gouvernement sur la période allant de 1998 à 2003.
C'est aussi pour nous l'occasion de vous faire des suggestions. Il est vrai que, lorsqu'on est dans l'opposition, on est parfois soupçonné de critiquer exclusivement ce que la majorité propose. La culture de notre assemblée, notamment celle de notre commission, nous conduit chaque fois à formuler des propositions alternatives, sur lesquelles nous ne sommes naturellement pas toujours d'accord. Mais telle est la contribution que nous souhaitons verser au débat démocratique.
S'agissant d'abord de la méthode, monsieur le ministre, comme M. le rapporteur général vous l'a dit tout à l'heure, nous avons voulu marquer notre objectivité.
Il est vrai que, parce que nous sommes engagés dans la vie publique, nous avons nos convictions, lesquelles nous amènent parfois à porter des jugements sévères sur certaines situations. Nous avons donc demandé à des organes extérieurs de procéder à deux expertises indépendantes, afin de consolider la réflexion que nous menons.
L'Observatoire français des conjonctures économiques, l'OFCE, a d'ailleurs confirmé des hypothèses qui ont été retenues par le Gouvernement en matière de recettes fiscales. Il estime aussi les recettes supplémentaires des organismes de sécurité sociale à une somme comprise entre 14 milliards de francs et 25 milliards de francs, ce qui conduit à regretter l'absence de loi de financement rectificative pour la sécurité sociale ; je parle sous le contrôle de mon collègue Jean Delaneau, qui reviendra sans doute sur ce sujet tout à l'heure.
Nous déplorons aussi, comme M. le rapporteur général l'a dit, que nous n'ayons pas choisi ce moment-là - vous auriez ainsi complètement réussi ce rendez-vous, monsieur le ministre - pour avoir un débat consolidé sur les finances publiques.
Je rappelle que M. le président Poncelet, avant même que vous ne soyez installé dans vos fonctions, avait écrit au Premier ministre afin d'appeler son attention sur la nécessité de ne pas limiter le débat d'orientation budgétaire au seul budget de l'Etat. Il lui était apparu nécessaire, sans vouloir diminuer en aucune façon l'extrême importance de vos fonctions, monsieur le ministre, que soit présente à vos côtés Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité pour que nous puissions examiner l'ensemble des finances publiques. Par conséquent, je pense que vous pouvez faire encore mieux l'année prochaine. Il est toujours encourageant d'avoir devant soi des marges de progrès !
Quelle est la bonne politique des finances publiques selon la conception qui est la mienne, conception qui est, me semble-t-il, partagée par la majorité de la commission des finances ? Je reprendrai une partie des propos qu'a tenus tout à l'heure M. le rapporteur général.
Il nous faut, mes chers collègues, concilier deux objectifs : la baisse des impôts et un assainissement des finances publiques. Ces objectifs sont conciliables et j'essaierai de le prouver.
Tout d'abord, il faut réduire les prélèvements obligatoires. Tout le monde le dit ! Cela signifie donc que les Français supportent de moins en moins le niveau trop élevé des prélèvements obligatoires dans notre pays.
Cette baisse des impôts est nécessaire pour garantir la compétitivité de la France et pour améliorer la situation de l'emploi. J'ai d'ailleurs le sentiment que ce point de vue est partagé par tout le monde.
Ensuite, il importe de poursuivre l'assainissement de nos finances avec plus de détermination que n'en marque le Gouvernement, afin que nous soyons armés pour faire face aux aléas conjoncturels qui se présenteront inévitablement un jour et aux chocs structurels qui, eux, sont annoncés.
La clé pour réussir à concilier ces deux objectifs a priori antagonistes - baisse des impôts et assainissement des finances publiques - c'est naturellement la croissance. Or la croissance est là, forte et, semble-t-il, durable. Il reste à voir l'usage que le Gouvernement en fait et quel meilleur usage pourrait en être fait.
Sur les trois dernières années, les déficits ont certes été réduits - c'est un fait arithmétique - mais en augmentant les recettes, c'est-à-dire les impôts et les charges.
Pour les années à venir, le Gouvernement annonce une réduction des impôts, mais nous avons le sentiment, monsieur le ministre, que cette réduction se fera au détriment de l'assainissement des finances publiques. Pourtant, avec les mêmes hypothèses de croissance que celle du Gouvernement, les deux objectifs nous paraissent conciliables, à condition de prendre un autre chemin : une maîtrise plus exigeante des dépenses publiques et la baisse des charges salariales, qui, vous le savez, a notre préférence par rapport aux baisses d'impôt que vous nous proposez.
S'agissant de l'assainissement financier, depuis 1997, les déficits publics sont passés de 3 % du produit intérieur brut à 1,5 %, en principe, cette année, pour atteindre 0,3 à 0,5 % en 2003, ce qui, naturellement, va dans le bon sens. Mais pour obtenir cette amélioration, le Gouvernement a augmenté les prélèvements de 400 milliards de francs, et pas seulement grâce à cette bonne fée qu'est la conjoncture, mais grâce aussi à un relèvement du taux des prélèvements, qui est passé de 44,8 % à 45,7 % du produit intérieur brut.
Comparée à ses partenaires européens dont le niveau de vie et la qualité des services publics sont tout à fait comparables, la France prélève quatre points de richesse nationale supplémentaires pour ses administrations, soit environ 350 milliards de francs de plus qu'elle ne le ferait si elle se situait dans la moyenne européenne. Le fardeau de cette charge pèse sur la compétitivité de notre pays, il pèse sur l'emploi.
Certes, nous nous réjouissons des bonnes nouvelles sur le front du chômage. Mais, mes chers collègues, gardons à l'esprit les 2,5 millions de chômeurs et une situation de l'emploi qui reste parmi les plus mauvaises des grands pays industriels. Nous retrouvons, en fait, le niveau de chômage de 1991, époque où ne prévalait pourtant aucun triomphalisme - j'ai consulté les débats parlementaires d'alors.
M. Jacques Oudin. Très bien !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Nous étions plutôt mécontents, alors qu'aujourd'hui chacun semble se satisfaire du niveau du chômage. Le chômage de masse existe dans notre pays, et si nous ne réduisons pas de façon significative les prélèvements, nous buterons sur des seuils incompressibles beaucoup plus élevés qu'ailleurs.
Pour réduire le déficit, le Gouvernement - c'est notre sentiment, monsieur le ministre - s'est appuyé quasi exclusivement sur les fruits de la croissance. Au fond, il n'a accompli aucun effort sur le sujet.
Le déficit structurel, celui qui dépend de l'action politique du Gouvernement, ne se sera, en fait, que très peu amélioré de 1997 à 2001, passant de 1,9 % du produit intérieur brut à 1,5 %. En revanche, le solde conjoncturel, celui qui dépend de la situation économique du moment, sera, lui, passé de 1,6 % du produit intérieur brut en 1997 à un excédent de 0,3 % en 2001. Cette amélioration serait balayée au premier retournement de conjoncture. Vous nous avez d'ailleurs mis en garde tout à l'heure sur ce sujet.
Je n'affectionne pas particulièrement les comparaisons avec les gouvernements précédents, mais je dois dire que je n'ai pas aimé la simplification à laquelle, sur l'ensemble des travées, on s'est souvent abandonné sur ce sujet. En effet, confrontés à un déficit structurel de 5,4 % du PIB en 1993, qui ne leur était pas imputable, les gouvernements précédents ont ramené ce déficit structurel à 1,9 % du PIB en 1997, dans un contexte conjoncturel dont tout le monde s'accorde à reconnaître qu'il était difficile.
Ce travail ingrat n'a pas été reconnu par les électeurs, mais cela ne veut pas dire qu'il n'avait pas de valeur. Il a apporté une contribution décisive dans la qualification pour l'euro et il a permis de redresser la trajectoire quasiment mortelle dans laquelle étaient engagées nos finances publiques.
Voilà ce que je voulais dire s'agissant de la méthode du Gouvernement pour les trois années qui viennent de s'écouler. On constate, certes, une amélioration, mais celle-ci est due à la croissance. Le Gouvernement peut faire beaucoup mieux !
Qu'en est-il de la méthode que vous nous proposez pour le présent et pour l'avenir ?
Après une augmentation massive des prélèvements - tout à l'heure, je parlais de 400 milliards de francs - vous annoncez une baisse des impôts. Mais pour la première fois depuis l'exercice 1993 - le rapporteur général le soulignait il y a un instant - un collectif budgétaire prévoit une détérioration du déficit par rapport à l'année précédente : vous prévoyez toujours 215 milliards de francs en 2000, contre 206 milliards de francs en 1999. Dire qu'il sera finalement de l'ordre de 200 milliards de francs ne satisfait pas les exigences de sincérité d'une loi de finances. Pourquoi le Gouvernement ne nous dit-il pas d'où viendra cette amélioration de 15 milliards de francs entre les 215 milliards de francs qui restent inscrits et les 200 milliards de francs que vous pronostiquez ?
L'OFCE nous indique que, sous réserve de conditions très favorables, les recettes pourraient encore être majorées d'une dizaine de milliards de francs. Mais, dans cette hypothèse optimiste, le compte - mon compte, en tout cas - n'y est toujours pas : le déficit serait de 5 à 6 milliards de francs supérieur aux 200 milliards de francs annoncés.
Faut-il, dès lors, s'attendre à des réductions de dépenses ? Personnellement, cela ne me choquerait pas. Faut-il espérer d'autres recettes qui ne nous sont pas connues aujourd'hui ? Je souhaite, monsieur le ministre, que vous puissiez nous donner des éclaircissements sur ce sujet.
J'en conclus que le Gouvernement réduit les impôts en quelque sorte à crédit et qu'il abandonne en partie ses objectifs d'assainissement budgétaire.
A tout prendre, monsieur le ministre, si cette méthode de baisse des impôts à crédit doit être utilisée, qu'elle le soit alors au profit du seul objectif qui rassemble tous les Français sans exception : l'emploi.
Dans cette logique, baisser la TVA n'est pas, à mes yeux en tout cas, prioritaire.
Le Conseil d'analyse économique lui-même, s'il plaide pour la réduction de l'impôt sur le revenu, plaide tout autant pour les allégements de cotisations sociales sur les bas salaires en réservant les baisses de TVA à des allégements ciblés sur les secteurs à forte intensité de main-d'oeuvre.
A ma demande, le Centre d'observation économique, le COE, a comparé les effets de deux politiques de baisse des prélèvements - c'est la partie « proposition » que nous voulions vous faire, monsieur le ministre -, à savoir une association baisse de l'impôt sur le revenu - réduction d'un point du taux de TVA, comparée à la même baisse de l'impôt sur le revenu associée à une baisse des cotisations sociales.
Corroborant les travaux du Conseil d'analyse économique, cette étude démontre que l'effet sur le chômage d'une réduction des cotisations sociales est très supérieur à celui d'une baisse de la TVA. Ainsi, une baisse de l'impôt sur le revenu de 8 % associée à une réduction des cotisations sociales de 40 milliards de francs réduirait en quatre ans le chômage d'environ 600 000 personnes, alors que la même baisse d'impôt sur le revenu associée à la baisse du taux de TVA ne réduirait le chômage que de 125 000 personnes environ.
Même si, sur le plan des principes, je ne suis pas opposé à la réduction du taux de la TVA, cette réduction - c'est, encore une fois, une proposition alternative - n'est pas, selon moi, prioritaire par rapport à la résorption du « coin socio-fiscal » qui accable le coût du travail en France.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Très bien !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Mais la priorité de la politique fiscale du Gouvernement, comme M. le rapporteur général le soulignait tout à l'heure, apparaît, y compris pour des observateurs qui ne vous veulent aucun mal, comme une forme de saupoudrage de petits avantages qui semble lié à la conjoncture électorale.
Monsieur le ministre, vous aviez bien raison d'affirmer à plusieurs reprises, alors que vous étiez président de l'Assemblée nationale - et vous l'avez encore fait très courageusement tout à l'heure -, qu'il n'est pas possible, dans un Etat en déficit, de réduire sérieusement et sincèrement les prélèvements sans maîtriser la dépense. Certes, réduire les dépenses publiques est un exercice difficile, nous le savons tous, par crainte non seulement du mécontentement social - nos compatriotes ne croient pas que cette diminution soit un bienfait pour eux ; ils se trompent, mais peut-être ne le leur dit-on pas assez -, mais aussi des effets récessifs parfois constatés.
C'est pourquoi, pour mener une politique de retour à l'équilibre des finances publiques d'ici à 2003, il est indispensable, selon le programme de stabilité « alternatif » que nous proposons, de mener une politique de réduction des prélèvements obligatoires tournée vers l'emploi et efficace pour l'emploi.
Le Centre d'observation économique a simulé la combinaison d'une réduction volontariste des prélèvements obligatoires à l'horizon 2003, ramenant le taux à 42,8 % du produit intérieur brut au lieu des 43,7 % prévus par le Gouvernement, avec une résorption totale des déficits publics.
Il n'y a pas de secret : dans cette hypothèse, il faut réduire les dépenses de l'Etat ; pas de beaucoup, d'ailleurs : moins de 1 % en volume par an. Quel Français doutera de la possibilité de réduire les dépenses de 1 % ? Nous sommes timorés en la matière. Si le prix à payer pour le retour à l'équilibre de nos finances publiques est la réduction de 1 % en volume par an, je suis convaincu que les Français y sont prêts. Les éventuels effets récessifs que vous pouvez craindre peuvent, à mes yeux, être évités grâce à la réduction des charges sociales.
M. Emmanuelli, président de la commission des finances de l'Assemblée nationale, l'a dit à plusieurs reprises : « La baisse des impôts n'est pas une fin en soi, ce qui importe, c'est l'emploi. » C'est notre point de vue, mais il convient d'ajouter qu'il faut aussi préparer l'avenir, car il n'est pas possible de renvoyer aux générations futures ce que nous ne voulons pas et ce que nous n'acceptons pas d'assumer nous-mêmes.
M. Jacques Oudin. Très bien !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. A ce propos, j'avais pris le risque de prévoir que l'impasse sur les retraites pourrait s'élever à 5 000 milliards de francs à l'horizon du prochain siècle. Monsieur le ministre, j'aimerais connaître votre sentiment sur cette estimation.
Lorsque l'on prend en compte tous ces chiffres, n'est-il pas grand temps de redresser avec ardeur nos finances publiques pour aborder cette immense difficulté dont nous connaissons tous l'échéance ?
Réduire les dépenses de l'Etat, alléger les charges pesant prioritairement sur le travail, revenir à l'équilire en 2003 : tels sont les trois axes que notre commission recommande pour les finances publiques à moyen terme. Telles sont les condictions d'une politique volontariste, tournée en priorité vers l'emploi, offrant aux générations futures leurs meilleures chances d'avenir. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants, du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les sujets que le président et le rapporteur général de la commission des finances viennent, avec la compétence et le talent qui les caractérisent, d'aborder si excellemment. Et, monsieur le ministre, je ne reviendrai pas non plus sur l'intéressant débat relatif à la meilleure façon d'utiliser la cagnotte que, ministre heureux, vous serrez dans les bras.
Je voudrais consacrer le temps de ma brève intervention à l'avenir, à cette « nouvelle économie » qui suscite tant de commentaires dans la presse et tant de spéculation à la Bourse.
Elle est devenue, en quelques années, un puissant accélérateur de croissance, en même temps qu'un facteur essentiel de la compétitivité des entreprises.
Elle tend même à esquisser une nouvelle hiérarchie entre les nations. Deux petits pays, la Finlande et Israël, dont personne ne songeait hier à évoquer le potentiel, émergent aujourd'hui à la puissance économique pour la seule raison qu'ils se situent dans le peloton de tête des nations qui excellent dans les nouvelles techniques de la communication.
Comment, dès lors, mes chers collègues, ne pas se demander où en est la France et si elle a pris un bon départ dans une course qui s'annonce décisive ?
Pour répondre à cette question, la commission des affaires économiques et du Plan du Sénat a demandé à un groupe de travail de lui faire un rapport sur un aspect spécifique, mais en même temps stratégique, de cette compétition : l'émigration des jeunes Français, grands cadres et créateurs d'entreprise, qui choisissent de tenter l'aventure de la nouvelle économie aux Etats-Unis ou en Angleterre plutôt qu'en France.
La presse cite le chiffre de 40 000 chefs d'entreprise français installés en Californie et bien davantage établis à Londres. Elle va jusqu'à évoquer une hémorragie comparable à celle qui avait suivi la révocation de l'édit de Nantes et qui, à l'en croire, pénaliserait la France d'aujourd'hui autant que l'exode d'hier avait affaibli la France de l'Ancien Régime.
Pour en avoir le coeur net, le groupe de travail de la commission s'est rendu en Californie et à Londres. Il a interrogé les services de l'Etat, y compris les vôtres, monsieur le ministre, ainsi que les écoles techniques, les écoles de commerce et nos grandes écoles. Il a entendu des dizaines de créateurs d'entreprise ainsi que leurs associations.
Je voudrais, en quelques mots, vous faire part de ses conclusions, parce que je crois que le sujet est stratégique.
Première question : combien sont-ils, ces jeunes qui quittent la France ?
Je vous rassure tout de suite : il n'y en a pas 40 000 en Californie, ni 200 000 en Grande-Bretagne. Ces chiffres n'ont pas été inventés, mais ils concernent le nombre total de Français installés sur la côte Ouest des Etats-Unis ou de l'autre côté de la Manche et non pas les seuls grands cadres et créateurs d'entreprise.
Personne, à vrai dire - cela a été l'une de nos surprises - n'est en état d'évaluer de façon précise et fiable le nombre des Français installés à l'étranger. Nos consulats ne connaissent que les Français immatriculés. Or la majorité de nos concitoyens ne se font pas connaître, soit parce qu'ils n'en voient pas l'utilité, soit peut-être parce qu'ils se méfient de la longue cuillère de vos services fiscaux.
Mais toutes les indications convergent sur un point : nous sommes en présence d'une véritable vague, massive et diversifiée en direction de l'Angleterre, importante, mais plus sélective, en direction des Etats-Unis. Nos services consulaires, qui reconnaissent eux-mêmes qu'ils en sous-estiment l'importance, évaluent à 30 % l'augmentation du nombre des Français installés en Californie et en Grande-Bretagne au cours des cinq dernières années.
Deuxième question : qui sont ces jeunes ?
Comme on peut l'imaginer, toutes les catégories sont représentées, notamment en Grande-Bretagne, y compris des jeunes sans qualification, à la recherche d'un premier emploi ou d'un apprentissage de l'anglais.
Mais, pour l'essentiel - et c'est ce qui compte -, il s'agit d'une élite de diplômés disposant d'une solide culture informatique, acquise en France, dont la qualité, il faut le savoir, est mondialement reconnue. Une élite qui possède aussi un tempérament d'entrepreneur et qu'attirent les facilités qu'offrent aux créateurs les Etats-Unis et la Grande-Bretagne.
C'est peu dire que l'Amérique lui ouvre ses bras avec une dangereuse efficacité. Ses services de l'immigration ont enregistré une augmentation de 60 %, au cours des années 1990, des visas de longue durée accordés à des Français en raison de leurs compétences professionnelles.
Troisième question : pourquoi ces jeunes quittent-ils la France ?
Leurs motivations sont variables.
Il y a la volonté d'acquérir une expérience internationale devenue nécessaire à la réussite dans une économie en voie de mondialisation.
Il y a l'attrait que le monde anglo-saxon exerce sur l'élite de notre jeunesse à cause du vaste marché que les nouvelles technologies s'y sont taillées et à cause de l'esprit entrepreneurial qui y règne.
Mais, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, tous ceux que nous avons interrogés ont, sans exception, cité comme raison principale de leur choix la recherche d'un environnement administratif et fiscal plus accueillant que celui qui leur est offert en France. Je le dis, croyez le bien, sans plaisir. Mais le fait est là : si la France perd une partie de sa jeune élite, c'est parce que celle-ci, à tort ou à raison, se détourne d'un environnement qui lui semble bureaucratique et peu favorable à la création de richesses, d'un environnement où l'initiative individuelle lui paraît bridée, la réussite suspectée et traquée par le fisc.
Quatrième question : les pouvoirs publics ont-ils pris des mesures pour stopper cet exode ?
La réponse, mes chers collègues, est oui.
Des mesures ont été prises, au cours des dernières années, par vos prédécesseurs, monsieur le ministre, et elles sont loin d'être négligeables.
Elles ont permis de développer de façon très importante le capital-risque.
Elles ont facilité efficacement la coopération entre l'université et la recherche, d'une part, et les entreprises, de l'autre.
Elles ont, pour les entreprises naissantes, aménagé la réglementation des stock-options pour la rendre plus ou moins comparable - quoique nettement en retrait - à celle qui existe aux Etats-Unis, mais, pour les autres entreprises, le régime français est, vous le savez, monsieur le ministre, fort peu compétitif, d'autant que l'Assemblée nationale vient de le rendre plus rigoureux et, par conséquent, moins attractif encore.
Ces mesures sont bienvenues, mais elles sont loin d'être suffisantes, et cela pour deux raisons.
D'une part, nos voisins - je pense ici à la Grande-Bretagne et à l'Italie - viennent d'abaisser radicalement leur fiscalité sur les stock-options, ce qui accroît le décalage dont souffre notre pays.
D'autre part, il ne suffit pas de favoriser la création d'entreprises. Encore faut-il retenir les créateurs qui réussissent, ne serait-ce que parce que c'est la catégorie la plus intéressante pour la collectivité nationale. Or les taux de nos prélèvements obligatoires auxquels il vient d'être fait allusion - l'impôt sur le revenu, l'ISF, les prélèvements sociaux - les invitent littéralement à s'expatrier.
L'ISF est une imposition particulièrement mal adaptée aux entreprises, d'après ce que nous ont dit leurs créateurs, et j'avoue que je ne l'avais pas bien perçu jusqu'à présent. Les entreprises dont la valorisation, souvent spéculative, est très élevée ne font toutefois pas de bénéficies pendant longtemps. Or le créateur, à la suite du « énième tour de table », ne détient souvent plus les 20 % du capital de son entreprise nécessaires pour que celle-ci soit reconnue comme outil de travail, de sorte que le créateur devient passible de l'ISF dès lors que les actions de sa société ne représentent plus 75 % de ses actifs. Il acquitte l'impôt, mais son entreprise ne génère pas de bénéfices.
Est-il besoin de rappeler qu'à cela s'ajoutent les 35 heures, les charges sociales et la législation du travail ?
Les jeunes qui quittent la France ont fait leurs comptes. C'est moins tel aspect particulier de notre réglementation fiscale ou sociale qui détermine leur choix que l'attrait général qu'exerce sur eux l'environnement anglo-saxon, où la compétition est certes très rude, mais où la réussite est possible et où elle est généreusement recompensée.
Cinquième et dernière question : quelle attitude les pouvoirs publics devraient-ils adopter face à cette émigration ?
En première analyse, on peut naturellement se réjouir d'une ouverture sur l'étranger, qui est nouvelle et qui tranche heureusement sur un comportement casanier qui a longtemps prévalu et que nous avons unanimement déploré.
Mais, à y regarder de plus près, il apparaît que la France gâche, par sa faute, l'atout majeur que constitue, à l'heure où l'économie valorise les savoirs comme elle ne l'avait jamais fait auparavant, l'excellence des formations que notre pays dispense dans le secteur des nouvelles technologies.
Nous sommes si habitués à critiquer notre enseignement que nous avons tendance à sous-estimer la qualité de celui que prodiguent nos grandes écoles et nos instituts spécialisés en informatique. Mais le fait est que la France possède ce que tous les pays recherchent aujourd'hui : une des élites technologiques les plus performantes de la planète. Or, disons-le brutalement : cette élite, nous la bradons.
Le monde anglo-saxon, en raison de l'avance qu'il a prise dans les nouvelles technologies, de son environnement entrepreneurial et des privilèges fiscaux qu'il offre aux créateurs d'entreprise - je viens de le rappeler - exerce sur cette élite une attraction puissante. La qualité de vie qui existe en France et qui est notre meilleur atout compenserait peut-être cette attraction si notre pays, par une fiscalité qui est ressentie, à tort ou raison, comme confiscatoire, ne poussait pas littéralement au départ ses meilleurs éléments.
Numériquement. l'émigration de ces jeunes peut paraître relativement faible : elle est de l'ordre de 10 000 sans doute vers l'ensemble du monde anglo-saxon. Mais ces chiffres n'ont de signification que relativement à l'importance de l'élite dont ces jeunes sont issus. Or, Mme Lebranchu, aux états généraux de la création d'entreprise, en avril de cette année, évaluait à 6 % l'effectif des jeunes ingénieurs et à 3 % celui des anciens élèves des écoles de commerce qui créent une entreprise. Il s'agit donc d'une infime minorité, par rapport à laquelle l'hémorragie dont je parlais est significative.
Autant dire, monsieur le ministre, qu'il est urgent de porter sur l'émigration des cadres de haut niveau et des créateurs d'entreprise un regard lucide et donc clairement critique. Telle est la conclusion que le groupe de travail présentera demain à la commission des affaires économiques du Sénat.
Ces conclusions et les attendus administratifs et fiscaux sur lesquels elles se fondent peuvent, je le comprends, heurter la sensibilité de ceux qui placent l'égalité au-dessus de l'efficacité économique. Qu'il faille trouver un juste équilibre entre ces deux préoccupations, chacun en conviendra évidemment. Mais pour rétablir un équilibre dans l'intérêt du pays, il est essentiel et urgent, monsieur le ministre, que la France crée et offre un environnement que les jeunes qui veulent entreprendre, innover et créer ressentent comme aussi attractif que celui qui leur est offert aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. Il y va de la compétitivité et donc de la croissance économique à moyen terme de la France. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. Il est habituel de se féliciter du débat d'orientation budgétaire, qui est une heureuse originalité française. Vous avez bien voulu prendre la précaution, au moins oratoire, monsieur le ministre, de ne pas en faire un exercice d'autosatisfaction, ce dont nous vous remercions.
Mais, pour sa part, la commission des affaires sociales ne peut que répéter les raisons qui la poussent à juger l'exercice du débat d'orientation budgétaire quelque peu dépassé.
A l'évidence, toutes les conséquences de la réforme de 1996 et de la discussion, chaque année, d'un projet de loi de financement de la sécurité sociale n'ont pas encore été tirées.
A l'évidence encore, le solde des administrations publiques, dit « solde de Maastricht », reste quelque peu ignoré, alors que les soldes des administrations de sécurité sociale et des collectivités locales ont compté pour beaucoup dans la qualification à l'euro.
Ce solde ne présente pas seulement une signification historique. Par le « programme pluriannuel des finances publiques », la France a pris des engagements qu'il convient désormais de tenir.
Il est donc important que le débat d'orientation budgétaire se transforme en un débat d'orientation sur les finances publiques, incluant plus explicitement les finances sociales, comme le demandent M. le rapporteur général et M. le président de la commission des finances.
Ce débat d'orientation sur les finances publiques pourrait servir de débat préparatoire à la fois au projet de loi de finances et au projet de loi de financement de la sécurité sociale. Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité aurait dès alors naturellement sa place au banc du Gouvernement. Dès le mois d'octobre 1999, cela a été également rappelé, je m'étais rapproché de M. le président du Sénat et de M. le président de la commission des finances, dont je sais qu'ils partagent l'un et l'autre ce point de vue de bon sens. La démarche qui a été entreprise, tant auprès de M. le Premier ministre qu'auprès de M. le ministre chargé des relations avec le Parlement, tendant à approfondir les conditions dans lesquelles se déroule ce débat d'orientation budgétaire, n'a pu aboutir cette année. Nous le regrettons.
Ce débat reste donc inchangé. A titre d'exemple, les documents présentés au Parlement ne prennent pas en compte la réunion de la commission des comptes de la sécurité sociale du 22 mai 2000. Celle-ci n'a du reste porté que sur les seuls comptes du régime général et n'a procédé à aucune actualisation des objectifs de dépenses et des prévisions de recettes retenues par la loi de financement pour 2000. Nous ne disposons pas, par exemple, d'une actualisation des recettes et des dépenses du fonds de financement des trente-cinq heures, dénommé FOREC. Cette actualisation s'imposait pourtant, le Conseil constitutionnel ayant annulé en janvier dernier l'une des recettes de ce fonds : la taxe sur les heures supplémentaires.
La commission des affaires sociales persiste dans son souci d'exercer un suivi attentif, tout au long de l'année, de l'exécution de la loi de financement. Elle a ainsi souhaité exercer les prérogatives qui lui sont reconnues par la loi de financement de la sécurité sociale pour 1997 en procédant à trois missions de contrôle sur place et sur pièces. Les investigations de nos rapporteurs, MM. Charles Descours, Jacques Machet et Alain Vasselle, ont porté sur la mise en place de la couverture maladie universelle, les difficultés de fonctionnement dans les caisses d'allocations familiales et la gestion des exonérations de cotisations de sécurité sociale.
Par ailleurs, M. Charles Descours présentera un avis oral sur le collectif budgétaire de printemps pour insister sur la nécessaire cohérence entre comptes sociaux et comptes de l'Etat.
Ces travaux d'analyse et de contrôle ont donné lieu à un rapport d'information qui a été publié la semaine dernière.
Enfin, le 13 juin prochain, notre commission entendra Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité sur l'évolution tant des recettes que des dépenses du projet de loi de financement pour 2000.
Il reste que le document présenté par le Gouvernement pour le présent débat appelle de ma part quatre observations.
La première porte sur le retour à l'emploi.
Le rapport du Gouvernement comporte un encadré tout à fait intéressant, intitulé : « La faiblesse des taux d'emplois résulte aussi des "trappes à inactivité". » Il en ressort un constat pour le moins inquiétant : notre système est ainsi construit que des agents économiques n'ont bien souvent qu'un intérêt minime à reprendre une activité salariée.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances, et M. Philippe Marini, rapporteur général, ont fait récemment des propositions sur le « revenu minimum d'activité », qu'il convient d'étudier de manière approfondie. La commission des affaires sociales s'y attachera dès la prochaine session parlementaire, sur le rapport de notre collègue Philippe Nogrix.
La deuxième observation a trait à l'excédent des administrations de sécurité sociale. Le solde positif obtenu en 1999, soit 0,2 % du PIB, contribue fortement à la réduction du besoin de financement de l'ensemble des administrations publiques.
Mais ce « solde » des administrations publiques de sécurité sociale n'est qu'un agrégat. Il s'obtient par la contraction de « plus » et de « moins ». Il s'explique avant tout par l'important excédent de l'ARRCO, l'association des régimes de retraites complémentaires obligatoires des salariés. Cet excédent - obtenu grâce à la réforme courageuse découlant des accords de 1996 - n'a pas d'autre objet que de préparer le choc à venir des retraites, comme le précise d'ailleurs le rapport présenté par le Gouvernement.
Le régime général de sécurité sociale serait à l'équilibre en 1999. Le surplus de recettes provenant de la fiscalité affectée a permis de « compenser » le dérapage des dépenses. L'équilibre global rend compte de la situation excédentaire des branches famille, accidents du travail et vieillesse, mais masque le lourd déficit de l'assurance maladie : plus de 9 milliards de francs.
Pour 2000, un excédent de 5 milliards de francs est désormais prévu. Il s'explique quasi intégralement par l'excédent de la branche famille. La branche maladie reste déficitaire, malgré quatre années de croissance ininterrompue et l'alourdissement des prélèvements à son profit.
L'excédent des administrations de sécurité sociale ne doit pas, en outre, faire oublier le montant de la dette sociale. La commission des affaires sociales a entendu récemment le président de la Caisse d'amortissement de la dette sociale, la CADES. Il reste une dette de près de 300 milliards de francs à rembourser d'ici au 31 janvier 2014. Au moment où certains s'enthousiasment à l'idée d'un fonds de réserve de 1 000 milliards de francs, il était nécessaire de le rappeler.
Ma troisième observation porte sur le décalage entre le discours et les faits. En effet, dans le cadre de la programmation pluriannuelle des finances publiques, des engagements ont été pris, en décembre 1998, sur l'évolution des prestations des administrations de sécurité sociale. Le rapport présenté par le Gouvernement rend compte de ces engagements. Je le cite : « Les dépenses maladie évolueraient en ligne avec l'Objectif national des dépenses d'assurance maladie fixé en loi de financement de la sécurité sociale et respecteraient en 2001 l'objectif défini par le programme pluriannuel de finances publiques, soit 1,5 % en volume.
Pourtant, je constate que le même Gouvernement a anticipé, à l'occasion de la réunion de la commission des comptes de la sécurité sociale du 22 mai 2000, un dérapage de l'ONDAM 2000 de 3,5 milliards de francs. Ce dérapage n'est pas seulement passif, puisque le plan pour l'hôpital de mars dernier a un effet sur l'ONDAM de plus d'un milliard de francs.
Nous sommes en droit de nous poser plusieurs questions : où se situe la cohérence de l'action gouvernementale ? Le rapport présenté à la commission des comptes de la sécurité sociale le 22 mai 2000 annule-t-il et remplace-t-il le document présenté aux parlementaires pour le débat d'orientation budgétaire ? Quels sont les moyens qui permettront au Gouvernement de respecter ses engagements en 2000 et en 2001 ?
Ma quatrième observation porte sur l'imbrication entre les finances de l'Etat et les finances sociales.
Il me semble que les finances de l'Etat et celles de la sécurité sociale ont tout intérêt à être mieux identifiées, pour être plus lisibles. J'ai bien noté, monsieur le ministre, l'encadré relatif aux transferts de l'Etat vers les administrations publiques locales et vers les administrations de sécurité sociale. Mais cet encadré mélange des flux financiers de nature différente et passe sous silence les dettes de l'Etat à l'égard de la sécurité sociale.
Il mélange tout d'abord des flux financiers de nature différente.
La prise en charge de l'allocation aux adultes handicapés par l'Etat représente un versement de 25 milliards de francs à la Caisse nationale des allocations familiales, la CNAF. Mais cette allocation n'est pas véritablement une prestation sociale. Son statut ambigu en fait, avant tout, un minimum social.
Vient ensuite le remboursement à la sécurité sociale des exonérations de cotisations. En application de la loi du 25 juillet 1994, dite loi Veil, l'Etat compense à la sécurité sociale les exonérations qu'il décide. Ces exonérations ne correspondent ni à une demande de la sécurité sociale ni à un besoin des assurés sociaux. Elles s'expliquent par le niveau élevé des charges en France. Ce n'est donc pas, pour l'Etat, une charge indue.
Les versements aux régimes spéciaux sont également mentionnés. Leur traitement est effectivement insuffisamment individualisé tant dans le budget de l'Etat que dans la loi de financement de la sécurité sociale. Une plus grande transparence serait certainement nécessaire.
Mais cet encadré passe en outre sous silence les dettes de l'Etat vis-à-vis de la sécurité sociale : sous-estimation de la masse salariale de la fonction publique, exonérations de cotisations sociales non compensées antérieures à la loi du 25 juillet 1994, interprétation à nos yeux contestable de cette loi sur les majorations de taux d'exonérations et sur les prorogations de dispositifs survenues après son entrée en vigueur, dettes pour les préretratés de l'ARRCO et de l'AGIRC.
Nous ne pourrons prétendre aborder une problématique des finances publiques qu'à la condition de mieux distinguer les finances sociales des finances de l'Etat, de simplifier les mécanismes de financement et d'arrêter d'opérer des branchements et de mettre en place des tuyauteries diverses, qui affectent la lisibilité des prélèvements qu'acquitte le contribuable.
A cet égard, la confusion entre politique de l'emploi et financement de la sécurité sociale, à travers la création du FOREC et du basculement du financement des 35 heures sur la loi de financement de la sécurité sociale, est infiniment regrettable.
Mieux distinguer les finances sociales des finances de l'Etat consiste également à créer un véritable régime de retraite de la fonction publique d'Etat. Dans le cadre de la réforme des retraites, il s'agit d'un élément de transparence essentiel. Il existe une caisse de retraite pour les agents de la fonction publique hospitalière et territoriale, la CNRACL. Pourquoi n'existerait-il pas de caisse de retraite pour les fonctionnaires d'Etat, faisant apparaître les cotisations employeurs ?
Telles sont les observations que je souhaitais formuler dans ce débat d'orientation budgétaire, qui, je l'espère, évoluera rapidement vers un véritable débat d'orientation sur les finances publiques. Tout milite dans ce sens. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, au nom de notre commission, j'aborderai deux thèmes essentiels : les crédits consacrés à la défense, d'une part, les crédits consacrés au ministère des affaires étrangères, d'autre part.
Il n'est pas fréquent d'avoir la possibilité d'aborder ces sujets directement avec le ministère de l'économie et des finances bien que ce puissant département ministériel tienne, sur ces deux sujets comme sur d'autres, et par-delà les efforts de chacun des ministères compétents, un rôle essentiel qui, je ne vous le cache pas, ne correspond pas toujours aux voeux de la majorité de notre commission.
A propos des crédits militaires, que j'aborderai en premier, je souhaiterais formuler quatre observations.
Ma première observation sera pour souhaiter que le budget 2001 de la défense soit en cohérence politique et financière avec les développements ambitieux dans lesquels l'Union européenne s'est lancée depuis les Conseils de Cologne et d'Helsinki l'an passé, développements particulièrement positifs d'ailleurs et dans lesquels la France peut s'enorgueillir d'avoir joué un rôle important.
Dans ce contexte, la nécessaire augmentation des capacités militaires européennes impose un effort de chacun et, pour la France, cela signifie à tout le moins le respect des engagements pris lors de la dernière loi de programmation, affinés en 1998. Cela signifie également que, après avoir apporté une contribution considérable à la réduction des déficits, le budget d'investissement de la défense mérite aujourd'hui, au moins autant que d'autres, de retirer les bénéfices du nouvel environnement favorable de nos finances publiques.
Or, et c'est ma deuxième observation, le budget de la défense pour 2000 en cours d'exécution a été construit une nouvelle fois sur la base d'une réduction des crédits d'équipements, au motif, principalement, que les armées seraient incapables de consommer dans l'année l'intégralité des dotations prévues par la loi de programmation.
M. Serge Vinçon. C'est incroyable !
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères. Cet argument étonnant, que l'on invoque depuis plusieurs années, s'il était repris pour la préparation du budget 2001, nous entraînerait une nouvelle fois dans une logique de réduction des crédits d'investissements militaires, par ailleurs régulièrement obérés en cours d'exercice par les diverses régulations ou transferts de crédits.
Sans nier la réalité du constat relatif au rythme de consommation des crédits par les armées elles-mêmes, réalité que la délégation générale pour l'armement et les états-majors s'efforcent, je l'espère, de corriger, nous nous interrogeons sur les éventuelles responsabilités en la matière qui pourraient être également partagées par le ministère des finances. J'aimerais que l'on éclaire sur ce point assez technique la réflexion de la représentation nationale, qui reste perplexe sur les causes réelles de cette sous-consommation de crédits et sur les remèdes qu'il est, à mon sens, urgent d'y apporter.
Ma troisième observation concerne les commandes globales.
Nous sommes nombreux à nous féliciter du développement dont elles font l'objet, la dernière en date concernant la commande, d'un montant de 6,8 milliards de francs, de vingt-sept hélicoptères NH90. Il reste que le financement de ces derniers pèse de manière excessive sur les stocks d'autorisations de programmes initialement disponibles sur d'autres chapitres du titre V, qu'il faudra bien abonder un jour ou l'autre par des ressources nouvelles.
Enfin, ma dernière observation sur la défense concernera le financement des opérations extérieures.
On le sait, la structure du budget de la défense révèle des tensions de plus en plus fortes sur le titre III, qui, faute d'une évaluation initiale suffisante, se soldent, en cours d'année, par des transferts de ressources en provenance du titre V. Or, outre les pressions liées à la transition vers la professionnalisation elle-même, ce sont les OPEX, les opérations extérieures, qui requièrent l'essentiel des financements affectés au titre III en cours d'année. Le dernier collectif budgétaire a illustré à nouveau cette tendance en prévoyant un abondement de crédits de 2,46 milliards de francs gagés presque intégralement par des annulations de crédits d'équipement.
Cette situation appelle non seulement pour l'an prochain une prévision un peu plus réaliste des coûts liés aux opérations extérieures, mais également un mode de financement qui permette de préserver les crédits d'équipement des armées.
Avant de conclure, j'évoquerai la question des crédits consacrés par notre pays à notre diplomatie et à notre action internationale.
Depuis plusieurs années, le ministère des affaires étrangères ne figure pas parmi les priorités budgétaires du Gouvernement et la part qui lui est réservée dans le budget de l'Etat diminue régulièrement.
Cette situation est d'autant plus fâcheuse que notre diplomatie est confrontée à des évolutions internationales majeures et que les moyens dont elle dispose pour remplir ses missions lui sont de plus en plus chichement mesurés.
Ne serait-ce que dans le cadre de l'Union européenne, les diplomaties nationales, on le sait, sont appelées à multiplier les démarches et les initiatives pour permettre que l'Union - ou certains de ses membres - adopte les positions les plus ambitieuses possibles face aux crises et aux événements internationaux, dont elle ne peut se désintéresser. Chacun connaît, enfin, le surcroît de charges et de contraintes qu'entraîne la présidence de l'Union, que la France s'apprête à assumer dans quelques jours.
D'une façon générale, le contexte budgétaire dans lequel se trouve le ministère des affaires étrangères le prive de moyens adaptés. L'érosion des effectifs, constante depuis plusieurs années, affecte le fonctionnement des postes diplomatiques et consulaire ainsi que celui de l'administration centrale. Et pourtant, notre administration consulaire - en charge, notamment, des questions très sensibles de visas et d'asile - requiert, à l'évidence, des personnels supplémentaires. De même, quelle que soit la pertinence de la loi créant le volontariat civil et dans l'incertitude où nous sommes aujourd'hui de l'attrait que celui-ci exercera auprès des jeunes, il convient que le ministère des affaires étrangères dispose d'une marge de manoeuvre indispensable au remplacement progressif des coopérants du service national.
Par ailleurs, le recours aux personnels recrutés localement a atteint désormais ses limites, et sa mise en oeuvre doit faire l'objet d'une stratégie précise. Chacun connaît les écarts qui caractérisent les rémunérations de ces personnels, selon qu'ils relèvent du quai d'Orsay ou de Bercy, à travers la direction des relations économiques extérieures, écarts liés également à la pression budgétaire subie par le ministère des affaires étrangères. Outre son aspect choquant, cette situation de concurrence entre deux employeurs publics français contribue à faire partir les meilleurs éléments vers nos implantations commerciales et aussi à compliquer encore un peu plus la tâche de nos chancelleries.
Ma dernière observation concernera la dotation du ministère des affaires étrangères consacrée à notre aide publique bilatérale au développement. Sa réduction dans la dernière loi de finances a été un très mauvais signal, et un rééquilibrage s'impose. A quoi cela servirait-il d'avoir rationalisé nos structures de coopération si c'est pour réduire leur marge d'action financière ? L'enjeu politique de notre coopération se double ici d'une urgence humanitaire et même stratégique si l'on pense, en particulier, à l'évolution tragique de l'Afrique.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la situation économique actuelle, dont l'évolution positive ne peut que réjouir chacun d'entre nous, doit impérativement bénéficier également à ces deux ministères régaliens qui, en des temps plus difficiles sur le plan budgétaire, ont contribué, plus souvent qu'à leur tour, à l'équilibre financier. Il y va non seulement de l'équité, mais aussi des ambitions de la France dans le monde. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de la décision de la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour ce débat sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 60 minutes ;
Groupe socialiste, 50 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 38 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 36 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 25 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 23 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 8 minutes.
Dans la suite du débat, la parole est à M. du Luart.
M. Roland du Luart. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, peut-on continuellement dire une chose tout en faisant le contraire ? Depuis trois ans, le Gouvernement nous promet la baisse des prélèvements obligatoires mais c'est l'inverse qui se produit. Il fixe des objectifs budgétaires qu'il ne respecte pas lui-même. Le débat d'orientation budgétaire tend ainsi à devenir un débat de « désorientation » politique. Il était déjà virtuel ; il devient caricatural.
Aujourd'hui, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, vous nous parlez de réduction des déficits, de maîtrise des dépenses publiques, de transparence, mais dès demain, le Sénat examine un collectif budgétaire qui ne respecte aucun des principes que vous énoncez.
Mon groupe ne met pas en cause votre sincérité. Nous connaissons et apprécions les positions que vous exprimiez, monsieur le ministre, en matière économique et budgétaire, avant d'entrer au Gouvernement. Certaines ne sont pas éloignées de celles que nous défendons au Sénat. Nous savons également que le projet de loi de finances rectificative pour 2000 n'est pas le vôtre, pas plus que le texte sur les nouvelles régulations économiques.
Mais convenez qu'il est difficile de parler d'assainissement des finances publiques quand on examine dès le lendemain un collectif qui prévoit, pour la première fois depuis 1993, une aggravation du déficit budgétaire. Admettez que l'ouverture de 10 milliards de francs de crédits supplémentaires cadre mal avec l'objectif de maîtrise des dépenses. Reconnaissez, enfin, que le discours sur la transparence a largement été contredit par les faits, depuis 1997, comme l'a relevé la Cour des comptes.
Cette contradiction entre le discours et les actes a été très bien soulignée par le président Alain Lambert et par notre rapporteur général, Philippe Marini.
Je voudrais, pour ma part, insister sur trois points : tout d'abord, l'impératif de transparence en matière de comptes publics ; ensuite, la nécessité absolue de préserver l'avenir en réduisant le déficit, les dépenses et les impôts, et en mettant en oeuvre une véritable réforme de notre système de retraite ; enfin, le problème de ce que j'appelle les « niches d'inégalité fiscale », qui conduisent à des situations absurdes.
En matière de transparence, notre commission des finances mène actuellement des investigations pour recueillir des éléments d'information sur le fonctionnement des services de l'Etat dans l'élaboration des projets de loi de finances et l'exécution des lois de finances. Le Sénat lui a conféré pour cela les prérogatives attribuées aux commissions d'enquête et je suis tenu à un devoir de réserve. J'entends bien le respecter. Dans ces conditions, je me contenterai d'une remarque de principe sur la notion d'exemplarité.
Je pense que le Gouvernement ne mesure pas l'ampleur des dégâts que causent dans l'opinion publique les révélations successives de surplus budgétaires dissimulés ; je récuse, pour ma part, le terme de « cagnotte ». Ces révélations ne remettent pas seulement en cause la sincérité de la politique du Gouvernement. Elles jettent une ombre de suspicion sur l'Etat en tant qu'institution, en tant que référence : un Etat qui se veut exemplaire mais qui se révèle dissimulateur, un Etat dont certains hauts fonctionnaires sont maintenant mis en cause dans l'affaire du Crédit Lyonnais.
Comment, dans ces conditions, l'administration peut-elle exiger des Français ce qu'elle ne s'impose pas à elle-même ? Que doivent penser nos concitoyens, nos artisans, nos chefs d'entreprise, qui subissent le poids d'une réglementation excessive et sont sanctionnés au moindre écart ? Que doivent penser les élus locaux eux-mêmes, soumis à un contrôle parfois tatillon des chambres régionales des comptes ?
Le débat sur la transparence dépasse le seul cadre budgétaire. Il ne s'agit pas seulement d'améliorer l'élaboration des lois de finances ou de mieux présenter certains documents. Il s'agit aussi de restaurer la confiance dans la parole de l'Etat, de restaurer tout simplement sa crédibilité.
Tel est le sens des votes qui sont intervenus au Sénat pour garantir une plus grande sincérité du budget lors de l'examen de la loi de finances pour 2000. Tel est également le sens - en même temps que l'ambition - des investigations que mène actuellement notre commission des finances.
Je souhaite sincèrement que ce soit votre objectif, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, au-delà de vos propositions en matière de transparence des comptes publics.
Je crains néanmoins qu'une fois de plus les promesses ne se traduisent pas par des actes : il n'est que d'examiner le collectif budgétaire, qui repose sur des hypothèses de croissance contestables et sur une évaluation des recettes pour le moins discutable. Mes craintes sont également justifiées par le fait que le Gouvernement se refuse à présenter un budget rectificatif pour la sécurité sociale, ce que demande le Sénat, comme si certains avaient là encore quelque chose à cacher...
M. Charles Descours. Très bien !
M. Roland du Luart. Cela n'est pas de bon augure.
Je ne veux pas, cependant, vous faire de procès d'intention, monsieur le ministre, car j'ai beaucoup apprécié vos déclarations au cours du deuxième semestre 1999. Je dis simplement que l'enjeu est important, non seulement pour le Gouvernement et le Parlement, mais aussi pour la nation tout entière.
Soyez donc assuré que le groupe des Républicains et Indépendants observera très attentivement la manière dont vous mettrez en oeuvre concrètement les mesures que vous nous présentez.
En ce qui concerne les grands équilibres budgétaires, beaucoup a déjà été dit sur la nécessité de réduire plus fortement le déficit, les dépenses publiques et les prélèvements obligatoires. Là encore, l'enjeu dépasse le simple cadre budgétaire.
Nous devons nous fixer deux objectifs principaux. Le premier est d'assurer la compétitivité de nos entreprises pour préserver les emplois et pour en créer de nouveaux face à un monde qui change et à des partenaires étrangers qui ne restent pas inertes. Le second est de préparer l'avenir en assainissant nos finances publiques et en garantissant la pérénnité de notre système de retraites.
Mais nous ne pourrons atteindre ces deux objectifs sans engager une réforme structurelle. C'est tout le problème de la politique menée depuis 1997. L'amélioration des finances publiques ne repose que sur l'amélioration de l'environnement international, une diminution des taux d'intérêt et une augmentation sans précédent de la pression fiscale.
Or ce n'est là que la partie visible de l'iceberg. En réalité, les dépenses publiques ne diminuent pas. Le Sénat a beau souligner les dangers d'une telle situation, surtout en cas de retournement de conjoncture - lequel finira bien pas se produire, un jour ou l'autre - rien n'y fait. Le Gouvernement se refuse à engager les réformes de structure qui s'imposent. Notre pays se trouve ainsi en situation de faiblesse avec des déficits supérieurs à la moyenne européenne, une fiscalité record et une rigidité des dépenses qui le privent de toute marge de manoeuvre.
A cet égard, mes chers collègues, le rapport provisoire de la Cour des comptes pour 1999 est accablant, consternant. Il fait en effet apparaître une augmentation des dépenses publiques de 2,8 % en volume, au lieu de 1 % comme annoncé par le Gouvernement.
Ce dérapage est inquiétant pour 2000 et surtout pour 2001, d'autant que l'on observe des tensions sur les taux d'intérêts et que la plus grande incertitude pèse sur l'impact financier réel de la couverture maladie universelle ainsi que sur le coût des 35 heures dans la fonction publique d'Etat comme dans la fonction publique territoriale.
Nous entendons même parler d'une reprise des recrutements nets dans la fonction publique, alors que c'est l'inverse qu'il faudrait faire.
Comme le suggère le Commissariat général au Plan, nous devons mettre en place une véritable gestion prévisionnelle de l'emploi public. Celle-ci passe par une dimution du nombre des fonctionnaires. Pour cela, nous devons mettre à profit l'évolution de leur pyramide des âges. Un fonctionnaire sur deux partira à la retraire d'ici à douze ans. Nous devons donc saisir cette chance pour déconcentrer la gestion des ressources humaines et favoriser tant la mobilité géographique que la mobilité entre les administrations.
Nous devons briser le tabou de la fonction publique en faisant comprendre que les missions de l'Etat évoluent et que ses effectifs doivent faire de même en fonction des besoins, notamment régaliens.
Il faut aussi briser le tabou des privatisations.
La conception classique de l'Etat actionnaire n'est plus adaptée à la nouvelle économie, où les fusions se font souvent par échange d'actions.
M. Paul Loridant. Hélas !
M. Roland du Luart. L'acquisition récente d'Orange par France Télécom est l'exemple le plus significatif. L'Etat doit donc réduire ses participations pour permettre aux entreprises françaises d'assurer leur développement face à la concurrence étrangère.
J'ai noté une évolution du Gouvernement sur ce point, mais il lui reste beaucoup de chemin à parcourir. Les recettes des privatisations, que celles-ci soient partielles ou non, doivent être intégralement affectées à la réduction de la dette et du déficit. Cela doit être aussi le cas lors de l'attribution des futures licences pour le téléphone mobile de troisième génération. Nous prenons d'ailleurs acte de la confirmation qui nous a été apportée tout à l'heure sur ce point.
Cela m'amène à parler de la réforme des retraites.
Vous avez annoncé que le produit de l'attribution des licences UMTS serait versé au fonds de réserve des retraites sous forme d'une dotation complémentaire. Je souhaite cependant que cela ne soit pas un prétexte pour différer l'indispensable réforme de notre système de répartition.
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. Très bien !
M. Roland du Luart. J'insiste, en particulier, sur la nécessité d'aligner les durées de cotisation entre le secteur public et le secteur privé. C'est, pour moi, un minimum, au nom de la justice et de la cohésion sociale.
M. Charles Descours. Très bien !
M. Roland du Luart. Je souhaite, enfin, aborder la question de la fiscalité. Dans ce domaine, la France prend du retard par rapport à ses partenaires européens. Il existe aujourd'hui une vraie menace de délocalisation des talents et des capitaux. Nous devons prendre garde à ne pas décourager l'initiative, car c'est d'elle que dépendent les emplois de demain.
Là encore, des réformes structurelles s'imposent. Si nous ne faisons rien, nous risquons de nous retrouver dans des situations inextricables aboutissant à ce que j'appelle des « niches d'inégalité fiscale ». Je prendrai quatre exemples.
Le premier est celui de la taxe d'habitation. Tout le monde s'accorde à reconnaître que les valeurs locatives sont inadaptées. Pourtant, on renonce une fois de plus à les corriger, comme chaque année depuis dix ans, quelle que soit la majorité au pouvoir. Le Gouvernement se contente de proposer la suppression de la part régionale, au risque de menacer l'autonomie fiscale des collectivités locales et, pendant ce temps, les inégalités persistent.
Mon deuxième exemple, c'est la TVA. Depuis longtemps, mon groupe s'est prononcé en faveur d'une baisse du taux applicable à la restauration traditionnelle. Le Gouvernement s'est retranché derrière la législation européenne pour refuser cette baisse, mais le Conseil d'Etat l'enjoint maintenant d'abroger deux décisions qui sont à l'origine du régime particulier de TVA dont bénéficient les cantines d'entreprises. Les cantines scolaires et hospitalières seront à court terme également visées. Ainsi, à force de ne rien faire, c'est tout l'équilibre d'un secteur qui est menacé. Qu'on ne vienne pas nous dire que c'est la faute de la réglementation européenne car, en octobre dernier, le Portugal a obtenu, me semble-t-il, une dérogation.
Je pourrais dire la même chose de la confiserie et de la chocolaterie dont le régime fiscal est incompréhensible pour les consommateurs.
M. Jacques Oudin. Ah ! le chocolat !
M. Roland du Luart. Je veux être fidèle à mon groupe !
Ce régime fiscal risque d'inciter les industriels à concevoir leurs produits en fonction de la taxation de ceux-ci, et non de leurs qualités gustatives. Je souhaite donc que la France mette à profit sa prochaine présidence de l'Union européenne pour favoriser des solutions mettant fin à ces deux inégalités en matière de TVA.
Mon troisième exemple concerne la fiscalité des carburants. Le Gouvernement a demandé à plusieurs reprises, et encore récemment, aux compagnies pétrolières et à la grande distribution de mieux répercuter les baisses des cours du pétrole brut sur le niveau des prix à la pompe. Il a parfaitement raison mais ce n'est pas le seul problème.
Nous devons procéder à une réforme structurelle de notre fiscalité, comme le suggère notre commission des finances. Nous devons, en particulier, éviter que toute augmentation du cours du dollar ou du brut n'entraîne une hausse mécanique du coût des carburants et, par conséquent, des recettes fiscales de l'Etat.
Mon dernier exemple d'inégalité, et non des moindres, a trait à la fiscalité pesant sur les salaires. Les classes moyennes sont injustement pénalisées en matière d'impôt sur le revenu, surtout depuis la modification du quotient familial. Par ailleurs, les salariés les plus modestes se rendent compte qu'il est parfois plus intéressant de cumuler le RMI, la CMU, les aides au logement et les aides au transport réservées aux demandeurs d'emploi. Le travail n'est pas assez valorisé dans notre société, quel que soit le niveau où l'on se place. Pour mettre fin à cette injustice, nous devons réduire fortement l'impôt sur le revenu des classes moyennes et les charges sociales pesant sur les bas salaires. C'est un enjeu majeur pour les années à venir, et M. le rapporteur général l'a dit tout à l'heure.
Monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, les réformes que j'ai évoquées nécessitent un certain courage politique - vous l'avez - et moins d'attentisme - nous jugerons.
Vous avez déjà reculé sur les stock-options. Nous espérons que vous ne battrez pas en retraite sur le reste, car notre pays doit absolument saisir la chance que lui offre une conjoncture économique exceptionnelle.
Nous comptons surtout sur vous pour vous attaquer au problème majeur des dépenses de fonctionnement. C'est là, en effet, que se joue l'avenir. C'est là aussi que se joue la crédibilité des orientations que vous nous avez présentées. ((Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Adnot.
M. Philippe Adnot. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, compte tenu du peu de temps qui m'est imparti, mon propos sera relativement laconique.
Je dirai d'emblée que je souscris, bien sûr, à l'ensemble des positions définies par M. le président de la commission des finances et par M. le rapporteur général.
Intervenir dans le débat d'orientation budgétaire, c'est apprécier le contexte national et international, par exemple en mesurant les conséquences de l'évolution de la valeur des monnaies, notamment de l'euro, le développement de la nouvelle économie et son incidence sur l'emploi, la compétitivité fiscale, sociale et technologique de notre pays. C'est également juger les ambitions d'un gouvernement et la valeur de celles-ci dans leur traduction budgétaire.
Le budget, ce sont d'abord des recettes et des dépenses.
Les recettes, ce sont d'abord l'impôt et les emprunts. A cet égard, que peut-on constater ?
S'agissant des emprunts, et donc de la dette, nous nous situons à la limite des critères de Maastricht ; nous continuons d'augmenter le stock au niveau du déficit annuel. L'appréciation de l'importance de la dette par rapport au PIB est assez dangereuse car, en cas de retournement de conjoncture, ce qui compte, c'est en réalité la masse de la dette, et non sa proportion par rapport au PIB.
Le contingent d'emprunt annuel est de l'ordre de 200 milliards de francs. Que finance-t-il ? Quelque 170 milliards de francs d'investissements civils et militaires. Nous continuons donc à financer des dépenses de fonctionnement à partir de l'emprunt. Or, dans une conjoncture réputée bonne tant sur le plan national que sur le plan international, c'est, à mon avis, irresponsable.
Il convient de prendre l'engagement de consacrer au remboursement de la dette toutes les ventes de capital effectuées par l'Etat. Provisionner les retraites - dont le besoin de financement est récurrent - par la vente des « bijoux de famille », si je puis employer cette expression, est illusoire.
En ce qui concerne la fiscalité, on annonce en permanence des baisses d'impôts, mais le niveau des prélèvements en masse augmente. Par ailleurs, de la même façon que pour la dette, relativiser le niveau de prélèvements par rapport au PIB est un leurre, car, en cas de retournement de conjoncture, la situation sera difficile.
Ce qui intéresse les Français, ce ne sont pas les discours, c'est la réalité qu'ils vivent. Dans mon domaine de compétence, l'environnement, je ne constate que des hausses, je ne vois aucune baisse d'impôt !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Très juste !
M. Philippe Adnot. La taxe générale sur les activités polluantes, la TGAP, a plus que doublé.
Les prélèvements sur l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME, sont de l'ordre de 500 millions de francs.
Les prélèvements sur les agences de l'eau qui s'élèvent à quelque 500 millions de francs devraient bientôt atteindre 1 milliard de francs.
La taxe sur l'énergie qui va être mise en place et qui représentera 9 milliards de francs sera nécessairement répercuté sur les consommateurs et constituera donc pour eux non pas une baisse d'impôt, mais bien un prélèvement supplémentaire.
Enfin, de nouvelles redevances sont instituées pour compenser ces prélèvements sur les agences de l'eau ; ce sera autant en moins dans la poche des particuliers, des entreprises et des collectivités. Mais il vrai que les redevances ne sont pas comptabilisées dans les prélèvements...
Nous constatons que vous ne baissez par les prélèvements réels car vous n'avez pas su, ou pas pu, baisser les dépenses de fonctionnement.
La vérité du budget une fois posée, il faut, pour juger l'ambition en matière de politique fiscale et de politique d'emprunt, examiner non pas la masse budgétaire des dépenses, mais la qualité de la dépense publique.
Que fait-on de l'argent des Français ? Je prendrai quelques exemples.
Pour faire accepter la « pilule » des trente-cinq heures, on a mis des « carottes financières », qui, aujourd'hui, profitent essentiellement aux très grandes entreprises et sont autant d'effets d'aubaine. La conjoncture s'étant améliorée, les entreprises auraient de toute façon créé des emplois. Il aurait été préférable de laisser cet argent dans les entreprises où on l'a prélevé ou chez les particuliers.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Excellent !
M. Philippe Adnot. L'examen des différents budgets montre que ce sont toujours les dépenses de fonctionnement qui sont privilégiées - nous aurons encore l'occasion de le constater dans le budget pour 2000 - créant ainsi des rigidités sur lesquelles il faudra revenir.
Ainsi, pour encourager l'intercommunalité, vous avez mis en place une DGF supplémentaire : 1 milliard de francs y sera consacré en 2000, mais cela se traduit par autant de dépenses de fonctionnement durables, alors qu'il aurait fallu aider, sous forme de dotation d'équipement, des investissements collectifs générant des économies structurelles. Or ce n'est pas ce qui est fait.
La priorité des priorités dans un budget, c'est l'investissement structurant, créateur de richesses. Je salue, à cet égard, la volonté du ministre de la recherche de réinscrire la synchrotron au rang de ses priorités.
M. Paul Loridant. Très bien !
M. Philippe Adnot. Je regrette que les atermoiements de Mme Voynet remettent en question notre capacité de développer nos potentiels logistiques, alors que c'est le véritable complément de la nouvelle économie. Celle-ci ne connaîtra de développement que s'il y a une bonne logistique. Sur ce plan, Mme Voynet ne nous aide pas vraiment !
La priorité des priorités dans un budget, c'est l'investissement dans la formation des jeunes, mais dans une formation opérationnelle. Il est scandaleux de voir qu'à la première reprise d'activité - nous rencontrons tous les jours des chefs d'entreprise qui nous le disent - les entreprises ne trouvent pas les personnes qui leur permettraient d'assurer leur dévelopement. Cela signifie que l'investissement dans la formation n'a pas été dirigé convenablement : la masse existe, mais il manque la qualité de la dépense, et c'est bien regrettable.
En conclusion, un bon budget devrait nous donner de la compétitivité. La faiblesse de l'euro actuelle masque nettement cette insuffisance. Aujourd'hui, nous bénéficions tout de même d'un différentiel de 30 %,...
M. Philippe Marini. rapporteur général. Exact !
M. Philippe Adnot. ... qui, hors de l'Europe, nous permet d'avoir une compétitivité apparente très grande. Qu'en sera-t-il si l'euro retrouve un cours plus raisonnable ? Dans l'Europe, les délocalisations, qui ont déjà été évoquées, qu'elles concernent les entreprises ou les jeunes, sont très éloquentes et montrent bien à quel niveau nous nous situons en matière de compétitivité.
Un bon budget doit préparer l'avenir par le choix de ses dépenses et de leur retour, sous forme de création de richesses nouvelles.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Très bien !
M. Philippe Adnot. Vous avez bénéficié d'une conjoncture favorable. Vous avez su - cela doit être porté à votre crédit - créer un contexte psychologique favorable pour la reprise de la consommation, il est d'autant plus regrettable que vous n'ayez pas su en profiter pour améliorer de manière structurelle notre compétitivité. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants. - M. Paul Girod applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, c'est vrai, l'apparence des finances sociales est bonne : le retour à l'équilibre comptable de la sécurité sociale en 1999, la perspective d'un excédent en 2000, les bonnes rentrées de la contribution pour le remboursement de la dette sociale, la CRDS, et les discussions menées entre partenaires sociaux sur la « refondation sociale » constituent autant de signes positifs, que personne ne peut nier.
Cependant, il convient d'aller au-delà de cette simple apparence et d'essayer d'analyser, dans l'évolution actuelle de nos finances sociales, la manière dont les résultats d'aujourd'hui préparent l'avenir. Et, à cet égard, je rejoins le propos de notre collègue M. Adnot.
Je pense qu'il convient de mener cette réflexion à l'aune de trois critères : le niveau global des prélèvements affectés à la sécurité sociale, le rythme d'évolution des dépenses et les réformes en cours pour adapter notre système social aux défis qui ne manqueront pas de se présenter à lui.
Or, force est de constater que sur aucun de ces points le bilan n'est positif.
Je ne développerai pas l'évolution des principaux postes, sinon pour constater la hausse des recettes, mais aussi des dépenses, et le maintien du très fort déficit de l'assurance maladie.
Je relève dans ces chiffres des sources d'inquiétude.
L'écart entre les prévisions et les réalisations de recettes pour le régime général en 1999 est de plus de 40 milliards de francs, alors que le solde ne s'est amélioré que de 5 milliards de francs : la différence entre ces deux sommes représente donc 35 milliards de francs de dépenses supplémentaires entre mai 1999 et mai 2000.
Qu'en est-il pour 2000 ? L'objectif national de dépenses d'assurance maladie pour 2000, l'ONDAM, est déjà dépassé, de 3,5 milliards de francs, et la commission des comptes de la sécurité sociale reconnaît elle-même l'objectif comme « difficile à tenir ». Les dépenses de médicaments augmentent à un rythme de plus de 6 % ; les appareillages médicaux ont un rythme de croissance de plus de 19 %... Je ne citerai pas tout.
Depuis 1997, les dépenses de l'ONDAM ont augmenté de 60 milliards de francs en réel. Compte tenu de la croissance théorique prévue année après année, il devrait atteindre 645 milliards de francs. Or il s'élève à 662 milliards de francs, soit 17 milliards de plus. Le taux annuel théorique, que nous votons ici chaque année, est de 2,4 % ; le taux effectivement réalisé atteint 3,5 % !
Bref, la volonté affichée par le Gouvernement de baisser les prélèvements obligatoires ne se traduira pas dans les prélèvements sociaux, révélant ainsi une certaine absence de maîtrise des finances sociales.
Pour mieux apprécier ces résultats, je développerai trois points : la fragilité de l'équilibre, le caractère déplacé du triomphalisme ambiant et les perspectives.
L'équilibre retrouvé reste fragile, et ce de trois manières.
Tout d'abord, l'équilibre résulte de toute évidence du dynamisme des recettes. Ces dernières augmentent par deux biais : la forte croissance économique soulignée par tous et les nouveaux prélèvements obligatoires, sur lesquels il convient aussi d'insister. Les surplus sont, quant à eux, systématiquement utilisés pour couvrir les hausses de dépenses. Comme il est possible que les recettes de 2000 soient réévaluées, je fais le pari qu'elles serviront aussi à pallier les hausses de dépenses de l'assurance maladie.
Cette fragilité réside également dans le dynamisme de la sphère des finances sociales. Les recettes et les dépenses du régime général ont augmenté à un rythme annuel supérieur à 4 % depuis 1997 ; dans le même temps, le produit intérieur brut augmentait de 3 % et le budget de l'Etat de 2 %, « hiérarchie » qui mérite d'être soulignée.
La hausse des recettes et des dépenses de sécurité sociale constituent deux phénomènes non liés : les dépenses augmentent par elles-mêmes alors que les recettes évoluent avec l'activité et les prélèvements obligatoires. Tout retournement de conjoncture briserait les recettes mais n'interromprait pas la croissance des dépenses.
Mais la conjoncture ne suffit pas. Mme Aubry a dit elle-même que, sans les prélèvements nouveaux, la sécurité sociale aurait été en déficit de 20 milliards de francs. Douze prélèvements nouveaux - j'ai bien dit « douze ! » - ont été créés en matière sociale depuis 1997 : la taxe générale sur les activités polluantes, la cotisation sociale sur les bénéfices, la contribution au fonds de financement de la couverture maladie universelle, la CMU. Je m'arrête là, car douze, c'est long à énumérer !
Bref, les prélèvements obligatoires pour les finances sociales sont de 20,9 % du PIB, et ils ont augmenté de 4,8 % entre 1998 et 1999.
Enfin, il convient de dénoncer les transferts incessants de l'Etat vers des fonds en charge de missions particulières, comme le financement de la CMU ou des 35 heures. Ces organismes sont considérés comme des organismes de sécurité sociale, bénéficient d'impôts et taxes de l'Etat et de subventions budgétaires, mais ils n'apparaissent plus dans la sphère de l'Etat. Tout le monde y perd dans ce système, à commencer par vous, je suppose, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, qui avez moins de moyens d'action, et par nous, membres du Parlement, qui voyons les présentations comptables encore plus brouillées, et ce n'est pas peu dire !
J'en viens - c'est ma deuxième remarque - aux nuances à apporter au triomphalisme actuel.
Rappelons ainsi, comme l'a dit M. Delaneau, que la CADES doit encore rembourser 300 milliards de francs.
Ajoutons qu'une dette bien plus importante encore se profile à l'horizon ; celle des régimes de retraite. Elle concerne au premier chef les régimes de la fonction publique. Or ces pensions non financées sont les prélèvements de demain. Il n'est qu'à voir l'absurdité de la situation de la CNRACL, la caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales, dont les taux de cotisation ne cessent d'être majorés pour payer les compensations financières avec les autres régimes et pour laquelle les syndicats de fonctionnaires territoriaux nourrissent, comme ils l'ont dit récemment, les plus grandes inquiétudes.
Enfin, il faut bien avoir conscience que l'excédent des administrations de sécurité sociale au sens de Maastricht, celui que vous avez transmis à Bruxelles, repose sur deux hypothèses très fragiles.
La première était la modération des dépenses d'assurance maladie : on a vu qu'il en est rien.
La seconde hypothèse est un très fort excédent des régimes gérés par les seuls partenaires sociaux comme l'UNEDIC. Or les négociations sur la refondation sociale déboucheront probablement sur des baisses de cotisations ou de nouvelles prestations, ce qui diminuera presque inéluctablement cet excédent.
Ma troisième grande remarque a trait aux perspectives difficiles qui se profilent. L'avantage des finances sociales est que le pire est à peu près prévisible en la matière, particulièrement dans deux domaines : la maladie et les retraites.
Le premier nuage est celui que crée le Gouvernement lui-même par ses mesures non financées. Je poserai deux questions à cet égard : où sont les 7 milliards de francs de recettes du fonds de financement des 35 heures annulées par le Conseil constitutionnel ? Où sont les 5,5 milliards de francs que l'Etat doit à la branche famille pour la majoration de l'allocation de rentrée scolaire et le FASTIF ?
En matière de maladie, je m'interroge sur la politique hospitalière. Nous attendons un plan de réforme de l'hôpital et des cliniques qui résolve les trois grands problèmes suivants : les inégalités entre régions, les besoins de modernisation dans le cadre des procédures d'évacuation et la réflexion sur la place de l'hôpital dans le système de santé de demain. Au lieu de cela, le Gouvernemen nous propose 10 milliards de francs, dont 8 milliards de francs pour le fonds de modernisation. Or que constatons-nous ? Que ce fonds a un rythme de consommation de ses crédits extrêmement bas ; or peu de crédits signifie peu de modernisation. Cela vient donc augmenter les dépenses publiques sans répondre à aucun des problèmes que je viens d'énumérer. Ces dépenses supplémentaires sont de plus curieuses, pour ne pas dire insultantes pour des cliniques qui ont fait des efforts de restructuration et ferment aujourd'hui leurs portes, ayant donc une rentabilité quasi nulle.
Je ne développerai pas les autres vides de la politique du Gouvernement en matière d'assurance maladie : où sont les économies engendrées par l'informatisation médicale ? Où sont celles qui sont occasionnées par une meilleure place donnée à la prévention ? Combien coûteront les embauches dans les caisses de sécurité sociale, dont votre collègue Mme Aubry m'assurait, voilà un an, qu'il n'y en aurait pas besoin grâce à la carte Vitale ?
Enfin, le vide en matière de retraite est confondant : pas moins de trente rapports en vingt ans, des annonces solennelles en février 2000 et puis plus rien, sinon l'installation d'un conseil d'orientation chargé de réfléchir sur une matière dans laquelle les réflexions manquent bien moins que les actions.
Dans le domaine des finances sociales, je voudrais faire remarquer que le retour à l'équilibre est purement comptable et ne repose sur quasiment aucune politique volontariste et courageuse. Il est le fruit d'une conjoncture favorable, pas celui de la volonté gouvernementale.
Quant aux perspectives détaillées, à moyen terme, elles sont, me semble-t-il, totalement absentes.
Parce que vous avez abandonné le dialogue social, les partenaires sociaux se sont, eux, engagés dans une réflexion de grande ampleur sur la « refondation sociale » afin de reprendre leurs responsabilités. Il s'agit d'un travail urgent et essentiel pour l'avenir de notre système de protection sociale.
Il faut, a déclaré M. Fabius tout à l'heure, assainir et agir. En matière de finances sociales, vous n'avez fondamentalement ni assaini ni agi. La réduction des impôts et des prélèvements doit être un élément de la stratégie sociale. Il est dommage qu'elle ne semble pas l'être.
La seconde partie de mon propos concerne la politique des transports sur laquelle je formulerai trois constatations évidentes.
Premièrement, tout pays qui renonce à s'équiper et à investir est un pays qui freine son avenir et son développement.
Deuxièmement, la France, de par sa position exceptionnelle de plaque tournante européenne, devrait avoir une politique de transport cohérente, équilibrée sur le plan régional et, enfin, des modes de transport respectueux des besoins des acteurs économiques.
Troisièmement, la France, pas plus que l'Europe, n'a pas de politique financière à long terme pour ses infrastructures de transport.
D'ailleurs, M. le ministre n'a pas dit un mot sur ce point dans son intervention liminaire. Notre pays ne sait pas conjurer la valorisation et l'optimisation des infrastructures existantes avec la création de nouveaux équipements pour faire face aux besoins dont la croissance ne se ralentit pas.
Or la mondialisation des échanges, la construction d'un espace européen de plus en plus intégré, l'évolution des besoins de transport tant des ménages que des entreprises entraînent une demande forte à laquelle il convient de répondre.
Toutes les études prospectives montrent que la demande des transports va croître à un rythme accéléré au cours des prochaines décennies. L'ensemble des modes de transport est concerné et la réduction dramatique de notre effort financier public dans le domaine des infrastructures de transport ne permet pas de répondre aux besoins des usagers et des acteurs économiques.
Je citerai six exemples qui ne recouvrent d'ailleurs qu'une partie de ce problème essentiel.
Premier exemple : la priorité affirmée pour le transport ferroviaire de voyageurs, qui est bonne en elle-même, a abouti à une insuffisance catastrophique de la politique du fret ferroviaire. Des investissements de désaturation des noeuds ferroviaires à hauteur de 15 à 20 milliards de francs sont nécessaires en vue de doubler le trafic de fret en dix ans. C'est là l'objectif du Gouvernement. Comment sera-t-il réalisé ?
Mais quelles ambitions d'investissements massifs peut-on avoir avec un ensemble ferroviaire qui ne peut actuellement fonctionner que grâce aux soixante-deux milliards de francs de contributions publiques qu'il reçoit chaque année et qui augmentent à un rythme soutenu ?
Deuxième exemple : le pavillon français continue à souffrir d'un déficit de compétitivité par rapport à ses principaux concurrents européens. La flotte de commerce française, après avoir été à la cinquième place, n'est plus aujourd'hui qu'au vingt-huitième rang mondial avec 218 navires sous pavillon français, alors que la flotte néerlandaise en détient 525 et la flotte norvégienne 1 622.
Troisième exemple : l'espace aérien est largement saturé et le sera davantage compte tenu de la croissance prévisible du transport aérien.
Quatrième exemple : les crédits publics consacrés aux activités portuaires stagnent ou diminuent, à tel point que la Cour des comptes, dans un rapport du 16 novembre 1999, a souligné l'incapacité de l'Etat à définir les objectifs de sa politique portuaire, incapacité qui s'est traduite par « des réformes juridiques parcellaires et des choix financiers peu efficaces ».
Cinquième exemple : quelle ambition fluviale peut-on avoir sans budget et sans ressources, après avoir abandonné la liaison Rhin-Rhône et face à notre incapacité de financer la liaison Seine-Est ?
Enfin, sixième exemple : nous vivons un paradoxe inquiétant et étonnant en ce qui concerne notre politique routière et autoroutière. Notre système autoroutier concédé fait l'objet de nombreuses contestations publiques, notamment de la part de certains membres du Gouvernement, alors qu'il s'agit du seul mode de transport non seulement dont l'équilibre financier est assuré mais aussi qui engendre huit milliards de francs de recettes pour l'Etat dont 2 milliards de francs au profit du FITTVN, le fonds d'investissement des transports terrestres et des voies navigables, et qui, de surcroît, avec près de 18 % du trafic, supporte moins de 3 % des accidents.
Pour une politique des transports, vous ne pourrez occulter longtemps la nécessité d'avoir une vision claire de la situation financière actuelle et future de chaque mode de transport afin de pouvoir faire apparaître la juste part des contributions publiques qui doit leur revenir et de connaître les possibilités de développement futur de chaque mode de transport dans le cadre d'une politique intermodale active et dynamique.
Vous ne pourrez pas échapper bien longtemps à ces analyses lucides et totalement objectives sur un sujet qui engage l'avenir de notre pays.
Nos finances sociales et nos infrastructures de transport sont deux secteurs où la réflexion et les prévisions à moyen et à long terme sont essentielles pour bâtir l'avenir de nos concitoyens et de notre économie. Dans ces deux domaines, votre bilan est loin d'être positif. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce débat sur les orientations budgétaires doit être serein et objectif, afin de pouvoir offrir les meilleures perspectives possibles et les choix les plus judicieux pour le budget de 2001.
Etre serein, n'est-ce pas avoir un jugement équilibré et non politicien ? Pour préparer cette intervention, j'ai relu certaines des interventions de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Elles sont toujours de qualité, j'en conviens, mais je voudrais attirer l'attention du Sénat sur celle qu'il a faite le 26 avril dernier devant la commission des finances, de l'économie et du Plan de l'Assemblée nationale.
M. Fabius déclarait alors ceci : « La situation macro-économique est bonne : la prévision de la croissance de 3,6 % du PIB en 2000 vient d'être confirmée par le FMI, l'inflation est maîtrisée, le chômage recule au point d'observer quelques goulets d'étranglement dans certains secteurs comme le bâtiment et l'informatique, la balance extérieure est toujours favorable, la production industrielle est bonne et les résultats en termes de créations d'emplois s'améliorent très nettement. »
Que voilà de belles choses et de bonnes nouvelles !
Je ne conteste pas le ton général se voulant optimiste, mais je pense qu'il serait sage d'adjoindre à cette analyse d'ensemble l'énoncé des incertitudes et des tensions qui se font jour et que nous ne pouvons pas nier.
Je souhaiterais également qu'au niveau de la méthode nous soyons encore plus perfectibles.
M. Joxe a fait observer, devant la commission des finances de l'Assemblée nationale, que le projet de loi de règlement de 1998 avait été enregistré à l'Assemblée nationale en septembre 1999. Il n'est inscrit à l'ordre du jour qu'en mai 2000, alors qu'il aurait pu l'être dès octobre dernier, a-t-il déclaré. Le projet de loi de règlement du budget de 1999 devrait, quant à lui, pouvoir être déposé cette année, en juin ou juillet. C'est pourquoi il pourrait être examiné avant le projet de loi de finances pour 2001, conformément au voeu de certains. Ceci, au passage, permettrait de valoriser le travail des trente à quarante personnes qui, à la Cour, préparent les rapports sur l'exécution des lois de finances.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Tout à fait !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Ensuite, je souhaiterais que, parmi les tensions, on soit plus équilibré, plus réaliste sur celles qui, peut-être, minent la prospérité américaine apparente et son attractivité.
A ce sujet, il est vrai que le dynamisme de l'économie américaine ne se dément pas pour l'instant. Le rythme de plus 6 % de croissance au deuxième trimestre 1999 se poursuit. Il ne faut pas nier, cependant, l'existence de nombreux dangers signalés par les observateurs.
Tout d'abord, c'est la progression des marchés boursiers et immobiliers qui a alimenté le dynamisme de la consommation.
La remontée du cours du pétrole vient d'entraîner une progression de l'inflation, avec une conséquence immédiate de ralentissement du pouvoir d'achat.
Depuis mai 1999, l'envolée des valeurs de haute technologie a compensé la stagnation, voire le recul des valeurs traditionnelles. Les évolution boursières ne devraient plus soutenir comme elles le faisaient la consommation des ménages.
Enfin, dans cette embellie économique et financière, on ne note plus de nouvelles progressions de capacité de production.
Tous les observateurs notent la poursuite d'un dynamisme au cours du premier semestre 2000, mais nourrissent des craintes pour la fin 2000, et ce pour une raison fort simple : les anticipations de profit des valeurs de l'indice NASDAQ associées aux nouvelles technologies peuvent apparaître exagérément gonflées, avec un réveil brutal possible en 2001.
Ce double constat ne peut donc nous conduire qu'à une analyse équilibrée de ses conséquences sur notre économie.
La vigueur de l'activité mondiale, notamment américaine, entraîne aussi une hausse du coût des matières premières industrielles et des taux d'intérêt.
La guerre économique n'est-elle pas relancée par une attitude se voulant hégémonique de la part des USA ?
Agressifs dans le champ des négociations commerciales internationales, les Etats-Unis semblent avoir clairement opté également pour la lutte contre l'euro sur les marchés de change internationaux.
Le mouvement de hausse des taux d'intérêt qu'en toute indépendance la Banque centrale européenne a d'ailleurs décidé de relayer tend à créer les conditions de nouveaux gâchis de ressources financières et de bridage de la croissance réelle.
Le projet de collectif budgétaire, dont nous débattrons ultérieurement, n'intègre-t-il pas, d'ailleurs, une forme de provision pour risques de change à hauteur de 15 milliards de francs au titre du service de la dette publique ?
Nous voyons combien cette guerre épuisante et coûteuse sur les marchés financiers fait peser des charges sur notre croissance, qui est somme toute assez fragile. Nous aimerions connaître votre avis, madame la secrétaire d'Etat, sur cette question.
Au lieu de consacrer tant d'énergie et d'argent à soutenir coûte que coûte la parité de l'euro, ne convient-il pas plutôt d'augmenter les salaires, les minima sociaux et le RMI, pour relancer la consommation populaire ? Nous vous le proposons.
Le Gouvernement estime que tous les indicateurs sont au beau fixe pour notre pays : un taux de croissance prévu de 3 % après 3,6 % en 2000, soit la plus forte séquence positive depuis vingt-cinq ans ; une hausse de la consommation intérieure de 3 % à 3,5 % par an pour 2000 et 2001, avec des excédents commerciaux supérieurs à 100 milliards de francs par an ; une absence de risque inflationniste : 0,9 % prévu pour 2000, mais un « pic » de 1,6 % en janvier, et 1,2 % en 2001 ; une amélioration nette de la situation de l'emploi, avec une baisse continue du chômage et la perspective de 2 millions de chômeurs pour 2002.
Avec de tels constats et de telles perspectives, peut-on admettre que l'écart entre les 10 % les plus riches de nos concitoyens et les 10 % les plus pauvres continue à se creuser et que le nombre de RMIstes ne fasse que croître ? Peut-on admettre que les salaires n'aient progressé que de 2 % en 1997, de 1,8 % en 1998 et de 1,9 % en 1999, alors que les réserves financières ont fait un bond de 8,32 % et la Bourse de plus de 52 % ?
Ne convient-il pas, au contraire, de profiter de cette croissance, mais avec la volonté d'en faire bénéficier ceux qui l'ont produite, et de la faire progresser encore au-delà des 3 % prévus et d'augmenter tous les salaires ?
Des possibilités d'augmentation généralisée des salaires existent avec une majoration du SMIC de plus de 6 % sans attendre, c'est-à-dire au 1er juillet.
Des financements peuvent être trouvés pour la revalorisation des minima sociaux, notamment par l'augmentation de l'ISF, avec intégration des biens professionnels dans l'assiette de cet impôt, l'instauration d'une taxe sur les mouvements des capitaux, la taxation de tous les revenus financiers.
Il s'agirait là, au-delà de la confortation de la croissance, d'une mesure de justice sociale.
En 1999, les dépenses de consommation des ménages ont progressé de 2,1 %. Mais, en regardant d'un peu plus près le détail de cette progression, on peut faire certaines observations.
Les dépenses de consommation des ménages ont diminué pour le pain de 0,4 %, pour la viande de 0,9 %, pour les fruits et légumes de 0,9 %, pour les boissons non alcoolisées, le chauffage et l'éclairage de 2,7 %, pour les appareils ménagers de 1,6 %, pour les loisirs et la culture de 1,3 %, pour les appareils électriques et informatiques de 8,1 %, pour les assurances de 0,5 %.
Cette évolution démontre l'existence d'inégalités fortes, voire aggravées. Ce sont les plus pauvres qui ont besoin de faire remonter les pourcentages des dépenses de vie courante, démontrant bien par là, pour les prochains budgets, une nécessaire augmentation des ressources et du pouvoir d'achat.
Je devance certaines remarques, qui me seront certainement faites, visant à affirmer que ces mesures ne sont pas possibles parce que les entreprises ne les supporteraient pas.
N'oubliez pas, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, que la part des salaires dans la valeur ajoutée produite n'a pas connu d'augmentation significative, continuant de se situer, dans les entreprises, sous la barre des 60 %, niveau que notre pays connaissait, soit dit en passant, au début des années soixante-dix.
N'oubliez pas que le taux de marge des entreprises ne s'est pas affaissé, puisqu'il se situe aujourd'hui aux alentours de 32 points, c'est-à-dire, là encore, au niveau que l'on atteignait dans les années soixante-dix.
Dans la réalité vécue par les salariés de notre pays, qu'observe-t-on ?
Tout simplement que les gains de productivité, bien antérieurs à l'adoption des deux textes relatifs à la réduction du temps de travail, n'ont pas été recyclés, loin de là, dans l'emploi et dans les salaires, mais dans la progression des taux de marge et de rentabilité.
Et qu'a-t-on fait de ces marges ?
Les entreprises s'en sont largement servies, dans un premier temps, pour alléger leurs charges financières, en se désendettant largement et en déprimant, soit dit en passant, leurs dépenses effectives d'investissement productif réel.
On a, ensuite, massivement augmenté le montant des dividendes distribués, celui-ci dépassant, en 1998, 500 milliards de francs.
Sur ce chapitre, on soulignera que la presse économique s'est fait l'écho, ces dernières années, de perspectives de distribution de dividendes encore plus importantes pour les sociétés cotées, attestant donc de l'existence de véritables pactoles financiers.
De façon marginale, puisque ce dispositif ne concerne que moins de 26 000 hauts cadres dirigeants des entreprises de notre pays, soit au plus un millième des contribuables de l'impôt sur le revenu, l'amélioration sensible de la rentabilité des entreprises en valeur absolue et en valeur relative a bonifié un peu plus les dispositifs de stock-options existants.
Vous me permettrez donc de m'interroger sur le bien-fondé de toutes les dispositions tendant, dans les faits, à alléger de manière quelque peu aveugle les cotisations sociales des entreprises puisque, à l'examen, leur situation financière ne nécessite pas, sur un plan général, une telle sollicitude.
La meilleure preuve de cette excellente santé financière de nos entreprises ne nous est-elle pas fournie par le relèvement sensible, hors toute majoration exceptionnelle, du produit de l'impôt sur les sociétés - plus de 30 milliards de francs de plus-value en fin d'année 1999, ne l'oublions pas - qui fut l'élément essentiel des recettes officielles supplémentaires, lesquelles, dans les faits, ne sont qu'une partie de la véritable cagnotte, celle des profits ?
Tout est d'ailleurs à relativiser au moment où France Télécom, sans doute fidèle à ses principes de service public « méthode Carrefour », s'apprête à engager 328 milliards de francs - c'est une fois et demie le déficit que nous propose de constater le projet de loi de finances rectificative - dans le rachat de l'opérateur britannique de télécommunications Orange ?
Car c'est bien là une autre donnée essentielle de la situation économique d'aujourd'hui : le trésor de guerre des entreprises a aussi été massivement utilisé pour mener des raids, des offres publiques d'achat et d'échange, OPA et OPE, des opérations de mégafusions et acquisitions, bien souvent au détriment de l'emploi.
L'exemple le plus évident de cette dérive ne nous est-il pas donné par Michelin qui, non content de contraindre ses salariés à consentir des sacrifices sur l'évolution de leurs salaires, de leur faire accepter une accentuation de la productivité apparente du travail, utilise ensuite les marges financières ainsi créées pour les licencier en masse et rémunérer de manière plus importante ses commanditaires ? Et les Michelins sont nombreux dans le pays !
Vous me permettrez, madame la secrétaire d'Etat, de regretter ici que le projet de loi portant sur les nouvelles régulations économiques n'ait pas pu encore être inscrit à l'ordre du jour de la Haute Assemblée...
M. Philippe Marini, rapporteur général. Regret partagé !
Mme Marie-Claude Beaudeau ... après son passage à l'Assemblée nationale. Pourquoi ?
Le débat sur ces sujets est en effet pour nous crucial, quand bien même, au demeurant, le texte qui nous était proposé manquait un peu de souffle, pour ne pas dire plus.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Nous aurions pu le muscler !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Ces éléments sont des éléments incontournables du contexte de définition des orientations budgétaires pour 2001 et il importe, à notre avis, d'en tenir compte dès lors qu'il s'agit notamment de définir les caractères de l'intervention publique en direction des entreprises et de l'emploi, ou de revisiter le champ de la dépense fiscale de soutien à l'activité, à l'emploi et à l'investissement.
D'autres parmi vous ne vont-ils pas s'abriter aussi, pour justifier cette impossibilité, sur la nécessité d'une coordination des politiques fiscales des Etats membres de l'Union ?
Sur ce chapitre fondamental, vous me permettrez de formuler quelques observations et de poser quelques questions.
Il importe d'abord de se demander où nous en sommes.
Tout d'abord, il existe assez peu de domaines où le travail des commissaires européens en charge du dossier fiscal ait produit un résultat patent.
Ainsi, il n'existe pas de coordination en matière de droits d'accises, sinon pour valoriser une majoration de la taxe pesant sur la consommation de gazole.
De même, en matière de TVA, l'eurocompatibilité se limite, pour l'heure, à fixer des planchers d'imposition pour la définition du taux réduit et du taux normal de la taxe, sans que les assiettes soient aujourd'hui unifiées et alors que persistent - pour certains aspects, heureusement - de grandes divergences dans l'application de la taxe comme dans les conditions de son recouvrement.
C'est d'ailleurs d'autant plus regrettable que l'initiative parlementaire est généralement à la fois victime de cette eurocompatibilité limitée et du fait qu'une part importante de la contribution de chacun des Etats membres est encore fondée sur un prélèvement sur les recettes de TVA.
Pour notre part, nous estimons que la France doit être à l'initiative d'une redéfinition de la directive sur la TVA laissant plus de marge de liberté aux Etats membres, tandis que nous devons clairement envisager la perspective de la réduction du taux normal pratiqué dans notre propre pays.
S'agissant, en ce domaine, de la sortie du régime transitoire, nous ne pouvons encore manquer de souligner que celle-ci ne peut s'effectuer tant que certains de nos partenaires continueront à vouloir imposer l'abandon des règles qui président, dans notre pays, à la détermination de l'exigibilité de la taxe.
Dans un autre domaine, soulignons que la Commission européenne ne semble pas avoir encore réussi à préciser sa position sur la question cruciale de l'imposition des plus-values et des placements et revenus de capitaux mobiliers, comme de valeurs monétaires.
Le Parlement européen a ainsi débattu de la mise en place d'une taxation des transactions menées sur les marchés monétaires, taxation inspirée des travaux du prix Nobel américain d'économie James Tobin, mais il semble bien que la Commission fasse encore, là aussi, la sourde oreille.
Madame la secrétaire d'Etat, quelles suites entendez-vous donner aux exigences de M. Pedro Solbes, qui vient de s'exprimer au nom de la Commission sur la monnaie unique ?
M. Solbes prétend interdire toute réduction d'impôt non compensée par une réduction des dépenses courantes.
M. Solbes veut nous contraindre à une hausse des impôts en cas de décélération de la conjoncture et, inversement, prendre en compte l'effet de la pression fiscale sur le niveau de la dette publique et la politique budgétaire à long terme.
Enfin, M. Pedro Solbes exige que la baisse d'impôt s'inscrive dans le cadre d'une réforme globale de la fiscalité.
Que pensez-vous de ces exigences ? N'y a-t-il pas là une attitude comminatoire quelque peu déplacée ? Entendez-vous, madame la secrétaire d'Etat, répondre à ces oukases ? Puisque le temps vient d'assumer la présidence de l'Union européenne, quels seront vos choix, vos propositions, vos décisions ?
M. Védrine, lors de sa communication, la semaine dernière, au Sénat, s'est montré fort réservé, voire énigmatique. Comme s'il n'allait rien se passer ! Nous en doutons fortement, et les propos introductifs de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, tout à l'heure, m'ont paru un peu trop lapidaires. Donc, qu'allez-vous proposer ?
Nous attendons l'expression de la volonté du Gouvernement, de ses projets : la présidence française s'achèvera alors que le budget pour 2001 sera voté.
Madame la secrétaire d'Etat, permettez-moi maintenant d'en venir à d'autres propositions.
Nous avons inscrit, comme proposition majeure pour notre pays, la majoration des ressources des Français. Nous ne pouvons pas admettre cette réalité de travailleurs pauvres, qui émerge actuellement pour devenir simple banalité. Le travail ne nourrirait plus l'homme !
Accompagnant une première mesure de revalorisation du pouvoir d'achat, nous proposons de rééquilibrer fiscalité directe et fiscalité sur la consommation, afin de favoriser cette dernière.
De nouvelles baisses ciblées de la TVA entraîneraient des achats supplémentaires pour les plus défavorisés de nos concitoyens, seraient une impulsion pour la production de biens pour les ménages, nous acheminant vers un retour au taux de 18,6 %. La directive européenne fixe d'ailleurs un plancher de taux de la TVA de 15 %.
Une réforme hardie de la fiscalité sur l'essence permettrait plus de justice sociale et des ressources nouvelles. « Faire le plein » devient une dépense trop lourde pour les milieux populaires, notamment pour tous les automobilistes que la spéculation foncière et immobilière a chassés des centres-villes urbains. Or 85 % du prix de l'essence est constitué de taxes.
La baisse de l'impôt que vous proposez peut être source de plus grandes inégalités et d'injustices, puisque vous prévoyez en même temps un abaissement des plus hautes tranches. Nous pensons au contraire que, s'il faut refondre le barème et maintenir les 20 %, il faut aussi créer de nouvelles tranches et revoir l'avoir fiscal. Il est quand même anormal que 100 000 foyers fiscaux ayant des revenus supérieurs à 150 000 francs soient non imposables !
L'imposition des revenus financiers des entreprises doit être revue à la hausse. La prise en compte d'une partie des actifs financiers des entreprises à un taux de 0,3 % dans l'assiette de la taxe professionnelle rapporterait 60 milliards de francs aux collectivités territoriales, ce qui permettrait la réforme tant attendue et sans cesse rapportée de la taxe d'habitation, avec une prise en compte nouvelle des ressources et un dégrèvement de la taxe sur le foncier bâti, qui devient trop lourde pour les nouveaux propriétaires les moins fortunés.
L'accroissement du nombre de dossiers de surendettement est là pour rappeler qu'un nouveau problème bien réel se pose. Dans mon département, le Val-d'Oise, 3547 dossiers ont été déposés en 1999, soit une augmentation de plus de 20 % en un an.
Complétant les mesures de revalorisation du pouvoir d'achat et d'une justice fiscale plus morale et plus efficace, nous proposons une nouvelle définition de la notion de dépenses publiques en fonction des besoins et non de postulats réducteurs de dépenses mais aussi de croissance, comme l'a dit tout à l'heure M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, d'ailleurs approuvé en cela par le président de notre commission des finances.
La situation des comptes sociaux, comme celle des comptes des collectivités locales, s'est améliorée. Nous ne pouvons d'ailleurs qu'en profiter pour indiquer que la création d'emplois et l'amélioration des recettes de la sécurité sociale sont incontestablement les outils les plus performants pour améliorer les comptes sociaux, et ce bien plus que toutes les mesures de restriction et d'économies qui ont été choisies ces dernières années.
Pour autant, cette situation des comptes publics qui, sous de nombreux aspects, répond aux exigences de la construction européenne et aux objectifs de convergence des politiques économiques et budgétaires, présente cependant un certain nombre de faiblesses.
Second aspect de la situation : la question de l'origine de l'amélioration des comptes est indissociable de celle des choix qui sont opérés en matière de fiscalité et de dépenses publiques.
De manière plus significative, nous devons poser de nouveau la question de la dépense pour l'emploi et, notamment, poser le problème de sa réaffectation vers l'allégement de la contrainte financière des entreprises en lieu et place de l'allégement des cotisations sociales.
M. le ministre a déclaré vouloir mettre fin au gel de l'emploi public. Comme il a raison ! Mais cela implique une croissance des dépenses publiques supérieure à 0,3 %. Cela implique également l'intégration des emplois-jeunes, leur formation et leur titularisation.
Comment répondre aux besoins des services publics, vouloir augmenter la productivité de 1,5 %, répondre à la réduction du temps de travail à 35 heures dans la fonction publique, si l'on ne désigne pas 2001 « grande année pour les services publics » ?
Les chiffres avancés sont inquiétants, madame la secrétaire d'Etat, car ils envisageraient une progression des dépenses publiques dix fois inférieure à la progression du produit intérieur brut.
Faut-il vous rappeler également que l'existence de recettes fiscales supplémentaires a été une grande révélation pour les Français ? Ils veulent pour leurs écoles, leurs hôpitaux, leurs transports, leurs commissariats, bénéficier des 3 % supplémentaires de la richesse nationale qu'ils ont contribué à produire malgré l'austérité qu'ils ont subie.
Cette découverte, avec les conséquences qui en découlent, est saine. Elle anime aujourd'hui les luttes et le mouvement social. La notion de répartition pour des crédits à moyens globalement constants ne passe plus. Vouloir le nier, madame la secrétaire d'Etat, conduirait à de cruelles désillusions pour le Gouvernement.
Trop de citoyens vivent mal d'être à l'écart d'une richesse nouvelle du pays et, d'ailleurs, ils s'expriment par une non-participation aux élections. Les derniers résultats d'élections partielles aboutissent à des élections avec 15 % des inscrits. Pourquoi ? Après avoir dit à celles et à ceux dont le pouvoir d'achat est encore inférieur au SMIC : « On ne peut rien faire de plus pour votre salaire, il en est de même pour votre école, votre hôpital », la crédibilité de la politique gouvernementale est en cause. Nous dépassons là, vous le voyez bien, une réflexion pouvant apparaître comme politicienne, mais en fait représentant un vrai choix de société.
La France manquerait de main-d'oeuvre qualifiée, mais elle ne donnerait pas les moyens nécessaires à l'évolution de notre système éducatif.
Les Français vivraient plus vieux. Des méthodes nouvelles de lutte contre la maladie se feraient jour et on ne pourrait pas faire face à l'achat de prothèses corrigeant la vue, la surdité. On ne pourrait pas faire face au paiement des frais de séjour dans les maisons de retraite. Les services publics devraient augmenter leur productivité de 1,5 %, accéder aux 35 heures, mais sans moyens nouveaux alors que la création d'emplois se fait pressante.
Madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, là sont les choix de société, là s'expriment les choix budgétaires pour l'année prochaine. Je vous mets en garde. Les idées d'extrême droite progressent, lit-on dans certains sondages. Même si les partis d'extrême-droite reculent, la progression de leurs idées est grave. La logique, la justice, l'efficacité des choix budgétaires sont les meilleurs antidotes à l'inégalité et à l'injustice. Elles peuvent renforcer le dynamisme de celles et de ceux qui ont mis leur espoir dans le renouveau de 1997. Ne pas les décevoir est, à notre avis, le choix budgétaire premier. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-heuf heures cinquante, est reprise à vingt-deux heures cinq.)