Séance du 6 décembre 1999







M. le président. La séance est reprise.
La parole est à M. Revol.
M. Henri Revol. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ayant été chargé par l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiqueset technologiques d'un rapport sur la politique spatiale française, je souhaiterais obtenir quelques éclaircissements et, surtout, un engagement au sujet du budget du Centre national d'études spatiales, le CNES.
La subvention d'investissement accordée au CNES dans le cadre du projet de loi de finances pour l'an 2000 est de 8 060 millions de francs, soit une diminution de 160 millions de francs par rapport à l'exercice 1999.
Je le rappelle, cette subvention d'investissement avait été de 8 350 millions de francs en 1996 et en 1997, de 8 150 millions de francs en 1998 et de 8 220 millions de francs en 1999.
Elle a donc subi une diminution de 200 millions de francs en 1998, puis une augmentation de 70 millions de francs en 1999 - elle n'a pas permis toutefois de retrouver le niveau de 1996 et de 1997 - et vous la réduisez à nouveau, de 160 millions de francs, cette fois.
Vous le savez, monsieur le ministre, il est impossible que la politique spatiale française, compte tenu de l'incontournable dimension pluriannuelle des programmes, soit menée efficacement dans un tel contexte d'oscillation budgétaire. (M. le ministre fait un signe de dénégation.)
Monsieur le ministre, je reprends les chiffres de vos propres documents budgétaires !
Les restrictions budgétaires pénalisent excessivement le CNES. Elles vont à l'encontre du choix de rigueur qui avait été fait pour la résorption des arriérés de contribution à l'European Space Regency, l'ESA. Enfin, elle ne sont pas favorables à l'exécution des programmes spatiaux. Elles pénalient le CNES avec excès, compte tenu de la qualité de cet organisme et du rôle qu'il joue dans la politique spatiale française et européenne, à plusieurs niveaux.
Pour ce qui est des réalisations technologiques, le CNES a démontré ses qualités. Le succès de la famille des lanceurs Ariane, qui garantit l'indépendance de l'accès à l'espace et permet, en outre, de dominer le secteur économique du transport spatial, en est une preuve. A la veille du premier lancement commercial d'Ariane 5, on ne peut que saluer ce succès.
Le CNES est également le seul dépositaire, en France et en Europe, de la technique des ballons stratosphériques, un moyen d'observation peu coûteux et permettant d'étudier l'astronomie, les plasmas spatiaux, la physique du globe et, surtout, l'atmosphère. Le programme français est, en importance, le deuxième au monde après celui des Etats-Unis.
Enfin, dans un souci d'optimisation technologique et économique, le CNES a mis en place une filière de micro-satellites et mini-satellites qui permet de compléter les grands programmes traditionnels par la réalisation rapide et à moindre frais de missions scientifiques. Ces micro-satellites et mini-satellites ont déjà trouvé des applications telles que Jason 1-Proteus, qui prendra le relais du satellite d'océanographie Topex-Poseidon, ou telles que la mission Piccasso-Cena d'étude climatique menée en coopération avec les Etats-Unis.
En matière de stratégie économique, le CNES a anticipé avec succès les transferts, que vous-même préconisez aujourd'hui, vers le secteur industriel, tant par la création d'Arianespace que par le soutien de multiples start up. Il a, par ailleurs, établi un protocole de partenariat avec Alcatel pour le projet Skybridge de constellation de satellites en orbite basse, qui permettra un accès rapide à Internet ainsi qu'à différents services interactifs tels le télétravail ou le téléenseignement. Des partenariats ont également été établis avec des groupes industriels tels que Rhône-Poulenc ou Vivendi.
Enfin, vous ne pouvez ignorer les engagements qu'a pris cet organisme depuis quelques années pour rendre ses activités plus cohérentes et plus compétitives.
Le plan stratégique avait, dès 1996, identifié cinquante actions destinées à concrétiser une volonté novatrice dans des directions telles que le partenariat avec l'industrie ou la constitution de groupes stratégiques communs avec les autres puissances spatiales.
Le plan statégique de 1999 s'inscrit dans la continuité de cet esprit de rénovation de l'établissement et d'ouverture vers la communauté scientifique, le grand public et, bien sûr, le monde économique.
Il est parfaitement cohérent avec les dix engagements contenus dans le contrat quadriennal d'objectifs que le CNES va bientôt signer avec votre ministère.
Ne vous semble-t-il pas légitime que, lorsqu'un organisme s'engage à respecter des obligations pendant plusieurs années consécutives, son ministre de tutelle s'engage, lui aussi, à assurer à celui-ci une certaine lisibilité budgétaire ?
Les restrictions budgétaires pour 2000 ont un deuxième aspect néfaste : elles remettent en cause la résorption de l'arriéré de contributions du CNES à l'Agence spatiale européenne.
A la fin de l'exercice 1995, le CNES avait constaté que les engagements qu'il avait contractés vis-à-vis de ses fournisseurs, dont l'ESA, European Space Agency, ne pouvaient être honorés en raison de l'insuffisance des crédits de paiement dont il disposait.
Il avait alors appliqué rigoureusement un plan de retour à l'équilibre des comptes.
Les déficits constitués dans le cadre des activités conduites par le CNES pour son propre compte ont été annulés dès la fin de l'exercice 1997, notamment grâce à l'adoption, dès 1996, de principes de gestion privilégiant le suivi des crédits de paiement, et par une politique de réduction des engagements juridiques et de régulation de ceux-ci selon la disponibilité des moyens de paiement.
Les arriérés de contribution du CNES à l'égard de l'ESA, qui s'élevaient à 1 734 millions de francs au 31 décembre 1995, doivent être ramenés à 478 millions de francs à la fin de 1999.
Pour l'an 2000, le CNES prévoyait de rembourser 307 millions de francs, dont 150 millions de francs au titre des services votés inscrits en loi de finances initiale et 157 millions de francs au titre de la mise en oeuvre en 2000 du dispositif de blocage de fonds décidé au Conseil de l'ESA tenu à Bruxelles en 1998 à l'échelon ministériel.
Or, vous le savez bien, monsieur le ministre, compte tenu de la diminution de 160 millions de francs de sa subvention d'investissement, le CNES sera obligatoirement conduit à réduire de 100 millions de francs le remboursement de ses arriérés de contribution, ce qui est totalement contraire à l'esprit de rigueur qui avait prévalu ces dernières années.
Enfin, la troisième conséquence négative de la réduction du budget du CNES est la fragilisation des programmes spatiaux.
Dans un premier temps, le CNES devra différer et largement réaménager le projet COROT, qui devait permettre d'étudier la sismologie stellaire et de rechercher des planètes extrasolaires. Outre son intérêt scientifique évident, COROT présente l'avantage de s'intégrer dans le programmede mini-satellites utilisant deux plates-formes récurrentes de la filière Proteus, filière destinée à adapter des plates-formes standardisées aux besoins du marché. Il est donc regrettable de ne pouvoir mettre en oeuvre le projet COROT tel qu'il était prévu.
Vous me rétorquerez, monsieur le ministre, que le CNES aurait pu procéder à d'autres arbitrages, mais reconnaissez que sa marge de manoeuvre était bien réduite, compte tenu notamment des engagements pris auprès d'autres pays ou de groupes industriels privés pour la réalisation d'importants programmes pluriannuels.
Plus généralement, vous devez reconnaître que l'ensemble des programmes spatiaux ne peut être que fragilisé par les oscillations budgétaires.
S'il est évident que les projets destinés à améliorer la compétitivité du lanceur Ariane 5 - je pense à Ariane 5 Plus, Ariane 5 Evolution - ne doivent subir aucun retard provenant de restrictions budgétaires, il faut également être conscient de la stabilité financière indispensable aux autres programmes, qu'ils soient réalisés par le CNES seul ou dans le cadre d'une collaboration européenne. Je citerai notamment l'intéressante filière des micro-satellites et mini-satellites, les programmes Stentor et Artes 3 dans les télécommunications, Meteosat de Seconde Génération et Metop pour la météorologie, la constellation Pléiade de petits satellites pour l'imagerie civile et militaire et, bien entendu, le projet Galileo, indispensable à l'indépendance européenne dans le domaine de la navigation par satellites.
Vous savez que tous ces programmes, dont vous n'avez d'ailleurs jamais nié l'utilité, sont par définition, compte tenu de leur coût et des développements scientifiques et techniques qu'ils supposent, des programmes pluriannuels. L'instabilité budgétaire, la variation des crédits alloués d'une année à l'autre les met en péril.
Monsieur le ministre, je ne vous pousse pas à la dépense - d'ailleurs, je ne le pourrais pas ; mon collègue Pierre Laffitte a exposé tout à l'heure les pouvoirs du Parlement en cette matière - mais je vous réclame la constance. Je vous demande non pas d'augmenter substantiellement le budget du CNES, mais seulement de vous engager à garantir sa stabilité, condition sine qua non des succès de la politique spatiale française et européenne. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Laffitte.
M. Pierre Laffitte. Monsieur le ministre, si je m'exprime de nouveau à cette tribune, c'est parce que je voudrais, à titre personnel, insister avec beaucoup de force sur quelques points que j'ai déjà évoqués.
Tout d'abord, je souhaiterais - je ne peux pas le demander officiellement - que l'on aide l'INRIA, l'Institut national de recherche en informatique et en automatique, qui a démontré plus que toute autre structure, et c'est ce qui justifie cette citation particulière, qu'il générait des créations d'emploi à partir de scientifiques. En effet, les différentes start up qui sont issues de l'INRIA représentent un potentiel considérable en termes de revenus fiscaux, de créations d'emploi et de développement de la recherche. Le nombre d'ingénieurs qui travaillent au sein de ces entreprises est très largement supérieur à celui des personnels financés par l'Etat.
Pour appuyer le développement de la politique d'innovation à laquelle nous tenons tous, qu'il s'agisse de la droite, de la gauche, du centre et, surtout, de tous ceux qui veulent que notre pays réussisse et soit l'un des plus dynamiques au monde, il est essentiel de donner une cinquantaine de postes à l'INRIA. Sur les 50 000 postes de chercheur du secteur public, cela devrait être possible, compte tenu, notamment, du grand nombre de chercheurs qui désormais partent à la retraite. Monsieur le ministre, nous vous demandons de prendre cette décision.
Par ailleurs, et c'est le deuxième élément sur lequel je voudrais insister, il conviendrait de lancer un programme interministériel pour une politique de création de contenus multimédia destinés à être injectés dans les réseaux terrestres ou satellitaires, à savoir tout ce qui est en train de se développer en matière d'Internet à grand débit. En Europe, sont actuellement prévus des centaines de milliards de francs pour les infrastructures. Qu'il s'agisse des anciens opérateurs nationaux, d'autres opérateurs qui s'intègrent à eux ou des Américains, les financements sont considérables.
Je ne doute pas que, d'une certaine façon, les grands entrepreneurs comme Hachette, Havas ou Bertelsmann se préoccupent, en liaison avec des opérateurs de télévision, de la préparation de ces contenus. Mais ce sont des éditeurs, et non des auteurs. Les auteurs, ce sont les petites équipes qui, dans nos universités, au sein de centres de recherche ou dans de petites entreprises privées, sont susceptibles de créer des produits multimédia, dans le domaine médical, en matière de formation à distance, dans le domaine de la culture, des arts, etc.
Il y a là une opportunité extraordinaire de faire travailler ensemble la moitié de nos universitaires et de nos chercheurs dans plusieurs domaines des sciences humaines, des arts, de la littérature ou de la sociologie, avec des informaticiens et des ingénieurs pour créer une dynamique dans ce qui représentera le plus grand moteur de créations d'emploi.
Enfin, troisième point sur lequel je me permettrai d'insister, je souhaite, monsieur le ministre, que vous poursuiviez l'action que vous avez commencée à l'échelon de l'Europe. Comme j'ai pu le constater, le personnel des commissions concernées à Bruxelles et les commissaires sont beaucoup plus ouverts. Ils ne sont plus dominateurs et n'ont plus le sentiment de détenir seuls la connaissance. Il faut que nous continuions, que vous continuiez, monsieur le ministre, que chacun continue à les inciter à faire des efforts, par exemple, pour développer à nouveau des infrastructures adaptées aux nouvelles technologies. Il s'agira d'infrastructures communautaires qu'ils financeront et qui seront réparties dans les différents pays, y compris en France, notamment des centres de ressources multimédia ou des centres d'études spécialisées, par exemple dans le domaine de la sécurité alimentaire.
Il faut véritablement imposer à la Commission de concevoir des grands projets qui, inscrits ou non dans le cinquième PCRD, le programme civil de recherche et de développement, financent à la fois des investissements et des participations aux dépenses de fonctionnement. Ainsi, l'espace européen sera financé par l'Europe, alors que, pour le moment, il n'est financé que par certaines nations.
Par ailleurs, il faut aussi mener une action afin de promouvoir les projets EUREKA - European research coordination agence - qui sont d'origine française ou franco-allemande. En effet, dans ce domaine, on constate actuellement une érosion. Or les industriels et les laboratoires considèrent que les procédures EUREKA génèrent beaucoup moins de pertes de temps ou de substance et de red tape, comme disent les Américains, c'est-à-dire de bureaucratie, laquelle est, en l'occurrence, tout à fait inutile.
Telles sont, monsieur le ministre, les souhaits que je voulais formuler et sur lesquels je tenais à insister vivement. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Heinis.
Mme Anne Heinis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de revenir un instant sur les dotations du Commissariat à l'énergie atomique, qu'ont déjà évoquées nos rapporteurs au cours de leurs interventions.
Ce sujet est loin d'être anecdotique. En effet, cet établissement représente une carte maîtresse pour l'avenir nucléaire de notre pays, et les questions dont je vais faire état ont été soulevées, lors du débat budgétaire à l'Assemblée nationale, par tous les groupes politiques - sauf un ! - ainsi que par le rapporteur spécial de la commission des finances et par le rapporteur pour avis de la commission de la production et des échanges.
En effet, alors que les crédits d'investissement alloués à cet établissement ont presque totalement été débudgétisés en 1997 - ce qui, bien sûr, a fragilisé durablement son équilibre financier - le projet de loi de finances pour 2000 me semble porter un nouveau mauvais coup au CEA.
Tout d'abord, le « maintien » apparent de la subvention de l'Etat est assez largement illusoire, puisque celle-ci avait été diminuée de 300 millions de francs en 1999 et que le bouclage du budget pour ce même exercice du CEA se révélera, de ce fait, acrobatique, voire impossible, malgré une ponction supplémentaire de 160 millions de francs opérée sur les industriels et une réduction du programme d'investissement à hauteur de 100 millions de francs. Par conséquent, l'impasse s'élève à 40 millions de francs pour 1999.
Pour 2000, les perspectives ne sont guère réjouissantes, car si l'on analyse le projet de budget notifié par la tutelle à l'établissement, on s'aperçoit que l'impasse pourrait même atteindre, à ma connaissance, près de 246 millions de francs, pour un budget total de 11,1 milliards de francs.
L'« équilibre » de ce budget repose sur des bases plutôt fragiles.
Pour ce qui concerne les ressources, 50 millions de francs sont censés provenir du Fonds de la recherche technologique et du Fonds national de la science qui procèdent - on le sait - par appels à propositions. Alors, monsieur le ministre, si l'on est tellement sûr que ces crédits iront au CEA, pourquoi ne pas les avoir inclus directement dans la dotation inscrite au budget de l'Etat au titre de cet organisme...
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. C'est exactement l'inverse !
Mme Anne Heinis. Pas tout à fait !
... au lieu de les intégrer à la ligne budgétaire du Fonds de la recherche technologique ?
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Mais non ! La différence, c'est qu'ils sont en compétition avec d'autres !
Mme Anne Heinis. S'agissant toujours des ressources, 21 millions de francs proviendraient en outre d'un emprunt à CEA Industrie, qui financerait ce dernier par la vente partielle du capital de certaines filiales. Est-il raisonnable de céder ce que M. le rapporteur spécial a appelé des « bijoux de famille » pour couvrir les frais de fonctionnement du CEA ?
Enfin, 165 millions de francs supplémentaires devraient être trouvés auprès des industriels, qui financent déjà à près de 40 % le CEA - ce qui représente une proportion inégalée à l'étranger, qui va donc encore augmenter. Malgré l'excellence des travaux du CEA, il est probable que ces industriels ne manqueront pas de trouver la pilule bien amère, puisqu'on leur a déjà joué, si j'ose dire, la même musique l'an dernier !
Pour ce qui concerne les dépenses, le projet de budget est construit sur une hypothèse de gel des salaires et ne prend pas en compte le coût de la mise en place des 35 heures. Par ailleurs - c'est un autre point important - la taxation introduite par l'article 24 du projet de loi de finances pour 2000 pourrait coûter entre 10 millions et 130 millions de francs supplémentaires au CEA, selon la valeur du coefficient multiplicateur, qui sera comprise entre un et quatre, à la discrétion du Gouvernement, ce qui pourrait d'ailleurs apparaître comme allant à l'encontre des prérogatives constitutionnelles duParlement.
Je crains donc que le CEA ne puisse respecter son programme d'investissement et poursuivre, notamment,l'indispensable processus d'assainissement de ses centres civils.
La situation est préoccupante. Or, monsieur le ministre, 100 millions de francs sont inscrits au chapitre 45-10 du ministère de l'industrie à l'article 50, qui correspondent à la provision pour frais de scission de l'IPSN et du CEA. Ne serait-il pas opportun de les intégrer à la dotation du CEA, au chapitre 45-10, article 40, et de régler la question du financement des frais éventuels de scission entre l'IPSN et le CEA dans le collectif budgétaire, puisque l'on ne sait pas encore exactement quand cela se fera ? Cette proposition est d'ailleurs avancée par M. Jean Clouet, rapporteur spécial des crédits de l'industrie, dans son rapport. Peut-être cela pourrait-il représenter un début de solution.
Monsieur le ministre, que pensez-vous de cette proposition ? Je serais heureuse de connaître votre point de vue sur ce sujet. Pouvez-vous nous dire comment vous comptez régler les problèmes qui se posent pour assurer l'avenir du CEA ?
Enfin, dernière question que je poserai également à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie, puisque vous exercez une tutelle commune, pouvez-vous également nous dire quand sera prise la décision de lancement du nouveau réacteur EPR ? Je crains, si nous devions attendre jusqu'à mai 2002, que la France ne laisse passer sa chance. (Applaudissement sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. René Trégouët, rapporteur spécial. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteurspécial.
M. René Trégouët, rapporteur spécial. Lors de mon intervention au nom de la commission des finances, quand j'ai dit que « les indicateurs de l'OCDE nous placent en queue du peloton de tête des principaux pays industrialisés pour les ratios concernant la dépense intérieure de recherche par habitant ou le nombre de chercheurs par rapport à la population active », vous m'avez vivement interrompu, monsieur le ministre, en m'objectant que les bases sur lesquelles je me fondais étaient fausses.
Je tiens à remplir avec rigueur ma tâche de rapporteur, et, bien entendu, je me réfère aux sources les plus authentiques, puisque je m'appuie sur un document officiel, un document législatif, à savoir le « jaune ».
Il y est indiqué très clairement que si la dépense intérieure de recherche et développement par habitant est de 100 en France, elle est de 167 aux Etats-Unis, de 150 au Japon et de 107 en Allemagne. Quant au nombre de chercheurs ramené au chiffre de la population active, le ratio est de 6,1 en France, de 7,4 aux Etats-Unis et de 9,2 au Japon.
Je tenais à être précis, car je ne veux pas que l'on puisse dire que nous avons cité de faux chiffres.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Tout d'abord, je donne acte à M. le rapporteur spécial de ses précisions. Le document dont je dispose provient de l'OCDE, mais puisque celui de M. Trégouët émane du Gouvernement, j'assume la responsabilité d'une erreur éventuelle. Il n'en reste pas moins qu'il faudra tirer les choses au clair sur le fond, car le problème n'est pas sans intérêt, en particulier en ce qui concerne les chercheurs. Quoi qu'il en soit, je demande à M. Trégouët de bien vouloir m'excuser.
Cela étant, monsieur le rapporteur spécial, j'ai bien pris note de votre déception et de vos inquiétudes, mais il s'agit ici d'un débat politique, et je voudrais tout de même rappeler quelques chiffres.
Vous vous dites déçu que l'on ne consacre pas davantage de crédits à la recherche, mais, en 1994, ceux-ci étaient en recul de 1,9 % ; or vous aviez voté le projet de budget. En 1995, la diminution était de 1,8 %, et vous aviez, là encore, voté le projet de budget. En 1996, le recul atteignait 3,4 %, et, une fois de plus, vous aviez voté le projet de budget.
En revanche, le présent projet de budget prévoit non pas une réduction, mais une croissance des crédits de la recherche, à hauteur de 1,3 %. Je pense donc, que, en ce qui concerne la question budgétaire, il faut être équitable. Je sais qu'il est de tradition, dans l'opposition comme dans la majorité, d'avoir beaucoup d'idées et d'ambition lorsque l'on n'est plus au Gouvernement. Mais, quand on exerce des responsabilités gouvernementales, il faut assumer ses choix. C'est ce que je fais, et je maintiens ce que j'ai dit : s'agissant de la recherche, le problème le plus urgent n'est pas celui du montant du budget global, c'est celui de la répartition des crédits. A titre de comparaison, si la Grande-Bretagne obtient des résultats très supérieurs aux nôtres en matière de recherche, ses dépenses dans ce domaine sont très inférieures aux nôtres, tous les documents en attestent. On voit donc bien que la question de fond ne tient pas à l'importance des crédits.
En effet, une autre urgence s'impose à nous : depuis un certain nombre d'années, le budget de la recherche a dérivé, faute d'une politique budgétaire cohérente. Il est donc impératif de faire en sorte - que la richesse de la science française alimente notre économie. Dans tous les pays modernes, aujourd'hui, c'est la recherche qui dynamise l'économie, mais ce n'est pas vrai chez nous, en tout cas pas suffisamment, bien que la situation commence à évoluer quelque peu.
Dans quelle situation nous trouvions-nous jusqu'à présent ? Les fonds publics étaient principalement affectés aux grandes entreprises, la mobilité des chercheurs en direction du monde économique était résiduelle, et les relations entre laboratoires et entreprises étaient encore empreintes de méfiance.
Face à ce constat, qu'avons-nous fait ? Tout d'abord, le financement a été réorienté, au profit des PME et des PMI, et le Fonds de la recherche et de la technologie, qui allouait plusieurs centaines de millions de francs par an aux grandes entreprises, ne leur a versé en 1998 que 93 millions de francs. Par ailleurs, nous avons reconstitué l'outil d'intervention, qui s'était érodé au cours du temps, mais qui, en deux ans, a vu ses crédits passer de 412 millions de francs à environ 900 millions de francs. Enfin, nous avons créé des réseaux de recherche et de développement technologique. A cet égard, un orateur a évoqué tout à l'heure les piles à combustible. Si le CEA détient une position dominante dans ce domaine, c'est grâce au réseau correspondant.
Mais il y a mieux encore. Par cette méthode, au lieu de donner des subventions aux grands groupes, nous avons mobilisé leur argent. Peugeot et Renault financent ainsi le réseau « pile à combustible », et, de même, de grandes sociétés financent les réseaux « génoplante » ou « génome humain ». Cela a permis de lancer un certain nombre de programmes relatifs à la génomique, aux recherches sur les matériaux et aux sciences et technologies de l'information et de la communication. Nous avons consacré en outre 600 millions de francs au développement du capital-risque, auxquels se sont ajoutés 300 millions de francs provenant du fonds d'intervention européen.
Enfin, nous avons créé des « incubateurs d'entreprises », et instauré un concours visant à encourager la création d'entreprises innovantes par les jeunes chercheurs. A cet égard, l'observatoire sur la création d'entreprises innovantes, qui avait été installé par Dominique Strauss-Kahn, nous indique que la France est enfin en train de rattraper son retard. Cette action, qui constitue notre première priorité, n'avait pas été engagée auparavant, excusez-moi de le souligner.
Par ailleurs, il nous fallait garantir la qualité de la science française. Certes, il est très facile, pour un ministre de la recherche et de la technologie, de se gargariser de la qualité de la recherche française. Cette recherche est de bonne qualité, c'est vrai, mais non pas de très bonne qualité eu égard à l'investissement consenti. Il suffit, pour s'en convaincre, de comparer le nombre de prix Nobel obtenus respectivement par la France et par ses principaux concurrents.
Cela signifie donc que des progrès peuvent être réalisés. Nous venons de mener une enquête à partir des citations en index sur vingt ans, et il apparaît que la recherche française est de très bonne qualité dans deux domaines, à savoir les mathématiques et les sciences de la terre. Pour les autres secteurs, la situation est beaucoup plus variable. Notre recherche pourrait donc être plus performante, et c'est le résultat que nous chercherons à atteindre.
A l'heure actuelle, notre appareil de recherche vieillit - le rapport du commissariat général du Plan le montre - et les jeunes n'ont pas la possibilité de choisir eux-mêmes leurs sujets de recherche. La preuve nous en a été donnée par le lancement du programme pour la création d'équipes de recherche : 2000 jeunes ont demandé à créer leur équipe, alors que les grands mandarins, les chefs des laboratoires me disaient qu'une telle initiative était inutile, parce que le système actuel était satisfaisant. Cette action a permis de créer cent équipes nouvelles.
En outre, les grands organismes tendent à être conservateurs. Par exemple, le CNRS, notre principal organisme de recherche, ne compte pas de département des sciences de l'information et de la communication. Personne au monde ne peut le croire !
Jusqu'à présent, la biologie n'a été une priorité que dans les discours. Pour la première fois, cette année, le nombre de postes de chercheurs en biologie créés au CNRS va dépasser les cent. Je le répète, nos organismes sont auto-reproductifs.
Notre recherche est encore trop éloignée de l'Université. Le dernier week-end, je participais à la réunion du G8 pour la recherche, en Grande-Bretagne. L'unanimité s'est faite, des Etats-Unis au Japon, en passant par le Canada, la Grande-Bretagne, l'Allemagne et la Russie, pour dire que le système le plus rentable, en recherche, c'est l'association péri-universitaire.
Des études quantitatives sont faites, aux Etats-Unis, entre laboratoires nationaux et universités : le facteur de rentabilité est de un à trois. Pourquoi ? Parce qu'aujourd'hui, lorsqu'il y a, autour des universités, des organismes de recherche, des entreprises qui se créent, le transfert des informations vers les jeunes se fait.
Qu'avons nous fait ? Nous avons créé deux fondsd'intervention, suivant en cela l'exemple du premier gouvernement du général de Gaulle, et pour les mêmes raisons, parce que les organismes n'avançaient pas.
Dire que le fonds d'intervention est entre les mains du ministre, c'est ridicule. Ce sont les comités scientifiques, qui distribuent les crédits, comme au CNRS ou ailleurs.
Mais l'avantage accordé à certaines disciplines est effectivement planifié d'en-haut. Tel est le cas des sciences du vivant, qui, cette année, si l'on ajoute au budget les sommes qu'investiront les grandes entreprises, se verront octroyer plus d'un milliard de francs.
S'agissant des sciences de l'information et de la communication, je dis tout de suite à mon ami Pierre Laffitte que le problème des cinquante chercheursde l'INRIA n'en est plus un.
M. Pierre Laffitte, rapporteur pour avis. Merci !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. J'y reviendrai tout à l'heure plus en détail.
Nous mettrons en place, dans le courant de l'année, le rapprochement entre universités et organismes dans le cadre de la réforme du CNRS, avec une mobilité des chercheurs tous azimuts.
Par amendement à l'Assemblée nationale, en première lecture, nous avons demandé une provision de 15 millions de francs pour commencer la mise en oeuvre de l'allégement des horaires d'enseignement des jeunes maîtres de conférence, afin de leur permettre de faire de la recherche.
Les crédits des laboratoires de recherche vont augmenter cette année. Vous avez lu dans la presse que j'ai demandé aux organismes de diriger 200 millions de francs qui étaient destinés aux gros équipements vers les laboratoires de recherche. De plus, je vous annonce que, dans le collectif budgétaire, nous allons abonder cette somme de 100 millions de francs supplémentaires pour commencer le plan d'équipement.
Oui, le choix, ce sont les laboratoires, ce sont les jeunes, c'est l'imagination, c'est l'innovation !
Maintenant, parlons des gros équipements.
Au Conseil européen de la semaine dernière, tout le monde s'est accordé pour dire que les grands équipements devraient être européens. Je vais vous donner des chiffres, et vous aurez ainsi immédiatement la réponse concernant le projet SOLEIL.
La France dépense par habitant 50 % de plus, la Grande-Bretagne 45 % de plus et l'Allemagne 50 % de plus que les Etats-Unis pour les gros équipements.
Cette technique des « Horace et des Curiace », qui consiste à nous diviser, fait que nous sommes tous affaiblis face au géant américain. Nous dépensons tous des sommes considérables pour avoir de gros équipements.
Prenons l'exemple du LURE. On y trouve des gens très agités et très actifs politiquement qui y travaillent 2 000 heures par an, alors que tous les équipements européens fonctionnent 5 500 heures par an. Voilà la différence entre un équipement national et un équipement européen ! Le Gouvernement a donc fait un choix : les équipements doivent être européens.
Je le répète, la décision n'a pas été prise en catimini. La première fois où l'on nous a présenté le projet SOLEIL, nous avons répondu : si c'est un projet européen, trouvez des partenaires, mettez-le où vous voulez, nous sommes d'accord. Le projet n'est jamais arrivé au stade européen, parce que les chercheurs concepteurs du projet ne voulaient pas qu'il soit européen, parce qu'ils refusaient la coopération avec l'Allemagne et la Suisse. Pourquoi ? les informations que je vous ai données vous permettent de trouver la réponse vous-même.
Quant au fond, faut-il refaire un autre synchrotron, alors que la France a déjà le plus gros synchroton du monde, qu'elle est le pays qui dépense le plus en fonctionnement pour les synchrotrons - près de 300 millions de francs de fonctionnement ?
Doit-on faire un synchroton en France ou, dans le cadre d'équipements européens, fabriquer un nouvel instrument original, une résonance magnétique nucléaire à 2 gigahertz, qui permettra d'étudier la structure des molécules jusqu'à 30 000 ou 40 000 de masse sans être obligé de les cristalliser ?
Depuis des années, les gros équipements sont décidés, dans ce pays, sans comparaison ; on pousse à la roue et, un jour, ils sont lancés ! Il y a une pression forte en faveur des gros équipements qui fait qu'ils sont finalement construits. Il en va de même pour les missions spatiales : il n'y a pas de discussion, pas de comparaison. Or, il n'y a pas de choix budgétaire sans une comparaison, sans le choix entre telle ou telle solution. C'est pourquoi je suis personnellement un grand partisan du système du Plan, qui, malheureusement, a été abandonné. Ce n'est plus à la mode !
Cette année, les très gros équipements représentent 4,5 milliards de francs. La moitié de l'augmentation du budget va servir à honorer des engagements liés à ces gros équipements.
Croyez-vous que je vais continuer à laisser un organisme comme le CNRS dépenser 85 % de ses crédits dans les salaires et seulement 15 % dans les frais de fonctionnement et d'équipement sans réagir ?
Ce n'est pas moi qui suis à l'origine de ces déséquilibres budgétaires ; je les ai trouvés à mon arrivée. Selon le rapport du Commissariat du Plan, il serait souhaitable que le CNRS soit à 50 % de salaires et 50 % de fonctionnement, comme le Max Planck Institut. C'est facile à dire. J'ai pris mon téléphone et j'ai demandé à M. Charpin s'il voulait prendre ma place pour savoir comment il allait faire.
Il y a quelques années, le CEA a pris des mesures sacrément rudes : il a mis les chercheurs à la retraite à soixante ans. Faut-il mettre les chercheurs à la retraite à soixante ans pour abaisser leur nombre ? De plus, on ne peut pas me demander, dans le même temps, decontinuer à embaucher pour compenser en totalité les départs en retraite. Cela, je ne sais pas faire ! Comment équilibrer en vidant le seau si je continue à le remplir ?
Le problème de l'emploi scientifique est très sérieux. Il est traité au travers du renouvellement des 3 % et du recrutement de 4 000 enseignants chercheurs, avec des procédures de mobilité : mobilité vers l'industrie, mobilité vers l'université, échanges, la véritable synergie avec l'industrie étant celle des gens qui bougent avec leur know how pour créer.
C'est une politique différente de celle qui a été menée jusqu'ici. Parce que ce sont de grands Européens, je ne veux pas priver les Français de grands équipements.
Le bateau sera construit grâce à une coopération inédite avec les militaires et grâce à une coopération européenne. Il sera extrêmement bien équipé.
Il y aura d'autres projets. En ce moment, le CEA propose de fabriquer un réacteur propre, et donc d'étudier de manière systématique comment on peut brûler les déchets avec des sources à neutrons de grande intensité par spallation. Sans doute faudra-t-il que cet appareil soit européen ; nous recherchons un partenariat pour le faire.
Quand l'Europe est forte, elle fait mieux que les Américains. C'est le cas du CERN, pour les crédits duquel je n'ai pas lesiné. Unissons-nous donc sur le plan européen !
C'est vrai, la position française est maintenant celle que tout le monde a adoptée. Mais je suis bien obligé de dire que, la première fois qu'elle a été exposée, tel n'était pas le cas : la France faisait scandale !
Nous allons effectivement réaliser des grands équipements communs et, d'abord, apporter la réponse sur Internet 2. Nous avons le réseau Renater II. Nous allons faire un réseau européen à deux gigabits par seconde sur toute l'Europe parce que c'est la priorité numéro un.
Nous allons aider à la fabrication de procédés multimédias et, d'abord, de ce procédé essentiel qu'est la traduction automatique en numérique pour les films, qui permet de passer tous les films dans toutes les langues en modifiant la forme de la bouche en fonction des langues. C'est essentiel si nous voulons que notre industrie cinématographique puisse être exportée dans le monde entier.
Nous allons accorder plus de moyens à la mobilité des chercheurs et des étudiants. Actuellement, on dénombre 200 000 chercheurs étudiants ; l'objectif que va fixer la présidence française en Europe est qu'il y ait 4 millions d'étudiants qui soient touchés par les procédures de mobilité européenne.
Gros équipements, mobilité, revues européennes, échanges européens, banques de données européennes, banques de mobilité pour étudiants, etc. : c'est vrai, il y a un changement en Europe, et c'est vrai que le commissaire Busquin est décidé à faire bouger les choses. Enfin, dirai-je !
Vous avez été nombreux à parler du CEA. Il est vrai qu'un gros organisme a toujours un gros lobbying ! C'est la règle. (Sourires.)
Si je ne donne pas des budgets directement au CEA, c'est pour respecter la règle de la compétitivité. Chaque fois, on met en péril la recherche sur l'énergie, ai-je entendu. Non, le CEA fait de la recherche en climatologie, en astrophysique, en biologie, et, en biologie, les laboratoires du CEA ont, par chercheur, 2,5 fois plus que les laboratoires du CNRS dans les mêmes domaines.
Donc, quand je dis que le CEA doit aller, comme les autres, en compétition devant des comités où l'on évalue les projets et les équipes, je ne fais que faire ce que l'on fait partout en matière scientifique. Aux Etats-Unis, la question ne se poserait même pas !
Le CEA récupérera son argent soit dans les réseaux technologiques, soit dans les actions concertées incitatives, mais sur une base compétitive, sur une base qui ne lui est pas assurée.
Donc, personne n'apprécie plus que moi le CEA.
Si l'on ne touche pas à l'option nucléaire - ce n'est même pas à l'ordre du jour au sein du Gouvernement - il suffit de lire mes déclarations pour voir que je n'y suis pas pour rien.
Cela étant, le CEA doit, comme les autres organismes, comme l'INRA, comme l'IRD, comme le CNRS, être soumis à une procédure compétitive, avec des appels d'offres. D'ailleurs, les équipes du CEA, qui sont de bonnes équipes, récupèrent de l'argent. Je pense même qu'elles récupéreront plus que les 100 millions de francs que je leur ai retirés, 100 millions qui, soit dit en passant, représentent 0,5 % du budget, car le budget total du CEA, avec la partie militaire, c'est 18 milliards de francs.
Quant au CNES, il n'est pas du tout en péril. Le CNES a fait de grosses erreurs de gestion, mais la situation est en partie rétablie. Par ailleurs, l'ESA, vous le savez, n'a pas dépensé son budget l'année dernière. Il y a donc un problème comptable de remboursement à ce titre. Et si j'ai, effectivement, serré quelque peu la vis, c'est parce que je veux améliorer la gestion du CNES.
Il est capital d'améliorer la compétitivité d'Ariane. Sinon, après nous être beaucoup autosatisfaits des lancements réussis d'Ariane, nous aurions des lendemains qui déchantent ! Mais pour ce faire, il faut améliorer la compétitivité du CNES, et cela passe par une meilleure gestion.
J'ai donc choisi comme méthode - dans trois ou quatre ans, vous pourrez me critiquer si je n'ai pas réussi - de serrer un peu les boulons. En effet, la technique consistant à dire : « pour que vous gériez mieux, je continue à augmenter votre budget » n'a jamais marché. Je le sais car j'ai quand même géré pas mal de choses dans ma vie...
S'agissant du parc du Nord, monsieur Renar, nous sommes prêts à discuter. Des erreurs de gestion ont été commises, qui ont provoqué des réactions non pas de ma part, mais de l'administration. Je suis prêt à engager une discussion avec les élus sur ce problème.
Vous avez également soulevé le problème des relations science et société. Je vous apporterai deux précisions. D'abord, nous créons au sein du ministère une mission spéciale « information scientifique et technique » dont Mme Dominique Ferriot sera la directrice. Ensuite, la France a invité les pays de l'ASEAN, plus l'Inde, ainsi que les pays membres de l'Union et les pays futurs adhérents, à une conférence qui se tiendra au mois de septembre 2001 sur le thème « science et société ». En outre - vous en avez la primeur - je souhaite associer le Parlement à l'organisation de cette conférence. Je prendrai donc contact avec le président de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, interlocuteur normal, pour étudier comment associer le Parlement à cette initiative.
Par ailleurs, s'agissant des obligations de service faites aux enseignants du supérieur, figureront désormais annuellement cinq heures de cours qui seront dues soit pour l'enseignement des professeurs d'enseignement secondaire, soit pour des conférences publiques.
Je tiens vraiment à sensibiliser, à défaut d'éduquer, le public sur les principaux problèmes qui se posent aujourd'hui. Sinon, il nous sera difficile de défendre la science face aux réactions hostiles qui surgiront un peu partout.
M. Vecten m'a interrogé sur l'aménagement du territoire et M. Rausch est également intéressé par ce sujet.
U 3 M comprend effectivement la recherche. Une discussion va donc normalement s'ouvrir sur l'aménagement du territoire quant à la recherche, puisque c'est une priorité.
J'en viens à l'INRIA. Monsieur Lafitte, je vais d'emblée vous faire une confidence pour vous avouer que c'est à la suite d'une inattention de ma part - dont je prends la responsabilité - que ces cinquante postes n'ont pas figuré dans le projet de budget initial.
Je vous le dis publiquement, mon intention est de doubler le nombre des chercheurs de l'INRIA en quatre ans. C'est notre stratégie. Simplement, nous avons rencontré des petits problèmes pratiques, parce que l'INRIA souhaite certains postes de chercheurs, mais préfère des contractuels pour d'autres, en raison de leur important turn over.
En outre, le problème qui se pose - et l'INRIA en est d'accord - est l'extension de son champ d'intervention, non pas que l'on élimine les mathématiques appliquées - c'est très bien, les mathématiques appliquées ! - mais que l'on élargisse du côté des techniques de la télécommunication pour pallier le fait que le CNET est devenu un laboratoire de recherches lié à une entreprise. Des discussions étaient engagées, le budget était en cours d'élaboration et il y a eu une erreur d'inattention. Mais soyez sans crainte sur ce sujet.
Pour l'INSERM, le problème est différent. L'année dernière, j'avais fortement augmenté son budget, employant une tactique que l'on m'avait recommandée en me disant que, pour modifier les structures, il fallait donner un peu plus d'argent. Eh bien, la preuve du contraire a été faite : l'INSERM n'a pas évolué. Cette année, j'ai appliqué la tactique inverse : j'ai serré la vis, on verra si l'INSERM se réforme, ne serait-ce qu'un peu. Il est en train de le faire, M. Griscelli fait d'ailleurs preuve de beaucoup de détermination.
J'en viens à la procédure EUREKA. Monsieur Laffitte, nous lui avons consacré 30 millions de francs en 1998, 50 millions de francs en 1999, et 50 millions de francs en 2000. C'est une très bonne procédure, mais nous avons besoin maintenant de la revivifier, car la Commission européenne ne l'a pas extraordinairement favorisée, c'est une litote.
M. Pierre Laffitte, rapporteur pour avis. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le ministre ?
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Je vous en prie.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis, avec l'autorisation de M. le ministre.
M. Pierre Laffitte, rapporteur pour avis. Dans le cadre de l'office parlementaire, je fais une étude pour revivifier EUREKA et nous avons déjà eu des contacts très positifs avec nos amis espagnols, allemands et néerlandais sur ce point.
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Il n'y a donc pas de difficulté sur ce point.
En ce qui concerne le problème du CEA et du budget de l'Institut de protection et de sûreté nucléaire, on fera quelque chose, mais je ne vais pas changer de ligne par rapport à ce que je vous ai dit.
S'agissant maintenant du multimédia, je vous ai déjà répondu tout à l'heure lors de l'examen du projet de budget de l'enseignement supérieur, mais j'aurai l'occasion de vous en dire plus au début de l'année 2000 sur notre action en ce domaine. Je vous donne des réponses partielles en attendant.
A la suite du rapport de Jean-Claude Rissel, qui vient de recevoir la médaille d'or du CNRS, nous avons décidé de créer un réseau arts, sciences et technologies, dont l'une des têtes de réseau sera à la Villette, d'autres étant à Marseille, à Grenoble, ou encore à Rennes pour les images.
Nous voulons vraiment encourager la création artistique assistée par ordinateur. C'est un premier point.
Deuxièmement, les contacts avec les groupes industriels français sont très avancés pour instaurer une coordination française en matière de logiciels éducatifs. En outre, dans le cadre du plan U 3 M et de l'installation des centres nationaux de recherche technologique, un centre national de recherche technologique sera créé à Poitiers, dans l'enceinte du Futuroscope, sur les logiciels éducatifs.
Enfin, nous allons créer des banques de données à l'attention de nos professeurs : si l'on veut réformer l'enseignement secondaire, il faut bien leur fournir des documents !
Je ne vous livre donc que quelques idées quelque peu débridées sur ce sujet, et ce volontairement, car j'aurai l'occasion de m'exprimer bientôt plus longuement sur ce chapitre.
Pour conclure, ma stratégie, un peu rude, n'est pas simple. Il serait beaucoup plus facile pour moi de laisser les choses se faire homothétiquement, comme ce fut le cas pendant des années. Moi, j'ai opéré un autre choix, celui d'essayer de redonner à la France une place non pas moyenne mais au plus près du sommet.
En consacrant près de 500 millions de francs par an à la génomique, ce qui nous permettra de nous doter des séquenseurs les plus modernes et de multiplier les possibilités de séquensage de la France par un facteur cinq ou dix dans les deux ans à venir, nous voulons redonner à la France la première place qu'elle a occupée au début des actions, entre Daniel Cohen et Jean Weissenbach, et qu'elle a perdue. Le génome humain, c'est une idée française de Jean Dausset. Les Français ont fait une percée sur le plan technique, mais nous n'avons pas persévéré.
Je considère que nous devons être parmi les premiers. Nous sommes bien placés sur le plan international en matière de création de langages informatiques. Nous sommes parmi les meilleurs dans ce domaine, mais nous avons là encore laissé partir les principaux créateurs.
Vous parliez du problème international demain : je vais aux Etats-Unis. Je vais rencontrer au MIT les « post-doc » français, pour tenter d'en ramener quelques-uns en France. Je m'y rends avec le directeur général del'INSERM, avec le directeur des sciences de la vie du CNRS, avec le directeur scientifique de la Fondation Curie pour essayer, avec Pierre Tambourin, directeur du génopole d'Evry, de les convaincre.
Nous ne sommes pas décidés à céder le moindre pouce de terrain, sur aucun de ces chapitres, mais cela exige que nous fassions des choix. Nous devons rompre avec la logique d'homothétie. Même si l'on augmentait le budget de 5 % sur un exercice, cela ne changerait pas les équilibres au sein du budget.
Le CNRS, sur ses 13 milliards de francs de budget, consacre 11 milliards de francs - je dis bien 11 milliards de francs ! - à la gestion des personnels. Faut-il, pour équilibrer ce budget, ajouter 6 milliards de francs ou même 8 milliards de francs pour financer les autres dépenses du CNRS ? Tout le monde nous traiterait de fous si nous faisions cela. Il y a une autre tactique, mais elle n'est pas facile.
Nous avons décidé de faire ce que personne n'a fait depuis des années, au lieu de prononcer des discours du type : « La grande priorité doit être la biologie. » Vous le savez, M. Giscard d'Estaing avait confié un rapport à François Jacob, François Gros et Leroy. La biologie devait être la priorité : les programmes n'ont pas été augmentés d'un sou. La priorité a continué d'être la physique lourde. Bien sûr, quand on redéploie des crédits, la physique lourde proteste ! Quelqu'un a dit que l'on déshabille Pierre, etc. Non, nous faisons des choix !
Aujourd'hui, je prends des risques avec M. Pierre-Gilles de Gennes et M. Charpak, et j'affirme que l'avenir n'est pas dans la physique lourde. Les découvertes sont dans la physique légère, dans la biologie, dans la chimie, dans les matériaux, dans les sciences de l'information et de la communication, dans la protection de la planète. C'est dans ces secteurs que les progrès sont à faire et c'est là que nous mettons nos priorités. Evidemment, nous sommes obligés de redéployer.
Je voudrais, pour terminer, faire une comparaison en prenant l'exemple du synchrotron. Je l'ai déjà dit, le synchrotron français est utilisé 2 000 heures par an ; le synchrotron européen à Grenoble, l'est 5 000 heures. C'est le même prix de revient : 100 millions de francs de frais de fonctionnement chaque fois. Quand nous avons fait la pile à haut flux à Grenoble, la même équipe - ce sont les mêmes, ceux d'Orsay - a protesté : « Comment Grenoble, il nous faut... » Les gouvernements de l'époque ont cédé : on a donc fait une pile à neutrons à Saclay, qui s'appelle ORPHEE.
Il y a quelques mois, on est venu me voir pour me dire : « Il n'y a pas assez de clients, il va falloir fermer ORPHEE. » On avait payé orphee et il aurait fallu le fermer ! J'ai dit : « Non ! on ne va pas fermer ORPHEE, on va l'européaniser. »
J'ai donc pris mon bâton de pèlerin. Je suis allé voir les Espagnols, les Portugais, pour leur demander de travailler avec nous.
Par ailleurs, le Gouvernement français va mettre un peu d'argent pour donner l'accès à ORPHEE aux pays d'Europe centrale et orientale, les PECO, qui vont adhérer à l'Union européenne. Ces pays ne sont pas riches et nous paierons leurs physiciens et leurs biologistes.
Voilà ce que l'on fait. Notre politique est cohérente.
Pourquoi les équipements européens ne seraient-ils pas sur notre territoire ?, m'a-t-on demandé. Je serai évidemment ravi si la France accueillait tous les équipements européens, mais certains finiraient pas se poser des questions !
Le CERN est, pour les trois quarts, sur le territoire français. L'Agence européenne est à Paris. Le synchrotron européen est à Grenoble. La pile à haut flux est à Grenoble également. Il faudra bien un jour admettre que, lorsqu'on parle de l'Europe, il n'y a pas que la France. Il n'en demeure pas moins que, pour ma part, je suis partisan du fait que la France fasse beaucoup de choses.
Je tiens à ajouter que le fait qu'un synchrotron franco-britannique soit implanté sur le territoire britannique fait beaucoup plus pour l'Europe que de longs discours.
Interrogez les Britanniques ! Les deux scientifiques britanniques qui sont membres du Conseil national de la science ont affirmé que cette implantation arrime les Britanniques à l'Europe. Eux qui croient que leur science est supérieure à celle de tous les autres pays, ils s'engagent dans une coopération avec des Français sur leur territoire, c'est là une action extrêmement utile.
Vous constaterez d'ailleurs, dans dix ans, que tout le monde sera content d'avoir fait un synchrotron franco-britannique.
Maintenant, comme nous avançons - nous avons mis en place le comité européen des grands équipements, qui s'est déjà réuni - s'il s'avère qu'il faut d'autres synchrotrons en Europe, on en construira d'autres, en France ou ailleurs. Est-ce que ce sera dans la vallée de Chevreuse ? C'est une autre affaire ! En effet, j'ai cru comprendre que beaucoup de régions se porteraient candidates. On verra bien !
Est-ce que ce sera une super résonance magnétique à 2 gigahertz ? On verra ce qu'il faut construire, mais on le fera sur la base d'un projet scientifique.
Lorsque le CERN construit un équipement, par exemple le super collider , il le fait pour des recherches précises. C'est pour un projet scientifiques donné que le Gouvernement accorde une certaine somme.
Telle est la politique du Gouvernement par rapport aux grands équipements. (M. Laffitte applaudit.)
M. le président. Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits figurant aux états B et C et concernant l'éducation nationale, la recherche et la technologie : III. - Recherche et technologie.

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ÉTAT B

M. le président. « Titre III : 234 455 000 francs. »