Séance du 6 décembre 1999







M. le président. Le Sénat va poursuivre l'examen des dispositions du projet de loi concernant l'éducation nationale, la recherche et la technologie : III. - Recherche et technologie.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. René Trégouët, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est la première fois, depuis que je rapporte ce budget, que je demande le rejet de ses crédits.
Je veux ainsi non pas manifester une réprobation totale à l'égard de son évolution pour l'an 2000 ou envers la politique de la recherche qui est menée, mais tirer solennellement une sonnette d'alarme.
Mon insatisfaction est motivée davantage par une profonde inquiétude pour l'avenir de la recherche française que par une condamnation de principe de tous les choix qui sont faits, et je pense qu'il est bien de dire avec humilité, en cet instant, que je n'ai aucune certitude de détenir la vérité en ce domaine.
Je veux donc, malgré mon vote négatif, me montrer nuancé et ouvrir, à l'occasion de ce débat, un véritable dialogue avec vous, monsieur le ministre.
La décision de la commission des finances de rejeter les crédits de la recherche pour l'an 2000 tient davantage à l'évolution globale insuffisante de ce budget qu'à l'orientation de ses priorités. Elle met en cause plus le processus que le contenu des décisions qui sont prises.
Nous rejetons ces crédits pour deux raisons principales.
D'une part, ils ne sont pas à la hauteur des enjeux et des besoins de la recherche française.
D'autre part, nous ne sommes pas pleinement satisfaits de la façon dont les décisions sont prises et exécutées.
Tout d'abord, le montant des crédits de la recherche en 2000 n'est pas à la hauteur des enjeux et des besoins de notre recherche, disais-je.
Je note, dans mon rapport écrit, qu'il est même en contradiction avec les ambitions du Gouvernement affichées par le comité interministériel de la recherche du 15 juillet 1998. Le compte rendu de ce comité affirmait en effet que la France devait se donner les moyens d'adapter son dispositif public de recherche pour être capable de relever les défis du siècle prochain.
Or, que constate-t-on ? Le taux de progression du budget civil de recherche et de développement, qui passe de 53,9 milliards à 54,6 milliards de francs, est de 1,3 %. Il est donc à peine supérieur à celui de l'ensemble des dépenses civiles de l'Etat, qui est de 1,2 %. Il leur est même inférieur en ce qui concerne les autorisations de programme.
Au sein du budget civil de recherche et de développement technologique, le BCRD, votre propre budget, monsieur le ministre, progresse, à structure constante, de 1,1 % pour le total des dépenses ordinaires et des crédits de paiement, qui avoisinent 40 milliards de francs. Certes, on peut considérer que le verre est à moitié plein, puisque c'est un peu plus que l'inflation. Je considère, pour ma part, qu'il est à moitié vide, car c'est moins que la croissance de l'économie et beaucoup moins que celle des budgets de certains autres départements ministériels.
En revanche, l'accroissement de 3,6 %, à structure constante, des autorisations de programme est un élément positif.
Force est de reconnaître, cependant, que la recherche est loin de faire l'objet de la priorité budgétaire qu'elle mérite. Il n'est que de comparer la progression de ses crédits à l'augmentation de ceux de l'environnement, de l'emploi ou de la justice, par exemple.
Cette progression n'est pas à la hauteur des enjeux et des besoins de notre recherche.
Les enjeux, je le rappelle brièvement, ne sont pas seulement scientifiques. Ils sont aussi culturels, stratégiques, s'agissant, par exemple, de notre défense, de l'accès à l'espace. Ils sont, enfin, économiques.
Il est prouvé que la recherche est un des moteurs de la croissance et de la création d'emplois. Les dépenses publiques de recherche sont donc les moins stériles d'entre toutes ; elles engendrent, à terme, des recettes fiscales et des rentrées de cotisations sociales.
C'est pour cette raison que la commission des finances souhaite les voir augmenter, alors qu'elle est favorable, dans l'ensemble, à une réduction des dépenses des administrations.
Notre recherche doit relever deux défis majeurs, celui de la compétitivité et celui de l'emploi scientifique.
Défi de la compétitivité, dans un monde où, comme le souligne un récent rapport du Commissariat au Plan, les activités de recherche n'échappent pas à la mondialisation. Elles peuvent être délocalisées et les risques de « fuite des cerveaux » sont réels.
Défi de l'emploi scientifique, avec une accélération des départs à la retraite, qui vont atteindre leur maximum de 2006 à 2012. D'ici à l'année 2012, s'agissant des enseignants chercheurs, les deux tiers des professeurs et 35 % des maîtres de conférence de l'enseignement supérieur auront atteint l'âge de soixante-cinq ans.
Globalement, notre effort de recherche, considéré dans le moyen terme et par comparaison avec d'autres pays, ne semble pas pouvoir nous permettre de relever ces défis dans les meilleures conditions.
La part dans notre PIB de nos dépenses de recherche diminue depuis 1993, qu'il s'agisse des recherches exécutées sur notre territoire ou de celles que nous finançons en France et à l'étranger. Dans le même temps, les Etats-Unis et le Japon ont accentué leur effort. Les indicateurs de l'OCDE - je vous renvoie, mes chers collègues, à mon rapport écrit - nous placent en queue du peloton de tête des principaux pays industrialisés pour les ratios concernant la dépense intérieure de recherche par habitant ou le nombre de chercheurs par rapport à la population active.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Non, c'est faux. Je ne peux vous laisser dire cela !
M. René Trégouët, rapporteur spécial. Tout à l'heure, vous pourrez me répondre, monsieur le ministre, et je reprendrai, pour ma part, les termes précis qui figurent dans mon rapport.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. J'ai un document sous les yeux ; il est à la disposition de tout le monde. On ne peut pas faire de la politique en citant des chiffres faux !
M. René Trégouët, rapporteur spécial. Monsieur le ministre, je suis à la tribune et je n'ai pas, moi, votre document sous les yeux. Mais j'ai l'humilité de vous dire que je vérifierai et que, si j'ai fait une erreur, ce sera l'honneur du parlementaire que je suis de le reconnaître.
Cela étant, j'ai peut-être une autre lecture que vous des mêmes tableaux. En effet, je me méfie beaucoup des statistiques. Il faut faire très attention à l'angle sous lequel on les regarde.
Tout à l'heure, nous y reviendrons ; je vous répondrai précisément en vous donnant la référence exacte.
La part des brevets français dans le monde diminue - cela aussi, vous pouvez le contester, monsieur le ministre ! - ainsi d'ailleurs que celle de l'Europe, ce qui n'est pas une consolation, notamment en ce qui concerne les technologies clés.
A l'insuffisance, traditionnelle, de la valorisation de notre potentiel de recherche, qui reste, dans l'ensemble, remarquable, s'ajoutent des retards préoccupants dans des domaines comme les sciences du vivant ou les nouvelles technologies de l'information et de la communication, dont les perspectives de développement sont pourtant particulièrement prometteuses.
Dans ces conditions, la progression, médiocre, de ce budget n'offre pas de marges de manoeuvre suffisantes pour concilier, dans de bonnes conditions, le rattrapage de nos retards, l'accompagnement de l'émergence de disciplines nouvelles, comme la bio-informatique ou la microbiologie, et le maintien des acquis dans nos pôles d'excellence.
A cet égard, la remise en cause, pour des raisons d'ordre plus strictement budgétaire que d'opportunité, de certains investissements, comme le remplacement du navire porte-engin Nadir de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer, l'IFREMER, ou le synchrotron SOLEIL me semblent regrettables.
La situation du Commissariat à l'énergie atomique me préoccupe également. Certes, un effort de rebudgétisation de sa dotation d'investissement a été fait, mais ses dépenses ont diminué de 100 millions de francs en 1999. Il n'est pas satisfaisant que le financement de ses dépenses ordinaires nécessite la vente de « bijoux de famille », autrement dit la cession d'actifs de CEA-Industrie. Ne pourrait-on pas mettre à disposition du CEA, en loi de finances initiale, les 100 millions de francs approvisionnés au titre de la scission de l'Institut de protection et de sûreté nucléaire ?
M. Philipppe Marini. C'est un minimum !
M. René Trégouët, rapporteur spécial. L'océanographie et le nucléaire sont des domaines d'excellence française. Un synchrotron est un instrument de recherche pluridisciplinaire irremplaçable, utilisé par toutes sortes d'usagers, y compris des PME et des thésards.
Certes, il faut faire des choix, certes, le poids des très grands équipements est lourd, et celui des salaires des chercheurs encore plus. Mais il ne faudrait pas qu'une certaine pénurie budgétaire laisse à penser que les arbitrages sont effectués en fonction d'oppositions sommaires entre très grands équipements et laboratoires, par exemple, ou entre CNRS et universités.
Toutes les composantes de la recherche française sont, en réalité, nécessaires et étroitement imbriquées, et leur équilibre est délicat.
Il convient de réfléchir à la répartition entre les équipements réalisés, selon leur dimension et leur coût, au niveau soit européen, soit national, soit régional.
Concernant les ressources humaines, la faiblesse des mesures nouvelles pour 2000 a suscité une « vive inquiétude » de la part du Conseil supérieur de la recherche et de la technologie, et le Commissariat général du Plan a évoqué « le vieillissement inquiétant de la recherche publique française ».
J'avoue, compte tenu de la complexité du problème, liée, notamment, à la diversité des situations des organismes, ne pas disposer en cet instant des éléments qui me permettraient d'apprécier si la pause prévue, l'an prochain, dans l'effort de recrutement des chercheurs est ou non justifiée.
Un effort d'anticipation - j'y reviendrai - est à tout le moins indispensable, et il faut lisser les évolutions des effectifs pour préserver l'excellence de notre recherche.
Certes, la rigidité des grands organismes et des cloisonnements disciplinaires peut être invoquée, mais ne faudrait-il pas, monsieur le ministre, faire de l'augmentation du budget une incitation aux réformes de structure plutôt que faire de la réforme des structures un préalable à l'augmentation du budget ?
M. André Maman. Très bien !
M. René Trégouët, rapporteur spécial. J'en viens maintenant à l'examen des priorités de ce budget, qui, je vous l'ai dit, me paraissent, dans l'ensemble, correctement orientées.
D'un point de vue thématique, elles ont été affirmées par le comité interministériel du 1er juin dernier.
Elles privilégient, tout d'abord, les sciences du vivant, et plus particulièrement la biologie et la génomique, ainsi que les nouvelles technologies de l'information et de la communication.
Ces deux premières priorités me semblent incontestables, étant donné, à la fois, le potentiel de valorisation, en termes de croissance et d'emplois, de ces disciplines et le retard que nous y accusons.
Sont également distingués les transports et le cadre de vie, l'énergie.
En matière spatiale, priorité est donnée à l'espace « utile », et je voudrais, dans ce domaine, souligner l'intérêt du programme européen Galiléo de positionnement par satellite.
Mais, s'agissant de l'étude de la planète et de l'environnement ou de la relance de la recherche en sciences humaines et sociales, dont les champs d'investigation sont très vastes, pourriez-vous nous préciser, Monsieur le ministre, comment les actions menées seront ciblées ?
Seront par ailleurs favorisés la recherche universitaire, notamment à travers le plan U3M et les contrats de plan Etat-régions, et la recherche technologique, au moyen du FRT, le fonds de la recherche et de la technologie. Mais, s'agissant de la valorisation de la recherche, les moyens de l'ANVAR, l'Agence nationale de valorisation de la recherche, qui n'est pas, il est vrai, sous votre tutelle, n'augmentent pas.
D'un point de vue méthodologique, j'approuve l'accent mis, d'une part, sur la coordination des moyens, notamment par le biais des actions concertées incitatives et des réseaux de recherche technologique, et, d'autre part, sur la mobilité des chercheurs. S'agissant plus particulièrement des relations avec les entreprises et de la valorisation des travaux des chercheurs du secteur public, les dispositions prévues par la loi sur l'innovation et la recherche sont excellentes.
Concernant, enfin, vos priorités budgétaires, l'augmentation des moyens des deux fonds d'intervention du ministère, le fonds national de la science, d'une part, et le fonds de la recherche technologique, d'autre part, est spectaculaire. Les autorisations de programme de ces deux fonds, dont le total dépasse 1,5 milliard de francs, progressent, en effet, de plus de 35 %.
Je comprends votre volonté de favoriser, par l'octroi de subventions de ces deux fonds, les disciplines nouvelles et les jeunes chercheurs, ainsi que le rattrapage de notre retard dans certains domaines comme les sciences du vivant et les technologies de l'information, je le disais voilà quelques instants.
Je souhaite seulement que ces deux fonds constituent des instruments de coordination des efforts plus que de contournement des grands organismes.
Je m'interroge, à ce sujet, sur la faiblesse de l'augmentation des crédits de certains d'entre eux, comme l'INSERM, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, ou l'ADEME, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, dans des secteurs pourtant prioritaires des deux fonds en 1999.
La stimulation de la recherche universitaire et la restauration des moyens des laboratoires des organismes de recherche me paraissent les bienvenues.
Je souhaite simplement que le financement des activités de nos laboratoires de recherche, dans lequel les entreprises pourraient davantage s'impliquer, ne s'effectue pas au détriment de celui des très grands équipements indispensables, que les laboratoires utilisent et qui relèvent surtout, dans le contexte français, du budget de l'Etat.
Bien entendu, il faut, autant que possible, faire appel à des coopérations internationales pour limiter certaines dépenses d'investissement, mais sans que cela ne lèse la satisfaction des besoins légitimes de nos chercheurs.
Je pense que vos priorités, monsieur le ministre, gagneraient à s'inscrire dans une politique de la recherche plus prospective, plus transparente et mieux évaluée. Les trois aspects sont liés.
La prospective doit permettre de mieux instruire les dossiers, de mieux préparer les décisions, en y associant, le plus en amont possible, tous les intéressés, chercheurs et parlementaires compris. Elle doit permettre d'aller au-delà de la programmation des grands équipements pour élaborer une stratégie à long terme de la recherche. Elle est absolument indispensable en matière d'emplois scientifiques, compte tenu du choc démographique que va subir la recherche française, qui constitue une occasion unique de rénovation et de remodelage disciplinaire.
Le manque de transparence de la politique, notamment budgétaire, de la recherche, est lié au caractère complexe et peu lisible de son dispositif. Il nécessite un effort d'autant plus soutenu d'explication et de communication. Une plus grande sincérité budgétaire est souhaitable - je vous renvoie, sur ce point, aux observations de la Cour des comptes - ainsi qu'un suivi des dépenses des fonds de la science et de la technologie, compte tenu, notamment, des précédents rencontrés en matière de gestion du FRT.
S'agissant, enfin, de l'évaluation de la politique de la recherche, dans son ensemble, par domaines particuliers, ou par organismes, elle doit porter sur les choix eux-mêmes et pas seulement sur l'exécution ou les résultats des décisions. Le Parlement doit, naturellement, y être associé et disposer de ses propres moyens d'appréciation. L'évaluation doit être objective, rigoureuse et contradictoire, ce qui suppose de faire appel à des experts à la fois indépendants - donc, en partie, étrangers - compétents et en nombre suffisant. Tous les intéressés doivent pouvoir s'exprimer et être non seulement entendus mais aussi écoutés.
Le dispositif actuel est trop foisonnant et il faut, sans doute, fusionner certains organismes.
Par leur composition en partie représentative de la communauté des chercheurs, le conseil supérieur de la recherche et de la technologie et le comité national de la recherche scientifique constituent cependant des exemples particulièrement intéressants.
Sans doute faudrait-il créer une sorte de forum permanent où puissent dialoguer des représentants de l'administration, du Parlement et de la recherche publique et privée.
Dans cette attente d'une recherche plus transparente et mieux évaluée et, surtout, en raison de l'insuffisance de la progression de ce budget, face à ses enjeux, dans l'espoir de contribuer, par cette décision, à le voir augmenter de façon significative l'an prochain, votre commission des finances vous demande, mes chers collègues, de rejeter les crédits de la recherche pour l'an 2000. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Laffitte, rapporteur pour avis.
M. Pierre Laffitte, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis quatorze ans maintenant, je rapporte pour avis le budget de la recherche, en prenant bien soin de ne pas trop parler chiffre, mais plutôt des problèmes qui me paraissent essentiels, c'est-à-dire les structures, leur évolution et la façon dont le système français de recherche s'adapte et contribue au développement économique de la nation.
Je commencerai par vous livrer quelques données qui n'ont pas encore été évoquées par mes prédécesseurs à cette tribune, et notamment le volume considérable que représente aujourd'hui le financement de la recherche par la Commission européenne. Les chiffres commencent à s'apparenter à des chiffres de caractère national. En effet, le cinquième programme cadre de recherche et développement, PCRD, par exemple, représente quelque 98 milliards de francs de financement sur quatre ans, soit près de 25 milliards par an, ce qui n'est pas négligeable ! Il convient donc de veiller à ce que ces 25 milliards de francs par an correspondent bien à des actions menées à l'échelon européen et ne dupliquant pas des programmes spécifiquement nationaux. Il s'agit, par exemple, du programme « mobilité des chercheurs ou des ingénieurs » - qui devrait d'ailleurs être fortement augmenté - de façon à bâtir un espace européen de la recherche.
De même, l'Europe doit se préoccuper des grands équipements. Actuellement, les plus grands équipements ne sont pas financés par la Communauté européenne : qu'il s'agisse du CERN - organisation européenne pour la recherche nucléaire - du synchrotron de Grenoble, ou d'autres opérations, y compris le futur synchrotron dont il a été beaucoup question, mais qui n'est pas financé par la Communauté européenne. Cela n'est pas normal, ce n'est pas admissible ! Les grands équipements et leur fonctionnement doivent être financés par la Communauté européenne parce que ce sont des opérations européennes.
Aux Etats-Unis, par exemple, les grands équipements sont financés par le gouvernement fédéral et non par les Etats de la fédération. Je ne milite pas ici pour une fédération européenne ; je me contente de citer un exemple dont l'Europe pourrait s'inspirer pour bâtir un espace européen de la recherche. Le principe de la subsidiarité s'appliquerait pour tout ce qui concerne, par exemple, le financement de la recherche, des PME, qui nécessite des connaissances précises de proximité.
J'étais à Bruxelles voilà quinze jours. J'ai pu constater que, sur ce point, les idées évoluent et je me plais à souligner qu'elles évoluent en partie grâce à des initiatives françaises qui sont maintenant relayées par les initiatives franco-allemandes et belges. Le commissaire Busquin partage d'ailleurs ces idées, que, tous ensemble, nous devons continuer à promouvoir.
Le second point que j'évoquerai, c'est l'importance croissante des financements par les régions, qui est d'ailleurs bien moindre en France que dans d'autres pays.
Je rappelle qu'en Allemagne le seul Land de Bavière a des projets considérables puisqu'il consacre près de 10 milliards de francs pour la seule année 2000 à ce qu'il appelle « l'Offensive high tech » de Bavière ; c'est plus, et de loin, que ce que les contrats Etat-région apportent en France pour des projets aussi pointus. Cela veut bien dire que, d'une certaine façon, le budget qui nous est soumis, bien qu'il soit postérieur aux assises nationales de la recherche et au vote de la loi sur l'innovation qui a apporté un souffle nouveau - et je crois que le Sénat peut se féliciter d'y avoir contribué - devrait être examiné en tenant compte de ces éléments spécifiques.
Encore une fois, je ne parlerai pas du volume budgétaire. J'évoquerai simplement certains aspects, notamment ceux qui concernent le développement économique lié à la matière grise, le développement de la recherche, le transfert de la technologie, le développement d'incubateurs. Ils sont une priorité absolue, que le ministre a fortement poussée, en faveur de laquelle il a sans doute la volonté - pourra-t-il le confirmer ? - de réorienter une partie de ses financements.
Des domaines stratégiques ont été sélectionnés ; sont-ils suffisamment financés ? Je souhaiterais sur ce point recevoir des apaisements.
Monsieur le ministre, vous avez du souffle, vous ne craignez pas de bousculer les traditions, d'être dans certains cas impopulaire, mais je n'ai pas le sentiment que vous ayez véritablement mis « tout le paquet », comme on dit familièrement, pour obtenir des moyens supplémentaires, pour obtenir les moyens de vos ambitions, dont nous connaissons tous la direction, car vous les avez affichées ici à diverses reprises.
Mon collègue M. Trégouët vient de juger très positives les priorités que vous avez indiquées. Je n'aurais garde d'avoir un avis différent. Je partage cette opinion positive sur les priorités que vous retenez. Mais, monsieur le ministre, ces priorités doivent être concrétisées, notamment pour l'Institut national de recherche en informatique et en automatique, l'INRIA.
Monsieur le ministre, si j'en avais eu la possibilité, j'aurais déposé un amendement visant à la création de cinquante emplois à l'INRIA. Mais je n'en ai pas la possibilité car, sous la Ve République, un article de la Constitution et, qui plus est, un article du règlement du Sénat m'en empêchent !
Il en est de même de l'intérêt qu'il y aurait à développer de grandes recherches dans le domaine crucial de la création de produits multimédias ; le contenu des autoroutes de l'information est au moins aussi important, voire dix fois plus en termes de chiffre d'affaires futur, que la création de ces autoroutes.
En Europe, les organismes privés investissent des centaines de milliards de francs dans ce secteur. Il faudrait au moins que l'Etat y consacre une partie de ses investissements pour que l'ensemble des chercheurs, privés ou publics, dans le domaine des sciences de l'homme ou des sciences sociales, soient incités à créer des produits multimédias dans des secteurs variés, culturels, liés à la santé, au télé-enseignement, etc.
Au terme de ces quelques réflexions, je précise que la commission des affaires culturelles approuve les directions qui ont été retenues, mais préfère s'en remettre à la sagesse du Sénat sur ce projet de budget de la recherche pour l'an 2000. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE ainsi que sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Rausch, rapporteur pour avis.
M. Jean-Marie Rausch, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, M. René Trégouët, rapporteur spécial de la commision des finances, a évoqué tout à l'heure, comme c'est son rôle, les données financières du projet de budget que je ne rappellerai donc pas, me bornant à préciser que le budget civil de recherche et de développement technologique s'élève à 54,6 milliards de francs, ce qui représente une faible hausse de 1,3 % par rapport à l'an dernier.
J'évoquerai très rapidement trois évolutions positives de notre système de recherche dont on a déjà parlé ainsi que trois interrogations persistantes de la commission des affaires économiques.
Le premier motif de satisfaction est le soutien, par l'Etat, des disciplines d'avenir comme les biotechnologies ou les technologies de l'information, et ce, au moyen de deux fonds d'intervention nationaux : le FNS, le Fonds national des sciences, et le FRT, le Fonds de la recherche technologique. La transparence sur l'utilisation de ces crédits me semble toutefois devoir être améliorée, car les fonds ne doivent pas devenir un instrument de « contournement » des établissements de recherche.
Le deuxième motif de satisfaction est la réorientation des crédits d'intervention de la recherche vers les petites et moyennes entreprises, désormais les premières bénéficiaires du crédit d'impôt recherche, ainsi que du Fonds de la recherche technologique.
Le troisième motif de satisfaction est la relance de l'objectif de valorisation de la recherche française et des mesures incitatives à l'essaimage, c'est-à-dire à la création d'entreprises innovantes par les chercheurs, notamment par la loi du 12 juillet 1999 relative à la recherche et à l'innovation que le Sénat à d'ailleurs soutenue.
Je relève que 200 millions de francs de crédits ont été réservés dans votre budget à la création d'incubateurs et de fonds d'amorçage auprès des établissements de recherche, universités et écoles.
La commission soutient cette logique, où l'argent public, qui s'additionne à des fonds privés, a un fort effet de levier. La proposition de loi de MM. Raffarin et Grignon vise d'ailleurs à la voir dupliquer, au-delà de la recherche, sur des thématiques plus générales, dans une logique de développement territorial. C'est en effet l'accompagnement de la création et le premier tour de table financier qui sont les maillons faibles du processus de création d'entreprises en France.
Je présenterai maintenant trois interrogations fortes et persistantes en matière de politique de la recherche.
En premier lieu, les perspectives de l'emploi au sein des établissements de recherche ne semblent pas bien tracées. Or l'âge moyen des personnels de recherche publique est de quarante-sept ans, et la tranche des cinquante-soixante ans représente un tiers des effectifs du CNRS. Les départs massifs dans les années à venir peuvent constituer une opportunité historique de renouvellement, mais ils sont aussi un facteur de risque de déperdition du potentiel scientifique.
En deuxième lieu, la commission s'interroge sur les résultats obtenus par les instances de conseil et d'évaluation de la recherche, dont la mise en place avait été annoncée - en grande pompe - l'an passé. Le Conseil national de la science, en particulier, remplit-il vraiment son office ?
En troisième lieu, enfin, la commission regrette l'abandon du volontarisme politique en matière d'aménagement du territoire, qu'accompagne d'ailleurs un abandon de la politique des très grands équipements structurants.
Alors que d'aucuns craignent une récession scientifique de notre pays, liée au manque de certains équipements de grande ampleur - on pense au synchrotron Soleil - nous redoutons, quant à nous, l'impact territorial de l'abandon des grands équipements.
Les orientations du projet de schéma des services collectifs de la recherche ne sont guère prometteuses, puisque ce schéma est essentiellement conçu comme un document d'accompagnement du plan U3M, sans volet recherche autonome, à part une incitation à la mise en réseau de l'existant !
Je vous pose la question, monsieur le ministre : la régionalisation de la « matière grise » est-elle encore un objectif du Gouvernement ?
Pour ces motifs, la commission des affaires économiques a émis un avis défavorable à l'adoption des crédits relatifs à la recherche dans le projet de la loi de finances pour 2000. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 22 minutes ;
Groupe socialiste, 17 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 11 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 20 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 19 minutes ;
Groupe communiste, républicain et citoyen, 5 minutes.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Lanier.
M. Lucien Lanier. Monsieur le ministre, en octobre dernier, soucieux d'informer les sénateurs, et nous vous en remercions, sur la politique de la recherche, vous annonciez deux objectifs ambitieux : redonner à la recherche française une place de premier plan dans tous les domaines, et faire de la recherche un moteur de l'économie et de la lutte contre le chômage.
Qui ne souscrirait à une telle ambition, créatrice d'un consensus toujours difficile, voire impossible à réunir en matière de recherche scientifique et technique, qui se situe, par la force des choses, au carrefour des intérêts et des sentiments ? C'est bien là qu'apparaît, reconnaissons-le très honnêtement, la complexité de votre tâche, autant que la bonne volonté du chercheur que vous êtes vous-même.
Vous ajoutiez, en effet, dans votre exposé d'information, que l'ambition annoncée passe par des stratégies et des mesures concrètes.
Les stratégies, c'est bien la politique de la recherche. Les mesures concrètes, ce sont les moyens dont dispose cette politique au sens le plus noble du terme, c'est-à-dire le budget qui vous est imparti.
Nous voilà donc au coeur du sujet. Car la progression des crédits de la recherche n'est pas, de toute évidence, à la hauteur des ambitions que vous souhaitez et que vous annoncez.
Les ambitions sont louables, les moyens décevants !
Depuis des années, nous observons un tassement des crédits de la recherche, tendance que ne démentit pas, cette année encore, la présentation de votre budget. Force est de constater, comme l'indique le rapporteur spécial, notre excellent collègue M. René Trégouët, que ce budget ne constitue pas une priorité nationale. Au regard du budget général, la recherche n'occupe pas la place privilégiée qui lui revient en tant que facteur déterminant de notre développement économique, culturel et social. Bref, le dispositif public de recherche, dans son état, est-il capable de relever les défis du XXIe siècle ?
La stabilité des moyens en volume, comparativement au budget de 1999, semble apporter une réponse négative à cette question. Vous déclariez récemment vous-même, monsieur le ministre, devant l'Assemblée nationale, que « s'agissant de la création d'entreprises innovantes, nous sommes le pays industrialisé le plus en retard ». La France se classe en effet en queue du peloton, comme l'a dit notre rapporteur spécial, ce qui n'est guère rassurant pour l'avenir, qu'il s'agisse du dépôt des brevets, dont le recul inquiétant paraît s'accélérer, de la part mondiale de la France dans les technologies clefs, qui régresse de 2,5 % par an.
Cela est préoccupant au moment même où la recherche s'insère dans la compétition mondiale et que nous devons dans le même temps maintenir notre excellence scientifique, mais également assurer sa valorisation.
Toutes vos analyses, monsieur le ministre, montrent que le dilemme ne vous a pas échappé. Avez-vous d'autres moyens de répondre à ce dilemme que de vous « attaquer » - le terme est vôtre - à la structure interne du budget de la recherche, c'est-à-dire, disons-le clairement, à déshabiller Paul pour habiller Jacques.
Loin de nous l'idée de vous en faire le reproche car, les choses étant ce qu'elles sont, vous faites avec ce que vous avez et vous justifiez votre attitude par des raisons qui ne sont pas dénuées de fondement.
J'évoquerai les trois raisons principales.
Tout d'abord, le budget de la recherche n'est pas seulement une affaire de gros sous, vous avez raison. L'augmenter massivement sans modification des structures n'aboutirait qu'à confirmer une situation figée depuis quinze ans.
Ensuite, il faut réduire de façon drastique le poids des grands équipements afin d'assurer une priorité aux équipes de jeunes chercheurs des laboratoires.
Enfin, désormais, les équipements lourds seront assurés dans le cadre d'une coopération multinationale européenne, meilleur moyen, pensez-vous à juste titre, pour aller de l'avant dans la construction d'une communauté scientifique européenne.
L'ensemble de ces mesures s'inscrit dans une logique intellectuellement satisfaisante, mais à une condition : qu'elles puissent s'adapter avec prudence à l'évolution générale de la recherche, sans que soit mis en péril, faute de nuances suffisantes, le potentiel des acquis culturels et structurels de la recherche nationale.
Vous savez mieux que quiconque que toute rupture de rythme par trop brutale dans le fil d'une recherche constitue une épreuve très difficile à surmonter et parfois fatale.
Réduire dans le budget le poids des équipements très lourds est, à l'évidence, une nécessité si l'on veut que la recherche épouse son temps. Mais la stagnation du budget qui nous est présenté vous ôte toutes marges de manoeuvre capables de nuancer, de « lisser » la logique de votre politique.
Il vous faut faire des choix tranchants, dans certains cas au détriment de la continuité qui sensibilise profondément la recherche scientifique.
Ainsi, vous voulez réduire la rigidité, et peut-être aussi, dans votre esprit, la superbe des grands organismes afin de « redéployer la recherche vers les champs nouveaux du savoir ». Mais vous ne pouvez le faire sans dégâts.
Je citerai à titre d'exemple les nombreux problèmes qui se posent au Commissariat à l'énergie atomique, qui, déjà, dans le passé récent, a subi les à-coups d'une évolution d'abord positive, ensuite négative. L'établissement a dû réduire de 100 millions de francs des dépenses pourtant essentielles eu égard à l'avenir énergétique de notre pays, autant qu'au niveau de ses recherches et de sa technologie. Je pense, entre autres, aux piles à combustibles.
Certes, des mesures nouvelles sont prévues, mais une part concerne les compensations du surcoût de la scission entre le Commissariat à l'énergie atomique et l'Institut de protection et de sécurité nucléaire. Certes, vous ajustez les crédits de personnel, mais les subventions d'investissement ne progressent pas, ce qui va nuire à la coopération indispensable de cet organisme avec l'université etl'industrie.
Monsieur le ministre, vous savez pertinemment que le CEA est responsable de recherches qui ont été à la source de progrès techniques considérables, plus particulièrement de notre avancée dans la discipline de l'atome et de l'énergie nucléaire. Cette avancée a permis, personne n'a pu le contester, de valoriser au mieux ces recherches, économiquement et socialement.
Sans faire aucun procès d'intention, ce dont je me garderai d'ailleurs à votre égard, je me demande si la place offerte au CEA dans votre projet de budget ne serait pas l'ébauche de la reconnaissance, voire de l'appui donné à certaines tendances qui, pour des raisons plus sentimentales que scientifiques, sont a priori et sans nuance hostiles à l'application civile du nucléaire.
M. Jacques Valade. Absolument !
M. Philippe Marini. On peut le craindre !
M. Lucien Lanier. Il en est de même pour d'autres grands organismes, et la question peut se poser de savoir si le nécessaire assouplissement de leur structures trop rigides, nous le reconnaissons, ne mène pas, subrepticement, à leur affaiblissement.
Au centre des grands équipements, la question des synchrotons de troisième génération se situe vraiment au carrefour des intérêts et de sentiments ; elle a suscité et soulève encore polémiques et passions.
Vous l'abordez avec des arguments propres à convaincre : la France ne pourrait seule s'en offrir la réalisation que réclame pourtant l'intersyndicale nationale recherche et enseignement supérieur, autant que les grandes régions françaises, pour des raisons à la fois scientifiques et économiques, les unes complémentaires des autres, ce qui donne à réfléchir.
L'aspect financier est évident : 16 milliards de francs pour l'ensemble université-recherche, 2 milliards de francs pour le projet de synchroton soleil. Votre budget n'y suffit pas, même avec le concours que vous proposent certaines régions.
Conscient que ce projet s'avère indispensable, plutôt que d'y renoncer, ce qui aurait été la pire des solutions, vous avez sagement recherché la coopération européenne et décidé que tous les grands équipements seraient désormais construits dans le cadre multinational européen, faisant valoir qu'une telle solution incitait, de manière irréversible, à l'élaboration d'une communauté scientifique européenne.
Croyez bien, monsieur le ministre, que nous sommes parfaitement conscients qu'on ne peut renforcer l'Union européenne sans renforcer l'Europe scientifique. Votre politique y trouve sa logique.
C'est donc surtout le processus de votre politique qui nous émeut, nous autant que la communauté scientifique, processus qui vous a conduit, après avoir informé, certes, mais sans grande concertation réelle et suffisante, à coopérer avec le gouvernement anglais et la fondation caritative Wellcome Trust , pour la construction du projet anglais Diamond, synchroton de troisième génération.
Vous nous dites que soleil et diamond sont deux projets « quasiment identiques ». Quasiment, oui, puisqu'au dire de certains diamond fournirait trois fois moins de rayonnement que soleil.
Sans entrer dans ces considérations purement techniques, avez-vous pensé au coup sévère que l'abandon du projet soleil portera à la recherche française en chimie, en biologie et pour l'étude de l'infiniment petit, sans compter les conséquences économiques et sociales, ne serait-ce que pour l'emploi, qui nous concerne au premier chef ?
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Cent cinquante personnes !
M. Lucien Lanier. Vous nous dites que la France est bien dotée, à Orsay, à Saclay, à Grenoble et d'ailleurs, d'instruments dont la saturation est loin d'être atteinte, peut-être, mais d'instruments qui, en vieillissant - et ils vieillissent vite - répondront de moins en moins à l'évolution de la troisième génération et nous laisseront largement tributaires d'un pays étranger jusqu'alors très jaloux de son excellence scientifique.
La coopération européenne, oui ! mais dans la prudente mesure où elle préserve les intérêts de la recherche française en un domaine de pointe, C'est pourquoi, répondant à votre détermination de faire en sorte que tous les investissements lourds ne soient qu'européens, et nous y souscrivons, nos excellents collègues MM. Valade et Legendre vous ont clairement demandé, à cette tribune, de définir une politique de recherche nationale qui ne soit pas seulement traitée, pour des raisons budgétaires, à court terme. Ne pensez-vous pas qu'un grand débat parlementaire s'imposerait à cet égard ?
En conclusion, monsieur le ministre, je dirai que ce ne sont pas globalement les orientations de votre politique de la recherche que nous critiquons, mais que c'est davantage les moyens dont vous disposez qui nous inquiètent. Ils vous obligent à des choix drastiques, dont certains risquent d'hypothéquer, de manière irréversible, l'avenir de l'excellence scientifique française, de sa valorisation et de son impact économique et social.
Le général de Gaulle, avec une sûre intuition, avait consacré la recherche comme une priorité nationale. Il lui en donnait les moyens par l'organisation spécifique d'un grand ministère de la recherche, par des budgets, chaque année adaptés aux besoins réels, concertés et réfléchis. Nous en avons longtemps récolté les fruits.
Aujourd'hui, la récolte tend à s'amenuiser, le système à vieillir, les bons cerveaux à déserter. Le « navire recherche » court sur son aire, moteurs au ralenti. Les exigences du court terme estompent l'indispensable prospective.
Vos efforts, monsieur le ministre, - que nous reconnaissons - en sont compromis. Votre budget n'est pas à la hauteur de vos ambitions.
C'est pourquoi nous rejoindrons les conclusions de la commission des finances. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, compte tenu des pauvres petites cinq minutes qui me sont imparties, mon intervention ne sera, en quelque sorte, qu'un cri.
Je souhaiterais d'emblée vous faire part de notre inquiétude, qui est partagée par l'ensemble de la communauté scientifique, quant à l'évolution du budget, mais également pour ce qui relève des orientations de notre politique de recherche.
Dans un monde en mutation rapide, qui peut dire ce que seront les besoins de notre pays dans dix ans ? Aussi, la France se doit d'adapter et de promouvoir son dispositif public de recherche.
Or, le budget de la recherche civile n'augmente pas en volume.
Le niveau des autorisations de programme des établissements publics à caractère scientifique et technique est inférieur à celui de 1993.
La part de la recherche-développement dans le PIB ne cesse de décroître alors que celle de nos concurrents augmente.
Les deux augmentations budgétaires effectivement remarquables, l'une pour le Fonds national de la science, et l'autre pour le fonds national de la recherche et de la technologie, vont à des actions pilotées directement par le ministère de la recherche et de la technologie.
Le taux de croissance limité de l'emploi scientifique nous éloigne de la mise en place d'une loi de programmation de l'emploi scientifique.
Si cette tendance devait perdurer, le CNRS, pour ne citer que lui, perdrait près d'un cinquième de ses équipes de recherche permanente.
Au même moment, de jeunes docteurs quittent notre pays faute d'emplois dans nos laboratoires publics ouprivés.
Au moins pouvait-on penser que ce qui n'irait pas à l'emploi scientifique irait aux équipements, voire aux grands équipements.
Il n'en est rien ! C'est ainsi que nombreux sont ceux, membres de la communauté scientifique ou élus, à estimer que l'abandon du projet soleil apparaîtra très vite comme une erreur.
L'équipement d'Orsay est vétuste. N'était-il pas temps de doter notre pays d'un outil adapté, indispensable à la recherche fondamentale, comme à la recherche appliquée ?
Les coopérations européennes en matière scientifique doivent-elles donc obérer toute perspective d'équipements, voire de recherche nationale en la matière, encore que, pour pouvoir coopérer à l'échelle internationale, il faut avoir de solides bases nationales.
La dimension européenne d'un tel projet me semble évidente, mais pourquoi pas l'initier en France, comme ce fut le cas pour Airbus et Ariane ?
Par ailleurs, la question du bien-fondé ou non de ce projet n'était-elle pas importante au point de justifier amplement un débat devant la représentation nationale ?
Dans le domaine de la recherche, plus que dans tout autre, le débat contradictoire est une nécessité pour faire avancer les choses. Je dis cela non pas tant par goût de la palabre, ou de la diatribe, que parce que l'élaboration démocratique de décision est la clé de son efficacité.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Non !
M. Ivan Renar. Je n'ai pas parlé de référendum, monsieur le ministre, j'ai parlé d'« élaboration démocratique » de la décision.
En attendant, il y a un malaise dans les deux chambres du Parlement et dans la communauté scientifique. De fait, il est très difficile d'admettre qu'une décision politique condamne un projet dont le bien-fondé scientifique et économique a été, tout au long de sa conduite, soumis à l'évaluation de la communauté scientifique et dont lesdites évaluations ont toutes été positives.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Monsieur Renar, l'engagement de ce projet n'a jamais été décidé par personne ! Il n'en a jamais été débattu, vous entendez ! Jamais, y compris par les précédents gouvernements.
M. Ivan Renar. C'est bien pour cela que j'ai toujours demandé, monsieur le ministre, qu'un débat ait lieu ici, en commission et en séance publique.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Les débats auraient dû avoir lieu au moment où les problèmes budgétaires se posaient, et pas seulement pour ce système, pour les précédents aussi, sous les gouvernements antérieurs.
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Renar !
M. Ivan Renar. Permettez-moi d'ajouter quelques mots sur la culture scientifique.
L'actualité parfois douloureuse de cette fin de siècle nous rappelle l'impérieux besoin de favoriser tous les rapprochements possibles entre les citoyens et la science. N'est-ce pas aussi l'ambition d'une grande politique publique de la recherche ?
La « mise en culture » de la science n'est pourtant pas chose aisée. En témoigne, par exemple, le cas du Forum des sciences, situé à Villeneuve-d'Ascq dans le Nord.
Fruit d'une volonté commune des collectivités, principalement du conseil régional du Nord - Pas-de-Calais, et de l'Etat dans les années quatre-vingt, le Centre doit aujourd'hui faire face à de très graves difficultés en raison du retrait de l'Etat de toute participation aux frais de fonctionnement.
Pourtant, les publics et les besoins sont là bien réels. Le Centre présente un bilan tout à fait passionnant compte tenu de ses moyens, mais le risque est, à terme, qu'il ne devienne une coquille vide. Le rapport de l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale que vous avez diligenté, monsieur le ministre, a clairement mis en évidence la responsabilité toute particulière de l'Etat dans les difficultés actuelles, Etat qui s'est déchargé sur les collectivités, en particulier sur le conseil régional. Que comptez-vous faire, monsieur le ministre, pour assurer l'avenir du plus grand centre de culture scientifique au nord de Paris et respecter la parole donnée ?
Dans un autre domaine, vous avez trouvé en nous, monsieur le ministre, lors de l'examen de la loi sur l'innovation par exemple, des interlocuteurs sensibles à une certaine idée de la recherche publique dans notre pays, sensibles encore aux questions de l'innovation, et nous l'avons prouvé.
Pour autant, nous sommes à présent inquiets des orientations prises pour le devenir de notre recherche publique.
Le dispositif de recherche fondamentale dans tout le champ de la connaissance est une des missions essentielles du service public.
Pouvons-nous prendre le risque de voir disparaître de nos laboratoires des domaines qui n'ont pas d'application industrielle immédiate ?
Quelles sont les dispositions prises pour faire participer l'industrie au financement de la recherche ? Notre proposition de remplacer le crédit d'impôt-recherche par un impôt libératoire a-t-elle des chances d'être entendue ?
De la même manière, les formations doctorales devraient être reconnues dans les conventions collectives, ce qui favoriserait, dans leur recherche d'emploi, chacun des jeunes docteurs des universités.
Soucieux du développement de notre recherche publique, soucieux de la préservation et du développement de notre recherche fondamentale, soucieux encore d'orienter, au service de notre pays tout entier, les travaux de nos laboratoires, je ne puis qu'exprimer les plus grandes réserves sur le projet du budget de la recherche qui nous est proposé. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Othily.
M. Georges Othily. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le budget civil de la recherche et du développement technologique, qui englobe l'ensemble des activités scientifiques et technologiques, atteint cette année 54 milliards de francs. Les dépenses en capital s'élèvent en autorisations deprogramme à 22 milliards de francs. Ce projet de budget est donc caractérisé par le renforcement de la capacité du ministère, la restauration des moyens des laboratoires de recherche, la stimulation de la recherche universitaire et la réaffirmation du soutien à l'innovation technologique.
Trois motifs de satisfaction doivent être relevés.
D'abord, il est satisfaisant de constater le soutien de l'Etat en faveur des disciplines d'avenir telles que les biotechnologies et les technologies de l'information.
Ensuite, on peut se réjouir de la réorientation de certains soutiens publics vers les PME, qui figurent parmi les principales bénéficiaires du crédit d'impôt-recherche.
Enfin, des crédits sont consacrés à l'incitation à la constitution de fonds d'amorçage, destinés à favoriser l'essaimage et la création d'entreprises à partir des établissements de recherche, ainsi que la création d'entreprises innovantes.
S'agissant de la recherche spatiale, il n'est en rien étonnant que le sénateur de la Guyane interroge le ministre compétent dans ce domaine.
En effet, la Guyane est particulièrement concernée puisque la base de lancement de la fusée Ariane se trouve à Kourou.
Le centre spatial guyanais et le centre national d'études spatiales sont aujourd'hui totalement axés sur le programme Ariane, dont le premier lancement eut lieu le 24 décembre 1979, événement dont le vingtième anniversaire sera célébré, je pense, avec la dignité qui s'impose.
A l'aube du prochain millénaire, l'espace n'est plus pour l'homme uniquement un lieu d'exploration et d'expériences. Il est devenu, ces dernières années, une composante essentielle de son univers quotidien.
Il est donc nécessaire de réorienter la politique spatiale française, notamment en concentrant les moyens budgétaires sur les applications terrestres.
La mise en oeuvre de nouveaux systèmes de télécommunications spatiales exige d'importants programmes de recherche, notamment dans le domaine des logiciels, dont le financement ne peut être assuré par les opérateurs privés.
Cette année, la dotation du centre national d'études spatiales, hors crédits de la défense, s'élève dans le projet de loi de finances pour 2000, en dépenses ordinaires et crédits de paiement, à 7 milliards de francs, ce qui représente une baisse de 9 %.
Si la dotation de fonctionnement reste, quant à elle, identique à celle de l'année dernière, soit 915 millions de francs, la dotation du CNES est tout à fait insuffisante et elle oblige ce dernier à opérer des transferts du budget d'investissement vers celui de fonctionnement.
Cette baisse de 160 millions de francs est certes symbolique mais néanmoins réelle.
La France doit garder une très grande ambition spatiale, car elle est le moteur spatial de l'Europe. Nous devrons donc consentir un effort industriel considérable pour faire baisser nos prix.
Je pense qu'il serait souhaitable de recentrer les missions du CNES autour de ses activités de recherche et d'innovation, qui ne peuvent faire l'objet d'une délégation à aucun autre secteur. Je suis également favorable à ce que le CNES maintienne ses compétences de maître d'ouvrage pour les projets complexes innovants.
Il serait souhaitable que le CNES cherche des partenariats publics au-delà du seul secteur spatial. Il conviendrait donc de généraliser l'expérience d'association du ministère des transports au programme Galileo.
Le CNES doit continuer à évoluer, mais dans un contexte européen et international. A cet égard, les coopérations internationales, comme celles qui sont conduites avec la NASA pour le programme martien doivent être poursuivies et encouragées.
Par ailleurs, je pense qu'il faut davantage aider le développement des technologies spatiales. En effet, cela constitue un enjeu géopolitique majeur. Aujourd'hui, les satellites, dont les performances ont été considérablement améliorées, ont pris une place privilégiée dans les télécommunications mondiales, que ce soit pour la télévision ou pour le téléphone mobile.
Enfin, il ne faut pas sous-estimer l'accélération de la concurrence qui est en train de naître avec la construction de nouvelles bases spatiales un peu partout de par le monde.
Au Guyana, à côté de la Guyane française, les Américains sont en train d'étudier sérieusement la possibilité d'installer une rampe de lancement. Avec la plate-forme de Sea Launch dans le Pacifique et la base d'Alcantara, au Brésil, la Guyane est presque cernée !
Dans ce contexte, la France risque de perdre des marchés, notamment pour ce qui concerne le lancement des micro-satellites. En effet, les coûts de lancement seront sûrement moins élevés ailleurs. Comment la France peut-elle faire face à cette nouvelle concurrence ? Par quels moyens peut-on rendre notre industrie spatiale plus compétitive face à ses concurrents étrangers ?
Vous comprenez certainement notre inquiétude, monsieur le ministre, car l'avenir du développement économique de la France et de la Guyane dépend de la réponse à ces questions. (Applaudissements sur les travées du RDSE et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les données chiffrées du budget civil de recherche et développement, que les orateurs précédents n'ont pas manqué d'évoquer. J'insisterai, en revanche, sur la démarche que sous-tend ce budget, et que certains d'entre nous font mine de ne pas comprendre.
Ce budget, comme le précédent, est un budget de transition.
Vous avez décidé, monsieur le ministre, de rompre avec la pratique de reconduction systématique des crédits pour les institutions en place tant que ne serait pas opérationnelle une réforme de leurs structures.
Rien ne sert, en effet, de débloquer des fonds qui entretiennent la dérive budgétaire de certains établissements de recherche. Nos collègues de la majorité, sur ce point, ne peuvent qu'approuver : cela correspond à un souci de bonne gestion de l'argent public.
De même, pour dynamiser les laboratoires et les équipes de recherche, vous avez décidé de rompre avec la politique de grands équipements suivie jusqu'à présent et qui asphyxiait les laboratoires en grevant leurs ressources.
Une solution qui permet à la fois de redresser la situation et de renforcer la communauté scientifique européenne - ce qui est loin d'être négligeable - consiste à faire en sorte que les très grands équipements soient réalisés dans le cadre européen.
C'est pourquoi le Gouvernement s'est engagé dans un partenariat avec le Gouvernement du Royaume-Uni et la fondation caritative Welcome Trust pour la construction d'un synchrotron de troisième génération.
La France disposant déjà du grand synchrotron européen ESRF à Grenoble et du synchrotron LURE à Orsay, qui ne sont d'ailleurs pas utilisés à plein, il n'est pas illogique que le prochain synchrotron soit implanté en Grande-Bretagne, pays qui est dépourvu, à l'heure actuelle, d'un tel équipement.
Le projet de budget pour 2000 opère également un renforcement des fonds d'intervention du ministère qui sont affectés aux disciplines et aux actions définies comme prioritaires pour l'avenir de notre recherche.
Le Fonds national de la science, le FNS, créé l'année dernière, permet de développer des projets réclamant la coopération de plusieurs établissements en sciences de la vie, sciences pour l'ingénieur, chimie, sciences humaines et sociales.
Les autorisations de programme du FNS bénéficient d'une augmentation de 40 % et passent donc de 500 millions de francs dans la loi de finances initiale pour 1999 à 700 millions de francs. Ses crédits de paiement augmentent, quant à eux, de 77 %, soit 565 millions de francs au lieu de 318 millions.
De son côté, le Fonds de la recherche technologique, le FRT, voit ses autorisations de programme progresser de 35 % pour atteindre 905 millions de francs. Quant aux crédits de paiement, s'ils sont en diminution, cela résulte de la régulation d'engagements antérieurs.
A travers le FRT, il s'agit de renforcer non seulement le secteur des nouvelles technologies de l'information et de la communication, mais aussi la création d'entreprises technologiques innovantes et d'incubateurs.
Parallèlement, il faut noter la décision, annoncée vendredi dernier par le Premier ministre, de débloquer 1 milliard de francs supplémentaires sur cinq ans pour la recherche sur le génome humain. Cette somme sera affectée à un nouveau réseau associant laboratoires publics et entreprises privées, qui se mettra en place dès le début de l'année prochaine.
Dans ces conditions, je ne pense pas que l'on puisse soutenir que le Gouvernement ne se donne pas les moyens de ses priorités en matière de recherche.
Par ailleurs, on ne peut que se féliciter de l'accent mis sur la recherche universitaire, dont les crédits augmentent de 3,1 %. L'université constitue une composante essentielle de notre recherche puisqu'elle forme les jeunes chercheurs de demain et contribue, pour une grande part, à la recherche fondamentale.
Ainsi, une mesure nouvelle de 25 millions de francs est prévue pour les activités de recherche de l'enseignement supérieur. Le plan d'accueil des post-doctorants étrangers est conforté avec cent soixante bénéficiaires supplémentaires. Enfin, figurent au budget le renforcement des moyens des écoles françaises à l'étranger et la création de dix emplois de chercheur à l'Ecole française d'Extrême-Orient.
J'en viens maintenant à la coopération avec les pays du Sud en matière de recherche et développement. Elle doit figurer au titre des priorités de notre action de solidarité avec le monde en développement.
Grâce à ses accords de partenariat avec la plupart des instituts français de recherche - CNRS, INRA, IFREMER, CEMAGREF, CIRAD, etc. - et de nombreuses universités - universités de Provence, Montpellier I, Paris VI -, l'Institut de recherche pour le développement, l'IRD, joue un rôle central dans notre politique de coopération scientifique et technique avec les pays endéveloppement et émergents. Il contribue à la formation et à la consolidation des communautés scientifiques et des capacités d'expertise de ces pays.
Dernièrement, l'IRD a connu une restructuration portant notamment sur l'amélioration de l'évaluation des procédures de recherche, le développement de l'activité d'expertise collégiale et la réaffirmation de sa vocation de développement et de dialogue avec les pays du Sud.
Dans ce contexte, ce qui différencie et légitime l'IRD, c'est la mobilité de ses chercheurs, garantie par ses capacités en matière d'expatriation ; or le poste budgétaire correspondant est en déficit depuis plusieurs années.
L'institut est donc obligé d'effectuer des prélèvements sur réserves, alors même que vous lui demandez, monsieur le ministre, d'augmenter le nombre de ses agents expatriés. Actuellement, 40 % de ses agents travaillent hors de la métropole, et l'IRD est présent dans vingt-six pays, situés essentiellement dans la zone intertropicale, en général dans des structures partenaires, universités ou centres de recherche.
J'aimerais donc que vous nous rassuriez sur les capacités d'expatriation de l'IRD pour l'avenir.
Enfin, j'insisterai sur le rôle d'expertise dévolu aux chercheurs, rôle nécessairement amené à se développer dans un futur imminent, compte tenu de l'évolution rapide des techniques et de leur importance croissante dans notre vie quotidienne.
En effet, l'attente de nos concitoyens en matière de compréhension des mutations de notre société et en matière d'éthique est forte. La mise en avant du principe de précaution par la France dans ses relations commerciales, la montée de boucliers contre les OGM ou les récentes manifestations liées à la conférence de l'OMC à Seattle le confirment.
Les situations de crise ne doivent cependant pas être le cadre privilégié d'expression de cette expertise, sinon celle-ci restera d'une fiabilité limitée et sera immanquablement contestée. Elle doit être reconnue comme un champ de recherches pluridisciplinaires à part entière.
Des formes nouvelles de dialogue entre citoyens et experts scientifiques doivent être instaurées, afin de favoriser l'appropriation de la science par le public et de développer un climat de confiance entre science et société.
La conférence des citoyens, organisée pour la première fois en 1998, sur l'utilisation des OGM peut être l'une de ces formes, d'autant que les avis rédigés par le panel de citoyens, grâce à la pluralité et à la clarté des débats, ont été marqués par une grande qualité et par leur pertinence.
Il ne faudrait pas, en effet, que les citoyens n'aient pas accès à la compréhension des thèmes scientifiques d'avenir pour notre société, faute d'une réelle diffusion de la culture scientifique et technologique, et qu'ils n'aient aucune prise sur eux.
Monsieur le ministre, le groupe socialiste soutient pleinement votre budget, qui traduit en moyens les objectifs et les orientations d'une politique ambitieuse pour notre recherche.
D'ailleurs, au sein de la commission des affaires culturelles, nos collègues de la majorité, avant de s'en remettre à la sagesse du Sénat, n'ont pas manqué d'exprimer leur accord avec vos axes stratégiques d'action et la réorientation d'un budget qui avait dangereusement dérivé. Au demeurant, notre collègue M. Laffitte l'a lui-mêmeindiqué.
Ils ont aussi jugé positivement le soutien aux disciplines d'avenir et aux laboratoires, la réorientation des crédits d'intervention vers les PME et la forte relance de la valorisation de notre recherche.
Alors, pourquoi, mes chers collègues, ne pas voter ce budget ?
M. le président. La parole est à M. Vecten.
M. Albert Vecten. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, afin de développer et de soutenir l'effort d'innovation, le Gouvernement a affirmé la volonté de multiplier les échanges entre le monde de la recherche et les entreprises, notamment par la constitution de structures professionnelles de valorisation.
Cette volonté s'est traduite par l'adoption de la loi sur l'innovation et la recherche du 12 juillet 1999. Comme vous vous en souvenez sans aucun doute, monsieur le ministre, j'ai soutenu ce texte, qui me paraissait correspondre à un besoin urgent.
En effet, le retard pris par notre pays en matière de valorisation de la recherche publique est devenu inquiétant. Non que nous ne disposions, en France, d'une recherche publique de grande qualité, bien au contraire, mais il existe dans notre pays un vrai décalage entre la qualité de la recherche scientifique publique et la faiblesse du transfert d'innovation vers le monde de l'entreprise.
Il nous appartenait donc d'y remédier, notre rôle de législateur étant d'offrir un cadre simple, souple et efficace pour permettre une coopération active entre la recherche publique et le monde économique.
Votre loi « innovation et recherche » s'inscrit dans cette ambition et apporte une réponse indispensable à nos attentes. Ces attentes, ce sont notamment celles des collectivités locales, qui, depuis la décentralisation, s'investissent de plus en plus dans ce domaine de la recherche, même s'il ne s'agit pas d'une de leurs compétences premières.
Quel est l'objectif des collectivités locales à cet égard ?
A terme, c'est bien sûr de contribuer par cette voie au développement économique, et donc à la création d'emplois. Pour ce faire, il est essentiel que les collectivités puissent travailler en partenariat étroit avec les universités et les grands organismes de recherche afin de valoriser les résultats de leurs travaux. De ce point de vue, très concrètement, la possibilité de créer des structures dédiées aux moyens affectés à des thématiques bien identifiées, avec des perspectives de débouchés économiques réels, est essentielle.
Pour illustrer mon propos, monsieur le ministre, je prendrai l'exemple d'une initiative particulière que nous avons lancée dans la Marne.
Comme vous le savez, notre région Champagne-Ardenne se caractérise et se distingue par la force remarquable de son bassin de production agricole et viticole. L'excellence que nous avons pu atteindre dans le domaine du champagne ou dans la production de plantes de grandes cultures n'est cependant pas définitivement acquise.
Ainsi, le secteur céréalier, qui utilise plus de 56 % de nos terres arables, a été fortement ébranlé tant par la vive concurrence sur les marchés mondiaux que par les deux réformes consécutives de la politique agricole commune.
Dès les premiers signes de ce bouleversement, que nous pressentions, nous avons pris en main notre destin en recherchant de nouveaux débouchés, hors des voies conventionnelles, saturées.
Les discussions engagées aujourd'hui à Bruxelles ou à Seattle, les évolutions du commerce mondial vers un libre-échange qui implique une concurrence de plus en plus acharnée ne peuvent que nous conforter dans ce choix.
Depuis dix ans déjà, les collectivités territoriales de Champagne-Ardenne se sont donc mobilisées pour créer une association dénommée « Europol'Agro », dont l'objet est de développer une recherche finalisée débouchant sur de nouvelles valorisations de nos « agroressources », notamment dans le secteur non alimentaire : nouveaux matériaux, détergents, cosmétiques ou spécialités pharmaceutiques.
La dynamique créée par Europol'Agro a favorisé l'émergence de programmes reposant sur le volontariat des équipes de l'université de Champagne-Ardenne ou des grands organismes de recherche présents à Reims, tels que l'INRA.
Hier utopies pour certains, ces nouvelles applications sont aujourd'hui une réalité dans notre département puisque deux PME d'une dizaine de personnes chacune produisent différentes spécialités pour la cosmétique ou le secteur de la santé humaine à partir d'agroressources locales.
Car telle est bien notre ambition : que les résultats de cette recherche suscitent la création d'entreprises innovantes, sources d'emplois et de valeur ajoutée.
Mais il nous faut poursuivre et même aller plus loin, car d'autres pays sont sur les mêmes créneaux.
L'engagement financier de l'Etat et des collectivités locales lors de ce dernier contrat de plan Etat-région a déjà permis de mobiliser plus de 70 millions de francs pour financer des programmes de recherche.
Près d'une soixantaine de doctorants ont déjà été financés par le conseil général, qui alloue pour ce faire une enveloppe annuelle complémentaire de plus de 6 millions de francs.
Des investissements structurants en bâtiment et en matériel ont permis à nos équipes de disposer d'un environnement très favorable.
Les équipes de recherche mises en place ces dernières années forment un dispositif cohérent qui nous permet de disposer de compétences très intéressantes, mais qu'il conviendrait de compléter dans deux disciplines, la glycochimie et la physicochimie, pour aboutir à de plus nombreux résultats.
Aujourd'hui, pour aller plus loin, il nous faut franchir avec l'université de Reims Champagne-Ardenne et l'INRA une nouvelle étape.
Notre projet concret est donc la constitution d'un pôle de glycochimie réunissant sur un même site une équipe de quatre à cinq chimistes encadrés par un chercheur expérimenté et une équipe de deux ou trois physicochimistes qui testeront les aptitudes des molécules élaborées par les chimistes.
Comme vous le voyez, nos besoins sont, me semble-t-il, très raisonnables, car nous aurons la sagesse de cultiver le travail en réseau avec les laboratoires abordant les mêmes thèmes.
Cependant, si ces thématiques ont reçu l'aval d'éminents experts scientifiques, nous rencontrons des difficultés pour la mise en place de ce pôle.
Les collectivités locales, en premier lieu le conseil général de la Marne, sont prêtes à mobiliser des moyens financiers. Mais les moyens humains complémentaires passent par un fléchage de postes auprès de l'université et de l'INRA pour lequel votre appui est nécessaire.
Je sais, monsieur le ministre, que vous avez engagé une politique pour renforcer le recrutement de chercheurs dans les prochaines années. Je pense que notre région, qui a été précurseur en ce domaine, mérite aujourd'hui un soutien particulier.
Par ailleurs, votre loi du 12 juillet 1999 a suscité pour nous beaucoup d'espoirs, car certaines de ses dispositions pourraient constituer le complément indispensable aux postes universitaires fléchés.
Nous souhaitons, pour constituer ce pôle de glycochimie qui nous fait défaut, nous appuyer sur le dispositf prévu par l'article 1er de cette loi que je cite : « En vue de la valorisation des résultats de la recherche dans leur domaine d'activité, les établissements publics à caractère scientifique et technologique peuvent, par convention et pour une durée limitée, avec information de l'instance scientifique compétente, fournir à des entreprises ou à des personnes physiques des moyens de fonctionnement, notamment en mettant à leur disposition des locaux, des équipements et des matériels.
« Ces activités peuvent être gérées par des services d'activité industrielles et commerciales. Et ces services peuvent recruter des agents non titulaires par des contrats de droit public à durée déterminée ou indéterminée. »
Simplement, comme vous le savez aussi, la mise en oeuvre de ce dispositif est subordonnée à la parution d'au moins trois décrets d'application. Or, en matière de recherche, si nous voulons obtenir des résultats d'ici deux à cinq ans, nous devons nous hâter afin de ne pas perdre l'avance que nous avons pu prendre.
Je demande donc, monsieur le ministre, à pouvoir bénéficier du soutien concret des services de votre ministère, pour que notre région, son université, associée à l'INRA, puissent mettre en place rapidement ce pôle de glycochimie, en s'appuyant directement sur le dispositif prévu dans votre loi, et ce sans avoir à attendre les décrets d'application.
Avec ce soutien, nous pourrions une nouvelle fois faire ensemble figure de précurseurs. Dans le domaine de la recherche, c'est là un atout déterminant !
Par avance, je vous remercie de votre appui.
Monsieur le ministre, je vous invite aussi à venir dans notre région, à Reims, tout particulièrement pour vous rendre compte de ce que nous avons déjà réalisé et voir ce qu'il nous reste encore à entreprendre. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Monsieur le président, je souhaite une brève suspension de séance.
M. le président. Le Sénat va, naturellement, accéder à cette demande.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue le mardi 7 décembre 1999 à zéro heures cinq, est reprise à zéro heure dix.)