Séance du 27 avril 1999







M. le président. Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 260 rectifié, MM. Legendre, Courtois, Braye, Cornu, Dufaut, Eckenspieller, Esneu, Fournier, Lassourd, Oudin, Vasselle, Doublet et les membres du groupe du Rassemblement pour la République proposent d'insérer, après l'article 46 nonies, un article additionnel ainsi rédigé :
« La première phrase du premier alinéa de l'article L. 2113-2 du code général des collectivités territoriales est ainsi rédigée :
« Les personnes inscrites sur les listes électorales municipales sont obligatoirement consultées sur l'opportunité de la fusion de communes. »
Par amendement n° 288, M. Diligent propose d'insérer, après l'article 46 bis, un article additionnel ainsi rédigé :
« La première phrase de l'article L. 2113-2 du code général des collectivités territoriales est ainsi rédigée :
« Les personnes inscrites sur les listes électorales municipales sont consultées pour avis sur l'opportunité de la fusion des communes, deux mois avant la décision des conseils municipaux. »
La parole est à M. Legendre, pour présenter l'amendement n° 260 rectifié.
M. Jacques Legendre. Je tiens tout d'abord à dire que je ne suis pas un élu de la communauté urbaine de Lille (Ah ! sur les travées du RPR) et que ma vision des choses n'est donc pas directement influencée par ce qui se passe dans la métropole du département du Nord, même si j'en suis, comme d'autres, informé.
Je voudrais m'en tenir à une idée générale, qui constitue l'esprit même de la loi dont nous débattons : nous voulons une intercommunalité, et une intercommunalité qui marche, parce que nous pensons, non pas qu'il y a trop de communes en France, mais que certaines communes ont besoin de travailler ensemble pour répondre à des besoins qu'elles ne sauraient satisfaire isolément. Tel est bien l'esprit de l'intercommunalité. Si nous ne faisons pas l'intercommunalité, nous le savons bien, il faudra alors en venir à des fusions autoritaires de communes, ce que nous voulons éviter.
Cela étant, nous ne pouvons pas non plus négliger ou ignorer le fait que, parfois, des communes choisissent de fusionner. C'est un acte grave puisque, finalement, cette décision revient à mettre un terme à une histoire qui remonte à la Révolution et, au-delà, aux paroisses de l'Ancien Régime.
Il nous semble que le maire et la majorité municipale du moment ne sont pas propriétaires de la commune qu'ils ont, pour une période, mission de gérer. Accepter de travailler avec d'autres communes, dans le cadre d'une intercommunalité, en déléguant certaines compétences, c'est légitime. Mais que la décision de mettre un terme à l'histoire de la commune par une fusion, décision presque irréversible, relève de la seule volonté du conseil municipal et soit prise sans que les électeurs de la commune soient consultés, cela nous semble peu en rapport avec l'idée que nous nous faisons de la République et de la démocratie.
Voilà pourquoi cet amendement prévoit simplement que les personnes inscrites sur les listes électorales municipales sont obligatoirement consultées sur l'opportunité de la fusion des communes.
Mes chers collègues, cet amendement permet donc d'associer les citoyens concernés à un acte quasi irréversible, qui met un terme à une longue histoire. Nous parlons souvent de démocratie et de République. Eh bien ! en rendant obligatoire cette procédure, nous montrons notre respect des citoyens et de la République ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Diligent, pour défendre l'amendement n° 288.
M. André Diligent. Je partage entièrement la position qu'a défendue M. Legendre. C'est pourquoi je retire mon amendement au profit de l'amendement n° 260 rectifié.
M. le président. L'amendement n° 288 est retiré.
Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 260 rectifié ?
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. Dans la logique de l'avis exprimé sur l'amendement précédent, nous émettons un avis favorable, sous réserve d'une légère rectification : pour éviter une redondance, il conviendrait de supprimer le mot « obligatoirement », qui découle de ce qui est prévu précédemment.
M. le président. Monsieur Legendre, accédez-vous au souhait de M. le rapporteur ?
M. Jacques Legendre. Bien sûr, monsieur le président, ne serait-ce qu'au nom de la clarté de la langue !
M. le président. Il s'agit donc de l'amendement n° 260 rectifié bis , tendant à insérer, après l'article 46 nonies , un article additionnel ainsi rédigé :
« La première phrase du premier alinéa de l'article L. 2113-2 du code général des collectivités territoriales est ainsi rédigée :
« « Les personnes inscrites sur les listes électorales municipales sont consultées sur l'opportunité de la fusion de communes. »
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Mesdames, messieurs les sénateurs, est-il bien raisonnable de « délégitimer » les conseils municipaux en rendant obligatoire une consultation des électeurs avant toute décision de fusion de communes ? Je fais appel à votre expérience, qui est grande. Allez-vous vous engager dans cette voie, qui n'aurait pas de fin ?
Je me permets de faire observer à M. Hoeffel que l'emploi de l'expression « sont consultées » signifie que la consultation en question est obligatoire. Si vous voulez introduire une certaine souplesse, il conviendrait d'écrire : « peuvent être consultées ».
Cela étant, le Gouvernement n'est pas favorable à cet amendement parce qu'il pense que la responsabilité des conseils municipaux mérite d'être préservée. Bien entendu, il est possible de consulter les électeurs sur certains sujets, mais il convient de laisser au maire et à sa majorité municipale le soin d'en décider. On ne peut pas mettre le doigt dans un engrenage qui aboutirait, je le répète, à « délégitimer » les conseils municipaux. (Très bien ! sur les travées socialistes.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 260 rectifié bis .
M. Dominique Braye. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Braye.
M. Dominique Braye. Comme l'a indiqué mon collègue et ami Jacques Legendre, un conseil municipal, qui est chargé de gérer une commune pour un temps donné, n'est pas « propriétaire » de cette commune et ne peut, en conséquence, prendre de manière discrétionnaire une décision d'une importance exceptionnelle intéressant cette commune.
D'ailleurs, sur ce point, tout le monde devrait être d'accord. M. Mauroy nous a dit tout à l'heure : « Les conseils municipaux le feront avec l'assentiment de leur population. ». Or c'est bien ce que nous demandons : que l'on consulte la population.
Quant à M. le ministre de l'intérieur, il a expliqué que la fusion des communes devait permettre de lutter contre l'émiettement.
Il est clair que, dans la quasi-totalité des cas, ce sont non les petites communes qui vont faire ce choix mais les plus importantes, et cela en vertu de considérations d'opportunité politique, ainsi que l'a expliqué M. Turk.
Dès lors, il me paraît indispensable que la population soit consultée avant une décision de fusion. C'est pourquoi je voterai cet amendement.
M. Alex Turk. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Turk.
M. Alex Türk. Je souhaite préciser à l'attention de M. le ministre que, actuellement, il est parfaitement possible de procéder à une telle consultation : d'ores et déjà, M. Mauroy et le maire de Lomme ont la faculté d'organiser, s'ils le souhaitent, un référendum puisque cela est prévu par la loi de 1971. Il suffirait d'ailleurs à M. Mauroy d'en prendre l'engagement ici pour attester sa bonne foi.
M. Dominique Braye. N'ayez pas peur du suffrage universel, monsieur Mauroy !
M. Jacques Legendre. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Legendre.
M. Jacques Legendre. Remplacer « sont consultées » par « peuvent être consultées » reviendrait à supprimer l'amendement puisque l'article 8 de la loi du 16 juillet 1971 relative aux fusions et regroupements de communes prévoit très précisément que les électeurs des communes concernées par un projet de fusion peuvent être invités à se prononcer.
Tout le sens de mon amendement est de remplacer la possibilité par une obligation, eu égard à l'importance de l'acte.
M. Pierre Mauroy. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Mauroy.
M. Pierre Mauroy. Il nous suffit de regarder autour de nous pour constater les extraordinaires changements qui sont intervenus à cet égard dans tous les pays d'Europe. La France est manifestement parmi les plus en retard sur ce plan.
Heureusement, grâce à ce gouvernement, et en particulier grâce à l'action du ministre de l'intérieur, les choses sont en train de bouger !
Il faut s'inscrire dans un mouvement novateur et autoriser nos communes à s'associer, et non pas seulement à fusionner. Nous irions dans le sens de l'Europe, dans celui de l'histoire, et la France pourrait ainsi rattraper son retard par rapport aux autres Etats. Comme ce fut le cas pour bien des réformes, le Sénat, bien entendu, ne le veut pas, et je n'en suis pas surpris. (Protestations sur les travées du RPR.)
Permettez-moi de dire que ce ne sont pas des référendums qui règlent ces questions. Il s'agit d'un problème de confiance. Nous verrons ce qui se passera à Lomme et à Lille ; nous verrons si, en dépit de tout ce qui a été dit ici aujourd'hui, les populations concernées souhaitent cette association.
M. Jean-Patrick Courtois. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Courtois.
M. Jean-Patrick Courtois. Je ne suis pas non plus élu de la région lilloise. Tout le monde peut se tromper !
La fusion-association est un acte grave dans la vie d'une collectivité locale. J'ai vécu une telle expérience dans un autre département : lorsque les fusions-associations ont été réalisées à la suite d'une délibération concordante des conseils municipaux sans consultation des habitants concernés, des associations, dix ou quinze ans plus tard, ont demandé la « défusion ». Nous avons assisté alors à de véritables bagarres.
M. Jacques Legendre. C'est vrai.
M. Jean-Patrick Courtois. Pourquoi ? Parce qu'une fusion-association entraîne le transfert du capital, de l'ensemble des équipements et, surtout, des contributions directes : du jour au lendemain, un autre organe vote la matière fiscale qui s'applique à la commune fusionnée.
Si l'on veut que les fusions-associations réussissent - et, à titre personnel, j'y suis tout à fait favorable - encore faut-il mener une assez longue concertation pour que les populations l'acceptent. En effet, des problèmes de la vie quotidienne ne sont pas résolus lorsque les populations ne sont pas consultées. L'utilisation d'un terrain de sport, par exemple, est gérée non plus par la commune dans laquelle vous habitez mais par celle avec laquelle elle a fusionné. La vie quotidienne s'en trouve radicalement changée, y compris celle des enfants dans les écoles primaires.
En conséquence, l'idée de M. Legendre d'organiser une consultation pour avis de la population concernée par un projet de fusion est une condition minimale pour faire perdurer la fusion-association et éviter de demander par la suite au tribunal administratif de fixer les conditions de « défusion ».
M. Robert Bret. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Mes chers collègues, nous sommes favorables à l'idée de rendre obligatoire la consultation des habitants concernés par un projet de fusion. L'amendement n° 260 contribue à améliorer la démocratie locale. Nous avons tout à gagner à consulter les citoyens sur la vie de leur commune et, finalement, sur leur propre avenir. Nous ne voyons pas ce qu'il y aurait à craindre d'un tel débat démocratique. C'est vrai pour ces questions comme pour d'autres.
En conséquence, le groupe communiste républicain et citoyen votera cet amendement.
M. Yves Fréville. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fréville.
M. Yves Fréville. J'approuve tous les propos qui ont été tenus, mais je veux répondre sur un point à M. le ministre. La consultation, a-t-il dit, « affaiblirait les conseils municipaux ». Or, que prévoit la loi actuelle ? Elle dispose que la consultation peut aussi être décidée par le représentant de l'Etat dans le département. Il est donc admis que le préfet puisse aller au-delà des souhaits des conseils municipaux. Par conséquent, le pouvoir de représentation des conseils municipaux n'est nullement mis en cause par la consultation. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. André Diligent. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Diligent.
M. André Diligent. Monsieur le ministre, vous connaissez bien la question. Vous savez que le statut des villes associées, auquel je ne suis pas opposé, même au sein d'une fusion, doit être amélioré.
Vous savez aussi qu'il existe un réel problème ; un certain nombre de nos concitoyens sont frustrés et se considèrent comme des sous-citoyens. Ne pourriez-vous pas faire examiner par vos services la possibilité d'améliorer le statut des villes associées ? Ce serait une bonne initiative qui éviterait bien des malentendus.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je suis d'accord.
M. André Diligent. Je vous remercie.
M. Jean-Claude Peyronnet. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Dans mon département, deux communes ont été fusionnées en 1825. Il demeure entre elles une certaine hostilité. Je ne suis pas du tout sûr que le référendum résolve ce type de comportement.
La question du dessaisissement des pouvoirs par le conseil municipal est grave. Les populations concernées, si elles étaient consultées, pourraient être, dans certains cas, plus intéressées par une fusion de communes que par une augmentation d'impôts.
Vous entrez dans une logique qui vous fera adopter les budgets par référendum. (Protestations sur les travées du RPR.) Voilà qui n'est guère bon pour la représentation municipale !
M. Christian Bonnet. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Bonnet.
M. Christian Bonnet. Il m'a été donné de participer aux débats sur la loi de 1971. Dans une loi, il y a le texte et il y a l'esprit. Or j'ai le sentiment que l'esprit est totalement dévoyé si une très grande ville peut en avaler une autre, fut-elle importante. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Dominique Braye. Absolument !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 260 rectifié bis, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 46 nonies.

Articles additionnels après l'article 46 bis