Séance du 27 avril 1999







M. le président. Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 287, M. Diligent propose d'insérer, après l'article 46 bis, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article L. 2113-1 du code général des collectivités territoriales est complété par la phrase suivante :
« Cette décision ne peut intervenir que dans l'année suivant le renouvellement municipal. »
Par amendement n° 343, M. Türk propose d'insérer, après l'article 46 quater, un article additionnel ainsi rédigé :
« Au début de l'article L. 2113-1 du code général des collectivités territoriales, sont ajoutés les mots suivants :
« Dans l'année qui suit le renouvellement général des conseils municipaux, ».
La parole est à M. Diligent, pour présenter l'amendement n° 287.
M. André Diligent. La décision de fusionner entre communes revêt un caractère tout particulier. Il semble donc impensable, à une époque où l'on parle de rapprocher les décideurs des populations, que le sort d'une commune, son avenir, soient décidés sans que ceux qui en décideront connaissent l'opinion de la population.
On consulte les populations sur toutes sortes de problèmes alors que des conseils municipaux peuvent, avec l'approbation du préfet, prendre des décisions en matière de fusion sans connaître l'opinion de la population.
C'est la raison pour laquelle je souhaite que celle-ci se prononce par le biais d'une consultation et je demande donc que la décision ne puisse intervenir que dans l'année du renouvellement du conseil municipal.
En effet, le meilleur moment pour ce genre de consultation, c'est évidemment le renouvellement du conseil municipal et la campagne qui le précède. Il faut que chacun puisse débattre librement, donner son avis afin que les conseils municipaux et le préfet soient éclairés au moment de prendre leur décision.
M. le président. La parole est à M. Türk, pour défendre l'amendement n° 343.
M. Alex Turk. L'amendement que j'ai déposé s'inscrivant dans la même logique que l'amendement n° 287 de M. Diligent, je me range à l'argumentation de ce dernier et je retire mon amendement au bénéfice du sien.
M. le président. L'amendement n° 343 est retiré.
Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 287 ?
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. Favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. L'amendement n° 287 paraît sans rapport avec le texte en discussion, qui traite de l'intercommunalité et non des règles relatives aux fusions de communes.
Convient-il de limiter la volonté des élus ou des citoyens qui souhaitent s'engager dans un processus de regroupement ? Le Gouvernement ne le croit pas. Les fusions constituent un moyen de lutter contre l'émiettement communal, dont chacun mesure les inconvénients.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 287.
M. Pierre Mauroy. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Mauroy.
M. Pierre Mauroy. Malgré le respect et la sympathie que j'éprouve pour la personne de M. Diligent, force m'est de constater qu'il est un spécialiste de ces amendements qui interviennent dans un contexte très politicien.
La dernière fois - le Sénat s'en souvient sans doute - c'était pour dire que tous les maires devaient être représentés au conseil de communautés, ce qui était très bien.
Mais, après la victoire de la gauche aux dernières élections municipales, cela revenait encore à accentuer une contradiction entre ce que voulaient les électeurs et les électrices et ce que souhaitait M. Diligent. Autrement dit, à l'échelon de la communauté, on courait le risque que, au lieu de suivre les électeurs et les électrices, on prenne la décision inverse.
Pourtant, dans sa grande générosité, la gauche s'est félicitée de voir les maires siéger au conseil communautaire. Par conséquent, après en avoir discuté avec les représentants du Gouvernement, nous avons dit que, non seulement cette disposition ne devait surtout pas être modifiée, mais qu'il fallait même la renforcer.
Aujourd'hui, M. Diligent dénie aux maires le droit de prendre, en accord avec leur conseil municipal, la décision de s'associer. Je m'interroge : veut-on l'intercommunalité ?
Je préside une communauté urbaine de 87 communes. On peut discuter sur le point de savoir si on doit constituer impérativement un ensemble unique ou s'il faudra procéder par étapes, ce qui prendra une génération, mais, en tout état de cause, il faut permettre aux communes qui le souhaitent véritablement de s'associer ; cette possibilité, qui existe depuis la première loi sur les associations, a été utilisée par un certain nombre de communes.
En tout cas, monsieur Diligent, vous vous contredisez ! Hier, vous étiez pour le pouvoir des maires, et je vous ai suivi, le Gouvernement aussi. Aujourd'hui, vous y êtes opposé, alors que je ne vois pas quelles conséquences négatives peut avoir sur l'évolution de la communauté urbaine de Lille la décision de deux communes de s'associer à elle.
Lille s'est associée à la commune d'Hellemmes, pour le bien de l'une comme de l'autre. La commune de Lomme veut également s'associer à la commune de Lille. Je pense que le Sénat prendrait une mesure très conservatrice s'il n'acceptait pas cette évolution tout à fait naturelle. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. André Diligent. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Diligent.
M. André Diligent. Malgré tout le respect que j'éprouve, moi aussi, pour l'ancien Premier ministre, je suis stupéfait de ce que j'entends.
D'abord, le problème posé est un problème de fusion, et à ce titre relève bien de ce projet de loi.
Ensuite, j'ai eu des contacts avec l'association des maires des villes associées, que vous connaissez bien, monsieur le ministre de l'intérieur, puisque c'est, je crois, un de vos amis qui la préside. C'est une association très importante qui regroupe plusieurs centaines de maires qui estiment qu'ils ont été dupés, qu'ils sont devenus des sous-citoyens. On leur a fait des promesses qui n'ont pas pu être tenues. Ils veulent donc, simplement, qu'à l'avenir ceux qui risquent de « tomber dans le panneau » soient bien au courant de tout, et que la population soit dorénavant consultée.
Il est inconcevable d'affirmer que les maires n'ont pas à consulter la population, que ce sont quelques maires qui prendront la décision de rayer une commune de l'histoire : car les communes associées ne sont plus des communes ! Je vois encore, dans le Larousse de je ne sais plus quelle année : « commune d'Hellemmes, ancienne grande ville devenue maintenant un quartier de la banlieue de Lille ». (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste. - Protestations sur les travées socialistes.) C'est encore pire que cela ! Je suis en-dessous de la vérité. Je vous enverrai une photocopie de la page de ce dictionnaire.
M. Paul Raoult. C'est scandaleux !
M. le président. Mes chers collègues, ne vous provoquez pas !
M. Pierre Mauroy. Mais qu'est-ce que cela démontre ?
M. André Diligent. Cela démontre qu'on n'a pas le droit...
M. le président. Monsieur Diligent, veuillez parler dans le micro.
M. André Diligent. Si M. Mauroy parle dans mon dos, il faut bien que je me retourne pour lui répondre !
En tout cas, je tiens à dire qu'on ne peut pas refuser de consulter une population avant d'engager la commune dans une action déterminante. N'oubliez pas, mes chers collègues, qu'il existe deux sortes de fusions. Hier, au conseil de la communauté urbaine de Lille, M. Delebarre a tenu des propos qui n'ont pas plu à M. Mauroy.
M. le président. Cela peut arriver ! (Sourires.)
M. André Diligent. C'était à midi et quart, monsieur Mauroy, vous êtes tout à fait au courant.
M. Pierre Mauroy. Absolument pas ! De quoi parlez-vous ?
M. André Diligent. M. Delebarre s'est exprimé pour les associations, mais contre les fusions pures et simples.
M. Pierre Mauroy. Mais ce sont des associations qu'on propose !
M. André Diligent. Il existe deux sortes de fusion : la fusion directe et la fusion avec une commune associée. Ce que je demande, c'est que, de toute façon, la population soit consultée. C'est ce que disait hier M. Delebarre, quand il se plaignait d'avoir été plus ou moins, je ne dis pas roulé, mais abusé dans cette opération de fusion. Il souhaitait qu'il n'y ait plus de fusion directe et donnait à l'appui de ses dires des exemples pris dans l'environnement, dans un quartier de Dunkerque, notamment.
M. Pierre Mauroy. Monsieur le président, avec votre permission, je souhaite préciser (Rires et exclamations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste)...
M. le président. Monsieur Mauroy, vous n'avez pas la parole.
M. Pierre Mauroy. Je souhaite simplement rapporter les propos exacts de M. Delebarre.
M. le président. Je vous donnerai la parole pour explication de vote tout à l'heure.
M. Pierre Mauroy. Je veux rectifier ce qu'a dit M. Diligent au sujet de M. Delebarre.
M. André Diligent. La meilleure des rectifications sera le procès-verbal de la séance ; j'espère qu'il ne sera pas corrigé !
M. Dominique Braye. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Braye.
M. Dominique Braye. Mes chers collègues, vous pardonnerez un membre de cette assemblée qui n'est pas élu de la communauté urbaine de Lille de prendre la parole, Mais placer le débat à un niveau plus général me paraît tout à fait souhaitable.
M. Jean-Louis Carrère. Cela vous va bien !
M. le président. Monsieur Carrère, n'interrompez pas l'orateur !
M. Jean-Louis Carrère. Mais lui n'arrête pas de le faire ! (Rires.)
M. le président. Monsieur Braye, vous seul avez la parole.
M. Dominique Braye. Personne ne peut me reprocher, je crois, d'être contre l'intercommunalité ; j'en suis, depuis toujours, un fervent défenseur.
J'ai entendu les arguments de M. Mauroy. Je ne me prononcerai pas sur le côté politicien des propos qu'il a tenus, je dirai simplement qu'il existe une énorme différence entre l'intercommunalité et la fusion de communes.
Le Sénat a souhaité faire en sorte qu'il y ait plusieurs niveaux de décision en fonction de l'intégration. M. le rapporteur a proposé un amendement, qui a été adopté, selon lequel la transformation d'un district en communauté d'agglomération ne dépendait pas d'une simple décision du conseil communautaire, mais devait être soumise aux différents conseils municipaux, de façon que le débat soit plus démocratique et que la décision procède d'une véritable légitimité.
Le fait de fusionner deux communes et donc de faire disparaître chacune d'elles suppose manifestement un acte reposant sur une indéniable légitimité. Effectivement, seul le référendum peut le permettre.
Le problème n'a rien à voir avec l'intercommunalité, mais on ne peut pas dire, comme M. Mauroy, que l'amendement en question n'a rien à voir avec un texte relatif à l'intercommunalité et prendre immédiatement après argument de l'intercommunalité. Je suis bien d'accord avec vous, monsieur Mauroy, le problème posé n'a rien à voir avec l'intercommunalité. Mais la fusion de communes emportant la disparition de communes, elle doit s'opérer selon des procédures dont la légitimité ne pourra être mise en cause ultérieurement. Cela me paraît excessivement important. C'est pourquoi je voterai, bien sûr, l'amendement proposé par M. Diligent. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Pierre Mauroy. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. M. Mauroy, je vous donne la parole pour explication de vote, mais j'appelle votre attention sur le fait que, en vertu de notre règlement, M. Diligent ne pourra pas vous répondre.
M. Pierre Mauroy. Je souhaite simplement, monsieur le président, évoquer ce que M. Delebarre, président du conseil régional de Nord - Pas-de-Calais et maire de Dunkerque, a déclaré hier.
Après avoir rappelé que quatre communes avaient fusionné - à l'époque, la loi ne prévoyait pas la possibilité de l'association de communes -, il a expliqué que, en tant que maire de Dunkerque, il avait été obligé de rétablir, dans les anciennes communes maintenant fusionnées, des conseils de quartier ou des structures de ce type, parce que la loi sur les fusions était mauvaise. Il a précisé que, si c'était à refaire, il choisirait l'association, parce que la loi sur les associations, elle, est bonne en ce qu'elle permet à toutes les communes associées de garder leur conseil municipal et certaines de leurs compétences.
De fait, l'expérience montre que toutes les associations de communes fonctionnent bien.
De toute façon, dans un pays qui compte 36 000 communes, vouloir le développement de l'intercommunalité, c'est bien, mais il est encore mieux d'accepter que deux communes qui le veulent puissent s'associer : cela va dans le sens de l'avenir.
J'ajoute qu'une commission sera mise en place, que chacune des communes proposera un programme et pourra associer la population à la démarche. Un référendum ne permet de répondre que par oui ou par non à une question ; d'ailleurs, la plupart du temps, les gens ne répondent pas à la question posée. En revanche, les élections municipales qui suivront la décision d'association permettront à la population de se prononcer.
M. Dominique Braye. Trop tard !
M. Pierre Mauroy. Si le maire de Lomme s'est trompé, il devra en tirer les conséquences.
M. Dominique Braye. Devrait-il craindre le suffrage universel ?
M. Pierre Mauroy. Mais on sait bien que vous avez des points de vue conservateurs, et à peu près sur tout ! Permettez-nous de faire avancer la France au moins sur ce plan. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Alex Turk. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Turk.
M. Alex Turk. Je voudrais d'abord préciser que c'est bien la première fois que j'entends dire qu'il y a eu deux lois distinctes, l'une sur la fusion, l'autre sur l'association : c'est complètement contraire à notre droit positif. Mais peu importe !
Ce qu'il faut bien préciser, c'est que cette loi n'a jamais été conçue pour résoudre les problèmes électoraux dans les grandes villes. Elle visait à permettre aux petites communes de mettre leurs moyens en commun pour améliorer la vie quotidienne de leurs habitants. Il ne s'agissait donc pas du tout de faire en sorte qu'une grande ville où la majorité en place risquait d'être menacée lors des élections municipales suivantes puisse récupérer une réserve de voix dans une ville voisine, qui compte tout de même 25 000 ou 30 000 habitants !
M. Dominique Braye. Cela est dit et bien dit !
M. Pierre Mauroy. Vous êtes angélique, monsieur Türk !
M. Alex Turk. D'ailleurs, les autres amendements qui vont venir en discussion dans quelques instants montrent à quel point il est extrêmement difficile d'appliquer la loi de 1971 dans des hypothèses comme celle-là.
Enfin, comment M. Mauroy peut-il mettre sur le même plan le fait que des électeurs puissent se prononcer après la décision de fusion, à l'occasion des élections municipales, et le fait qu'ils soient consultés préalablement, par référendum ?
M. Alain Vasselle. Tout à fait !
M. Alex Turk. Cela relève tout de même d'une vision archaïque, pour le coup, de la démocratie ! Ce qui est moderne, c'est de considérer que les électeurs souhaitent pouvoir donner leur point de vue a priori et non a posteriori. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 287, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. Pierre Mauroy. Adopté, certes, mais difficilement ! (Sourires.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 46 bis.

Article additionnel après l'article 46 bis
ou après l'article 46 nonies