M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi concernant le ministère de la défense.
La parole est à M. Blin, rapporteur spécial.
M. Maurice Blin, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, pour l'exposé d'ensemble et les dépenses en capital. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de budget de la défense que nous examinons est en diminution sensible : 184 milliards de francs pour 1998 contre 191 milliards de francs l'an dernier, soit, en francs constants, une régression de 8,5 milliards de francs. S'y ajoutent des annulations en cours d'année. Elles ont été de 3,4 milliards de francs en juillet dernier et le prochain collectif en comportera une nouvelle de 1,8 milliard de francs.
Ainsi, le budget de 1997 aura été amputé de 5 milliards de francs, tandis que celui de 1998 décrochera à nouveau de plus de 8 milliards de francs. Dois-je rappeler que si le budget de 1997 avait été conforme à la première annuité de l'actuelle programmation, les crédits d'équipement y étaient déjà en baisse de 18 % par rapport à la précédente ? La situation, monsieur le ministre, qui, avant vous, était préoccupante devient aujourd'hui proprement critique.
Certes, cette récession s'inscrit dans un mouvement général qui a conduit la plupart des pays européens, tels que les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l'Allemagne, à reduire les crédits de leurs armées. Mais nous procédons, en ce qui nous concerne, à des diminutions de crédits au coup par coup, en tenant compte des difficultés budgétaires du moment, sans vue d'ensemble, alors que nos voisins britanniques, au contraire, planifient la réduction de leurs crédits et, partant, les utilisent mieux.
J'en viens maintenant à quelques constatations quant au contenu même du budget qui nous est proposé.
Premier constat : ce sont les crédits d'équipement qui diminuent le plus dans un budget globablement en baisse ; la réduction est de près de 10 % en francs constants par rapport à 1997.
Deuxième constat : le déséquilibre entre le titre III et le titre V s'accroît ; 44 % des crédits pour ce dernier et 56 % pour le premier contre respectivement 48 % et 52 % l'an dernier. Ce déséquilibre s'explique largement par le surcoût des opérations extérieures gagé par des annulations sur le titre V. Nous l'avons constaté dans le décret d'annulation du mois d'octobre dernier ; nous allons le constater à nouveau dans le prochain collectif.
S'y ajoutent les exigences de la professionnalisation qui imposent de remplacer une ressource abondante et relativement peu onéreuse, celle des appelés, par des recrutements beaucoup plus coûteux pour répondre, en nombre et en qualité, aux besoins des armées.
La professionnalisation, au demeurant, n'est pas uniquement l'affaire du titre III : elle n'a de sens que si elle s'accompagne d'une modernisation des équipements. L'investissement humain doit aller de pair avec l'investissement en équipement et en matériel. On ne peut réussir l'un en ruinant l'autre.
Troisième constat : au sein du titre V, c'est le nucléaire qui supporte la régression la plus forte, soit 13 %.
Quatrième constat : les crédits qui concernent l'avenir sont, hélas ! les plus frappés : moins 15 % pour les études, contre moins 8 % pour les fabrications.
J'observe cependant, par souci d'objectivité et pour m'en féliciter, que les programmes en coopération d'ores et déjà lancés sont préservés : l'hélicoptère Tigre et le NH 90, le missile AC 3 G, la frégate antiaérienne Horizon, notamment.
De ces constatations, mes chers collègues, résultent interrogations et inquiétudes.
Cette année et l'an prochain, plus encore que les années précédentes, le projet de budget de la défense est traité - on l'a dit et on le redira - comme un réservoir de crédits dans lequel on puise pour abonder le budget général. En son sein, la variable d'ajustement se trouve essentiellement dans le secteur nucléaire. Ses crédits sont ainsi passés, en francs constants, de 37 milliards de francs en 1989 à 18 milliards de francs en 1997.
Alors que la loi de programmation prévoyait pour 1998 une diminution de seulement 1,5 %, ces crédits vont régresser de plus de 13 %. Dans le même temps, le coût de démantèlement du système Hadès et du missile S3, celui de la fermeture des usines de Marcoule et de Pierrelatte sera élevé et très probablement supérieur aux prévisions. Pourrions-nous, monsieur le ministre, avoir une évaluation à peu près exacte ?
De même, quel sera, dans ces conditions, le sort du quatrième sous-marin nucléaire lance-engins de nouvelle génération inscrit en programmation mais que le recul d'un an du troisième risque de pousser hors de celle-ci ?
C'est toute la doctrine de notre dissuasion, fondée sur la « suffisance » de nos moyens, qui est en cause.
Cette diminution substantielle des crédits du titre V pose un problème, celui du coût des programmes.
L'équilibre de la loi de programmation repose, en effet, sur une diminution de 30 % de ces coûts sur les six années qu'elle couvre, soit 5 % en moyenne par an. L'objectif est très ambitieux puisque la précédente loi de programmation tablait sur une diminution de seulement 2 % par an.
Les efforts des industriels pour abaisser leurs prix de revient vont se heurter à la réduction et à l'étalement des commandes, même si quelques-unes d'entre elles prennent la forme de commandes pluriannuelles.
Prenons quelques exemples.
Quelle amélioration de la productivité peut-on attendre de la commande, en 1998, de deux Rafale, ce produit de la plus haute technologie française ? Son programme lancé en 1985 n'aboutira plus désormais qu'en 2005, soit avec neuf ans de retard. Sa version air est arrêtée depuis deux ans. L'avion avait hier encore quatre ans d'avance sur son rival européen, l'Eurofighter. Il en aura bientôt un de retard, et c'est de ce même avion européen que l'Allemagne vient de se porter acquéreur, pour 180 appareils.
Dans le même temps, le modeste Gripen, un avion suédois très partiellement comparable, va, lui, être construit à 150 exemplaires. Quant au JSF américain, notre rival pour demain, au coût sévèrement maîtrisé, il est prévu de le produire à 3 000 exemplaires.
On peut dès lors, et non sans crainte, se demander, monsieur le ministre, mes chers collègues, à quel prix cet avion américain sera proposé sur les marchés étrangers. Quel concurrent redoutable il constituera pour l'avion français ! Que dire encore du décalage d'un an, j'en parlais tout à l'heure, de la mise en oeuvre du troisième sous-marin nucléaire lance-engins alors que ce report obligera à en conserver un autre au prix de coûteux travaux d'entretien ?
Quelle amélioration de la situation de GIAT Industries peut-on espérer d'une nouvelle réduction des livraisons de chars et des commandes de munitions ?
Voilà autant de questions, monsieur le ministre, auxquelles nous souhaiterions que vous apportiez une réponse.
Je rappelle que le titre V pourvoit aussi - on l'oublie trop - aux besoins de l'infrastructure, des études, de l'entretien des matériels. Seule, par conséquent, une part de ses crédits, la moitié environ, iront à la fabrication des matériels. Enfin, sur cette moitié - ne l'oublions pas davantage - 20 % reviendront à l'Etat sous forme de TVA.
Ainsi, les flux financiers vers les industries de défense s'établiront en fait pour les fabrications à environ 30 milliards de francs en 1998. Cette réduction draconienne de leur marché ne peut, à l'évidence, que conduire à une aggravation des coûts.
A quoi s'ajoute - est-il besoin de le dire ? - une situation internationale peu favorable. Nos industriels y trouvent de moins en moins une compensation à la baisse des commandes nationales. La réduction de nos commandes à l'exportation, qui sont passées de 33 milliards de francs en 1995 à moins de 20 milliards de francs en 1996, traduit une dégradation manifestement durable.
La concurrence est de plus en plus rude, notamment celle des Etats-Unis, qu'elle s'affirme directement ou qu'elle s'exprime sous le couvert de l'OTAN. Elle met en question l'autonomie stratégique de l'Europe qui, on le sait, se joue d'abord et désormais dans l'espace.
La coopération entre Européens, qui permet non seulement de partager les coûts, mais aussi d'unir les volontés, piétine et on peut craindre qu'elle ne régresse.
Nous poursuivons le programme Helios. Mais l'attentisme de notre voisin allemand nous gêne et freine notre élan. Nous sommes obligés de retarder le programme Horus pour la même raison. En règle plus générale et même si, je l'ai dit, le budget pour 1998 comporte la poursuite des programmes en coopération déjà engagés, on peut craindre que cette priorité, du fait de la réduction globale des crédits, ne s'exerce aux dépens des programmes nationaux.
Certes, beaucoup de ceux-ci sont parvenus en fin de développement et entrés en fabrication. Mais ce sont - j'y reviens - les crédits d'études qui permettent de renouveler nos équipements, de maîtriser leurs coûts, de développer les activités de diversification, et donc d'assurer l'autonomie de notre capacité de défense.
Or - retenons bien ces deux taux - nous allouons 30 % de nos crédits d'équipement aux études alors que, aux Etats-Unis, la proportion est de 45 %, soit presque la moitié des crédits d'équipement.
Touchant l'avenir, enfin, comment ne pas évoquer aussi l'incertitude qui continue de peser sur le programme majeur de l'avion de transport futur, l'ATF ? Il est vital pour l'avenir et l'existence même de l'industrie aéronautique européenne. Puissent ses chances qui, à l'heure actuelle, ne semblent pas - j'espère que vous nous le confirmerez, monsieur le ministre - totalement compromises, ne pas être définitivement perdues ! Cet avion est en effet le symbole du dynamisme et de l'autonomie future de notre continent.
Incertitude, encore, sur les systèmes d'information et de commandement dont on attend beaucoup, mais dont on voit mal l'architecture d'ensemble et l'intégration interarmées.
Ainsi donc, certitude dans l'immédiat - celle d'une réduction des crédits, et donc des commandes - incertitude pour l'avenir : comment, dans ces conditions, maintenir la pérennité de notre industrie d'armement ? Voilà la question clé qui nous occupe tous, monsieur le ministre, et tout particulièrement notre commission des finances.
Cette industrie occupe - faut-il vraiment le rappeler ? - une des premières places au niveau mondial. Elle assure, seule ou en coopération, la quasi-totalité de l'équipement de nos forces. Elle représente environ un tiers de l'industrie européenne et 7 % de l'emploi industriel en France avec 170 000 emplois directs. Elle tire vers le haut les activités industrielles de pointe.
Sans doute la coopération européenne a-t-elle pu répondre à la nécessité d'élargir son champ d'action. Notre industrie s'y est engagée avec détermination ; plus de la moitié de la production industrielle de certaines entreprises - Aérospatiale en particulier - se fait aujourd'hui en coopération.
Pour autant, cette dernière, sauf rares exceptions, n'a pas touché aux structures et à la dispersion de nos entreprises, d'où ses effets limités, alors que, dans le même temps, les Américains, engagés dans des restructurations profondes, se sont dotés d'une force de frappe redoutable. En deux ans à peine, l'industrie de l'espace, celle de l'aéronautique, celle des missiles et celle de l'électronique de défense ont été regroupées dans trois entités au chiffre d'affaires considérable, appuyées par un budget de la défense de plus de 1 500 milliards de francs et animées par la volonté, à peine dissimulée, de dominer la planète, évinçant leur seul concurrent crédible, l'Europe, et tout spécialement la France.
Qu'en est-il aujourd'hui, monsieur le ministre, des projets de regroupement en attente depuis longtemps dans les domaines de l'électronique et de l'aéronautique ? Que va-t-il advenir du secteur, fortement étatisé, occupé par la direction des constructions navales et GIAT Industries ?
Notre industrie de défense est fortement marquée par l'empreinte de l'Etat et de l'actionnariat public. Cette empreinte déconcerte et fait hésiter nos partenaires qui peuvent être tentés de la contourner. C'est ainsi que s'esquisse un « axe » germano-britannique autour duquel se structurerait l'industrie de défense européenne et face auquel nous courons le risque d'être marginalisés.
En attendant, la rétraction du titre V du budget de défense va entraîner la perte de 15 000 à 20 000 emplois de haute qualification et de forte valeur ajoutée, alors que, dans le même temps, d'autres emplois à finalité sociale incertaine sont créés à grands frais. Une telle logique, monsieur le ministre, nous échappe.
En réalité, et c'est là sans doute l'explication, le budget des armées qui nous est présenté souffre du même mal que le budget général, si pertinemment analysé par le rapporteur de la commission des finances lors de la présentation qu'il en a faite : comme lui, il sacrifie l'investissement, qui est pourtant seul porteur d'avenir, à des dépenses de fonctionnement que risque d'alourdir encore le coût d'une professionnalisation manifestement sous-estimé.
Plus gravement, il est en contradiction avec l'engagement qui avait été pourtant pris au sommet de l'Etat du respect de la loi de programmation militaire telle qu'elle avait été fixée voilà seulement deux ans. D'où la déconvenue qu'il a provoquée dans le personnel des armées, déconvenue suffisamment grave pour que, fait exceptionnel, une expression publique lui ait été donnée.
Enfin - pourquoi le cacher, mes chers collègues ? - cette régression annonce non pas un nouvel infléchissement de la loi de programmation, mais son abandon prochain pur et simple.
Pour ces trois raisons, vous comprendrez, mes chers collègues, et vous aussi, monsieur le ministre, que le rapporteur de la commission des finances ne puisse, et croyez bien qu'il le fait sans joie, que proposer le rejet du projet de budget de la défense. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Emmanuel Hamel. C'est tragiquement vrai ! Ne souriez pas, monsieur le ministre !
M. le président. La parole est à M. Trucy, rapporteur spécial, et à lui seul.
M. François Trucy, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, pour les dépenses ordinaires. Monsieur le ministre, vous vous êtes bien battu pour votre budget, cela vous vaut notre sympathie, mais vous n'avez pas été suffisamment compris par le Gouvernement, et cela nous vaut un budget qui ne nous satisfait pas, tant s'en faut.
Le projet de budget dont nous examinons le titre III, qui concerne le « fonctionnement », ne respecte pas strictement, contrairement à certains propos, l'évolution des effectifs prévue par la loi de programmation et ne traduit pas fidèlement la priorité accordée à la professionnalisation des armées. Pourtant, ce devrait être sa première vertu.
Une vue prosaïque des réalités conduit à une appréciation sensiblement différente de celle que vous espérez sûrement nous voir exprimer, monsieur le ministre.
D'abord, l'évolution des effectifs est prévue dans le projet de budget, mais il reste à la réaliser.
Sont envisagés une forte diminution des appelés et des sous-officiers et un sensible accroissement des militaires du rang engagés et des civils.
Or, l'importante diminution des appelés risque d'être encore plus forte que prévue sous l'effet des nouvelles mesures législatives. Celle des sous-officiers pourrait bien ne pas être celle qui est souhaitée. Pour les militaires du rang engagés, on ne sait encore sur quelle quantité et sur quelle qualité de ressources - nous y reviendrons - on pourra compter. Pour les civils, on connaît d'ores et déjà les difficultés rencontrées pour transférer les postes supprimés au sein de la délégation générale pour l'armement vers les postes ouverts dans les unités et les services militaires.
Reprenons ces remarques.
S'agissant des effectifs d'appelés, la loi de programmation n'est pas assortie d'un échéancier annuel des effectifs. Elle traite, en effet, de l'« agrégat » appelés-volontaires. Il est donc difficile d'affirmer que l'évolution du nombre d'appelés sera conforme à la loi de programmation. En fait, leur nombre dépend des dispositions budgétaires annuelles, mais il va aussi dépendre, ce qui n'était pas prévu, d'un facteur extrabudgétaire.
En effet, l'article 3 de la loi du 28 octobre 1997 portant réforme du service national introduit - c'est une nouveauté - la possibilité d'obtenir un report d'incorporation pour les jeunes gens titulaires d'un contrat de travail à durée déterminée ou indéterminée.
Sans revenir sur les préoccupations sociales qui ont prévalu pour cette décision, je dirai qu'il est permis de douter, dans ces conditions, que la conscription sera maintenue vraiment jusqu'à son terme et qu'elle donnera vraiment, avec les volontaires, la ressource suffisante pour permettre la montée en puissance régulière de la professionnalisation, et ce d'autant plus que le volontariat ne peut pour le moment être mis en oeuvre puisque ses modalités d'application ne sont pas encore précisées.
Le chef d'état-major de l'armée de terre s'est du reste ouvertement exprimé sur les craintes qu'il éprouvait de ne pas disposer de la ressource indispensable en appelés jusqu'à la fin de la période de transition.
Pour les sous-officiers, les effectifs nets doivent diminuer de 1 837 postes. Ces personnels sont au coeur du dispositif d'incitation aux départs sous forme de pécules dont la dotation va croître de plus de 40 % et atteindre 822 millions de francs dans votre budget. Pour autant, permettront-ils une exacte adéquation des demandes aux besoins ? La diminution nette des effectifs résulte en effet du solde entre les départs et les recrutements et, par conséquent, d'une maîtrise exacte des uns et des autres, ce qui est une tâche difficile.
Plus de 8 000 créations d'emploi iront aux militaires du rang engagés. Mais le « vivier » du service national dans lequel l'armée de terre, la principale intéressée, puise aujourd'hui une bonne part de ses engagés va toutefois s'amenuiser en quantité comme en qualité pour les raisons que j'ai indiquées tout à l'heure et qui tiennent aux reports d'incorporation.
La nécessité d'un recrutement suffisamment diversifié pour correspondre à l'éventail des compétences des appelés, au moins pour les emplois qui ne pourront être confiés à des civils, et la concurrence de nouveaux emplois créés par ailleurs à l'intention des jeunes ajouteront aux difficultés de cette entreprise et aux aléas des campagnes de recrutement qui vont être menées.
La rémunération prévue, d'un montant de 5 600 francs, sera-t-elle suffisamment attractive ? Qu'en pensez-vous, monsieur le ministre ? La provision inscrite au budget est-elle correctement calculée ?
Enfin, pour répondre à l'accroissement de la part des personnels civils, les postes doivent être pourvus essentiellement par transfert du personnel des établissements de la délégation générale pour l'armement. Ce transfert est contrarié pour des questions de localisation géographique ou d'adéquation des tâches, et aussi en raison des mesures imposées par le ministère des finances, mesures qui laissent d'ores et déjà plusieurs milliers d'emplois vacants. Pourtant, seul l'attachement que ces personnels portent à l'institution militaire, leur souci d'adaptation et leur volonté de voir réussir la réforme de nos armées permettront d'atténuer ces difficultés.
Ces difficultés n'étaient peut-être pas toutes attendues. Elles étaient cependant prévisibles. Nul ne pouvait s'attendre à ce que la professionnalisation soit une tâche facile, parce qu'elle a un coût, qui doit être financé, et parce qu'elle a provoqué un choc, qui doit être atténué.
Le coût, tel qu'il apparaît dans le projet de budget, est celui des emplois créés, soit un peu plus d'un milliard de francs, et des mesures d'accompagnement de la professionnalisation - aménagements et revalorisation des soldes, aides au départ et à la mobilité - pour un peu moins de 1,4 milliard de francs.
Mais au-delà de ces constatations de base se pose une question majeure : quel est le coût total de la professionnalisation, celui de l'addition du coût des mesures transitoires et des mesures permanentes ? En avons-nous maintenant une meilleure appréciation ?
Il n'existe, semble-t-il, aucune évaluation officielle et détaillée de ce coût. On sait, certes, que la professionnalisation coûtera cher. On devrait peut-être réaliser aussi - M. Blin vient de le dire à l'instant - qu'elle ne doit pas seulement s'appuyer sur les dotations du titre III, car elle coûtera non seulement en rémunérations mais aussi en dépenses d'infrastructure et d'équipement. Les dépenses d'infrastructure sont liées à la nécessité de ménager des conditions d'accueil et de logement convenables à une population plus stable que celle des appelés ; les dépenses d'équipement sont justifiées par le fait que la modernisation de ce dernier donnera sa pleine signification à la professionnalisation.
M. Blin vient de dénoncer les contraintes qui pesaient sur le titre V - celui de l'infrastructure et de l'équipement - et les craintes que ce projet de budget suscite. Je vous dirai, pour ma part, les préoccupations que m'inspire la situation du titre III.
A première vue, le titre III connaît une évolution meilleure que celle du titre V. Il évolue positivement - plus 1,5 % par rapport à 1997 - alors que le titre V régresse.
Toutefois, la construction de ce budget n'étant plus la même d'une année sur l'autre, à périmètre constant, le titre III n'augmente en fait que de 0,2 % en francs courants, ce qui signifie qu'il diminue de 1 % en francs constants.
Par ailleurs, dans ce titre qui régresse en volume, le poids des rémunérations s'alourdit. C'était inévitable. Réprésentant maintenant plus des trois quarts du titre III, les crédits des rémunérations écrasent de plus en plus les autres dotations, celles qui vont à la vie courante, aux activités, et que l'on englobe sous l'appellation générale « crédits de fonctionnement. » Ces derniers diminuent de 5,4 %, soit de plus de 7 % en francs constants. Certes, me direz-vous, monsieur le ministre, les effectifs diminuent, donc les besoins aussi. Mais vous savez aussi bien que moi que les effectifs ne diminuent que de 4 % ! Il n'y a donc pas parallélisme des formes.
En outre, alors que la diminution des effectifs se réalisera progressivement tout au long de l'année, la diminution des crédits, elle, pèse d'emblée sur le budget de fonctionnement des unités.
Dès lors, que se passera-t-il ? Ce sont les conditions de vie et de travail qui vont se trouver détériorées et, partant, une partie aussi de l'attractivité même de la carrière militaire.
C'est l'activité des forces, à savoir l'instruction et l'entraînement des nouveaux engagés, qui sera contrariée.
C'est l'entretien des matériels qui sera diminué, ce qui imposera une indisponibilité de certains équipements, des appareils de combat, des bâtiments de la flotte et, souvent, des véhicules.
De surcroît, une partie des crédits de fonctionnement - il faut bien en être conscient - sera absorbée par les dépenses de sous-traitance des tâches, confiées jusqu'à présent à des appelés.
Dans le fonctionnement, il y a en effet beaucoup de tâches « ordinaires », domestiques, dirais-je : la maintenance, l'entretien des équipements dont je viens de parler n'en sont que des exemples. Mais il y en a d'autres : l'entretien des locaux, le chauffage, l'éclairage, l'informatique de gestion, l'instruction, la formation, les exercices... Toutes ces tâches, qui étaient jusqu'à présent confiées aux appelés, devront être assurées par d'autres, et à prix coûtant.
Il est tentant - et ce budget le fait - d'amputer ces crédits. Mais le prix de ces « économies » est le risque d'une diminution de la cohérence d'ensemble de l'activité des unités.
Enfin, nos engagements extérieurs, ceux-là mêmes que la professionnalisation doit servir par une capacité de projection accrue, pèsent de plus en plus sur le titre III.
En effet, seules les opérations exceptionnelles dans l'avenir, expressément reconnues comme telles par décision du chef des armées, donneront désormais lieu à une couverture budgétaire par voie de collectif. Or, on connaît les limites d'un tel texte et on sait qu'à la date du 30 juin 1997 le surcoût de ces opérations était d'ores et déjà évalué - M. Blin l'a rappelé - à 3 300 millions de francs.
Au total, le coût de la professionnalisation va continuer d'accroître la part du titre III dans le budget de la défense et la part des rémunérations dans le titre III.
Dans un budget qui subit une telle récession, le titre III ne peut croître qu'au détriment du titre V. Monsieur le ministre, jusqu'où un tel déséquilibre structurel pourra-t-il être supporté ?
La professionnalisation a un coût. Elle a également provoqué un choc, ce qui est naturel.
L'annonce de la professionnalisation a été, en effet, une rupture totale et brusque avec l'une des orientations majeures du Livre blanc. Ce ne sera plus désormais la même armée et, pour ceux qui y servent, ce ne seront plus ni le même métier ni les mêmes carrières.
Les effectifs, au terme de la professionnalisation, auront régressé de près de 24 %. La part des civils passera de 13 % à 19 %, et pratiquement tous les militaires seront des militaires de carrière ou sous contrat.
En l'espace de quelques années, le service militaire obligatoire disparaîtra, le nombre des engagés doublera, les flux de départ d'officiers et de sous-officiers devront croiser de nouveaux flux de recrutement, des civils plus nombreux, des volontaires du service national devront être accueillis et les réserves devront être rénovées.
Devant ce chantier énorme, nous tenons à formuler une mise en garde et à exprimer quelques propositions.
La mise en garde est la suivante : la reconversion profonde de notre dispositif de défense, dans ses structures, dans ses implantations, dans son fonctionnement, dans son évolution vers un format plus ramassé, ne doit pas faire peser sur le personnel militaire, par le jeu de son statut et des contraintes spécifiques qu'il impose, le poids essentiel de cette reconversion.
La durée de travail d'un sergent, mes chers collègues, est non pas de trente-neuf heures ou de trente-cinq heures, mais de cinquante à soixante heures par semaine ; il est astreint à des gardes et à des permanences pendant plusieurs dizaines de samedis, de dimanches ou de jours fériés pendant l'année ; il est absent de son domicile pour de longues périodes.
A-t-on songé aux effectifs et aux crédits qui seraient nécessaires dans les armées si les personnels de ces dernières vivaient sous le régime de la limitation de la durée du travail ou sous celui des heures supplémentaires ? Je souhaite donc que l'on garde cette situation présente à l'esprit - mais, monsieur le ministre, je sais que vous en êtes hautement conscient - dans la mise en oeuvre pratique de la diminution des effectifs.
La préoccupation déjà évoquée est celle d'une disparition prématurée des ressources en appelés. On obtiendrait assez rapidement un effondrement de la ressource qui laisserait les armées hors d'état de faire face à leurs missions.
J'en viens aux propositions.
La loi sur les réserves est la troisième du dispositif législatif qui règle la réforme de nos armées. Elle est à venir ; elle est imminente, nous avez-vous dit ici à plusieurs reprises, monsieur le ministre. Elle sera délicate à mettre au point, car elle touche fondamentalement au lien entre l'armée et la nation. Après la disparition du service national, beaucoup d'idées dans ce domaine-là sont reportées sur le projet de loi que vous allez nous proposer.
La loi sur les réserves devra contribuer à la cohésion d'ensemble du nouveau modèle d'armée et établir un « pont » entre celle-ci et la société civile. Mais, bien sûr, il faudra la financer. La loi de programmation prévoyait plus de 2 200 millions de francs ; les dotations pour 1998 sont bien moindres, dans l'attente de la loi.
Je voudrais formuler trois propositions.
Tout d'abord, il faudra mener une large concertation préalable et traiter la communication entre la réserve et l'active dans un large esprit d'ouverture ; la place accordée aux réservistes devra être à la hauteur du rôle que l'on attend d'eux. Or on attend beaucoup.
Ensuite, ce rôle réclame une disponibilité des réserves. Il faudra donc chercher et trouver des garanties à l'égard des employeurs et des incitations vis-à-vis des intéressés, et il faudra accepter d'en payer le prix.
Enfin, il faudra porter une grande attention à l'apport, essentiel, des réservistes spécialisés, lors des opérations extérieures, dans les domaines qui concernent le relèvement économique des pays où nous sommes engagés : travaux publics, distribution de l'énergie et de l'eau, santé publique, etc. C'est l'intérêt de la France. Souvent, si nous avons été très présents militairement et sans reproche à ce titre, il n'en a pas été de même quand il s'agissait de traiter les demandes des pays que nous étions en train de libérer ou de protéger.
Cette mise en garde, ces préoccupations, ces propositions sont, bien évidemment dictées par les difficultés et les incertitudes de la période de transition, qui va se poursuivre encore quelques années.
Je ne voudrais pas ici, monsieur le ministre, ouvrir un développement sur ce qu'on appelle quelquefois le « malaise » des armées. Mais vous avez pris la mesure, j'en suis sûr, de la perplexité, du désenchantement, du désarroi, ici ou là du mécontentement qu'ont suscité des engagements non tenus, des maladresses - mais ce ne sont pas les vôtres - et des mesures prises dans la précipitation.
Vous en avez eu l'expression dans les déclarations de la hiérarchie militaire. M. Blin et moi-même en avons eu l'écho lors de nos visites dans les unités.
Il n'est pas possible d'exiger des militaires cette disponibilité que nous leur connaissons et une retenue sans équivalent dans la fonction publique, sans porter la plus grande attention aux formes d'expression qui leur sont reconnues.
Il convient de faire en sorte que l'armée, institution discrète et désintéressée, puisse s'exprimer correctement dans un monde médiatisé et syndicalisé et qu'elle soit entendue. Je sais, du reste, monsieur le ministre, que vous portez une grande attention à cette situation. Redoublez d'attention !
Je voudrais revenir sur les opérations extérieures.
Les contraintes budgétaires vont de plus en plus conduire à réduire les dépenses. La révision du régime des soldes à l'étranger s'inscrit dans cette perspective.
Mais je voudrais signaler une autre approche des coûts, celle qui est liée à la durée des opérations. Plus ces dernières durent, plus elles sont coûteuses. Or nous continuons à participer à des opérations qui ont débuté voilà plusieurs décennies : vingt ans pour la FINUL, la force intérimaire des Nations unies au Liban cinquante ans pour l'ONUST, en Palestine, même si ce ne sont pas les mêmes effectifs. Cette situation n'est pas satisfaisante, d'autant que ces opérations sur le terrain contribuent à figer un statu quo ni paix ni guerre, toujours susceptible de basculer dans l'affrontement qu'il prétend conjurer. Il convient, en outre, de veiller à ce que notre participation ne prenne pas d'emblée la forme la plus coûteuse, la contribution à la logistique, par exemple.
Nos décisions doivent également porter sur la durée des opérations. Sans cela, comment mesurer la portée de notre engagement ? S'il faut savoir partir, il faut essayer de le définir le plus tôt possible.
Tels sont les constats, les remarques, les mises en garde que je tenais à exprimer avec beaucoup de courtoisie et de considération pour ce que vous faites, monsieur le ministre. Mon rapport écrit les développe et les complète.
Je dirai, pour conclure, que, malgré votre volonté, votre vigilance et votre résolution - vous savez que nous les apprécions hautement, monsieur le ministre - votre budget a subi trop d'effets de restrictions qui seront lourds de conséquences. Ces restrictions rompent l'équilibre général de la programmation et compromettent gravement ses objectifs dont certains, fondamentaux, concernent les personnels.
La commission des finances, dans sa majorité, a donc estimé, mes chers collègues, que le projet de budget ne pouvait être accepté. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Faure, rapporteur pour avis.
M. Jean Faure, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour le nucléaire, l'espace et les services communs. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les crédits consacrés au nucléaire, à l'espace et aux services communs s'élèvent, pour 1998, à 47 milliards de francs et sont marqués par trois caractéristiques : d'abord, une évolution des effectifs conforme à l'échéancier de la professionnalisation des armées ; ensuite, une forte compression des dépenses de fonctionnement courant à l'administration centrale, à la délégation générale pour l'armement et dans le service de santé ; enfin, un fort recul des crédits d'équipement, très inférieurs au niveau prévu par la loi de programmation, ce qui se traduit par des moratoires, des retards ou des étalements dans la réalisation des programmes.
Dans les différents secteurs relevant des services communs, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat a enregistré beaucoup plus de motifs d'inquiétude que de satisfaction.
Le renseignement, tout d'abord, voit sa place confirmée, avec la poursuite de l'accroissement des effectifs des services, même si les crédits affectés aux moyens matériels diminuent. La commission rappelle cependant qu'elle souhaite la mise au point d'une procédure qui, sans méconnaître la spécificité du renseignement, permettrait de mieux informer et impliquer le Parlement, par exemple grâce à une structure parlementaire comme il en existe dans plusieurs grands pays démocratiques. Le gouvernement précédent, monsieur le ministre, avait saisi le Secrétariat général de la défense nationale de cette question. Nous souhaiterions connaître votre sentiment sur ce point.
En ce qui concerne la Délégation générale pour l'armement, nous suivons avec attention les réformes entreprises pour réduire les coûts des programmes d'armement. A notre sens, la remise en cause, en 1998, de l'échéancier de financement de la loi de programmation ne facilitera pas le travail effectué par la DGA pour rationaliser la conduite des programmes. Nous craignons, en outre, les conséquences, pour la situation financière de la Direction des constructions navales, la DCN, du prélèvement prévu par le collectif budgétaire sur les excédents réalisés à l'exportation.
La commission des affaires étrangères relève trois motifs d'inquiétude, qui recoupent ceux qu'a indiqués M. le rapporteur spécial.
Il s'agit, en premier lieu, de l'évolution défavorable des crédits du service de santé, qui diminent de près de 15 % pour 1998. Le fonctionnement de ce service de soutien indispensable, particulièrement sollicité pour les opérations extérieures, reposera désormais majoritairement sur les recettes, par définition aléatoires, tirées de l'activité hospitalière. Cette orientation peut créer des difficultés de fonctionnement au moment où le service de santé opère une profonde et délicate réorganisation, liée, notamment, à la perte des personnels médicaux issus du contingent.
En deuxième lieu, la réduction des crédits affectés à l'espace - inférieurs de 10 % au niveau prévu par la loi de programmation - suscite également de vives inquiétudes, car elle traduit l'incertitude qui pèse sur les programmes spatiaux d'observation. Malgré les efforts de persuasion des gouvernements français successifs, la participation allemande à ces programmes paraît de plus en plus hypothétique, ce qui fragilise considérablement la perspective d'une Europe spatiale militaire dotée d'une véritable autonomie stratégique. De manière plus précise, pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, l'avenir envisagé pour le programme Horus si les Allemands, comme on le craint, renoncent à leur participation ? Faut-il envisager l'abandon pur et simple de ce programme ou peut-on, sans l'Allemagne, définir un programme d'observation radar moins ambitieux ?
En troisième lieu, enfin, le domaine de la dissuasion nucléaire concentre, à nos yeux, l'essentiel des aspects négatifs du budget de l'ancienne section commune. Le recul des crédits du nucléaire - environ 13 % et 2,3 milliards de francs - est beaucoup plus fort que celui de l'ensemble du budget de la défense et va très au-delà des prévisions de la loi de programmation.
Cette régression entraîne d'ores et déjà des retards et des étalements dans certains programmes, les économies réalisées ne faisant, le plus souvent, que reporter des charges inéluctables, qui ne peuvent être purement et simplement annulées.
Cette orientation, si elle se confirmait dans les budgets à venir, risquerait de compromettre la poursuite des deux grands objectifs définis pour les décennies à venir : d'une part, la modernisation et le renouvellement de nos forces nucléaires dans le cadre du maintien de deux composantes complémentaires ; d'autre part, la mise en oeuvre, dans de bonnes conditions, du programme de simulation, enjeu essentiel pour garantir à long terme la sûreté, la fiabilité et donc la crédibilité de la dissuasion après l'arrêt des essais.
Si la dissuasion nucléaire ne retrouvait pas, à partir de 1999, le niveau de crédits prévu par la loi de programmation, ces objectifs pourraient être remis en cause, avec les conséquences que cela impliquerait sur notre appareil de défense.
Monsieur le ministre, comme l'a dit M. François Trucy, nous connaissons, dans cette maison, votre talent. Aussi nous ne doutons pas un instant que vous vous soyez battu avec conviction pour votre budget. Malheureusement, nous avons un peu le sentiment que vous n'avez pas été entendu.
M. Emmanuel Hamel. Il aurait fallu démissionner !
M. Jean Faure, rapporteur pour avis. Dans le domaine du nucléaire plus que dans tout autre, le non-respect de la loi de programmation introduit, pour le long terme, un grave facteur d'incertitude et constitue un signe inquiétant qui, aux yeux de la commission des affaires étangères, de la défense et des forces armées rend ce projet de budget de la défense pour 1998 inacceptable et pèse lourdement dans l'avis défavorable qu'elle a émis. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Alloncle, rapporteur pour avis.
M. Michel Alloncle, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour la section Gendarmerie. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au sein d'un budget de la défense en forte diminution, la dotation consacrée à la gendarmerie apparaît relativement préservée, puisqu'elle progresse de 3,5 %. Une telle évolution aurait toute raison de nous satisfaire si elle ne reposait, pour l'essentiel, sur une illusion d'optique ! En effet, l'augmentation des crédits de la gendarmerie s'explique, en fait, principalement, par la budgétisation des ressources procurées, les années passées, par les fonds de concours autoroutiers.
A structure constante, les crédits de la gendarmerie n'augmentent guère que de 0,9 %. Cette croissance est-elle suffisante au regard des charges confiées à la gendarmerie, dont le poids ne cesse de s'alourdir ? On peut en douter. Aussi souhaiterais-je, monsieur le ministre, vous interroger sur cinq sujets de préoccupation qui ont plus particulièrement retenu l'attention de la commission.
Premier sujet de préoccupation : la budgétisation des fonds de concours, que j'évoquais au début de mon propos, est restée partielle.
Depuis plusieurs années, en effet, les sociétés d'autoroutes finançaient, par voie de fonds de concours, près des deux tiers des effectifs en service sur le réseau autoroutier. Or le Conseil d'Etat, en octobre 1996, a annulé ce dispositif qu'il a jugé incompatible avec le caractère régalien des missions accomplies par la gendarmerie. Désormais, les sociétés d'autoroutes verseront une redevance destinée à se fondre dans les recettes de l'Etat, sans que la gendarmerie ait la garantie de retrouver, en dotation budgétaire, un montant équivalent à celui que leur procuraient les fonds de concours. Ce risque se concrétise dès cette année. En effet, alors que la contribution des fonds de concours aurait dû rapporter quelque 620 millions de francs en 1998, les crédits correspondant à la budgétisation de cette ressource dans le projet de loi de finances ne s'élèvent qu'à 503 millions de francs. Cette évolution est d'autant plus préoccupante que le réseau autoroutier s'accroît, en moyenne d'environ trois cents kilomètres supplémentaires par an.
Les fonds de concours autoroutiers permettaient la création des emplois que la loi de programmation n'a pas prévus et qui s'avèrent pourtant indispensables. Le Gouvernement pourrait-il donc s'engager, monsieur le ministre, à garantir à la gendarmerie une dotation correspondant au montant de la redevance perçue auprès des sociétés d'autoroutes ?
Deuxième sujet de préoccupation : les futurs volontaires. Il convient, en effet, de le rappeler, l'augmentation des effectifs de la gendarmerie reposera exclusivement, s'agissant des personnels militaires, sur les volontaires. Ainsi, contrairement aux évolutions observées dans les autres armées, la proportion des non-professionnels est appelée à progresser au sein de la gendarmerie. C'est dire toute l'importance des conditions dans lesquelles se déroulera le recrutement des volontaires. Or, aujourd'hui, les emplois-jeunes risquent de concurrencer directement le volontariat, compte tenu des perspectives de rémunération respectives de ces deux catégories d'emploi. Il est pourtant indispensable que la gendarmerie puisse obtenir la ressource nécessaire, à la fois en qualité et en quantité. C'est pourquoi il serait opportun que les volontaires puissent bénéficier de la prime de sujétion spéciale de police, qui constituerait, d'ailleurs, une juste compensation au regard des risques réels que présente l'activité de la gendarmerie. Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous indiquer votre sentiment sur ce sujet ?
Troisième sujet de préoccupation : les redéploiements des brigades. Ces redéploiements me paraissent indispensables pour renforcer les effectifs de la gendarmerie dans les zones périurbaines, où la charge de travail ne cesse de s'alourdir, comme j'ai pu m'en rendre compte cette année, au cours de plusieurs déplacements. Je me réjouis, certes, que le Gouvernement ait confié à notre collègue M. Hyest ainsi qu'à M. Carraz, député, une mission pour rechercher une meilleure répartition géographique des moyens de police et de gendarmerie. Il n'en reste pas moins que, depuis près de trois ans, avec la loi de janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité, il existe une base juridique pour procéder à une organisation plus rationnelle de nos forces. Or cette loi, sur ce point en tout cas, demeure largement inappliquée. Les blocages observés aujourd'hui sont-ils appelés à perdurer ? Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous donner à cet égard quelques informations complémentaires ?
Quatrième sujet de préoccupation : les réserves. Les moyens financiers actuels ne répondent pas à l'ambition de créer une réserve resserrée et plus efficace inscrite dans la loi de programmation. Le système de rémunération n'est pas adéquat. Le solde du Fonds d'accompagnement de la professionnalisation, qui devait être utilisé pour le financement de dépenses liées à l'utilisation des réservistes en temps de paix, ne permet pas de dégager des ressources suffisantes. En outre, une partie des équipements affectés aux réserves apparaît aujourd'hui hors d'usage et les stocks inutilisés entraînent de lourdes charges de garde et de surveillance. Il est indispensable, monsieur le ministre, qu'un réel effort soit entrepris dans les années à venir en faveur des réserves.
Cinquième et dernier sujet de préoccupation : les équipements. Dans ce domaine, je souhaiterais attirer votre attention sur deux points particuliers, à savoir les hélicoptères et les infrastructures.
Je me félicite, s'agissant des hélicoptères, que les dotations prévues dans le projet de loi de finances pour 1998 permettent de passer commande de deux nouveaux appareils. Toutefois, pour l'heure, le parc d'hélicoptères apparaît tout juste suffisant et son utilisation pourrait se trouver hypothéquée par l'application de la réglementation communautaire qui interdit le survol des zones urbaines par des appareils monoturbines. Pourrions-nous, monsieur le ministre, avoir quelques garanties sur ce sujet ?
Enfin, je voudrais vous faire part de mon inquiétude à propos de la baisse de plus de 11 % des crédits consacrés aux infrastructures. Le Gouvernement souhaite développer la participation des collectivités locales aux constructions des casernes sans aide de l'Etat. Même si les collectivités ont déjà consenti un effort important pour la gendarmerie et sont prêtes à poursuivre dans ce sens, elles se refuseront à assumer seules une charge pour laquelle elles ne recevront aucune contrepartie financière.
En conclusion, les moyens consacrés par le projet de budget sont-ils à la mesure de la priorité affichée pour la sécurité dans notre pays ? On peut en douter. Ces incertitudes s'inscrivent, en outre, dans un contexte budgétaire très défavorable pour l'ensemble de notre instrument de défense. C'est pourquoi la commission des affaires étrangères a donné un avis défavorable sur l'adoption du budget du ministère de la défense pour 1998. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Vinçon, rapporteur pour avis.
M. Serge Vinçon, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour la section Forces terrestres. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d'aborder le contenu de la dotation des forces terrestres prévue pour 1998, je souhaite présenter un rapide bilan de la professionnalisation des forces terrestres, qui devront assumer, je tiens à le souligner, l'essentiel des réformes qui seront entreprises par nos armées d'ici 2002.
Bien que les effectifs de l'armée de terre aient, en 1997, évolué conformément à ce que prévoit la loi de programmation, et bien que les mesures d'effectifs prévues pour 1998 respectent également les objectifs de la loi de programmation, on peut d'ores et déjà voir apparaître des éléments de vulnérabilité dans la mise en oeuvre de la professionnalisation.
Ainsi, les effectifs civils prévus par le budget de l'armée de terre demeurent encore, pour une large part, théoriques. En effet, la montée en puissance des personnels civils devrait se faire par redéploiements internes au ministère de la défense, à partir des emplois libérés par les restructurations de la DGA et de la DCN. Or le statut de ces personnels ne comporte pas, à ce jour, l'obligation de mobilité géographique.
Cependant, les régiments et les formations de l'armée de terre ont besoin de personnels civils qui leur permettent, dans la perspective de la professionnalisation, d'affecter les personnels militaires aux fonctions opérationnelles. Dès lors, est-il admissible, monsieur le ministre, que des préoccupations statutaires puissent, soit altérer les conditions de la professionnalisation en obligeant l'armée de terre à affecter des personnels militaires à des fonctions de soutien, soit justifier les coûts qu'induiront le recrutement de personnels civils nouveaux, alors que cette ressource civile existe déjà au ministère de la défense ?
Beaucoup plus graves encore, à mon avis, sont, pour l'armée de terre, les contraintes liées à la réforme du service national et, plus particulièrement, vous le savez, les problèmes que poseront les nouveaux reports d'incorporation destinés aux jeunes gens incorporables titulaires d'un contrat de travail.
Ces reports d'incorporation pourraient susciter un manque à gagner de plusieurs milliers d'appelés chaque année. Ils pourraient aussi être à l'origine de graves incertitudes sur les contours de la ressource incorporable, qui risquent d'affecter l'organisation de l'armée de terre pendant la très délicate période de transition.
Certes, des correctifs peuvent aisément être trouvés. Il pourrait s'agir d'accélérer la professionnalisation, en procédant au recrutement d'un effectif supplémentaire de militaires du rang engagés et en décidant d'anticiper des mesures de restructuration, susceptibles de libérer quelques milliers d'hommes pour compenser les appelés soustraits aux ressources de l'armée de terre.
Ces mesures se traduiront nécessairement par des dépenses que ne prévoit pas le projet de budget de la défense pour 1998. Mais qui aurait pu vraiment croire que les conséquences de ces nouveaux reports seraient totalement neutres pour les finances publiques ?
Il est plus que probable que l'armée de terre aura du mal, pendant la période de transition, à assurer dans des conditions satisfaisantes toutes les missions qui lui incombent si aucun des correctifs que je viens de mentionner n'est adopté. C'est donc à vous, monsieur le ministre, qu'il revient de donner, à travers ces mesures, un signal fort en faveur de la professionnalisation, en faveur de l'armée de terre.
J'en viens maintenant au contenu du projet de dotation de l'armée de terre pour 1998.
Disons d'emblée que ce budget est caractérisé par des moyens de fonctionnement supposés garantir le bon déroulement de la professionnalisation et par des crédits d'équipement qui, non conformes à la loi de programmation, posent le problème de la capacité de l'armée de terre à relever, à terme, le défi de sa modernisation.
A propos des crédits de fonctionnement, je me bornerai à évoquer, pour m'en inquiéter, la baisse des objectifs en termes d'activités des forces, qui seront fixés, en 1998, à quatre-vingts jours de sortie dont quarante avec matériel organique, au lieu des cents jours dont cinquante qui étaient jusqu'à présent la norme officielle.
Il est évident que ces objectifs réduits ne sauraient être satisfaisants une fois la professionnalisation réalisée. Il conviendra alors de retrouver un taux d'activité susceptible de garantir des capacités opérationnelles définies à un niveau exigeant.
J'en viens maintenant au titre V, en retrait de 10,8 % en francs courants par rapport à ce qu'aurait dû être la deuxième annuité de la loi de programmation. C'est ainsi que 1 800 millions de francs ont été soustraits au titre V de l'armée de terre.
Or nous devons avoir présent à l'esprit que la loi de programmation votée en 1996 était fondée sur des objectifs budgétaires particulièrement économes et réalistes et que, de ce fait, ne pas la respecter revient à compromettre, à terme, la modernisation, pourtant nécessaire, des équipements de l'armée de terre.
Le décalage entre la loi de programmation et le budget de 1998 induira notamment d'importantes altérations dans le suivi de trop nombreux programmes qui se manifesteront par des moratoires d'un an sur certains programmes majeurs, parmi lesquels le lance-roquettes multiple de nouvelle génération, ou le missile antichar à courte portée Eryx.
Dans la même logique, la baisse des crédits d'entretien programmé des matériels conduira, en 1998, et pour la première fois, à une baisse de la disponibilité opérationnelle des matériels, qui tombera à 80 %. Cela paraît paradoxal pour une armée de projection censée être disponible sans préavis pour que la France assume sa mission sur la scène internationale.
Quel regard pouvons-nous porter sur l'évolution de la dotation de l'armée de terre prévue pour 1998 ?
Tout d'abord, la première étape de la transition de l'armée de terre, en cette fin de l'an I de la professionnalisation, appelle un bilan globalement positif. Il convient ici de rendre hommage aux personnels, qui abordent les réformes en cours avec le dévouement, la compétence et le sens du devoir au service de la nation qu'on leur connaît.
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Très bien !
M. Serge Vinçon, rapporteur pour avis. La deuxième annuité de la loi de programmation 1997-2002 ne saurait toutefois être abordée avec le même optimisme compte tenu des menaces potentielles qui pourraient altérer prochainement les conditions de la professionnalisation et, surtout, du fait d'un décalage inadmissible entre les crédits d'équipement prévus par la loi de programmation 1997-2002 et le titre V inscrit dans la dotation de l'armée de terre pour 1998.
Considérant que le budget des forces terrestres, comme les autres budgets militaires, ne peut pas et ne doit pas servir de variable d'ajustement dans la loi de finances pour 1998, compte tenu également de l'importance des enjeux, votre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a donc conclu au rejet de ces crédits. ( Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste. )
M. le président. La parole est à M. Falco, rapporteur pour avis.
M. Hubert Falco, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour la section Air. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi de programmation militaire 1997-2002, que nous avons votée il y a un an et demi, reposait sur trois principes : une réduction très substantielle des crédits de défense ; la diminution du format de nos armées par la professionnalisation ; enfin, la modernisation des équipements militaires.
La cohérence de ces trois principes impliquait le respect scrupuleux de l'exercice de programmation, supposé en finir avec les précédents chantiers, engagés mais jamais achevés.
Malheureusement, la deuxième annuité de cette programmation est sérieusement infléchie par le projet de budget qui nous est aujourd'hui soumis.
La logique de professionnalisation est, certes, poursuivie normalement, même si les inquiétudes apparaissent sur certains de ses aspects.
En revanche, la réduction des crédits d'équipement constitue un mauvais signal pour l'avenir.
L'évolution du budget de l'armée de l'air pour 1998 dépasse les moyennes du budget global de la défense : si celui-ci est réduit de 3,25 % d'une année sur l'autre, le budget de l'armée de l'air diminue de 5,5 %.
Singularité positive, les crédits de dépenses ordinaires de l'armée de l'air progressent de 2,8 %, contre 1,5 % pour l'ensemble de la défense.
Singularité négative, ceux du titre V relatifs à l'équipement sont réduits de 11 %, contre 8,7 % pour l'ensemble des armées.
Mes chers collègues, le budget de l'armée de l'air pour 1998 s'inscrit dans la logique de la professionnalisation décidée en 1996.
Je voudrais, à ce sujet, formuler néanmoins deux inquiétudes.
Inquiétude, tout d'abord, pour le recrutement de civils, notamment pour les bases situées dans le nord et l'est de la France. Des postes d'ouvriers d'Etat sont gelés au profit de personnels de sites en restructuration, singulièrement ceux de la DCN, lesquels ne souhaitent pas toujours effectuer de mobilité géographique.
Inquiétude, ensuite, face au risque d'une réduction de la ressource résiduelle en appelés, en conséquence du système de reports d'incorporation introduit dans la loi sur le service national.
Si les évaluations effectuées devaient se confirmer, l'armée de l'air serait, en 1998 et 1999, à enveloppe budgétaire constante, dans l'impossibilité de recruter les militaires techniciens de l'air, ou MTA, nécessaires au remplacement des appelés manquants.
Quelle solution, monsieur le ministre, envisagez-vous pour remédier à ces situations qui risquent de compromettre le déroulement harmonieux de la professionnalisation ?
Avant d'aborder le volet concernant les équipements, je voudrais souligner les conséquences préoccupantes liées à la réduction des crédits d'entretien programmé et de maintien en condition opérationnelle de nos appareils.
Les reports de visite qui en résulteront, conjugués au problème de l'indisponibilité des pièces de rechange, entraîneront l'immobilisation forcée de l'équivalent d'un escadron de Mirage 2000.
Mes chers collègues, c'est la réduction de 11 % des crédits d'équipement de l'armée de l'air par rapport à ce qui était inscrit en programmation qui représente la véritable rupture avec le dispositif que nous avons voté en 1996.
Les économies réalisées portent sur trois postes principaux : les crédits de développement du Rafale ; les crédits d'entretien programmé ; enfin, le moratoire d'un an sur le programme Mistral.
Certes, ces économies n'empêcheront pas l'armée de l'air de recevoir, en 1998, les appareils prévus.
Cette évolution préoccupante du titre V m'incite toutefois à poser quelques questions sur deux programmes majeurs de l'armée de l'air pour les années à venir.
En ce qui concerne le Rafale, tout d'abord, la confirmation du programme n'est pas remise en cause, et c'est un élément positif.
A cet égard, la commande globale de quarante-huit appareils, dont trente-trois pour l'armée de l'air, s'impose à double titre : elle permettra une réduction de coût et constituera un signal favorable pour l'exportation.
Quand pourra intervenir une décision à ce sujet ?
Monsieur le ministre, la revue des programmes que vous avez engagée est-elle cependant susceptible d'affecter encore certains aspects du programme Rafale, au risque de modifier le modèle de l'armée de l'air défini en 1996 ?
La cible sera-t-elle maintenue, ainsi que la cadence de production ?
Peut-on imaginer que soient revues certaines spécifications de l'avion, ou encore le calendrier de mise en place de certaines fonctions essentielles ?
Ces questions, monsieur le ministre, préoccupent la commission.
Pour ce qui est du transport aérien militaire, l'armée de l'air devra, en 2004, commencer à renouveler ses appareils de transport.
Aucun financement n'est prévu avant 2002 pour le projet d'avion de transport futur, ou ATF, alors qu'on sait pourtant qu'il répond aux besoins des armées de l'air européennes.
On sait, par ailleurs, qu'à côté du projet ATF et de l'offre concurrente américaine, se fait jour à nouveau l'option de l'Antonov 70. Cet appareil ukrainien correspondrait globalement aux besoins, mais il devrait faire l'objet d'aménagements très substantiels pour être adapté aux standards européens.
Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous apporter quelques précisions sur les options ainsi ouvertes et sur les orientations que vous souhaitez privilégier sur ce programme d'avion de transport militaire dont les enjeux politique, industriel et militaire ne sont plus à démontrer ?
Mes chers collègues, si le projet de budget de l'armée de l'air pour 1998 constitue une préoccupation grave, ce n'est pas tant par les incidences immédiates que la réduction des crédits d'équipement provoquera dans l'année à venir, c'est surtout parce qu'un budget militaire se juge à l'aune d'un exercice politique et législatif majeur, celui de la programmation militaire.
Or, à moins que la théorie de « l'encoche » ne soit réellement appliquée, il est à craindre que la baisse très sensible des crédits d'équipement de la défense en 1998 ne soit pas rattrapée, et qu'en ce sens la philosophie du projet de budget pour 1998 fragilise largement l'édifice élaboré lors du vote de la programmation.
Pour cette raison, la commission du Sénat a rejeté ce projet de budget. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. André Boyer, rapporteur pour avis.
M. André Boyer, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour la section Marine. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les crédits consacrés à la marine s'élèveront à 32,6 milliards de francs en 1998, soit 2,9 milliards de francs de moins que le budget voté pour 1997.
Cette forte diminution résulte pour partie d'une modification de la structure budgétaire, près de 1 milliard de francs ayant été transféré à la délégation générale pour l'armement, en application, notamment, de la réforme de la direction des constructions navales. Elle traduit surtout un net recul des crédits d'équipement, inférieurs de plus de 2 milliards de francs au niveau prévu par la loi de programmation.
Au-delà de ces chiffres, ce projet de budget de la marine appelle de la part de votre commission des affaires étrangères et de la défense plusieurs observations.
En ce qui concerne les dotations relatives aux dépenses ordinaires, tout d'abord, elles doivent permettre de poursuivre dans de bonnes conditions l'adaptation des effectifs au nouveau modèle issu de la professionnalisation et de la réduction du format. Les créations et les suppressions de postes sont en tous points conformes aux prévisions de la loi de programmation.
L'inquiétude de notre commission tient moins aux crédits budgétaires qu'à la réalisation effective des recrutements prévus par la loi de finances.
Vous le savez, dans la marine, le remplacement des appelés passera par le recrutement d'un nombre très important de civils, en privilégiant les transferts en provenance de la direction des constructions navales, la DCN, qui diminue progressivement ses effectifs.
Ces mutations se sont déroulées convenablement en 1997, mais nous craignons qu'il n'en soit pas de même en 1998. En effet, le profil des postes offerts par la marine n'est pas toujours en rapport avec la qualification des personnels des arsenaux. Leur implantation ne coïncide pas avec les sites de la DCN en sureffectifs. Or ces transferts s'opèrent sur la base du volontariat et l'on peut craindre que, l'an prochain, le nombre de candidats ne soit pas à la hauteur des besoins de la marine.
Au total, l'accroissement important du nombre des postes civils, la difficulté de réaliser des mutations internes au ministère de la défense et l'interdiction d'augmenter les recrutements externes risquent de provoquer un fort déficit en personnels civils dans la marine, ce qui perturberait le fonctionnement des unités.
On peut certes espérer que l'augmentation des dotations du fonds d'adaptation industrielle de la DCN prévue pour 1998 facilitera les mutations vers les armées. Mais sans doute faudrait-il mettre au point des mesures incitatives mieux adaptées ou autoriser les recrutements hors de la DCN ? C'est, nous semble-t-il, le principal sujet d'inquiétude à très court terme pour la marine.
La seconde série d'observations de la commission concerne la forte diminution des crédits d'équipement ; ils sont en effet inférieurs de près de 10 % au niveau de la programmation.
J'ai détaillé dans mon rapport écrit les conséquences précises de cette diminution des crédits, à savoir plusieurs décalages et retards dans la réalisation des programmes, ainsi que le maintien à quai en 1998 de deux bâtiments - et même sans doute de trois en raison du report d'opérations d'entretien programmé, l'insuffisance des dotations sur ce chapitre ayant déjà été soulignée l'an passé.
Certes, à ce stade, ces mesures ne remettent pas fondamentalement en cause le modèle défini pour la marine par la loi de programmation. Les capacités opérationnelles essentielles ne sont pas amoindries, les programmes conduits en coopération ne sont pas affectés.
Toutefois, les moratoires ou les retards ne seront pas dépourvus de conséquences opérationnelles.
L'indisponibilité de deux de nos frégates antiaériennes se ressentirait si le groupe aéronaval ou le groupe amphibie devait être engagé.
Par ailleurs, nous avions déjà signalé, lors du vote de la loi de programmation, le décalage de trois ans entre le retrait des Crusader et la constitution de la première flotille de Rafale sur le Charles-de-Gaulle , qui limite les possibilités d'emploi du porte-avions lorsque la menace aérienne est importante. A cet inconvénient s'ajoute le retard dans la livraison du standard le plus évolué du Rafale.
Plus généralement, les économies réalisées en 1998 ne feront, la plupart du temps, que reporter des charges inéluctables, avec bien souvent pour conséquence des intérêts moratoires et des surcoûts.
En conclusion, la commission des affaires étrangères et de la défense a marqué sa vive préoccupation pour la réalisation du modèle prévu par la loi de programmation, au cas où les orientations budgétaires de 1998 seraient pérennisées pour les années ultérieures, et elle a émis, en conséquence, un avis défavorable sur l'adoption du projet de budget de la défense pour 1998. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Emmanuel Hamel. Hélas !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est avec une certaine gravité que je monte aujourd'hui à cette tribune. Car si la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a rejeté les crédits du ministère de la défense pour 1998, elle l'a fait non pas de gaieté de coeur, mais parce qu'elle a jugé la situation très préoccupante. C'est pourquoi il m'a paru nécessaire de souligner aujourd'hui devant la Haute Assemblée, après nos rapporteurs, les trois raisons principales qui ont conduit la commission à émettre cet avis défavorable.
La première raison - qui serait à elle seule suffisante - est que les coupes imposées au budget de la défense pour 1998 constituent un très mauvais signal adressé, au plus mauvais moment, à nos armées. Celles-ci sont, en effet, confrontées à la plus profonde réforme que notre appareil de défense ait connu depuis des décennies.
Je veux rendre ici hommage à l'attitude exemplaire et résolument tournée vers l'avenir avec laquelle les militaires et l'ensemble des personnels de la défense ont abordé cette réforme nécessairement traumatisante. Chacun sait qu'aucun autre grand corps de l'Etat ne serait sans doute capable d'assumer, avec cet état d'esprit, une telle remise en cause. Mais nous devons veiller à ne pas faire naître les désillusions qu'entraînerait inévitablement le sentiment que les efforts consentis ne portent pas leur fruits et que la réduction incessante des moyens compromet la cohérence même de la réforme entreprise.
De quoi s'agit-il en effet ? Vous nous dites, monsieur le ministre, que les crédits du titre III, qui sont indispensables à la réussite de la professionnalisation, sont préservés. Mais les conséquences des dispositions adoptées par l'Assemblée nationale en matière de reports d'incorporation durant la période de transition risquent de fragiliser sérieusement, particulièrement pour l'armée de terre - notre collègue M. Serge Vinçon l'a rappelé - le processus de professionnalisation. Pouvez-vous nous préciser, monsieur le ministre, les mesures compensatrices que ces dispositions rendront nécessaires ? Avez-vous notamment examiné l'hypothèse d'une accélération de la professionnalisation de nos forces ?
Par ailleurs, les crédits de fonctionnement stricto sensu évoluent de façon préoccupante. Avec l'amputation des crédits d'entretien programmé des matériels et l'insuffisance des moyens de rechange, cela signifie que des avions vont rester au sol et que des bateaux - y compris la Jeanne d'Arc, quel symbole ! - vont devoir rester à quai.
Il y a plus grave encore, au moins à moyen et à long termes : je veux parler, naturellement, de la brutale amputation de 9,9 % en francs constants des dotations du titre V. Plus que jamais, les crédits d'équipement militaire apparaissent comme la réserve, supposée inépuisable, permettant d'équilibrer le budget de l'Etat dans son ensemble.
M. Serge Vinçon, rapporteur pour avis. C'est exact !
M. Emmanuel Hamel. Hélas !
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères. Il s'agit là, à mes yeux, d'une faute qui adresse à la nation un message triplement erroné. On lance en effet l'idée, d'abord, que les crédits militaires constitueraient un luxe inutile, alors qu'ils s'agit, avec la sécurité, de la première des missions régaliennes de l'Etat ; ensuite, qu'il faudrait aujourd'hui choisir entre la défense du pays et la lutte contre le chômage, alors que la réduction des crédits d'équipement est au contraire particulièrement coûteuse en termes d'emplois, enfin ; que tout danger aurait disparu avec le mur de Berlin,...
M. Emmanuel Hamel. C'est faux !
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères. ... alors que nous devons au contraire faire face à des menaces multiformes, proches ou éloignées, et que nous sommes dans l'obligation de décider aujourd'hui des équipements dont nous aurons besoin entre 2010 et 2030.
Les conséquences directes de ces coupes budgétaires sur l'équipement de nos forces ne sauraient être mésestimées. Je n'en citerai que deux exemples.
En premier lieu, le nucléaire, qui demeure notre garantie ultime de sécurité, voit ses crédits subir une amputation de 13 %. Cela donne à penser que au sein même du budget de la défense, les crédits consacrés au nucléaire sont considérés eux-mêmes comme la variable d'ajustement. C'est là pour notre commission, même s'il s'agit de préoccupations à long terme, un important sujet d'inquiétude pour l'avenir.
En second lieu, les crédits consacrés à l'espace militaire diminuent de 5,6 % d'une année sur l'autre et mettent en lumière une évolution, à mes yeux inquiétante, je le souligne, de la coopération franco-allemande, une évolution qui risque de compromettre gravement nos programmes d'observation et, à terme, de fragiliser les perspectives d'autonomie stratégique européenne. Est-ce cela que nous voulons ?
Ce projet de budget pour 1998 constitue aussi - c'est la deuxième raison qui motive le rejet de notre commission - un mauvais signal pour notre industrie, à un triple point de vue.
D'abord, la visibilité que la loi de programmation avait précisément pour objet d'apporter aux industriels de la défense - en contrepartie, pour la première fois, d'une substantielle réduction du volume des crédits - tend à disparaître avec le budget que vous nous proposez. Dans le même temps, les conséquences que vous en avez tirées sur les programmes - glissements, étalements, moratoires - ne peuvent aboutir qu'à des reports de dépenses et à des surcoûts, au moment même où la réduction des coûts constitue un objectif déterminant pour l'avenir de notre industrie et pour celui de notre défense.
Ensuite, je l'ai dit, les conséquences de ces décisions seront inévitablement lourdes en termes d'emploi. Les chiffres peuvent toujours être discutés. Mais, par un effet quasi mécanique, les réductions du titre V que vous proposez mettront en péril entre 10 000 et 20 000 emplois qualifiés dans une industrie de défense confrontée depuis près d'une dizaine d'années à une crise dont l'impact est souvent insupportable pour les entreprises sous-traitantes.
Enfin, les décisions que vous nous proposez affaiblissent encore notre industrie de défense, au moment même où elle devrait pouvoir se présenter en position de force pour prendre sa part dans les indispensables restructurations de l'industrie européenne.
Rappellerais-je que, tandis que nous procédons à des coupes claires sur le titre V, la Grande-Bretagne maintient le cap en matière d'investissements militaires et se met en situation d'exercer une influence dominante sur l'industrie européenne de demain ? Rappellerais-je qu'au moment où nous reportons - ou renonçons ? - à la commande pluriannuelle de 48 Rafale, le gouvernement allemand confirme pour sa part la commande de 180 Eurofighter ? Et que dire de la situation de GIAT Industrie que l'Etat actionnaire est contraint de récapitaliser pour éviter le pire tandis que l'Etat acheteur aggrave sa situation en réduisant sans cesse ses commandes ?
La troisième raison de la position de notre commission est que la réduction des crédits militaires que vous nous proposez risque de porter en germe - si elle devait se prolonger, j'en conviens - une remise en cause de la cohérence de notre politique de défense et du futur modèle d'armée retenu lui-même.
Les économies draconiennes que vous nous suggérez, monsieur le ministre, doivent revêtir - nous dites-vous - « un caractère exceptionnel ». C'est la fameuse « théorie de l'encoche », qui voudrait que le budget pour 1998 ne constitue qu'une douloureuse parenthèse et que ses conséquences, aussi regrettables soient-elles, demeurent néanmoins surmontables.
Nous prenons acte du fait que le budget pour 1999 apparaît désormais comme un nouveau rendez-vous décisif pour l'avenir de nos armées. Mais nous devons clairement mesurer, dès aujourd'hui, l'ampleur des conséquences qui résulteraient de dotations inférieures à celles qui sont prévues par la loi de programmation.
Si tel était le cas, si de 8 milliards à 10 milliards de francs continuaient à manquer chaque année, c'est tout l'édifice de la réforme d'ensemble de notre système de défense qui se trouverait remis en cause. Je rappelle que les crédits d'investissement avaient été définis au plus juste pour s'adapter strictement, dans chaque domaine, au format, fortement réduit, de la future armée professionnelle. Porter atteinte à cette cohérence ferait tomber le principal gage de réussite de la réforme et risquerait d'influer sur la mobilisation d'une communauté militaire dont la motivation demeure pourtant la clé du succès.
Si tel était le cas, c'est le futur modèle d'armée lui-même qui se trouverait compromis, sauf à renoncer à doter l'armée professionnelle de demain des équipements nécessaires à son efficacité.
Si tel était le cas, enfin, la loi de programmation devrait alors être considérée comme caduque. Ce ne serait pas, dira-t-on, la première fois. Mais, à ce moment là, cet exercice législatif aurait - je le souligne pour éviter trop de travail à vos services, monsieur le ministre - perdu toute crédibilité. En effet, la situation serait, cette fois, profondément différente, et cela pour trois raisons essentielles.
D'abord, à la différence des précédentes, la loi de programmation 1997-2002 traduisait déjà une forte réduction des crédits d'équipement militaire. Les précédentes lois, même imparfaitement appliquées - et elles l'ont été - « tiraient » néanmoins les budgets militaires vers le haut ; celle-ci avait, au contraire, été calculée au plus juste, la quasi-totalité des marges de manoeuvre avaient été éliminées. La mauvaise exécution de cette programmation ne pourrait donc conduire qu'à l'affaiblissement progressif de notre défense.
Ensuite, la programmation 1997-2002 est précisément la traduction financière d'une réforme d'ensemble et la première étape de la mise en place d'un nouveau modèle d'armée. Son non-respect devrait donc nécessairement conduire à la remise en cause de l'ensemble, sans aucune autre raison que la contrainte financière, puisque ni les conditions géostratégiques ni les missions assignées à nos forces n'ont substantiellement évolué depuis 1996.
Permettez-moi enfin de rappeler que si l'idée venait - après la « revue des programmes » engagée par le Gouvernement et par vos services, monsieur le ministre - de mettre en chantier une nouvelle loi de programmation, ce serait alors la troisième en quatre ans, ou la quatrième en moins de six ans !
Ainsi que notre commission l'avait solennellement souligné lors de l'examen de la loi votée en 1996, ma conviction est qu'il vaudrait mieux alors renoncer sinon à tout exercice de programmation, du moins à sa traduction législative, devenue sans valeur. Ce qui est vrai des lois en général l'est plus encore en matière de programmation : « trop de lois de programmation tuent les lois de programmation. »
Je conclurai d'un mot, monsieur le ministre, pour vous dire que, si notre commission a refusé d'adopter les crédits militaires pour 1998 et si elle m'a mandaté pour réaffirmer fortement, aujourd'hui, notre ferme attachement au respect de la loi de programmation votée en 1996, c'est parce qu'elle a jugé que notre défense ne disposerait pas, si les orientations retenues pour 1998 devaient être prolongées, des moyens nécessaires pour mener à bien la réforme indispensable et exemplaire qui est engagée.
Or, nous le savons bien, notre pays n'a pas, en l'espèce, de droit à l'erreur. C'est ce qui justifie l'extrême vigilance et l'extrême gravité de notre commission. C'est pourquoi je souhaite, monsieur le ministre, l'organisation au Sénat, à une date que vous choisirez, d'un nouveau débat sur la défense dans les premiers mois de 1998, dès que votre réflexion sur les programmes aura abouti. Aussi, pour l'heure, nous ne pourrons que rejeter le projet de budget que vous nous soumettez. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 33 minutes ;
Groupe socialiste, 38 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 35 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 26 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 15 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen,16 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 9 minutes.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Dulait. M. André Dulait. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite, dans le cadre de ce débat, que nous nous projetions un peu au-delà de 1998, et mon propos soulèvera quelques questions relatives à l'armement futur de la France, seule garantie à long terme de l'indépendance de notre pays.
Cette projection doit s'inscrire, bien entendu, dans les budgets d'équipement des prochaines années. A cet égard, je souscris aux propos de M. le président de la commission des affaires étrangères et de la défense qui a clairement indiqué que « trop de lois de programmation tuent les lois de programmation ! »
Il nous faut donc, dans le cadre de cette loi, essayer de résoudre un certain nombre de problèmes. Je n'en choisirai que trois, les points les plus importants, qui ont été déjà pour partie évoqués.
Le premier concerne le nucléaire, notamment la nécessité d'allonger la portée des missiles français pour crédibiliser la force de frappe. Le M 51, qui sera en service dans dix ans, a une portée estimée de 6 000 kilomètres. Articulé sur la mobilité des sous-marins nucléaires, il constitue en théorie, je ne l'ignore pas, une réponse à toute menace. Mais, la mise en route retardée du troisième sous-marin nucléaire soulève un certain nombre d'interrogations.
Le raisonnement est également valable pour le missile stratégique à statoréacteur qui doit succéder au missile air-sol moyenne portée, l'ASMP, et dont l'avenir est également opéré par des restrictions de crédits.
En matière de charges nucléaires, le durcissement des têtes nucléaires et leur miniaturisation doivent être poursuivis. A cet égard, le remplacement de la tête nucléaire 75 par la tête nucléaire océanique devrait être avancé, mais comment faire dans le cadre de ce budget, monsieur le ministre ?
Le deuxième point que je souhaite évoquer concerne le rôle de nos satellites. Ils ont deux fonctions essentielles : la surveillance et l'écoute.
Eu égard à la première fonction, celle de la surveillance, a-t-on définitivement tranché le débat qui oppose les partisans et les adversaires d'un satellite radar ? Vous le savez, monsieur le ministre, il y va non seulement de l'avenir de la deuxième génération de satellite, mais aussi d'un pari important de la coopération franco-allemande.
Concernant la seconde fonction, celle de l'écoute, si essentielle à la conduite d'éventuelles opérations, les essais du microsatellite d'expérimentation baptisé Cerise et le projet Clémentine sont le gage d'une insertion à long terme de la France dans ce domaine. Sur ces deux points, où en sont les recherches, si n'est pas trop indiscret de vous le demander ?
J'en viens au troisième point, le domaine missilaire.
Les missiles, comme le nucléaire, tous deux nés durant la Seconde Guerre mondiale, auront complètement bouleversé les systèmes de défense et ils auront aussi creusé un fossé géopolitique majeur entre les détenteurs et les non-détenteurs de missiles, mais plus encore entre les producteurs et les non-producteurs. De ce point de vue, la France est l'un des rares pays à posséder la totalité des gammes de missiles.
Il faut conserver cette capacité et la préparer au monde missilaire du milieu du siècle prochain. Tout porte à croire que les technologies de missiles peuvent être améliorées.
Or, le parc de missiles français actuel forme, pourrait-on dire, la « deuxième force de frappe française » susceptible de repousser toute agression et de porter la puissance militaire de la France hors de nos frontières.
Citons quelques programmes, tels que, pour l'armée de l'air, le missile Mistral, le missile Mica et, pour la marine, le missile anti-navires futur, l'ANF. Comment pourrons-nous conserver dans le calendrier l'ensemble de ces programmes ?
Si l'avenir de l'indépendance de la France passe par le perfectionnement de la force de frappe, l'avenir des systèmes militaires et de l'industrie de l'armement passe par la capacité de maintien de la France dans la course technlogique dans le domaine des missiles.
Ces trois pôles de crédibilité de l'armée du futur reposent sur deux points qui peuvent apparaître capitaux et qui sont les suivants : la sûreté des communications et la qualité du renseignement.
Pour le premier point, il faut combler le retard que la France est en train de prendre en matière de cryptologie. De ce point de vue, et c'est une autre question, monsieur le ministre, n'y a-t-il pas lieu de lancer un plan spécifique fondé sur la capacité informatique qui est la nôtre et sans rechercher la coopération de partenaires susceptibles de se dérober ?
En matière de renseignement, il faut d'ores et déjà préparer le monde à ce qu'il sera dans une génération. Du point de vue théorique, le renseignement, c'est savoir et comprendre. N'y a-t-il pas lieu, dans ces matières, d'utiliser l'ensemble des gisements de connaissances du pays, qu'ils soient industriels, universitaires ou commercial ?
Enfin, monsieur le ministre, la France souhaite-t-elle demeurer un pays d'avant-garde dans le domaine du laser et avons-nous définitivement abandonné la bombe à neutrons ?
Ce sont les ultimes questions que je pose, en souhaitant - avec vous, j'en suis convaincu - que l' « encoche » - puisque c'est le terme convenu - ne devienne pas une brèche dans notre défense, brèche que nous ne saurions colmater dans les années qui viennent et qui nous ferait perdre notre rang de grande puissance. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les deux rapporteurs de la commission des finances, MM. Blin et Trucy, nos quatre rapporteurs de la commission des affaires étrangères, de la dépense et des forces armées, MM. Serge Vinçon pour la terre, André Boyer pour la marine, Hubert Falco pour l'aviation, Jean Faure pour le nucléaire, nous ont parlé des programmes et des crédits. M. Michel Alloncle nous a fait part des prévisions pour la gendarmerie, le président de Villepin a enfin dégagé les raisons qui font que notre commission a été amenée à donner un avis défavorable sur l'ensemble du budget qui nous est aujourd'hui présenté.
En fait, la diminution brutale des crédits du titre V, de près de 10 % en francs constants, soit 81 milliards de francs, dans le projet de loi de finances pour 1998 laisse penser que les crédits d'équipements militaires jouent, en réalité, un rôle assez inquiétant de variable d'ajustement du budget de l'Etat. Lorsque le Gouvernement a besoin de quelques milliards qui lui paraissent indispensables dans un autre budget, il puise sans hésitation dans les crédits de la défense, sans pour autant que cela corresponde à des possibilités d'économies mûrement réfléchies et décidées.
Cette pratique est inadmissible. Mais on peut craindre qu'elle ne témoigne d'un état d'esprit que l'on a souvent résumé dans un jeu de mots facile : le budget de la défense, c'est celui de la dépense. Certains se sont empressés d'ajouter : des dépenses de prestige, d'orgueil militaire, des dépenses certainement inutiles dans le contexte nouveau d'une paix qui s'est instaurée dans le monde depuis la chute du mur de Berlin.
Si cette considération est en partie vraie dans le domaine de la stratégie mondiale, elle n'est certainement pas exacte si l'on songe à tous les conflits locaux et au grand nombre d'interventions auxquels la France a été obligée : au Liban, au Cambodge, au Koweït, dans le Golfe, en Irak, en Bosnie, dans l'ex-Yougoslvie, au Rwanda, au Congo, hier à Brazzaville.
Tous ces événements récents montrent que notre armée doit rester forte, prête à agir rapidement dans le monde, non seulement pour défendre le bon droit, mais aussi et surtout pour venir en aide, si besoin est, à nos compatriotes expatriés, à ceux qui, tout à coup, et quelquefois sans qu'on ait pu le soupçonner, se trouvent enfermés, menacés dans leurs biens et même dans leur vie. Il faut dire que cette tâche de sauvetage, l'armée l'a magnifiquement accomplie en de multiples occasions.
La sécurité des Français isolés à l'étranger, ne l'oublions pas, passe par le maintien d'une armée présente et performante. Sur un plan plus général, tout affaiblissement de nos armées compromet un peu plus l'influence de la France dans le monde.
Pour éviter les redites, je ne reviendrai pas sur les critiques émises par nos rapporteurs sur les choix effectués dans la marine et l'armée de terre, mais je parlerai un instant de l'aviation, arme dans laquelle j'ai eu l'honneur de servir pendant de longues années de guerre.
L'armée de l'air n'a pas été gâtée. Ses crédits sont réduits de 11 % dans le projet de loi de finances pour 1998.
Monsieur le ministre, doit-on considérer cette régression comme une simple encoche dans la programmation ? Le mot « encoche » revient souvent dans les avis émis cette année sur votre projet de budget. Mais s'agit-il bien d'une simple encoche, d'une petite entaille dans les plans initiaux, et non pas d'une renonciation, d'un abandon dont on découvrira bientôt qu'il implique un changement d'orientation ?
Autrement dit, peut-on considérer que les programmes essentiels de l'armée de l'air, dont le Rafale, ne sont pas remis en cause ? En quoi va consister la revue des programmes que vous avez annoncée récemment ?
Parmi ces programmes, l'un me semble d'un intérêt tout particulier. Il s'agit de l'ATF, l'avion de transport du futur, qui nous est absolument indispensable dès les premières années du troisième millénaire pour ce qu'on appelle maintenant notre force de projection, c'est-à-dire les éléments rapides d'intervention qui peuvent à tout moment se projeter n'importe où dans le monde. Avec plusieurs autres membres de la commission des affaires étrangères, j'ai eu le plaisir d'être reçu à Orléans Bricy très récemment et de voir à quel point cette force est impressionnante, remarquablement organisée. Il faut donc, naturellement, maintenir tous les moyens dont elle dispose.
Le renouvellement de la flotte tactique d'intervention est un besoin évident, admis par tous ; les Transall arrivent à bout de souffle. Ce renouvellement est inscrit, d'ailleurs, dans la loi de programmation, mais la démarche pour la réalisation est encore très hésitante.
Pourtant, il s'agit d'un projet européen, fondé sur celui de l'Airbus, auquel se sont ralliés déjà huit pays. On parle même aujourd'hui d'une éventuelle participation de la Russie et de l'Ukraine, pays qui nous avaient prêté de gros avions Antonov maintenant hors service. Je n'ai pas très bien déchiffré les échos que nous avons eus sur cette coopération. En résumé, pouvez-vous nous dire clairement, monsieur le ministre, où en est le projet de l'ATF dont, je pense, la réalisation devrait être absolument assurée et précisément programmée ?
L'évocation de ce programme nous conduit au problème des industries de défense. C'est un problème dont nous connaissons tous la terrible gravité, et qui risque de peser lourdement, dans le domaine de l'emploi ou, plutôt, du chômage. D'autres orateurs en ont déjà parlé ou vont le faire, je ne m'y attarderai donc pas dans le court laps de temps qui m'est imparti. Mais il est certain que les frais très élevés de la main-d'oeuvre en France, notamment en raison des charges sociales, et le surcoût conséquent de toute notre production créent de continuelles tentations de délocalisation à l'étranger et nous confrontent à des réalités qui handicapent la reprise de notre économie nationale.
Nos forces armées entrent maintenant dans une période de transition qui, en quatre ans, doit nous amener de la conscription à la professionnalisation, période délicate, dont il serait souhaitable de bien marquer les étapes et les modalités plus qu'elles ne le sont aujourd'hui. Par exemple, la possibilité d'obtenir un report d'incorporation pour les jeunes gens titulaires d'un contrat de travail vient d'être inscrite dans la loi sur le service national. Fort bien ! Mais quelles classes d'appelés, exactement, vont bénéficier de cette disposition ?
Les sursitaires titulaires d'un CDI ou d'un CDD pourront-ils s'en prévaloir, alors que leur classe d'âge avait été appelée à remplir un temps de service plein ? De plus, cette mesure va entraîner une baisse sensible du nombre des appelés pendant cette période de transition. Comment envisagez-vous de limiter cette baisse et de la compenser ?
Telles sont, monsieur le ministre, mes chers collègues, les quelques questions que je voulais poser à l'occasion de la discussion de ce budget.
Sur le plan général, nous réaffirmons notre ferme attachement à l'exécution intégrale de la loi de programmation pour les années qui vont d'aujourd'hui à l'an 2002. La rigueur des temps nous a obligés - ce n'est pas sans regret que nous avons dû le faire - à voter toutes sortes de restrictions et de suppressions.
Oui, la loi est déjà très sévère, il ne convient pas que le Gouvernement en rajoute en la rendant encore plus pénible. Nos armées, qui ont rendu de si grands services à la nation, sont durement frappées sur le plan humain comme dans le domaine matériel.
Nous avons appris, quand nous étions militaires, que « la discipline fait la force principale des armées ». Il est une chose qui fait sa force encore davantage : c'est le moral. Monsieur le ministre, le Gouvernement doit veiller à ce que, en aucun cas, le moral de nos armées ne risque d'être détruit. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 22 février 1996, le Président de la République engageait le long processus de réforme de notre outil de défense, lequel devait conduire à la professionnalisation de nos armées et à l'abandon de la conscription.
Sous la houlette de votre prédécesseur, le Parlement n'a pas tardé à donner à ces objectifs leur nécessaire traduction législative.
Ainsi fut adoptée, après avoir été préparée en étroite concertation avec les assemblées, la loi de programmation militaire de 1997 à 2002, que vint compléter cet automne la loi portant réforme du service national.
La démarche d'ensemble est cohérente, même si je ne peux que souscrire aux demandes réitérées de présentation d'un projet de loi portant réforme des réserves, et ce dans un délai le plus bref possible.
L'an dernier, à cette même tribune, je me félicitais du montant de 243,3 milliards de francs inscrits au titre du budget de la défense pour 1997, enveloppe conforme aux engagements budgétaires prescrits par la loi de programmation.
C'était un bon début qui - une fois n'est pas coutume - laissait présager une suite favorable.
Lors des débats sur la loi de programmation, nous avons été particulièrement nombreux sur ces bancs, toutes sensibilités confondues, à mettre en garde le Gouvernement sur les exigences de ce type d'exercice et les prolongements qu'il implique.
Voter une nouvelle loi de programmation militaire, la neuvième du genre depuis 1960, alors que la dernière ne datait que de 1994 et avait été particulièrement mal appliquée pour être prématurément abandonnée, ne pouvait qu'inquiéter le législateur.
Il était en effet légitime de craindre que ne se perpétue la fâcheuse habitude prise ces dernières années qui consistait à remettre en cause, en cours d'exercice, le budget d'équipement, c'est-à-dire les crédits prévus au titre V du ministère de la défense, et ce sans préavis, de façon massive et, bien entendu, sans que l'aval préalable du Parlement ait été obtenu.
Ces craintes avaient été, à l'époque, largement dissipées.
Mais c'était, hélas ! sans compter avec les vicissitudes de la vie politique !
M. Alain Richard, ministre de la défense. Le choix du peuple, vous voulez dire !
M. Bernard Plasait. Je note d'ailleurs que celles-ci ne devraient nullement interférer en la matière, car je croyais savoir que s'il était un domaine où l'on pouvait parler de consensus, c'était bien celui de la politique de défense.
Or force est de constater, mes chers collègues, qu'il n'en est rien.
Car, comme l'ont très justement dit MM. les rapporteurs pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, ainsi que certains orateurs, le budget de la défense pour 1998, que vous nous présentez, monsieur le ministre, marque un très net coup d'arrêt dans l'exécution de la loi de programmation.
Et tout laisse à craindre que, du coup d'arrêt au coup de grâce, il n'y ait qu'un pas, que la dérive des finances publiques aidera aisément à franchir.
Nous devons, certes, à l'honnêteté de reconnaître que ce gouvernement innove car, lui, il sollicite l'aval du Parlement.
Mais, en fait, il demande aux parlementaires de baisser volontairement la garde et d'exposer délibérément notre pays à de graves désillusions, lourdes de conséquences, dans un avenir que nous souhaitons tous hypothétique, bien évidemment.
La seconde innovation qu'il convient de relever réside dans la justification qui nous est donnée avec la création de la fameuse théorie dite de l'« encoche ».
Là aussi, j'ai une grande inquiétude car de l'encoche à la brèche, peut-être aussi à la plaie béante, il n'y a qu'un pas !
En effet, diminuer de 3,2 % en francs courants, soit 4,6 % en francs constants, la masse budgétaire globale, pour la situer à 238,2 milliards de francs, c'est déjà procéder à une large entaille.
Mais quand on considère les seuls crédits d'équipement militaire, en baisse brutale de 9,9 % en francs constants, c'est une véritable saignée, monsieur le ministre.
Je ne vous parlerai pas de la chute des crédits consacrés au nucléaire tant les qualificatifs manquent, ma collègue Anne Heinis y reviendra tout à l'heure de façon exhaustive.
Par ces diminutions massives de crédits, le Gouvernement fait des crédits militaires - eh oui, permettez-moi de le dire à mon tour - une variable d'ajustement du budget de l'Etat. C'est grave, monsieur le ministre, c'est très grave pour l'accomplissement toujours nécessaire de la première mission de l'Etat.
Le président de Villepin a fort justement parlé de signal très négatif adressé simultanément à la nation, aux industries de défense et à nos armées, dont le moral est pourtant si important.
Je ne peux, pour ma part, que partager ce sentiment d'un mauvais coup porté à la réforme courageuse et lucide de nos armées engagée depuis deux ans.
Ce budget hypothèque gravement l'avenir de notre défense. Nous ne pouvons que le déplorer, monsieur le ministre, avec cette gravité évoquée tout à l'heure par le président de Villepin.
Des retards considérables vont être pris dans les programmes d'équipement, tels que le Rafale ou le char Leclerc, pour ne citer que ceux-là.
Tout aussi grave est la compression des dépenses de fonctionnement qui menace l'entraînement et l'activité de nos forces.
Enfin, je ne peux que m'associer aux remarques déjà formulées concernant les conséquences, notamment pour l'armée de terre, des dispositions adoptées en matière de report d'incorporation pour les jeunes gens titulaires d'un contrat de travail.
A cet égard, je souhaite plus particulièrement attirer votre attention, monsieur le ministre, sur ce qui me semble relever d'un déficit de communication. En effet, et peut-être est-ce dû à l'effet d'annonce d'un certain amendement présenté à l'Assemblée nationale, l'article 3 de la loi du 28 octobre dernier portant réforme du service national a été plutôt mal interprété par l'opinion.
Si j'en juge par les demandes qui me sont régulièrement adressées, et je me doute bien que je ne suis pas le seul dans ce cas, les jeunes gens déclarés aptes au service militaire se trouvant dans l'attente d'une incorporation très prochaine - et plus souvent encore leur famille - ont perçu les nouvelles dispositions comme permettant une dispense systématique dans le cas où l'intéressé est titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée ou s'apprête à en signer un.
Une telle situation me semble mériter quelques éclaircissements.
Pour conclure, je ne peux que regretter, monsieur le ministre, comme vous sans doute, les orientations du projet de budget de la défense pour 1998 et espérer que la défense retrouvera dès 1999 le niveau de ressources prévu par la loi de programmation. Dans cette attente, je suivrai la commission dans ses conclusions. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Delanoë.
M. Bertrand Delanoë. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, autant le dire simplement : c'est un budget difficile que nous examinons. Les contraintes budgétaires de cette nouvelle période ont lourdement pesé sur son élaboration.
Néanmoins, vous avez voulu, monsieur le ministre, mettre en oeuvre les grands objectifs que vous vous étiez fixés : la consolidation du processus de professionnalisation des armées et la poursuite des objectifs stratégiques définis dans la loi de programmation. Votre démarche a été guidée par ces deux lignes directrices, tout en contribuant grandement à l'effort général de réduction des dépenses publiques.
De ce fait, le projet de budget de la défense est une nouvelle fois en diminution : de 3,25 % en francs courants par rapport au budget voté pour 1997, lequel a lui-même connu, par la décision de deux gouvernements successifs, deux annulations de crédits portant sur le titre V.
Ainsi, c'est non à partir de la deuxième année mais dès la première année de son exécution que la loi de programmation n'a pas été respectée. Lors de son adoption, j'avais d'ailleurs estimé qu'elle serait difficilement tenable, quel que soit le gouvernement.
Cette nouvelle diminution importante du titre V ne doit être considérée que comme une contribution exceptionnelle à la maîtrise des dépenses publiques.
En effet, certains aspects de ce budget soulèvent des questions préoccupantes pour l'avenir, qu'il s'agisse du nucléaire, de l'achat de munitions ou bien encore de l'entretien programmé des matériels, même si ces dispositions - et les états-majors le reconnaissent - ne mettent pas en cause le bon fonctionnement de l'armée ni ses capacités opérationnelles, à condition, toutefois, qu'elles demeurent exceptionnelles.
La poursuite de la baisse tendancielle de l'effort de recherche et développement, qui a vu ses crédits diminuer de 28 % - mais depuis 1995 ! - est tout aussi problématique. Quand on sait que la recherche et le développement représentent 45 % des dépenses d'équipement militaire des Etats-Unis, on doit considérer que c'est bien notre future capacité de défense qui est en jeu et, peut-être plus encore, le degré d'indépendance de l'Europe dans une quinzaine d'années. Pour enrayer cette évolution, il faudrait sans doute être plus volontariste dans le développement des technologies duales et dans le financement d'une partie de la recherche et du développement par le secteur industriel.
Pour autant, la puissance, le rayonnement international et la sécurité d'un pays ne sont pas tributaires de sa seule armée. C'est pourquoi il convient également de s'interroger sur les moyens alloués à la recherche dans le domaine stratégique. Celle-ci permet, entre autres, de bénéficier de réseaux d'influence non négligeables sur la scène internationale. Je souhaite donc qu'une nouvelle politique d'aide aux instituts de recherche soit envisagée, d'autant que ce n'est pas le poste le plus coûteux dans le budget de la défense.
Après ces remarques qui se veulent lucides et honnêtes, je tiens souligner les avancées que vous nous proposez à travers ce budget.
Je note tout d'abord que tous les matériels commandés pour 1998 seront effectivement livrés au cours de l'année. Je pense également à la place privilégiée réservée aux capacités de prévention, notamment dans le domaine du renseignement d'origine spatiale. Je mentionnerai aussi les programmes en coopération, qui bénéficient, en dépit de la baisse globale des ressources, d'un strict maintien des dotations qui leur étaient réservées en programmation.
La préservation de ces engagements est incontestablement un signal politique fort adressé à nos partenaires.
Par ailleurs, si le titre V connaît une baisse importante, le titre III respecte, lui, rigoureusement la loi de programmation, grevant d'autant le budget global de la défense. C'est pourquoi il faut poser le problème de la répartition des crédits entre ces deux titres budgétaires. S'il est effectivement essentiel de préserver le bien-être des femmes et des hommes qui servent notre pays, cela ne peut continuer à se faire au détriment de l'investissement sans que les objectifs de notre défense en soient modifiés.
Dès l'origine, nul n'ignorait que le passage d'une armée mixte à une armée professionnelle, fût-elle de format réduit, aurait un coût important. C'est ce passage, à l'évidence mal conçu, qui est en grande partie responsable des difficultés de ce budget.
M. Serge Vinçon, rapporteur pour avis. Tiens donc ! (Sourires.)
M. Bertrand Delanoë. Mais cette conception de la professionnalisation, la majorité sénatoriale, contre notre avis, l'a validée en son temps. Ne vous étonnez donc pas, chers collègues, que, dans le budget 1998, les seuls crédits d'accompagnement de la professionnalisation s'élèvent à 1,8 milliard de francs.
Et pardonnez-moi de vous rappeler les craintes que j'exprimais l'année dernière au cours du débat budgétaire : « Ces choix, disais-je, nous les connaissons, ce sont ceux d'une armée professionnelle. Ils pèsent et ils continueront de peser sur le budget, avec des conséquences que je juge néfastes. Car, malgré les réductions d'effectifs, vous êtes contraints d'augmenter sensiblement les crédits de fonctionnement. » Et j'ajoutais, me référant à l'exemple britannique : « Nous avons appris que les économies, lorsqu'elles doivent se faire, se font toujours sur le titre V. » Aujourd'hui, je ne peux que regretter que ces appréhensions se soient vérifiées.
Quoi qu'il en soit, le budget a atteint un seuil critique, et il serait très grave qu'il subisse de nouvelles annulations de crédits en cours d'année.
M. Serge Vinçon, rapporteur pour avis. On verra !
M. Bertrand Delanoë. Les précédents sont nombreux, mon cher collègue ! Dois-je vous rappeler que le budget de 1995 avait été amputé de 20 milliards de francs ?
Dans ce domaine, vous avez, monsieur le ministre, pris des précautions utiles : d'une part, en évitant que les reports de charges de 1997 ne pèsent sur le budget de 1998 et, d'autre part, en prenant en compte, pour la première fois, dans le projet initial, une partie des actions extérieures.
Je crains pourtant, au risque de paraître trop direct, que nous ne nous trouvions face à une baisse tendancielle du budget de la défense plutôt qu'à une simple « encoche » à caractère exceptionnel et provisoire. Et c'est pourquoi je pense, monsieur le ministre, qu'il est juste que vous poursuiviez l'effort d'adaptation entrepris.
Vous avez raison de continuer les restructurations engagées dans le cadre de la direction des constructions navales, de GIAT-Industrie, mais aussi de la délégation générale pour l'armement.
Plus globalement, vous avez raison de poursuivre la réorganisation de l'ensemble de notre industrie de défense à l'échelon européen, le seul réellement opérationnel. Rien ne serait pire pour l'industrie d'armement française qu'une stratégie industrielle strictement nationale.
Je pense tout particulièrement, au nécessaire regroupement des industries aéronautiques dans un pôle européen. Sur ce sujet, monsieur le ministre, je me permets de vous demander où en sont le processus de rapprochement entre Dassault et Airbus et la nomination d'un coordinateur pour la constitution d'une entité aéronautique européenne.
Je pense aussi aux industries électroniques. Dans ce ssecteur, Thomson-CSF doit être en mesure de jouer un rôle de leader industriel ou de fédérateur en Europe.
Dans le même esprit, le développement des programmes en coopération doit être une priorité et l'avion de transport futur, le symbole concret de cet engagement.
La généralisation des commandes pluriannuelles groupées, pour les programmes les plus importants, contribue et contribuera encore davantage à la remise en ordre déjà engagée de la gestion financière du ministère de la défense, suivant en cela les recommandations de la Cour des comptes.
Cette meilleure gestion des crédits militaires est indispensable. Pour autant, je ne crois pas que nous pourrons échapper à une authentique « épreuve de vérité ». Je veux dire par là que, dans le cadre de la revue de programmes annoncée, nous devrons effectuer des choix clairs, qu'il s'agisse des missions assignées à nos forces ou des équipements retenus.

De ces difficultés, de ces exigences, je le sais, vous êtes conscient, monsieur le ministre. Parce que vous avez entamé votre mission avec courage, lucidité et efficacité, nous avons confiance en vous. Tel est le sens de notre vote positif aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travée du RDSE.) 3