M. le président. Je suis saisi d'une motion n° 1, présentée par M. Estier et les membres du groupe socialiste et apparentés et tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi portant création de l'établissement public "Réseau ferré national" (n° 35, 1996-1997). »
Je rappelle qu'en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement du Sénat ont seuls droit à la parole sur cette motion : l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
La parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Peyrafitte, auteur de la motion.
M. Jean Peyrafitte. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, pourquoi avoir déposé une motion tendant à opposer la question préalable ? Pourquoi les sénateurs du groupe socialiste considèrent-ils qu'il n'y a pas lieu de débattre du projet de loi portant création de l'établissement public Réseau ferré national, alors que tout le monde s'accorde à reconnaître qu'il y a urgence à agir ?
Tout bonnement parce qu'ils estiment que, s'il y a bien urgence à agir, le Gouvernement s'est trompé de réforme. La formule est un peu lapidaire, mais je vais m'en expliquer.
Certes, le statu quo n'était pas envisageable - et personne, je crois, ne défend cette position -, mais la partition des missions de la SNCF en deux établissements - à RFN les infrastructures et à la SNCF l'exploitation de ces infrastructures - ne s'imposait nullement. Pis, elle est à nos yeux non seulement contraire à toute logique industrielle, mais encore source de graves dysfonctionnements en raison de la complexité du dispositif qu'il est proposé de mettre en place.
Il s'agit donc d'une réforme contraire à toute logique industrielle car, dans le monde ferroviaire, les synergies sont telles entre l'infrastructure et l'exploitation qu'une séparation totale des deux, la séparation institutionnelle proposée par le présent projet de loi, est source d'inefficacité, d'immobilisme, voire de rivalité.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jean Peyrafitte. Prenons plusieurs exemples.
Remarquons que l'Allemagne a mis en place une simple séparation organique en créant la DBAG, holding à tête unique.
Le Japon a, certes, fait le choix de la privatisation, néanmoins les entreprises ferroviaires sont restées à la fois exploitantes et propriétaires gestionnaires de l'infrastructure.
En fait, seule la Grande-Bretagne a procédé à une séparation instutionnelle totale et à la privatisation du rail, avec le peu de réussite que l'on sait. Il est intéressant de noter que, pour la construction de la future ligne à grande vitesse entre Londres et le tunnel sous la Manche, la Grande-Bretagne a renoncé, de fait, à la mise en oeuvre du principe de séparation institutionnelle en donnant à l'entreprise qui exploite des services de transport une concession d'une durée telle qu'il s'agit de facto d'une pleine propriété.
En fait, seule une entreprise intégrée semble à même de mener à bien un projet ferroviaire. La solution retenue par le Gouvernement ne va aboutir en fin de compte qu'à renforcer encore plus la complexité administrative avec l'introduction d'un nouvel acteur dans « le jeu ferroviaire ».
En effet, le dispositif prévoit l'intervention de pas moins de trois acteurs : l'Etat, la SNCF et RFN ! Or rien n'est prévu pour mettre en cohérence l'action de ces trois intervenants. La création d'une structure chapeautant le tout ne serait d'ailleurs d'aucune utilité, si ce n'est pour renforcer encore la complexité administrative du système !
Le Gouvernement voulait relancer le rail ; il n'a réussi qu'à construire une belle usine où les convulsions seront nombreuses. A tout le moins, il aurait pu maintenir les contrats de plan qui, seuls, permettent aux entreprises publiques chargées d'une mission à caractère industriel et commercial d'arrêter une politique sur le moyen terme, à savoir sur cinq ans, et surtout de définir les engagements et les objectifs des uns et des autres ainsi que les moyens mobilisés sur cette période pour les atteindre.
Mais tel n'a pas été le choix du Gouvernement. Les contrats de plan seraient bon à jeter à la poubelle, ils seraient inefficaces. La preuve, les objectifs ne sont pas atteints !
Mais ne doit-on pas rappeler que, si la SNCF connaît aujourd'hui de telles difficultés, la cause n'en revient pas au contrat de plan ?
Ne doit-on pas aussi rappeler que c'est l'absence de contrat de plan depuis deux ans maintenant qui a largement contribué à détériorer la situation de la SNCF, l'Etat refusant d'assumer ses responsabilités ?
Je rappelle pour mémoire - élection présidentielle et absence de volonté politique obligent - que le Gouvernement de M. Balladur n'a pas mené à terme les négociations sur le contrat de plan qui devait couvrir la période 1995-1999 et qui aurait dû être signé le 31 décembre 1994 au plus tard ! Deux ans perdus ! Deux années durant lesquelles le compte infrastructure de la SNCF a continué de creuser son déficit - moins 11,9 milliards de francs en 1995 - mais, surtout, deux années durant lesquelles, pour la première fois, le compte « transporteurs » a été dans le rouge : moins 4,7 milliards de francs en 1995 et moins 1,6 milliard de francs en 1996.
Désormais, donc, plus de contrats de plan, simplement des conventions, renégociables à tout bout de champ. RFN et la SNCF vont dépenser plus d'énergie à négocier les contrats qui les lient, à surveiller les modifications des contenus des décrets d'application de la présente loi qu'à mettre en oeuvre leurs objectifs industriels ou commerciaux. Où est l'efficacité d'un tel dispositif ?
On nous dit que l'Etat va enfin assumer ses responsabilités. Assumer ses responsabilités, c'est définir une politique ferroviaire et c'est aussi, comme le fait remarquer notre collègue M. Haenel dans son rapport, « augmenter sensiblement sa contribution ».
Comment l'Etat va-t-il tenir ses engagements ? Quelles sommes va-t-il mobiliser en faveur du ferroviaire ? Et sur quelle période ? A ces questions de fond, aucune réponse. Motus et bouche cousue !
Le transport ferroviaire est un secteur qui se caractérise par la lourdeur de ses investissements. Il requiert donc une action dans la durée, le maintien d'un cap. Au lieu de cela, le Gouvernement organise la navigation à vue.
Il n'était absolument pas nécessaire de créer l'établissement public Réseau ferré national pour relancer le chemin de fer en France. Rien n'y obligeait le Gouvernement, pas même la législation européenne.
La directive européenne 91-440 n'impose que la séparation comptable entre exploitation ferroviaire et gestion de l'infrastructure. Cette disposition a d'ailleurs déjà été traduite dans notre droit par le décret 95-666 du 11 mai 1995. Il fallait s'en tenir là.
Il fallait aussi, comme l'exige la directive, désigner l'Etat comme responsable des infrastructures. Pour se faire, nul besoin de créer un établissement public à caractère industriel ou commercial, un EPIC, aberration industrielle, complexité administrative et, pour couronner le tout, insécurité juridique !
En effet - et ce n'est pas le moindre des obstacles - cette séparation des activités ferroviaires entre deux EPIC risque d'être contraire à la législation européenne sur les marchés publics qui impose, à partir d'un certain seuil de travaux, des obligations de mise en concurrence et de publicité.
Il ne faudrait pas que la SNCF se voit condamnée par la Cour de justice européenne, au motif que les mandats de maîtrise d'ouvrage qui lui sont confiés par RFN sont contraires aux dispositions qui encadrent les procédures de passation de contrats dans le secteur des transports telles qu'elles sont définies par la législation européenne.
M. le Premier ministre a affirmé qu'il « y avait une solution française originale ». Il n'y en a pas ! Il y a simplement une solution libérale que ne renieraient pas les auteurs du livre blanc de la Commission européenne sur les chemins de fer et qui ouvre la voie à un démantèlement du transport ferroviaire.
Dès lors, tous vos discours sur le service public ne sont que belles paroles !
Et que dire du prétendu désendettement de la SNCF ? Voilà - nous semble-t-il - un grossier mensonge. Il n'y a pas de désendettement de la SNCF ! Il y a simplement une dette supportée par deux établissements : RFN, pour 134 milliards de francs, et la SNCF, pour 73,8 milliards de francs. La question est de savoir comment ces deux entreprises vont réussir à apurer leur dette et à payer les charges financières résultant de cette dette. Là encore, je note que le Gouvernement n'est pas très explicite et que le projet de loi l'est encore moins.
La situation de la SNCF risque d'être dramatique : il n'est pas sérieux de croire que celle-ci pourra s'en sortir avec une dette de 73 milliards de francs. Tous les spécialistes s'accordent pour dire que son endettement ne doit pas être supérieur à 30 milliards de francs, soit environ la moitié de son chiffre d'affaires. On en est bien loin ! J'ai bien peur que les efforts des cheminots pour redresser leur entreprise ne soient vains. Ils ont déjà beaucoup fait, notamment en termes de productivité. Ce n'est pas ainsi qu'on leur redonnera espoir.
Quant à RFN, son avenir paraît bien fragile. Examinons ses ressources.
Selon l'article 12 du projet de loi, celles-ci seront constituées des redevances d'utilisation du réseau, d'autres produits, des concours de l'Etat et des collectivités locales ainsi que de l'emprunt.
Que peut-on en dire ? Les produits autres que les redevances devraient être d'un faible secours puisque leur rendement ne devrait pas dépasser 1 milliard de francs.
L'emprunt devrait financer les investissements de RFN et permettre la gestion de sa dette. Mais cette ressource devra être utilisée de manière parcimonieuse, faute de quoi RFN entrera dans la spirale de l'endettement, comme a pu le faire la SNCF.
Les concours des collectivités territoriales ne devraient pas être très élevés, compte tenu des difficultés financières qu'elles connaissent.
Les redevances d'utilisation du réseau sont, quant à elles, d'une importance capitale, d'une part, parce qu'elles constituent la principale ressource d'exploitation de RFN et, d'autre part, parce qu'elles conditionnent partiellement le retour à l'équilibre des comptes de la SNCF puisque, pour l'heure, seule la SNCF sera redevable de ce péage.
Le montant de cette redevance a été fixé à 6 milliards de francs par an pendant deux ans. De l'aveu même du président de la SNCF, c'est le montant maximal auquel l'entreprise nationale peut consentir. Mais cette somme ne couvre pas la charge financière de la dette transférée à RFN, évaluée à environ 10 milliards de francs, ni même le montant global des dépenses courantes de RFN, évaluées, selon notre rapporteur de la commission des finances, à 34,5 milliards de francs.
Par ailleurs, ses recettes se montant à 22,8 milliards de francs, les pertes de RFN devraient atteindre 11,7 milliards de francs. Les concours de l'Etat suscitent aussi l'inquiétude : dans la loi de finances pour 1997, la contribution de l'Etat aux charges d'infrastructure a été réduite de 800 millions de francs. RFN risque donc de se retrouver dans une impasse : il ne pourra ni se désendetter ni demander à la SNCF d'entretenir correctement le réseau, et encore moins d'investir dans de nouvelles lignes.
Monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, vous vous êtes non seulement trompés de réforme, mais encore vous nous présentez une réforme dangereuse pour l'avenir du service public ferroviaire. De plus, vous avez refusé de traiter le problème des transports dans sa globalité.
Une autre solution était possible. Il aurait fallu, d'abord, proposer l'apurement total de la dette de la SNCF, ce qui correspond à l'application stricte de la directive 91-440, ensuite mettre en place une véritable politique intermodale des transports, seule capable de permettre un développement solidaire des territoires et une réelle complémentarité entre les différents modes de transports, seule susceptible de permettre une meilleure gestion des choix budgétaires. Vous ne l'avez pas fait.
Votre choix politique, madame le secrétaire d'Etat, monsieur le ministre, ne peut qu'instaurer un véritable déménagement du territoire alors que, par ailleurs, vos collègues promettent aux Français un véritable aménagement du territoire.
La destruction du véritable service public de la SNCF se dessine à moyen terme, au profit d'une privatisation dont les Français de certaines régions auront à subir les conséquences, notamment par la suppression de voies ferrées dites non rentables.
Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste demande à la Haute Assemblée d'adopter cette motion opposant la question préalable. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. François Gerbaud, rapporteur. Ma première observation portera sur le calendrier politique.
En effet, le projet de loi a été déposé sur le bureau du Sénat le 16 octobre 1996. Or, dès le 24 octobre, la motion dont nous discutons était enregistrée au service de la séance du Sénat. On peut observer que la commission saisie au fond n'a pas réussi à se faire une opinion sur le projet de loi dans un temps aussi bref. Au contraire, je rappellerai une fois encore que, à la demande de son rapporteur, elle a obtenu que l'examen du texte fût reporté de près de deux mois pour permettre un supplément d'information.
Quatre arguments sont invoqués à l'appui de cette motion. J'y répondrai dans l'ordre.
Premier argument : le Gouvernement irait bien au-delà des obligations imposées par les directives européennes.
M. le ministre s'est déjà exprimé sur ce point. Certes, la directive 91/440 et la directive de 1995 n'imposent qu'une séparation formelle entre exploitation et infrastructure, et la SNCF avait déjà satisfait à cette obligation dans sa comptabilité. Nous sommes en accord sur ces deux points.
Quelle est donc la finalité du projet de loi ?
C'est précisément de ne pas sacrifier uniquement à des considérations d'opportunité au regard de la réglementation européenne. Les normes européennes sont une chose : elles ne sont pas tout, et tant mieux !
La meilleure preuve en est que, lors de la publication du récent livre blanc de la Commission européenne sur le transport ferroviaire, le Gouvernement, qui rejoignait en cela les conclusions adoptées en juin dernier par la majorité du Sénat, sur la base d'un excellent rapport de notre collègue M. Joly, a énoncé un principe simple : « Toute la directive 91/440, mais rien que la directive ! »
La vérité est que les auteurs de la motion font semblant de ne pas comprendre. Ils rejoignent ainsi ceux qui profitent quelque peu de l'émotion légitime des cheminots, naturellement très inquiets de leur avenir.
Mais il faut sortir des non-dits et des arrière-pensées !
Cela a été la préoccupation première de votre rapporteur.
L'enjeu du projet de loi n'est pas principalement européen : il est national. Il s'agit de ramener la confiance en l'avenir de la SNCF et de remotiver ses personnels. Pour cela, il faut l'alléger d'une dette que les années lui ont imposée et qui désespère les cheminots.
Il s'agit donc de bien autre chose que de la prise en considération de normes européennes, et nos collègues socialistes le savent très bien !
Deuxième argument : le Gouvernement menacerait, à terme, l'unicité de la SNCF.
Entendons-nous bien et essayons de ne pas jouer sur les mots.
S'il s'agit de savoir si la SNCF et RFN seront des organismes distincts, la réponse est oui. Il s'agira de deux établissements publics industriels et commerciaux. Ceux qui ont étudié ce projet de loi savent que 90 % de ses dispositions sont consacrées à pourvoir RFN en moyens matériels et humains.
Donc, je ne joue pas sur les mots et je dis : il y a la SNCF et il y aura RFN.
Autre chose est de savoir si le projet de loi implique l'ouverture du réseau ferroviaire à des tiers. Sur ce point, je serai catégorique : la SNCF restera, par délégation de RFN, en charge, non seulement du fonctionnement et de l'entretien des installations techniques et de sécurité du réseau, mais aussi de la gestion du trafic et des circulations.
L'article 1er du projet de loi ne dit pas autre chose et, parce qu'ils ont sans doute lu le deuxième alinéa de cet article, les auteurs de la motion savent pertinemment que le projet de loi ne rompt pas l'unicité de la SNCF s'agissant de ses principales vocations.
Maintenant, s'il s'agit de savoir si des opérateurs extérieurs à la SNCF pourront intervenir sur le réseau, nous retombons dans la question précédente et dans le principe énoncé plus haut : « La directive 91/440, mais rien que la directive ! »
Troisième argument : le projet de loi n'ouvre aucune perspective de développement du chemin de fer en France.
J'avoue que cet argument est au coeur des préoccupations de notre commission. C'est toute la question. Nous avons déjà eu ici même, le 25 juin dernier, après qu'une discussion analogue eut lieu à l'Assemblée nationale, un débat d'orientation sur l'avenir du transport ferroviaire en France.
Evidemment, le projet de loi constitue un pari : un pari sur la réactivité de la SNCF et des cheminots, sur leur capacité de créer un pôle d'excellence ferroviaire à l'horizon du XXIe siècle. Nous sommes convaincus de sa réussite. Nos collègues socialistes sont sceptiques. Mais, si nous les suivions, qu'adviendrait-il ? Je vais vous le dire.
La SNCF s'enfermerait définitivement sur elle-même, dans une tragique symphonie de déclin. Sa dette, indéfiniment creusée, deviendrait bientôt insupportable aux contribuables. Son fonctionnement, grevé par les charges de remboursement, se réduirait à ne plus assurer que les liaisons rentables à court terme. Ses cheminots, rendus insensibles à l'effort individuel et au souci de l'économie budgétaire, deviendraient ingérables et sombreraient dans une inaction sans espoir.
Est-ce cela que nous voulons ? Non, naturellement ! Nous voulons une SNCF moderne, efficace, performante. Nous voulons des trains de voyageurs ponctuels, rapides, confortables. Nous voulons un service du fret ferroviaire rapide et ponctuel. Les cheminots, quant à eux, veulent redevenir fiers de la SNCF, comme l'étaient leurs anciens au sortir de la bataille du rail, qui, je l'ai rappelé hier avec émotion, a inscrit la SNCF dans le patrimoine national.
Voilà, mes chers collègues, un projet de développement pour la SNCF !
Quatrième argument : le projet de loi confierait les infrastructures à un établissement déjà fortement endetté et à peine créé.
Je vais vous rappeler un chiffre que vous connaissez bien, et je le fais sous le contrôle de mon collègue M. Haenel, rapporteur pour avis de la commission des finances, qui est un des meilleurs experts sur ce sujet au sein du Parlement : la dette serait supérieure à 200 milliards de francs.
Quelle entreprise résisterait à de telles conditions ? Le moment était venu de chercher une solution, pour ne pas nous trouver en situation de non-assistance à entreprise nationale en danger de mort.
Je ne reviendrai pas sur les circonstances dans lesquelles s'est formée cette dette. Le débat d'orientation du 25 juin dernier a tout dit.
Comment alléger la dette de la SNCF ? Telle était la question que nous nous étions posée.
Si nous n'étions pas dans un débat public et si la Commission européenne portait un regard moins attentif à ce dossier, je vous dirais : « N'en débattons pas trop... »
Il ne restait qu'une solution : créer une structure de cantonnement. Telle n'est pas la solution retenue, et il faut, je le crois, s'en réjouir.
En faisant de nécessité vertu, en faisant de l'obligation de reprise de cette dette l'occasion de créer un organisme moteur et susceptible d'ambition, le projet de loi échappe à la médiocrité et il ouvre une fenêtre d'air pur à la SNCF. A elle d'en profiter, allégée qu'elle sera du poids de sa dette, qui, très lentement, l'asphyxiait.
Reste RFN, qui donc sera endetté d'autant : nul ne saurait le contester. Non seulement je n'en disconviens pas, mais tous les efforts accomplis par votre rapporteur depuis deux mois, à la suite de l'annonce du report de la discussion du projet de loi, ont tendu uniquement à faire en sorte que cette dette soit compensée par des actifs significatifs et une dotation en capital convenable, de même qu'à s'assurer que les redevances d'usage des infrastructures seront équilibrées pour RFN comme pour la SNCF.
Sous le bénéfice de ces observations, j'invite la majorité du Sénat à repousser la motion opposant la question préalable, pour le vote de laquelle la commission a déposé une demande de scrutin public.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Le dépôt de votre question préalable, monsieur Peyrafitte, repose sur deux erreurs d'appréciation fondamentales.
D'une part, vous indiquez que le Gouvernement va bien au-delà des directives européennes ; d'autre part, vous estimez que la réforme ne prévoit aucun moyen de relance. C'est un double contresens.
En premier lieu, notre réforme n'est pas dictée par des considérations communautaires même si, naturellement, elle s'inscrit dans le cadre communautaire actuel, c'est-à-dire dans celui de la directive qui, comme son numéro le laisse entendre, a été décidée en 1991 sous un gouvernement soutenu, à l'époque, par votre groupe.
M. Jean Delaneau. Eh oui !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. En second lieu, si nous engageons une réforme, c'est tout simplement parce que nous avons estimé qu'il n'était plus possible d'abandonner la SNCF à elle-même, de la laisser s'enfoncer dans un inexorable déclin, dans une forme de mort lente à laquelle l'absence de décision la condamnait.
Si nous engageons la réforme, c'est pour le bien du pays, ce n'est pas pour nous conformer à une exigence communautaire, comme l'ont d'ailleurs souligné à juste titre plusieurs intervenants lors de la discussion générale.
C'est pourquoi la solution que le Gouvernement vous propose à l'issue du grand débat national qui s'est déroulé à travers le pays pendant toute une année est une solution française originale, respectueuse de notre conception du service public.
C'est ainsi en particulier, je le répète une fois encore, que nous avons tenu à préserver l'unité de la SNCF, chargée à la fois de la gestion d'infrastructures et du transport ferroviaire.
Parler de démantèlement, monsieur Peyrafitte, n'est ni sérieux ni responsable.
Alors que les 177 000 cheminots sont concernés par cette réforme et très attentifs à nos débats, il n'est pas raisonnable d'agiter des peurs imaginaires.
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Comment pouvez-vous de même affirmer que notre réforme ne prévoit aucun moyen de relance ?
Les crédits consacrés par l'Etat au transport ferroviaire, hors retraites des cheminots, bien sûr, connaîtront en 1997 une hausse de 30 % par rapport à 1996, ce qui en fera de tous les champs d'intervention publique celui qui connaîtra la plus forte croissance.
Cette hausse est le reflet de notre ambition pour le transport ferroviaire. C'est aussi, malheureusement, le prix à payer pour le retard pris dans la mise en oeuvre de mesures trop longtemps différées.
M. Dominique Braye. C'est vrai !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Il aurait fallu depuis longtemps engager une réforme, soit au début des années 1990, lorsque les principaux pays européens le faisaient chez eux.
M. Dominique Braye. Absolument !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. La lucidité ou peut-être le courage ont alors manqué,...
M. Roland Courteau. En 1995 aussi !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme... et je ne suis donc pas sûr que vous soyez aujourd'hui dans la meilleure situation pour faire le procès d'un gouvernement qui refuse la fuite en avant dans les déficits et dans un endettement qui n'est plus tenable et qui n'est pas compatible avec une ambition justifiée pour le transport ferroviaire.
Aussi, je souhaite, monsieur Peyrafitte, que la Haute Assemblée rejette votre motion tendant à opposer la question préalable. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Je vais mettre aux voix la motion n° 1.
M. Aubert Garcia. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président La parole est à M. Garcia, pour cinq minutes.
M. Aubert Garcia. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je n'aurai pas besoin de ces cinq minutes, car il ne paraît pas utile, en cet instant, de réitérer l'analyse que, depuis hier, nous essayons de faire passer dans cette assemblée. Je voudrais simplement, et très brièvement, répondre à certains des arguments qui ont été avancés par M. le rapporteur et par M. le ministre pour s'opposer à la question préalable.
Monsieur le rapporteur, vous nous objectez d'abord le manque de réflexion dont serait entaché le dépôt de cette question préalable : le projet de loi ayant été déposé le 16 octobre, en déposant cette motion dès le 24 du même mois, nous n'avons pu, selon vous, agir qu'à la légère, obéissant à un simple réflexe.
Mais que faites-vous de nos interventions au cours du débat d'orientation, qui est bien antérieur, des questions que nous avions alors posées et des inquiétudes que nous avions déjà manifestées ? Si nous avons estimé que nous pouvions déposer cette motion aussi promptement, c'est que, dans le projet qui nous a été soumis, nous n'avons trouvé aucune réponse à nos questions et à nos inquiétudes.
En revanche, nous avons considéré qu'il risquait d'ouvrir la porte à des solutions dangereuses pour la SNCF et, quoi que vous en disiez, monsieur le ministre, pour les cheminots.
Vous parlez aussi de dialogue de sourds, monsieur le rapporteur : les socialistes, de même que les autres membres de l'opposition, n'entendraient pas ce que la majorité cherche à exprimer. Mais la réciproque me paraît encore plus vraie ! Chacun semble en fait atteint de surdité sélective dans cet hémicycle ! On le sait bien, il n'est pire sourd que celui qui ne veut entendre. Il est vrai que nous ne parlons pas toujours le même langage, que nous n'avons pas les mêmes options et que, en tout cas, nous n'abordons pas ce débat dans le même esprit.
Nous affichons, nous, des inquiétudes, et vous ne voulez pas les entendre. Au demeurant, quand ce sont des voix émanant de votre majorité qui se risquent, sinon à exprimer des inquiétudes - cela leur est interdit ! -, du moins à soulever quelques questions un peu délicates, vous ne les entendez pas non plus. Par conséquent, la surdité semble plus forte de votre côté !
M. Dominique Braye. Pour dire cela, il faut que vous, vous soyez vraiment sourd ! (Sourires.)
M. Aubert Garcia. Par ailleurs, vous dites : « Toute la directive, rien que la directive. » Mais non, en fait, vous allez plus loin que la directive !
Enfin, nous agiterions des peurs imaginaires. Je vous répondrai qu'il ne fallait pas créer les conditions pour que ces peurs puissent natîre, peurs dont nous avons aujourd'hui à nous faire l'écho.
En conclusion, je ne peux qu'inviter le Sénat à voter la motion tendant à opposer la question préalable (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes. - M. Robert Pagès applaudit également.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 1, repoussée par la commission et par le Gouvernement.
Je rappelle que son adoption aurait pour effet d'entraîner le rejet du projet de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 67:

Nombre de votants 317
Nombre de suffrages exprimés 317
Majorité absolue des suffrages 159
Pour l'adoption 89
Contre 228

Demande de renvoi à la commission