M. le président. Je suis saisi d'une motion n° 2, présentée par Mme Luc, MM. Billard, Leyzour, Minetti et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, et tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi portant création de l'établissement public "Réseau ferré national" (n° 35, 1996-1997). »
Je rappelle que, en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
La parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Leyzour, auteur de la motion.
M. Félix Leyzour. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, en défendant cette motion d'irrecevabilité, c'est l'originalité du service public à la française que je m'attacherai à défendre.
Le service public, dans notre pays, est bien différent de l'idée que l'on peut s'en faire dans les pays anglo-saxons, mais aussi dans la plupart des pays d'Europe, fussent-ils du Sud.
Le service public est un ciment de notre République. Il est porté par un sentiment national fort, car il est le symbole de la prise en compte de la diversité de la société et de son besoin d'union ; un besoin d'union pour imposer une maîtrise publique, sociale et nationale, à l'opposé des seules exigences de la logique marchande.
Pour autant, ne soyons pas naïfs : ce sont bien les forces du marché qui, depuis quinze à vingt ans, ont déferlé sur des secteurs essentiels à la vie de la nation, imposant la déréglementation et la concurrence, et acceptant la rentabilité financière comme seul critère de choix.
L'exemple des télécommunications s'impose de lui-même. On pourrait également ajouter le cas du secteur bancaire, dont la volonté de privatisation et de restructuration est combattue par les salariés.
Le secteur des transports est, bien entendu, largement soumis à cette pression, d'autant que les différents modes n'ont pas évolué de la même manière. La route et l'air ont été livrés à une concurrence sauvage, avec toutes les conséquences que l'on connaît en matière de réduction d'emplois, de montée des coûts externes - pollution, sécurité - de pratique du dumping social.
S'agissant de la route, et surtout des autoroutes à péage, dont la gestion a été confiée à des sociétés privées dont on vante l'efficacité, on a pu, cet hiver, dans la vallée du Rhône, voir comment ces sociétés font face à leur mission : au lieu de mettre en oeuvre les moyens d'un service hivernal normal, elles ferment les autoroutes et envoient les automobilistes sur les routes nationales et départementales, créant ainsi une pagaille monstre qui complique, sur ces routes, les interventions d'un service public aux moyens réduits d'année en année.
Mme Hélène Luc. Bonne démonstration !
M. Félix Leyzour. Le transport ferroviaire est, aujourd'hui, à son tour, sur la sellette. Evidemment, il serait stupide de nier les difficultés du transport public ferroviaire. Toutefois, comme l'ont rappelé mes amis et collègues du groupe communiste républicain et citoyen lors de la discussion générale, on ne peut accepter la réforme proposée car elle est porteuse de nombreuses régressions pour la nation, les citoyens et les salariés.
En premier lieu, avec la séparation en deux entités distinctes, prélude à l'ouverture à la concurrence, c'est notre souveraineté nationale, notre conception du droit au transport qui sont visées. Malgré vos explications, que nous avons écoutées avec attention depuis le début du débat, monsieur le ministre, malgré les affirmations des intervenants de votre majorité, la séparation entre l'exploitation et l'infrastructure a une portée tout autre que la simple reconnaissance par l'Etat de sa responsabilité sur les infrastructures.
L'objet de la création de RFN - peu importe le nom, nous y reviendrons au cours du débat - est de passer un cap sur la voie de la déréglementation, et donc, à terme, de renforcer, qu'on le veuille ou non, le problème de la concurrence rail-route, de conforter le poids des marchés financiers dans l'endettement et le financement du ferroviaire, de permettre la mise en oeuvre des orientations édictées par la Commission de Bruxelles dans son Livre blanc.
Tenter de faire croire que la création de RFN n'est pas un pas vers la déréglementation est une façon de dissimuler les objectifs du projet. Dans un article publié par Futuribles en janvier 1996, Marcel Boiteux, ancien président d'EDF, distingue quatre types de régulation des activités de réseaux. Dans un schéma, on ne peut plus clair, il montre que la séparation entre infrastructures et exploitation aboutit à l'accès des tiers au réseau.
Dans le même sens, le laboratoire de recherche CERAS, de l'université de Reims, a étudié en juillet dernier les conséquences de la séparation comptable entre gestion de l'infrastructure et gestion de l'exploitation ferroviaires. On peut y lire, notamment : « Pour la direction générale de la concurrence, la directive 91-440 ne constitue pas un point d'arrivée, mais un point de départ dans un processus de restructuration, voire dans une stratégie politique d'imposition de cette restructuration... Si la Commission se réserve la possibilité de traiter au cas par cas des situations exceptionnelles, ces exceptions conduiront plus à des processus particuliers d'organisation de la transition vers le libre accès au réseau qu'à la remise en cause du principe général. » Et les auteurs de conclure : « Le principe du libre accès au réseau est, sous des contraintes formelles qui ne gêneront aucun entrant résolu, consacré. »
Le propos néglige l'attachement des Français et des cheminots au service public du transport ferroviaire et leur capacité à modifier certaines trajectoires prévues. Sont d'ailleurs en cause non pas les hommes de la SNCF mais les orientations politiques, les contraintes financières qu'on leur impose.
Le propos que je viens de citer a cependant le mérite d'éclairer les enjeux. Cela confirme en tout cas que la séparation institutionnelle en deux établissements distincts a au moins deux objectifs inavoués : d'une part, une réponse positive aux recommandations de Bruxelles, et, d'autre part, un moyen comptable de tenir le critère de 3 % du déficit public pour faire partie des « élus » à la monnaie unique.
D'ailleurs dans le livre blanc, le Gouvernement ne cesse de dire qu'il s'y oppose fermement, mais alors comment traduire vos propos, monsieur le ministre, vous qui avez jugé les recommandations « inopportunes et prématurées », ce qui laisse tout de même entendre qu'elles pourraient devenir un jour opportunes et d'actualité.
Ainsi, par le biais des dispositions de l'article 90-3 du traité de l'Union européenne, la Commission européenne, instance non élue, rappelons-le, impose la marche à suivre des Etats. C'est ce pouvoir exorbitant qu'il s'agirait de supprimer, car il entre en contradiction avec l'exercice de la souveraineté nationale.
Résister à ce pouvoir exorbitant de la Commission européenne, intervenir, agir pour le supprimer, c'est être contre non pas l'Europe en soi, mais l'Europe qui se met en place, celle de l'ultra-libéralisme, celle de Maastricht, celle de la monnaie unique en lieu et place de laquelle on peut bâtir une autre Europe dont on sent d'ailleurs à travers les mouvements sociaux et les débats politiques sourdre les exigences.
Je ne peux manquer de vous rappeler que, tour à tour, le président de l'Assemblée nationale actuelle et le président de la commission des lois de cette même assemblée se sont élevés contre ce pouvoir de la Commission et ce transfert de souveraineté. Dès lors, ce n'est plus l'Etat souverain qui, par la voix du Gouvernement et du Parlement, décide de la législation, mais l'Etat contraint !
Cette contrainte remet en cause ce que la loi d'orientation des transports intérieurs avait assigné au transport ferroviaire. La LOTI souligne la contribution essentielle du transport ferroviaire à la vie économique et sociale de la nation.
C'est sans doute cette grande idée, qui vise à réguler le transport, à faire prévaloir une maîtrise sociale et publique que vous ne partagez pas avec nous, monsieur le ministre.
Je note votre constance en ce domaine puisque, en décembre 1982, vous étiez le second signataire d'une liste de députés qui avaient saisi le Conseil constitutionnel pour demander l'annulation de certaines dispositions de la LOTI.
Le Conseil constitutionnel ayant rejeté tous les éléments de votre requête, cela donne une force particulière au droit au transport édicté dans la LOTI. C'est dans la voie de la mise en oeuvre pleine et entière de ce droit que vous auriez dû faire des propositions.
Cela passe d'abord par une volonté forte de faire vivre la complémentarité des différents modes de transport, et non de favoriser toujours plus une concurrence destructrice d'emplois, destructrice d'activités pour la nation et destructrice de la qualité du service rendu.
Soulignons, à ce titre, la colère des organisations syndicales des chauffeurs routiers, pour lesquels le Gouvernement refuse de tenir ses engagements. Je crois que cet exemple fera réfléchir les usagers et les cheminots sur toutes les paroles rassurantes prodiguées par le Gouvernement.
A ce propos, j'observe que, d'une part, pour accréditer l'idée que la démarche du Gouvernement est nourrie de bonnes intentions à l'égard des cheminots et du service public, on fait référence à la place de la SNCF, des hommes du rail dans le combat pour le libération, pour le redressement national - c'est l'encens - et que, d'autre part, certains intervenants de droite, qui sont tenus à moins de prudence, disent ici leurs préventions à l'égard du service public, du secteur nationalisé et des salariés de la SNCF accusés de conduire la société nationale à sa perte, alors que, si on les avait écoutés plus tôt, on n'en serait pas là aujourd'hui. Après l'encens, la menace !
M. Jean Chérioux. Et voilà !
M. Félix Leyzour. Eh oui, si on avait écouté nos propositions, nous n'en serions pas là ! Je sens que j'ai fait mouche...
Dans le cadre de la LOTI, le transport ferroviaire s'appuie sur ce que l'on appelle un monopole de fait. Les économies de réseau, d'échelle et d'envergure sont tellement évidentes que cette solution s'est imposée.
Aujourd'hui, c'est ce monopole que vous voulez faire éclater non pour une question d'efficacité économique, mais pour être prêt à donner au privé les segments les plus juteux. L'exemple de la Grande-Bretagne suffit à nous en convaincre.
Pourtant, comme le souligne le professeur Luchaire, éminent constitutionnaliste : « L'alinéa 9 du préambule de 1946 ne permet pas de privatiser une entreprise dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait... Il en résulte qu'une entreprise qui détient durablement des positions privilégiées pour la plus grande partie de ses activités dispose de ce monopole de fait ; le législateur qui la privatiserait commettrait une erreur manifeste d'appréciation à laquelle s'opposerait le Conseil constitutionnel. »
Les conditions réunies des accès des tiers au réseau par la séparation institutionnelle de l'infrastructure et de l'exploitation sont de nature à entraîner leur mise en place mais aussi à sortir du champ public des activités entières de la SNCF.
La privatisation en cours de toute l'activité transport routier de la SNCF, par le biais de sa filiale GEODIS, ne peut-elle pas être le prélude à une privatisation de toute l'activité fret ?
De même, le démantèlement du SERNAM n'est-il pas un indice supplémentaire de la marche vers une privatisation partielle et larvée ?
A mon sens, c'est un danger que le texte que vous nous proposez, non seulement n'écarte pas, mais accentue. C'est un second motif d'irrecevabilité dont je tenais à vous faire part.
L'autre volet du projet de loi qui nous est proposé, la régionalisation, est largement tributaire de la séparation institutionnelle que vous voulez mettre en place.
Je voudrais à mon tour souligner le besoin évident de démocratisation et de décentralisation. Mais la décentralisation et la démocratisation du transport ne sauraient se concevoir dans une perspective de désengagement financier de l'Etat, de diminution de l'offre de transport aux usagers.
Or, chacun sait que la situation structurellement déficitaire de l'établissement public Réseau ferré national conduira, à terme, à des choix douloureux pour les régions.
Dans un tel cadre, l'absence d'un réel système de péréquation est de mauvais augure pour les régions à faible densité de population. Le Conseil constitutionnel reconnaît pourtant, dans sa décision du 25 février 1982 que « les personnes morales de droit public dont les collectivités locales, ont droit à la protection constitutionnelle de l'égalité ».
Il est évident que cette égalité constitutionnelle entre régions recouvre, dans ce cas du droit au transport ferroviaire, l'égalité entre les citoyens de différentes régions. C'est un élément essentiel d'un aménagement du territoire équilibré dont tout le monde parle au Gouvernement sans lui donner une once de réalité.
Nous y voyons donc un autre motif d'irrecevabilité.
Vous l'aurez compris, mes chers collègues, le projet qui nous est soumis s'oppose fondamentalement à la notion de service public « à la française » : il part bien de l'existence d'une dette importante qui hypothèque la vie de la SNCF et toute l'activité ferroviaire ; il déplace la dette, mais il ne la résorbe pas. Il tend à ouvrir, dans des délais qui tiennent compte de l'attachement des Français à leur outil ferroviaire, les sillons aux opérateurs privés.
M. le président. Veuillez conclure Monsieur Leyzour !
M. Félix Leyzour. J'en termine monsieur le président.
Pour se convaincre, de cette ouverture au privé, il suffit d'observer le glissement sémantique qui s'opère au sein de l'entreprise SNCF : la direction ne parle plus d'usager mais de client. C'est le vocabulaire utilisé aussi ici sur les bancs de la droite. (M. Roland Courteau approuve.)
Pour notre part, nous estimons que les activités publiques de réseau ne sauraient s'adresser au consommateur, mais bien au citoyen. La primauté du citoyen exige que ce texte soit jugé irrecevable. C'est pourquoi je vous appelle, mes chers collègues, à adopter la motion que je viens de défendre au nom des sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen.
Contrairement à ce que vous prétendez, monsieur le ministre, le choix n'est pas entre le statu quo, que personne ne défend, ou votre projet de loi qui, sans régler la dette au présent, hypothèque l'avenir. Il existe une solution alternative que nous avons déjà proposée et que nous défendrons à travers nos amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur celles du groupe socialiste.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. François Gerbaud, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Je rappelle que, conformément au 2 de l'article 44 du règlement du Sénat, l'exception d'irrecevabilité a pour objet de faire reconnaître que le texte en discussion est contraire à une disposition constitutionnelle, légale ou réglementaire. Nous en sommes d'accord.
Le groupe communiste républicain et citoyen affirme que le projet de loi n° 35 est contraire au principe à valeur constitutionnelle d'égalité des citoyens sur tout le territoire.
Je me permets d'abord d'observer que le groupe communiste républicain et citoyen n'a pas fait preuve d'une imagination particulièrement débordante en invoquant ce motif puisque le principe d'égalité est le motif, de loin, le plus souvent invoqué depuis la célèbre décision du Conseil constitutionnel du 27 décembre 1973, qui a consacré la valeur constitutionnelle des principes contenus dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Au nom de cette égalité fondamentale, des erreurs ont d'ailleurs été quelquefois commises.
J'ajoute que le Conseil constitutionnel a admis que le principe d'égalité puisse jouer au profit des établissements publics depuis sa décision dite « EDF » du 9 janvier 1980.
Mais le grief de rupture de l'égalité des citoyens est-il réellement opposable au projet de loi qui nous est soumis ? Le moins qu'on puisse dire est qu'on voit mal, dans le texte, quelle pourrait être cette rupture d'égalité que vous invoquez.
L'article 14 du projet de loi relatif à la régionalisation des services régionaux de voyageurs de la SNCF ne fait que mettre en oeuvre l'article 67 de la loi du 4 février 1995, qui a été jugé conforme à la Constitution.
Les autres articles instituent RFN et, avec la meilleure volonté du monde, on ne voit pas bien en quoi ils rompent l'égalité des citoyens. La redevance d'utilisation des infrastructures est déjà, vous le savez, une réalité en matière autoroutière.
La notion d'établissement public industriel etcommercial est l'un des piliers de notre droit. Et je ne vois rien dans les arguments qui viennent de nous être opposés qui pourrait fonder une décision du Conseil constitutionnel.
C'est la raison pour laquelle, mes chers collègues, la commission des affaires économiques vous invite à repousser cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Elle demande, monsieur le président, que le Sénat se prononce par scrutin public.
Mme Hélène Luc. Le groupe communiste républicain et citoyen demande également un scrutin public !
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques et du Plan. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques. Je serai bref. Il est tout à fait clair que cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité est surtout l'occasion de rappeler les thèses du parti communiste - nous le comprenons très bien - qui ne sont évidemment pas les nôtres.
Vous vous êtes placé sur deux terrains, monsieur Leyzour : le service public et le marché ; le service public et l'Europe.
Il y a deux façons de tuer le service public.
M. Félix Leyzour. C'est surtout la vôtre !
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques. Non, c'est la vôtre !
L'une, c'est de vouloir soumettre le service public à la loi aveugle, sans règle, du marché. Ce n'est nullement l'objet du présent texte. L'autre, c'est de nier le marché et de l'opposer au service public.
En cette fin de siècle, la conciliation doit être trouvée. C'est à quoi tend ce projet de loi. Il n'est pas toujours facile de s'engager dans cette voie, mais je vous rappelle que, quand on parle de marché, il s'agit du client, de l'usager. Il importe justement de trouver le moyen qui permette de sauver le service public sans tourner le dos au client, c'est-à-dire au marché.
Il y a également deux façons de tuer l'Europe.
M. Félix Leyzour. Et de la faire !
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques. L'une, c'est de l'attaquer à visage découvert. C'est ce que pendant longtemps vous avez fait et ce qu'aujourd'hui vous ne faite plus. L'autre, c'est de dire : « Votre Europe, je n'en veux pas ! J'en veux une autre, »... qui n'existe pas.
M. Félix Leyzour. Que l'on peut construire !
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques. Vous dites : « Je ne suis pas anti-européen ; simplement, cette Europe-là, celle que l'on bâtit depuis trente ou quarante ans, que toutes les majorités successives ont construite, je n'en veux pas. » (Mme Luc proteste.)
M. Félix Leyzour. Vous, c'est la pensée unique !
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques. Non, au contraire !
Le projet de loi a pour objet d'assurer la survie de la SNCF dans un cadre européen, sans la soumettre à des règles qui la mettraient en danger. Je tenais à faire cette mise au point parce qu'on passe son temps à vivre dans le double langage.
M. Jacques Machet. Bravo !
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques. Ce double langage, c'est celui que vous avez employé, monsieur Leyzour.
M. Dominique Braye. C'est leur spécialité !
M. Félix Leyzour. C'est celui que vous avez utilisé hier, monsieur le président !
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques. Pas du tout !
Ce double langage, il faut le dénoncer ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Félix Leyzour. Je suis pour et j'ai des doutes : c'est cela le double langage !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, rien dans le projet de loi dont le Gouvernement vous a saisis n'est contraire au principe constitutionnel d'égalité des citoyens sur l'ensemble du territoire.
Tout d'abord, ce texte s'inscrit pleinement dans les principes du service public. Ceux-ci sont rappelés expressément à plusieurs reprises dans le projet de loi. Il en est ainsi, en particulier, à l'article 13, qui redéfinit, après création du nouvel établissement public, les missions de la SNCF dans les termes suivants : « exploiter, selon les principes du service public, les services de transport ferroviaire sur le Réseau ferré national ».
Ce même article consacre expressément le principe des concours financiers versés par l'Etat à la SNCF « au titre des charges résultant des missions de service public qui lui sont confiées ».
Dans le cadre de ces principes, il est prévu que le réseau ferroviaire reste national et, en conséquence, que « la consistance et les caractéristiques principales de ce réseau sont fixées par l'Etat » ; il s'agit du premier alinéa de l'article 1er.
Les commissions du Sénat qui ont examiné le projet de loi ont d'ailleurs prévu de préciser à d'autres endroits du texte, notamment dans la définition des missions du futur établissement public, la référence aux principes du service public. A priori, le Gouvernement n'a pas l'intention de s'y opposer.
Cette absence de toute atteinte au principe d'égalité des citoyens sur le territoire vaut également, bien sûr, pour l'article 14, qui précise les modalités de mise en oeuvre de la régionalisation expérimentale des services régionaux de voyageurs de la SNCF.
Je souhaite rappeler, tout d'abord, que le principe de cette expérimentation a été posé par l'article 67 de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995. Or cette loi a été soumise à l'examen du Conseil constitutionnel, qui n'a pas trouvé matière à y redire.
Le principe d'une telle expérimentation a d'ailleurs été mis en oeuvre et validé par le Conseil constitutionnel dans d'autres domaines tels que celui des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel.
Mais les conditions de mise en oeuvre de cette expérimentation ne porteront pas non plus atteinte au principe d'égalité, dans la mesure où la dotation supplémentaire, au titre des services régionaux de voyageurs que l'Etat a décidé de verser aux régions volontaires pour s'y engager, afin d'éviter tout transfert de charges à leur détriment, n'exclut nullement que les autres régions, qui viendraient à s'y engager à l'avenir, en bénéficient de la même manière.
La jurisprudence du Conseil constitutionnel, comme celle du Conseil d'Etat, a toujours interprété le principe d'égalité par référence à la notion de situation comparable : au regard du principe de l'expérimentation, toutes les régions qui entrent dans l'expérimentation, mais seules celles qui choisissent d'y entrer, bénéficient de la dotation supplémentaire versée par l'Etat. Toutefois, les autres régions, monsieur Leyzour, ne se trouvent pas, par définition, dans une situation comparable à la leur.
En revanche, les régions non expérimentales ne sont nullement pénalisées par rapport à leur propre situation actuelle, puisque la SNCF continuera à recevoir de l'Etat la part de la contribution aux services régionaux de voyageurs qui les concernent.
Enfin, je rappelle que la régionalisation expérimentale sera fondée sur le respect des règles de la tarification nationale des chemins de fer.
La liberté donnée en la matière aux régions consistera, comme certaines ont d'ailleurs déjà commencé à le faire dès aujourd'hui...
M. Pierre Laffitte. C'est vrai !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme... au bénéfice, par exemple, des étudiants, à définir quelques tarifs plus favorables que la tarification nationale, moyennant versement à la SNCF d'une compensation par la région qui en décide.
Là encore, les principes du service public se retrouveront, dans la mesure où ces tarifs préférentiels sont fondés sur le choix fait par une collectivité locale d'attribuer à une catégorie d'usagers un tarif particulier, au nom de la mission de service public que représente, pour la collectivité qui en décide, le fait de transporter cette catégorie d'usagers.
M. Pierre Laffitte. Très bien !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Finalement, monsieur Leyzour, en vous écoutant, j'ai eu le sentiment, très sincèrement, que vous vous trompiez de débat. La discussion qui suivra devrait vous le confirmer.
M. le président. Je vais mettre aux voix la notion n° 2.
Mme Hélène Luc. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je souhaite, en explication de vote du groupe communiste républicain et citoyen sur cette motion d'irrecevabilité présentée par mon ami Félix Leyzour dans une excellente intervention argumentée, après Claude Billard, souligner que ni le Gouvernement ni la commission n'ont apporté de réponse satisfaisante à nos interrogations en matière d'égalité devant le transport, donc de respect du principe du droit au transport.
L'inégalité s'instaurera demain entre les habitants des différentes régions, monsieur le ministre, c'est indiscutable, selon les capacités financières de ces dernières à faire face aux besoins. Les cheminots et les usagers en ont conscience. Je connais bien ceux de la région Rhône-Alpes. Des problèmes se posent déjà.
Par ailleurs, aucune garantie n'a été apportée en matière de respect de souveraineté nationale dans un domaine pourtant essentiel, celui du service public de transport ferroviaire.
Ce projet de loi ne règle en rien, je tiens à le réaffirmer, la situation préoccupante des comptes de la SNCF, puisque l'Etat ne s'engage pas, de manière décisive, dans une nouvelle politique, globale, de transport. Au contraire, l'éclatement de la SNCF en deux structures suscite des inquiétudes ou pour le moins des interrogations chez les partisans du service public « à la française ». Ces interrogations sont soulevées par des personnalités de tous bords politiques, notamment hier par M. François-Poncet, président de la commission des affaires économiques. Je vous reconnais le mérite, monsieur François-Poncet, d'avoir dit clairement quel est le sens véritable de cette réforme. Mais qui faut-il croire ? M. Jean François-Poncet qui critique la réforme ou bien le président de la commission des affaires économiques qui dit que tout est bien dans le meilleur des mondes ?
MM. Cabanel et Hérisson se sont également interrogés sur les conditions prévues pour le retour à l'équilibre financier.
Décidément, ce projet de loi ne règle rien ! Il pérennise les difficultés actuelles et s'inscrit dans une logique de déréglementation du service public qui, actuellement, s'oppose aux valeurs de la République.
Le débat parfois vif, mais responsable, que suscitent nos interventions a au moins le mérite de poser les problèmes et d'en discuter à fond. Je regrette, monsieur le président, que, dans cet hémicycle, les groupes de droite ne participent pas davantage à cette discussion.
Nous vous demandons donc, mes chers collègues, de voter cette motion tentant à opposer l'exception l'irrecevabilité, pour permettre l'élaboration, dans une concertation réelle et approfondie, d'une véritable politique de transport pour la France.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 2, repoussée par la commission et par le Gouvernement.
Je rappelle que son adoption entraînerait le rejet du projet de loi.
Je suis saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une de la commission, l'autre du groupe communiste républicain et citoyen.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 66:

Nombre de votants 317
Nombre de suffrages exprimés 317
Majorité absolue des suffrages 159
Pour l'adoption 94
Contre 223

M. Félix Leyzour. C'est dommage !

Question préalable