CRÉATION DE L'ÉTABLISSEMENT
« RÉSEAU FERRÉ NATIONAL »

Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 35, 1996-1997), déclaré d'urgence, portant création de l'établissement public « Réseau ferré national ». [Rapport n° 177 (1996-1997) et avis n° 178 (1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi portant réforme de la SNCF que j'ai l'honneur de vous présenter au nom du Gouvernement a un triple objet.
Il vise d'abord à créer un nouvel établissement public à caractère industriel et commercial qui aura pour objet l'aménagement, le développement et la mise en valeur de l'infrastructure du réseau ferroviaire dans le cadre des principes du service public.
Il tire ensuite les conséquences, dans la définition des mission de la SNCF, de l'existence de ce nouvel établissement public, auquel la SNCF sera d'ailleurs très fortement liée dans l'accomplissement de leurs missions respectives.
Il tend enfin à préciser les conditions du lancement de la régionalisation expérimentale des services régionaux de voyageurs, dont le principe avait été posé par l'article 67 de la loi du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire. Chacun se souvient de la contribution essentielle du Sénat à cette grande loi.
M. Aubert Garcia. On n'en a pas tenu compte !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Avant de vous présenter ce texte, je voudrais, mesdames, messieurs les sénateurs, vous indiquer dans quel esprit a été élaborée la réforme de la SNCF.
Dès ma prise de fonctions, j'ai placé le service rendu à l'usager au coeur de mes priorités.
Cette préoccupation inspire toute mon action, qu'il s'agisse des services de l'équipement ou, bien entendu, de la politique des transports. Je l'ai eue constamment présente à l'esprit tout au long du débat national sur le transport ferroviaire que le Gouvernement a organisé en 1996.
Je le souligne, parce que ce débat a comporté - comme d'ailleurs le projet de loi que le Sénat commence à examiner aujourd'hui - des aspects techniques souvent trop abstraits et ne permettant pas toujours d'avoir une compréhension claire de ce que nous voulons faire.
M. Jean-Luc Mélenchon. Là, c'est clair !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Or, la réforme d'une grande entreprise de service public telle que la SNCF n'a de sens à mes yeux, comme d'ailleurs toute réforme, que si elle est bien comprise et si, à l'arrivée, elle se traduit par un progrès pour ceux à qui ce service s'adresse, c'est-à-dire tous les Français, et aussi pour ceux qui en sont les acteurs, c'est-à-dire les cheminots.
M. René-Pierre Signé. Ce sera difficile de les convaincre !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. La SNCF est en effet une très grande entreprise : créée en 1937, transformée en 1982 par la loi d'orientation des transports intérieurs en établissement public à caractère industriel et commercial, elle est pour les Français en quelque sorte un symbole. Nos concitoyens y sont tous très attachés. Ils ont, à juste titre, le sentiment qu'elle appartient à la nation, dont elle a partagé héroïquement les heures sombres au moment de la bataille du rail, avant d'incarner, la paix revenue, les succès de la technologie ferroviaire française.
Mme Hélène Luc. Eh oui !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Tous les élus, parlementaires mais aussi élus locaux, se montrent très attentifs à ce qui la concerne.
Aujourd'hui, on l'oublie trop souvent, elle transporte en moyenne chaque année environ 800 millions de voyageurs. Bien sûr, cela ne signifie pas que chaque Français prend personnellement le train quatorze ou quinze fois chaque année. Ce chiffre très élevé doit en effet beaucoup à tous ceux qui, en région parisienne, prennent tous les jours le train entre leur travail et leur domicile.
Cependant, tous les Français, je dis bien tous les Français, ont besoin d'un meilleur service ferroviaire, et ils le souhaitent. Voilà pourquoi la réforme de la SNCF s'adresse à la fois à tous les Français et aux cheminots.
Aux Français, qui sont attachés au transport ferroviaire, elle a pour ambition d'offrir demain un meilleur service, c'est-à-dire de meilleurs trains, des correspondances mieux adaptées, non seulement entre trains, mais aussi entre trains, avions et autobus, une information plus complète, des tarifs plus simples, des gares plus accueillantes, etc.
C'est, bien sûr, l'objet du projet industriel actuellement en cours d'élaboration à l'intérieur de la SNCF, sous la responsabilité de son président, M. Gallois. Sa préparation associe de manière très participative tous les cheminots. Il doit permettre d'identifier tous les domaines dépendant directement des personnels de l'entreprise où des progrès sont possibles pour attirer davantage de clients vers le train.
Je tiens à souligner ici que ce projet industriel avance bien, que son texte a été largement débattu et amendé au sein de l'entreprise depuis le mois de septembre dernier, qu'il prévoit de placer le client au coeur de trente programmes d'action prioritaires et de redéployer une partie des personnels vers le contact direct avec la clientèle.
Comme l'a souhaité le Gouvernement, le projet de loi dont nous allons débattre est directement lié à ce projet industriel. En effet, grâce à l'effort sans précédent que représente le très large désendettement de la SNCF et grâce à l'augmentation des crédits accordés à l'infrastructure et aux services régionaux de voyageurs, il crée incontestablement un contexte de nature à redonner aux cheminots une forte motivation pour rendre aux utilisateurs du train un meilleur service.
Aux contribuables - car les Français sont aussi des contribuables - la réforme, à travers leurs représentants dans les assemblées parlementaires, permettra de mieux connaître et de mieux cerner l'utilisation des importants concours publics alloués au transport ferroviaire.
M. Roland du Luart. Très bien !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Désormais, en effet, il sera possible de distinguer facilement ce qui relève, d'une part, de l'entretien et du développement des infrastructures, c'est-à-dire pour l'essentiel des lignes, et, d'autre part, des aides accordées au transport ferroviaire dans le cadre des missions de service public confiées à la SNCF.
Les sommes considérables consacrées chaque année par la collectivité à la SNCF imposent, en effet - et j'y insiste -, de bien clarifier les responsabilités respectives de l'Etat et de la SNCF.
Aux 180 000 cheminots de tous grades et de toutes catégories professionnelles qui font vivre chaque jour la SNCF, ce projet adresse un double message.
Tout d'abord, en réaffirmant les principes du service public et même, dans certains cas, en les explicitant plus clairement que les textes aujourd'hui en vigueur, par exemple lorsqu'il inscrit dans la loi le principe de concours financiers de l'Etat pour les missions de service public de la SNCF, le projet dissipe les craintes parfois exprimées ici ou là de voir disparaître ce qui constitue le service public à la française.
M. Jean-Luc Mélenchon. Sûrement pas !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Par ailleurs, en débarrassant la SNCF de la dette qu'elle avait contractée pour financer l'entretien et le développement de son réseau,..
Mme Marie-Claude Beaudeau. La dette de l'Etat !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. ... ce projet répond directement à une revendication très ancienne, dont le débat national organisé l'an dernier a d'ailleurs fait ressortir la légitimité.
M. Roland du Luart. C'est vrai !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Cette revendication était d'ailleurs très compréhensible, non seulement parce que la SNCF était le seul mode de transport à supporter directement dans ses comptes le financement de son infrastructure, mais aussi parce que le poids écrasant de cette dette privait les cheminots de toute perspective, pour leur entreprise et donc pour eux-mêmes, en anéantissant, en quelque sorte, par avance le produit de leurs efforts.
Enfin, ni le statut ni le régime de retraite des personnels ne sont naturellement, en quoi que ce soit, modifiés par la réforme.
Le projet de loi que j'ai l'honneur de présenter aujourd'hui répond donc à la volonté du Gouvernement de créer les conditions du renouveau du transport ferroviaire dans notre pays.
Au mois de juin dernier, nous avions, Mme Idrac et moi-même, tiré devant vous et avec vous les conclusions du débat national engagé alors depuis plusieurs mois, sur l'initiative du Gouvernement, sur le transport ferroviaire.
Je rappelle, madame Luc, que ce débat a impliqué, tout au long de l'année 1996, les conseils économiques et sociaux régionaux,...
Mme Hélène Luc. Absolument !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. ... les conseils régionaux, le Conseil national des transports, le Conseil économique et social, puis, en juin dernier, le Parlement.
M. Jean-Louis Carrère. Vous n'avez pas tenu compte de leur avis !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Relisez les textes, monsieur le sénateur !
M. Jean-Louis Carrère. Je les ai lus !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. J'ai personnellement reçu, avec Mme Idrac, à de nombreuses reprises, depuis un an, chaque fédération syndicale de cheminots afin de les consulter,...
Mme Hélène Luc. Oui, mais c'est autre chose !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. ... de les informer de l'avancement de notre réflexion et de recueillir leurs observations et leurs suggestions.
Personne ne peut, me semble-t-il, affirmer sérieusement que cette réforme n'a pas été longuement, très longuement, mûrie et concertée. (Très juste ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
Mme Hélène Luc. Pourquoi refusez-vous la consultation du personnel ?
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Je voudrais ici profiter de l'occasion qui m'est donnée pour remercier le Sénat de sa contribution à ce débat. Depuis plusieurs années, votre assemblée a en effet consacré à la situation de la SNCF d'importants travaux, notamment sous l'impulsion de M. Haenel. Ces travaux ont été précieux pour le Gouvernement par la qualité de leurs analyses comme par les orientations qu'ils contenaient, dont beaucoup, j'y insiste, se retrouvent dans la réforme que nous avons préparée.
A l'issue de ce grand débat national, deux conclusions s'étaient imposées à tous, et je dis bien à tous.
Premièrement, le caractère inacceptable, pour la SNCF, pour les cheminots, comme d'ailleurs pour l'Etat, du statu quo.
Dans ses conclusions, la commission Martinand présentait comme « un risque majeur le statu quo, c'est-à-dire la poursuite de la politique d'accompagnement du déclin, malgré des investissements passés très importants, dont la rentabilité s'avère insuffisante, avec le risque d'aggravation des déséquilibres financiers et des tensions sociales. »
Mme Hélène Luc. Personne ne demande le statu quo !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Ce constat n'a fait depuis lors que se renforcer, et je crois qu'aujourd'hui il s'impose réellement à tous.
J'ai ainsi pu constater, en recevant, il y a encore quelques jours, l'ensemble des organisations syndicales de la SNCF, que toutes, je dis bien toutes, sans aucune exception, considèrent désormais que le statu quo est inacceptable.
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est sûr.
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Le Gouvernement pour sa part s'en était convaincu dès le mois de juin de l'an dernier et l'avait d'ailleurs fait savoir au Parlement en présentant les principes de la réforme qui se retrouvent aujourd'hui dans le projet de loi qui vous est présenté.
La deuxième conclusion concernait la nécessité de clarifier les responsabilités respectives de l'Etat et de la SNCF en matière d'infrastructures et, corrélativement, de débarrasser la SNCF de la partie de sa dette correspondant au financement de ces infrastructures.
La raison d'être du nouvel établissement public dont la création est prévue par le projet de loi est en effet de permettre à l'Etat, à travers lui, d'assumer complètement à l'avenir ses responsabilités dans l'étude, le financement et le développement des infrastructures.
A ce titre, cet établissement sera doté d'une capacité d'expertise économique et technique des projets d'investissement distincte de celle de la SNCF. Il contribuera ainsi à éclairer l'Etat avant toute décision de création d'infrastructure nouvelle.
On a parfois critiqué le monopole d'expertise de la SNCF, qui aurait été en quelque sorte juge et partie dans la décision de créer des lignes nouvelles. Il serait plus conforme à la réalité de dire que cette confusion des responsabilités convenait apparemment à tout le monde, du moins dans une vision de très court terme.
Elle permettait en effet à l'Etat de décider d'investissements ferroviaires sans supporter directement les conséquences financières de ses décisions, quitte à critiquer a posteriori, dans certains cas, les prévisions de la SNCF, faute, le plus souvent, d'avoir su les expertiser a priori.
Le nouvel établissement mettra fin à cette confusion.
Pour autant, contrairement à ce qui a parfois été avancé, il n'y aura évidemment aucun démantèlement de la SNCF.
M. Marcel Charmant. A voir !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Le nouvel établissement public sera, en effet, une toute petite structure d'environ 200 personnes alors que, je le rappelle, la SNCF en compte près de 180 000.
Le désendettement de la SNCF de la partie de sa dette liée au financement des infrastructures, sur lequel l'accent a été mis très fortement, n'est donc en réalité que la conséquence logique tirée pour le passé de cette clarification des responsabilités instaurée essentiellement pour l'avenir.
Il est vrai, mesdames, messieurs les sénateurs, que l'importance des sommes en cause explique très facilement l'attention portée par les commentateurs. Ce désendettement porte, en effet, sur 134,2 milliards de francs : le Gouvernement suivra, en proposant sur ce point un amendement, les conclusions de l'audit effectué par un cabinet indépendant pour évaluer la dette d'infrastructure. Ces conclusions n'étaient pas encore disponibles au moment du dépôt du projet de loi : le chiffre de 125 milliards de francs correspondait à une étude interne ayant pour terme la fin de l'année 1995 alors que l'audit qui a été effectué par un organisme indépendant s'est conclu à la fin de l'année 1996.
Si la création de ce nouvel établissement public est dictée, d'abord, par le souci de clarification des responsabilités en matière d'infrastructures, la conviction du Gouvernement est que celui-ci constitue aussi la modalité la plus appropriée pour désendetter la SNCF.
Cette analyse avait d'ailleurs été faite, dans le cadre du débat national, à la fois par le conseil national des transports et par le Conseil économique et social. L'un et l'autre avaient en effet suggéré, dans leurs avis, la création d'une structure nouvelle chargée, pour l'avenir, de la responsabilité, du développement et de la modernisation du réseau ferroviaire et, pour le passé, de l'apurement de la dette d'infrastructure de la SNCF.
L'expérience du service annexe de l'amortissement de la dette, créé en 1990 dans les écritures comptables de la SNCF, avait, en effet, montré les limites de ce genre de solution : alors même que l'Etat avait, en 1990, sorti des comptes principaux de la SNCF 38 milliards de francs de dette, il avait laissé subsister tous les mécanismes de reconstitution rapide de cette dette, entretenant la confusion originelle entre les responsabilités qui relèvent de l'Etat en matière d'infrastructures et les comptes de la SNCF.
Je vais maintenant vous présenter rapidement, mesdames, messieurs les sénateurs, les principaux points du projet de loi, qui seront discutés ultérieurement dans le détail.
Je m'en tiendrai pour l'instant à quatre observations principales.
Première observation : ce texte définit tout d'abord les missions respectives de la SNCF et du nouvel établissement public dont il prévoit la création.
Le nouvel établissement aura pour objet « d'aménager, de développer et de mettre en valeur l'infrastructure ferroviaire ». Comme la SNCF, il s'agit d'un établissement public à caractère industriel et commercial. Comme la SNCF, il sera soumis au contrôle économique et financier de l'Etat et, toujours comme la SNCF, il tiendra sa comptabilité selon les règles applicables aux entreprises.
La SNCF assurera, pour le compte de ce nouvel établissement, la gestion du trafic et des circulations sur le réseaux ferré national, ainsi, bien sûr, que le fonctionnement et l'entretien des installations techniques et de sécurité de ce réseau.
La SNCF conservera donc sa double mission de transporteur ferroviaire et de gestionnaire de l'infrastructure.
Deuxième observation : en contrepartie de la prise en charge par le nouvel établissement public d'une dette vis-à-vis de la SNCF de 134,2 milliards de francs, le projet organise le transfert au nouvel établissement public des biens constitutifs de l'infrastructure ferroviaire, ainsi que des terrains et bâtiments non affectés à l'exploitation des services de transport.
Jusqu'à présent, ces biens appartenaient à l'Etat et ils étaient gérés par la SNCF. Le présent projet de loi prévoit qu'ils seront apportés en pleine propriété au nouvel établissement public, ce qui lui permettra de décider, au sein du conseil d'administration, des actes de gestion de son patrimoine - terrains, bâtiments - sauf en ce qui concerne la consistance du réseau, à propos de laquelle les décisions resteront soumises à l'Etat.
Cette formule apportera simplification et efficacité au fonctionnement de l'établissement public industriel et commercial - et facilitera ses relations avec les collectivités territoriales, en maintenant toute garantie sur l'évolution du réseau.
De son côté, la SNCF demeure, dans les mêmes conditions qu'aujourd'hui, gestionnaire des biens dévolus à l'exploitation du service de transport ferroviaire, c'est-à-dire en particulier des gares et des ateliers d'entretien du matériel roulant, mais aussi des magasins et ateliers de réparation et d'assemblage, des équipements des voies, des immeubles administratifs, des biens affectés au logement et aux activités sociales.
Bien entendu, l'Etat conservera toutes ses prérogatives en matière de définition et de consistance du réseau. Cela signifie que les décisions de création de ligne nouvelle, toute comme les éventuels projets de déclassement continueront d'être soumis à l'autorisation de l'Etat.
Troisième observation : je connais bien l'attention que porte le Sénat à tout ce qui concerne la fiscalité locale, dont la SNCF est un très gros contribuable puisqu'elle a versé, en 1995, 2,3 milliards de francs au titre de la taxe professionnelle, 250 millions de francs au titre de la taxe foncière sur les propriétés bâties et 42 millions de francs au titre de la taxe foncière sur les propriétés non bâties.
Je voudrais souligner que, sur ce point, le projet de loi organise en son article 8 un système de double neutralité.
Il s'agit d'abord d'une neutralité pour la SNCF et le nouvel établissement public, dans la mesure où la somme des impôts payés demain par les deux établissements sera égale à la somme payée aujourd'hui par la SNCF.
La neutralité jouera également pour les collectivités locales bénéficiaires, dans la mesure où le produit fiscal désormais supporté par les deux établissements publics sera réparti entre les collectivités locales dans les mêmes conditions qu'aujourd'hui.
Quatrième observation : l'Etat tirera naturellement les conséquences, dans ses relations financières avec la SNCF, de l'existence du nouvel établissement public.
C'est à lui que sera versée désormais la contribution aux charges d'infrastructures, qui complétera ses autres resssources : dotations en capital de l'Etat, produits de son domaine et péages payés par la SNCF pour l'utilisation du réseau.
De son côté, la SNCF conserve naturellement le bénéfice de tous les autres concours publics qu'elle percevait jusqu'ici, en particulier au titre de ses missions de service public et au titre de ses charges de retraite, concours dont le principe est désormais prévu par la loi.
Certains s'interrogeront peut-être sur la complexité de ce dispositif.
La conviction du Gouvernement est qu'elle est plus apparente que réelle et qu'elle constitue en quelque sorte, cela paraît peut-être paradoxal, le prix à payer pour clarifier les missions respectives du responsable de l'infrastructure et du transporteur ferroviaire.
En outre, l'avant-projet de décret relatif aux missions et au statut du nouvel établissement public prévoit que la SNCF passera avec lui une convention qui précisera leurs relations.
Enfin, cinquième observation : le projet de loi précise les modalités de mise en oeuvre de la régionalisation expérimentale des services régionaux de voyageurs, dont le principe avait été posé par la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire.
A cet égard, je voudrais simplement rappeler que, grâce à la dotation de 800 millions de francs inscrite dans la loi de finances initiale pour 1997, qui s'ajoute à la contribution versée jusqu'ici au titre de ces services, l'expérimentation se déroulera sans aucun transfert de charges pour les six régions concernées.
Je rappelle également que la mise en oeuvre de cette expérimentation passe par l'élaboration dans chaque région concernée de deux conventions : la première, signée entre l'Etat et la région, a pour objet de délimiter ces services ; la seconde, signée entre la région et la SNCF, vise à définir la consistance et les conditions de fonctionnement de ces services.
Avant de conclure, je souhaiterais remercier chaleureusement le rapporteur désigné sur ce texte par votre commission des affaires économiques, M. François Gerbaud.
Celui-ci m'avait demandé, en novembre dernier, de reporter de quelques semaines l'examen de ce projet afin, d'une part, de dissiper les malentendus qui, selon sa propre expression, paraissaient « à tort ou à raison » subsister dans certains esprits sur les objectifs de la réforme et, d'autre part, de permettre au Gouvernement - cela correspondait d'ailleurs à un souhait que j'avais formulé - d'approfondir, en liaison avec le Sénat, certaines modalités d'application.
M. le Premier ministre a bien voulu, sur la proposition de Mme Idrac et de moi-même, faire droit à cette demande.
Je crois pouvoir dire que ces quelques semaines ont été très utilement mises à profit, tant par le Sénat que par le Gouvernement, et je voudrais en donner trois témoignages.
Tout d'abord, pendant ces quelques semaines, a pu être achevé l'audit d'infrastructure commandé à une cabinet indépendant, ce qui nous a permis de préciser le montant de la dette d'infrastructure de la SNCF, dont le projet de loi prévoit le transfert à la charge du nouvel établissement public. Je rappelle que ce montant est de 134,2 milliards de francs.
Ensuite, nous avons pu ajuster à 8 milliards de francs le niveau de la dotation en capital dont bénéficiera cet établissement public en 1997, somme qui lui permettra de partir sur des bases solides pour remplir l'ensemble des missions qui lui sont dévolues.
Enfin, nous avons pu élaborer les avant-projets de trois décrets d'application de la loi, ce qui a permis, fait exceptionnel, de les présenter au Parlement et aux organisations syndicales avant même le vote de la loi. C'est, je crois, une première.
M. Marcel Charmant. Et si la loi n'est pas votée ?
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Tout cela marque l'aboutissement d'un processus de concertation et de transparence sans précédent dans ce secteur.
Je voudrais donc remercier les deux rapporteurs désignés par le Sénat, M. Gerbaud, rapporteur au fond, et M. Haenel, rapporteur pour avis, qui nous ont aidés l'un et l'autre, pendant ces quelques semaines, à perfectionner le dispositif de notre réforme.
J'y vois, pour ma part, mesdames, messieurs les sénateurs, une forme exemplaire de coopération entre votre assemblée et le Gouvernement, qui laisse fort bien augurer, à mes yeux, les conditions dans lesquelles va se dérouler le débat législatif qui s'engage aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. François Gerbaud, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, lorsque la commission des affaires économiques et du Plan de notre assemblée m'a mandaté pour être l'un des « passagers » de la réforme, me revint à la mémoire ce mot de Paul Valéry : « Le futur n'est plus ce qu'il avait l'habitude d'être. »
C'est à ce débat qui commence que j'offre cette dédicace, tant il est vrai que, pour préparer la SNCF au choc du futur et aux responsabilités du présent, il fallait changer les habitudes d'exister de ce grand service public.
C'est dans cet esprit que la commission des affaires économiques a conduit son analyse.
Elle y a manifesté le souci de bien intégrer le projet de réforme ferroviaire au nombre des nécessaires modernisations des transports.
En effet, après les dockers et les transports routiers, en 1992, la batellerie, en 1994, le transport aérien, en 1995, le moment est donc venu, pour le Sénat, de faciliter l'adaptation du service public ferroviaire à la nouvelle donne de l'économie.
La commission considère que confier le réseau ferré français, propriété de l'Etat, à un nouvel établissement public qui en délègue par l'esprit et par la lettre la gestion exclusive et l'exploitation exclusive à la SNCF est une saine et indispensable clarification des compétences et des responsabilités.
Disant cela, je pense en particulier à celles de l'Etat. En reprenant aujourd'hui la dette de l'infrastructure, il s'offre en quelque sorte à lui-même ce constat : ayant renoncé pendant plusieurs décennies à financer les grands investissements ferrés d'hier, il a accompagné la SNCF, qui n'en avait guère besoin, jusqu'aux limites d'une dette abyssale.
Votre projet, monsieur le ministre, met un terme à cette dérive, et c'est tout votre mérite.
Cependant, pour en arriver là, il aura fallu la grande grève de la fin de 1995. Celle-ci a laissé des traces profondes à la SNCF, parmi ses clients et dans la population, qui en garde souvenirs et craintes.
Comme souvent en France, où les réformes et le changement procèdent de fractures, cette grève, véritable électrochoc, a été à l'origine d'un débat d'une ampleur exceptionnelle ; elle doit donc être source d'un renouveau.
Elle a révélé au grand jour qu'une certaine forme d'organisation du travail avait vécu : monolithisme de l'entreprise, cogestion syndicale de fait, éloignement des dirigeants et des employés, indifférence trop fréquente à l'égard des usagers.
Mais l'heure n'est plus au diagnostic ; elle n'est pas davantage aux critiques, et il ne me paraît pas nécessaire d'en rajouter ! C'est maintenant une ordonnance médicale que nous avons en quelque sorte à dresser. Je m'y tiendrai. Je ne serai, dans cette affaire, je vous le dis, ni avocat, ni procureur !
Avec ce projet de la loi, la SNCF fait peau neuve. Soixante ans après sa naissance, se donne ainsi un laissez-passer pour 2010. Après la nationalisation, en 1937, la reconstruction, entre 1944 et 1947, la loi d'orientation des transports intérieurs, en 1982, voici, d'une certaine façon, la quatrième mue du ferroviaire français.
Il s'agit d'une réforme délicate. Personne ne s'y trompe parmi nous, je le sais.
En vérité, on ne réforme pas la SNCF comme n'importe quelle entreprise, pour la simple raison qu'elle n'est comparable à aucune autre.
D'abord, ses agents sont profondément attachés à l'unicité et à l'unité de la SNCF.
Mme Hélène Luc. Absolument ! Mais il faut en tirer les conclusions !
M. François Gerbaud, rapporteur. La culture cheminote, transmise de génération en génération, y est une réalité vivante. L'encadrement des organisations professionnelles y est puissant.
Ensuite, la SNCF appartient à l'histoire et même à l'imaginaire de notre nation. Auréolée de la gloire acquise dans la « bataille du rail », héroïne de la Résistance, décorée de la Légion d'honneur, la SNCF, citée à l'ordre de l'armée dès 1940, puis à l'ordre de la nation le 4 mai 1951, reste un des fleurons du patrimoine national.
Certes, pour les Français les plus jeunes, et peut-être pour certains d'entre nous, ces faits, qui appartiennent à l'histoire, peuvent paraître bien éloignés. Mais nul d'entre nous, ni vous, ni moi, ne peut se pencher sur le sort de la SNCF sans voir, dans le lointain, le cortège des 8 938 morts et 15 977 blessés qu'elle a donnés à la patrie ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Hélène Luc. Ça, c'est vrai ! Beaucoup de cheminots se sont sacrifiés pour la patrie !
M. François Gerbaud, rapporteur. La SNCF est peu comparable à d'autres entreprises parce que, enfin, la sécurité des circulations sur son réseau est ressentie comme une obligation par le corps social, qui exige le risque « zéro » et accueille tout incident, tout retard ou toute inadaptation aux risques naturels comme une tragédie. Nous en avons fait l'expérience au début de ce mois, et l'un des nôtres plus particulièrement.
Nul ne saurait donc prétendre réformer la SNCF sans prudence ni gravité.
Mais, dans le même temps, l'endettement catastrophique accumulé progressivement en une quinzaine d'années a provoqué la démotivation d'une partie des personnels, qui ne voient pas pourquoi des efforts renouvelés lui sont demandés alors que l'entreprise s'enfonce de plus en plus dans le déficit. Une remotivation s'impose donc d'urgence. Nous la souhaitons au rendez-vous du projet industriel et commercial que le président Gallois lui donne.
Les personnels sont inquiets. La préparation de mon rapport m'a permis de vérifier l'existence de cette inquiétude. Il faut donc la dissiper et montrer que le « non-dit » ou les « arrière-pensées » n'ont aucune chance de l'emporter sur la lettre de la réforme.
Dès la fin de la grève de 1995, le dialogue social a été de nouveau engagé au sein de la SNCF. Le Gouvernement, sur la base du rapport Martinand, élaboré par des experts, a lancé, de février à mai 1996, un débat national sur la SNCF.
Les organisations professionnelles, réticentes ou, pour certaines d'entre elles, opposées à la réforme, ont été informées et largement associées.
Les conseils régionaux et leurs conseils économiques et sociaux, de même que les conseils généraux, ont été consultés. Le Conseil économique et social a rendu un rapport. Le Conseil national des transports a été saisi de deux demandes d'avis. L'Assemblée nationale et le Sénat ont été, au mois de juin dernier, le cadre de débats d'orientation dont chacun a pu apprécier la grande qualité.
Le projet nous est ainsi parvenu en octobre 1996, mais force m'a alors été de constater, à la faveur de mes entretiens - et je remercie M. le ministre de l'avoir rappelé -, qu'il n'était pas mûr sur le plan financier. J'ai donc pris sur moi de demander un supplément d'information et un délai m'a été accordé ; je vous en remercie beaucoup, monsieur le ministre.
Mme Hélène Luc. Les cheminots vous ont tout de même aidé à l'obtenir !
M. François Gerbaud, rapporteur. Durant deux mois, j'ai revu l'ensemble des organisations syndicales représentatives des personnels dont, je dois le dire, le sérieux et l'approche constructive m'ont frappé. J'ai encore rencontré le président de la SNCF, ainsi que vous, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat. Qu'il me soit permis de rendre ici hommage à votre prudence et à votre sens de l'Etat et de vous remercier, ainsi que vos collaborateurs, de l'accueil que vous m'avez réservé.
Je tiens à vous dire aussi que vous avez innové de manière exemplaire. En communiquant à vos interlocuteurs et au Parlement les projets de décret qui vont accompagner la loi, vous avez pris l'initiative d'une totale et loyale transparence. Craignant parfois que les décrets d'application, aux frontières toujours difficiles à définir du législatif et du réglementaire, ne soient pas l'exacte traduction de nos lois, nous ne pouvons que nous réjouir de cette première, qui, espérons-le, fera jurisprudence gouvernementale !
Au total, je veux ici le souligner, rarement projet de loi aura fait l'objet d'une préparation aussi largement concertée.
Le contenu de la réforme vient de nous être exposé en détail. Je n'y reviens pas. Je voudrais seulement souligner combien cette réforme s'articule avec celle que nous avons eue à examiner à la fin de 1994 : la relance d'une politique d'aménagement du territoire digne de ce nom.
La commission des affaires économiques, qui a pris une part décisive à la loi d'aménagement du territoire, sous la houlette de M. le président Jean François-Poncet, ne peut être que très favorable à une telle réforme.
Quelle est l'approche que vous propose notre commission ? Elle repose sur six idées.
Première idée : donner du « souffle » à la réforme.
Le projet de loi, dans sa rédaction actuelle, nous paraît - je m'en suis souvent ouvert à vous, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat - un peu « sec » : il manque de « souffle ».
C'est la raison pour laquelle la commission des affaires économiques proposera d'y intégrer des références explicites aux principes du service public, à la protection de l'environnement, à l'aménagement du territoire et à la promotion du transport ferroviaire dans notre pays.
C'est aussi la raison pour laquelle elle vous invitera à faire expressément mention de trois grands textes fondateurs : la loi d'orientation des transports intérieurs de 1982, la loi de décentralisation de 1982, la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire de 1995.
C'est encore la raison pour laquelle le Sénat souhaitera, sans doute, faire de l'établissement public un vrai service concepteur, capable d'une expertise autonome et chargé de mettre en oeuvre le schéma national du transport ferroviaire prévu par la loi de février 1995.
C'est enfin pourquoi la commission des affaires économiques proposera d'appeler le nouvel établissement public « France Rail », au lieu de RFN.
La deuxième idée, c'est qu'il importe de contribuer à la remotivation des personnels de la SNCF.
En effet, la réforme ne connaîtra le succès que si les personnels s'engagent. Rien ne pourra se faire sans eux, car on ne réforme pas la SNCF sans impliquer les cheminots. Il faut le leur dire et le leur faire comprendre : le dialogue social doit être intensifié et des garanties doivent être apportées. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
A cette fin, le Sénat doit, aux yeux de la commission des affaires économiques, consacrer trois principes : le maintien sous statut SNCF des agents de l'entreprise détachés auprès de RFN, le volontariat des détachements vers RFN des agents de la SNCF, et, plus généralement, le maintien des statuts de l'ensemble des personnels de la SNCF.
La troisième idée, c'est qu'il convient de clarifier les modalités de transfert des biens.
Dans sa rédaction actuelle, le projet de loi est relativement imprécis s'agissant de la nature des biens transférables à RFN et des modalités de leur inventaire. Le risque existe d'introduire un biais, voire d'ouvrir un litige.
La commission m'a donc chargé, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, de vous demander d'apporter des garanties sur ce point et de nous assurer de la vigilance du ministère sur cette question essentielle de l'inventaire des biens transférables à RFN.
La quatrième idée, c'est qu'il faut faciliter la rationalisation de la gestion de la SNCF.
Pendant trop longtemps, la SNCF n'a cru, pourrais-je dire en simplifiant, qu'en ses ingénieurs et en la prouesse technique. Or il n'y a pas que cela : il y a la clientèle à reconquérir, la gestion financière à améliorer, un système comptable à mettre en place d'urgence, outil nécessaire à une indispensable lisibilité des comptes.
La mise en place d'une comptabilité digne de ce nom est la première des priorités pour la SNCF comme pour RFN, afin de permettre de calculer précisément les coûts complets de revient et d'assurer un vrai pilotage en matière d'infrastructures et d'exploitation.
De ce point de vue, la reprise de la dette de la SNCF pour un montant significatif est une des conditions du succès de la réforme. En prenant mon bâton de pèlerin depuis novembre dernier, j'ai pu obtenir du Gouvernement, sur la foi de l'audit qui lui a été remis - et je vous remercie vivement de cette avancée, monsieur le ministre - que ce montant, qui était de 125 milliards de francs, soit porté à 134,2 milliards de francs. La commission des affaires économiques a souhaité déposer un amendement à ce sujet.
En outre, il faudra au départ assurer à RFN une dotation en capital de la part de l'Etat qui soit suffisante. Comme vous l'avez vous-même indiqué, monsieur le ministre, le chiffre de 8 milliards de francs sera atteint pour 1997, et je vous remercie là encore d'avoir obtenu 5 milliards de francs supplémentaires par rapport au montant qui nous fut proposé en octobre dernier.
J'en arrive à la cinquième idée : assurer une compensation intégrale des charges financières résultant de la régionalisation.
La commission a en effet souhaité qu'une compensation intégrale des charges imposées aux régions expérimentant la régionalisation des services de voyageurs soit assurée par l'Etat, car il faut les préserver de toute mauvaise surprise financière due à la réforme.
A terme, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, une référence explicite aux lois de décentralisation de 1982 devra pouvoir être faite. En outre, l'expérimentation devra pouvoir être réversible, et un amendement, qui recueille l'accord des présidents de région, sera soumis au Sénat sur ce point.
Enfin, sixième et dernière idée, il faut, s'agissant de la consistance du réseau, consacrer le rôle régulateur des collectivités locales.
Si, comme cela a été rappelé, l'Etat conserve la compétence exclusive pour déterminer la consistance du réseau, la commission des affaires économiques a souhaité réaffirmer l'obligation de consultation préalable de la région, du département et des communes concernées, afin d'éviter toute fermeture intempestive de ligne. Ainsi, nous sommes en harmonie avec les lois de décentralisation, oeuvre essentielle du Sénat.
En conclusion, mes chers collègues, la commission des affaires économiques vous demande de voter le projet de loi, sous réserve de l'adoption des vingt-quatre amendements que j'aurai l'honneur de défendre. Sachez qu'elle considère ce texte comme un aboutissement, mais aussi comme un commencement.
Mes chers collègues, il appartient aujourd'hui au Sénat, dépassant les non-dits de toute sorte, de rendre la SNCF capable de saisir la chance historique que représentent l'allégement de sa dette et la prise en charge de son infrastructure, de mettre les cheminots en situation d'être des gagnants et de leur permettre de ne pas rater, sur le quai de l'imaginaire, la correspondance pour le xxie siècle. (Sourires et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Jean Faure remplace M. René Monory au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis de la commision des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 1992, à une époque où l'on s'intéressait peu ou pas à la SNCF, j'avais obtenu que le Sénat engage une réflexion sur l'avenir de cette entreprise, par le biais d'une commission d'enquête portant sur sa situation financière, certes, mais aussi sur ses missions de service public et sur son rôle éminent en matière d'aménagement du territoire, ainsi que sur ses liens avec les collectivités locales. Les travaux de cette commission, que j'avais menés avec notre collègue Claude Belot et quelques-uns d'entre vous, présents de gauche à droite de l'hémicycle, ...
M. Jean-François Le Grand. Ils sont plus nombreux à droite !
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis. ... avaient débouché sur de nombreuses propositions, et je rappelle que le rapport avait été adopté à l'unanimité.
Mme Hélène Luc. Cela ne prouve rien pour le débat d'aujourd'hui !
M. Jean-François Le Grand. C'est vrai !
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis. Je reviendrai en particulier sur trois de ces suggestions, qui ont été retenues par le Gouvernement.
Tout d'abord, nous avions souhaité que l'Etat assume la plénitude de son rôle vis-à-vis de la SNCF.
M. Félix Leyzour. Très bien !
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis. Ensuite, nous avions consacré de longs développements aux relations entre la SNCF et les régions, et proposé un partenariat renouvelé.
Enfin, nous avions suggéré que la SNCF se dote d'un véritable projet d'entreprise. (M. Félix Leyzour opine.)
Or je retrouve ces propositions dans les trois piliers de la réforme dont nous débattons aujourd'hui : la création d'un établissement public nouveau manifeste bien, à mes yeux, la volonté de l'Etat d'assumer ses responsabilités dans la définition et le financement du réseau, et la régionalisation rapprochera les services régionaux de voyageurs de leur clients. Enfin, le projet industriel mené sous la houlette du président Gallois et grâce aux efforts de l'ensemble des cheminots rendra à nos concitoyens, j'en suis certain, le goût du voyage en chemin de fer.
Je crois donc qu'il n'est pas exagéré de dire qu'il s'agit de la plus importante réforme ferroviaire depuis 1937. Pour l'entreprise, engagée dans une spirale dépressive mortelle, c'est une véritable renaissance.
La commission des finances a demandé à être saisie pour avis du projet de loi portant création de l'établissement public « Réseau ferré national » en raison des incidences considérables - je dis bien « considérables » - de la gestion de la Société nationale des chemins de fer français sur les finances publiques.
De ce point de vue - M. le ministre vient de le souligner, ainsi que mon collègue François Gerbaud la réforme proposée est de grande ampleur.
Je rappelle que l'effort de la nation en faveur de la SNCF s'élève chaque année à 50 milliards de francs et qu'après la réforme - donc dès cette année - ce chiffre sera porté à près de 60 milliards de francs dans un premier temps.
Le débat très nourri que nous avons eu mercredi dernier au sein de la commission des finances a montré l'intérêt porté par tous nos collègues à ce dossier et, je crois, l'utilité de la saisine de la commission des finances.
Après les excellents propos que vient de tenir M. François Gerbaud, je me limiterai à l'analyse des conséquences financières du projet de loi, m'en remettant, pour l'appréciation sur le fond de la réforme, que j'approuve totalement quant à ses principes, au rapport de la commission des affaires économiques. Je me rallie d'ailleurs en tout point à ce que vient de dire M. Gerbaud au nom de celle-ci.
Pour schématiser, je dirai que la réforme comporte un objectif, quatre acteurs et trois volets.
S'agissant de l'objectif, on peut dire que la réforme de l'organisation des chemins de fer en France contenue dans le présent projet de loi est exclusivement motivée par la volonté de favoriser le redressement de la SNCF et le renouveau du transport ferroviaire dans notre pays.
Sur le plan technique, la SNCF - il faut une fois de plus le souligner - est l'une des meilleures entreprises ferroviaires au monde, sinon la meilleure. Le déclin des chemins de fer sur une longue période en matière de fret, la stagnation qu'ils connaissent pour ce qui concerne le transport de voyageurs, malgré des investissements considérables, sont des phénomènes européens, voire mondiaux.
Une étude du ministère japonais des transports effectuée en 1995 montre d'ailleurs que la compagnie nationale, la JNR, connaissait, voilà dix ans, des difficultés comparables à celles auxquelles la SNCF est confrontée aujourd'hui. La situation des chemins de fers japonais mérite que l'on s'y attarde quelques instants, car les analogies sont frappantes, dans ce domaine, entre la France et ce pays si éloigné des querelles franco-françaises et de l'oeil de Bruxelles.
Ainsi, de 1955 à 1985, la JNR a vu ses parts de marché s'écrouler de 55 % à 23 % pour le transport de passagers et de 52 % à 5 % pour le fret. Par ailleurs, sa masse salariale représentait en 1986 78 % de ses recettes, bien que le nombre de ses salariés fût passé de 430 000 en 1977 à 220 000 en 1986.
Malgré le déclin du transport ferroviaire, le montant des investissements avait pourtant continué de croître fortement - les Japonais ont aussi leur TGV, le Shinkansen - et la dette de la JNR s'élevait, fin 1986, à l'équivalent de 1 700 milliards de francs, soit davantage, à l'époque, que les dettes du Brésil et du Mexique réunies ! Aux chiffres et aux dates près, comment ne pas être frappé par la similitude des situations ?
Pour relativiser encore les choses, il faut dire aussi qu'en termes de parts de marché, le rail français tire plutôt mieux son épingle du jeu que ses partenaires européens. En effet, le trafic assuré par la SNCF a davantage décru dans les quinze dernières années, mais elle conserve des parts de marché plus importantes : 8 % pour les voyageurs et 24 % pour les marchandises, alors que la moyenne européenne est respectivement de 6,6 % et de 15 %.
Or, tous les pays industriels confrontés au déclin de leur transport ferroviaire ont réformé l'organisation de leurs chemins de fer. Chaque pays l'a fait de façon adaptée à ses contraintes, en segmentant les entreprises par métier, comme en Allemagne, ou selon des critères géographiques, comme au Royaume-Uni ou au Japon.
La France doit procéder elle aussi à cette réforme, mais à sa manière. Il y va de l'autonomie de son transport ferroviaire et de celle de son industrie ferroviaire. En effet, si nous perdions cette indépendance, des entreprises comme la Deutsche Bahn pourraient assurer ce service en France, en faisant travailler non plus Alcatel-Alsthom, mais Siemens. Les exemples étrangers nous montrent certes la voie, mais aucun d'eux ne constitue pour nous un modèle ; ce projet de loi le démontre, comme l'ont parfaitement exposé M. le ministre et M. le rapporteur.
La France doit donc impérativement se mettre en situation de compétitivité.
Il n'apparaît pas que ce texte soit présenté, comme d'aucuns le suggèrent, pour répondre à des décisions bruxelloises et qu'il soit la porte ouverte à l'entrée de la concurrence sur le réseau national. Sortir la SNCF de l'ornière où elle se trouve, inverser la tendance au déclin du transport ferroviaire dans notre pays sont des défis qui se suffisent à eux-mêmes. Au demeurant, la réforme qui a eu lieu au Japon et que je citais tout à l'heure ne répondait, et pour cause, ni au souci de s'ouvrir à la concurrence étrangère, ni à une quelconque directive européenne ! Il s'agit, là-bas comme ici, d'un véritable choix de société, qui me paraît dépasser, et de loin, ce type de préoccupation.
M. Charles Descours. Très bien !
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis. Pour tendre vers cet objectif, quatre acteurs sont en place : l'Etat et la SNCF, mais aussi les régions et, demain, Réseau ferré national, que nous rebaptiserons sans doute au cours de nos débats.
Chacun aura un rôle précis à jouer. L'Etat continuera de fixer la consistance et les caractéristiques du réseau. La SNCF sera le transporteur et le gestionnaire délégué unique des infrastructures. Les régions pourront devenir autorités organisatrices des services intrarégionaux et, tôt ou tard, elles deviendront, tel est mon souhait en tout cas, dans un deuxième temps, autorités coordinatrices des autres autorités organisatrices des transports quotidiens de proximité, c'est-à-dire les transports urbains, suburbains et ruraux - mais cela fera l'objet d'un autre débat. Ce sera l'application concrète des schémas régionaux des transports, qui donneront enfin consistance en région à une politique régionale des transports de voyageurs. RFN, ou France Rail - on l'appellera comme on voudra - jouera le rôle que l'Etat aurait dû assumer de concepteur, de maître d'ouvrage et, surtout, de financeur de l'infrastructure.
La réforme crée des relations financières entre ces acteurs et doit être appréciée en fonction de ce qu'on peut anticiper de la future situation financière de chacun d'eux. A cet égard, le niveau des différents paramètres financiers, qui n'est pas fixé par le présent projet de loi, à l'exception de la dette de RFN envers la SNCF, est d'une importance décisive. J'y reviendrai. En novembre dernier, je vous avais dit, monsieur le ministre, qu'il ne m'était pas possible de rapporter devant la commission des finances sans avoir des indications précises sur les chiffres de la réforme. C'est maintenant chose faite.
Comment cet objectif et ces quatre acteurs vont-ils s'articuler ? Ils se répartiront en trois volets, que j'ai déjà évoqués au debut de mon intervention, comprenant un double mouvement en capital entre RFN et la SNCF, un transfert de compétences aux régions et, enfin, un projet industriel, celui de la SNCF. J'observe que, dans cet ensemble, le projet de loi n'est qu'une pièce, certes importante, parmi d'autres : le projet industriel incombe, sous l'impulsion du président Gallois, à la seule SNCF - et nous savons qu'il est déjà bien avancé - de même que la reconquête commerciale. La régionalisation des services régionaux de voyageurs a déjà été décidée par la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire ; elle est concrètement engagée en Rhône-Alpes ; elle le sera bientôt dans les régions Alsace, Pays de la Loire, Centre, Nord - Pas-de-Calais et Provence-Alpes-Côte d'Azur. Seule la création de Réseau ferré national ne dépend que du projet de loi.
Réseau ferré national se voit transférer la pleine propriété des infrastructures de transport, qui, rappelons-le sans cesse, appartiennent à l'Etat, et non à la SNCF. Elles sont évaluées à 134,2 milliards de francs par un cabinet d'audit indépendant. RFN reprendra le même montant de dette à la SNCF. Tout l'art du projet de loi réside dans ce double mouvement : la création de Réseau ferré national efface le déficit accumulé par la SNCF pour le financement indû de l'infrastructure et supprime la source principale de ses difficultés financières. Je rappelle que les deux tiers de la dette de la SNCF sont imputables au financement de l'infrastructure et que, en temps ordinaire, la quasi-totalité de son déficit annuel est liée à l'infrastructure ; je mets à part le cas exceptionnel de l'année 1995 au cours de laquelle la grève a occasionné 5 milliards de francs de déficit.
La SNCF est ainsi déchargée du poids du passé et libérée pour l'avenir des entraves qui anéantissaient ses efforts et démoralisaient son personnel. C'est une différence fondamentale avec les contrats de plan précédents, qui ne la mettaient pas structurellement en situation d'équilibre. Il est normal que la collectivité prenne en charge les infrastructures, et RFN, n'est, à cet égard, qu'un démembrement de l'Etat. RFN n'en doutons pas, permettra à ce dernier de plus et mieux jouer son éminent rôle dans ce domaine.
La régionalisation des services régionaux de voyageurs permettra, à terme, d'éponger le déficit que ces services laissent à la charge de la SNCF. La rationalisation de leur gestion qui en résultera adaptera l'offre de transport à la demande des usagers. Elle ne se traduira pas par une régression du transport ferroviaire, comme le redoutent d'aucuns : bien au contraire, l'amélioration de la qualité de l'offre ferroviaire, mieux adaptée, devrait le faire progresser. Compte tenu des avantages d'intérêt général procurés par la voie ferrée par rapport à la route, les exécutifs régionaux auront à coeur, j'en suis certain, de la développer, mais avec un réalisme accru.
Enfin, par leur projet industriel, les cheminots, tous les cheminots - car rien ne peut se faire sans eux - feront retrouver aux familles et aux entreprises françaises le chemin du train, le goût du train. L'ambitieuse politique commerciale définie au printemps dernier a déjà porté ses fruits au quatrième trimestre de 1996. Chacun prend ainsi peu à peu conscience que cet effort serait vain si RFN n'était pas créé, et c'est un des mérites du report de l'examen du projet de loi que d'avoir fait mûrir les esprits sur ce point.
Les trois volets de la réforme sont donc indissociables.
Cependant, si, dans ses principes, la réforme doit réussir, beaucoup dépend du niveau retenu pour les différents paramètres financiers. Je vous renvoie à mon rapport, dans lequel sont décrits en détail les différents flux. Parmi eux, quatre chiffres revêtent une importance particulière : celui de la dette reprise par RFN bien sûr, mais aussi celui du péage acquitté à RFN par la SNCF, celui de la compensation forfaitaire attribuée par l'Etat aux régions et, surtout, celui de la contribution de l'Etat aux charges d'endettement de RFN, seul apport financier entièrement nouveau dans le circuit. Le report de la discussion, et c'est un autre de ses mérites, monsieur le ministre, a été mis à profit pour préciser ces différents paramètres, et surtout, je crois, pour les fixer à un niveau réaliste, si bien que les conditions de la réussite de la réforme se réunissent peu à peu.
Comme notre collègue M. François Gerbaud, j'ai fait valoir au Gouvernement que la réforme ne pourrait avoir d'effets positifs si le jeu était à somme nulle au départ : la situation financière de la SNCF est désespérée, la répartir entre l'entreprise et RFN ne la rendrait pas saine par miracle. Il fallait donc s'attendre à un effort significatif de l'Etat dans l'immédiat pour soutenir le fonctionnement de RFN, mais aussi la charge de sa dette à l'égard de la SNCF et les investissements nouveaux qui, tels que le TGV Est-européen, ne pourront se réaliser sans d'importantes subventions publiques.
Ce n'est que par la suite que l'Etat devrait pouvoir réduire sa charge, grâce aux économies que les enchaînements vertueux de la réforme ne manqueront pas d'entraîner, en ramenant des voyageurs et du fret vers le rail.
Ainsi, l'Etat a augmenté son effort de 800 millions de francs pour assurer la réussite de l'expérience de régionalisation.
Mme Hélène Luc. Monsieur le président, tous les orateurs auront sans doute droit à un supplément de temps de parole ?
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis. Le niveau du péage que la SNCF paiera à RFN pour l'utilisation des infrastructures restera modéré en 1997 et 1998 : 5,85 milliards de francs puis 6 milliards de francs. Pendant quelques années, ce péage devra tenir compte de la fragilité de la situation financière de la compagnie, bien que cet élément ne fasse pas partie des critères théoriques de tarification.
La dette inscrite au passif de RFN vis-à-vis de la SNCF devait initialement s'élever à 125 milliards de francs, somme largement forfaitaire et qui tient compte des possibilités de l'Etat. Elle sera finalement de 134,2 milliards de francs.
Pour soulager RFN, l'Etat lui accordera une dotation en capital de 8 milliards de francs en 1997.
J'en viens à ma conclusion.
Il me semble que les conditions de réussite de la réforme sont désormais réunies : l'Etat accomplit un réel effort au départ pour que les effets bénéfiques de la réforme puissent se développer. Par la suite, le dialogue entre RFN et la SNCF entraînera une réduction des coût d'infrastructure ; la régionalisation rendra les services régionaux plus performants et le chiffre d'affaires de la SNCF devrait augmenter grâce au projet industriel. La collectivité nationale sera finalement gagnante.
Cette réforme est ambitieuse, indispensable au redressement de la SNCF, bien qu'on ne puisse malheureusement pas garantir ce redressement, tant il est vrai que de multiples facteurs, notamment conjoncturels, nous échappent.
En adoptant ce projet de loi, mes chers collègues, vous permettrez à la SNCF non seulement de survivre, mais surtout de se développer, de reconquérir la part irremplaçable de trafic, tant voyageurs que fret, qui lui revient dans le cadre d'une politique des transports digne de ce nom, et ainsi de rester la première entreprise ferroviaire du monde. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique à Mme Luc que le rapporteur pour avis, M. Haenel, avait droit à vingt minutes et qu'il n'a utilisé que dix-neuf minutes et seize secondes !
Mme Hélène Luc. Je croyais que le temps de parole d'un rapporteur pour avis était de dix minutes.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques et du Plan. Je crois que tout a été dit, par vous-même, monsieur le ministre, et par les excellents rapporteurs, MM. Gerbaud et Haenel, ce dernier étant, comme chacun le sait, un précurseur s'agissant des sujets relatifs à la SNCF. Par conséquent, mon intervention sera brève ; ne vous inquiétez donc pas, madame Luc.
Mme Hélène Luc. Je ne suis pas inquiète !
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques. D'abord, je voudrais rendre hommage à la persévérance et au courage dont vous-même, monsieur le ministre, et vous aussi, madame le secrétaire d'Etat, avez fait preuve dans un dossier difficile, sur lequel vous avez rencontré des obstacles que nous avons encore tous à l'esprit et qui ne vous ont pas arrêtés. Comme tous nos concitoyens, j'éprouve un attachement profond pour la SNCF. Dans un article paru récemment dans un quotidien du matin, vous avez parlé vous-même, monsieur le ministre, d'un « attachement romantique ». Eh bien, j'ai cru me reconnaître dans cette expression.
Je formulerai donc quelques observations, qui ne feront que confirmer ce que nous venons d'entendre.
Le présent projet de loi n'est pas une baguette magique, qui permettra de résoudre tous les problèmes de la SNCF. Vous ne l'avez d'ailleurs pas prétendu, monsieur le ministre. Pas de baguette magique donc. Le redressement de la SNCF sera, nous le savons tous, une oeuvre de longue haleine, qui dépendra essentiellement de l'effort de la SNCF et de son personnel. Encore faut-il jeter les bases de cet effort. Je suis convaincu que le texte que vous nous soumettez répond à cette exigence.
Ma conviction est fondée sur quelques considérations qui me paraissent relever de l'évidence.
En premier lieu, vous l'avez dit et personne ne le conteste, le statu quo est intenable. Compte tenu d'un déficit d'exploitation qui s'est élevé à 16,5 milliards de francs l'an dernier et qui, d'après les prévisions, devrait atteindre 15 milliards de francs en 1997 pour un chiffre d'affaires de 56 milliards de francs, compte tenu d'une dette cumulée qui s'élevait à 175 milliards de francs en 1995 et qui serait de 208 milliards de francs aujourd'hui, il n'est plus possible de laisser cette situation se poursuivre sans intervenir. Le moment est, sans aucun doute, venu d'agir, car le péril existe.
En deuxième lieu, et je reprends les propos de M. Haenel, la SNCF n'est pas, et de loin, le seul réseau ferroviaire qui connaisse des problèmes. On peut même dire qu'il n'y a pas, dans les pays développés, un seul réseau ferroviaire qui n'ait pas dû faire face au déclin - car il s'agit bien d'un déclin - du transport ferroviaire par rapport aux autres moyens de transport.
Tous ces pays ont fait face à leurs difficultés par une réorganisation profonde de leur système. Bien entendu, les solutions ont varié d'un pays à l'autre en fonction des contraintes géographiques, de l'ampleur de l'endettement, ainsi que de la philosophie économique dominante dans chacun d'eux. Des pays comme le Japon ou la Grande-Bretagne ont choisi, en vertu d'une philosophie libérale à outrance qui n'est pas la nôtre, la privatisation, le fractionnement du réseau en fonction de grandes régions géographiques. On a donc fait éclater les réseaux et on les a privatisés.
D'autres pays, aux philosophies plus proches de la nôtre, mais pas forcément identiques à la nôtre, comme l'Allemagne ou la Suède, ont choisi la voie de la séparation entre l'infrastructure, confiée à une administration publique, et la gestion du transport, confiée, elle, à un opérateur ferroviaire. Monsieur le ministre, c'est dans cette voie que vous vous êtes engagé.
Si je me suis permis de rappeler ces exemples étrangers, ce n'est pas tout à fait par hasard : je souhaitais en effet démontrer que les difficultés que nous connaissons ne sont pas singulières et que, en outre, la voie que vous avez choisie, l'orientation que vous avez prise, la solution que vous avez retenue ont fait leurs preuves. Ainsi, la Commission européenne relevait récemment que cette solution avait permis le redressement du système ferroviaire suédois.
La séparation entre l'infrastructure et la gestion du trafic, au sein d'un ensemble qui conserve son unité, sa personnalité, le monopole des circulations ferroviaires et, naturellement, son caractère de service public est, à mon avis, une voie prometteuse. Elle répond d'ailleurs très exactement, me semble-t-il, à une, sinon à la principale des revendications formulées pendant les événements de décembre 1995, événements qui, comme vous le disiez tout à l'heure, monsieur le ministre, ont au fond donné raison à ceux qui, parmi le personnel de la SNCF, n'ont cessé de dire que le déficit reproché à la SNCF lui était indûment attribué. L'Etat, en effet, assume le financement des voies navigables, il se charge, par péage ou autrement, du financement de son service et de son équipement routier. Or, il n'en fait pas autant pour la SNCF, ayant même imposé à cette dernière des emprunts qui constituent une charge à laquelle il n'y a aucun moyen de faire face.
M. Jacques Genton. Et voilà !
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques. Il est bien évident que la séparation apporte l'élément essentiel qu'est la clarté ; elle entraîne la transparence et - on peut du moins l'espérer - la sincérité dans l'évaluation des comptes et dans le jugement que l'on portera, demain, sur les efforts qui seront faits par les uns et par les autres, singulièrement par l'Etat, d'un côté et par la SNCF, de l'autre, ainsi que par les régions.
J'en viens à un problème qui découle du premier, à savoir celui de la division de la dette : comment ne pas vous dire, monsieur le ministre, que nous aurions tous souhaité que l'Etat prenne en charge la totalité de la dette ? (Eh oui ! sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Il est d'ailleurs probable que, si vous pouviez dire ce que vous pensez, vous ne seriez pas en désaccord avec nous ! Mais hélas ! les réalités budgétaires sont ce qu'elles sont !
M. Claude Billard. Vive Maastricht !
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques. Les contraintes budgétaires - vous le savez comme moi - sont le résultat d'une continuité dont nous devons tous assumer la responsabilité.
Monsieur le ministre, je relève simplement que la séparation, la répartition de la dette à laquelle il a été procédé n'est pas arbitraire, puisqu'elle est fondée sur un audit dont je n'ai pas de raison de contester la sincérité. Entre nous, je serais d'ailleurs bien en peine de le faire.
Le passif a été transféré avec les actifs, comme cela se fait habituellement dans ce type de situation. Si cette manière de procéder ne résout certes pas tous les problèmes, elle paraît néanmoins logique.
Ayant dit cela, monsieur le ministre, j'indiquerai simplement que ce projet de loi ne répond bien entendu pas à toutes nos interrogations. Vous me permettrez d'en citer quelques-unes : comment le Réseau ferré national va-t-il faire face à la charge d'une dette dont, d'ailleurs, le projet de loi ne prévoit ni la durée ni le taux d'intérêt demandé ?
M. Félix Leyzour. Bonne question !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Qui va payer ?
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques. Il nous manque en effet des précisions ; nous nous posons donc des questions et, naturellement, monsieur le ministre, nous vous interrogeons à cet égard.
Mme Hélène Luc. C'est une bonne question !
M. Aubert Garcia. Pas de réponse !
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques. Une autre question consiste aussi à se demander comment la SNCF assumera la part de la dette qui lui est imputée, à savoir 75 milliards de francs.
Mme Danielle Bidard-Reydet. Voilà !
M. Claude Billard. C'est exact !
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques. C'est là une interrogation qu'on ne peut pas ne pas se poser.
Enfin, monsieur le ministre, je me permettrai d'ajouter une troisième question concernant les régions. (Très bien ! sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Marcel Charmant. Eh oui !
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques. Qu'arrivera-t-il si les expériences régionales conduisent les régions à hésiter devant le cadeau qu'on leur propose ? Je sais bien qu'il ne sert à rien de poser ces questions,...
M. Marcel Charmant. Ah si !
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques... que l'on va procéder à des essais et que l'on verra bien ce que les régions en diront. Comme M. le rapporteur pour avis l'a rappelé, c'est le Sénat lui-même qui a demandé que l'on s'engage dans cette voie, dans le cadre d'une régionalisation dont - ne l'oubliez pas, mes chers collègues - l'une des préoccupations était de faire en sorte que chaque région, y compris la région parisienne, assume la charge de son déficit de fonctionnement.
MM. François Gerbaud, rapporteur, et Hubert Haenel, rapporteur pour avis. Tout à fait !
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques. Pour le moment, tel n'est pas le cas !
Mme Hélène Luc. Cela aboutira à la fermeture de lignes dans les régions !
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques. Madame, nous verrons ! Ne jetons pas le mauvais oeil à ce qui démarre. (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.) Je tenais à poser loyalement ces questions.
Monsieur le ministre, ce projet de loi constitue le socle à partir duquel le redressement de la SNCF devient possible.
M. Jean-François Le Grand. Très bien !
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques. Encore faut-il - c'est clair - que chacun fasse les efforts de suivi qui s'imposent.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Ce sont toujours aux mêmes que l'on demande !
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques. Il doit en être ainsi non seulement de la SNCF - comme je le disais au début de mon propos, c'est d'elle, en définitive, que dépendra le succès de la réforme - mais aussi de l'Etat, qui doit accompagner avec scrupule et fidélité la SNCF dans les efforts qu'elle fera.
Je voudrais, pour terminer, exprimer ma confiance dans la réussite de cette réforme, une confiance qui est fondée sur ce que j'évoquais tout à l'heure, à savoir l'attachement du personnel à son outil de travail qu'est la SNCF - c'est un attachement peut-être unique dans le pays - et l'attachement des Français à leur réseau ferroviaire. Là est à mon avis le meilleur atout de réussite, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Marcel Charmant. Vous avez posé de bonnes questions !
M. Félix Leyzoure. Mais il faudra apporter des réponses !
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 71 minutes ;
Groupe socialiste, 62 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 53 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 44 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 32 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 28 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 10 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, tout à l'heure, M. François Gerbaud a cité Paul Valéry ; moi, je citerai M. Hubert Haenel (Sourires.),...
M. Roland du Luart. Ce n'est pas pareil !
M. Pierre Hérisson. ... selon qui « France Rail sera le renouveau du transport ferroviaire dans notre pays ».
A ce propos, monsieur le ministre, je vous indique que les sénateurs, dans leur grande sagesse, ont pensé que le terme « ferré » était plus adapté à la traction hippomobile, d'une autre époque, qu'à la traction électrique d'aujourd'hui ; mais ils n'en feront pas une affaire d'Etat.
La situation actuelle - c'est bien là l'essentiel - n'est plus tenable. En effet, les comptes de la SNCF sont inquiétants : record de déficit, record d'endettement, difficultés qui entravent depuis longtemps son fonctionnement et, surtout, son évolution et sa modernisation. Autant dire que la réforme est urgente et indispensable !
Le texte que nous examinons aujourd'hui ne constitue pas seulement un projet de loi de désendettement ; il crée les conditions structurelles capables d'éviter un nouveau déséquilibre financier. La plupart des acteurs savent que le report de la réforme, mais aussi son échec, condamneraient la SNCF à disparaître.
Alors que nos partenaires européens ont engagé une refonte de leurs transports ferroviaires - la crise, dans ce secteur, n'est en effet pas une particularité française ! - la France ne pouvait rester à l'écart de ce mouvement et laisser le chemin de fer poursuivre son déclin. Il présente pourtant des avantages collectifs en matière de sécurité, d'environnement, de service public et d'aménagement du territoire. Tel est bien l'enjeu en termes d'aménagement.
La fuite en avant dans les déficits et dans l'endettement n'est plus supportable pour la SNCF, de la même manière qu'elle ne l'est plus pour l'Etat et la sécurité sociale. Le coût de la modernisation devra malheureusement intégrer le prix du retard de ces mesures trop longtemps différées. Ce projet de loi est un outil de transparence qui permet à l'Etat d'afficher ses intentions. La création des lignes sera de la compétence de France Rail, si toutefois le terme est retenu. Dans le domaine de l'intermodal, l'Etat affichera ce qu'il met sur le fer comme ce qu'il met sur la route.
La clarté doit constituer le ferment du succès des réformes que le Gouvernement engage depuis plus de dix-huit mois. Il faut encore et encore réaffirmer que c'est non pas la construction européenne mais la situation dans laquelle se trouve l'entreprise qui nous impose de réformer nos chemins de fer.
Cette situation ne peut durer plus longtemps. Il nous faut engager cette modernisation, car nos services publics, comme l'Etat, doivent s'adapter en permanence pour mieux répondre aux attentes des usagers et aux légitimes exigences, voire aux impatiences des contribuables.
La méthode retenue par le Gouvernement a permis de sortir la réflexion des cercles confinés d'experts et de lui donner une audience à la mesure des enjeux considérables du transport ferroviaire. Ce débat a permis de faire prendre conscience à tous les acteurs au sein de la SNCF, comme dans l'opinion publique, que la réforme était plus que nécessaire et très urgente.
En privilégiant en toutes circonstances la transparence et la concertation avec l'ensemble des acteurs du transport ferroviaire, le Gouvernement a recherché l'adhésion du plus grand nombre, à défaut d'une adhésion unanime, souvent inaccessible dans une démocratie. Chacun, en tout cas, a pu s'exprimer, et c'est en bonne connaissance de cause que le Parlement, possédant aujourd'hui tous les éléments d'appréciation, peut engager l'examen des dispositions législatives nécessaires à cette modernisation.
Les deux piliers de la réforme sont clairs : d'une part, la répartition des responsabilités par la création d'un nouvel établissement public chargé des infrastructures et, d'autre part, la décentralisation des décisions au plus près des populations concernées, à travers la régionalisation des services de voyageurs et dans l'objectif du « service aux voyageurs ».
Il était temps que l'Etat, comme il le fait pour les routes nationales, assume les charges financières des infrastructures ferroviaires par le biais d'une société. A cet égard, je voudrais préciser que les 134 milliards de francs sont bien la totalité de la reprise de la dette des seules infrastructures, mais de toutes les infrastructures !
Mes collègues du groupe de l'Union centriste et moi-même sommes très attachés à cette notion de répartition des responsabilités. On a vu trop souvent, au cours de ces dernières années, les conséquences néfastes et souvent douloureuses pour le contribuable de responsabilités confuses aboutissant, de fait, à une totale absence de responsabilités.
La SNCF pourra désormais se consacrer à une priorité : répondre aux besoins de ses clients et satisfaire leur demande, avec pour seul objectif de redonner aux voyageurs comme aux chargeurs l'envie de reprendre le train. C'est ce que souhaitent les Français dans leur très grande majorité. Ils l'ont d'ailleurs clairement exprimé lors de la grande enquête lancée par la SNCF au printemps dernier et ils l'ont également fait savoir avec plus de vigueur, et parfois avec une pointe d'irritation, à l'occasion des perturbations liées aux intempéries.
La SNCF ne pourra plus faire état de cette dette qu'elle n'a pu maîtriser, notamment pour la partie liée à la construction des lignes à grande vitesse dont la décision découle de choix gouvernementaux.
Cette réforme tant attendue pèsera lourd dans le budget de l'Etat. En 1997, les crédits publics consacrés au transport ferroviaire devraient augmenter de 30 %. Ce secteur devient ainsi le domaine qui connaîtra la croissance la plus importante au sein du budget de la nation.
Pour une fois, avec ce projet, le Gouvernement n'a pas repris d'une main ce qu'il donnait de l'autre. Cette année, l'Etat apportera ainsi à RFN quelque 8 milliards de francs pris sur les recettes de privatisation. Mais qu'en sera-t-il dans les années à venir ? Où l'Etat trouvera-t-il cette somme qui, au regard de la dette léguée en héritage à RFN - 134,2 milliards de francs - est bien faible ?
Pour autant, la réforme que vous nous soumettez devrait assurer la pérennité de la SNCF. La rémunération que RFN lui versera pour la gestion de l'infrastructure approchera, en 1997, les 17 milliards de francs. En contrepartie, la SNCF versera une redevance pour infrastructures à RFN évaluée à 5,8 milliards de francs et bloquée en 1997 et 1998 à ce niveau, hors objectif 1999. Il aurait été souhaitable - mais était-ce possible, monsieur le ministre ? - d'étendre à la trosième année ce blocage de la redevance. L'équilibre financier en aurait été facilité !
N'aurait-il pas fallu aller plus avant pour aider le transporteur dans sa mission de service public et reprendre en totalité, c'est-à-dire au-delà des infrastructures, la dette de la SNCF ? En effet, dans bien des cas, l'aménagement du territoire doit primer sur l'absence de rentabilité d'une ligne, par exemple.
Le second pilier de la réforme qui nous est proposée, à côté de la création du nouvel établissement public chargé des infrastructures, porte sur le transfert aux régions de l'organisation des services de voyageurs. Vous vous en doutez, il s'agit là d'un sujet cher au Sénat. Cette régionalisation découle directement des dispositions votées lors de l'adoption de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire.
Cette nouvelle organisation est pour nous, sénateurs, aussi importante que la reprise des infrastructures. Elle est un vecteur essentiel de la modernisation du transport ferroviaire et du service public des transports. Il s'agit de rapprocher au maximum le service public de ses utilisateurs.
Les principes dont le Gouvernement et les régions concernées ont souhaité entourer l'expérimentation me semblent sains : transparence, réversibilité, transfert de compétences sans transfert de charges, autant d'éléments qui feront de la régionalisation, aujourd'hui au stade expérimental, une perspective attrayante pour les régions et un ballon d'oxygène pour la SNCF.
Il conviendra toutefois de veiller, à l'approche de la généralisation de l'expérimentation, à ce que ces principes soient bien respectés. M. François-Poncet nous a d'ailleurs fourni tout à l'heure sur ce point des précisions intéressantes. Nous devons veiller de très près à cette expérimentation, et plus particulièrement à celle qui sera réalisée dans la région Rhône-Alpes. Bien entendu, il importe que le réseau demeure national dans le cadre du nouvel établissement public. Il conviendra, en outre, qu'un effort important soit engagé afin de remettre à niveau un réseau qui s'est par endroits dégradé. La SNCF a, au cours de ces dernières années, privilégié le développement de nouvelles infrastructures au détriment de l'entretien du réseau existant. Je souhaite que le nouvel établissement public puisse rapidement dresser un état des lieux du réseau actuel, afin que soit défini un programme pluriannuel de remise à niveau du réseau traditionnel.
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis. Il en a besoin !
M. Pierre Hérisson. Membre de l'exécutif d'une région choisie pour l'expérimentation, j'évoquerai brièvement les bienfaits de ce second pilier de la réforme.
Dans une région où circulent quotidiennement 740 trains, représentant 60 000 voyageurs par jour et 17 millions de kilomètres parcourus annuellement par l'ensemble des motrices, la régionalisation des services de voyageurs trouve tout son intérêt parce qu'elle est proche des préoccupations des usagers au quotidien.
Rappelons que la SNCF devrait réaliser, en région Rhône-Alpes, un chiffre d'affaires voyageurs de 1,62 milliard de francs en 1996, soit une croissance supérieure à la moyenne nationale.
Les transports express régionaux, les TER, suivent une progression tout aussi soutenue que les grandes lignes. Le chiffre d'affaires des TER devrait approcher les 540 millions de francs en 1996.
En prenant en charge les services de voyageurs, la région répond à la préoccupation immédiate des usagers du transport ferroviaire. C'est un enjeu d'aménagement du territoire autant que de développement économique. Qui mieux que la région peut contribuer à améliorer, à optimiser l'utilisation du réseau ferroviaire qui la traverse ? En traitant le problème ligne par ligne, en adaptant les horaires, en revoyant les correspondances, en surveillant la qualité des matériels utilisés, la région pourra remplir pleinement un rôle de proximité que, avouons-le, l'Etat ne sait pas très bien remplir.
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis. C'est vrai !
M. Pierre Hérisson. La région pourra rendre le transport collectif plus attractif en veillant à améliorer l'accueil et le service offert aux voyageurs, en développant une politique tarifaire plus adaptée aux besoins et aux moyens des usagers.
La régionalisation fonctionne bien. En Rhône-Alpes, les premiers résultats se font sentir. Un seul exemple : la ligne Annecy-Grenoble-Chambéry a connu une progression de fréquentation de l'ordre de 18 %. Par ailleurs, sur un total de 650 trains régionaux, la région en a créé 92 en 1996.
Avant de conclure, je tiens à saluer, au nom de mon groupe, nos rapporteurs, MM. François Gerbaud et Hubert Haenel, pour la très grande qualité de leur travail et la pertinence de leurs propos. Leurs propositions vont, j'en suis sûr, contribuer à améliorer le texte qui nous est soumis.
Le groupe de l'Union centriste est, pour sa part, favorable à ces propositions. Nous considérons, par exemple, qu'il est indispensable d'intégrer des références explicites au principe du service public, à la protection de l'environnement, à l'aménagement du territoire et à la promotion du transport ferroviaire.
Il est également nécessaire, monsieur le ministre, d'intensifier le dialogue social et de veiller à maintenir le statut des personnels.
La réforme qui nous est proposée aujourd'hui porte la marque d'une forte ambition : il s'agit de donner au transport ferroviaire des perspectives de renouveau, quand il semblait condamné à un déclin inexorable, à une mort lente par non-assistance à personne morale en danger. Elle porte aussi la marque du courage et du sens des responsabilités, après tant d'années de refus de regarder la réalité en face avec lucidité.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, le groupe de l'Union centriste est prêt à accompagner cette modernisation, à vous soutenir et à vous défendre si nécessaire. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Robert.
M. Jean-Jacques Robert. Je tiens avant toute chose à vous remercier, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, de cette réforme de la SNCF que vous avez tenu à présenter d'abord devant notre assemblée.
J'associe également à ces remerciements nos deux rapporteurs, M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis au nom de la commission des finances, qui a été l'un des premiers à se pencher sur la réforme de la SNCF et qui a inspiré la régionalisation, et M. François Gerbaud, rapporteur au fond au nom de la commission des affaires économiques et du Plan, qui a su donner un véritable souffle à ce projet de loi avec l'objectif constant et déterminé de dépasser le non-dit, permettant ainsi à la SNCF de saisir l'opportunité irremplaçable que lui offrent l'allégement de sa dette et la prise en charge de son infrastructure. Ce dernier a favorisé également un engagement important sur la reprise de la dette et obtenu un délai de réflexion supplémentaire apprécié.
Au-delà de la répartition proposée, la SNCF reste une entreprise publique industrielle et commerciale. Unique transporteur ferroviaire public, elle doit mettre en oeuvre tous les moyens nécessaires pour faire face à ses concurrents en développant des parts de marchés.
Habituée à une position dominante et exclusive, la SNCF a négligé sa stratégie commerciale, ses clients, au préjudice de son rôle d'aménagement et de développement du territoire, et parfois de ses missions de service public.
Avec une culture d'entreprise fondée sur des volumes budgétaires globaux et ne s'intéressant pas aux coûts et aux marges dégagés par chaque activité, en donnant la priorité à la technique plutôt qu'au client, ce système ultracentralisé remontant au XIXe siècle n'est pas du tout adapté aux situations économiques présentes.
Je voudrais maintenant attirer votre attention sur les conditions de la reconquête commerciale, indispensable aujourd'hui.
Avec 134,2 milliards de francs de reprise de dette par le nouvel établissement créé, Réseau ferré national ou, mieux, France Rail, comme dit M. Gerbaud, la dette propre de la SNCF est estimée à 70 milliards de francs environ, ce qui signifie que le chiffre d'affaires en 1995, évalué à 52 milliards de francs, devrait augmenter de 20 % au moins pour permettre à la SNCF d'être en position véritablement compétitive.
Comment la SNCF peut-elle faire 20 % de recettes supplémentaires, c'est-à-dire accroître le nombre de ses voyageurs annuels de 800 millions ?
Donner envie aux clients de voyager par le train, telle est la cible ! La réussite ne sera au rendez-vous que par la conviction du personnel, son engagement à l'ouverture et à de nouvelles méthodes.
Le fonctionnement de l'entreprise doit être calqué sur celui d'une véritable entreprise commerciale, ce qui est difficile à obtenir avec l'organisation actuelle. Nous constatons en effet que, sur les 180 000 salariés de cette entreprise, 13 000 sont rattachés au siège social. La SNCF est ainsi un véritable ministère des trains !
A cela s'ajoute la présence de deux courants concurrents : l'un, fortement majoritaire, est constitué de techniciens attachés aux valeurs ancestrales de la SNCF ; l'autre, moins important, regroupe des entrepreneurs soucieux de promouvoir une organisation moderne avec de nouvelles méthodes de gestion.
C'est là la cause de la situation que nous connaissons, et le bilan annuel de la Cour des comptes le souligne : diminution de l'offre, dégradation de la qualité du service, accroissement de la fraude et de l'insécurité - c'est un problème connexe - méthodes de tarification coûteuses et compliquées.
Tout naturellement, le client insatisfait s'est détourné chaque fois qu'il l'a pu de ce mode de transport.
En ce qui concerne l'offre et la qualité du service, la SNCF se doit de remettre le client au centre de ses préoccupations. La recherche des gains de productivité a trop fréquemment conduit à substituer les machines aux hommes, à tel point que, parfois, les réseaux et les sites sont devenus des lieux hostiles.
J'évoquerai successivement les gares, les trains et les services de marchandises.
Les gares sont parfois mal entretenues, et leur propreté laisse à désirer ; elles emploient un personnel rare et régulièrement insuffisant ; elles manquent de confort et d'accès, il faut chercher les salles d'attente et les sièges ; les guichets sont mal conçus et occasionnent de longues files d'attente ; des services informatisés complexes renvoient trop souvent aux guichets, les billetteries automatiques pour les petits parcours régionaux sont trop compliqués ; en outre, les gares sont mal fréquentées, par des bandes et des voleurs à la tire ; comble de l'ironie, il arrive que les agents soient amenés à veiller sur les distributeurs automatiques de billets pour en expliquer l'utilisation !
Permettez-moi, monsieur le ministre, de vous livrer à cet égard une anecdote : dans une région que je connais bien et que vous fréquentez, le distributeur automatique, situé à l'extérieur de la gare, se trouve face au soleil, ce qui fait qu'il est quasiment impossible de lire les informations délivrées par cette machine informatique dernier cri !
Bref, la SNCF doit activer son concept de gare. Que celle-ci soit grande ou modeste, la gare doit être un lieu d'accueil, de convivialité, de communication.
Revaloriser la gare, c'est proposer de nouveaux services complémentaires à l'offre principale de transport, à l'instar de la politique commerciale des aéroports, qui ont su favoriser de nouvelles activités, créer des emplois, et donc drainer une clientèle.
La gare doit être un centre où s'organise le stationnement des voitures, où les lignes de bus urbains et d'autocars interurbains sont en correspondance, où les taxis sont présents à toute heure, où l'accessibilité pour les piétons, les cyclistes, les motards a été soigneusement étudiée et où l'on est en sécurité jour et nuit.
C'est dans cet esprit que la commission des affaires économiques et du Plan a prévu, sur l'initiative de notre collègue François Gerbaud et dans le cadre de la loi relative au commerce et à l'artisanat, une dérogation pour les surfaces inférieures à mille mètres carrés en gare ferroviaire. En effet, le commerce de gare est une activité intéressante comme lieu de chalandise : multiple par ses offres, accessible par ses transports, ouverte à des heures souvent en décalage par rapport aux autres commerces de la ville ou du village, c'est une activité permanente, active et vivante.
La SNCF doit développer ses relations avec les élus locaux et les commerçants voisins, favoriser une politique d'enseigne susceptible de donner des repères, conjuguer qualité et rendement financier, la qualité favorisant d'ailleurs le rendement financier.
Cette politique d'ouverture est essentielle : la gare doit s'ouvrir sur la ville, la ville doit entrer dans la gare.
M. Guy Cabanel. Très bien !
M. Jean-Jacques Robert. Avec 3 500 gares en France et un total de 2 millions de mètres carrés de surface, nous avons un élément favorable pour la reconquête commerciale, la création d'emplois et donc l'augmentation du chiffre d'affaires, qui est bien l'objectif visé.
J'en viens aux trains. Les trains ne sont pas sûrs. On a souvent le sentiment d'y être abandonné, sans défense.
La sécurité est la condition première d'une confiance à retrouver, du goût du transport aisé, pratique et agréable. Les horaires doivent être respectés ; les contrôleurs et les agents de parcours doivent communiquer avec le client ; on doit lutter contre la fraude.
La lutte contre la fraude et l'insécurité est une condition majeure du renouveau commercial.
Voici des exemples aux conséquences désespérantes : les actes de malveillance dans les trains ont augmenté de près de 18 % en 1995 ; on a relevé 834 agressions sur l'ensemble du territoire en 1993 ; sur 17 299 actes délictueux constatés en 1993, seulement 7 352 ont donné lieu à des interpellations. L'insécurité dans les gares et dans les trains n'a cessé de progresser ces dernières années.
A cet égard, vous me permettrez d'évoquer mon département, l'Essonne : entre 1975 et 1990, les déplacements en voiture particulière y ont augmenté six fois plus que les déplacements en transports collectifs, alors que de nouvelles lignes étaient créées, sur Corbeil et sur Malesherbes et que de nouveaux matériels à deux étages étaient mis en service.
La situation s'est encore aggravée depuis cinq ans puisque le volume des déplacements en voiture a continué à croître alors que celui des déplacements en transports en commun a stagné.
L'insécurité, je le répète, est l'une des raisons principales de cette désaffection.
M. Jean-Luc Mélenchon. Bah, bah, bah !
M. Jean-Jacques Robert. On sacrifie la sécurité à la rentabilité. Je le dis ici depuis 1989. Permettez-moi, monsieur le ministre - ce n'est pas vous qui étiez alors en charge du dossier - de rappeler ce que je disais alors : « Il faut reconnaître que nous avons fait fausse route en réduisant, au nom de la sacro-sainte rentabilité,... »
M. Jean-Luc Mélenchon. Ah !
M. Jean-Jacques Robert. « ... des crédits qui auraient permis d'être, de jour et de nuit, partout présent sur le terrain, en laissant aller les choses et en acceptant, en fait, tacitement une situation qui, pour les voyageurs, devient chaque jour plus insupportable. »
M. Jean-Luc Mélenchon. Très juste !
M. Jean-Jacques Robert. Parmi les voyageurs, femmes, jeunes collégiens, personnes âgées, handicapés sont ceux qui sont le plus exposés aux agressions. Aujourd'hui, ils ne se risquent plus à voyager dans ces conditions.
M. Jean-Luc Mélenchon. Il ne faut pas exagérer !
M. Jean-Jacques Robert. Il est urgent de prêter une attention toute particulière aux doléances des millions de voyageurs franciliens, dont la fréquentation traduit une des missions essentielles de service public dévolues à la SNCF, à savoir donner à chacun la possibilité de se rendre à son travail et d'en revenir, pour un prix acceptable, dans des conditions convenables de confort et à l'heure.
La fraude, quant à elle, est estimée par la SNCF, en moyenne, à 12 % ou 13 % des recettes. Elle atteindrait, en réalité, 30 % en Ile-de-France, voire plus dans certains trains circulant en soirée ou la nuit. Ce manque à gagner, que l'on appelle commercialement « démarque inconnue », et qui est bien trop important, représente un véritable gisement de recettes.
Plus qu'à la réalité statistique, c'est au sentiment généralisé d'insécurité qu'il convient de s'attacher, afin d'enrayer la tendance qui conduit désormais à considérer les trains et les gares comme des lieux de tous les dangers, et donc à éviter.
Pour être un transporteur apprécié, la SNCF doit se donner les moyens nécessaires et arrêter de réduire le personnel. Donnons-nous les moyens, et d'abord en personnel !
M. Jean-Luc Mélenchon. Trés bien !
M. Jean-Jacques Robert. Le succès viendra, à coup sûr, rentabiliser ce choix, et les 20 % de chiffre d'affaires supplémentaires seront atteints rapidement. La SNCF doit embaucher pour occuper tout son terrain et répondre aux besoins et à la demande.
Si vous refusez ce choix cartésien,...
M. Jean-Luc Mélenchon. Qu'est-ce que Descartes vient faire là-dedans ?
M. Jean-Jacques Robert. ... mieux vaut dire que c'est une mission impossible et qu'il était inutile, alors, de faire l'effort de transformation que le Gouvernement consent au travers de ce projet de loi.
Quant au service de marchandises de la SNCF, il est confronté depuis longtemps à un concurrent redoutable, le transport routier.
Le transport routier est un moyen de transport rapide, sûr, allant de porte à porte, mais c'est également un moyen qui peut être programmé, dont les tarifs peuvent être négociés et qui offre des services diversifiés, adaptés à tous les cas de transport.
La SNCF, quant à elle, n'offre pas, dans un grand nombre de cas, toute cette gamme de services. Les gares ne sont plus le guichet de proximité pour cette spécialité du transport de marchandises, c'est-à-dire les petits et moyens colis, les conteneurs et les wagons.
Les colis sont parfois pillés parce qu'ils ont été identifiés par des malfaiteurs, qui ont trop facilement accès aux locaux de stockage et de distribution. Les délais d'acheminement ne sont pas contrôlables.
Les interlocuteurs sont anonymes. Ce service important mériterait, de la manutention à la livraison, du personnel connu et identifié.
Les tarifs devraient être simples et négociés en fonction de la qualité de la clientèle et de la nature du transport.
Ecologiste, on peut rêver de développer le transport de camions sur les wagons, mais, réaliste, on doit être efficace pour assurer un service qui ne demande qu'à utiliser le rail, à condition, toutefois, d'étudier avec soin les coûts, d'indiquer les délais et d'assurer la bonne fin du transport.
Les filiales - il y en a entre 350 et 400 - semblent trop nombreuses. Je m'intéresse, pour ma part, à celles dont l'activité s'exerce dans le cadre des réseaux nationaux. Elles sont, à mon avis, trop nombreuses pour un service bien identifié à des coûts bien étudiés.
Cette dispersion semble être plus un handicap qu'un atout ; elle ne permet pas une direction efficace et une unité de l'image de marque. Elle peut même susciter une concurrence interne qui pourrait être malsaine en ce qu'elle affecterait les résultats financiers. C'est un risque d'atteinte à l'identité forte que la SNCF veut affirmer.
Je dirai simplement, pour conclure, que mon objectif, en abordant la situation nouvelle sous son aspect économique, industriel et commercial et en expertisant les méthodes passées, était non pas de critiquer - la critique est souvent trop facile à exprimer - mais d'afficher une ambition nécessaire pour une entreprise chère à nos coeurs, qui va nous faire honneur et dont les résultats, nous le souhaitons, seront enviés. Ces résultats, elle les obtiendra grâce à un personnel qualifié, fier de son entreprise, bénéficiant, enfin, des moyens attendus depuis des années et accordés dans un climat favorable, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, grâce à votre action personnelle persévérante.
Le groupe du RPR et moi-même, confiants dans l'esprit et la volonté de réussite de notre SNCF new look, nous approuverons ce projet. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Garcia.
M. Aubert Garcia. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le président de la commission des affaires économiques et du Plan a débuté son intervention en disant que presque tout avait été dit, moyennant quoi, dans les minutes qui ont suivi, je l'ai entendu poser quelques questions que je n'avais pas encore entendues et qui, pour être précises, n'en étaient pas moins pertinentes.
A l'occasion de la question d'actualité que j'avais posée au Gouvernement, au nom du groupe socialiste, à la suite du retrait provisoire du projet de loi sur la création de l'EPIC Réseau ferré national, j'avais insisté tout particulièrement sur la nécessité d'une réforme rapide de la SNCF, dont l'assainissement des comptes présentait un caractère d'extrême urgence.
J'avais souligné que le texte que vous nous proposiez, monsieur le ministre, s'il ne nous paraissait pas susceptible de résoudre les problèmes graves qui se posaient à notre société nationale, risquait a contrario d'en générer un certain nombre d'autres et présentait des dangers pour l'unicité de la SNCF, pour son rôle dans le service public et, dans un avenir plus ou moins lointain, pour le statut des personnels de l'entreprise.
Aujourd'hui, monsieur le ministre, c'est, à quelques ajustements près et avec quelques explications complémentaires, le même texte que vous nous présentez de nouveau, et les deux mois qui viennent de s'écouler n'ont en fait apporté que bien peu de réponses précises aux questions que nous avions posées.
La première de ces questions est toujours la même : qu'est-ce que RFN et pourquoi serait-il indispensable de le créer et d'aller, ce faisant, au-delà des exigences de la circulaire 91/440, qui ne demandait, en fait, qu'une séparation comptable ?
Est-ce le nouvel organisme indépendant, propriétaire à part entière des infrastructures ferroviaires et chargé de leur avenir, que l'on présentait il y a deux mois ?
D'ailleurs, monsieur le ministre, ne serait-il pas utile de préciser plus clairement, compte tenu de l'inquiétude qui se manifeste chez certains élus régionaux, et bien que cela soit implicite dans le texte, la prise en compte par RFN des réseaux dont la responsabilité de l'exploitation doit être transférée aux régions ?
A moins que cet EPIC ne soit qu'un simple organisme de stockage de la dette passée - je n'ai pas dit « structure de cautionnement », car il n'en a pas les caractéristiques - et un maître d'ouvrage délégué par l'Etat en liaison étroite avec la SNCF, comme M. Martinand nous le décrit aujourd'hui.
Cette seconde conception semble bien être celle de ce dernier, en effet, lorsqu'il répond devant la commission des affaires économiques : « RFN, c'est l'Etat. » Cela semble aussi être la vôtre, car vous l'avez vous-même qualifié tout à l'heure de « toute petite structure ».
Pauvre RFN, handicapé dès sa création par les 134,2 milliards de francs de dettes dont personne ne sait encore aujourd'hui - les deux mois passés ne nous ont, sur ce point, apporté aucune précision - d'où vont lui venir les moyens d'y faire face !
Ils viendront pour partie, dites-vous, de la redevance d'utilisation payée par la SNCF. Sans doute ! Mais cela ne saurait constituer qu'une faible partie de ses ressources, car on ne comprendrait pas comment cette opération pourrait être salutaire pour la SNCF, si elle devait, même après les deux ans d'une sorte de moratoire bloquant cette redevance, voir le montant de celle-ci augmenter au point de couvrir, sinon la totalité, tout au moins une partie importante des annuités d'emprunt dont vous prétendez la soulager aujourd'hui.
Si tel n'est pas le cas, et si la redevance doit rester raisonnable, d'où viendra le reste ? De l'Etat, oui, sans doute, et le transit par RFN présenterait, certes, alors, l'avantage de ne pas faire apparaître dans la dette nationale cette tranche supplémentaire à un moment où les prochaines échéances européennes imposent la réduction de cette dette. Mais, là encore, si nous avons des chiffres pour l'année 1997 - 8 milliards de francs - rien n'est sûr pour l'avenir.
Alors, est-ce de l'emprunt que le nouvel EPIC tirera ses ressources nécessaires ? Cela se comprendrait, bien qu'il fût déjà lourdement endetté pour les dépenses d'aménagement nouveau, d'entretien et de remise à niveau des infrastructures dont il a la responsabilité. Mais emprunter pour payer sa dette, même si c'est une manoeuvre qui se pratique, cela porte un nom, la cavalerie, et ne relève pas d'une orthodoxie financière particulièrement rigoureuse.
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est vrai !
M. Aubert Garcia. Je voudrais maintenant évoquer les perspectives d'avenir que ce texte réserve à la SNCF elle-même. On me dit que se trouver soulagé de la responsabilité de 134 milliards de francs de dette, ce n'est pas rien ; certes, et j'aurais mauvaise grâce à ne pas le reconnaître.
D'ailleurs, cet effet d'annonce impressionne beaucoup l'opinion publique quand la presse s'en fait l'écho et sans doute aussi les cheminots eux-mêmes, auxquels on a expliqué que chacun d'entre eux se levait tous les matins avec plus de 3 000 francs de dette pesant sur sa tête. Il y a là de quoi vous démoraliser, surtout - et ce n'est qu'une parenthèse - si viennent à surgir des difficultés catastrophiques comme celles de ce début d'année et que l'exploitation qui en est faite laisse entendre haut et fort que vous êtes incapable de faire face à vos responsabilités.
Pourtant, au même moment, la fermeture sans préavis des autoroutes, telles que l'A 7, qui a bloqué ou jeté sur des routes dangereuses des milliers d'automobilistes, n'a été reprochée à personne - surtout pas aux sociétés concessionnaires ! - et n'a fait l'objet que de commentaires modérés.
Un sénateur socialiste. Très bien !
M. Aubert Garcia. Mais fermons la parenthèse et revenons au projet en discussion aujourd'hui.
La dette globale de la SNCF est estimée à ce jour à 208 milliards de francs. Elle restera, allégée des 134,2 milliards de francs affectés à RFN, de 73,8 milliards de francs, et ce pour un chiffre d'affaires annuel oscillant entre 50 et 56 milliards de francs.
S'il est un critère sur lequel les économistes sont à peu près d'accord, c'est qu'une entreprise ne peut fonctionner normalement que si sa dette reste inférieure à 50 % de son chiffre d'affaires. Si elle atteint les 50 %, l'entreprise est en danger ; si elle dépasse ce chiffre, elle risque fort la faillite.
Il apparaît donc clairement qu'avec 74 milliards de francs de dette pour 56 milliards de francs de chiffre d'affaires, et bien que vienne s'ajouter l'apport de l'Etat, que je n'oublie pas, la SNCF, si l'on en reste là, risque fort d'être condamnée à l'échec.
Voilà pourquoi nous continuons à penser que ce texte ne règle aucun des deux problèmes essentiels : il ne règle pas le problème de la dette, en créant deux sociétés endettées au lieu d'une ; il n'assure pas à la SNCF les conditions du redressement de sa situation, en lui laissant un endettement qui la met pratiquement dans l'impossibilité de le réussir.
Au-delà des aspects financiers que je viens d'évoquer, je souhaiterais évoquer maintenant un certain nombre de problèmes qui ne manqueront pas d'apparaître du fait de la création de RFN. Les uns découleront des rapports entre RFN et la SNCF, et tout d'abord au niveau du découpage et du partage des infrastructures, dont il faut bien avouer qu'ils ne sont pas des modèles de simplicité ni de clarté : les rails, les quais et certains bâtiments à l'un les gares et d'autres bâtiments à l'autre. Le seul franchissement d'une porte pour passer des responsabilités de RFN à celles de la SNCF me paraît devoir induire sinon des frictions, tout au moins quelques sérieuses difficultés.
Par ailleurs, par la création de RFN, en allant au-delà de ce qui est exigé par la directive 91-440, vous prétendez vous libérer de la réglementation communautaire et vous nous assurez que l'EPIC propriétaire du réseau ferré national pourra réserver à la SNCF le monopole de l'utilisation de ses voies, et ce sans passer par l'impérative obligation de recourir à la procédure d'appel d'offres. Cette procédure, si elle nous est un jour imposée - je pense là à la menace que constitue le Livre blanc européen - ouvrira largement les portes aux opérateurs privés et donc à l'éclatement de la SNCF. L'exploitation de certaines lignes particulièrement rentables ne manquera pas, soyons-en persuadés, de les intéresser et il me surprendrait qu'ils ne fassent pas le nécessaire pour que les textes européens nous soient imposés dans toute leur rigueur.
Quid alors de l'unicité de la SNCF, à qui ne restera à exploiter que les lignes déficitaires, ce qui ne l'aidera pas à redresser sa situation ? Comme le résumait de façon drastique notre collègue Marcel Charmant : « Les lignes rentables auront des transports privés et les lignes déficitaires seront privées de transports. »
M. Jean-Luc Mélenchon. Bien dit !
M. Aubert Garcia. Quel avenir alors pour le service public et le droit au transport pour tous ? Quel devenir enfin, à plus ou moins longue échéance, pour le statut des personnels de la société nationale, dont on prétend aujourd'hui qu'il ne saurait être remis en cause ?
Persuadé que le choix qui est fait dans cette loi de la création de RFN, structure indépendante, créera plus de difficultés et de risques pour la SNCF - soixante ans après sa création en 1937, date que nous n'oublions pas ! - qu'il n'apportera de vraies solutions, le groupe socialiste votera contre ce texte ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux afin de pouvoir assister à la réception offerte par M. le président du Sénat. Nous les reprendrons à vingt et une heure trente-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt, est reprise à vingt et une heure trente-cinq.)