M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi portant création de l'établissement public « Réseau ferré national ».
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Billard.
M. Claude Billard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi sur la réforme de la SNCF qui nous est soumis est d'une extrême importance tant pour la nation, à laquelle appartient l'organisation et l'exploitation du transport ferroviaire, que pour le personnel de cette grande entreprise. Il est également important tant du point de vue des enjeux, des défis auxquels il prétend répondre, que des conséquences extrêmement graves et néfastes des réponses qui sont apportées.
L'objectif de ce texte est, en apparence, d'adapter le service public du transport ferroviaire à la nouvelle donne économique à l'approche de cette fin de siècle. Cette intention est, certes, louable, mais tout dépend du sens que l'on veut donner à cette adaptation.
La SNCF, comme les autres modes de transports, connaît depuis plusieurs années une crise réelle. Depuis maintenant plus d'un an, le secteur des transports, dans son organisation et par les pressions à la déréglementation et à la concurrence résultant de l'intégration européenne qu'il subit, est au coeur des contradictions de notre société. Tour à tour, le transport aérien, la SNCF, le transport routier, ont connu d'importants conflits sociaux, qui ont révélé avec force ces contradictions et ont posé publiquement le débat.
La puissante lutte unitaire des cheminots de l'hiver 1995, le soutien qu'elle a recueilli dans le pays, portaient l'exigence du maintien et du développement de la SNCF, le refus de laisser les choses en l'état. C'est, en effet, une nécessité si l'on veut donner à la SNCF les moyens d'une nouvelle ambition.
Mais ce n'est pas dans cette voie, au vu des réponses apportées, que propose de s'engager le Gouvernement.
L'un des enseignements à tirer des luttes des cheminots et des routiers est que ce qui fondait leurs revendications était un même refus de la déréglementation voulue par la Commission de Bruxelles, à l'oeuvre dans le secteur des transports.
Ainsi, on ne peut comprendre les projets de réforme qui sont en cours dans le secteur des transports sans les mettre en relation avec la volonté inscrite dans le traité de Maastricht de privatisation et de déréglementation qui sévit dans tous les pays de l'Union européenne, qui ouvrirait les secteurs publics à la concurrence sur simple recommandation de la Commission de Bruxelles.
C'est précisément dans l'engrenage de la déréglementation et de l'ouverture à la concurrence que s'engage le projet de loi.
Vous êtes, monsieur le ministre, resté sourd à ce qui est monté du pays et du personnel de la SNCF et qui était apparu dans le conflit important de l'hiver 1995. Vous avez, certes avec habileté, saisi cette occasion pour proposer une réforme qui permette, à terme, à la déréglementation d'exercer ses ravages. Je dis « avec habileté » parce que vous prétendez, notamment, que rarement projet de loi aura fait l'objet de tant de concertations. Se concerter, consulter, écouter, n'est pas forcément entendre et prendre en compte ce qui s'est dit.
Vous consultez depuis un an, mais pour quel résultat !
Dès la fin de la grande grève de 1995, vous avez tenté de renouer le dialogue social et, sur la base du rapport Martinand, un débat sur la SNCF a eu lieu de février à mai 1996. En juin, le Parlement a été le cadre d'un débat d'orientation au cours duquel le Gouvernement a été conduit à prendre un certain nombre d'engagements concernant le reprise de la dette par l'Etat, le maintien de l'unicité de l'entreprise, des garanties à apporter sur le statut des cheminots et leur régime de retraite.
En octobre 1996, un projet de loi a été publié, dont vous avez retardé l'examen au prétexte qu'il était mal compris et demandait donc à être mieux expliqué. Et, voilà quinze jours environ, vous avez reçu les organisations syndicales pour leur présenter le même projet, assorti de quelques promesses financières. Mais, quant à l'essentiel, nous en sommes au même point ! Vous avez consulté et écouté tout en gardant l'objectif de faire passer vos choix, de faire prévaloir vos solutions initiales.
Il est révélateur, à cet égard, qu'après avoir assuré que la réforme ne se ferait pas sans et a fortiori contre les cheminots, vous vous félicitez de l'approbation de six organisations syndicales. Vous occultez simplement l'essentiel, qui ne peut pas vous avoir échappé : celles qui s'opposent à votre projet de loi sont trés largement majoritaires dans le personnel !
Une telle concertation est un trompe-l'oeil. Cela est clairement apparu lorsque l'organisation syndicale majoritaire dans l'entreprise, la CGT, vous a demandé de faire procéder à une consultation des cheminots sur la réforme proposée, non pas pour donner ou non leur feu vert, mais pour que le Parlement puisse légiférer en toute connaissance de cause.
M. Gérard Braun. La pression !
M. Claude Billard. A cette exigence démocratique, vous avez répondu par la négative.
La réforme de la SNCF qui nous est soumise prétend apporter des solutions, en particulier sur la dette. En vérité, elle aura de graves conséquences sur le mode de fonctionnement et les missions de service public du transport ferroviaire.
Certes, la situation que connaît actuellement la SNCF avec son endettement est insupportable, et personne n'envisage d'en rester au statu quo.
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Très bien !
M. Claude Billard. Le mouvement de 1995, tout comme le débat d'orientation, a permis de faire reconnaître la responsabilité de l'Etat dans les décisions de grands programmes d'investissement, donc dans les causes essentielles de l'endettement, qui s'élève aujourd'hui à quelque 208 milliards de francs.
Or le Gouvernement, loin de libérer la SNCF du fardeau de la dette, en transfère 134,2 milliards de francs vers le nouvel établissement public « Réseau ferré national », qui devient propriétaire des infrastructures. Ce tour de passe-passe, ce jeu d'écritures, cette somme non inscrite au budget de l'Etat vous permet ainsi de rester dans le cadre défini par les critères de convergence du traité de Maastricht.
Dans ces conditions, et pour répondre à sa mission, le nouvel établissement public n'aura d'autres solutions que le recours à l'emprunt, la fermeture de lignes, les recettes tirées des péages qu'il facturera à la SNCF pour l'utilisation des infrastructures. En outre, les contributions actuelles de l'Etat aux charges d'infrastructures ne sont pas garanties sur plusieurs années, comme elles l'étaient auparavant par contrat.
Au total, avec ce qui nous est proposé, il n'y aurait plus une entreprise rongée par la dette et les charges financières, mais deux, toutes deux endettées et livrées aux règles des marchés financiers. C'est une véritable bombe à retardement qui est programmée !
L'Etat a une dette, il doit la payer ! Rien dans l'organisation actuelle de la SNCF ne s'y oppose. D'autres pays européens s'y sont employés : je pense en particulier à l'Allemagne, qui a effacé les 300 milliards de francs de dettes de sa compagnie nationale et qui lui accorde des prêts gratuits de quinze à quarante ans pour ses investissements.
Il n'était donc pas nécessaire de créer un établissement spécifique pour régler le problème de la dette. Il était possible, dans le cadre législatif actuel, que l'Etat, comme c'est déjà le cas, exerce la propriété des infrastructures au travers de la SNCF, ce qui permettait d'assurer cette maîtrise puisque la séparation comptable existe depuis 1992, en application de la directive européenne 91/440.
Il était possible encore de transférer tout ou partie de la dette dans le service annexe de l'amortissement qui existe au sein de l'entreprise.
Enfin, on aurait tout aussi bien organiser la sortie de la dette par la création d'un organisme financier chargé à la fois du désendettement et des infrastructures.
Le rôle de l'Etat ne pourrait naturellement pas se borner à une prise en charge de la dette alors que les organismes financiers prêteurs ont déjà empoché plus de 120 milliards de francs d'intérêt. Ces organismes prêteurs sont, pour l'essentiel, des investisseurs institutionnels auprès de qui l'Etat a la possibilité d'intervenir pour agir sur la structure de la dette. Mais cela suppose une condition politique : être résolu à s'attaquer à la domination des marchés financiers sur l'économie nationale et sur la construction européenne.
D'autre solutions existaient donc que cette séparation institutionnelle. Mais, confronté aux critères de Maastricht, vous n'avez par voulu les envisager. Quoique vous en disiez, ce projet de loi ne permet aucunement de préserver la SNCF de la déréglementation. La logique de la déréglementation y est au contraire insidieusement acceptée.
Monsieur le ministre, vous avez présenté ce projet comme étant une réponse originale et spécifiquement française à la situation de la SNCF et à sa nécessaire adaptation aux défis européens, affirmation discutable car, en Espagne par exemple, un projet de même nature a été élaboré par le gouvernement pour réformer le transport ferroviaire.
En réalité, chez nous comme en Espagne, la solution préconisée est conforme aux demandes de la Commission de Bruxelles, qui souhaite ne pas s'en tenir à la séparation comptable, mais qui veut séparer physiquement les infrastructures des activités. Un rapport de la Cour des comptes avait ainsi relevé que la privatisation des chemins de fer britanniques s'était faite à partir de la distinction physique entre les infrastructures et l'exploitation.
Vous affirmez vous opposer au Livre blanc de la Commission, mais vous mettez en place une architecture qui va dans le même sens et vous acceptez la création de corridors ferroviaires qui permettront la mise en concurrence de différents opérateurs pour le transport des marchandises. En outre, il faut considérer, dans la même logique, que si la SNCF n'était pas en mesure d'augmenter suffisamment sa participation pour rétablir l'équilibre du futur établissement public, la résistance aux pressions d'autres opérateurs pour utiliser le réseau national ne serait pas de longue durée. C'est cela qui est sous-jacent dans votre réforme.
Certes, vous prévoyez de faire amender votre texte par des dispositions garantissant notamment l'impossibilité de mettre en concurrence la SNCF avec d'autres sur l'entretien, la modernisation, la construction des infrastructures. Ce serait de bien piètres garde-fous, de peu de poids par rapport à la possibilité de leur opposer les directives européennes qui prendraient appui sur l'existence de deux entités distinctes.
Non, décidément, votre projet de réforme de la SNCF n'est pas de nature à répondre efficacement aux défis auxquels elle est confrontée. Il est lourd de dangers pour l'avenir du transport ferroviaire national.
Nous lui opposons une autre logique qui se fonde sur les besoins des usagers, de la nation, des cheminots. Cette volonté de développement du service public doit s'appuyer sur plusieurs axes.
D'abord, la qualité du service public doit permettre le droit au transport pour tous dans des conditions tarifaires identiques, ce qui suppose la sauvegarde des péréquations tarifaires et un maillage du territoire faisant du réseau ferré l'élément structurant de l'aménagement du territoire. Cela nécessite, avant tout, l'arrêt des fermetures de lignes, de gares, des suppressions d'emplois. Cela suppose également la remise à niveau du réseau pour favoriser la complémentarité des modes de transports.
Cette complémentarité est essentielle pour le fret, à des fins évidentes de sécurité, d'économies d'énergie, mais aussi de valorisation locale des activités et de volonté de résister à la déréglemenation dans ce secteur. Nous proposons, par exemple, de garder GEODIS au sein de la SNCF pour faire de cette société un pôle de multimodalité du transport des marchandises et non un lieu de guerre économique. Nous proposons encore que l'activité fret du ferroviaire soit reconnue comme un service public.
Enfin, le développement du service public du transport ferroviaire passe par de nouveaux critères et de nouvelles missions qui lui seraient assignés pour toujours mieux répondre aux soucis d'un aménagement du territoire équilibré et de résorption des inégalités sociales et géographiques.
Il s'agit, d'abord, de favoriser la création d'emplois qualifiés et la formation, la préservation de l'environnement et l'économie de ressources naturelles, la promotion de coopérations internationales s'affranchissant des règles de guerre économique sur un marché libéralisé, particulièrement en Europe.
De telles missions nécessitent à l'évidence le maintien de l'unicité de l'entreprise et du monopole public du transport ferroviaire.
Vous comprendrez, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, que, dans ces conditions, le groupe communiste républicain et citoyen s'oppose résolument à votre texte. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen. - M. Mélenchon applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Lesein.
M. François Lesein. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, depuis déjà fort longtemps, les constats sur la situation préoccupante du chemin de fer français abondaient, sans qu'en soient vraiment tirées pour autant les conséquences !
Il semble que l'Etat comme la SNCF se soient, d'une certaine manière, accommodés de l'ambiguïté, voire de l'opacité, qui a prévalu durant des décennies sur leur responsabilité respective dans cette situation devenue grave.
Le résultat est là pour la SNCF : 200 milliards de francs d'endettement et des pertes annuelles croissantes, évaluées pour 1995 à 12 milliards de francs.
Il n'en reste pas moins qu'aujourd'hui ce sont les cheminots, d'abord, et l'ensemble des Français, ensuite, usagers et contribuables, qui souffrent de ce lourd tribut.
Il a fallu un conflit social majeur dans notre pays, celui de l'automne 1995, pour que, sous la pression de l'opinion publique, les pouvoirs publics et les syndicats s'accordent à reconnaître l'impossibilité du statu quo. Cela a sans doute été le seul aspect positif de cette confrontation.
Sur l'initiative du Gouvernement, une concertation nationale s'est engagée, en France, sur l'avenir du transport ferroviaire, au sein des conseils régionaux, des conseils économiques et sociaux et des assemblées, concertation qui a permis de mettre à plat les difficultés de la SNCF et de poser enfin concrètement les enjeux dans un contexte national et européen.
Après un an de débats, la réforme de la SNCF est enfin mise sur les rails, si vous me permettez l'expression. Et rien ne semble pouvoir l'arrêter, pas même les résistances de toutes natures ni les intempéries.
Si la nécessité d'un changement profond est devenue, il est vrai, incontournable, il ne faut pas néanmoins mésestimer les inquiétudes qu'il suscite. Seules la compréhension et l'acceptation - non résignée mais volontaire - de la réforme par tous les acteurs concernés permettront de créer les conditions favorables de sa réussite. Mais est-ce suffisant, monsieur le ministre, pour justifier le caractère d'urgence que vous avez appliqué à votre projet de loi ? La précipitation n'est pas toujours bonne. Souvenons-nous, mes chers collègues, du dernier projet sur la sécurité sociale, pour lequel, dès le 20 décembre, M. le ministre faisait marche arrière ! Réfléchissons et n'allons donc pas trop vite. Il faut de la « concertation-débat » !
Sauver la SNCF passe, à l'évidence, par une forte résorption de sa dette. Mais - les orateurs précédents l'ont dit à cette même tribune - il apparaît clairement que l'Etat porte une importante part de responsabilité dans le niveau d'endettement de l'entreprise - qui n'est pas nouveau, je vous l'accorde - en ayant poussé celle-ci à des investissements nouveaux dont elle ne pouvait pas assumer le financement.
Cette situation financière dramatique n'est pas non plus sans lien avec les déficits de fonctionnement de l'entreprise et l'effritement des parts de marché. Le développement du réseau routier et l'attraction du trafic aérien sur les longues distances ont mis à mal une structure engluée par des corporatismes, des archaïsmes et des comportements irresponsables.
Sauver la SNCF suppose aussi de clarifier les relations entre l'Etat et la société nationale en identifiant leurs responsabilités et leurs charges respectives. L'Etat doit assumer pleinement ses choix en matière d'investissements nouveaux et laisser la SNCF se concentrer sur sa véritable mission de service public et son véritable métier, c'est-à-dire le transport des voyageurs et des marchandises par le rail.
La mise en place d'un nouvel établissement public, le RFN, chargé de l'aménagement, du développement et de la mise en valeur du réseau national, et reprenant, à ce titre, la partie importante de la dette de la SNCF correspondante, répond apparemment à ces exigences, mais mérite néanmoins mûres réflexions.
Il demeure néanmoins certaines incertitudes, notamment sur les termes du transfert de la dette à RFN. Comment, et surtout où et dans quel délai le nouvel établissement trouvera les moyens de rembourser la dette de 134,2 milliards de francs dont il héritera ? Pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, où notre ministre du budget va trouver une telle somme compte tenu des difficultés actuelles ?
De plus, comment la SNCF pourra-t-elle disposer d'une marge de manoeuvre suffisante pour remplir sa mission en s'assurant un redressement durable avec une dette résiduelle de près de 70 milliards de francs ? Il faut nous expliquer où l'on trouvera ces sommes.
Il n'est pas apporté de réponses claires à ces questions dans votre projet de loi, monsieur le ministre.
Enfin, la question de l'avenir du transport ferroviaire doit prendre place dans une réflexion plus globale sur les transports. La définition des priorités d'investissements futurs devra tenir compte des impératifs de réduction des dépenses publiques, bien sûr, mais aussi de l'opportunité de choix rationnels entre les divers modes de transport et, surtout, des potentialités offertes par l'Europe. Celle-ci peut ouvrir au rail de nouvelles perspectives, notamment dans le transport à grande vitesse, sur les distances transeuropéennes et le transport des marchandises.
La réforme de la SNCF prévoit une expérimentation dans six régions qui se sont portées volontaires pour la réaliser. Cette initiative intéressante, fondée sur la loi du 4 janvier 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, a été amorcée après une consultation auprès de neuf régions. Six d'entre elles ont été retenues.
Il serait intéressant de connaître les raisons qui ont prévalu dans le choix du ministère ainsi que l'importance des réseaux concernés et des volumes/trafics qu'ils permettaient d'écouler au cours des dernières années.
Par ailleurs, cette expérimentation est prévue pour l'année 1997. Certaines régions candidates se sont déjà préparées à la mettre en oeuvre et c'est heureux.
Il reste qu'elle ne pourra devenir effective qu'après le vote de la loi et la parution des décrets. Je souhaite avoir des assurances sur la manière de réaliser cette transition en cours d'année ou sur le fait qu'elle sera reportée d'une année. On peut s'interroger.
Enfin, monsieur le ministre, sans remettre en cause ni l'unité du réseau ferré ni l'identité et les missions de la SNCF, j'aimerais insister sur la nécessité pour cette dernière de se préparer - je compte sur vous pour cela - à la concurrence européenne dans un grand marché unifié. Pour l'instant, on ne voit pas où l'on en est dans ce domaine.
Sous réserve, monsieur le ministre, des réponses positives que vous nous apporterez, j'en suis sûr, à toutes ces interrogations, notamment sur le point de savoir où l'on trouvera l'argent, j'apporterai mon soutien à ce projet de loi. Ce ne sera pas un soutien enthousiaste, vous vous en doutez, pas plus que celui de certains de mes collègues du RDSE ; mais il sera dicté par le souci de ne pas faire perdurer une situation dommageable pour l'entreprise, pour ses personnels et pour la qualité d'un service public dont je souhaite qu'il devienne, grâce à ce projet de loi, s'il est adopté, un service au public ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi dont nous débattons est un texte important.
Il marque, de la part de l'Etat, un effort financier tout à fait considérable, d'autant plus considérable que nous sommes dans une période de ressources maigres et d'activité faible.
Il résulte d'un très long processus de concertation, de conciliation et d'interrogations, ainsi que du regard porté sur ce qui se passe dans les pays voisins.
Il représente, à ce titre, un moment important pour l'avenir de la SNCF.
Le fait de siéger depuis plusieurs années au sein du conseil d'administration de cette entreprise m'a valu la joie de voir quatre ou cinq présidents successifs tenter de la redresser !
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis. C'est le dernier ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le ministre, la réforme que vous nous proposez constitue une bonne base de départ. Il s'agit d'un élément nécessaire au redressement de la SNCF. Mais il est clair que des conditions supplémentaires devront être remplies pour que cet essai soit transformé. C'est évidemment sur ces conditions supplémentaires que j'insisterai, après avoir toutefois approuvé la base de départ.
A ce propos, les deux rapports, que j'ai lus attentivement, montrent clairement que le « trépied » sur lequel vous vous appuyez - c'est-à-dire la distinction juridique entre exploitation et gestion des infrastructures, le début de l'expérience de régionalisation des services de voyageurs et la mise en oeuvre d'un véritable projet industriel - réunit les trois axes d'une réforme attendue, même si on peut penser que d'autres éléments auraient pu être retenus. Il faudra en effet régler un jour les problèmes de fret et mettre de l'ordre dans la concurrence interne qui existe au sein de la SNCF, notamment entre le rail et la route.
Je trouve cependant que ces trois axes sont judicieux, et le projet de loi, qui concerne, pour l'essentiel, la distinction entre l'exploitation et la gestion des infrastructures, va, me semble-t-il, quelle que soit la référence que l'on adopte, aussi loin que possible en l'état actuel des finances publiques.
Il est en effet difficile d'expliquer aux chefs de petite entreprise confrontés à des problèmes de trésorerie ou d'emprunts pour financer leurs investissements qu'une grande partie de l'effort national est consacré au redressement de la SNCF, du Crédit lyonnais et du Crédit foncier.
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Tout à fait ! C'est parfaitement exact !
M. Jean-Pierre Fourcade. Il conviendrait tout de même, dans ce pays, de relativiser un peu les choses et d'essayer de répartir l'ensemble des ressources publiques sur tous les secteurs de l'économie, au lieu de les concentrer sur certains secteurs caractérisés par des structures anciennes et, dans un certain nombre de cas, par des statuts protégés.
L'effort de l'Etat est donc considérable. Je sais, monsieur le ministre, que vous avez promis au rapporteur de la commission saisie au fond de l'intensifier encore un peu plus, ce qui me donne un léger regret, car il me semble qu'il aurait été plus pédagogique, vis-à-vis de l'ensemble de ceux qui s'intéressent à ce sujet, de faire en sorte que, dès 1997, le compte de l'exploitant soit équilibré. Nous y sommes presque,...
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis. Il le sera en 1999 !
M. Jean-Pierre Fourcade. ... puisqu'il doit faire apparaître en 1997 un petit déficit. Mais il eût été préférable d'atteindre l'équilibre dès cette année, car cela aurait constitué un instrument de mesure de l'efficacité de la réforme beaucoup plus présentable pour l'ensemble des partenaires sociaux et aurait permis de bien voir quel était l'objet essentiel de celle-ci.
Cela dit, l'effort que vous engagez est tout à fait important, monsieur le ministre.
On me dit que le compte du transporteur sera équilibré en 1999 au plus tard...
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Oui !
M. Jean-Pierre Fourcade. J'en accepte l'augure.
Je n'avais pas voté le budget pour 1996, parce que les hypothèses économiques sur lesquelles il reposait ne me paraissaient pas fondées et parce que le déficit des comptes du transporteur me semblait beaucoup trop important : les économies proposées pour tenter de réduire celui-ci n'étaient pas, à mon avis, suffisantes. J'espère que je pourrai voter le budget de 1997, si du moins je suis toujours membre du conseil d'administration de la SNCF.
J'en viens maintenant aux conditions supplémentaires, lesquelles concernent aussi bien l'entreprise que l'Etat.
Pour ce qui concerne l'entreprise, le projet industriel actuellement en préparation va, me semble-t-il, dans le bon sens, et quelques débats sur ses grandes lignes ont déjà eu lieu au sein du conseil d'administration. Il tend à mobiliser l'entreprise au service de ses clients, chargeurs ou voyageurs, à mieux distinguer ce qui est important de ce qui l'est moins dans l'exploitation et à faire évoluer un certain nombre de structures qui sont, à l'heure actuelle, tout à fait surannées.
Par rapport à ce projet, trois conditions supplémentaires s'imposent.
Premièrement, il faut qu'enfin une véritable comptabilité analytique soit mise en place à tous les échelons de l'entreprise (M. le ministre acquiesce.), car, pour apprécier les efforts de productivité, il faut pouvoir les mesurer, dans une entreprise qui est plus habituée à contrôler la régularité des trains que l'amélioration de sa productivité.
Il faut donc changer de culture et mettre en place une véritable comptabilité analytique, qui ne soit pas une simple addition ! En effet, à l'heure actuelle, il n'y a pas d'instrument de passage de la comptabilité générale à la comptabilité analytique. Or le fait, pour une entreprise dont le chiffre d'affaires est supérieur à 50 milliards de francs et la masse salariale égale à cette même somme, de ne pouvoir passer de l'une à l'autre me paraît regrettable. Il est alors inutile de parler d'amélioration de la productivité, puisque l'on n'est pas capable de la mesurer !
Deuxièmement - et les événements de l'hiver l'ont montré - il est clair que, dans l'optique du projet industriel, il faut raccourcir les lignes hiérarchiques. La distance qui sépare le président du contrôleur, lequel est assailli par les clients et ne sait que leur répondre, parce que les mécanismes d'information sont insuffisants, est trop grande, et la complexité de la structure est telle, entre les directions fonctionnelles et les directions régionales, que, à l'heure actuelle, en cas de dysfonctionnements, personne ne sait exactement ce qu'il faut faire en temps utile, ce qui laisse au client une impression désastreuse.
Cela vient à mon avis d'une trop grande richesse de la structure hiérarchique, qui comprend un trop grand nombre de niveaux. Là encore, comme dans beaucoup d'entreprises, il faut simplifier l'organigramme et donner à ceux qui sont au contact des clients, chargeurs ou voyageurs, des responsabilités qu'ils n'ont pas à l'heure actuelle,...
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Fourcade. ... tant ils sont tenus d'en référer à une hiérarchie qui elle-même doit rendre des comptes... et ainsi de suite. Il en est ici comme dans un ministère - vous savez de quoi je parle, monsieur le ministre ! (Sourires.) - au sein duquel la lutte entre les différentes directions est plus importante que la mobilisation pour atteindre l'objectif commun.
La SNCF me paraît souffrir de ce défaut jusqu'à la caricature, et il faut donc décloisonner et simplifier, pour en arriver à des structures explicables.
M. Gérard Braun. C'est vrai !
M. Jean-Pierre Fourcade. Enfin, troisièmement - et c'est le point le plus délicat ; mais la concertation à laquelle vous avez procédé devrait constituer, à cet égard, une bonne préparation - le préavis de grève déposé chaque matin...
Mme Michelle Demessine. Ah !
M. Jean-Pierre Fourcade. ... - et quand je dis « le »...
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis. C'est « les » qu'il faudrait dire !
M. Jean-Pierre Fourcade. Oui : il y en avait quarante-sept, l'autre jour !
Le préavis de grève, disais-je, ne doit pas devenir la forme habituelle du dialogue social dans l'entreprise...
M. Gérard Braun. Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade. ... - il est en général suivi de peu d'effet, mais il entraîne parfois des conséquences importantes, et personne ne peut savoir au moment de son dépôt s'il entravera l'exploitation - et pour cela il faut que les organisations d'un côté, la direction et ses services de l'autre,...
M. Bernard Piras. Surtout la direction !
M. Jean-Pierre Fourcade. ... consentent un effort partagé pour que les conflits soient traités en amont.
Je voudrais essayer de dépassionner ce débat.
J'ai entendu évoquer tout à l'heure, à plusieurs reprises, la notion de service public. Cela recouvre d'abord le service du public et la continuité de celui-ci. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
Tant que ce souci ne sera pas entré dans la culture de l'entreprise, on aura beau additionner les dations ou les remises de dette, il ne se passera pas grand-chose !
Mme Hélène Luc. Il faut la qualité et la concertation !
M. Jean-Pierre Fourcade. La qualité, madame Luc, c'est la continuité du service. Sinon, il n'y a plus de service public !
M. Félix Leyzour. Et le dialogue social ?
M. Jean-Pierre Fourcade. J'ai dit que le dialogue social était nécessaire, avec un effort partagé de la direction...
Mme Michelle Demessine. Puisse-t-elle vous entendre !
M. Jean-Pierre Fourcade. ... et des organisations syndicales.
J'ai entendu tout à l'heure M. Billard dire qu'il aurait fallu organiser un référendum dans l'entreprise avant de soumettre le texte au Parlement. Permettez-moi de penser que c'est là une conception tout à fait particulière de la démocratie, dans laquelle on demande l'avis des organisations syndicales avant de s'en remettre à la représentation nationale !
Ce n'est pas notre conception de la démocratie ! (Très bien ! et applaudissements sur les mêmes travées.)
Mme Hélène Luc. Ça, c'est clair !
M. Jean-Luc Mélenchon. Du côté du patronat, il y a moins de personnes à consulter !
M. Jean-Pierre Fourcade. J'écouterai tout à l'heure, monsieur Mélenchon, ce que vous direz sur ce sujet important !
S'agissant du rôle de l'Etat, je crois que l'une des faiblesses du texte qui nous est présenté - faiblesse que nos deux rapporteurs ont d'ailleurs relevée, avec le sérieux que nous leur connaissons - tient à ce qu'il faut abandonner le pilotage budgétaire à l'année d'un organisme aussi lourd pour établir a minima une prévision budgétaire à trois ou quatre ans.
Il est très difficile de mettre en place un organisme nouveau en s'appuyant sur les audits pour savoir quelle est la consistance des biens, avec une connaissance imprécise des recettes et des dépenses - mais on sait que ces dernières seront importantes - sans avoir un éclairage à plus long terme. Il faut donc désormais que, dans sa gestion du secteur public, l'Etat établisse une double projection : une projection budgétaire annuelle, bien sûr, puisque c'est la règle de l'annualité budgétaire, et chaque année le budget doit être discuté et voté par le Parlement, et une projection pluriannuelle glissante sur quatre ou cinq ans, permettant de situer la première et d'y voir ainsi plus clair.
C'est un élément qui, à mon avis, pourrait rassurer l'ensemble des acteurs, qu'il s'agisse du personnel ou de la direction. Je ne crois pas que l'on puisse continuer à diriger une grande entreprise au moyen d'une technique budgétaire annuelle. Tous les grands organismes dans le monde sont maintenant gérés dans une optique pluriannuelle.
Il vous appartient donc, monsieur le ministre, puisque vous êtes un novateur, de mettre en place un système pluriannuel permettant de baliser l'avenir et de donner un certain nombre de directives claires à l'ensemble des opérateurs.
Par ailleurs, nous raisonnons encore, en matière de politique tarifaire, comme si les retombées sur l'indice des prix à la consommation des modifications tarifaires constituaient le point essentiel. Nous avons tous bien connu ce réflexe à l'époque où l'inflation était forte. Nous en sommes sortis, et il faut que l'administration française en prenne conscience et s'aperçoive que l'on n'est plus obligé d'augmenter les tarifs de la RATP au mois d'août pour des raisons techniques liées au calcul de l'indice des prix. Il faut que l'exploitant, qui sera désormais maître de la conduite de l'entreprise, soit aussi maître de sa politique tarifaire et qu'on en finisse avec des gadgets qui se cumulent, telle la carte Kiwi...
M. Bernard Piras. Vous auriez dû être directeur de la SNCF !
M. Jean-Pierre Fourcade. J'ai une certaine expérience de ces choses, monsieur Piras !
M. Bernard Piras. Je le constate !
M. Jean-Pierre Fourcade. Il faut que la politique tarifaire soit beaucoup plus souple et qu'elle permette au chemin de fer de faire face à la concurrence de l'avion et de la route.
Il vaudrait mieux adopter une perspective tarifaire sur plusieurs années, avec un contrôle, à la fin de chaque exercice, de l'incidence des décisions prises, plutôt que de s'enfermer dans des grilles et dans des discussions infinies pour savoir si l'on majore de 0,5 franc ou de 0,75 franc le prix du kilomètre/passager ou le prix du kilomètre de la tonne chargée.
C'est une révolution culturelle,...
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Effectivement !
M. Jean-Pierre Fourcade. ... mais elle s'impose à l'Etat du fait de la mutation de notre société et de l'évolution du cadre dans lequel nous vivons. C'est l'autre condition qui permettra, en ce qui concerne l'Etat, d'améliorer le processus de réforme.
Enfin, dernière condition - c'est la plus difficile à remplir, monsieur le ministre, et en étudiant ce qui s'est passé depuis une quinzaine d'années en matière d'investissements, vous constaterez qu'elle est fondamentale - le mécanisme de la décision d'investissement doit être complétement revu. S'il est normal et souhaitable que l'exploitant ait la maîtrise absolue de son effort d'investissement en matière de maintenance, aussi bien pour les infrastructures que pour le matériel, il dépend du trafic, du volume, de l'ancienneté des matériels, des achats, etc. - et si l'effort consenti par l'entreprise doit être le plus important possible, parce que c'est la garantie de la sécurité et du bon fonctionnement, des équipements, il faut aussi que la décision d'investissement pour les extensions de capacité fasse l'objet d'une procédure moins compliquée que celle qui est en vigueur actuellement.
En effet, la procédure actuelle est complexe et inefficace.
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Totalement !
M. Jean-Pierre Fourcade. Par conséquent, je suggère trois mesures.
La première, c'est la suppression du FDES, qui ne sert à rien. Les deux entreprises de transport qui sont au FDES ont fait les pires bêtises depuis dix ans, et le FDES a toujours dit oui. Bien sûr, on y fait siéger un certain nombre de personnes, en général des retraités, qui sont très contentes de s'occuper de ces dossiers qui ne contrôlent pas l'investissement ! ( Exclamations sur les travées socialistes.)
Par ailleurs, les propositions d'investissement que l'on présente à la décision politique sont, hélas ! insuffisamment étudiées et ne comportent pas suffisamment de marge d'imprévu.
Il serait donc utile - c'est la deuxième mesure que je propose - d'instaurer au sein de la direction des transports de votre ministère une petite cellule, composée de quelques personnes de qualité, chargée de recenser les projets, de les chiffrer, de faire des études contradictoires de manière à vérifier le bien-fondé de telle ou telle proposition d'investissement - qui correspond toujours à la vieille théorie selon laquelle lorsqu'on a décidé de faire une première tranche, on est bien obligé de continuer, quelle que soit la dérive des coûts.
Dans la compétition internationale, une entreprise ne peut pas ne pas se préoccuper des coûts de ses investissements.
Il faut aussi - c'est ma troisième proposition - de modifier le mécanisme de décision pour les investissements visant à augmenter les capacités. Il s'agit d'un élément fondamental de la réussite de l'opération. Cela doit s'imposer aussi bien à l'établissement public d'infrastructure qu'à la société d'exploitation elle-même.
Monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, je voterai ce projet de loi, car il me paraît nécessaire.
Je souhaite que vous acceptiez d'examiner les quelques propositions complémentaires que je formule et qui constituent, selon moi, la clé du succès de l'opération.
Je comprends que certains s'opposent à ce genre de modification. Il est tellement plus facile d'être subventionnné par le contribuable, sans rien changer !
M. Jean-Luc Mélenchon. Oh !
M. Jean-Pierre Fourcade. Cependant, il faut tout de même que cela finisse, car nous ne pouvons continuer à faire porter le poids de cette situation par la partie de notre pays qui est directement exposée à la compétition internationale. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.) Sinon, c'est le chômage qui sert de variable d'ajustement !
Il faut donc soutenir ce projet de loi.
M. Bernard Piras. Démagogie !
M. Jean-Pierre Fourcade. Il n'y a pas, d'un côté, le personnel de la SNCF et, de l'autre, l'Etat. Il y a aussi les clients, chargeurs et voyageurs,...
M. Jean-Luc Mélenchon. Les usagers et la nation !
M. Jean-Pierre Fourcade. ... et c'est à eux qu'il faut penser !
M. Jean-Luc Mélenchon. Et les usagers ?
M. Jean-Pierre Fourcade. Je dis « les clients » et vous, vous dites : « les usagers ». C'est notre différence de culture.
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est clair ! Merci de le reconnaître !
M. Jean-Pierre Fourcade. Vous n'êtes pas sortis du système d'avant le mur de Berlin ! Voilà notre différence ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste. - Exclamations sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Jean-Luc Mélenchon. Qu'est-ce que le mur de Berlin vient faire avec la SNCF ?
M. Jean-Pierre Fourcade. Eh bien, c'est « aux clients » qu'il faut penser en adoptant ce texte ! (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Le Grand.
M. Jean-François Le Grand. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je vais raccourcir un peu mon intervention puisque, tout à l'heure, notre excellent collègue Jean-Jacques Robert a, pour l'essentiel, abordé les sujets importants ; je m'associe bien sûr totalement aux propos qu'il a tenus.
Je voudrais tout de même revenir sur un point, qu'il a d'ailleurs traité en préambule de son propos, à savoir l'hommage qu'il faut rendre au Gouvernement d'avoir eu le courage d'engager une telle réforme. Monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, vous avez en effet osé présenter la première grande réforme de l'entreprise publique depuis sa création en 1937.
M. Aubert Garcia. Léon Blum !
M. Jean-François Le Grand. Cette réforme a fait l'objet d'un grand débat national. Elle est le fruit d'une large concertation avec tous les acteurs concernés par la pérennité et le développement de notre transport ferroviaire. Soyez-en félicités.
Permettez-moi de prolonger l'hommage en direction de nos deux rapporteurs.
Il convient de féliciter tout d'abord M. François Gerbaud, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan, saisie au fond, pour la pertinence de sa réflexion, la clarté de ses avis et l'esprit d'ouverture qui l'a animé tout au long de ce travail. J'ai, pour ma part, souvent l'occasion de constater cet esprit d'ouverture. En effet, en présidant le conseil supérieur de l'aviation marchande, j'ai la chance de bénéficier de ces qualités, à propos notamment - je me tourne vers vous, madame le secrétaire d'Etat - de l'éventuelle proposition relative à une modification du conseil supérieur de l'aviation marchande : M. Gerbaud est l'un des initiateurs de cette proposition.
Il convient également de rendre hommage à M. Hubert Haenel. Dès 1992, il a attiré l'attention - à l'époque, il a été le seul à le faire - sur les sombres perspectives qui se profilaient à l'horizon pour la SNCF. En 1993, il a présidé excellemment la commission d'enquête diligentée par le Sénat. Cette commission d'enquête préconisé un certain nombre de mesures et on retrouve trois d'entre elles dans les objectifs que cherche à atteindre le présent projet de loi. C'est le meilleur hommage que l'on pouvait rendre au travail de M. Haenel. Qu'il soit, lui aussi, remercié d'avoir fait honneur au Sénat en étant à l'origine d'une réflexion de cette nature et de cette qualité.
M. Josselin de Rohan. Très bien !
M. Jean-François Le Grand. La loi vise trois objectifs.
Le premier, c'est la clarification des responsabilités de l'Etat et de la SNCF dans la gestion des infrastructures, la SNCF, unique exploitant ferroviaire, devant ainsi se recentrer exclusivement sur son savoir-faire, c'est-à-dire son rôle de transporteur public.
A cet égard, certains orateurs qui m'ont précédé sont intervenus sur les quelque 400 filiales qui constituent le groupe SNCF. Il est effectivement souhaitable que des précisions soient apportées sur l'avenir de ces filiales et, peut-être, la nécessité de les réorganiser.
Le deuxième objectif est le désendettement de la SNCF.
Je tiens à saluer ici le geste du Gouvernement qui, en désendettant l'entreprise publique pour un montant de 134,2 milliards de francs, d'une part lui donne une chance inespérée d'amorcer réellement sa reconquête commerciale...
Mme Marie-Claude Beaudeau. Inespérée ?
M. Jean-François Le Grand. Inespérée, parfaitement !
D'autre part, ce geste du Gouvernement affirme la volonté de celui-ci de voir le renouveau de notre transport ferroviaire dans le cadre d'une véritable politique nationale des transports.
M. Jean-Luc Mélenchon. On l'attend toujours !
M. Jean-François Le Grand. Le troisième objectif vise à préciser les conditions de l'expérimentation de la régionalisation prévues dans le cadre de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995, ce qui constitue par ailleurs un des points fondamentaux de cette réforme.
Au-delà de ces trois objectifs les plus explicites, le présent projet de loi a aussi le mérite de rendre spécialement plus transparente et plus efficace, à travers des décisions d'investissements et des choix décidés pour la tarification d'infrastructures, la politique conduite par l'Etat dans le domaine du transport ferroviaire.
Avant la réforme, les décisions ne relevaient qu'indirectement de l'Etat, par le biais de la procédure des contrats de plan, et se noyaient largement dans l'ensemble des activités de la SNCF.
Désormais, à travers le budget d'investissements de Réseau ferré national, on pourra clairement apprécier l'effort consenti en faveur du réseau ferroviaire et le comparer avec celui produit pour les autres réseaux d'infrastructure de transports. Quant au système de tarification, l'évolution de sa structure et des prix pratiqués permettront d'identifier sans ambiguïté les priorités engagées par l'Etat.
A plusieurs reprises, notamment lors des avis budgétaires émis sur le budget annexe de l'aviation civile ou du transport aérien, j'ai eu l'occasion d'évoquer, voire d'invoquer, la nécessaire organisation de la multimodalité du transport.
Grâce aux deux instruments ainsi créés, Réseau ferré national et le système de tarification, la volonté de mettre en place une véritable politique intermodale de transports cessera d'être seulement incantatoire. En réservant à chaque mode un rôle efficace, en les rendant concurrents et complémentaires, l'Etat atteint deux buts.
Le premier, c'est la maîtrise des facteurs de développement de chacun, le deuxième, c'est une meilleure gestion des économies d'énergie, une diminution des risques et des nuisances encourus par nos concitoyens, donc un meilleur écobilan de la société.
M. Jean-Luc Mélenchon. Ce n'est pas pour demain !
M. Jean-François Le Grand. Je reste d'ailleurs persuadé, conformément à la démonstration pertinente faite par la commission « réseaux et territoires » de la DATAR, que, pour assurer la cohérence des choix en matière d'infrastructures, il faut coordonner la mise en oeuvre des principaux instruments de la politique des transports - la réglementation, la tarification, le choix des investissements, le mode de financement - à un niveau global et dans un concept d'intermodalité, et ce au-delà du cloisonnement actuel des structures administratives et des circuits sectoriels de financement.
Est-il nécessaire de rappeler que l'extension des réseaux ne peut trouver sa pleine efficacité que dans une étroite synergie entre les projets spécifiques de développement économique et social des territoires, d'une part, et le développement du mode de transport le plus pertinent et le mieux adapté aux besoins, d'autre part ?
Je l'ai dit, mais j'y reviens néanmoins en quelques mots : une véritable politique des transports ne peut être que globale et intermodale.
Certaines projections en matière d'intermodalité de trafics interurbains conduisent, dans des hypothèses vraisemblables d'évolution de la croissance économique, de la tarification et de l'offre de transport, à une croissance globale des trafics.
Pour les voyageurs, cette croissance serait de l'ordre de 2,4 à 3,2 % par an, légèrement supérieure à celle du PIB - 1,9 % à 2,9 % par an - mais inférieure à celle des vingt dernières années - qui était de 4 % par an - du fait d'une certaine saturation de la demande routière et aérienne.
En ce qui concerne les marchandises, la croissance prévisible est de 2,1 % par an, dans la continuité des tendances passées, principalement tirée par le trafic international.
Si on extrapole les tendances actuelles, les parts de marché de la route continueraient donc à augmenter. La répartition entre les modes de transport risque, par conséquent, d'être très sensible aux politiques tarifaires, aux décisions d'investissements prises par les pouvoirs publics et aux politiques commerciales menées par les opérateurs. S'agissant des marchandises, la part de marché de la route varierait de 78 % à un peu plus de 85 %, selon les hypothèses ; elle n'était que de 75 % en 1992.
En ce qui concerne les politiques commerciales menées par les opérateurs, permettez-moi, sans aucune flagornerie, de saluer ici l'effort de redressement de la situation entrepris par le président Gallois et par son équipe, de même que par ceux qui travaillent dans l'entreprise.
On ne parle plus d'usagers, monsieur Mélenchon, on parle de clients ! C'est un changement profond d'attitude et de culture.
M. Jean-Luc Mélenchon. Ça c'est clair !
M. Jean-François Le Grand. C'est clair et nécessaire !
En très peu de temps, l'image de la SNCF s'est améliorée. Même si le comportement de cette société suscite encore des incertitudes et des hésitations, son image globale commence à s'améliorer et chacun à l'extérieur sent que quelque chose bouge et commence à évoluer.
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis. C'est vrai !
M. Jean-François Le Grand. Que les auteurs soient donc félicités, mais plus encore encouragés à prolonger l'effort ; la réussite sera aussi à ce prix.
M. Gérard Braun. Très bien !
M. Jean-François Le Grand. Dans ce contexte, l'Etat pourra, dans les mois à venir, faire apparaître les signes concrets de son engagement en faveur d'un rééquilibrage rail-route, en particulier dans le transport des marchandises. La SNCF est d'ores et déjà en concurrence dans ce contexte multimodal.
Ainsi, on peut attendre du dispositif proposé aujourd'hui, d'une part, qu'il se traduise par une réallocation des ressources en direction des infrastructures ferroviaires et, d'autre part, qu'il permette, à travers la tarification d'infrastructures, à la fois la prise en compte de la situation financière de la SNCF et la nécessité d'une harmonisation des conditions de concurrence entre les différents modes de transport ; ce que disait tout à l'heure M. Fourcade sur la nécessité d'une visibilité à moyen terme en matière de financement s'inscrit tout à fait dans ce concept.
La réallocation des ressources en direction des infrastructures ferroviaires et la prise en compte systématique des alternatives lorsque sont programmés les investissements en infrastructures du transport public doivent désormais marquer la politique de l'Etat.
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis. Ah oui !
M. Jean-François Le Grand. En effet, dans ce cadre, une attention toute particulière devra être portée au réseau classique. Le programme prioritaire du projet industriel de la SNCF, qui attend de Réseau ferré national une remise à niveau du réseau classique, est à cet égard fondamental.
Bâtir un réseau est une chose, faire en sorte qu'il soit utilisé de façon optimale en est une autre, tout aussi essentielle. En la matière, il n'est pas nécessaire d'être agrégé d'économie pour comprendre que le prix auquel la SNCF pourra accéder à ce réseau constituera un élément déterminant pour le développement du transport ferroviaire. Un niveau de redevance d'infrastructures trop élevé ne pourrait qu'étrangler financièrement la SNCF et l'inciter soit à réduire ses orientations, soit à augmenter ses prix, ce qui, dans la durée, aurait le même impact négatif sur les trafics.
M. François Gerbaud, rapporteur. Très bien !
M. Jean-François Le Grand. Je me réjouis de voir que vous avez tenu compte de cette contrainte globale, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, puisque, conformément à votre engagement de ne pas reprendre d'une main ce que vous donnez de l'autre, vous prévoyez, dans un avant-projet de décret, de bloquer, en 1997 et en 1998, le niveau des redevances perçues sur la base des 6 milliards de francs. Vous tenez ainsi compte de la situation financière d'une SNCF encore fragile, chargée des 70 milliards de francs de dettes du transporteur, et qui doit s'attaquer sérieusement à son redressement dans le cadre de son projet industriel.
Au sein de cette enveloppe globale, la répartition de ce coût d'accès au réseau entre les différents trafics et composantes du réseau aura un impact immédiat sur la compétitivité du réseau ferré par rapport au réseau routier.
M. François Gerbaud, rapporteur. Il a raison !
M. Jean-François Le Grand. Vous l'avez bien compris puisque vous mettez en place, dans ce même avant-projet de décret, un mécanisme qui, au travers de multiples modulations, permet d'exprimer de réels choix de politique des transports.
Ainsi vous sera-t-il possible, afin de promouvoir le transport combiné, par exemple d'alléger très sensiblement son coût d'accès aux infrastructures, voire de l'annuler.
De même, afin de rétablir un certain équilibre avec le transport routier de marchandises, pourrez-vous envisager de différencier très nettement les redevances au titre, d'une part, des voyageurs et, d'autre part, du fret, en abaissant sensiblement les secondes pour les rendre beaucoup plus compétitives.
M. François Gerbaud, rapporteur. Tout à fait !
M. Jean-François Le Grand. Enfin, dans un souci d'aménagement et de développement du territoire - sachez que c'est une préoccupation constante de la commission des affaires économiques et du Plan -, et d'équité avec la situation constatée pour le réseau routier, vous aurez la possibilité de limiter les redevances perçues sur les réseaux qui sont les moins fréquentés mais qui permettent le maillage de notre territoire, tout en relevant celles qui sont perçues sur les itinéraires les plus chargés.
La tarification d'infrastructures sera ainsi le révélateur de la politique du développement du transport ferroviaire que vous entendez conduire. Elle permettra d'apprécier clairement, au travers des niveaux choisis, la volonté réelle de parvenir à un rééquilibrage des conditions de concurrence entre les différents modes de transport.
En conclusion, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, je tiens de nouveau à vous féliciter d'avoir agi en responsables, d'avoir engagé sur un an une concertation large et ouverte, vous rendant, l'un comme l'autre, le plus disponibles possible, d'avoir recherché sans arrêt et à chaque instant le consensus et de l'avoir quasiment obtenu. (Protestations sur les travées socialistes.) Vous avez en tout cas obtenu l'accord d'une partie de ceux que vous avez contactés.
M. Jean-Luc Mélenchon. Bonjour le consensus !
M. Jean-François Le Grand. Cependant, il faudra tout faire pour éviter que, une fois la loi votée, la SNCF ne se laisse gagner par le syndrome de la citadelle imprenable qui s'était emparé de la compagnie Air France dans les années quatre-vingt, période pendant laquelle, alors que l'on se livrait aux délices de la nationalisation, les grandes compagnies aériennes étrangères, quant à elles, s'organisaient pour conquérir les marchés !
M. François Gerbaud, rapporteur. Tout à fait !
M. Jean-François Le Grand. Je pourrais aussi évoquer - mais M. de Rohan serait mieux à même que moi de le faire - le transport maritime, dont on connaît aujourd'hui la situation et qui a évolué sur un même mode.
Rien ne peut plus être définitivement gravé dans le marbre, comme autrefois.
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis. C'est vrai !
M. Jean-François Le Grand. L'homme veut se déplacer de plus en plus vite, de plus en plus loin,...
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis. De plus en plus souvent !
M. Jean-François Le Grand. ... avec la meilleure qualité de service et en payant de moins en moins cher.
L'immatériel est transporté en quelques fractions de secondes d'un bout à l'autre du monde. Les produits matériels tendent eux aussi vers cette plus grande mobilité. Qu'on le veuille ou non, et quelle que soit la philosophie, politique ou d'une autre nature, que l'on peut développer, sachons bien que l'offre des transporteurs doit se plier à cette exigence.
Ne seront encore transporteurs, dans l'avenir, que ceux qui auront su être, rester ou devenir performants au sein d'un même mode de transport, mais plus encore dans un contexte multimodal.
MM. François Gerbaud, rapporteur, et Hubert Haenel, rapporteur pour avis. Très bien !
M. Jean-François Le Grand. Dans cet esprit, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, le groupe du RPR votera votre texte.
Sans doute entendrez-vous, ici ou là, des interventions et quelques discours incantatoires qui mêleront l'utopie et la démagogie...
M. Jean-Luc Mélenchon. Oh ! La vôtre, par exemple !
Mme Hélène Luc. Prenez vos responsabilités !
M. Jean-François Le Grand. ... et conjugueront le non-pragmatisme au discours politicien. (Protestations sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Sachez que, en ce qui nous concerne, nous résisterons à cette vue manichéenne des choses. Vous avez mis le train sur la bonne voie ; nous vous accompagnerons jusqu'à la gare ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Hélène Luc. Pourquoi donnez-vous des leçons à tout le monde, monsieur Le Grand ? Pourquoi jugez-vous les interventions avant qu'elles aient lieu ?
M. le président. La parole est à M. Mélenchon.
M. Josselin de Rohan. Ah ! Voilà l'imprécateur en chef !
M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, il faudrait que le groupe socialiste soit bien naïf pour croire un seul instant aux déclarations d'intention qui président au projet de réforme qui nous est présenté !
Au demeurant, la musique et les paroles nous sont connues : nous les avons déjà entendues à propos de la sécurité sociale, que vous avez sauvée, comme chacun sait, en la laissant à moitié morte sur le bord de la route, à propos de France Télécom et de toute la série de privatisations qui sont sur votre tableau de nuisances, ou votre tableau de chasse ! Par conséquent, vous ne serez pas étonnés d'apprendre que nous ne croyons ni à votre réforme ni à vos intentions.
Je juge d'ailleurs que nous sommes moins en présence d'un texte que d'un prétexte : c'est non pas un grand dessein en matière de politique du transport, mais un trompe-l'oeil qui nous est proposé. Ce que nous devons étudier traduit moins la mise en oeuvre d'une pensée loyalement exposée, quoique les divers orateurs des groupes de la droite de cette assemblée s'y emploient dans la discussion générale, qu'une arrière-pensée non dite.
Votre projet, si on le prend pour ce qu'il affirme être, n'est en effet ni cohérent, ni sérieux, ni crédible. Si on vous croyait sur parole, c'est-à-dire sur texte, on constaterait que vous êtes non pas le Zorro volant au secours de la pauvre dame SNCF pourchassée par son déficit, mais bien plutôt ce capitaine des Shaddoks qui croit bien faire en faisant compliqué quand on peut faire simple !
MM. Josselin de Rohan et Jean-François Le Grand. Oh là là !
M. Jean-Luc Mélenchon. Mais votre projet redevient cohérent, sérieux, crédible et même plein d'un certain génie tactique si on lit tout haut ce qui est dit tout bas dans le sous-titrage crypté de la version originale.
J'affirme que la dette, en dépit de son poids incontestable et du handicap qu'elle représente pour la société nationale dont nous traitons, est une fois de plus un alibi : vous voulez privatiser le service public du transport ferroviaire. Ne pouvant le faire d'un seul coup, car il vous faudrait « avaler » en même temps tous les cheminots et une bonne partie de l'opinion républicaine, vous vous en donnez les moyens en organisant un dispositif qui y conduit tout droit, à petits pas.
Avec la création de deux sociétés là où il n'y en avait qu'une, avec le système de relations que vous organisez entre elles, vous réunissez les éléments qui produiront de la logique privée, du marché privé, du statut privé, de l'objectif privé, à la gloire du client...
M. Bernard Piras. C'est vrai !
M. Josselin de Rohan. Et vous, du contribuable !
M. Jean-Pierre Fourcade. Pas à la gloire, mais au service !
M. Jacques Machet. Tout à fait !
M. Jean-Luc Mélenchon. ...dont vous monopolisez les choix, dans tous les compartiments de l'activité de ces sociétés, tous les jours, en tous lieux et en tous temps.
Au demeurant, la politique de filialisation mise en oeuvre au cours de ces dernières années a amplement confirmé la méthode. C'est cette mécanique dont il faut saisir pleinement la dynamique pour comprendre l'avenir que vous préparez au service public du transport ferroviaire.
Rien ne vous obligeait à séparer en deux établissements publics distincts l'activité du transport ferroviaire. On vous l'a d'ailleurs déjà dit. La directive européenne fulminée par les eurocrates contre le service public du transport ferroviaire ne l'exige pas. Nous avons tous la même lecture de cette directive, et nous avons tous noté, monsieur le ministre, votre déclaration hostile à l'idée d'aller plus loin, jusqu'à la séparation, lorsque les eurocrates l'ont suggérée. Et pourtant, vous le faites ! Pourquoi ?
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. C'est vous qui avez accepté la directive 91/440 !
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est, selon moi, parce que toute la dynamique vers la privatisation repose sur ce que vont être les relations de ces deux sociétés et les logiques qu'elles devront nécessairement faire leurs, compte tenu des conditions dans lesquelles vous les créez.
RFN reçoit la charge de 9 milliards de francs de frais financiers par an. Il est convenu qu'il ne demandera pas plus de 6 milliards de francs de droits de péage à la SNCF pour son exploitation des lignes, en tout cas pendant les deux prochaines années. D'où viendra la différence ? Notez bien que je ne traite pas à cet instant des investissements à venir, auxquels pourraient et devront être affectées les dotations de l'Etat. Il faudra bien qu'il en soit ainsi, compte tenu des carences et des vétustés déjà constatables aujourd'hui, tant pour les équipements que pour les ouvrages d'art. Je ne fais là que citer les rapports des experts. Comment, d'ailleurs, ferais-je pour le savoir, autrement ?
Par conséquent, où sont, pour RFN, ainsi lesté, les ressources supplémentaires accessibles ?
Les réponses sont évidentes et se situent dans la logique des projets que nous avons déjà examinés chaque fois qu'il a été question du changement de statut du service public : d'une part, l'ouverture des lignes à de nouveaux exploitants s'acquittant donc de péages supplémentaires ; d'autre part, la réduction des coûts liés à la conception, à la réalisation et à l'entretien des équipements.
Vous prétendez que la SNCF sera le prestataire de services exclusif dans ces matières. L'esprit, si l'on vous suivait, se perdrait alors à s'efforcer de deviner quel pourrait bien être l'intérêt de l'existence de deux sociétés, s'il s'agit de reproduire le jeu à somme nulle qui prévaut, avant votre réforme, dans une entreprise aux comptes intégrés.
C'est donc que la vérité, ici, une fois de plus, est dissimulée. Le code des marchés publics oblige RFN à procéder à des appels d'offres. Toutes les entreprises privées y auront donc accès, et la règle du moins-disant s'appliquera.
M. Bernard Piras. C'est évident !
M. Jean-Luc Mélenchon. Si elle venait à ne pas s'appliquer, vous la réclameriez bien vite !
Faut-il dire quel est le paramètre central qui permet d'être le « moins-disant » lorsque l'on est confronté au marché, aux offres du « mieux-faisant » et du plus expérimenté dans ce domaine qu'est, de l'avis général, la SNCF elle-même ? C'est évidemment le coût salarial ! Par conséquent, du point de vue de l'économie globale, c'est bien par une plus grande diffusion de la précarité, de la flexibilité et des bas salaires que se paiera l'abaissement des coûts d'équipement à la charge de RFN. Nous en avons déjà des exemples que je vais évoquer dans un instant.
La logique comptable montre une nouvelle fois ce qu'elle est : un point de vue étroit qui « externalise » tous les coûts sociaux de la vie en société que suppose la production.
De son côté, l'exploitant, c'est-à-dire la SNCF maintenue, est, lui aussi, enfermé dans cette logique. Vous lui laissez plus de 70 milliards de francs de dettes ; tous les experts consultés s'accordent pour dire que cette charge ne lui permet pas d'avoir la tête hors de l'eau et de repartir d'un pied ferme.
Ce n'est pas distraction ou oubli ! A mon avis, il y a une raison : c'est là le moyen de maintenir la pression maximale qui oblige l'exploitant à la fuite en avant dans la course à la rentabilité telle que vous la concevez.
L'intérêt comptable de la SNCF est, dès lors, de se concentrer sur les lignes rentables. On sait où elles sont et, surtout, où elles ne sont pas ! Deux chiffres résument cette situation : 1,3 milliard de francs de déficit pour les lignes régionales, 700 millions de francs de bénéfices pour les grandes lignes.
On entendra donc très bientôt parler de nouveau, mes chers collègues, des 6 000 kilomètres de voies que, voilà peu encore, on suggérait de fermer.
Depuis - je le sais - a lieu l'expérimentation des lignes sous gestion régionale. Pour l'instant, on jure que le transfert de compétence s'accompagnera « au centime près » d'un transfert de moyens.
De telles promesses ne valent strictement rien dans la durée, comme le savent tous ceux qui ont vécu la décentralisation. Au bout du compte, les années passant, la demande se diversifiant et se précisant, on sait qu'il s'agit d'un transfert de charges et de responsabilités. C'est la loi du genre !
Au demeurant, d'ores et déjà, la note de la remise à niveau du réseau concerné est salée. Elle est, si j'en crois les experts, d'un montant de 2 milliards de francs d'investissement annuel pendant cinq ans.
Et je ne dis rien des conséquences sur l'aménagement du territoire, sur l'égalité d'accès aux transports qui se trouve posée entre régions riches et régions pauvres.
J'ai noté - je vous l'indique avec amusement - ce qui est dit de la nécessité d'un fonds de péréquation en la matière. Il est tout de même extravagant de voir réinventer l'Etat et sa puissance régulatrice par ceux-là mêmes qui sont en train de le démanteler !
A cette forme particulière d'ajustement structurel, la SNCF, sous le poids de sa dette, ajoutera encore ce qui est devenu, on le sait, l'une de ses habitudes les plus constantes au cours des dernières années : la filiation des activités. Jusqu'à ce jour, la filialisation a toujours été l'antichambre plus ou moins directe, d'un côté, de la privatisation, et, d'un autre côté, à tout le moins, d'une remise en cause profonde du statut des salariés appelés à travailler sous contrat privé dans ces filiales.
Je citerai pour exemple la Compagnie nouvelle de conteneurs, filiale de la SNCF. On avait d'abord juré qu'elle serait une filiale cheminote et on avait organisé un double statut, avec des travailleurs sous contrat privé et des travailleurs sous contrat cheminot. Mais, progressivement, on a considéré les travailleurs cheminots sous contrat cheminot comme bien encombrants ; on constate, aujourd'hui, que les salariés sous contrat privé sont de loin les plus nombreux, et on commence à se demander si le statut des cheminots continuera à s'appliquer dans cette société.
Telle est la démonstration que je voulais faire tout à l'heure, à l'appui de l'argument que j'avançais de la poussée constante vers la privatisation par la grande logique comptable de la réduction des coûts qui ne se juge que par entreprise, comme chacun le sait, sans tenir aucun compte de l'économie globale.
Au-delà, il faut savoir qu'il existe à la SNCF une véritable furie de la filialisation, et l'on ne compte plus les suggestions dans ce domaine. Si l'on en croit certains - les bureaux d'études, les laboratoires d'essais - toutes les capacités d'expertise devraient en faire l'objet.
La même mentalité se constate jusque dans le détail à propos de la division « matériels et équipements ». On connait déjà des ateliers, au sein d'une même unité de production, dont on se flatte qu'ils aient réussi pour leur propre compte une relation privilégiée clients-fournisseurs !
Et je n'ai rien dit, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, des liaisons dangereuses, et à mes yeux coupables, qui existent déjà entre la SNCF et tel grand groupe que l'on croyait pourtant spécialisé dans la distribution de l'eau, mais qui a pourtant déjà pris pied de bien des manières dans le dispositif !
Je ne penserai, à cet égard, qu'à une chose : par exemple, à ce qui est en train de se tramer autour du projet Télécom-développement, qui vient si opportunément apparaître pour compléter le dispositif de privatisation déjà prévu, par ailleurs, du côté de France Télécom.
Nous savons d'avance ce qu'il adviendra : d'ici peu, vous, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, sinon l'un de vos successeurs, reviendrez devant le Parlement pour expliquer l'avantage qu'il y aura à donner à l'une et à l'autre compagnie toute la liberté d'aller au bout de ses objectifs et de son potentiel nouveau.
M. Jean-François Le Grand. Ce n'est pas bête ! C'est une idée !
M. Jean-Luc Mélenchon. Vous nous direz, comme cela a été dit dans le débat sur France Télécom, qu'il faut distinguer, pour être moderne, les missions de service public des outils qui en permettent la réalisation...
M. Jean-François Le Grand. Forcément ! Ce n'est pas nouveau !
M. Jean-Luc Mélenchon. ... et que, comme ces missions de service public - que vous prétendez, bien sûr, toujours vouloir défendre - s'adressent à des clients... et non pas à des usagers, peu leur chaut que ces moyens soient de propriété sociale et nationale ou qu'ils soient des moyens privés ou mixtes, puisqu'en définitive tout cela n'a aucune espèce d'importance à nos yeux.
M. Jean-François Le Grand. L'essentiel, c'est que cela marche !
M. Jean-Luc Mélenchon. On entendra alors M. Fourcade compléter à la tribune ses démonstrations et nous dire que tout ce qui compte, c'est que cela soit efficace et peu coûteux pour la collectivité.
Comme l'efficacité est une notion sur laquelle les appréciations sont libres, surtout dans une situation de monopole, il ne restera qu'un paramètre : le coût. Dès lors que ce coût est acquitté par un... client et non plus par un usager, à ce montant, si l'on venait à le juger excessif, sera opposée, en toute logique libérale, la liberté du choix de consommer ou non du transport collectif.
M. Josselin de Rohan. Cette liberté existe déjà, monsieur Mélenchon !
M. Jean-Luc Mélenchon. Ainsi, en fin de course, ce qui était un droit - l'accès égal aux transports en commun - deviendra une option de la société marchande.
Enfin, je vous le dis, monsieur le ministre, mes chers collègues, on ne saurait mener honnêtement, intellectuellement, le débat que nous avons et que nous devons avoir sur le sort réservé aux transports ferroviaires sans le placer dans son contexte naturel, celui de la politique des transports en général dans notre pays.
La situation de la SNCF ne s'est pas dégradée par fatalité, ni surtout par incompétence de ses agents, que vous soupçonnez toujours d'être pétrifiés dans des conservatismes - lesquels signifient seulement qu'ils veulent être les héritiers, les bénéficiaires des luttes du passé, ils ont remportées à la sueur de leur front. (Murmures sur les travées du RPR.)
Je juge même que le choix d'équiper le pays de liaisons ferroviaires à grande vitesse ne saurait être honnêtement le bouc émissaire de service pour expliquer la situation, même s'il faut redire que l'Etat aurait dû en avoir la charge.
La quatrième puissance du monde est bien capable de s'offrir un réseau de transports à grande vitesse, et nous n'avons pas à lui en faire le reproche, surtout lorsqu'il s'agit d'une technologie de pointe !
Le rail, en France, dépérit parce qu'on lui a préféré, en toutes circonstances et par tous les moyens, la route.
De 1980 à 1995, les infrastructures routières ont absorbé 64 % du total des investissements d'infrastructures, contre 28 % pour un ensemble dans lequel on fait entrer la SNCF, la RATP et l'ensemble des systèmes de transports en commun urbains.
M. Jean Delaneau. Qui a géré le pays pendant dix ans, au cours de cette période ?
M. Jean-Luc Mélenchon. Pour les trente dernières années, la part du réseau routier s'élève à 70 %.
Quel est le bilan financier, humain, environnemental, social de ce dispositif si lourdement privilégié ?
M. Jean Delaneau. Quelle critique pour vos amis !
M. Jean-Luc Mélenchon. Quand le fait-on figurer dans les argumentaires, lorsque l'on produit tant de bonnes raisons contre le service public et la SNCF ? Quelles sont les performances des gestionnaires, de ces « libres entrepreneurs » qui nous garnissent de routes ?
La dette du réseau routier est égale à quatre fois ses recettes ! Quand la collectivité dépense 57,5 milliards de francs en 1994 pour l'entretien et la construction du rail, elle paie 100 milliards de francs pour la route, pollution et sécurité comprises.
Et tout prouve que cette orientation ne sera nullement freinée ou inversée, mais tout au contraire accentuée. Qu'on en juge : les simulations du ministère des transports ne prévoient l'extinction de la dette routière qu'au prix d'une augmentation de 4 % par an du trafic routier pour toute la durée des concessions accordées.
Etonnons-nous, après cela, que nous soyons le seul pays d'Europe qui n'ait aucun objectif de réduction des pollutions atmosphériques liées au trafic routier ! Oui, le seul pays d'Europe dans cette situation !
Finissons ce tableau : le gouvernement Balladur a décidé de réaliser en dix ans, au lieu de quinze - parce que là, ça urge ! -, le schéma national autoroutier et d'y affecter 140 milliards de francs.
A l'issue de cette période, la France cumulera entre 12 000 et 15 000 kilomètres d'autoroute. On compte, dans le même temps, 300 kilomètres de voies ferrées supplémentaires, qui s'ajouteront aux laborieux 1 300 kilomètres mis en service depuis vingt ans.
Si l'offre s'est dégradée, si le réseau s'est appauvri, si le transport multimodal n'a pas décollé, si le transport ferro-route n'existe qu'à l'état de trace - alors que, dans des pays voisins, on en a fait une obligation, comme on devrait le faire nous-mêmes chez nous, qui n'avons pas vocation à être ce lieu de transit où chacun peut venir, tant qu'il le veut et tant qu'il le peut, polluer gratuitement les équipements payés, pour le coup, par les clients locaux - et si la route a été privilégiée, ce n'est pas non plus un hasard : elle est la vache à lait de la taxation grâce aux taxes intérieures sur les produits pétroliers. Elle est le royaume des bétonneurs, elle est le moyen quasi gratuit mis à la disposition du transport de marchandises, vital pour les stratégies de production à flux tendus qui sont, paraît-il, le nec plus ultra de l'externalisation des coûts de production entreprise par entreprise.
La capitalisation organisée du rail devant la route s'est encore récemment manifestée avec éclat, lorsque vous avez décidé la privatisation du premier transporteur routier de notre pays, pesant sur 4 % du total du marché - peut-être nos collègues ne le savent-ils pas tous - à savoir la SNCF, par l'intermédiaire d'une de ses filiales, le GEODIS. Or cette privatisation n'a pas rapporté un franc de plus-value à la SNCF, tout en lui rendant impossible toute démonstration et de la complémentarité rail-route : la GEODIS figurait en effet parmi la horde de ces patrons routiers qui ne connaissent que la concurrence sauvage entre eux et avec la transport ferroviaire.
On comprend peut-être que la SNCF s'en soit débarrassée, mais quel autre usage aurait-on pu faire d'un outil de cette nature... et des démonstrations qui pèseraient bien plus lourd que des déclarations d'intention bien tardives, comme celles que nous entendons actuellement ?
Vous avez donc bradé un outil, et cela suffit à porter jugement sur ce que valent vos belles déclarations sur la nécessaire complémentarité entre le rail et la route !
Je ne le dis pas seulement pour vous, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mais également pour ceux de nos collègues qui sont venus ici réciter à nouveau la nécessité de cette complémentarité en faisant comme si tout ce que je viens de dire n'avait pas eu lieu.
Le prix payé de cette préférence pour la route par la collectivité est terrible. Il n'est jamais pris en compte, parce que jamais on ne raisonne en termes d'économie globale, mais toujours en termes d'économie particulière, entreprise par entreprise.
En termes d'énergie, la consommation de ce secteur a crû de 50 % depuis 1973. Elle représente aujourd'hui 61 % de la consommation pétrolière dans notre pays depuis 1992 et l'on pronostique que, au cours de la décennie qui vient, on arrivera jusqu'à 71 % à quantité transportée égale, soit une efficacité énergétique des quantités transportées deux à trois fois inférieure à celle du rail, tout cela pour produire plus de la moitié des pollutions atmosphériques constatées et 87 % de celles qui sont liées aux monoxydes de carbone.
Voilà de quoi nous devrions débattre au moment où nous traitons de l'avenir du réseau ferré national ! Une fois de plus, il ne sera pas question de développement durable, socialement et écologiquement soutenable, mais, encore une fois, de comptabilité à court terme, sans perspective ni dessein pour le modèle de développement du pays.
Le lien social, je le dis même si le sujet peut sembler éloigné à cet instant, est, encore une fois, l'enjeu de ce débat. A travers l'un de ses services publics, c'est encore la République qui est en cause.
Oui, monsieur le ministre, oui, madame le secrétaire d'Etat, oui, monsieur Fourcade, notre divergence d'appréciation doit être encore portée sur un autre plan qui contient tous ensemble les registres de critiques que je viens déjà de développer.
Souvenons-nous-en toujours : on ne peut traiter du sort du service public autrement qu'avec précaution et délicatesse car, en France, le service public, c'est la République en acte et, en France, c'est la République qui fonde la nation.
Le service public, c'est la propriété sociale. Sa logique ne peut être celle de la propriété privée. L'une et l'autre ont leur place dans un système d'économie mixte. Toutefois, si l'exercice de la propriété privée d'un moyen de production peut être encadré et valorisé par l'incitation publique, le contraire conduit toujours irrémédiablement à la dislocation de l'outil public.
La propriété sociale ne peut avoir d'autre objectif que l'intérêt général, qui se gouverne dans le temps long - lequel est le contraire du temps court qui prévaut dans l'initiative privée - et contre les inégalités spontanées que la vie renouvelle sans cesse.
La logique privée est celle du temps court et de la profitabilité particulière. Chaque service public répond à l'exercice d'un droit fondamental dont la République se porte le garant et dont elle assure à chacun un égal droit d'accès.
S'agissant du transport en commun public, on touche, contre l'inégalité d'accès géographique, contre le désordre spontané des allées et venues nécessaires à chacun, contre l'inégalité des moyens devant la liberté de circuler, à l'idée centrale d'unité et d'indivisibilité de notre République. Cette idée a un sens géographique, humain, social.
Vous rompez le caractère intégré et unifié de l'entreprise publique qui porte cette idée sous prétexte d'efficacité - combien de fois avez-vous cité ce mot ! - dont le modèle serait, bien sûr, dans la propriété privée.
Alors, je vous interroge : si tel est le cas, si le modèle de l'efficacité, c'est la séparation, comment expliquez-vous que les sociétés ferroviaires nipponnes ou nord-américaines soient des sociétés intégrées qui possèdent tout à la fois l'exploitation et l'infrastructure ?
Comment expliquez-vous qu'au moment où l'on discute de la construction de la ligne qui va de Londres au tunnel sous la Manche les opérateurs qui proposent leurs services mettent comme condition qu'ils soient à la fois exploitant et propriétaire de la ligne ? Je livre ce point à votre réflexion...
Dans cette conception, à l'inverse, la péréquation de l'entreprise intégrée est la règle d'or de la gestion de la propriété sociale.
Le bénéfice vient au secours du déficit, ce qui est facilement acquis au secours de ce qui l'est difficilement. C'est vrai d'une ligne de voie ferrée à l'autre, d'un secteur d'activité ferroviaire à l'autre, parce que c'est à ce prix, avec cette méthode, que se construit le long terme et qu'il peut se maîtriser. Le long terme, c'est-à-dire, ici, une unité et une indivisibilité toujours plus fortes de la République et de la nation.
Je juge que c'est aussi de cela qu'il est question aujourd'hui, et non pas simplement d'un exercice comptable. C'est cela qui est en cause une nouvelle fois : oui, il s'agit encore du choix entre la République sociale et la jungle libérale.
Et je ne peux pas juger autrement, madame le secrétaire d'Etat, monsieur le ministre, venant de vous, membres du gouvernement de M. Juppé, la réforme que vous nous proposez, parce qu'elle vient après celle de la sécurité sociale, celle de France Télécom et celle des fonds de pension, et avant celles, inéluctablement, d'EDF et de La Poste.
Oui, tout cela forme un tout, une politique, une vision de la France avec les privatisations - à un franc ou plus - avec cette dislocation progressive, minutieuse, souvent habile de ce que je considère, moi, comme le coeur battant de notre République.
Dans la confrontation qui nous oppose, je forme le voeu que le peuple fasse entendre sa voix, si les nôtres, ici, ne vous dissuadent pas. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, mon ami Claude Billard a montré tout à l'heure les dangers inhérents à la séparation entre l'infrastructure et l'exploitation du transport ferroviaire dans notre pays. Pour ma part, je souhaite m'arrêter sur le volet « régionalisation » de ce projet de loi.
Il va de soi que l'on ne saurait séparer les deux piliers de cette réforme, tant il est vrai que l'éclatement de la SNCF en deux établissements aura des conséquences sur le type de régionalisation.
Les élus communistes n'ont eu de cesse de travailler, depuis plus de quinze ans, à la décentralisation, à la démocratisation du transport ferroviaire, en concertation avec les cheminots et les usagers.
Nous avons toujours souligné le niveau pertinent que constitue la région en termes de recensement des besoins, de nouveaux trafics pour la SNCF, à condition qu'on lui donne les moyens matériels et humains.
L'expérience que nous menons, avec une réussite certaine, dans la région Nord-Pas-de-Calais depuis près de vingt ans ne peut éluder les risques de déstabilisation du service public provoqué par ce projet, émanation des directives européennes, qui ouvrent la porte à une concurrence sauvage.
En effet, à la lecture de certaines coupures de presse, on peut s'inquiéter du maintien de la SNCF comme opérateur unique.
Un élu régional de Bretagne, s'exclame : « Enfin ! Nous allons pouvoir mettre en concurrence la société nationale... ».
Le président de la région Alsace, l'une des six régions pilotes, brandit la possibilité accrue de transfert de dessertes du rail vers la route avant même que ne soit prise une quelconque décision.
Qui, de ces ultras ou du ministre, faudrait-il croire ?
Il est vrai que tout cela a mûri depuis une décennie au sein de la Commission européenne afin de libéraliser le transport ferroviaire. Sur le fond du problème des transports régionaux, la réalité est simple : ils sont un élément essentiel de développement du territoire, mais ils sont largement déficitaires.
Les activités des TER pour 1995 font apparaître une contribution de l'Etat aux recettes approchant 50 % du total. Ainsi, sur 8,15 milliards de francs de recettes, 3,99 milliards proviennent de la contribution de l'Etat.
Cela veut dire concrètement qu'il s'agit d'un choix politique de l'Etat, dont tout désengagement aurait des conséquences graves pour le transport voyageurs, pour les usagers.
Cette remarque est d'autant plus vraie que la situation des infrastructures et celle du matériel nécessitent des investissements importants, ne serait-ce que pour maintenir le réseau en l'état actuel.
Le cabinet d'études KPMG explique que l'effort de modernisation nécessiterait environ 43 milliards de francs d'investissement - infrastructures plus matériel roulant - sur quinze ans. Bien entendu, je me place derechef dans cette optique de modernisation, d'accroissement de l'offre aux usagers et de reconquête du trafic par la SNCF. Sinon, quelle chance aurions-nous de réussir cette expérience de régionalisation ?
Aucune région ne peut fournir un tel effort d'investissement sans rogner sur l'offre, sur la sécurité ou sans chercher à faire passer des trains à moindre coût par d'autres opérateurs.
Et c'est là que le bât blesse. Les régions ne peuvent remplacer ni la SNCF, ni France Rail, c'est-à-dire procéder à des emprunts et s'endetter outre mesure sur le dos des contribuables.
Vous parlez de régionalisation, mais les moyens affectés ne suivent pas. Notre rapporteur lui-même le souligne à la page 88 de son rapport : sur les 1,9 milliard de francs qui manquent, au titre de 1995, pour assurer un fonctionnement adéquat des services régionaux, il reste 1,1 milliard de francs à trouver.
La question, dès lors, est de savoir comment cette relative pénurie va pouvoir être gérée par les régions. En effet, dès que la décision sera effective, les six régions autorités organisatrices des transports devront équilibrer leur compte du transport ferroviaire.
Il est facile d'imaginer les pressions en tout genre auxquelles vont être soumis les élus régionaux.
Les décisions les plus lourdes seront celles de la fermeture ou du maintien de certaines lignes, de la suppression de postes de travail. Quand on leur expliquera qu'une ligne est fortement déficitaire et qu'elle ne peut être exploitée en l'état, les élus régionaux seront placés devant une terrible responsabilité, d'autant que la fermeture de lignes locales est destructrice de trafic sur les lignes régionales et nationales, en particulier, dans les régions où la densité de population est assez faible.
Reporter cette responsabilité sur les régions est tellement plus simple ! C'est pourquoi j'appelle à la vigilance des usagers et des cheminots dans ce domaine.
Le plus simple ne serait-il pas, monsieur le ministre, d'annuler le décret d'application de la directive européenne 91/440, qui ira à l'encontre de l'organisation du TER, réalisée, elle, en harmonie avec les besoins des usagers et les aspirations des cheminots ?
Oui, il y a nécessité de mettre en oeuvre une gestion décentralisée, désétatisée et démocratisée du service public national de transport ferroviaire.
Cela requiert plusieurs exigences, qui relanceraient l'entreprise SNCF : le maintien de toutes les lignes nationales ainsi que des TER à leur niveau, dans un souci de cohérence nationale ; une participation financière de l'Etat à hauteur des besoins d'infrastructure recensés et prenant en compte le nécessaire renouvellement du matériel et sa remise à niveau, car on ne peut se satisfaire d'une dotation forfaitaire ; la mise en oeuvre d'une péréquation tarifaire entre les régions ; la prise en compte du trafic de marchandises dans cette gestion décentralisée, afin de l'inscrire dans un critère de service public et aussi dans les schémas régionaux de transport ; la prise en compte et le renforcement de l'intervention des citoyens pour toute modification ou amélioration, par le biais d'enquêtes, par exemple : le renforcement des institutions et des structures permettant l'information - transparence et publication des études et enquêtes - et l'intervention des élus concernés, des cheminots, des usagers.
Il faut entendre les cheminots. Faire sans les cheminots, c'est, d'une certaine façon, faire contre eux. Aux rapports conflictuels qui risquent de surgir dans le cadre de la réforme, je préfère les rapports de concertation, voire de coopération, avec tous les intéressés qu'assurerait une décentralisation démocratisée.
Voilà, mes chers collègues, ce que je souhaitais dire sur le type de régionalisation qui nous est proposé.
Pour ma part, je reste persuadé que l'éclatement de la SNCF en deux entités fait courir de graves dangers à cette expérimentation.
La SNCF que nous souhaitons doit être construite en accord avec tous ceux qui sont concernés par un développement des transports ferroviaires s'inscrivant dans un renforcement du service public.
Pour ces raisons, nous sommes opposés à ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Cabanel.
M. Guy Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je tiens, tout d'abord, à rendre hommage au Gouvernement, qui a engagé le débat sur l'avenir du chemin de fer français depuis déjà un an et qui a pris la décision de présenter ce projet de loi au Parlement malgré les immobilismes et les conservatismes auxquels il s'est heurté. Je ne sous-estime pas l'importance de ces attitudes, nourries, le plus souvent, des inquiétudes suscitées par les perspectives du changement.
Ce texte n'a pas de caractère d'opportunité. Il n'a rien à voir avec les difficultés ferroviaires induites par les troubles climatiques du 2 janvier dernier. Ces troubles, qui ont affecté gravement les usagers, mériteraient une analyse après le vote du projet de loi réformant notre système ferroviaire.
Face au caractère ardu de la réforme de la SNCF, certains auraient pu être tentés de reporter aux calendes grecques les discussions nécessaires et les choix indispensables mais difficiles. Vous vous êtes saisi de la question avec détermination, monsieur le ministre. Je salue votre courage face à une situation de la SNCF chaque jour plus dégradée.
Une réforme de la SNCF s'impose-t-elle ? Oui !
Le bilan financier dramatique de la société nationale, dû à la régression des parts de marché, aux pertes d'exploitation et à l'endettement massif, plaide en faveur de la réforme d'une structure née voilà soixante ans, en 1937.
La montée en puissance, depuis trois à quatre décennies, du transport routier, favorisé par le prix du gazole et la souplesse de ses livraisons, ainsi que le développement du transport aérien intérieur ont gravement concurrencé la SNCF.
Les difficultés de la reconquête commerciale, dans un climat général de libéralisation et de déréglementation contenu notamment dans les dispositions de la directive communautaire 91/440, soulignent, s'il en est besoin, le caractère intenable du statu quo .
Par son poids économique, son rôle social, ses implications en termes d'aménagement du territoire, la SNCF concerne chaque citoyen.
Aujourd'hui, les Français, comme les cheminots eux-mêmes, sont légitimement inquiets devant l'évolution toujours plus négative d'une entreprise à laquelle ils sont attachés.
Au risque de laisser s'engager la SNCF dans une voie sans issue, ce constat, aujourd'hui connu de tous, doit appeler, à l'évidence, des choix et des orientations profondément nouveaux.
La crise ferroviaire n'est pas propre à la France. Elle a déjà touché, à des degrés divers, tous les pays développés. Beaucoup ont entrepris, ces dernières années, d'importantes réformes. Il me semble nécessaire d'évoquer brièvement leurs expériences.
Bien que les Etats-Unis présentent une économie ferroviaire très singulière, l'analyse de la situation est intéressante à titre non d'exemple mais de scénario.
Les Etats-Unis ont depuis longtemps abandonné le rail à la loi du marché.
A l'exception des zones urbaine de forte densité, en liaison avec le métro, le rail ne transporte aujourd'hui quasiment plus de voyageurs, détournés par l'attrait du transport aérien et du réseau routier.
En revanche, le trafic des marchandises sur les moyennes et longues distances est demeuré très important.
La situation de la plupart des compagnies ferroviaires américaines apparaît aujourd'hui stabilisée. Celles-ci entretiennent elles-mêmes leurs infrastructures, tant bien que mal, sans recevoir d'aides publiques.
Le Japon, de son côté, constitue une expérience à suivre avec attention, compte tenu des similitudes avec l'Europe : longue tradition d'une entreprise publique et haute densité démographique urbaine.
Sans entreprendre la séparation de l'infrastructure et de l'exploitation, le Japon a scindé la compagnie nationale, selon une répartion régionale, en entreprises indépendantes et rapidement privatisées. L'essentiel de la dette a été reprise par l'Etat et transférée dans une société financière.
Cette réforme a stimulé favorablement l'économie ferroviaire japonaise, aujourd'hui redevenue bénéficiaire grâce à une expansion commerciale remarquable. L'amortissement de la lourde dette de la société financière demeure néanmoins un problème.
Pour la France, les exemples européens sont, évidemment, les plus riches d'enseignement.
La Grande-Bretagne a choisi la voie radicale en opérant une séparation complète entre l'infrastructure et l'exploitation, et en privatisant l'ensemble de ses activités.
Le démantèlement du réseau en une multitude d'entités autonomes peut susciter quelques inquiétudes, notamment sur le risque d'une désorganisation des services ferroviaires.
Nul ne connaît encore les effets possibles de ce bouleversement sur la compétitivité du chemin de fer, sur le montant des subventions suceptibles d'être accordées ou non par l'Etat et sur les investissements nouveaux.
Pour ces raisons, et parce que le chemin de fer ne tient pas un rôle majeur dans l'économie des transports britanniques, ce modèle de réforme ne saurait valoir pour la France.
Fondée sur l'assainissement financier, la séparation des activités et la privatisation, la réforme opérée en 1994 par l'Allemagne est également profonde. L'Etat fédéral a transformé l'entreprise nationale Deutsche Bahn en entreprise de droit commercial. Il a régionalisé le service public et transféré à sa charge la dette et les droits acquis des personnels. Il s'est également engagé dans un vaste programme de financement des investissements.
Se rapprochant de la réforme proposée en France, la réforme allemande va néanmoins plus loin. Le principe de la privatisation et de la concurrence généralisée à l'ensemble du réseau a en effet été accepté.
Si des problèmes et des interrogations, notamment sur la viabilité du nouveau système de financement des investissements, subsistent, les premiers résultats sont extrêmement encourageants. Après des années de pertes croissantes, la Deutsche Bahn a dégagé, à l'issue d'un an d'application du nouveau dispositif, un bénéfice net d'impôts de 180 millions de marks. Cette démarche comporte évidemment des éléments spécifiques à ce pays. Le problème d'intégration posé par la réunification a été déterminant dans l'effort de l'Etat.
A la lumière de ces comparaisons, le projet de réforme de la SNCF dont le Sénat débat aujourd'hui est-il de nature à répondre aux principaux enjeux de la situation présente ?
Ces enjeux sont ceux de l'assainissement financier, de la modernisation du service public et de la reconquête commerciale face aux autres modes de transports, sans négliger les possibilités offertes par l'Europe, notamment en matière de liaisons nouvelles transfrontalières, en particulier pour le fret.
Comme vous l'avez présentée, monsieur le ministre, l'architecture générale de la réforme s'appuie sur les trois piliers suivants : la clarification des responsabilités, la régionalisation et le projet industriel.
La clarification réside pour l'essentiel dans la création d'un établissement public industriel et commercial dénommé « Réseau ferré national », héritant des infrastructures ferroviaires et d'une partie de la dette de la SNCF. La société nationale, quant à elle, est confortée dans sa double mission de transporteur ferroviaire et de gestionnaire de l'infrastructure.
L'imbrication des responsabilités a conduit jusqu'à présent à des confusions et à une déresponsabilisation des acteurs. Le dispositif du projet de loi permet de faire assumer pleinement et directement ses choix à l'Etat en matière de développement des infrastructures, de donner une meilleure autonomie de gestion à la SNCF et de mieux identifier les obligations et les charges des missions de service public. A cet égard, le principe de « qui décide paye » me paraît sain.
En revanche, je souhaite exprimer quelques interrogations sur la nature, la durée et l'importance de l'effort financier réellement engagé pour désendetter la SNCF.
Vous nous avez fort bien présenté, monsieur le ministre, les principes de la réforme et les fonctions générales de RFN sur les plans technique et financier. Mais, s'agissant de la reprise d'une partie de la dette de la SNCF par Réseau ferré national, la solution retenue peut paraître complexe à qui n'est pas familier des exigences juridiques et comptables.
En effet, selon la rédaction quelque peu ambiguë de l'article 6 du projet de loi, la dette inscrite au passif de RFN est une dette vis-à-vis de la SNCF, qui continue donc à porter la dette qu'elle a contractée, tandis qu'une créance équivalente au montant repris par Réseau ferré national est inscrite à son actif.
N'aurait-il pas été plus simple et compréhensible de transférer directement la dette à Réseau ferré national et alléger du même coup les écritures de la SNCF ?
Par ailleurs, l'endettement global de la SNCF a atteint plus de 200 milliards de francs, alors que la dette inscrite au passif de Réseau ferré national est prévue pour un montant de 125 milliards de francs dans le projet de loi. L'Etat s'est engagé - et la commission des affaires économiques a déposé un amendement en ce sens - à porter le montant de la reprise à 134,2 milliards de francs. Cette somme correspondrait notamment au financement d'infrastructures réalisées pour le réseau TGV. Il restera donc environ 70 milliards de francs à la charge de la SNCF et l'on peut prévoir dès maintenant de lourdes annuités en capital et en intérêts. Je suis persuadé que, déchargée totalement du poids du passif, la SNCF est capable d'atteindre l'équilibre comptable à l'échéance de 1999, comme cela a été envisagé. Mais je crains que cette dette résiduelle ne porte en elle le germe d'une nouvelle dérive de la situation financière de l'entreprise.
Enfin, comment Réseau ferré national remboursera-t-il la dette qui lui sera transférée ? Comment financera-t-il l'entretien des infrastructures actuelles en même temps que les nouveaux investissements ?
Toutes ces interrogations renvoient à la dotation en capital du futur établissement, dont vous avez confirmé le montant annuel de 8 milliards de francs. Réseau ferré national doit disposer de ressources stables. Mais sans doute faudrait-il réviser ou réorienter la politique d'investissements futurs en la concentrant sur le développement du trafic et non toujours sur un aléatoire gain de temps.
La proposition du Gouvernement est déjà courageuse et constitue un effort louable. Mais sera-t-elle suffisante pour ouvrir la voie à un redressement durable ?
La volonté des pouvoirs publics ne suffira pas à résoudre tous les problèmes. La SNCF devra aussi se donner les moyens internes de ce redressement. Le projet industriel que vous évoquez, autour duquel la SNCF va se mobiliser, devra tenir compte de tous les gisements de productivité.
La reconquête de la clientèle, fondée sur un service public de qualité, est un premier défi. La SNCF fait peser un poids croissant sur le contribuable alors qu'elle n'est pas en mesure de répondre de manière satisfaisante à un critère fondamental du service public, la continuité, sans même parler de la satisfaction de ses clients en temps ordinaire... Je fais incidemment allusion aux derniers dysfonctionnements constatés lors des retours de début d'année. Mais il est vrai que ce n'était pas un temps ordinaire : le gel et la neige, en quantité exceptionnelle, étaient au rendez-vous !
Sans doute faudra-t-il recentrer la SNCF sur ses missions et ses métiers et aborder avec confiance l'ouverture sur l'Europe et ses réseaux.
L'Europe ne doit pas toujours être considérée comme un épouvantail ou une contrainte ; il faut y voir une nouvelle donne qui offre une chance de développer les activités nationales.
Les performances techniques et la valeur du personnel de la SNCF lui permettent sûrement de jouer un rôle majeur dans un grand marché unique.
J'en viens au troisième pilier de la réforme, la régionalisation. Je suis convaincu de la nécessité de rapprocher les décisions des usagers. Qui peut le mieux, en effet, déterminer les besoins en services régionaux et conduire les arbitrages que les régions elles-mêmes ?
Mais celles-ci auront-elles le courage de faire des choix difficiles et de dégager les ressources nécessaires pour répondre aux vraies demandes locales et assurer la promotion du trafic régional ainsi que la modernisation des services ?
A partir de ces observations et de celles qui ont été exprimées depuis le début de ce débat, quelles pourraient être les améliorations à apporter au projet de loi ?
Je ne reviendrai pas en détail sur les amendements proposés par la commission des affaires économiques et la commission des finances, dont les rapporteurs, nos collègues François Gerbaud et Hubert Haenel, ont exposé les motifs. Je tiens à les assurer de mon soutien. Ces amendements traduisent en effet, pour l'essentiel, les préoccupations ou les inquiétudes formulées ici.
La commission des affaires économiques a notamment fait référence explicite aux principes du service public, à la protection de l'environnement, à l'aménagement du territoire et à la promotion du transport ferroviaire. Je ne peux que m'en réjouir.
Je souhaite insister sur l'objet de deux amendements que j'ai déposés. Ils portent sur la représentation des usagers dans les conseils d'administration de Réseau ferré national et de la SNCF.
A un moment où la SNCF souffre non seulement d'un déficit financier mais aussi d'un déficit d'image, il me paraît primordial de restaurer la confiance des usagers, qu'ils soient voyageurs ou chargeurs de marchandises. Pour cela, il n'y a pas de meilleure méthode que de les associer étroitement à la définition des choix et stratégies pour améliorer le service public.
Paralysé par les déficits et les contraintes budgétaires, le chemin de fer est pourtant porteur de bienfaits collectifs, de progrès techniques ainsi que protecteur de l'environnement.
Il faut, avant tout, lui ouvrir des perspectives d'évolution. Le projet de réforme, auquel la majorité du groupe du RDSE apportera son soutien, lui offre une chance de retrouver un équilibre comptable d'ici à l'an 2000. Je le souhaite.
Cet équilibre sera difficile à réaliser et sans doute fragile. Le pari repose sur la capacité de l'entreprise elle-même à consolider son redressement, sur la volonté de ses personnels à y participer, sur la solidité du partenariat avec l'Etat et avec les collectivités territoriales, et, enfin, sur la confiance des usagers.
Tout comme la nationalisation du chemin de fer a ouvert, en 1937, au réseau français morcelé des perspectives nouvelles, souhaitons que, soixante ans après, la création de Réseau ferré national ait un impact bénéfique. Pour un renouveau du transport ferroviaire en France et aussi en Europe, je voterai le projet de loi en discussion afin de mettre un terme à une situation d'incertitude qui ne peut perdurer sans faire courir de graves dangers au devenir de la SNCF et de ses personnels.
La tâche sera rude, mais, pour la qualifier, me vient à l'esprit la devise de Guillaume d'Orange : « Il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer. »
Dans les aléas de l'application du projet de loi, il faut que le Gouvernement puisse compter sur le soutien ferme et déterminé du Parlement. C'est ce soutien que nous voulons, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, apporter aujourd'hui au Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nul ne peut nier qu'une réforme complète des chemins de fer français est nécessaire, urgente, indispensable.
Trop longtemps, nous nous somme flattés du fait que nos matériels ferroviaires étaient les meilleurs, que nos trains étaient les plus perfectionnés, les plus confortables, les plus rapides du monde. Nous avons mis en vitrine nos TGV, dont nous sommes fiers, à juste titre. Nous avons, il est vrai, cherché à les vendre à l'extérieur, malheureusement sans succès. Les étrangers, tout en reconnaissant nos prouesses techniques, ne s'y sont pas laissés prendre. « Tout cela est fort beau », ont-ils dit, « mais à quel prix ? »
Le prix, nous ne le connaissons que trop. La société chargée de gérer ce remarquable ensemble ne détient pas seulement le record de la vitesse sur rail ; elle collectionne aussi les records sur d'autres plans, moins flatteurs.
Dans le domaine financier, son endettement record atteint 208 milliards de francs ; les frais financiers de la dette représentent 11 milliards de francs ; la subvention publique record s'élève à 50 milliards de francs par an ; malgré cela, la société enregistre un déficit record de 12,5 milliards de francs en 1996, ce qui est d'ailleurs un peu mieux que les 17 milliards de francs que nous a valus en 1995 la grande grève de novembre et de décembre.
Le numéro de janvier de la revue Capital a calculé que la SNCF coûte 1 000 francs par an à chaque contribuable français, même à ceux qui ne prennent jamais le train !
Dans le domaine administratif, notre société nationale détient aussi bon nombre de records : sur un effectif de 180 000 personnes, 40 000, soit environ le quart, sont en surnombre dans les bureaux des grands centres, surtout à Paris, où le taux d'encadrement dépasse 32 %, contre 11 % en moyenne dans les entreprises normales. Les dépenses de personnels sont records, elles aussi, puisqu'elles sont supérieures au chiffre d'affaires de la compagnie, soit 50 milliards de francs par an. L'entreprise compte aujourd'hui deux retraités pour un actif, chiffre record !
Enfin, pour représenter ces personnels, défendre leurs intérêts et maintenir leurs effectifs en même temps que leurs avantages, on ne compte pas moins de 3 000 permanents rémunérés par la SNCF. Ceux-ci, groupés dans huit syndicats reconnus et de nombreuses filiales, accomplissent un travail incessant : il ne se passe pas de jours sans que la direction ne reçoive un ou plusieurs préavis de grève - on a parlé de dizaines. La France, hélas ! détient aussi et constamment le record des grèves.
Notre pays est le seul parmi les grands à ne pas avoir une loi disposant qu'en cas de grève dans le service public un service minimum devra être accompli et respecté...
M. Roland Courteau. Et voilà !
M. Jacques Habert. ... avec une exception pour l'audiovisuel, d'ailleurs, grâce à l'un de nos rapporteurs. C'est le seul pays dans lequel, du jour au lendemain, des secteurs entiers d'activité peuvent être paralysés sans que, légalement, on puisse vraiment remédier à cette situation.
Comme vous le savez, mes chers collègues, des propositions ont été faites à plusieurs reprises dans le passé, dans notre enceinte comme à l'Assemblée nationale, pour alléger les difficultés des usagers et prévoir un service minimum obligatoire. M. Fourcade a exprimé avec beaucoup d'éloquence à quel point il était ridicule que la grève devienne, quelquefois préventivement, le début de toute discussion en matière de travail.
Cela doit absolument cesser, mais nous n'avons pas voulu présenter - ce que nous aurions pu faire à l'occasion de la discussion de ce projet de loi - un amendement allant dans ce sens parce que, comme vous l'avez indiqué, monsieur le ministre, ainsi que plusieurs orateurs, nous notons actuellement un climat de compréhension qui nous laisse espérer des bases plus saines de négociation.
Tous les personnels des chemins de fer français, les cheminots, sont fonctionnaires. Ce n'est plus le cas dans la majorité des autres grands pays d'Europe, et notamment en Angleterre, en Allemagne et aux Pays-Bas, qui, à cet égard, ont déjà accompli tout ou partie des transformations recommandées par la Commission de Bruxelles.
Le Gouvernement français, lui, se montre très bienveillant pour les personnels de la SNCF : il a annoncé qu'il ne toucherait pas à leurs statuts. Il ne reviendra pas non plus sur les avantages acquis, et notamment la retraite à cinquante ans pour les roulants. (Murmures sur les travées socialistes.) Cette mesure, compréhensible pour les mécaniciens et conducteurs de trains des romans de Zola et des films de Renoir et de Gabin, n'est certainement plus très justifiée aujourd'hui.
Enfin, pour compléter la description de la SNCF actuelle, je dirai que, sur le réseau ferré, 20 000 kilomètres sont déficitaires. Ce sont le plus souvent les lignes reliant entre elles les petites villes de province qui sont les moins fréquentées et les plus onéreuses. Sur les 100 kilomètres du trajet Limoges - Brive, par exemple, chaque passager coûte 720 francs par an à la SNCF et donc au contribuable. Il ne fait guère de doute que l'autocar serait plus rentable.
En France, comme il est écrit dans un article très souvent évoqué cette semaine « les apparatchiks du rail ont un fâcheux penchant pour la réflexion théorique éloignée des réalités économiques. Leurs prévisions en matière de coûts et de recettes sont souvent contredites par les faits. » Ainsi, le TGV-Nord, épinglé par la Cour des comptes, n'a transporté que 6 millions de passagers en 1996 contre 18 millions prévus. Lors de l'élaboration du schéma directeur du TGV de 1992, 4 000 kilomètres de lignes à grande vitesse pour 150 milliards de francs d'investissement étaient envisagés pour amener le train rapide à Toulouse, Bordeaux ou Turin. Or, comme le souligne un récent rapport, aucun de ces TGV n'aurait été rentable, faute d'une concentration suffisante de population dans les régions desservies.
Tels sont quelques-uns des éléments qui expliquent l'état des chemins de fer français sur lequel nous nous penchons aujourd'hui. Devant le gouffre des déficits qui se creuse sans cesse, le bilan est, reconnaissons-le, plutôt effrayant. Un quotidien parisien écrivait, hier 20 janvier, que « la SNCF est dans une situation de mort clinique » et n'hésitait pas à indiquer en titre que le débat ouvert aujourd'hui au Sénat ne serait rien moins qu'une « opération survie ».
En quoi consiste donc cette opération ? Quelle est la nature de la réforme qui constitue le projet du Gouvernement ? Vous-même, monsieur le ministre, puis nos deux rapporteurs, MM. Gerbaud et Haenel, et le président de la commission des affaires économiques l'avez excellemment présenté, et je ne vais pas répéter ce qui a déjà été expliqué à cette tribune.
Le temps m'étant compté, je me bornerai à trois observations et à deux questions.
Ma première observation concerne l'importance, la nouveauté, l'originalité du projet de loi. Le texte qui nous est proposé est, certes, le plus important sur les chemins de fer depuis la création de la SNCF, voilà soixante ans, en 1937.
Au duo entre l'Etat et la société est substituée une organisation qui se traduit d'abord par l'éclatement de la SNCF en deux entités : la société elle-même et un nouvel organisme, l'établissement public « Réseau ferré national » - appellation qui changera peut-être au cours de la discussion des articles.
Cet établissement public sera propriétaire des infrastructures - on y a déjà fait allusion - mais il reprendra à sa charge les 134 millions de francs correspondant à l'endettement lié à la réalisation des infrastructures décidées par le Gouvernement. Par conséquent, dorénavant, la SNCF ne pourra pas invoquer, pour expliquer ses difficultés, les charges d'une dette dont elle n'était pas responsable.
Ma deuxième observation est la suivante : la SNCF devra s'entendre avec les régions, qui deviendront des décideurs en matière de transports régionaux ; ce sont précisément ceux-là qui sont les plus déficitaires. L'expérience de cette régionalisation lancée par la loi dans six régions s'étendra sans doute à d'autres régions. Il s'agit là d'une nouvelle orientation, d'une collaboration d'un potentiel certain.
J'en viens à ma troisième observation : la réforme, hélas ! coûtera cher, très cher. En 1997, le budget consacré au transport ferroviaire - hors subvention pour la retraite des cheminots - devrait augmenter de 30 %. Le chemin de fer deviendra ainsi le domaine qui connaîtra la plus forte croissance des crédits engagés par l'Etat dans les mois à venir ; provisoirement, nous l'espérons.
Une première question se pose donc : où trouvera-t-on les 8 à 10 milliards de francs nécessaires pour faire face à ces charges nouvelles ?
M. Jean-Pierre Masseret. Chez les riches !
M. Jacques Habert. Comment le financement sera-t-il assuré à l'avenir ?
Ma deuxième question se rapporte aux observations que j'ai formulées au début de mon propos sur quelques-uns des maux actuels de la SNCF : monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, dans le cadre de cette réforme, la plupart des maux dont j'ai souligné l'importance et la multiplicité pourront-ils être amoindris, voire supprimés ? Nous voulons l'espérer.
En tout cas, il fallait agir, c'est évident ! Nous en sommes tous d'accord ! Le Gouvernement, après plus d'un an de réflexion, d'études, de concertation, a entrepris avec courage une réforme complexe qui, pour la première fois, semble emporter l'adhésion de la majorité des syndicats. D'autres attendent avec prudence les effets des décisions qui seront prises.
Nous espérons que cette réforme réussira. Nous remercions le Gouvernement pour le courage dont il a fait preuve en s'engageant dans cette voie délicate. En tout cas, nous le soutiendrons pour que le service public des transports ferroviaires connaisse enfin le renouveau dont notre pays pourra être fier. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.) M. le président. La parole est à M. Bordas.
M. James Bordas. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, M. Nicolas About participant aux Pays-Bas à une mission chargée de la lutte contre les stupéfiants, il m'a demandé, sachant que nous partagions la même opinion sur ce projet de loi, d'intervenir à sa place.
Voici donc venu le temps de la vérité et du courage, qui ouvre la route vers l'espoir. Je tiens, sans plus attendre, à saluer l'action du Gouvernement, qui a suivi la réflexion engagée après les grèves de décembre 1995. Je salue aussi son courage : il présente un texte qui ne se contente pas de colmater les brèches, mais permet d'entrevoir des perspectives nouvelles pour le transport ferroviaire en France.
Vous auriez pu, monsieur le ministre, comme vos prédécesseurs, alléger quelque peu la dette de l'entreprise nationale en invitant celle-ci à prendre de bonnes résolutions. Vous avez choisi de rompre avec une logique qui a conduit la SNCF à une situation financière calamiteuse.
Cet après-midi, vous avez présenté un projet de loi ambitieux. Je me félicite à cet égard que la décision en la matière revienne au Parlement. L'ampleur des enjeux financiers, mais surtout le fait que l'avenir du transport ferroviaire concerne l'ensemble des citoyens justifiaient que la décision finale nous appartienne.
Ce texte me semble être sous-tendu par une salutaire volonté de clarification.
Clarification, avec la création d'un nouvel établissement public chargé de l'aménagement, du développement et de la mise en valeur de l'infrastructure. Cette évolution permettra d'avoir enfin une image claire du coût de la réalisation des infrastructures et de prendre des décisions en toute connaissance de cause.
Jusqu'à présent - vous le rappeliez cet après-midi, monsieur le ministre - l'Etat et la SNCF se sont parfaitement accommodés d'une opacité de leurs relations, qui a contribué à la situation financière dans laquelle se trouve la SNCF aujourd'hui.
La création de ce nouvel établissement publ ic s'accompagne d'un allégement tout à fait significatif de la dette de la SNCF. Jamais un pareil effort n'avait été fait, et je me permets de souhaiter que l'on n'ait plus jamais à le refaire.
Cette loi est véritablement l'occasion d'un nouveau départ pour la SNCF.
Clarification également, avec le transfert aux régions de la gestion des services régionaux de voyageurs. Cette évolution est dictée par le bon sens ; elle permettra de rapprocher la décision de l'usager. Les régions sont mieux à même que l'Etat d'apprécier les besoins, les demandes de la population et les moyens adéquats pour assurer le service public du transport.
Pour le service public aussi, ce projet de loi conduira à une clarification. Nous pourrons enfin savoir quel est le contour des missions de service public. En effet, le service public a trop souvent servi à justifier l'inefficacité et la lourdeur. (Protestations sur les travées socialistes.)
C'est pourquoi on ne répétera jamais assez que le service public, ce sont des missions et ces missions de service public ce n'est pas à une entreprise de les définir, mais à nous parlementaires. C'est d'ailleurs ce que nous avons fait il y a peu avec France Télécom, secteur ouvert à la concurrence, mais où n'en existent pas moins des missions de service public.
Il me paraît plus indispensable que jamais de veiller à l'existence d'un service public de haut niveau sur l'ensemble de notre territoire.
Mais ce n'est pas la SNCF qui est un service public, c'est le transport de voyageurs !
La SNCF est une entreprise, et je souhaite qu'elle se comporte de plus en plus comme une entreprise. C'est son intérêt, c'est l'intérêt de ses salariés, c'est l'intérêt des clients, c'est l'intérêt des contribuables, c'est l'intérêt de la nation.
En définitive, je ne crois pas que le niveau du service public soit nécessairement proportionnel à l'endettement ou au déficit de l'entreprise qui est chargée de l'assurer. Je crois, au contraire, que compétitivité et service public ne sont pas antinomiques, à condition que chacun - Etat, région, SNCF - prenne ses responsabilités.
Ce projet de loi me semble également salutaire, parce qu'il donnera à la SNCF les moyens de mettre au point un véritable projet d'entreprise et d'être compétitive sur le marché européen.
Le transport ferroviaire a une pertinence évidente sur les distances européennes et la SNCF doit bénéficier de tous les moyens pour se développer sur ce créneau. Elle a d'ailleurs déjà entrepris de le faire puisqu'elle est à l'origine du projet de réseau européen de TGV et des premières rames internationales à grande vitesse que sont Thalys et Eurostar. Elle a également créé des sociétés de gestion avec la plupart de ses voisins pour faciliter la circulation des trains d'un pays à l'autre.
Je suis convaincu que le désendettement de la SNCF lui permettra de valoriser encore mieux sa compétence sur le marché européen.
Puisque je parle de l'Europe, permettez-moi de vous dire que le moment choisi pour mener à bien cette réforme me paraît particulièrement opportun. Aucun texte communautaire ne nous oblige aujourd'hui à réformer nos chemins de fer. C'est notre responsabilité et nous le faisons parce que c'est l'intérêt de la France.
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis. Ça c'est vrai !
M. James Bordas. Actuellement, la France est parfaitement en règle au regard des directives communautaires existantes. Je trouve très sain que nous n'attendions pas qu'un futur texte communautaire intervienne pour mener à bien des réformes que nous devons faire dans l'intérêt de notre entreprise nationale.
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis. Très bien !
M. James Bordas. Cela doit permettre de moderniser l'organisation du transport ferroviaire sans renoncer à tout ce qui a permis ses nombreux succès au cours des dernières décennies.
En revanche, les réflexions qui sont conduites à l'échelon communautaire doivent être un stimulant, un élément de notre réflexion. Il est vrai que la Commission européenne, lorsqu'elle aborde ces questions, le fait parfois avec une certaine brutalité, que nous avons quelquefois pu regretter. Toutefois, elle est tout à fait dans son rôle, me semble-t-il, en lançant des pistes de réflexion, comme elle l'a fait avec son Livre blanc.
Ce Livre blanc ne contient aucune mesure normative ; c'est un document d'orientation destiné à susciter le débat. Nous ne sommes pas d'accord avec toutes les orientations de ce document. Par conséquent, disons-le et discutons afin que les décisions qui en sortiront peut-être plus tard soient conformes à nos intérêts ! Cette méthode vient d'être expérimentée avec succès dans le secteur postal, où les Etats membres de l'Union européenne sont parvenus à un accord tout à fait conforme aux intérêts de la France.
Je crois, par exemple, que les propositions du Livre blanc sur les chemins de fer en matière sociale sont insuffisantes et que l'unification européenne implique un effort d'harmonisation en ce domaine. On a vu dans le transport routier les conséquences que pouvait avoir l'absence de réflexion sur ce sujet.
De même, les propositions de large ouverture à la concurrence du transport de fret et du transport international de voyageurs paraissent à tout le moins prématurées, puisque la directive de 1991, qui autorisait une concurrence tout à fait limitée, n'a fait l'objet d'aucune application.
Restons cependant vigilants, de manière à ne jamais nous laisser prendre de vitesse, comme cela a pu parfois être le cas dans d'autres secteurs.
Il nous faut donc être attentifs aux propositions européennes. Le contrôle que nous pouvons désormais exercer sur ces propositions par l'intermédiaire des résolutions que nous votons dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution est très précieux : il nous évite d'être les derniers informés des réformes qui seront mises en oeuvre dans notre pays.
Par ailleurs, nous devons être attentifs aux réformes conduites par nos partenaires européens. Il ne s'agit pas de copier nos voisins ; nous sommes parfaitement à même de définir une solution originale pour la modernisation du système ferroviaire français. Mais les expériences de nos voisins peuvent alimenter notre réflexion. J'ai pu observer, pour ma part, que la réforme britannique récemment mise en oeuvre et souvent qualifiée d'ultra-libérale était, en fait, beaucoup plus pragmatique qu'il peut y paraître au premier abord, dans la mesure où, pour les transports de voyageurs, le monopole national a certes disparu, mais a été remplacé par des monopoles régionaux sous la forme de concessions de service public.
Il est encore trop tôt pour dresser le bilan de cette réforme, mais les Britanniques ont eu le courage d'entreprendre la transformation d'un système ferroviaire caractérisé par une grande vétusté du réseau, ce qui n'est pas du tout le cas du sytème français.
En Allemagne, l'Etat a repris à sa charge la totalité de la dette de la Deutsche Bahn, ainsi que les surcoûts liés aux charges de personnel. Les Länder ont par ailleurs vu leurs compétences accrues.
Dans les deux cas, on a rapproché la décision du citoyen. C'est ce que vous nous proposez aujourd'hui, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, et c'est la seule voie qui permettra à la France de disposer d'un système ferroviaire moderne, compétitif et répondant aux attentes des citoyens.
C'est pourquoi le groupe des Républicains et Indépendants votera ce projet de loi. Il offre, en effet, de nouvelles perspectives au rail en France, en adaptant notre système pour le rendre plus efficace, sans renoncer, je le répète, à ce qui a fait sa force dans le passé. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Deneux.
M. Marcel Deneux. Grâce au projet de loi que vous nous proposez aujourd'hui, monsieur le ministre, les chemins de fer français vont franchir une étape essentielle.
Nous avions craint de voir cette réforme abandonnée après le report de l'automne dernier. Cependant, le projet de loi est là ; notre inquiétude n'était donc pas fondée.
Permettez-moi tout d'abord de rendre hommage à M. Gerbaud, rapporteur, et à M. Haenel, rapporteur pour avis, pour le remarquable travail qu'ils ont accompli et pour les rapports très documentés dont nous avons pu disposer.
Monsieur le ministre, je tiens aussi à rendre hommage au courage et à la persévérence dont vous avez fait preuve dans la préparation de ce texte.
La concertation à l'intérieur de l'entreprise et avec les régions, qui a été exemplaire, a constitué le préalable indispensable à une véritable solution de redressement pour la SNCF, comme l'a rappelé la commission des affaires économiques.
M. Martinand, qui a su avec la compétence que nous lui connaissons éclairer ce projet, a eu cette phrase significative : « Le transport ferroviaire n'assure plus la desserte fine de l'ensemble du territoire ; il n'y a donc plus à proprement parler de service public ferroviaire. »
La réforme doit être à la hauteur du constat. Néanmoins, mes chers collègues, permettez-moi de rappeler que le bénéficiaire principal de la réforme doit être le client, c'est-à-dire le voyageur, dont les besoins doivent être satisfaits en termes de qualité, de sécurité et de coût. Il est étonnant que cet aspect soit si rarement évoqué dans les commentaires entendus ici ou là sur cette réforme. Et pourtant, tout ce que nous aurons à faire, à mettre en oeuvre, à créer, à modifier, doit répondre à cette seule priorité : le service du client.
Du débat national, quatre enjeux ont été dégagés, que chacun ici a rappelés : la clarification des responsabilités respectives de l'Etat et de la SNCF, l'allégement de la dette, la reconquête des clients et la régionalisation des services de voyageurs.
Après avoir rappelé les éléments essentiels qui nous font approuver le principe de cette réforme, j'insisterai sur les points financiers qui sont de nature à la consolider, mais qui restent encore un peu obscurs aujourd'hui.
M. le président Monory le rappelait lors d'un récent colloque, « en matière d'infrastructures de transports, toute réforme doit aujourd'hui prendre en considération deux aspects : l'approche européenne et l'action décentralisée ».
L'avenir des réseaux de chemins de fer est fortement déterminé par la perspective européenne. Mais, au moment où les pays européens considèrent les chemins de fer comme un facteur important d'intégration et de développement durable, les opérateurs ferroviaires, au premier rang desquels la SNCF, sont financièrement exsangues et donc incapables d'aller de l'avant.
Pourtant, le rail est un moyen de transport performant sur le plan économique dès qu'il s'agit de longues distances, de liaisons entre grandes métropoles et de zones européennes à fortes densités économique et démographique.
L'apport du transport ferroviaire à la politique d'aménagement du territoire ou à celle de la protection de l'environnement n'est pas négligeable. A nous donc d'en tenir compte.
Ce développement au niveau de l'Europe passe par une solution spécifiquement française adaptée au secteur. Cette voie est formalisée par les directives européennes sur les chemins de fer. Elle s'inscrit dans les politiques de service public et de développement des réseaux.
Mais, au-delà d'une simple directive, c'est aussi un nouvel horizon qui se met en place et qui impose des stratégies adaptées.
Votre projet de loi répond à ce défi : il offre un cadre pertinent pour faire de l'entreprise nationale de chemin de fer une société gérée de manière moderne, et de la juxtaposition des réseaux nationaux un véritable maillage international, sous réserve, bien sûr, d'« interopérabilité » et de moyens nouveaux pour financer les futures infrastructures.
Outre l'harmonisation européenne, il convient de souligner aussi une plus grande implication locale. Je serai bref sur cet aspect, car mon ami Pierre Hérisson est longuement et brillamment intervenu sur ce sujet tout à l'heure.
Les partenaires concernés, l'Etat, la SNCF et les conseils régionaux, doivent bien comprendre l'enjeu de la régionalisation du transport des voyageurs.
Il nous faut conduire rapidement et activer cette modification. Elle permettra de mener une véritable politique de proximité en matière ferroviaire et d'y associer très directement les représentants des usagers.
Ces évolutions et l'ensemble des dispositions qui en découlent, tant en France que dans les pays voisins, montrent qu'il y a là l'occasion d'un renouveau pour un mode de transport aujourd'hui dans l'impasse.
Dans la pratique, la concertation entre les directions régionales de la SNCF, les conseils régionaux et les associations d'usagers améliore toujours sensiblement la qualité des dessertes, l'adéquation des horaires aux besoins des voyageurs et le respect du matériel.
Il va cependant de soi que ce transfert de compétence doit être opéré à coût nul pour les régions dans la mesure où les conditions de financement ultérieur du service rendu aux usagers seront fixées par des conventions entre la SNCF et les régions.
Redisons-le clairement, monsieur le ministre, la réforme de la SNCF que nous sommes en train de réaliser a pour principal objectif de rendre un meilleur service aux voyageurs pour le meilleur coût. Cet objectif est prioritaire. Il y va de la pérennité de la réforme.
En effet, si celle-ci n'est pas adaptée aux conditions de mobilité des clients ni élaborée dans un cadre économique et financier moderne, elle est vouée à un échec redoutable : s'il n'y a plus de clients, il n'y a plus d'entreprise !
Nous approuvons donc les modalités de la réforme. Elles permettent de répondre aux quatre enjeux définis à l'issue du débat national tout en préservant l'intégrité de la SNCF.
Cependant, si l'on veut que le nouvel établissement public soit viable et ne soit pas uniquement une structure de cantonnement de la dette, il faut veiller à assurer clairement une gestion saine en ce qui concerne le financement et la maintenance des infrastructures actuelles et nouvelles, ainsi que la charge de la dette.
On peut légitimement s'interroger sur les aspects financiers de la réforme.
Ils permettront le redressement durable de la SNCF et la viabilité de l'établissement public nouveau, responsable de l'infrastructure.
L'allègement de 134,2 milliards de francs représente un effort sans précédent des pouvoirs publics. Il faut le dire, c'est une chance unique pour l'avenir de la SNCF. Les syndicats de cheminots ne s'y trompent d'ailleurs pas : leur relative modération actuelle vaut intérêt à défaut d'adhésion.
M. Jean-Luc Mélenchon. Ah ?
M. Marcel Deneux. En revanche, si l'on se place du point de vue du nouvel établissement public chargé de gérer l'infrastructure, les aspects financiers méritent un examen attentif. Le texte dont nous discutons laisse subsister quelques points d'interrogation à ce sujet.
Tout d'abord, je souhaite indiquer que si nous approuvons le montage financier, profitable à la SNCF, il ne faudrait pas que celui-ci se fasse au détriment de Réseau ferré national, qui apparaîtrait ainsi, dès sa création, comme un futur gouffre financier à la charge du contribuable. Je ne veux pas rappeler ici des précédents ô combien douloureux.
Il est absolument indispensable de connaître, lors de la création de Réseau ferré national, la nature de sa dette en termes de durée et de taux. Au moment où je parle, nous n'avons pas d'éléments de réponse totalement satisfaisants, ce que la commission des affaires économiques a d'ailleurs déploré à plusieurs reprises.
L'audit remarquable effectué par le cabinet d'expertise comptable Coopers & Lybrand sur les comptes de l'infrastructure de la SNCF ne nous a pas, lui non plus, apporté de réelles précisions sur ces points.
J'ajoute, en marge de cet aspect, que la SNCF, exploitante du réseau, devra assurer le règlement de sa propre dette et retrouver un équilibre de compte d'exploitation satisfaisant pour éviter de retomber dans les erreurs du passé.
On peut s'interroger sur la manière dont seront fixées les différentes rémunérations et prestations entre Réseau ferré national, la SNCF et d'autres opérateurs éventuels.
Il est bien évident que, compte tenu du faible apport en fonds propres dont sera doté Réseau ferré national lors de sa création, les recettes liées à l'exploitation et à l'utilisation du réseau vont jouer un rôle fondamental dans la gestion de l'établissement public, notamment dans la capacité de remboursement de sa dette, qui reste très élevée.
Or, là, le législateur est singulièrement tenu à distance pour les modalités fines d'attribution de ces recettes. Des questions restent en effet sans réponse.
Comment sera calculée la tarification liée à l'usage de l'infrastructure ?
Comment prendra-t-on en compte les zones fortement utilisées et les zones d'aménagement du territoire ?
Comment sera réellement calculée la rémunération du gestionnaire délégué de l'infrastructure ?
Quel sera le poids réel de Réseau ferré national face à la SNCF ?
Comment sera assurée la charge des futurs investissements que l'on ne manquera pas de reprocher à RFN en cas de report ou d'annulation ?
Quelle sera la marge de manoeuvre réelle du conseil d'administration de RFN face à l'Etat, à la SNCF, aux conseils régionaux ?
Des décrets vont intervenir prochainement pour la mise en oeuvre de la réforme. Ils apporteront les réponses aux questions posées en matière financière. Du moins, je l'espère.
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Vous les avez !
M. Marcel Deneux. Le Parlement peut-il être assuré que ces textes réglementaires répondront à ses interrogations ?
Côté fiscal, il existe également des incertitudes quant aux conséquences du transfert de propriété des biens immobiliers de la SNCF vers Réseau ferré national.
Compte tenu du régime spécifique d'imposition de la SNCF et des ressources fournies aux communes - 22 000 communes - sont concernées, le risque existe de voir Réseau ferré national frappé plus lourdement sur le plan fiscal, à cause d'un partage moins équitable des bases d'imposition.
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. J'ai répondu.
M. Marcel Deneux. Ne va-t-on pas assister mécaniquement à une réduction des ressources communales du fait de la nouvelle répartition de l'assiette fiscale ? (M. le ministre fait un signe de dénégation.)
En ce qui concerne la valeur des biens transférés, notre rapporteur se demande si ce point relève du domaine réglementaire. Je tiens à faire remarquer en toute cordialité, cher collègue, qu'il est souhaitable que le législateur y soit associé, tout simplement en raison des conséquences - rappelées plus haut - de ces dispositions sur les recettes fiscales des collectivités locales.
Je souhaite que mes craintes ne soient pas toutes fondées.
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Elles ne sont pas fondées.
M. Marcel Deneux. Mais, dans le cas inverse, les collectivités locales sauraient nous rappeler notre responsabilité !
Je vais terminer mon propos en insistant une nouvelle fois sur l'importance qu'auront les ressources de Réseau ferré national sur la viabilité générale de notre réforme.
Au risque de me répéter - mais je sais que je reprends là les préoccupations de notre commission - je rappelle que sur les sources de revenus affectées à Réseau ferré national aucun montant n'est clairement arrêté ; les recettes prévues n'assureront pas automatiquement la viabilité de ce nouvel établissement public.
Mais nous allons sans doute être rassurés par vos réponses, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat.
Le mérite principal de ce texte est la clarification entre la SNCF et le nouvel établissement public. La séparation est une voie prometteuse. Cela a été prouvé ailleurs.
En cantonnant la dette, on permet à la SNCF de retrouver une situation plus normale, on permet à l'ensemble du personnel de cette grande entreprise de se remobiliser et, on peut l'espérer, à l'entreprise elle-même de retrouver un niveau de résultat compatible avec la nécessaire pérennité du service public. La réussite est à ce prix. Les efforts ne sont pas terminés.
Il appartient au Gouvernement, au cours des prochains mois, de créer à tous les stades les conditions assurant un avenir à l'ensemble cohérent SNCF et Réseau ferré national, avenir qui consacrera le renouveau du transport ferroviaire en France.
Je reconnais avoir été parfois un peu sévère et pointilleux dans mon intervention. Mais ne vous méprenez pas, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, j'adhère à ce projet.
Par mes propos, je souhaite contribuer à la réussite complète de cette réforme, à la nécessité de laquelle je crois. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Fatous.
M. Léon Fatous. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les événements des mois de novembre et de décembre 1995 ont clairement démontré qu'une profonde et importante réforme s'imposait au sein de la SNCF.
Cette réforme se devait d'être en phase avec les directives européennes et, surtout, capable d'amener, dans des conditions favorables, la SNCF dans le troisième millénaire.
Votre Gouvernement en avait pleinement pris conscience dès le printemps 1996. Il nous proposait un large débat sur l'avenir du transport ferroviaire en juin 1996, débat qui a malheureusement été faussé par l'annonce de la création d'un établissement public industriel et commercial quelques jours avant que l'ensemble des parlementaires aient pu exposer leur vision d'avenir.
Ce grand effet médiatique de votre part laissait penser que Réseau ferré national allait enfin permettre à la SNCF de se désendetter et de trouver une nouvelle voie vers l'équilibre financier, l'apaisement social et le développement indispensable de ses infrastructures.
Votre proposition devait être débattue en novembre 1996 au Sénat, mais, pour des raisons encore indéterminées, elle a été repoussée à 1997. Nous y sommes !
Il est vrai que les fins d'année sont devenues pour vous des périodes délicates.
L'année 1996 n'a pas échappé à la règle, puisque vous avez eu à régler un autre conflit, dans le secteur du transport routier, et à faire face aux conséquences de la vague de froid qui a paralysé pendant quelques semaines la France entière.
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Nous n'y étions pour rien !
M. Léon Fatous. Le texte que vous nous présentez aujourd'hui n'est rien d'autre que le projet que vous nous aviez promis en juin dernier, à l'exception cependant d'un transfert de dette différent et de l'usage d'une nouvelle dénomination pour l'établissement « Réseau ferré national », qui serait baptisé « Réseau national de France » ou « France rail ».
Notre position n'a pas changé concernant ce projet : nous voyons dans votre proposition non pas l'annonce d'une véritable réforme, mais simplement un transfert de dette inutile, dangereux et totalement inefficace.
Il est inutile, car rien, pas même la directive européenne 91/440, ne vous obligeait à créer un nouvel établissement public. Une simple séparation de comptabilité au sein de la SNCF suffisait pour répondre aux exigences de l'Europe et de l'avenir.
M. Jean-Luc Mélenchon. Très bien !
M. Léon Fatous. Il est dangereux, car cette scission entre une société qui sera chargée de l'exploitation et une autre qui gérera les infrastructures constitue un démantèlement de la SNCF et ouvre la voie à la privatisation.
En effet, quand bien même ce ne serait pas votre volonté - je vous l'accorde - le fait même de séparer les deux établissements aboutira à soumettre RFN aux contraintes de la législation relative aux marchés publics. Une dérogation ne sera à cet égard d'aucun secours, car elle devra tenir compte des directives européennes.
Ainsi, RFN et la SNCF risquent d'être confrontés à des tracasseries juridiques. Si l'on s'en tenait à une simple séparation comptable de la gestion des infrastructures et de l'exploitation, comme l'exige la directive européenne 91/440, sans aller aussi loin que le prévoit le projet de loi, une telle difficulté ne se poserait pas.
Ce transfert de dette est enfin inefficace, car le problème posé par celle-ci reste entier : les 208 milliards de francs de dette sont simplement répartis entre deux établissements, et il apparaît dès lors impossible de redresser la situation financière de la SNCF à l'horizon de l'an 2 000.
En somme - j'ai déjà dénoncé ce fait lors des discussions budgétaires - vous n'avez pas la véritable volonté politique de relancer le rail, notamment en ce qui concerne le fret.
On a pourtant pu constater, ces derniers jours, les conséquences désastreuses, pour l'environnement et pour la qualité de l'air, du développement à outrance du transport routier.
Pour toutes ces raisons, ce projet de loi ne nous convient pas. Il manque d'ambition, et ne constitue pas la véritable réforme tant attendue par les cheminots et par l'ensemble des Français, qui devrait être l'occasion d'une réflexion globale sur notre politique des transports.
Par ailleurs, le personnel de la SNCF n'est pas - ou très peu - évoqué dans le texte, alors qu'il se trouvait à l'origine du conflit de novembre 1995.
Je comprends donc fort bien sa déception et son scepticisme à l'égard des mesures que vous proposez et surtout ses inquiétudes quant à l'avenir de son statut.
Les dernières intempéries ont pourtant montré à quel point était nécessaire la présence humaine dans les gares. Chaque jour, et plus encore ici en région parisienne, des faits nous prouvent combien il est important, pour la sécurité, le confort et l'accueil des usagers, que des effectifs suffisants soient présents. Or l'automatisation se développe partout, et les distributeurs remplacent petit à petit le personnel, ce qui vide les gares et les rend inhumaines...
Si M. Gallois souhaite, comme son prédécesseur, gagner son pari, c'est bien sur la qualité de l'accueil et du service rendu aux clients qu'il doit agir.
Mais bien au-delà de la simple question des effectifs, le véritable problème reste celui de la motivation de ce personnel compétent et soucieux de servir au mieux son entreprise.
Or, par la « réformette » que vous proposez, monsieur le ministre, vous ne leur insufflez pas cette motivation nécessaire à la réussite et au redressement de la SNCF.
En effet, ils ne voient là qu'un projet inquiétant qui risque, tôt ou tard, d'aboutir à la remise en cause de leur statut. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, M. Haenel, rapporteur de la commission des finances consultée pour avis sur le projet de loi portant création de l'établissement public « Réseau ferré national », a défini deux préalables devant être clairement exprimés.
Le premier est de considérer que la réforme proposée crée des relations financières nouvelles entre quatre partenaires : l'Etat, la SNCF, RFN et les collectivités territoriales.
Mais - c'est le second préalable, tout aussi important - le niveau des différents paramètres financiers doit être fixé. Or il ne l'est pas dans le projet de loi qui nous est soumis.
La réponse financière donnée par le Gouvernement est cependant fort claire ; on peut en mesurer toute l'insuffisance, la perversité et la gravité pour l'avenir de la SNCF et du transport ferroviaire dans notre pays.
Cette réponse prend en compte d'autres soucis que celui du simple équilibre financier de la SNCF, car la préoccupation prioritaire du Gouvernement, c'est la réduction des déficits publics en vue du passage à la monnaie unique.
En effet, pour limiter le montant du déficit budgétaire à 3 % du produit intérieur brut, le Gouvernement a déjà réduit, dans la loi de finances pour 1997, le volume des crédits de vingt-cinq budgets civils sur vingt-huit.
Avec la réduction de ce déficit à 2 % du PIB que vous voulez imposer en 1998, la réduction touchera, et plus fortement encore, la totalité des budgets.
M. Gerbaud, rapporteur de la commission des affaires économiques, consacre les pages 40 et 41 de son rapport à ce qu'il appelle « la problématique de Maastricht ». Certes, monsieur le rapporteur, il y a problème, mais vous ne proposez pas la bonne solution !
Dans la loi de finances pour 1997, le Gouvernement a ainsi transféré 35 milliards de francs de France Télécom vers le budget de l'Etat. Pour votre part, monsieur le ministre, vous transférez le déficit de la SNCF à un nouvel organisme, RFN, pour ne pas avoir à le supporter.
Le Gouvernement a donc fait siens les profits de France Télécom, mais vous refusez de faire vôtre le déficit de la SNCF.
En outre, la dette de la SNCF n'est pas une dette : elle est un résultat financier voulu par le Gouvernement. En effet, sur 213 milliards de francs de « dette », 175 milliards de francs représentent une dette effective, tandis que 38 milliards de francs correspondent au service de l'amortissement de la dette, que vous avez souhaité et organisé.
La SNCF est entrée, depuis 1993, dans une spirale de l'endettement, sans que l'Etat fasse une analyse réelle ou apporte un remède efficace. Avec un chiffre d'affaires consolidé de 74 milliards de francs en 1995, les dettes à plus d'un an se montaient à 193,5 milliards de francs et les frais financiers atteignaient le chiffre record en valeur absolue de 15,9 milliards de francs.
Alors que jusqu'en 1991 la situation paraissait pouvoir être maîtrisée, le désengagement de l'Etat et son désintérêt ont conduit la SNCF à engager des investissements importants financés seulement par l'emprunt, ce qui a entraîné un alourdissement des frais financiers.
L'effondrement rapide des résultats financiers de l'entreprise a été prévu, voire favorisé. Ainsi, les deux contrats de plan précédents ont engendré 100 milliards de francs de charges financières, payées intégralement grâce aux recettes provenant des usagers et du travail des cheminots. La SNCF a payé des frais financiers exorbitants et n'a, en outre, jamais pu transférer les profits dégagés par ses secteurs rentables et certaines de ses filiales.
Aujourd'hui, le seul préalable qui s'impose est la reprise par l'Etat de ce déficit de la SNCF et sa transformation en dette publique, avec conversion de la durée de remboursement et des conditions d'indexation. Il serait également souhaitable et possible de décider le rachat des titres en circulation, avec conditions incitatives, et d'envisager la collecte de ressources par certains intermédiaires financiers - SICAV monétaires, compagnies d'assurance - tenus de supporter le coût de l'opération. L'Etat pourrait alors continuer d'apporter sa garantie de remboursement.
Votre préalable est l'éclatement de la SNCF pour cause de déficit, le nôtre est le rééquilibrage des relations entre entreprises publiques dotées de services financiers, établissements de crédit et budget de la SNCF.
Votre préalable est insuffisant pour sauver la SNCF, mais vos propositions sont perverses sur le plan financier. Elles reproduiront les mêmes effets, pour des raisons fort simples : elles excluent la sortie de la dette de la comptabilité de la SNCF, sa restructuration et sa déconnexion d'avec les taux des marchés financiers.
Des solutions existent pourtant, qui mériteraient au moins d'être explorées. Mais vous n'envisagez nullement de possibles recettes nouvelles et complémentaires, comme l'utilisation de fonds européens ou le retour d'investissements qui ont permis de constituer des provisions considérables. Celles de GEC-Alsthom, par exemple, représentent 75 milliards de francs en SIVAC monétaires.
Vous n'envisagez nullement la recherche de nouvelles rentrées financières pour la SNCF. Pourtant, les plus-values financières liées aux opérations immobilières autour des gares et des dessertes nouvelles par TGV pourraient être taxées quant aux compagnies d'assurance, grâce à la couverture du risque lié au transport, elles ont dégagé, après remboursement des sinistres, un solde positif de 19 milliards de francs. Serait-il illogique d'affecter une partie de cette somme à l'amélioration de la sécurité des transports ?
La SNCF est un sigle et une réalité qui servent de vecteur, de label, de carte de visite, de support publicitaire à l'industrie ferroviaire. Serait-il illogique que l'entreprise en reçoive un juste retour financier ?
De plus, l'Etat profite largement, par le biais de la taxe intérieure sur les produits pétroliers, du transport routier. Le produit de la TIPP était, en 1996, de 148,5 milliards de francs. Serait-il illogique de prévoir un prélèvement sur celui-ci pour financer les opérations d'investissement en vue de développer des infrastructures nouvelles de transport ?
Bien entendu, une maîtrise politique du dossier s'impose pour articuler ces mesures avec des pratiques démocratiques de contrôle, des décisions concernant le financement à tous les niveaux, des conseils consultatifs des 210 succursales de la Banque de France, des CODEF à la constitution de conférences financières régionales.
Dans les faits, ces mesures d'ensemble permettraient d'assainir les finances de la SNCF, mais, surtout, elles définiraient fondamentalement une mission nouvelle dévolue au service public, un nouveau rôle pour le crédit et les banques, une perspective de mixité à prédominance publique et sociale. L'établissement public RFN devra, pour vivre, s'épanouir au sein de ces concordances nouvelles, ou alors il s'enlisera, à son tour, dans le déficit et subira le sort de la SNCF.
Nous n'étions pas, monsieur le ministre, pour le statu quo, mais la réforme que vous nous proposez à travers ce projet de loi ne règle rien. Elle compromet tout développement d'une société nationale du chemin de fer français, mais surtout tout développement harmonieux de l'ensemble des moyens de transport. Certaines lois votées antérieurement prévoyaient qu'un nouvel équilibre serait à trouver entre transports aériens, fluviaux, terrestres et ferroviaires. Mais vous provoquez un déséquilibre en sacrifiant le rail français, la SNCF, le service public et des générations de cheminots.
Telles sont, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, les raisons pour lesquelles le groupe communiste républicain et citoyen rejette catégoriquement votre projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi dont nous débattons aujourd'hui vise à établir un cadre juridique précis pour la première grande réforme du transport ferroviaire depuis 1937. Les adaptations intermédiaires ont plus apporté des réponses à des situations installées que tenté une approche prospective. Le bilan dressé en 1995 fournit, pour les cinq dernières années, des chiffres qui indiquent un repli de 20 % pour le transport de voyageurs, un recul de quatre points pour le fret et un passif dont nous connaissons l'ampleur.
Entrée dans l'histoire nationale il y a soixante ans, la SNCF fait partie du patrimoine hexagonal. L'action de ses agents, dans les moments difficiles, reste inscrite dans nos mémoires. La réforme de la société nationale est d'autant plus délicate à mener que son identité d'entreprise est forte. L'inquiétude des cheminots a ainsi conduit leurs organisations représentatives à repousser par deux fois la signature du pacte de modernisation proposé. En dernier ressort, et malgré une réelle concertation, l'unanimité du conseil d'administration n'a pas été obtenue.
S'il était urgent de clarifier les relations contractuelles entre l'Etat et la SNCF, compte tenu de la situation axée sur une combinaison étroite du service public et de l'économie de marché, il était également nécessaire de procéder à un état des lieux exhaustif et d'engager un dialogue social nourri sur ce sujet. A cet égard, il semble que cette forme d'échanges n'aboutit que lorsque le conflit a éclaté, alors qu'elle devrait être le moyen de l'éviter. Il semble que les conséquences de la grève de 1995 ont entraîné une prise de conscience chez les agents du rail et repositionné le rôle du client.
Selon M. Louis Gallois, président de la SNCF, les pertes financières de l'établissement sont importantes mais ne sont pas inéluctables. Il a jugé que celui-ci n'était pas tourné vers les clients : il prétend produire du transport ferroviaire et non pas du service de transport de clients. Cela signifie, toujours selon M. Gallois, que les moyens financiers et humains ne sont, d'une certaine manière, pas affectés au service des clients, mais sont affectés au service des trains !
Cette analyse nous est précieuse au moment où nous allons décider du transfert de la dette et du reliquat du déficit qui restera à supporter par la SNCF, et donc de sa résorption. La commission des affaires économiques et du Plan du Sénat s'apprête, par voie d'amendement, à porter, lors de la création de Réseau ferré national, l'aide destinée à diminuer le passif de l'entreprise de 125 milliards à 134,2 milliards de francs.
Restera donc, au terme de l'exercice écoulé, en endettement, une somme sensiblement équivalente au chiffre d'affaires. Or on considère qu'une entreprise est en danger quand son endettement est supérieur à la moitié de son chiffre d'affaires.
Quelles sont les chances de la SNCF de se ressaisir et d'équilibrer ses comptes ? Monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, je voudrais être convaincu que nous ne mettons pas sur pied une entité vouée au transfert de passif.
Toujours sur le plan financier, je souhaiterais quelques précisions sur l'approvisionnement du nouvel établissement. La cession à RFN d'actifs immobiliers pour 130 milliards de francs sera complétée par une dotation provenant d'un compte recevant le produit des privatisations. Quelle est la situation de ce compte ? Combien recevra RFN ? Devra-t-on attendre de nouvelles opérations différées ?
A l'issue de nos débats, la SNCF se verra confier l'exploitation et l'entretien des infrastructures ferroviaires. Elle sera soumise aux règles applicables aux entreprises de commerce et soumise au contrôle économique, financier et technique de l'Etat, mais devra aussi assurer un service public. C'est ainsi que seront exigés la continuité et le même accès pour tous.
La continuité sous son aspect spatial s'articule sur l'aménagement du territoire et pose le problème de la rentabilité. Trente liaisons représentent un tiers du trafic ; soixante-dix autres un autre tiers et le troisième regroupe quatre mille liaisons. Le projet de loi que nous examinons complète les dispositions de l'article 67 de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire en confiant aux régions l'organisation des services régionaux de voyageurs de la SNCF, avec compensation des charges transférées.
La saisie de proximité est tout à fait fondamentale pour apporter des réponses adaptées aux besoins identifiés, qui ne peuvent l'être qu'ainsi. L'extension d'une certaine compétence des régions au réseau du fret est souhaitable. La Haute-Saône accueille la plaque tournante mondiale des pièces détachées des automobiles Peugeot. Le rail représente 59 % du volume total des mouvements d'expédition atteignant 50 000 tonnes par an. L'amélioration des conditions d'acheminement susciterait une évolution favorable du trafic et stimulerait l'implantation d'activités utilisatrices.
Le fer repensé reste un moyen de désenclavement évitant les dérives sécuritaires, sociales, énergétiques et environnementales du transport monomodal routier. L'alibi de la vitesse et de l'urgence absolues né en partie d'une caricature des techniques modernes d'optimisation de la productivité industrielle et de la notion de « flux tendus » doit être combattu.
En ce qui concerne la continuité temporelle, et sans toucher au droit de grève, il conviendrait d'instituer un service minimal que tout citoyen est, lui aussi, en droit d'exiger. Il faudra le négocier. Une proposition de loi émanant de notre collègue Jean-Pierre Fourcade visait à introduire cette mesure. Ce matin encore, il était fait état de débrayages sur le réseau Nord qui n'affecteraient pas certaines lignes de prestige. L'usager moyen, si je peux m'exprimer ainsi, mérite une mise à disposition de liaisons conformes aux engagements pris. Cet aspect des choses appelle un traitement qui ne saurait tarder.
Cette continuité a également été rompue par les conditions climatiques. De graves intempéries, qui, selon moi, n'ont rien d'exceptionnelles, puisque leur fréquence d'apparition se rapproche, ont fortement perturbé le trafic ferroviaire au point de l'interrompre en raison de l'impossibilité d'alimenter en énergie les motrices. Il a été indiqué que, au regard des coûts et des probabilités des risques d'entrave, n'avaient pas été retenus les équipements qui permettent une utilisation permanente des installations.
Quand elle est possible, la maîtrise des risques, fussent-ils à faible pourcentage, doit être assurée. Compte tenu des nouvelles attributions de compétences, quel va être le cheminement d'une décision impliquant un investissement important ? Certes, les champs de compétence seront organisés par voie réglementaire, mais il est dès à présent utile d'avoir une approche claire.
En conclusion, ce réaménagement nécessaire à un assainissement indispensable à la poursuite de la mission de la SNCF doit être conçu aussi comme un pari sur l'avenir européen. L'ouverture du réseau, si elle est inéluctable, requiert néanmoins la prudence, ce qui n'est pas antinomique. L'exceptionnelle technicité, reconnue à l'échelon mondial, son avance et la substance du TGV, l'engagement des agents, l'existence d'une clientèle fidélisable et d'un réseau cohérent, tous ces atouts confortent le transport ferroviaire français comme élément porteur d'avenir dans le combiné multimodal qui se mettra en place. Il est impératif de réussir, de donner à la SNCF les moyens de vivre. Je voterai donc le projet. (Applaudissements sur les travées du RDSE et de l'Union centriste. - M. le rapporteur pour avis applaudit également.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

8