M. le président. Je suis saisi d'une motion n° 5, présentée par Mme Dieulangard, M. Mélenchon et les membres du groupe socialiste et apparentés, et tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la consultation des salariés dans les entreprises et les groupes d'entreprises de dimension communautaire, ainsi qu'au développement de la négociation collective (n° 411, 1995-1996). »
Je rappelle que, en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
La parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Mélenchon, auteur de la motion.
M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une fois de plus un texte social que nous considérons comme de première importance sera discuté dans des conditions inacceptables ou, en tout cas, dans des conditions qu'un parlement ne devrait pas accepter.
Admettons que la directive européenne crée une urgence et que le Parlement, au garde-à-vous, accepte de se faire bousculer, une fois de plus, par l'Europe. Cette fois-ci, l'affaire est moins détestable que d'autres. Mais il n'y avait pas d'urgence à inclure les conséquences de l'accord du 31 octobre 1995 dans la loi, en tout cas pas une urgence telle que l'on ne puisse en débattre avec toute la profondeur et tout le sérieux que cette matière appelle.
Au demeurant, nous allons faire vite pour un résultat dangereux. Certes, notre rapporteur tient absolument à vouloir nous faire croire qu'il est plus détestable qu'il ne l'est réellement.
M. Louis Souvet, rapporteur. C'est parce que je suis modeste !
M. Jean-Luc Mélenchon. Vous avez pris, à la tribune, des distances, avec des réserves qui vous honoraient. On vous en donne acte, et nous allons donc garder les critiques pour nous-mêmes et les présenter sous notre propre timbre.
M. Louis Souvet, rapporteur. Voilà ! Chacun son rôle !
M. Jean-Luc Mélenchon. Je vais examiner les aspects techniques de ces dispositions, auxquelles je vous demande de réfléchir un instant. Vous le savez vous, monsieur le rapporteur, parce que vous y avez pensé : lorsque vous aurez mis en place ce détestable système qui rend possible l'élection de délégués « bidons », dans des élections arrangées pour metttre au point un « bon » petit accord local et que vous aurez - est-ce vraiment improbable ? - la conjonction d'un petit patron ultraréactionnaire qui vote pour l'extrême droite et d'un délégué qui vote pour le même parti et qu'ils auront inclu dans un accord, sous prétexte d'expérimentation, une clause de préférence nationale, qu'adviendra-t-il ? Certes, après coup, on pourra revenir sur cet accord. Mais si l'opération venait à se répéter une, deux, trois ou quatre fois et que, par ce moyen-là, on ait réussi à ancrer dans l'entreprise cette détestable idéologie et ces pratiques, que ferez-vous ? Vous découvrirez que vous avez ouvert la porte à un mal bien grand en pensant arranger une fois de plus les conditions de la déréglementation.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Exactement !
M. Jean-Luc Mélenchon. Je vous mets en garde, mes chers collègues. Il est extrêmement grave de démanteler, sous prétexte d'expérimentation, un système qui est peut-être pesant pour le patronat, mais qui a fait ses preuves et qui n'a nul besoin d'être modifié pour que l'on passe à des expérimentations progressistes par rapport à la situation existante. En effet, dans tout cela, pour la partie qui concerne l'accord du 31 octobre 1995, il n'est question que d'une chose : rendre possible des accords moins favorables que les dispositions générales existantes.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Effectivement !
M. Jean-Luc Mélenchon. Tout le reste est de la littérature construite autour de cet objectif.
M. Guy Fischer. C'est cela !
M. Jean-Luc Mélenchon. Et qu'une centrale syndicale dont, au demeurant, la direction ne s'est pas illustrée dans la période récente par une grande capacité d'écoute de ce que sont réellement les préoccupations des travailleurs ait signé cet accord n'est pas à mes yeux une raison suffisante pour que nous ayons à l'approuver sans autre forme de procès. Si les deux autres grandes confédérations ont refusé de le signer, c'est parce qu'elles avaient tout de même quelques bonnes raisons.
Je veux bien vous concéder que dans le meilleur des mondes, là ou régneraient la bonne volonté, la générosité, l'envie de faire avancer tous ensemble la production, le travail, la qualité de la vie, cette loi serait totalement anodine. Mais c'est le contexte qui en révèle l'essence. Nous sommes dans un monde économique où règnent la flexibilité, la précarité, la désyndicalisation, où toute occasion est bonne pour prendre un avantage sur le dos des salariés, où la répartition profits-salaires s'est continuellement dégradée au détriment du travail et à l'avantage du capital.
Il convient donc d'être méfiant. Toutes les occasions sont bonnes, même cette directive européenne, qui est l'occasion, certes à tâtons, d'essayer au passage de grapiller un petit quelque chose de plus. A la faveur de la transcription dans notre droit de cette directive européenne, on émet l'idée, certes avec l'accord des partenaires sociaux, d'essayer de supprimer au passage le comité de groupe. Mais ce contexte, l'adhésion que vous apportez à ce contexte, les méthodes qui sont employées, tout cela est une signature.
Nous ne discutons donc pas en général et abstraitement de l'organisation de l'expérimentation sociale dans notre pays. Nous en délibérons dans des conditions très concrètes et ce sont ces conditions qui, en définitive, fondent notre opposition aux propositions qui nous sont faites.
Si vous voulez vraiment stimuler la négociation dans les petites entreprises, je vous invite à lire le document adopté par la convention du parti socialiste, qui fait, dans ce domaine, une série de propositions extrêmement intéressantes. Si vous voulez bien les examiner, vous constaterez qu'elles permettraient de grands progrès : abaisser les seuils, étendre les compétences des délégués de sites et leurs moyens, pénaliser les patrons qui n'organisent pas les élections professionnelles, ce qui est d'ailleurs une distorsion de concurrence par rapport à ceux qui les organisent. Je ne cite que ces trois exemples mais, vous le constatez, les idées ne manquent pas.
N'allez pas nous dire que l'unique point de passage, l'unique voie de l'expérimentation est celle que vous nous proposez ! Il en est une autre. Il existe une politique alternative possible en matière de droit social.
Le groupe socialiste et moi-même faisons nôtre la formule de l'intersyndicale du ministère du travail - appréciez au passage tout le sel de cette situation - selon laquelle « aux termes de ces dispositions, n'importe qui pourra signer n'importe quoi. »
En effet, n'importe qui pourra négocier. Votre projet de loi, reprenant l'accord du 31 octobre 1995 relatif à la politique contractuelle, prend prétexte d'un double constat : la non-représentation du personnel dans les PME et l'impossibilité de conclure des accords collectifs et des conventions collectives dans les entreprises dépourvues de délégués syndicaux. Pour remédier à cette situation, vous proposez non pas de faciliter la création des sections syndicales d'entreprise, mais de permettre, en l'absence de délégués syndicaux, soit aux délégués du personnel ou aux membres élus du comité d'entreprise, soit à un ou plusieurs salariés « ordinaires » - véritablement, ceux-là sont tout à fait extraordinaires ! - de conclure des textes recevant la qualification de convention collective.
Selon vous, une telle mesure faciliterait l'accès à la négociation collective dans les PME. Il a été démontré qu'il n'en est rien. Je vais y insister.
Notre thèse - et le législateur doit légitimement s'en émouvoir - est que ce projet de loi remet en cause l'un des éléments fondamentaux du code du travail et du système de nos relations sociales : l'exigence de représentativité. Tout ce qui a été dit jusque-là ne nous a pas convaincus du contraire, loin s'en faut.
L'argument d'un accès facilité à la négociation collective dans les PME n'est qu'un prétexte. La possibilité de négocier avec les représentants élus du personnel ne constitue pas une solution permettant de résoudre les problèmes de négociation collective, de représentation du personnel ou de syndicalisation dans les PME. En effet, cette mesure ne permettra pas d'accroître le nombre d'entreprises dans lesquelles il sera possible de négocier et de conclure de telles conventions.
Je prendrai deux exemples pour illustrer mon propos. Le premier concerne une entreprise dans laquelle la loi n'autorise pas les délégués syndicaux en raison d'un effectif trop réduit, c'est-à-dire une entreprise qui compte moins de onze salariés. Dans ce cas, la jurisprudence a déjà admis qu'une organisation représentative sur le plan national puisse y désigner un salarié « ordinaire » et l'habiliter à conclure une convention collective. L'article 6 de votre projet de loi ne fait donc que reprendre une solution déjà rendue possible par la jurisprudence, mais naturellement dans de tout autres conditions. Dans les entreprises comptant moins de onze salariés, il était donc déjà bel et bien possible de conclure une convention ou un accord collectif.
Le second exemple concerne une entreprise dont l'effectif est supérieur à dix salariés mais qui est dépourvue de délégués syndicaux ; c'est largement le cas majoritaire. Dans cette hypothèse, rien ne s'oppose en droit à la désignation d'un tel responsable syndical. Si l'effectif est compris entre onze et quarante-neuf salariés, un délégué du personnel pourra être désigné comme délégué syndical par une organisation syndicale représentative. Si l'effectif est égal ou supérieur à cinquante salariés, n'importe quel salarié pourra, s'il existe une section syndicale d'entreprise, être désigné délégué syndical.
Ainsi, contrairement à ce que vous affirmez, votre projet de loi ne permettra pas de combler un quelconque vide juridique. Il n'autorisera qu'une chose : une certaine vacuité rendant possibles des expérimentations détestables.
Pour pallier l'absence de délégués syndicaux, il suffit tout simplement d'en désigner un, et ce conformément aux possibilités offertes par le code du travail.
En permettant aux dirigeants de PME de négocier avec les représentants élus du personnel, et non avec les délégués syndicaux, on encourage ces dirigeants - dont l'affection pour les syndicats est bien connue de tous ici - à résister à l'implantation d'une section syndicale dans leur entreprise, section qui, à ce moment, perd d'ailleurs toute raison d'être à leurs yeux.
Bien loin de renforcer le fait syndical dans les PME, ce projet de loi, au contraire, crée les conditions pour en interdire le développement. Ce n'est donc visiblement ni la représentation du personnel, ni la négociation collective, ni même le fait syndical que ce projet de loi encourage. La démonstration du contraire ne peut pas être faite. Au contraire, il encourage la possibilité de conclure des textes recevant la qualification de convention collective sans avoir nullement à s'embarrasser de la désignation de responsables syndicaux.
Par ailleurs, ce projet de loi remet en cause l'exigence de représentativité. Comme je pense l'avoir montré, ce projet de loi ne favorise en aucun cas l'implantation syndicale dans les PME. De surcroît, il tend à faire disparaître l'exigence de représentativité qui est au coeur du droit du travail français, la mythologie, a dit M. Fourcade en parlant du code du travail. L'application intégrale et sincère du code du travail dans ce pays constituerait un véritable fait révolutionnaire, et certainement pas mythologique, ou alors on se demande pourquoi vous vous acharnez de cette façon.
Seule une organisation syndicale représentative peut présenter des candidats au premier tour des élections professionnelles, créer une section syndicale d'entreprise, négocier des conventions collectives. Donner aux représentants élus dans les PME, souvent au second tour, la capacité de conclure des textes qui entreront dans la catégorie des conventions collectives revient, ni plus ni moins, à éluder la condition de représentativité dans l'entreprise. Cette exigence de représentativité est un garde-fou irremplaçable permettant d'éviter tout et n'importe quoi et offrant la possibilité de s'assurer d'un minimum d'indépendance par rapport à l'employeur.
Vous nous dites que le projet de loi prévoit une procédure permettant de respecter l'exigence de représentativité puisque les textes négociés avec les représentants élus n'acquerront la qualité de convention collective qu'après validation par une commission paritaire de branche, argument qui a été encore répété voilà quelques instants. Mais est-on sûr que cette commission paritaire sera réellement représentative ? Monsieur le rapporteur, vous ne m'en voudrez pas de vous citer, c'est la mode ce soir : « Cette commission ne risque-t-elle pas de n'être composée que des organisations signataires de l'accord ? Dans ces conditions, l'autocontrôle sera difficile. » C'est dit joliment, mais le propos est cruel.
De plus, quelle sera l'étendue du contrôle exercé a posteriori au niveau de la branche ? « Peut-être aurait-il fallu prévoir une procédure d'extension des accords afin qu'un certain contrôle de l'Etat s'exerce. » Là encore, je vous cite, monsieur le rapporteur.
Enfin, il est certain que l'inspection du travail n'aura pas les moyens de contrôler tous ces accords, d'où une multiplication prévisible des contentieux devant les prud'hommes. Ces contentieux seront d'autant plus nombreux que ces accords seront signés par des représentants élus et non par des délégués syndicaux, représentants qui n'ont pas l'habitude de négocier des conventions collectives et qui ne sont pas adossés sur la puissance d'expertise dont disposent à cette heure les seuls syndicats. Ces salariés n'auront manifestement pas tous les atouts en main pour défendre, face à l'employeur, les intérêts des salariés qu'ils représenteront. Mais, selon moi, c'est le but de l'opération.
De ce point de vue, on peut regretter que le projet de loi n'ait pas retenu la solution consistant à permettre l'intervention d'un interlocuteur syndical extérieur lors de la négociation d'entreprise. Je vous renvoie à ma proposition faite voilà quelques instants au nom du parti socialiste et concernant le rôle du délégué de site. Sur le terrain, les délégués de site rencontrent un très grand succès auprès des travailleurs des entreprises dans lesquelles il n'y a pas de section syndicale. Ce n'est certainement pas par hasard.
N'importe qui, ai-je dit, pourra négocier n'importe quoi !
Les dispositions envisagées de dérogation au monopole de représentation syndicale ouvrent donc une brèche. Mais leurs conséquences auraient pu être moindres si les accords conclus s'inscrivaient dans le strict respect des droits conférés aux salariés par le code du travail. Tel n'est pas le cas et l'on touche ici au coeur de ce projet de loi.
Si un tel dispositif est imaginé pour contourner les règles de représentativité, c'est parce qu'il va permettre, si le projet de loi est adopté, la remise en cause systématique et méthodique des règles qui protègent les salariés.
L'objectif affiché de l'accord interprofessionnel est d'éviter que certaines entreprises ne continuent « à se trouver dans l'impossibilité de négocier les adaptations qui leur sont nécessaires faute d'interlocuteurs ». On sait en quoi consiste, pour l'instant, l'essentiel de ces adaptations !
Autrement dit, il sera possible pour une entreprise de conclure un accord comportant des dispositions moins favorables pour les salariés que celles qui sont prévues par la loi ou l'accord de branche. C'est là le coeur de l'affaire. C'est ce que l'UIMM résume avec la clarté qui lui est coutumière : « Il pourrait être envisagé de déroger à des dispositions réglementaires ou conventionnelles relatives par exemple aux salariés et à la durée du travail. » Dans cet hémicycle, on sait ce qu'est cet attelage des dérogations aux salaires et à la durée du travail.
Les thèmes de la négociation sont d'ores et déjà connus, et c'est le ministre lui-même qui l'a confirmé lors de la discussion à l'Assemblée nationale en déclarant qu'il était convaincu que le dialogue social doit ouvrir des possibilités nouvelles d'aménagement du temps de travail. Nous savons, je l'ai déjà dit, depuis la loi quinquennale relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle, ce qu'il faut entendre par là.
Je comptais ajouter à ce grief, monsieur le ministre, votre déclaration à Lille lors du G 7 sur l'emploi. Vous disiez à l'Assemblée nationale qu'on déformait vos propos ; vous dites devant le Sénat que vous ne les avez jamais tenus. Vous en êtes quitte.
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le sénateur ?
M. Jean-Luc Mélenchon. Je vous en prie.
M. le président. La parole est à M. le ministre, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. J'écoute toujours très attentivement les propos qui sont tenus. M. Fischer a simplement mélangé la sécurité sociale et la ceinture de sécurité. J'ai utilisé la notion de « ceinture de sécurité » afin d'expliquer qu'il valait mieux de temps en temps desserrer ladite ceinture pour s'adapter et éviter à notre économie de se trouver dans une situation difficile. Vous avez livré cette citation. Je vous remercie de me lire. Je vois que M. Mélenchon me lit aussi et cela me fait plaisir. Mais lorsque l'on me cite, il faut bien reprendre les termes que j'ai employés. Il ne faut pas lire « sécurité sociale ».
M. Guy Fischer. Nous ne sommes pas les seuls à avoir interprété ainsi vos propos !
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Telle est la précision que je souhaitais apporter en cet instant, monsieur le président.
M. le président. Monsieur Mélenchon, avant que le ministre n'intervienne, vous veniez de dépasser votre temps de parole. Aussi, je vous demande de conclure dans un délai raisonnable.
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est ce que je vais faire, monsieur le président. Auparavant, je dirai à M. le ministre que tous les spécialistes de la sécurité routière savent qu'il ne faut jamais desserrer la ceinture de sécurité. (Sourires.)
J'évoquerai enfin, parmi les critiques, la remise en cause de la hiérarchie des normes, que vous avez admirablement faite. Au nom d'un principe de réalité, par ailleurs bien discutable, vous proposez de revenir sur un principe fondamental du droit qui est la hiérarchie des normes.
La loi s'impose aux accords de branche qui encadrent les accords d'entreprise. Or les accords d'entreprise qui seront conclus seront dérogatoires et contreviendront à la notion « d'ordre public social » telle qu'elle a été définie par le Conseil d'Etat dans son avis du 22 mars 1973 et codifiée par l'article L. 132-4 du code du travail : « La convention et l'accord collectif de travail peuvent comporter des dispositions plus favorables aux salariés que celles des lois et règlements en vigueur. Ils ne peuvent déroger aux dispositions d'ordre public de ces lois et règlements. » Naturellement, comme il s'agit ici de faire moins, on voit bien qu'il faut déroger !
Or, la hiérarchie des normes, qualifiée de « carcan » par certains signataires de l'accord, ne permet pas à un accord d'entreprise de comporter des dispositions moins favorables que l'accord de branche à laquelle cette entreprise appartient, comme le prévoit l'article L. 132-23 du code du travail, qui, en l'occurrence, est non pas de la mythologie, mais une protection élémentaire des droits des salariés. On discerne mal quels accords d'entreprises pourraient être signés qui, étant dérogatoires aux dispositions en vigueur, ne comporteraient pas de clauses moins favorables aux salariés. Sinon, le mécanisme proposé perdrait son unique raison d'être.
De l'expérience jaillira la loi, paraît-il. Quel intérêt de conclure aujourd'hui des accords illégaux si ce n'est pour faire pression sur le législateur afin qu'il les légalise a posteriori ?
Il faut, en fait, attendre le paragraphe V de l'article 6 pour saisir la clé de voûte du projet de loi. Ce paragraphe prévoit une information du Parlement par le Gouvernement « sur la base du suivi régulier prévu par le paragraphe 2.5 de l'accord national interprofessionnel du 31 octobre 1995 et après consultation des organisations professionnelles et syndicales représentatives de niveau interprofessionnel ». Cette information vise à « permettre l'examen des dispositions législatives nécessaires à l'entrée en vigueur des clauses dérogatoires des accords de branche ». Voilà qui nous promet de belles soirées !
Autrement dit, parce que vous pensez n'avoir pas les moyens politiques de votre projet de démantèlement du code du travail, dont vous êtes les artisans acharnés depuis la loi quinquennale, vous vous abritez derrière la négociation entre les partenaires sociaux pour y parvenir, sachant que le rapport de forces est défavorable aux salariés dans le pays. Chacun sait que, dans un contexte de crise économique, c'est la loi qui protège les plus faibles. Or, le rapport de forces est si peu favorable aux syndicats que même les signataires de l'accord avouent avoir pris de « très gros risques ». D'aucuns commencent d'ailleurs certainement à s'en « mordre les doigts ». Comment penser que de simples salariés ou des élus non affiliés à un syndicat auraient les moyens de résister au chantage à la conjoncture économique ? Tous les jours, nous avons le témoignage du contraire !
M. le président. Monsieur Mélenchon, vous avez dépassé votre temps de parole. Je vous prie donc de bien vouloir conclure.
M. Jean-Luc Mélenchon. Quatre raisons me semblent justifier l'adoption de la motion tendant à opposer la question préalable.
Premièrement, monsieur le ministre, vous présentez comme une mesure technique ce qui est en réalité un mécanisme de démantèlement du code du travail qui, au minimum, justifierait que nous ayons le temps d'en débattre aussi profondément que cette matière le requiert.
Deuxièmement, vous n'avez pas soumis le projet de loi à la commission nationale des conventions collectives, pourtant chargée de donner un avis sur les projets de loi relatifs à la négociation collective, et notre assemblée aurait gagné à être éclairée par ce point de vue.
Troisièmement, vous proposez un mécanisme qui dépossède la loi et donc le Parlement au profit du contrat. C'est le contrat plutôt que le droit, conception anglo-saxonne dont vous savez déjà qu'elle n'a guère notre faveur.
Quatrièmement, l'urgence ne se justifie pas pour l'article 6. Si la directive européenne devait être transcrite en droit français avant le 22 septembre 1996, en revanche, débattre de l'article 6 dans ces conditions ne permet pas d'étudier toutes les conséquences qu'entraînerait l'adoption de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Y a-t-il un orateur contre la motion ?...
Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, personne ne s'étonnera que la commission des affaires sociales ne soit pas favorable à cette motion tendant à opposer la question préalable.
Cette opposition est motivée par un certain nombre de raisons.
Tout d'abord, il ressort de l'exposé que M. Mélenchon a fait avec son talent habituel que la motion tendant à opposer la question préalable ne concerne que l'article 6 du texte dont nous débattons. Il y a donc manifestement détournement de procédure, puisque les cinq premiers articles du projet de loi, qui visent à transcrire en droit interne une directive européenne, ne peuvent faire l'objet de la question préalable. En effet, si nous ne votions pas ces cinq articles, la directive s'appliquerait de toute manière sans que soient apportés les précisions et les additifs que comporte le texte que nous soumet le Gouvernement.
Venons-en donc à l'article 6, qui constitue le seul point de débat entre les auteurs de la motion et la majorité de la commission.
M. Mélenchon se réfère à ce que j'ai appelé « la mythologie ». La mythologie, pour moi, est non pas le code du travail, mais l'idée selon laquelle la négociation collective est bonne quand elle se traduit par un certain nombre d'avancées en faveur des salariés, et elle est mauvaise quand elle aboutit à une adaptation des rythmes et des conditions de travail aux nécessités de l'économie.
C'est en fonction de cette mythologie que nous battons des records absolus en matière de chômage. En effet, nous continuons à faire du juridisme et à nous en tenir à un certain nombre de notions datant de 1936, tandis que tous nos partenaires - et pas seulement les Anglo-Saxons, mon cher collègue, mais aussi les Espagnols et les Italiens - nous donnent à l'heure actuelle des leçons en matière de flexibilité, d'assouplissement et d'adaptation à la compétition. Nous serons bientôt les seuls à défendre l'intangibilité d'un certain nombre de textes qui ont été élaborés en 1936. Voilà ce que j'appelle la mythologie, et c'est parce que nous ne voulons pas céder à cette mythologie que nous sommes favorables à ce projet de loi ! (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste. - Exclamations sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Je tiens à livrer deux autres arguments.
En premier lieu, la majorité de la commission a estimé, comme l'a dit M. Souvet dans son excellent rapport, qu'il s'agissait d'une expérience. Il est prévu un déclenchement autorisé par un accord de branche et une vérification a posteriori par une commission paritaire. M. le ministre a précisé que toutes les organisations syndicales représentées au niveau de la branche auront connaissance de l'opération. Cette dernière, dans ce cadre-là, me semble suffisamment verrouillée et entourée de précautions pour ne pas entraîner les dérives d'ordre politique citées par M. Mélenchon. Si le cas du petit patron votant pour l'extrême droite et terrorisant son employé peut se présenter, reconnaissez cependant qu'il n'y a pas loin entre cette image et la mythologie dont j'ai parlé tout à l'heure !
En second lieu - et cet argument me paraît tout à fait important - la commission des affaires sociales dont vous ne faites pas partie, monsieur Mélenchon, a l'habitude, chaque fois qu'elle examine un texte d'ordre social, non pas de se référer aux grands ouvrages de 1936 ou de 1968, mais d'écouter les partenaires sociaux. Nous avons donc auditionné tous ces derniers : la CFDT, la CFTC, la CGC, de même que la CGPME et le CNPF, étaient pour l'accord, alors que FO et la CGT étaient contre ; était réservée, il est vrai, l'Union des professions artisanales.
Je ne vois donc pas pourquoi, monsieur Mélenchon, la signature d'un accord interprofessionnel par les trois organisations syndicales que je viens de citer ne compterait pas à vos yeux ! Cela veut dire que vous n'êtes pas partisan de la négociation interprofessionnelle et que vous n'êtes pas favorable à la négociation entre les partenaires sociaux ! Cela signifie que vous considérez que la CGT a aujourd'hui un monopole en matière de relations sociales !
Souffrez que ce ne soit pas notre thèse ! C'est la raison pour laquelle, mes chers collègues, je vous demande de voter contre la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Je n'ai rien à ajouter l'excellente réponse qui vient d'être apportée à M. Mélenchon par M. le président de la commission des affaires sociales. La possibilité de disposer maintenant d'un comité de groupe au niveau des groupes européens permettra de donner une bien meilleure information aux salariés français. Voilà déjà un point positif apporté par ce texte.
En outre, ce texte rendra possible une expérimentation voulue par les partenaires sociaux, afin de revivifier le dialogue contractuel sans lequel - M. le président de la commission vient de le dire - nous ne parviendrons pas à moderniser ce pays, à lui permettre d'assumer la concurrence victorieusement au profit de l'emploi et du développement.
Je souscris au propos tenu par M. Fourcade : lors d'un récent voyage en Italie, mon collègue italien m'a expliqué quels accords remarquables les partenaires sociaux italiens viennent de passer pour adapter la vie de leur entreprise. Or, je ne pense pas que le Gouvernement italien puisse cautionner n'importe quelle expérience !
En l'occurrence, il fait progresser très rapidement la négociation sociale, et je ne vois pas pourquoi la France serait la lanterne rouge dans ce domaine !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 5, repoussée par la commission et par le Gouvernement.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 2 : :

Nombre de votants 314
Nombre de suffrages exprimés 314
Majorité absolue des suffrages 158
Pour l'adoption 94
Contre 220

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

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