Marie-Dominique HAGELSTEEN Présidente du Conseil de la Concurrence

Parler de l'ouverture d'un marché à la concurrence pose évidemment la question de savoir comment elle sera instaurée et maintenue. Cela implique donc une régulation et une surveillance du marché ainsi que des pouvoirs d'intervention sur le marché pour rétablir cette concurrence s'il y a été porté atteinte ou si elle a été faussée. C'est la raison pour laquelle existent des autorités de régulation ou autorités de concurrence. C'est en tant que présidente de l'une d'elles que je m'exprime aujourd'hui devant vous. Je remercie d'ailleurs le président Larcher d'avoir pensé à inviter le conseil de la concurrence à ce colloque.

Je ferai trois constats principaux au sujet de l'adaptation qui sera faite de la directive communautaire en ce qui concerne le secteur postal :


• Il existe en France une autorité de concurrence dotée de pouvoirs de nature à garantir le respect de la concurrence sur les marchés.


• Le conseil de la concurrence français a déjà connu à plusieurs reprises le problème de l'ouverture de marchés monopolistiques à la concurrence et dispose sur le sujet d'une doctrine bien établie qu'il a déjà eu l'occasion de mettre en oeuvre.


• Sur le plan des institutions et des procédures, il existe en France un modèle qui fait coexister un régulateur sectoriel instauré au moment de l'ouverture du marché et l'autorité de concurrence de droit commun.

Le fonctionnement du Conseil de la Concurrence

En ce qui concerne le Conseil de la Concurrence, je serai brève puisqu'il a maintenant treize ans d'existence et que c'est une institution qui est assez connue. Il s'agit d'une autorité administrative spécialisée dans l'analyse et la régulation du fonctionnement des marchés en vue de sauvegarder l'ordre public économique. Quel que soit le statut de l'intervenant sur le marché, elle est compétente pour apprécier ses comportements, ce qui fait d'elle une entité très différente des juges des contrats ou des juges commerciaux. Sa spécialisation lui donne de plus une réelle expertise.

Le Conseil est indépendant par sa composition, son organisation, ses modes de saisine et ses règles de fonctionnement qui reposent sur la collégialité et le secret de la délibération. Ses missions sont connues. Il exerce une fonction consultative et peut être consulté sur toute question de concurrence par le Gouvernement, par le parlement, par les associations de consommateurs, les organisations professionnelles, les organisations syndicales... Il est consulté par le Gouvernement sur un certain nombre de textes qui touchent aux prix ou qui restreignent la concurrence. Il peut être également consulté à la demande du Ministre sur les concentrations économiques. Enfin, il peut être consulté par d'autres autorités administratives indépendantes comme l'ART. Cette mission consultative est une mission préventive et pédagogique qui l'a amenée à plusieurs avis remarqués sur les problèmes posés sur l'ouverture à la concurrence de secteurs monopolistiques.

Il a également une mission répressive : la sanction des pratiques anti-concurrentielles sur les marchés. Au nombre des pratiques anti-concurrentielles, on compte notamment les abus de position dominante que l'article 8 de l'ordonnance du premier décembre 1986 lui donne pouvoir de sanctionner. Le Conseil agit maintenant à la fois sur le fondement des articles 7 et 8 mais il a aussi vocation à appliquer les articles 85 et 86 du Traité de Rome. Pour cela, il peut prendre des mesures conservatoires ; ensuite, au fond, il peut prendre trois catégories de décision : l'injonction, la publication de ses décisions, des sanctions financières à hauteur de 5 % du chiffre d'affaire.

Il faut donc être conscient du fait qu'existe actuellement en France une autorité de concurrence qui a une expertise et une crédibilité établies et à laquelle les entreprises peuvent s'adresser.

L'ouverture des marchés dominés par un opérateur public

Il existe depuis 1994 sur la question une doctrine très précise qui concerne aussi bien EDF, GDF, La Poste, France Télécoms ou la SNCF. Le conseil a identifié précisément les risques liés à une ouverture de ce type de marchés sous monopole public à la concurrence. Ces risques sont liés notamment aux subventions croisées entre secteur sous monopole et secteur hors monopole, aux prix abusifs ou prédateurs pour protéger ou gagner des marchés et à la définition des conditions d'accès aux infrastructures essentielles détenues par l'opérateur historique. Dans ce dernier cas, le conseil de la concurrence a préconisé que ces infrastructures soient accessibles aux tiers de façon transparente, non discriminatoire et à un prix défini en fonction des coûts objectifs.

Face à ces risques, le conseil de la concurrence a rappelé à maintes reprises les solutions qui lui paraissaient les plus adéquates et auxquelles il a déjà été fait plusieurs fois allusion : la transparence comptable et financière (qui nécessite une comptabilité analytique précise en fonction des activités) et la filialisation qui facilite la transparence et le contrôle des comptes. Il existe aujourd'hui à ce propos un corps de doctrine en ligne avec les jurisprudences de la commission et des jurisprudences européennes. Ces règles permettent de traiter l'analyse des marchés qui s'ouvrent à la concurrence.

L'articulation entre les autorités sectorielles et les autorités de concurrence

La France dispose sur ce sujet de références et de précédents, tant dans le domaine des télécommunications que dans celui de l'électricité dont le projet de libéralisation est en cours de discussion. Le législateur a pris le parti en France de séparer l'autorité de droit commun de la concurrence de l'autorité sectorielle de régulation qui assure l'ouverture à la concurrence du marché. Ce modèle n'est pas le seul possible : certains pays ont choisi de transférer les questions d'ouverture de marchés sous monopole intégralement aux autorités de concurrence. D'autres, au contraire ont transféré à l'autorité sectorielle les problèmes de concurrence sur le secteur en question.

Je ne pense pas que l'on puisse dire a priori quel modèle est plus adapté : seule l'expérience permet de s'en faire une idée. La création d'autorités séparées a répondu dans le passé à des motifs très précis puisque le conseil de la concurrence a vocation de veiller au bon fonctionnement des marchés alors que l'autorité sectorielle doit créer un marché inexistant. Ce n'est pas la même démarche et cela semble justifier l'existence d'autorités sectorielles transitoires.

D'autre part, ces ouvertures de marché à la concurrence s'accompagnent souvent de réglementations spécifiques étrangères au droit de la concurrence et liées a la technicité même du secteur libéralisé (cf. le cas de l'électricité et des télécommunications). Ce sera sans doute le cas du secteur postal et cela peut également justifier l'instauration d'autorités de régulation sectorielle.

Pourtant, il faut se méfier des doublons et des empiètements entre les deux activités, ce qui pourrait conduire à la définition de règles de concurrence différentes selon les secteurs. Le système doit donc respecter quatre précautions qui ont été scrupuleusement appliquées dans la cadre de la loi sur les télécommunications :


• La similitude et l'égalité de statut entre les deux autorités qui doivent être dotées de la même indépendance par leur statut et par leur composition.


• La délimitation précise de leurs compétences, comme dans le cas des télécommunications qui a fait l'objet d'une loi complexe mais extrêmement précise.


• La création d'un système d'information et de consultation réciproque entre les deux autorités pour éviter qu'elles ne développent des doctrines trop différentes.


• L'unification des voies de recours dans le domaine sectoriel et dans le domaine de la concurrence. La loi Télécoms a décidé que les recours se feraient auprès de la cour d'appel de Paris.

La cohabitation entre un système de droit commun et un système sectoriel est donc possible et paraît être la voie qu'a choisi la France pour résoudre ce type de questions. C'est une organisation complexe et qui nécessite un certain nombre de précautions pour fonctionner correctement. Mais je peux témoigner de sa parfaite efficacité qu'a démontré la mise en oeuvre de la loi sur les télécommunications.

Henri LOIZEAU

Pensez-vous qu'aujourd'hui les règles de concurrences soient loyales dans l'attente de la transposition de la directive et de la libéralisation ? Avez-vous été saisis à la demande d'opérateurs qui estimaient que les règles de la concurrence n'étaient pas loyales ?

Marie-Dominique HAGELSTEEN

Il existe actuellement une saisine en cours mais je ne peux en dire plus sur le sujet.

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