Deuxième table ronde Mutation des postes : défis, enjeux, stratégies et réponses.

Henri LOIZEAU

Les différentes postes nationales doivent faire face à de nombreux défis : la libéralisation, l'innovation technologique (notamment l'introduction du commerce électronique) et les bouleversements de l'organisation et de la gestion sociale. Elles doivent également se concentrer sur les exigences de leurs clients et de leurs actionnaires. Je rappellerai quelques chiffres pour resituer ces enjeux fondamentaux : la poste allemande a investi 26,5 milliards de francs en faisant l'acquisition de diverses entreprises (DHL, Britannic Securecor, MIT, Danzas...), la poste des Pays-Bas a investi plus de 15 milliards de francs dans 24 entreprises dont l'australien TNT et a pris une participation dans Jet Service, le numéro 2 français sur son secteur. La Poste a par contre réalisé une seule acquisition majeure dont le montant n'est pas communiqué et quelques acquisitions moins importantes par le biais de sa filiale Chronopost. La capacité d'investissement de ces entreprises est également très différentes puisque La Poste ne pouvait investir qu'à hauteur de 4,99 milliards de francs en 1999, ce qui est très inférieur aux capacités d'investissement allemandes et néerlandaises.

Claude BOURMAUD Président de La Poste

L'évolution de La Poste n'est pas une problématique nouvelle. En fait, la poste française a toujours cherché à s'adapter pour intégrer à son offre de service toutes les nouvelles technologies : les télécommunications au XIXème siècle, le chemin de fer et les véhicules automobiles comme moyen d'intégration logistique, l'aviation, l'informatique financière dans les années 60... En fait, nous avons sans cesse cherché à enrichir les services que nous offrons à notre clientèle. Cette clientèle a d'ailleurs beaucoup évolué, comme c'est le cas aujourd'hui où elle est devenue européenne et non plus uniquement française.

La situation actuelle de La Poste

J'ai entendu parler de retard et de désuétude au sujet de La Poste et je pense qu'il est nécessaire de relativiser ces idées. La Poste est une entreprise publique qui se porte bien aujourd'hui : en 1998, le chiffre d'affaire a représenté 93,4 milliards de francs, ce qui représente une hausse de 4 % par rapport aux années précédentes. Tous nos secteurs d'activités ont progressé : le produit net bancaire a progressé de 2,7 % pour atteindre 21,5 milliards de francs, l'activité colis a progressé de plus de 6 % et représente 12 milliards de francs, l'activité courrier a également progressé de 4,4 %.

Je voudrais à ce propos corriger une idée reçue : on parle beaucoup du déclin du courrier mais, dans les faits, c'est le phénomène inverse qui est constaté. En terme de volume, le courrier a connu une hausse de 3,4 % entre 1997 et 1998. Cette hausse a même atteint 7 % dans le cas de la publicité adressée.

Cette évolution positive s'est traduite par un résultat net de 350 millions de francs et par une progression de 50 % de la marge brute d'autofinancement qui est passée de 3,2 milliards de francs à plus de 5 milliards de francs. Nous avons donc retrouvé grâce à l'amélioration de notre système de gestion des capacités financières qui nous seront très utiles pour l'avenir.

La libéralisation du marché européen

En ce qui concerne l'évolution des postes dans un contexte européen, je pense que nous sommes aujourd'hui confrontés à deux défis : les nouvelles réglementations et l'évolution des autres entreprises du secteur. La nouvelle directive européenne convient à La Poste qui se félicite du fait qu'elle vienne en application du traité 100a du traité de Maastricht et non du traité 90 et soit donc sujette à la codécision du Parlement et du Conseil des ministres. Il s'agit en effet d'une décision politique forte.

Nous tenons également beaucoup à la notion de service universel dont le contenu pourra varier selon les spécificités nationales ainsi qu'au service réservé qui assure une juste contrepartie au service universel. Cela ne veut pas dire qu'il faille considérer cette directive comme une protection définitive. Il suffit pour s'en rendre compte de la lire attentivement : on s'aperçoit alors que le mot "client" y est omniprésent. Cela signifie donc que la poste française ne peut prétendre aujourd'hui être différente des autres entreprises postales européennes. Il nous faudra comme elles adapter nos offres de service en y intégrant notamment les nouvelles technologies.

Nous devrons également faire en sorte d'être compétitifs par rapport aux autres acteurs, tant sur le plan qualitatif que sur le plan des tarifs. Les prix devront donc être alignés sur les coûts. En fait, La Poste doit placer le client au centre de ses préoccupations et de ses stratégies. C'est pour cette raison que nous segmentons nos clientèles de façon la plus fine et la plus appropriée possible, que nous adoptons une démarche commerciale de plus en plus ciblée et que nous tenons compte de la réalité complexe du marché auquel nous sommes confrontés. Il est en effet très important de n'oublier ni le service public, ni les besoins des entreprises.

Par ailleurs, je tiens à rappeler que la directive n'est pas immuable : une évolution est attendue pour 2002 dont nous ne connaissons pas à l'heure actuelle le contenu. Monsieur Verrue a également évoqué la possibilité d'une libéralisation totale dans une dizaine d'années qui continuerait cependant de prendre en compte le service universel péréqué. Nous ne pouvons donc pas agir comme si l'avenir était assuré. Il nous faut nous préparer aux évolutions futures. Pour cela, il faut avant tout se donner les moyens de répondre aux attentes de plus en plus fortes de nos clients. Il faut également tenir compte de la pression concurrentielle accrue venant d'Allemagne et des Pays-Bas, par exemple.

La stratégie de La Poste

À ce sujet, et malgré sa réputation de désuétude, La Poste a su se montrer très innovante en créant la filiale Chronopost en 1985. Cette filiale a évolué et est devenue aujourd'hui une entreprise privée véritablement autonome qui fonctionne en toute transparence et sans aucune distorsion de concurrence. Chronopost réalise à l'heure actuelle un chiffre d'affaire de 2,7 milliards de francs et est présente au Portugal, en Espagne en Grande-Bretagne et en Belgique. D'autres filiales ont également été créées comme TAT express dans le domaine des envois en express ou Publitrans pour la logistique. Ces filiales représentent une contribution de 5,8 milliards de francs au chiffre d'affaire de La Poste.

S'il fallait acheter ces entreprises aujourd'hui, il faudrait les payer plusieurs milliards de francs avant de commencer à penser aux acquisitions supplémentaires que nous avons réalisées.

Henri LOIZEAU

Pourriez-vous nous parler à ce sujet de l'enjeu de la holding colis/logistique qui regroupe diverses sociétés détenues par La Poste ?

Claude BOURMAUD

Il faut savoir qu'il existe aujourd'hui deux domaines d'activité très sensibles : l'express (documents livrés à J+1 avant 12h00) et le mono-colis entreprise/entreprise (mono-colis livrés en J+l avant 18h00). Nous avons l'intention de nous étendre en Europe dans ces domaines et nous avons pour cela noué des accords avec TNT. De plus nous comptons développer un réseau de mono-colis entreprise/entreprise européen. Nous avons donc initié la logique de prise de contrôle du réseau DPD par l'achat de la société Denkaus qui réalise à peu près 2,5 milliards de francs de chiffre d'affaire. Cette acquisition a coûté à La Poste 1 milliard de francs.

Nous avons cependant l'intention de développer une stratégie différente de certains autres opérateurs comme la poste allemande par exemple. Nous cherchons ainsi à nouer des partenariats avec les pays européens qui souhaitent travailler avec nous, comme cela a été le cas avec Correos pour l'express et le mono-colis entreprise/entreprise. D'autres accords sont aujourd'hui en cours de négociation. Nous avons également l'intention de constituer un réseau européen dans le domaine du mono-colis entreprise/entreprise et de trouver ou de consolider une alliance internationale.

Le financement de ces actions

Nous cherchons avant tout à favoriser l'autofinancement et nous avons accepté dans le cadre du contrat d'objectifs et de progrès signé avec l'État le 25 juin dernier de diminuer nos tarifs en francs constants sur la période 1998-2001. Il ne sera donc pas possible de réaliser de nouvelles acquisitions en augmentant nos tarifs.

Nos sources de financement proviendront donc de notre marge brute d'autofinancement qui est passée de 3,2 milliards de francs à plus de 5 milliards de francs. D'autre part, pour assurer une plus grande efficacité sur le plan industriel et financier, nous avons créé une holding entièrement dédiée au colis/logistique en dédoublant Sofipost, ce qui fut assez difficile. Bertrand de Mascarelle est le responsable de cette nouvelle holding et Monsieur Béglet, l'ancien directeur de TNT Europe, en est le directeur général. Tout cela marque notre volonté d'évoluer pour faire face aux nouvelles conditions du marché.

Aujourd'hui, nous sommes à 100 % propriétaires des sociétés dans le capital desquelles nous sommes entrés. Nous pourrons donc ouvrir progressivement au marché leur capital tout en gardant le contrôle, ce qui nous permettra de bénéficier de ressources financières supplémentaires. Enfin, vous avez évoqué l'actif immobilier de La Poste qui peut également être une source de financement par ingénierie financière.

La Poste est donc en bonne santé et continuera à se consacrer à la fois au secteur concurrentiel et aux missions de service public qui lui sont confiées. Il faudra néanmoins engager une négociation avec l'État et les collectivités locales sur les modalités qui permettront d'assurer aux français les plus défavorisés un service de qualité. Nous souhaitons par exemple augmenter de 10 % notre présence dans les zones urbaines sensibles au cours des prochaines années.

Henri LOIZEAU

Vous avez évoqué le service postal universel en disant que son contenu pouvait être différent selon les pays où il était mis en oeuvre. N'est-ce pas justement contradictoire avec sa dimension d'universalité ?

Claude BOURMAUD

Je pense qu'il faut raisonner simplement : les mutations actuelles sont provoquées par l'ouverture à l'Europe, la multiplication des échanges et les variations des comportements de nos clients. En tant qu'entreprise publique nous sommes également héritiers d'une administration qui possédait une vocation de service public très forte. Notre réseau n'a donc pas évolué en fonction des bouleversements démographiques qu'a connus notre pays. Aujourd'hui, il ne s'agit pas de renoncer à ces missions de service public mais d'éviter que seule La Poste n'ait à supporter leur coût.

Les allemands ont des problèmes de réseau comparable et ont déjà défini des stratégies pour les résoudre. Nous avons fait de même en signant le contrat d'objectifs et de progrès avec l'État le 25 juin dernier : il s'agit en effet de trouver des moyens d'offres publiques sous forme de mutualisation. Je suis convaincu que nous pouvons trouver des solutions partielles par ce biais mais que cette voie ne sera pas suffisante.

Au cours des décennies à venir, il nous faudra donc définir clairement des missions, des contractualisations et des sources de financement. Dans le cas contraire, La Poste ne pourra pas conserver des tarifs concurrentiels face à ces concurrents européens. Nous avons peu de temps pour nous adapter mais c'est une nécessité absolue.

Gérard LARCHER

J'ai entendu le président Bourmaud parler de la valorisation du réseau et du patrimoine pour financer la présence de La Poste sur le marché concurrentiel. Je pense que c'est une notion très intéressante. Il y a quelques années, la force d'une entreprise venait de sa masse salariale. Aujourd'hui, c'est la capacité d'investissement qui prime. UPS, par exemple, a déjà acheté 30 Airbus et s'apprête à en acheter 30 autres.

Je rappelle que, dans le rapport de 1998, nous avions indiqué que la valorisation du patrimoine de La Poste constituait une source de financement privilégiée. Il faudra en tenir compte dans la rédaction de la loi d'orientation postale.

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