Rapport d'information n° 394 (1995-1996) de M. Xavier de VILLEPIN , fait au nom de la commission des affaires étrangères, déposé le 30 mai 1996

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N° 394

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SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 30 mai 1996

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur la politique étrangère commune de l'Union européenne

Par M. Xavier de VILLEPIN,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin, président ; Yvon Bourges, Guy Penne, Jean Clouet, François Abadie, Mme Danielle Bidard-Reydet, Jacques Genton vice-présidents ; Michel Alloncle, Jean-Luc Mélenchon, Serge Vinçon, Bertrand Delanoë secrétaires ; Nicolas About, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Mme Monique ben Guiga, MM. Daniel Bernardet, Didier Borotra, André Boyer, Mme Paulette Brisepierre, MM. Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Charles-Henri de Cossé-Brissac, Pierre Croze, Marcel Debarge, Jean-Pierre Demerliat, Xavier Dugoin, André Dulait, Hubert Durand-Chastel, Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Gérard Gaud, Jean-Claude Gaudin, Philippe de Gaulle, Daniel Goulet , Yves Guéna, Jacques Habert, Marcel Henry, Christian de La Malène, Edouard Le Jeune, Maurice Lombard, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Alain Peyrefitte, Bernard Plasait, Régis Ploton, Jean-Pierre Raffarin, Michel Rocard, André Rouvière, Robert-Paul Vigouroux,.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La politique étrangère commune constitue l'un des principaux chantiers ouverts par la Conférence intergouvernementale (CIG) de Turin.

La matière est technique et les développements institutionnels qu'elle appelle risquent de rester inaperçus de l'opinion publique. Cependant, les résultats obtenus dans ce domaine décideront sans doute pour une part essentielle du succès ou de l'échec de l'exercice diplomatique de Turin. Il ne s'agit de rien de moins que de donner à l'Union européenne un statut d'acteur à part entière sur la scène internationale.

Pour l'heure, les Quinze vivent un paradoxe ; ils figurent parmi les premiers contributeurs financiers au Proche-Orient et dans l'ancienne Yougoslavie, mais se sont révélés incapables de peser sur l'évolution de la situation dans ces deux régions.

En réalité, l'Union n'a jamais su utiliser les moyens qu'elle consacre à la politique commerciale, à l'aide en faveur des pays en développement ou des pays d'Europe centrale et orientale comme d'un levier pour exercer une réelle influence politique. A moins de se résigner au rôle de simple contributeur, l'Union se trouve appelée ainsi, du seul fait des développements de l'action extérieure communautaire, à développer sa coopération politique.

Mais l'intérêt d'une politique étrangère commune ne résulte pas, bien sûr, de la seule dynamique communautaire. La fin de l'équilibre bipolaire a créé des ferments d'instabilité au coeur même du vieux continent. Par ailleurs l'incertitude s'est accrue aux marges de l'Europe : à l'Est, la Russie cherche sa voie, au Sud, la montée des intégrismes traduit le malaise des sociétés confrontées à de graves problèmes économiques et sociaux. Les Etats membres de l'Union ont un intérêt commun à conjurer ces risques. S'ils agissent séparément, ils se condamnent à l'impuissance. Le conflit dans l'ancienne Yougoslavie l'a cruellement montré. S'ils se reposent sur les Etats-Unis, ils se soumettent aux aléas d'une politique guidée avant tout par des préoccupations intérieures. Dès lors, la voie d'une politique étrangère commune s'impose ; elle répond au souci de préserver ce pôle de stabilité et de prospérité que nous devons à la construction européenne.

Mais si le contexte international confère une urgence certaine à la mise en oeuvre d'une politique étrangère commune, il a rendu cet exercice particulièrement délicat. L'avenir reste incertain. S'il n'est pas aisé pour les diplomaties nationales de prendre la mesure des évolutions internationales, la difficulté redouble quand il s'agit d'accorder les points de vue de quinze Etats (et bientôt davantage).

Aussi la réforme de la politique étrangère commune apparaît-elle comme une nécessité mais aussi comme une gageure.

La commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat ne pouvait se désintéresser du débat au moment où se dessinent des choix cruciaux pour l'Europe.

Votre rapporteur a souhaité privilégier les questions de politique étrangère, regroupées avec la sécurité sous un même volet dans le cadre du traité de Maastricht. Sans doute la défense apparaît-elle une dimension primordiale de la construction européenne. Cependant le bilan de coopération dans le domaine de la sécurité reste très modeste et ne se prête guère à une réelle évaluation. Surtout, l'évolution de la position de la France à l'égard de l'OTAN a introduit une nouvelle donne ; le souci de présenter des propositions concrètes qui inspire votre rapporteur pourrait ainsi, dans le domaine de la défense, paraître aujourd'hui quelque peu prématuré.

*

Votre rapporteur dressera d'abord un bilan de la politique étrangère commune. Il s'attachera ensuite à analyser les défaillances du dispositif mis en place par le traité de Maastricht. Il tentera enfin, à la lumière de l'expérience des dernières années, de présenter des propositions qui pourraient permettre de renouer avec une diplomatie européenne plus efficace.

*

* *

PREMIÈRE PARTIE :
LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE COMMUNE OU LES AMBITIONS DÉÇUES D'UNE DIPLOMATIE EUROPÉENNE

I. UN DÉFI INITIAL : FAIRE FRANCHIR UN SAUT QUALITATIF À LA COOPÉRATION EUROPÉENNE

A. LES INSUFFISANCES DE LA COOPÉRATION POLITIQUE EUROPÉENNE (CPE)

Le souci de donner à l'Union européenne les moyens de conduire une action concertée sur la scène internationale n'est pas nouveau. Bien au contraire, il a partie liée avec le grand dessein politique qui a animé dès l'origine la construction européenne. A la suite de la création de la Communauté européenne du charbon et de l'acier, devaient également voir le jour une Communauté européenne de défense (CED) et une Communauté politique européenne. Le rejet de la CED par le Parlement français en 1954 devait finalement assurer la primauté à l'intégration économique avec la signature du traité de Rome en 1958. L'échec du plan Fouchet (1962), ambitieux mais fondé sur le seul schéma de la coopération intergouvernementale, confirmerait cette orientation.

Les Etats membres n'ont toutefois jamais renoncé à inscrire leur coopération sur un champ plus large, même s'ils ont dû reprendre leur ambition sur un mode mineur.

1. Une coopération plus rhétorique qu'effective

a) Les acquis de la Coopération politique européenne

Il appartint à la conférence de La Haye, en décembre 1969, de relancer la dynamique de la coopération politique. A l'initiative de la France, les chefs d'Etat et de gouvernement des six pays membres demandèrent en effet à leurs ministres « d'étudier la meilleure manière de réaliser des progrès dans le domaine de l'unification politique »

Dans cette perspective, le rapport Davignon, approuvé par les Six le 27 octobre 1970 pose les bases d'un mécanisme d'information et de consultation mutuelles dans le domaine de la politique étrangère. Les ministres des affaires étrangères se réunissent deux fois par an (puis quatre fois par an à la suite des décisions du « Sommet » de Paris d'octobre 1972) tandis qu'un Comité politique offre le cadre d'une consultation régulière au niveau des directeurs des affaires politiques.

Les procédures mises en oeuvre au début de la décennie connaîtront par la suite des renforcements successifs. En 1973, une procédure d'urgence permet aux ministres des affaires étrangères de se réunir immédiatement en cas de crise afin de rechercher les moyens d'aboutir à une position européenne commune.

La même année, le deuxième rapport Davignon , approuvé par les ministres des affaires étrangères, marque une étape supplémentaire : en effet, « chaque Etat s'engage en règle générale à ne pas fixer définitivement sa propre position sur les questions de politique étrangère sans avoir consulté ses partenaires dans le cadre de la coopération politique ».

Enfin, en 1976, le Conseil européen de La Haye assigne pour la première fois à la coopération politique "la recherche d'une politique étrangère commune".

L'Acte unique européen signé en février 1986 consacre les développements institutionnels liés à la coopération politique. Il crée en outre un secrétariat permanent auprès du Conseil . Enfin il s'intéresse au problème, encore actuel, de l'articulation entre la diplomatie concertée dans le cadre de la coopération politique d'une part, et les relations extérieures communautaires, d'autre part, et pose le principe de leur cohérence 1 ( * ) .

La coopération politique aura présenté un double mérite. Elle a permis d'abord de donner à la diplomatie européenne une base institutionnelle que reprendra et développera le traité sur l'Union européenne signé à Maastricht le 7 février 1992. En second lieu, elle a habitué les pays membres à se concerter sur des problèmes internationaux et favorisé de la sorte un rapprochement progressif des points de vue.

b) Les failles de la coopération politique

La portée de la coopération politique devait rester doublement limitée dans son principe. D'une part, elle a exclu les questions de sécurité et de défense de son champ d'action. D'autre part, elle n'a jamais requis de la part des Etats membres d'autre engagement que celui de se concerter sur "tout sujet de politique étrangère ayant un intérêt général".

L'interprétation donnée au « sujet d'intérêt général » laissait une grande marge d'appréciation aux Etats. Pour le reste, aucune sorte d'obligation ne découlait, pour les Etats membres, de l'exercice de la coopération politique. Un Etat pouvait se désolidariser d'une position adoptée en commun. Ainsi du Royaume-Uni quand il leva en 1990, de manière unilatérale, les sanctions commerciales de l'Afrique du Sud, décidées par les Douze au titre de la CPE en 1986.

La coopération politique se condamnait ainsi à ne pas dépasser le stade d'une diplomatie purement déclaratoire. Mais dans le même temps, l'Europe renonçait à s'affirmer comme un acteur crédible sur la scène internationale.

2. les conditions d'un nouveau départ

Votre rapporteur ne reviendra pas sur les mutations internationales qui ont redonné toute son acuité à la nécessité pour l'Europe d'agir de façon concertée et inspiré en conséquence le souhait de dépasser le cadre jugé trop étroit de la coopération politique. Il s'attardera ici sur les problèmes que présentèrent, pour les négociateurs du traité de Maastricht, la mise en oeuvre d'une politique étrangère commune et les solutions de compromis qui se dégagèrent.

a) Les enjeux de la négociation

Comment imprimer un nouvel élan à la politique extérieure européenne tout en respectant la souveraineté des Etats membres ? La question est restée au coeur des débats suscités par la préparation du traité de Maastricht.

Les Douze devaient s'accorder d'abord sur l'introduction éventuelle des questions de sécurité et de défense dans le champ de la coopération européenne et s'entendre également sur les moyens de renforcer l'efficacité de la politique extérieure de l'Union.

Ce dernier point posait lui-même une double question : fallait-il globaliser l'ensemble de la politique extérieure de l'Union afin d'en accroître la cohérence et partant, l'efficacité ? Convenait-il, en second lieu, de modifier les règles de décision et de faire une place au vote à la majorité ?

b) Les solutions de compromis

Les questions de sécurité devaient finalement figurer dans le traité. La nécessité de parvenir à un compromis entre des positions au départ très éloignées (entre le Royaume-Uni, l'Irlande et le Danemark d'une part, et les partisans d'une défense européenne d'autre part) explique toutefois la formulation complexe retenue dans le traité. La coopération s'ordonne selon un programme échelonné dans le temps : elle porte d'abord sur la sécurité, ensuite sur la mise en oeuvre d'une défense commune avant de déboucher, « le moment venu », vers une défense commune (article J4, paragraphe 1).

Le débat sur la « globalisation » de l'action extérieure de l'Union devait également aboutir à une solution de compromis. En effet le souci, manifesté par la Commission dans un document du 28 février 1991, d'intégrer dans un ensemble cohérent l'ensemble de l'action extérieure de l'Union (politique étrangère au sens propre, politique de développement et politique commerciale) devait se heurter à une double opposition. La première portait sur l'extension des pouvoirs de la Commission dans un domaine régi par les principes de la coopération intergouvernementale. La seconde reposait sur des arguments inverses : l'approche unitaire ne risquait-elle pas de diffuser les méthodes intergouvernementales dans la mise en oeuvre des actions extérieures déjà existantes, au risque d'en remettre en cause la nature communautaire ?

Ainsi, la position de la Commission défendue notamment par les Pays-Bas devait être battue en brèche au cours de l'une des réunions préparatoires à la mise au point du traité (le 30 septembre 1991 précisément, qualifié de « lundi noir » par la diplomatie néerlandaise).

Une structure par pilier fut finalement retenue. Elle permettait en effet d'organiser, dans le cadre d'un ensemble institutionnel commun un système de fonctionnement juridiquement distinct pour la politique extérieure et de sécurité commune (PESC).

Enfin, le vote à la majorité qualifiée, malgré une timide intrusion dans le traité, se trouvait condamné par une logique commandée en fait par la seule règle de l'unanimité. Dès lors l'efficacité attendue du dispositif mis en place dans le traité reposait principalement sur la création de deux nouveaux instruments censés engager les Etats membres au delà de la simple consultation : la position commune et les actions communes .

Les compromis et les ambiguïtés qui leur sont inhérentes allaient peser sur la mise en oeuvre de la politique étrangère commune. Du reste, les négociateurs, conscients de ces lacunes, avaient prévu la nécessité de revoir et d'améliorer les mécanismes mis en place en 1991, sous les auspices d'une nouvelle conférence intergouvernementale qui se réunirait en 1996. Malgré ces faiblesses, le nouveau traité marquait des avancées bien réelles par rapport à la simple coopération politique.

Trois piliers furent ainsi institués : le pilier communautaire (Communauté européenne, Communauté européenne du charbon et de l'acier, Communauté européenne de l'énergie atomique -titres II, III et IV-), le pilier concernant une politique extérieure et de sécurité commune (titre V), le pilier relatif à la coopération dans le domaine de la justice et des affaires intérieures (titre VI).

B. UN DISPOSITIF NOVATEUR POUR DES OBJECTIFS AMBITIEUX

Tirant les leçons des déceptions liées à la coopération politique, les négociateurs du traité de Maastricht ont cherché à jeter les bases d'une politique étrangère plus efficace. Ainsi, s'ils se sont fixé des objectifs ambitieux, c'est en définissant de nouvelles méthodes de coopération qu'ils se sont montrés les plus audacieux

1. L'ambition fondatrice : faire de l'Union un acteur à part entière sur la scène internationale

a) Des objectifs initiaux très étendus

Le traité fixait des objectifs très larges que les ministres des affaires étrangères des pays membres ont tenté ensuite de préciser.

Les objectifs, que le deuxième pilier assigne à la PESC, apparaissent autant de déclinaisons possibles d'une ambition plus vaste dont l'article B du titre premier, consacré aux dispositions communes, révèle la substance : affirmer l'identité de l'Union européenne sur la scène internationale.

Cette volonté se manifeste sous la forme de cinq objectifs exposés par l'article J1 du titre V.

- la sauvegarde des valeurs communes , des intérêts fondamentaux et de l'indépendance de l'Union ;

- le renforcement de la sécurité de l'Union et de ses Etats membres sous toutes ses formes ;

- le maintien de la paix et le renforcement de la sécurité internationale, conformément aux principes de la charte des Nations Unies, ainsi qu'aux principes de l'acte final d'Helsinki et aux objectifs de la charte de Paris ;

- la promotion de la coopération internationale ;

- le développement et le renforcement de la démocratie et de l'Etat de droit, ainsi que le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Quels sont, au terme de ces dispositions, les principaux ressorts de la PESC ?

Si la sauvegarde de son indépendance touche aux intérêts vitaux directs de l'Union, le souci attaché au maintien de la paix dans le monde mais également à la défense des droits de l'homme confère une dimension réellement internationale à la diplomatie européenne. Cette ambition apparaît l'héritage de traditions diplomatiques jadis soucieuse de l'équilibre des puissances et reconvertie aujourd'hui dans la défense du système des valeurs internationales où le volet humanitaire, en particulier, tient une place éminente.

b) La définition par le Conseil de champs géographiques et sectoriels plus précis

Mais portés à ce degré de généralité, les principes de la PESC présentaient le risque de demeurer sans suite. Les membres de l'Union ont bien senti ce danger. Aussi le Conseil européen de Lisbonne (26-27 juin 1992) a-t-il repris les principales lignes d'un rapport au Conseil « sur l'évolution probable de la PESC visant à cerner les domaines se prêtant à une action commune vis-à-vis de pays ou de groupes de pays particuliers ». Ce rapport fixait deux ordres de priorité :

- dans le domaine de la sécurité : le processus de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, la politique de désarmement et de contrôle des armements en Europe, les questions relatives à la non prolifération nucléaire, les aspects économiques de la sécurité (contrôle du transfert des technologies militaires vers les pays tiers) et contrôle des exportations d'armes ;

- dans le champ géographique : l'Europe centrale et orientale, en particulier la Communauté des Etats indépendants et les Balkans, la Méditerranée notamment le Maghreb, et le Moyen-Orient. Le rapport rappelait également l'importance pour l'Europe des relations avec les Etats-Unis, le Canada et le Japon.

Ainsi précisés, les objectifs de la PESC assignaient encore un large champ à la coopération européenne. Un bilan de cette diplomatie montrera toutefois que ces domaines n'ont pas été tous explorés avec la même densité et le même succès, tandis que, sur les traces de la CPE, et selon l'inclination propre à chaque présidence, l'Amérique latine, l'Afrique ou l'Asie figuraient en bonne place dans l'activité internationale des Quinze.

2. Le dispositif de la PESC : un engagement plus grand requis des Etats-membres

Comment ces objectifs seraient-ils mis en oeuvre ? De quels moyens allait disposer la nouvelle politique extérieure européenne ? Sans doute, le traité reprend-il les principes classiques de concertation. Mais sauf à condamner la PESC à devenir le succédané de la CPE, il ne pouvait en rester là. Aussi le dispositif inclut-il de nouveaux instruments : les positions et les actions communes.

a) Les moyens classiques hérités de la CPE

La coopération classique repose sur l'information mutuelle et la concertation au sein du Conseil sur toutes les questions d'intérêt général (article J 2.1). Les déclarations , bien que non prévues dans le traité, constituent l'ordinaire de l'activité au titre de la PESC et s'inscrivent du reste dans le droit fil de la CPE.

b) Des instruments nouveaux

* Caractères communs

L'Union européenne dispose, au terme du traité de Maastricht, de deux nouveaux instruments au service d'une politique étrangère commune : la position commune et l'action commune.

Positions communes et actions communes présentent pour les Etats-membres une force supérieure à celle des déclarations à un double titre : d'une part, elles revêtent après leur adoption un caractère obligatoire, d'autre part, comme le Conseil a eu l'occasion de le préciser 2 ( * ) , elles ont vocation à fixer un cadre opérationnel pour la mise en oeuvre de la politique extérieure.

. Une force contraignante

S'agissant des positions communes, leur caractère contraignant se manifeste sous deux aspects : l'obligation pour les Etats membres de conformer leurs diplomaties aux positions adoptées, la défense des positions communes au sein des organisations internationales.

Quant aux actions communes, elles s'imposent aux Etats membres avec une force encore supérieure dans la mesure où les moyens d'action sont mis en commun.

. Un cadre opérationnel

Sans doute les déclarations peuvent-elles revêtir dans certains cas une dimension politique importante. Elles fixent parfois des orientations pour des mesures à prendre dans l'avenir. Elles ne tracent pas en revanche le cadre opérationnel de leur mise en oeuvre.

Il revient en principe aux positions ou actions communes de prévoir dans la mesure du possible les conditions d'application des principes convenus en commun : rôles respectifs du Conseil, de la Commission, des Etats membres, de la présidence ou le cas échéant des agents mandatés par l'Union, éventuellement aspects financiers et calendrier.

Selon le document précité du Conseil, les positions ou les actions communes doivent être « formulées avec un degré de précision et de détail suffisant pour les rendre opérationnels. Pour ces actes (...) le mode d'expression et les formules des déclarations politiques ne sont donc pas appropriées, ni l'usage de considérants déclaratoires ».

* Les différences

. Les positions communes : une procédure simple

A l'instar de l'action commune, la position commune est décidée à l'unanimité du Conseil . Cependant, elle se distingue de l'action commune sur deux points : elle ne requiert pas une orientation préalable du Conseil européen. En outre la mise en oeuvre des positions passe par des mesures qui relèvent de l'initiative des Etats membres et de la Commission et non par une gestion commune des moyens d'action.

Aussi bien les positions communes sont-elles privilégiées pour fixer des stratégies à moyen terme sans exclure cependant des objectifs à plus court terme prévoyant des dispositions immédiatement opérationnelles. Dans cette hypothèse, les compétences propres des Etats membres et des institutions européennes sont préservées, en particulier le pouvoir d'initiative de la Commission.

. Les actions communes : un outil complexe

L'action commune constitue un pas supplémentaire dans la mise en place d'une politique étrangère européenne. Pour la première fois, dans ce domaine, la procédure de décision ouvre la possibilité de recourir, sous certaines conditions, au vote à la majorité qualifiée. En outre, l'engagement requis de la part des Etats membres se présente à un degré particulièrement fort.

Le vote à la majorité qualifiée ne s'applique que pour la mise en oeuvre des actions communes. Encore le Conseil doit-il déterminer à l'unanimité les questions qui doivent faire l'objet d'un vote à la majorité qualifiée. Ainsi, la procédure à majorité est commandée en dernier ressort par une décision à l'unanimité.

Par ailleurs, l'engagement des Etats membres présente un plus grand degré de densité que dans le cadre d'une position commune. D'une part, l'impulsion est donnée ici par l'instance politique majeure de l'Union européenne, le Conseil européen qui fixe les « orientations générales ». Par ailleurs, l'action suppose la mise en commun des moyens de l'Union. Plus encore qu'une position commune, l'action commune suppose un grand degré de précision dans la définition des moyens et des modalités de mise en oeuvre. Enfin, les mesures décidées présentent un caractère spécialement contraignant ; si un Etat connaît des difficultés pour l'application d'une action commune, il doit en saisir le Conseil. Il ne saurait se soustraire de son propre chef à une obligation commune. Du reste, la solution concertée est alors destinée à aider l'Etat à surmonter les problèmes rencontrés ; en aucun cas, elle ne saurait contrarier la ligne directrice adoptée dans le cadre de l'action commune. Ainsi, un Etat membre ne pourrait pas, en principe, maintenir avec un Etat des relations diplomatiques que l'Union aurait décidé de rompre.

Précis sur la procédure, le traité ne développe pas réellement les circonstances qui peuvent justifier une action commune. Il se borne (article J 1 paragraphe 3) à mentionner « les domaines où les Etats membres ont des intérêts importants en commun ». Le Conseil européen de Lisbonne ne s'est pas en réalité montré plus prolixe en considérant l'action commune « comme un moyen pour l'Union de définir et de mettre en oeuvre, dans le cadre de la PESC, une politique relative à une question précise ».

La relative indétermination du champ d'application de l'action commune, mais aussi la complexité de la procédure, risquaient de réduire la portée novatrice de l'instrument prévu par le traité de Maastricht, comme allait d'ailleurs le révéler la pratique suivie au cours des dernières années.

II. L'UNION EUROPÉENNE EN QUÊTE D'UN RÔLE À PART ENTIÈRE SUR LA SCÈNE INTERNATIONALE

A. LA CONSTRUCTION INACHEVÉE D'UNE IDENTITÉ EXTÉRIEURE COMMUNE

Que les espoirs placés dans le nouveau dispositif ainsi mis en place ne se soient pas réellement concrétisés, le bilan de la PESC 3 ( * ) , au terme de trois années d'expérience, le montrera sans doute.

Le jugement porté sur la PESC ne peut être seulement négatif. La mise en place du second pilier a en effet permis un rapprochement réel des diplomaties des Etats membres. Elle a également favorisé une prise de conscience des enjeux communs que présentent deux zones essentielles pour l'Union : l'Europe centrale et orientale, d'une part, le bassin méditerranéen, d'autre part.

1. Le rapprochement progressif des positions diplomatiques

Bien que la PESC reste, votre rapporteur y reviendra, de nature essentiellement déclaratoire, la pratique des déclarations et des positions communes invitent à une concertation régulière et même quasi quotidienne. Si laborieuse soit-elle, cette coordination fixe des méthodes de travail communes . En outre, les prises de position à quinze finissent par générer un corps de doctrine commun dont le caractère certes n'est guère contraignant ; il n'en reste pas moins à moyen terme le facteur d'une cohérence plus grande entre les politiques étrangères des différents Etats membres.

A cet égard, la concertation au sein des organisations internationales (art. J 2 du traité) a porté ses fruits. Le cas des Nations Unies apparaît particulièrement significatif : la convergence des votes entre les Etats membres au sein de l'Union a progressé au cours des quinze dernières années ; le pourcentage des votes identiques sur le total des résolutions adoptées est en effet passé de 77,3 % en 1981 à 85,5 % en 1991 et 91,5 % en 1994. Ces bons résultats apparaissent le fruit d'une concertation dont les documents d'orientation agréés à quinze ont fixé le cadre : coopération systématique sur les sujets d'intérêt commun, déclaration commune de la présidence complétée le cas échéant, et non contredite, par les déclarations nationales.

En outre, les quinze se concertent pour favoriser une approche commune dans la perspective des grandes manifestations (Conférence sur le développement social, conférence sur les femmes) ou encore pour privilégier des candidatures communes de l'Union européenne aux postes de direction des agences des Nations Unies.

Naturellement, ce rapprochement progressif s'inscrit dans une perspective à moyen ou long terme qui n'est pas nécessairement pertinente quand il s'agit de réagir aux situations d'urgence ou de conduire une diplomatie préventive.

Cependant, dans la diplomatie conduite à l'égard des pays d'Europe centrale et orientale et du bassin méditerranéen, l'Union européenne a su faire prévaloir une réelle vision d'ensemble sur les conditions de la stabilité du vieux continent qui fait honneur à la PESC.

2. La prise de conscience des intérêts communs

a) Le pacte de stabilité en Europe

L'éclatement du bloc socialiste, la résurgence de nationalismes, les effets de la crise yougoslave enfin : ces éléments paraissent conspirer contre la stabilité de l'Europe centrale et orientale, et aussi la sécurité du Vieux continent tout entier.

Instruite par les leçons du conflit dans l'ex-Yougoslavie et la difficulté de porter remède à une crise quand elle a éclaté, l'Union a souhaité promouvoir, pour limiter les risques de tension, une approche préventive très largement inspirée d'une initiative du premier ministre français, M. Edouard Balladur.

Le Plan Balladur, principalement destiné aux pays de l'Europe centrale liés à l'Union par des accords d'association (groupe de Visegrad, Bulgarie et Roumanie) ainsi qu'aux pays baltes liés à l'Union européenne par des accords de libre-échange, proposait que soit négocié, entre pays voisins, un code de bonne conduite. Le dispositif, sous la forme de convention-cadre, garantirait les droits des minorités et organiserait le règlement pacifique des conflits.

La première action commune adoptée au titre de la PESC, s'appuie sur le « Plan Balladur ». Elle a décidé de réunir une conférence de lancement d'un pacte de stabilité en Europe , à Paris les 26 et 27 mai 1994. Sous ces auspices, plusieurs traités bilatéraux de relations de bon voisinage ont pu être signés, notamment entre la Pologne et la Lituanie, la Biélorussie et la Lituanie. L'utilisation des moyens communautaires comme le programme Phare dans une perspective d'accompagnement incitatif, n'a sans doute pas été étrangère à ce bilan plutôt satisfaisant.

Le processus reste fragile : les problèmes de minorités et de frontières principalement visés par le Pacte de stabilité n'épuisent pas les causes possibles de conflit dans la région. En outre les traités signés jusqu'à présent ne couvrent qu'un champ géographique restreint. Enfin, les rapports entre des pays tels que la Roumanie et la Hongrie restent encore problématiques.

Aussi, afin de compléter l'action conduite dans le cadre du pacte de stabilité, plusieurs mesures ont été prises pour associer les pays d'Europe centrale et orientale à la PESC : instauration d'une concertation dans les pays tiers et les organisations internationales, possibilité d'association à des déclarations, démarches ou actions communes.

L'action de l'Union s'inscrit ici cependant dans une perspective à moyen terme ; elle doit pouvoir tirer parti du souci manifesté par l'ensemble des pays d'Europe centrale et orientale de participer rapidement à l'intégration européenne. De ce point de vue, une bonne cohérence entre les objectifs politiques et les moyens communautaires apparaît indispensable.

b) La mise en place d'une stratégie globale à l'égard de la Méditerranée

A l'instar du Pacte de stabilité pour les pays d'Europe centrale et orientale, la Conférence de Barcelone organisée en 1995 entend promouvoir à l'intention des pays du bassin méditerranéen une démarche globale intégrant un volet politique et économique. Cette initiative, adoptée sous la présidence française, visant à rééquilibrer les relations de l'Union, légitimement attentive aux évolutions sur ses frontières orientales, vers sa façade méditerranéenne. Mais la Conférence de Barcelone répondait à une autre motivation : inclure le Maghreb dans une politique qui ne peut se borner au seul Proche-Orient.

L'enjeu que constituait un soutien financier d'importance a certainement favorisé l'adhésion des partenaires méditerranéens au double objectif repris dans la déclaration finale : respect des principes fondamentaux sur le plan intérieur, relations de bon voisinage sur le plan extérieur. Par ailleurs la Conférence de Barcelone a posé les jalons d'une coopération ultérieure, notamment la préparation d'un pacte euro-méditerranéen, qu'il importera de concrétiser dans les années à venir.

Dans l'immédiat, les nouveaux accords conclus avec les pays méditerranéens (Tunisie, Israël, Maroc) ou en voie de l'être (Egypte, Jordanie, Liban, Algérie et autorités palestiniennes) intègrent un volet politique.

Incontestablement ces exercices diplomatiques européens témoignent d'une prise de conscience salutaire d'enjeux régionaux prioritaires pour l'Europe.

Cependant si ces démarches s'inspirent d'une vision globale, indispensable pour la PESC, leur mise en oeuvre ne laisse pas de susciter nombre d'interrogations. Les moyens communautaires répondront-ils précisément aux objectifs politiques que le Conseil a assignés aux relations entre l'Union et l'Europe centrale et orientale d'une part, et entre l'Union et les pays méditerranéens d'autre part ?

Par ailleurs la mise en place d'un dialogue entre des partenaires aussi nombreux présente le risque que les bonnes intentions initiales ne s'enlisent dans des procédures et des structures très lourdes, la paralysie des instruments servant de caution à l'inertie des européens et à l'absence d'accord sur le fond.

L'impuissance de l'Union à agir efficacement dans le contentieux gréco-turc conduit votre rapporteur à un certain scepticisme dans ce domaine. La mise en place de l'Union douanière avec la Turquie, la préparation d'un calendrier d'adhésion avec Chypre ne devaient-elles pas conférer à l'Union de nouveaux moyens pour contribuer au règlement de la question chypriote ? Or l'Europe reste toujours en arrière-plan dans une crise où les Américains s'imposent régulièrement comme les médiateurs principaux.

La PESC avait justement pour ambition de ne pas se satisfaire de cette situation. Aussi bien ce scepticisme est-il conforté par le bilan, décevant dans son ensemble, que l'on peut dresser des autres actions conduites au titre de la politique étrangère commune.

B. UNE DIPLOMATIE DE RÉACTION PLUTÔT QUE D'INITIATIVE

Si la PESC a connu quelques succès qu'il ne faut pas mésestimer, elle s'est toutefois révélée impuissante à intervenir efficacement dans des situations de crise tandis qu'elle a privilégié une diplomatie déclaratoire.

1. Un rôle politique limité dans les situations d'urgence

Trois exemples illustrent à des degrés divers l'incapacité de l'Union européenne à faire prévaloir dans les crises le rôle de médiateur que l'aide communautaire dispensée la destinaient à assumer.

a) Le Rwanda

L'Union européenne n'a pu prévenir ni arrêter les massacres ethniques au Rwanda. Les divergences de nos partenaires ont conduit la France à engager seule l'opération Turquoise. De même, aujourd'hui l'analyse différente que les Etats-membres font de la situation dans la région des grands lacs et de la confiance qu'il convient d'accorder aux nouvelles autorités politiques rwandaises dominées par les Tutsis, condamne sans doute la position commune adoptée en octobre 1994 à recevoir une application limitée 4 ( * ) .

b) Le processus de paix au Moyen-Orient

Bien que son engagement en faveur de la paix au Moyen-Orient ne se soit pas démenti au cours des dernières années, l'Union européenne reste le témoin d'un processus sur lequel elle n'a finalement que peu de prise. Tenue en lisière de la Conférence de Madrid réunie en 1991 sous les auspices des Etats-Unis et de l'Union soviétique, et des étapes successives qui ont conduit à l'accord signé le 13 septembre 1993 à Washington, l'Union européenne a toutefois été invitée à signer le 28 septembre 1995, en tant que « témoin » l'accord intérimaire israélo-palestinien.

A la suite de la Conférence des donateurs internationaux (Washington, 1er octobre 1993) destinée à apporter un soutien économique au peuple palestinien, la Communauté s'engagea pour une assistance globale de 500 millions d'écus (sous forme de dons et de crédits) sur la période 1994-1998. Bien que l'Union européenne fournisse 45 % de l'aide internationale, elle n'assure pas la coordination de l'ensemble de l'assistance, à la différence de la reconstruction économique de l'Europe centrale.

Par ailleurs, sur la base des orientations générales arrêtées par le Conseil européen de Bruxelles le 10 décembre 1993, le Conseil «Affaires générales » en avril 1994 décida une « action commune à l'appui du processus de paix au Moyen-Orient ».

Dans ce cadre, le soutien de l'Union a principalement revêtu trois formes : programme d'assistance au développement des territoires occupés, aide à la création d'une force de police palestinienne, programme d'aide à la préparation et à l'observation des élections organisées en janvier dernier dans les territoires occupés.

La mise en oeuvre de cette action commune reste toutefois largement conditionnée par l'évolution de la situation dans la région. Ainsi, significativement, l'Union européenne ne s'est pas montrée en mesure de jouer de son cadre comme d'un levier pour accroître son rôle politique.

L'Europe paie ici sans doute la défiance suscitée en Israël par les positions équilibrées qu'elle a défendues par exemple dans la déclaration de Venise de juin 1980 5 ( * ) . L'Europe n'a pu ainsi se poser comme un médiateur acceptable par les deux parties.

Les réticences israéliennes se sont toutefois infléchies, les autorités de Tel Aviv comptant sans doute moins exclusivement sur leur partenaire américain. Le rôle de coordonnateur de l'observation des élections dévolu à l'Union européenne en janvier 1996 à la demande des parties, constitue à cet égard un signal encourageant. L'intérêt d'Israël pour le marché européen; le souci de mieux s'intégrer à l'économie du bassin méditerranéen, ne sont sans doute pas étrangers à cette évolution.

Le conflit du Proche-Orient manifeste ainsi tout à la fois l'insuffisance de la présence européenne et les perspectives favorables qu'ouvrirait à l'Europe sa puissance économique... si l'Union était réellement décidée à agir.

c) Le conflit dans l'ex-Yougoslavie

L'impuissance de l'Union à prévenir, puis enrayer la guerre dans l'ex-Yougoslavie, son incapacité à peser sur les positions et la conduite des parties au conflit ont discrédité les velléités affichées dans le domaine d'une politique étrangère commune. La crise s'est développée en effet ici au coeur du vieux continent dans une région promise sans doute à s'intégrer à l'Union ; elle intéressait directement la sécurité européenne et se présentait comme le champ d'intervention privilégié d'une action concertée.

L'Europe toutefois n'a pas été absente de la scène yougoslave. Mais le paradoxe déjà observé lors du règlement de la paix au Proche-Orient s'est reproduit. Malgré l'importance de la participation humaine (les Etats-membres ont fourni près de 40 % des personnels des missions de l'ONU) et une contribution financière qui place l'Union, et de loin, au premier rang des donateurs, l'Europe ne s'est pas révélée capable de transformer cet engagement en moyen d'influence sur les belligérants.

Dès l'origine du conflit l'Union européenne s'est trouvée paralysée par les divergences en son sein. Faut-il les rappeler ? Elles manifestent la pérennité de traditions diplomatiques ou d'alliances héritées de l'histoire ou de la géographie. Ainsi de la position pro-serbe défendue par la Grèce, ainsi encore de l'appui donné aux Croates par les Allemands. La reconnaissance unilatérale de la Croatie et de la Slovénie par l'Allemagne en décembre 1991 augurait mal des capacités de l'Union à s'accorder sur un conflit qui réveillait les brasiers mal éteints des passions dont l'Europe avait déjà été la victime.

Aussi l'intervention de l'Europe s'est-elle bornée principalement au domaine humanitaire . Encore la première action commune concernant l'aide communautaire prévoyait-elle d'engager « tous les moyens » pour assurer le soutien à l'acheminement de l'aide humanitaire en Bosnie-Herzégovine, sans exclure en principe une action militaire. Toutefois, les Etats membres n'ont pu s'entendre pour conduire l'opération sous l'égide de l'Union de l'Europe occidentale (UEO). Les autres actions communes entreprises dans ce domaine se limiteraient donc à préciser le cadre budgétaire d'une aide qui devait se pérenniser. Le soutien couvre plusieurs volets alimentaire, social, sanitaire, médical. C'est ainsi que depuis 1991, 1,5 milliard d'écus ont été consacrés à l'ex-Yougoslavie, dont 951 millions d'écus au titre du budget des communautés. La coordination des différentes aides relève d'un organisme mis en place fin 1992 et situé à Zagreb.

Au-delà de l'assistance humanitaire, l' administration européenne de la ville de Mostar s'est voulue une contribution exemplaire de l'Union à la reconstruction politique, à l'échelle d'une ville, d'une fédération problématique. Cette initiative a suivi les combats intenses qui opposèrent populations croate et musulmane à partir de mai 1992. Quatre actions communes ont été adoptées dans ce cadre, destinées notamment à préciser l'enveloppe budgétaire (32 millions d'écus en 1994, 80 en 1995, 32 prévus pour le premier semestre 1996) et le rôle de l'administrateur européen. Les déboires rencontrés par le plan de réunification de la ville témoignent de la difficulté de l'entreprise.

La reconstruction apparaît toutefois désormais comme le champ privilégié d'une politique étrangère commune au risque, une fois de plus, de faire peser sur l'Union une part accrue du fardeau sans garantir quelque influence politique que ce soit.

L'effacement de la PESC a laissé place à l'action du groupe de contact mis en place en avril 1994 (France, Royaume-Uni, Allemagne, Russie et Etats-Unis), plus conforme au modèle traditionnel d'une diplomatie conduite par les « grands » mais considérée par certains de nos partenaires, non représentés au sein de ce groupe, comme une atteinte aux modes de représentation de l'Union européenne (art. J5).

Cependant, même dans ce cadre plus restreint, les Etats-Unis se sont imposés comme un partenaire incontournable du processus de paix alors même que certaines initiatives décisives revinrent en fait aux européens et singulièrement à la France (création de la force de réaction rapide -juin 1995). Le cadre même du règlement de paix avait été conçu par les européens avant de recevoir sa consécration à Dayton sous les auspices des Etats-Unis.

En conclusion sur ce point, si l'absence de capacité militaire autonome a hypothéqué la portée d'une action concertée, l'absence d'une réelle volonté commune avait dès l'origine, altéré la capacité d'initiative de l'Union européenne.

2. Une diplomatie déclaratoire

Impuissante à agir dans les situations de crise, la diplomatie européenne a procédé à un double ajustement. Elle s'est repliée sur la défense des valeurs seules capables de réunir l'unanimité : les principes démocratiques et le respect des droits de l'homme. Elle a privilégié une approche déclaratoire que manifeste la multiplication des prises de position sur une situation donnée.

Réduite à ces dimensions plus modestes, les ambitions d'une politique étrangère commune connaissent naturellement un large champ d'application. La diversité géographique des intérêts de la PESC apparaît en ce sens inversement proportionnelle à la substance même de la politique défendue.

a) La dispersion géographique des interventions de l'Union européenne

. L'Afrique : le soutien au processus démocratique

En Afrique, l'inertie européenne devant les massacres au Rwanda contraste avec une activité déclaratoire qui aura couvert presque tous les pays du continent. Le Nigeria et le Soudan ont été rappelés au respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le soutien au processus de réconciliation nationale, promis au Rwanda, au Burundi, en Angola, au Liberia, au Niger, a accompagné l'appui accordé à la transition démocratique en Afrique du Sud, en Guinée-Bissau, au Togo, en Ouganda, à Sao Tome, au Mozambique, en Malawi, en Namibie.

La seule action commune conduite en Afrique a porté sur l'assistance à la préparation et au déroulement des élections en Afrique du Sud (envoi d'observateurs). Mais l'organisation et le financement de cette action s'inscrivaient dans le cadre du programme d'assistance à la transition et restaient donc principalement de nature communautaire.

L'échec rencontré au Rwanda a toutefois conduit l'Union européenne à engager une diplomatie plus active à l'égard du Burundi confronté lui aussi à de vives tensions entre Hutus et Tutsis. Cependant la mission conjointe de la présidence et de la commission (février 1995) et la visite de la troïka ministérielle (mars 1995) n'ont pas suffi à calmer les esprits

Outre le développement d'une diplomatie déclaratoire, la politique étrangère menée à l'égard de l'Afrique révèle une autre tendance de la PESC : l'intensification du dialogue avec les institutions régionales . Le dialogue politique poursuivi avec l'Organisation de l'Unité africaine (OUA), les relations établies avec la Communauté de développement de l'Afrique australe (Southern African Development Community - SADC) témoignent de cette évolution.

. Russie et Communauté des Etats indépendants (CEI) : priorité à la stabilisation politique

Le renforcement des liens avec la Russie figure parmi les priorités de l'Union. Celle-ci s'emploie à favoriser l'objectif de stabilisation de la Russie. L'effort porte principalement à cet égard sur le soutien à la transition économique qui relève d'ailleurs des instruments communautaires classiques (tous programmes confondus, l'aide communautaire à la CEI s'élève à près de 5 milliards d'Ecus sur la période 1990-95). Mais le volet politique n'a pas été ignoré : une action commune a ainsi permis l'envoi d'une mission d'observateurs afin de superviser en coordination avec les organisations internationales concernées (Conseil de l'Europe et Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) les élections législatives de décembre 1993 dans la Fédération russe. Le rapport global établi par l'ensemble des observateurs internationaux dont, bien sûr, ceux de l'Union européenne, n'a pas été rendu public.

Que l'objectif de stabilisation prime ainsi sur toute autre préoccupation, la signature d'abord différée de l'accord intérimaire , le 17 juillet 1995, malgré la poursuite du conflit en Tchétchénie, en a apporté le clair témoignage.

Excepté l'Ukraine avec laquelle les relations ont été renforcées, les autres pays de la CEI ne sont pas réellement entrés dans le champ de la PESC. Sans doute des accords de coopération et de partenariat, au titre du premier pilier, ont-il été signés avec la Moldavie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizistan tandis que des négociations sont en cours avec d'autres républiques d'Asie centrale. Toutefois, sur le plan politique, hors l'habituelle diplomatie déclaratoire, l'Union reste absente en particulier du cadre de règlement des crises de la région : Nagorny-Karabakh, Géorgie (où est impliquée l'OSCE) et Tadjikistan (où intervient l'ONU).

. Moyen-Orient et Golfe : le souci de se démarquer des Etats-Unis

L'Union européenne a certainement une carte à jouer dans une région où elle peut se prévaloir d'une approche sensiblement différente de celle des Etats-Unis. Cependant le « dialogue critique » prôné avec l'Iran malgré l'hostilité des Etats-Unis tarde à donner des résultats. Ainsi, dans l'affaire Rushdie, l'initiative européenne d'avril 1995 destinée à obtenir des garanties pour la sécurité de M. Salman Rushdie n'a pas rencontré beaucoup d'écho auprès des autorités de Téhéran.

S'agissant de l'Irak, la position européenne souffre des divergences entre les Etats-membres ; le Royaume-Uni notamment défend une ligne dure et reste, avec les Etats Unis, le tenant d'une interprétation sévère des résolutions adoptées par les Nations Unies à l'encontre de l'Irak.

Enfin, les relations avec les Etats du Golfe répondent au souci manifesté par ces derniers de diversifier une diplomatie encore largement dominée par les rapports avec le partenaire américain.

Cependant, les contacts, à travers le dialogue noué avec le Conseil de coopération des Etats membres (Arabie saoudite, Koweit, Qatar, Emirats arabes unis, Bahreïn, Oman), ont longtemps manqué de substance. La récente relance du dialogue politique par des rencontres ministérielles ou de hauts fonctionnaires va dans le bon sens, mais ne saurait pallier l'absence de vision commune.

. L'Asie : des relations où l'économie prime sur la politique

Les relations entre l'Europe et l'Asie revêtent principalement une dimension économique. Encore l'Europe reste-t-elle un acteur de second plan, dans cette région, par rapport aux Américains. Ainsi l'Union européenne n'a pas été admise, malgré son souhait, à participer aux sommets de l'APEC (Coopération économique de la zone Asie-Pacifique) qui réunit l'Asie et les Etats-Unis. Sans doute les pays du sud-est asiatique sont-ils soucieux d'éviter une influence américaine excessive, et le sommet Asie-Europe de mars 1996 répond d'ailleurs à ce souci de diversification.

Il faut toutefois, comme l'a d'ailleurs souhaité le Président de la République, développer la dimension politique d'un dialogue qui, compte tenu du dynamisme économique et démographique de cette région, mais aussi de son importance géostratégique et des tensions que les ambitions chinoises font naître dans la région, ne saurait se borner au seul volet économique.

Les structures du dialogue existent d'ailleurs notamment avec l'Association des nations du Sud-Est asiatique, l'ASEAN, (une rencontre ministérielle des Quinze avec les sept pays membres de l'ASEAN tous les deux ans et, dans l'intervalle, une réunion de la troïka et des sept de l'ASEAN ; la représentation de l'Union par la présidence à l'occasion du forum de sécurité de l'ASEAN). En outre, une première réunion du sommet Europe-Asie (ASEM) s'est tenue à Bangkok en mars dernier. Toutefois, au delà des déclarations de bonnes intentions, la priorité accordée par l'Union européenne aux questions des droits de l'homme heurte une partie des Etats de la région. Le débat a pu se cristalliser sur quelques dossiers particuliers, le Timor, par exemple, dans le cas de l'Indonésie. Par ailleurs, l'Union devra davantage prendre en compte les aspirations de cette région dans le domaine de la sécurité (zones dénucléarisées, non-prolifération, désarmement).

Un contact régulier sur le plan politique a été noué avec le Japon et la Chine, et pourrait l'être avec la Corée du Sud.

Quand la PESC déborde du seul cadre déclaratoire et engage des questions d'ordre financier, les divergences des Etats membres retrouvent droit de cité. L'illustration en est fournie par l'engagement de l'Union à participer au financement de l'Organisation pour le développement de l'énergie coréenne (KEDO : « Korean Energy Development Organisation »), structure mise en place en mars 1995 à l'initiative des Etats-Unis, du Japon et de la Corée du Sud, et destinée à assurer la reconversion du programme nucléaire des autorités de Pyongyang. Les Etats-membres ont eu du mal à s'accorder sur les modalités de la participation financière européenne, la Finlande et le Danemark, en particulier, souhaitant en limiter l'utilisation aux livraisons de pétrole. Cependant l'Union européenne a fini par convenir lors du Conseil Affaires générales des 26-27 février dernier d'une contribution immédiate de 5 millions d'écus au titre du budget PESC 1996.

. L'Amérique latine : la relance récente des relations contractuelles

Dans les objectifs suivis à l'égard du continent latino-américain, point de surprise : la défense des droits de l'homme, le soutien au processus de transition politique résument le contenu de l'essentiel des démarches et des déclarations. Le soutien à la lutte contre la drogue figure cependant ici au premier rang des orientations arrêtées par le Conseil. Le cadre institutionnel du dialogue politique -conférences annuelles ministérielles UE/groupe de San José (Amérique centrale) et UE/groupe de Rio (Amérique du Sud)- pêche par une lourdeur excessive au point que l'Union a proposé à ses partenaires de renoncer à l'annualité de leurs rencontres.

Le souci d'alléger les structures du dialogue doit pourtant compter avec la relance des relations contractuelles décidées au moment de la dernière présidence espagnole -accords de coopération renforcée présentant un volet politique, signés avec des Etats de la zone (Chili, Mexique) ou une organisation régionale comme le Mercosur.

Comment concilier une réelle volonté de coopération avec des procédures efficaces ? Les relations avec l'Amérique latine posent avec une singulière acuité un problème que l'analyse de la PESC soulève de façon récurrente.

. Les relations transatlantiques : un dialogue ambigu

Une actualité nouvelle a été donnée aux relations entre l'UE et les Etats-Unis avec l'adoption du « nouvel agenda transatlantique » et du plan d'action conjoint lors du sommet de Madrid du 3 décembre 1995.

Du reste, la déclaration transatlantique de 1990 avait déjà posé le cadre d'un dialogue politique poursuivi à différents niveaux (chefs d'Etat et de gouvernement, ministres, directeurs politiques, experts des groupes de travail). L'enjeu pour l'Union européenne apparaît clair : il s'agit d'obtenir de son partenaire la reconnaissance d'un rôle politique à la mesure de son poids économique. Pour les Etats-Unis, les perspectives demeurent plus ambiguës. Si un accord est recherché, c'est bien souvent pour obtenir des Européens un appui aux positions et thèses défendues par Washington.

Le scepticisme relatif que peuvent inspirer les relations transatlantiques se trouve conforté par une double observation. D'une part, les Etats-membres n'ont pas en partage une approche commune des relations à nouer avec les Etats-Unis. D'autre part Washington privilégie, quand il s'agit de traiter des questions essentielles, les relations bilatérales au détriment du cadre institutionnel classique dont se trouvent également exclues les questions de sécurité réservées à l'Alliance atlantique.

Les rapports avec le Canada suivent quant à eux suivre un schéma institutionnel comparable à celui mis en place avec les Etats-Unis.

Les consultations régulières pourraient déboucher sur un plan d'action éventuellement assorti d'une déclaration politique avant la fin de la présidence italienne en juin prochain.

b) Une visibilité encore insuffisante des actions horizontales :

Trois domaines où la coopération à quinze a connu des succès inégaux méritent ici d'être distingués.

. La sécurité : un bilan inégal

Trois actions communes ont été adoptées dans ce domaine.

La première, adoptée par le Conseil en juillet 1995 dans la perspective de la préparation de la Conférence de 1995 des Etats parties au traité de non-prolifération (TNP), visait d'une part à susciter de nouvelles adhésions à ce traité et, d'autre part, à parvenir à un accord pour la prorogation indéfinie du traité. Les démarches entreprises par les Quinze ont porté leurs fruits. Elles semblent avoir joué un rôle décisif dans la prorogation indéfinie décidée à New York en mai 1995. Mais cette action est restée sans doute trop discrète car le résultat n'a pas été réellement porté au crédit de l'Union européenne. Par ailleurs, l'application de l'action commune est restée inachevée puisque l'assistance de l'Union aux Etats tiers pour favoriser leur adhésion au traité ne s'est pas concrétisée.

Les deux autres actions communes ont connu une fortune plus inégale. Le contrôle des biens à usage civil et militaire a fait l'objet d'un règlement et d'une action commune. Le dispositif juridique ainsi mis en place a illustré cependant la complexité de la répartition des compétences respectives du Conseil et de la Commission.

Enfin dans le domaine du désarmement, l'Union a adopté, à l'initiative de la France, une action commune relative aux mines antipersonnel , s'assignant trois objectifs : la lutte contre l'usage des mines terrestres antipersonnel, la préparation de la conférence de révision de la convention de 1980, le soutien accordé à l'effort de déminage. A cette fin, un moratoire sur l'exportation des mines constituait une première étape. De plus, l'Union européenne a versé 3 millions d'écus au fonds d'affectation volontaire des Nations Unies pour financer des opérations de déminage en Angola et au Mozambique.

. Drogue et terrorisme : les difficultés de coordination inhérentes à la structure d'un traité en trois piliers

Dans ce domaine, les efforts de deux groupes de travail créés à l'heure de la coopération politique européenne se prolonge aujourd'hui dans le cadre de la PESC.

Ces questions intéressent cependant les trois piliers et posent des problèmes de cohérence non résolus. Aussi bien le bilan apparaît décevant et se limite à la coordination des positions des Quinze au sein des instances internationales et à des démarches diplomatiques auprès des pays tiers.

. Le rapprochement des représentations diplomatiques et consulaires

Une position commune avait fixé le cadre d'un éventuel regroupement des missions diplomatiques des Quinze et des délégations de la Commission dans les pays tiers. Le projet Abuja au Nigeria constitue une première ébauche dans ce sens. Un mémorandum a été signé entre les Etats parties tandis que la Commission, maître d'oeuvre du projet, a procédé à une expertise sur place.

S'agissant des affaires consulaires, les obstacles liés à des pratiques et des conceptions juridiques différentes rendent problématiques les tentatives de rapprochement. Il faut cependant mentionner les efforts entrepris pour coordonner les opérations d'évacuation des ressortissants européens dans les pays tiers.

*

* *

Bien que la mise en oeuvre de la PESC ait favorisé une intensification des échanges entre les Etats membres, elle n'a pas réellement permis un saut qualitatif par rapport à l'ancienne coopération politique européenne.

Deux constats s'imposent au terme de trois années de pratique.

En premier lieu, malgré l'existence d'instruments nouveaux, les positions et les actions communes, les outils classiques de la CPE, déclarations et dialogue politique restent privilégiés. Ces méthodes, en effet, qui n'impliquent pas un réel engagement de la part des Etats membres, paraissent adaptées à une diplomatie principalement déclaratoire.

Enfin, la diversification des champs d'intérêts géographiques, l'organisation institutionnelle d'un dialogue politique ont beaucoup alourdi les conditions de gestion de la PESC. Les obligations de la présidence, même épaulée par deux Etats membres dans le cadre de la troïka, se sont ainsi multipliées sans lui permettre toujours de se concentrer sur l'essentiel.

La dispersion du champ d'intérêt, la multiplication d'une diplomatie déclaratoire apparaissent les symptômes d'un même mal : l'incapacité, aujourd'hui, des Etats membres à s'accorder sur une politique étrangère qui engage davantage que les bonnes intentions.

Le dispositif institutionnel mis en place dans le second pilier visait pourtant à dépasser ce constat d'impuissance relative auquel avait conduit la CPE. Il n'y est guère parvenu, le bilan dressé par votre rapporteur a tenté de le souligner. Il convient maintenant d'en comprendre les raisons. Car seule une analyse claire des insuffisances de la PESC permettra de méditer sur les conditions d'une politique étrangère commune plus efficace et d'avancer des propositions dans ce sens.

*

* *

DEUXIÈME PARTIE :
UN DISPOSITIF INSTITUTIONNEL INADAPTÉ

Il serait trop aisé de faire porter sur les seules insuffisances du traité de Maastricht, les désillusions liées à la mise en oeuvre de la PESC.

Il n'en demeure pas moins que le dispositif juridique conçu par les négociateurs s'est révélé, à l'expérience, inadapté.

Le processus de décision, d'abord, les conditions de mise en oeuvre de la PESC ensuite, ne permettent de garantir ni la cohérence ni l'efficacité de l'intervention de l'Union européenne, deux conditions pourtant requises pour une politique extérieure commune.

I. LE PROCESSUS DE DÉCISION : LA DIFFICULTÉ D'EXPRIMER UNE VOLONTÉ COMMUNE

La logique intergouvernementale retenue pour le second pilier ne favorise guère la rapidité des procédures de décision et la capacité d'initiative des Quinze.

Il appartient au Conseil, réuni dans sa formation « Affaires générales » 6 ( * ) , compétent pour l'ensemble de la politique extérieure de l'Union (PESC et relations extérieures communautaires), de définir et de mettre en oeuvre, notamment à travers les positions communes ou les actions communes, les décisions relatives à la PESC (article J 8 paragraphe 2).

Il assure également l'unité, la cohérence et l'efficacité de l'action de l'Union.

Dans les situations d'urgence, le Conseil peut se réunir à la demande de la Commission ou d'un Etat membre dans un délai de 48 heures, ou un délai plus court encore « en cas de nécessité absolue ».

Le Conseil ne saurait toutefois constituer le cadre où s'élabore la décision. Tout au plus représente-t-il l'instance d'arbitrage de dernier ressort. Il ne peut pas davantage représenter l'Union sur la scène internationale : ni sa composition -encore élargie à de nouveaux Etats membres- ni son mode de fonctionnement ne le désignent comme l'interlocuteur des Etats tiers avec lesquels l'Union entretient un dialogue politique.

Les formules prévues par les dispositions du second pilier, ou instaurées à la faveur de la pratique institutionnelle, se sont efforcées de concilier principes de coopération intergouvernementale et efficacité. Le résultat apparaît pour le moins contrasté.

A. EN AMONT, L'UNIFICATION DES PROCÉDURES DE DÉCISION RESTE PROBLÉMATIQUE

Le nombre des Etats membres et la diversité des opinions qu'ils représentent constitue, on le sait, un obstacle pour la définition d'une diplomatie cohérente. Or, la multiplicité des organes intéressés au processus de décision, jugée sans doute nécessaire pour parvenir à une attitude commune entre des parties prenantes si nombreuses, ne fait, en définitive, que redoubler les difficultés.

Il convient en effet de distinguer d'une part le secrétariat général du Conseil, organe permanent au service du Conseil, des trois niveaux de réunion préparatoires au Conseil (les groupes de travail, le Comité politique, le Comité des représentants permanents). Chacune de ces instances jouent un rôle dans la préparation des décisions liées à la PESC. Le tableau, toutefois serait incomplet s'il n'évoquait pas le réseau des télégrammes chiffrés consacrés à la correspondance européenne (« COREU » dans le jargon de Bruxelles) dont le rôle s'est révélé utile dans la mise en place de la politique extérieure commune.

Le réseau coreu permet en effet aux partenaires de l'Union européenne d'entretenir un dialogue télégraphique permanent, notamment entre les réunions (Conseil européen, Conseil Affaires Générales, Comité politique, réunions des groupes de travail ...). Le réseau coreu sert à échanger des informations sur ces réunions (ordre du jour, relevés de conclusions, renseignements pratiques ...) mais aussi d'autres documents au titre de la PESC (projets de déclarations, projets d'interventions de l'Union européenne devant les instances internationales ou lors de conférences internationales, démarches, rapports de chefs de mission en pays tiers, comptes rendus de visites de la Troïka). Conformément au règlement intérieur du Conseil (article 8.4), il permet également d'arrêter dans certaines conditions des décisions, pour autant qu'elles n'aient pas de portée communautaire.

Il constitue à ce titre un outil indispensable d'information, de consultation et de gestion quotidienne de la PESC.

1. Le secrétariat général du Conseil : un rouage important mais méconnu

a) La place du Secrétariat général dans les institutions européennes

Le secrétariat général du Conseil s'était constitué, en marge du Traité de Rome, pour répondre aux besoins du Conseil et de sa présidence sollicité toujours davantage par l'essor des activités de l'Union. Le Traité a consacré ce développement institutionnel (article 151 paragraphe 2 CE) et reconnaît également la fonction de secrétaire général.

Ce dernier, nommé à l' unanimité par le Conseil, dirige un ensemble de services dans l'ensemble peu étoffés. Ainsi, après la fusion du secrétariat général de la Coopération politique européenne au sein du secrétariat général du Conseil, l'unité PESC placée sous l'autorité d'une direction générale des relations extérieures et de la PESC, ne compte guère plus d'une vingtaine de personnes.

b) Le rôle du secrétariat général

Son rôle est d'assister la présidence, au niveau des réunions préparatoires du Conseil comme du Conseil lui-même, en lui fournissant les notes qui permettent d'orienter les débats et finalement, souvent, la position adoptée.

Le secrétariat joue de la sorte un rôle décisif non seulement en organisant les travaux liés à la PESC, mais aussi en contribuant à définir la teneur de la politique adoptée. Ce point mérite toute l'attention, comme on le verra dans la dernière partie du rapport, au moment où se pose la question de la pertinence d'un mandat confié à un « M. PESC » et où certains considèrent que ce mandat pourrait se confondre avec celui de secrétaire général du Conseil.

2. Les instances préparatoires du Conseil : la difficile conciliation entre l'impératif d'efficacité et les principes d'une coopération intergouvernementale

L'organisation des travaux liés à la PESC fait intervenir des groupes de travail et le Comité des représentants permanents. Rien ne distingue, à ce stade, le domaine de la politique étrangère des autres questions soumises au Conseil. Cependant, à ce schéma classique, s'ajoute l'intervention du Comité politique dont il importe de préciser le rôle.

Cette particularité, liée en fait à l'héritage de la CPE, manifeste la primauté, consacrée dans le cadre du second pilier, à l'intergouvernemental. La logique intergouvernementale inspire d'ailleurs, de façon plus implicite, l'organisation des groupes de travail.

a) Les groupes de travail

En effet, bien que les procédures s'organisent selon des modalités différentes dans le premier et le second piliers, le cadre institutionnel obéit au principe de l'unicité. Ce principe commandait en conséquence la fusion des groupes de travail de l'ancienne coopération politique avec le groupe de travail du Conseil compétents pour les relations extérieures communautaires.

Les groupes de travail réunissent les fonctionnaires des capitales à ceux des représentations permanentes nationales installées à Bruxelles. La Commission et le secrétaire général du Conseil sont par ailleurs pleinement associés à leurs travaux.

Le rôle du groupe de travail est de parvenir à un accord à trois niveaux différents d'élaboration d'une politique étrangère commune :

- analyse commune sur la situation d'un pays tiers ou sur une question multilatérale et sur l'attitude qu'il convient d'adopter en conséquence ;

- propositions soumises à l'approbation du Comité politique sur les conditions pratiques de mise en oeuvre de la PESC (démarches, déclarations) ;

- recommandations pour des initiatives ultérieures reprises, le cas échéant, par le Comité politique dans le cadre d'un avis au Conseil.

La fusion des groupes de travail est restée problématique au point que le Conseil du 12 juin 1994 a dû rappeler la nécessité d'insérer « tous les groupes de travail dans un processus préparatoire unifié, conforme au cadre institutionnel unique établi par le traité et destiné à assurer la cohérence de l'ensemble de l'action extérieure de l'Union » 7 ( * ) . Ces retards témoignent de l'inertie des structures administratives mais aussi des difficultés soulevées par la conciliation entre l'unicité du cadre institutionnel et la double logique, communautaire pour les relations extérieures du premier pilier, intergouvernementale pour la PESC dans le cadre du second pilier.

A ces difficultés, s'ajoute le problème de l'articulation des compétences entre le Comité politique et le Comité des représentants permanents.

b) Comité politique et Comité des représentants permanents

Le Comité politique composé des directeurs des affaires politiques des ministères des affaires étrangères des Quinze exerce sa fonction traditionnelle d'organe de consultation et concertation dont il se trouvait investi par la CPE. Au terme de l'article J 8 paragraphe 2, il suit la situation internationale, contribue à la définition de la politique étrangère en soumettant des avis au Conseil à la demande de celui-ci ou de sa propre initiative et il veille enfin à la mise en oeuvre des décisions adoptées par le Conseil dans le domaine de la politique étrangère.

En un mot le Comité politique exerce les compétences dévolues dans l'ordre communautaire par le COREPER. Or le COREPER intervient également dans le domaine de la politique étrangère. Comment s'articule dès lors les compétences entre les deux instances ?

En fait, il revient au COREPER d'assurer la responsabilité de préparer l'ordre du jour du Conseil -dont tous les points doivent figurer au préalable sur son propre ordre du jour-. Cette compétence constitue une innovation 8 ( * ) par rapport à l'Acte unique qui confiait au comité politique une compétence exclusive pour la préparation de l'ordre du jour du Conseil pour les questions de politique étrangère.

L'examen de cette organisation institutionnelle révèle la tension entre deux tendances contradictoires : d'une part le souci d'assurer la cohésion du processus décisionnel à travers le maintien d'un cadre institutionnel unique, d'autre part la logique intergouvernementale peu compatible avec la mécanique institutionnelle de l'Union européenne.

B. UN MODE DE DÉCISION INADÉQUAT

1. La confusion des modalités de vote

a) Le consensus, mode d'adoption privilégié des décisions

Malgré la faculté prévue dans le traité de recourir au vote à la majorité qualifiée, le Conseil n'a jamais utilisé cette possibilité.

Rigidité excessive de la règle (la possibilité de recourir au vote à la majorité qualifiée était conditionnée par un vote à l'unanimité) ? Manque de volonté politique ? Votre rapporteur pencherait plutôt pour cette dernière hypothèse. Il convient cependant d'observer que la procédure à l'unanimité n'a pas été beaucoup plus utilisée que le vote à la majorité, signe d'une réelle réticence à procéder dans le domaine de la politique étrangère à une délibération conclue par un vote . Le risque d'obliger un Etat à s'opposer clairement à une attitude commune et donc à assumer la responsabilité d'un échec de l'Union a paru trop grand. Comment conjurer cette menace ? Le Conseil a trouvé la solution en faisant prévaloir, ou plutôt en maintenant, la règle du consensus qui ne nécessite pas de vote.

Qu'aucun Etat ne souhaite prendre la responsabilité de reconnaître clairement son opposition par un vote, c'est là sans aucun doute une tendance fâcheuse qui condamne la politique étrangère à cette dérive déclaratoire que l'on connaît aujourd'hui.

b) L'utilisation indécise des instruments

Au sein même des nouveaux instruments de la PESC, la confusion s'est introduite. Les positions communes l'emportent de beaucoup sur l'adoption d'actions communes : une procédure plus simple, exempte en particulier de l'intervention, nécessaire pour les actions, du Conseil européen, explique sans doute cette évolution.

En outre certains des Etats membres, et plus particulièrement le Royaume-Uni, se sont régulièrement montrés hostiles à l'emploi des actions communes. En effet, bien que strictement encadrée et, en définitive, jamais utilisée, la faculté d'un recours à un vote à la majorité a servi de repoussoir aux tenants du maintien d'une coopération sur une base exclusivement intergouvernementale.

Dès lors, les positions peuvent servir de base à des actions. Les actions elles-mêmes n'ont parfois été mises en oeuvre que pour entreprendre de simples mesures administratives.

Cette confusion apparaît la principale raison de la perte de substance des instruments nouveaux et, singulièrement, des actions communes. Ces dernières, investies en théorie de la charge politique la plus forte, se voient doublement limitées. D'une part, leur contenu politique n'apparaît pas toujours à la mesure d'une réelle ambition géostratégique. L'observation des élections en Afrique du Sud ou en Russie ne saurait en effet épuiser le champ d'une politique étrangère commune ambitieuse dans ces régions. En outre, la portée des actions communes s'est trouvée, parfois, singulièrement réduite entre les mandats fixés par le Conseil et les opérations réellement mises en oeuvre.

Le consensus favorise la diplomatie déclaratoire ; procédure simple et substance faible. Voilà, en effet, deux traits propres aux déclarations ou autres démarches qui s'accordent bien à l'engagement amoindri qu'impliquent les décisions prises par consensus.

La PESC a ainsi poursuivi sur la voie de la coopération politique européenne. Bien que l'usage ait établi le consensus pour l'adoption des positions ou des actions communes, les scrupules à l'égard de la lettre du traité qui prévoit explicitement l'unanimité, ou peut-être simplement le poids des habitudes, ont conduit à privilégier les manifestations classiques de la diplomatie européenne.

Les pratiques antérieures liées à la coopération politique européenne se sont pérennisées au mépris de la hiérarchie qui, dans l'esprit des négociateurs du traité de Maastricht, devait régler l'utilisation des différents instruments.

2. La représentation de l'Union européenne sur la scène internationale : un manque évident de visibilité

a) La rotation des présidences

Il appartient au pays assurant la présidence du Conseil de représenter l'Union pour toutes les questions relevant de la PESC (article J 5, paragraphe 1). De même, la responsabilité de la mise en oeuvre des actions communes lui incombe à titre principal. On le sait, la présidence tournante tous les six mois ne favorise guère la continuité, pourtant nécessaire à l'expression d'une politique étrangère. Un acteur qui change ainsi régulièrement de visage a de quoi déconcerter ses partenaires. Sur la scène internationale, la pièce peut se prolonger bien au-delà de 6 mois : que l'on songe par exemple au processus de paix au Proche-Orient ou dans l'ancienne Yougoslavie. On connaît le mot fameux de Kissinger : « je veux bien parler à l'Europe, mais donnez-moi un numéro de téléphone ».

b) Une formule imparfaite : la troïka

C'est pourquoi le traité permet d'associer à la présidence le pays ayant exercé la présidence précédente et celui destiné à l'exercer ensuite. Cette « troïka » est devenue l'usage pour représenter l'Union dans le cadre des démarches qu'elle est appelée à entreprendre à l'égard des pays tiers. Toutefois si cette solution procure une plus grande continuité, elle présente l'inconvénient de constituer une représentation à trois têtes. l'Union perd ici en visibilité ce qu'elle gagne en pérennité.

II. LA MISE EN OEUVRE DE LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE : UNE COHÉRENCE INSTITUTIONNELLE INSUFFISANTE

A. L'AUTONOMIE DES MOYENS COMMUNAUTAIRES AU REGARD DE LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE COMMUNE

1. L'unicité du cadre institutionnel : une cohésion apparemment sauvegardée

a) Une structure en piliers problématique

On sait quels furent les débats lors des négociations de Maastricht et à quels compromis laborieux ils conduisirent. Ce principe de l'unicité du cadre institutionnel combiné à des règles de fonctionnement différents -dont témoigne la séparation du traité en pilier- tendait à répondre à des aspirations contraires. L'expérience allait attester la difficulté de faire fonctionner efficacement le dispositif ainsi mis en place.

Pour la politique étrangère, la Commission doit partager avec le Conseil un pouvoir d'initiative dont elle a par ailleurs l'exclusivité pour les politiques communautaires. En second lieu, dans le cadre du second pilier, elle laisse au Conseil, et en particulier à la présidence, la responsabilité de l'application des décisions , responsabilités dont elle se trouve investie pour l'ensemble des politiques communautaires. Cette séparation n'appellerait pas dans son principe d'objections particulières si elle s'était accompagnée de la mise en place au sein de chaque « pilier » de « blocs de compétence » cohérents organisés selon des procédures homogènes. Cela n'a pas été le cas dans le domaine de la politique étrangère de l'Union. Il appartient au Conseil de définir les axes politiques des relations de l'Union avec les pays tiers tandis que la Commission continue de gérer selon les principes communautaires les relations commerciales extérieures ainsi que l'aide dispensée aux Etats ou aux zones extérieures à l'Union.

D'un côté, une volonté politique privée de moyens et condamnée ainsi à l'impuissance ; de l'autre, un ensemble de moyens financiers et d'aides laissé sans direction politique, tels seraient, en forçant à peine les traits, les risques de la partition opérée dans le domaine de la politique étrangère.

b) Les interactions prévues dans le traité

Les négociateurs ont bien senti les dangers que l'organisation institutionnelle faisait courir à la cohérence de la politique étrangère commune. Aussi ont-ils d'abord réaffirmé le principe d'une cohésion indispensable et prévu différentes hypothèses d'interaction.

Les organisateurs ont d'abord souligné leur préoccupation de l'indispensable cohérence de l'action de l'Union sur la scène internationale. L'article C du traité sur l'Union européenne pose à cet égard le principe décisif :

« L'Union veille, en particulier, à la cohérence de l'ensemble de son activité extérieure dans le cadre de ses politiques en matière de relations extérieures, de sécurité, d'économie et de développement. Le Conseil et la Commission ont la responsabilité d'assurer cette cohérence. Ils assurent, chacun selon ses compétences, la mise en oeuvre de ces politiques ».

La rédaction témoigne d'un certain embarras puisque si le principe de cohérence est rappelé, il doit également s'accommoder du respect des compétences de chaque institution. Certains pays, soucieux de défendre les droits de la Commission, ont ainsi pesé sur la rédaction du traité. La mention, retenue dans l'article précité, relative au respect et même au développement de l'acquis communautaire, leur donne satisfaction.

Les principaux articles auxquels renvoie le second pilier garantissent l'unicité du cadre institutionnel 9 ( * ) .

Deux dispositions permettent cependant d'établir un lien opératoire entre les deux piliers. La première porte sur le financement des dépenses administratives liées à la PESC, prises en charge au terme de l'article J 11 paragraphe 2, par le budget des communautés européennes selon les procédures de droit commun. Votre rapporteur reviendra un peu plus loin sur la question du financement de la PESC.

La seconde disposition porte sur un domaine précis mais essentiel des relations extérieures : les sanctions économiques . L'article 228 A du traité CE prévoit, sur la base d'une position ou d'une action commune, la suspension ou la réduction des relations économiques par un vote à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission. C'est peut-être le seul exemple dans le traité où se trouve explicitée la procédure entre une décision politique au titre de la PESC et la mise en oeuvre de moyens communautaires. Cependant, la question des sanctions économiques a pu donner prise au soupçon de la contagion des politiques communautaires par la logique intergouvernementale. En effet, la pratique a montré à plusieurs reprises que les positions ou actions communes prédéterminaient souvent le contenu même des sanctions. Ainsi, la procédure communautaire dans son double aspect -initiative de la Commission, vote à la majorité qualifiée- perd de sa pertinence.

Si le débat peut ainsi se développer sur un point qui fait pourtant l'objet d'un dispositif explicite, on peut imaginer combien il trouve matière à le développer lorsque le traité n'a rien prévu alors même que les interactions se présentent à tout moment dans la politique étrangère entre premier et second piliers.

2. La difficile coordination des instruments communautaires au service de la politique étrangère commune

a) La Commission : un souci constant pour protéger ses prérogatives

Le texte du traité se préoccupe davantage de préserver les compétences de chaque institution plutôt que d'établir des moyens de mieux coordonner les actions conduites au titre de la PESC et celles gérées dans le cadre communautaire.

Revenons ainsi un instant sur les actions communes. Ne s'agit-il pas en principe de définir une stratégie globale vis-à-vis d'un pays ou d'une zone géographique (par exemple les pays d'Europe centrale et orientale, par exemple encore la Méditerranée). Comment ces orientations arrêtées dans le cadre de la PESC ne comprendraient-elles pas la mise en oeuvre d'aides financières ou l'utilisation des programmes communautaires (Phare et Tacis par exemple pour le pacte de stabilité) ?

Mais la Commission, appuyée par un certain nombre de pays spécialement attachés à la dynamique communautaire, cherche à préserver son autonomie. Elle peut s'appuyer, on l'a vu, sur la lettre même du traité qui n'en appelle au principe de cohérence que pour mieux affirmer le nécessaire respect des attributions de chaque institution.

Au-delà de la sauvegarde de ses pouvoirs, la Commission se pose, comme l'y invite le traité 10 ( * ) , en gardienne de l'acquis communautaire. La tendance de la PESC à inclure des dispositions relevant du premier pilier lui donne ainsi l'occasion de contester la formulation de certains actes PESC ou d'opposer à leur mise en oeuvre une sourde résistance. Ainsi, dans le cas du Rwanda, la Commission a contesté le droit pour le Conseil d'orienter, par les objectifs fixés dans une position commune, les instruments communautaires (en l'espèce la gestion de la convention de Lomé).

Bien qu'elle puisse se fonder sur des arguments légitimes, la position de la Commission ne peut que contrarier le souci de cohérence, condition indispensable de l'efficacité de la PESC.

b) Des solutions de compromis peu satisfaisantes

La pratique et l'expérience ont certes permis de parvenir le plus souvent à des solutions de compromis mais au prix de négociations longues et difficiles. Les forces que les Européens épuisent dans leurs discussions internes n'auraient-elles pas été consacrées avec plus de profit à la négociation diplomatique avec les pays tiers ?

Sans doute le Conseil a-t-il tenté de trouver à ce différend une solution plus durable que les compromis hasardeux élaborés au cas par cas. Pourtant le modus vivendi conçu par le Conseil ne résout rien : un instrument PESC peut en effet se référer à des actions communautaires si ces dernières sont formulées de façon très générale et dans le plein respect de l'autonomie et des principes de travail communautaire.

Le Conseil a ainsi précisé en juin 1995 qu' « une position commune se limite donc à noter, le cas échéant, les mesures prises par la Communauté ou que la Commission a l'intention de proposer pour la mise en oeuvre des décisions spécifiques de la Communauté qui découlent de la position commune ». De même les actions communes doivent se borner à « énoncer » les mesures communautaires nécessaires « telles que proposées par la Commission » à l'appui des actions communes.

Aussi bien le Conseil s'est-il davantage employé à rassurer la Commission sur le respect de ses compétences propres qu'à mettre au point un moyen de surmonter et d'arbitrer les éventuelles divergences. La logique institutionnelle l'a emporté sur la logique de l'efficacité .

B. LE FINANCEMENT DE LA PESC : UN DISPOSITIF COMPLEXE DONT L'ÉVOLUTION POURRAIT CONDUIRE À UNE REMISE EN CAUSE DE L'ÉQUILIBRE INSTITUTIONNEL PRÉVU DANS LE CADRE DU SECOND PILIER

L'application des décisions prises au titre de la PESC n'emporte pas seulement la mise en oeuvre des politiques communautaires du premier pilier, elles peuvent également requérir la mise en place des moyens de financement adéquats.

Or, les procédures de financement prévues par le traité paraissent singulièrement complexes et inadaptées, en particulier dans des situations d'urgence. En outre, la pratique observée dans la mise en place des actions ou des positions communes traduit une dérive dans le partage des pouvoirs en faveur du Parlement européen, susceptible à terme de remettre en cause l'équilibre institutionnel prévu dans le cadre du second pilier.

1. Un dispositif complexe

Malgré l'aridité du sujet, il n'est sans doute pas inutile d'entrer dans les arcanes du financement de la PESC ; les modes de financement retenus n'apparaissent pas neutres en effet au regard de la répartition des pouvoirs entre les institutions.

La matière est réglée dans le traité par l'article J 11 qui distingue les dépenses administratives des dépenses opérationnelles de la PESC.

a) Les dépenses administratives

Les dépenses administratives relèvent automatiquement du budget général des communautés européennes. Il importait cependant de lever une double incertitude d'une part sur la nature des dépenses administratives, d'autre part sur leur imputation budgétaire.

S'agit-il de la section I (Conseil) ? Le droit de regard du Parlement européen sera dans cette hypothèse réduit puisque au terme d'un accord informel en date du 22 avril 1990, le Parlement européen ne s'immisce pas dans le budget du Conseil. S'agit-il de la section III (Commission) et le Parlement européen retrouve alors un entier pouvoir de contrôle .

Le Conseil s'est accordé, en juin 1994, pour porter à la charge de la section III les traitements et frais de voyage des personnels de la Commission responsable dans le domaine de la PESC. Par ailleurs il a décidé d'imputer sur la section I trois types de dépenses : les frais de gestion courante de la PESC (fonctionnement de l'unité PESC au sein du secrétariat général du Conseil, engagement d'experts à titre temporaire, frais de déplacement de la Présidence et de la troïka), mais aussi, sur décision du Conseil et selon les circonstances , les frais préparatoires à la mise en oeuvre d'une action opérationnelle et les frais d'encadrement et de coordination sur le plan administratif d'une action opérationnelle mettant seulement en oeuvre des moyens en hommes et en matériels.

Cette définition des dépenses administratives a convenu, dès l'origine, au gouvernement français car elle permettait le financement par le Conseil des dépenses lié au Pacte de stabilité (conférence, tables rondes, missions de la troïka ...).

Le Parlement européen avait plaidé pour une autre solution : les dépenses suscitées par une action commune avant son adoption formelle par le Conseil devaient prendre place dans la section I. Une fois la décision prise, les dépenses relevaient du volet administratif de la section Commission.

b) Les dépenses opérationnelles

L'article J 11 du Traité prévoit une double possibilité pour le financement des dépenses opérationnelles. Le Conseil peut en premier lieu décider à l'unanimité de les mettre à la charge du budget des communautés européennes. Il peut en second lieu « constater » que les dépenses opérationnelles doivent peser sur les Etats membres selon une clef de répartition qu'il ne précise pas.

Dans la première hypothèse, la procédure budgétaire normale s'applique. Dans la mesure où il s'agit de dépenses non obligatoires le Parlement européen dispose du dernier mot (art. 203 c). La Commission pour sa part assure l'exécution du budget sous le contrôle de la Cour des comptes européenne.

La seconde hypothèse ne bénéficie pas des garanties de contrôle et surtout de prévisibilité qu'emporte nécessairement le cadre budgétaire communautaire. Par ailleurs, elle implique une répartition des dépenses selon des critères qui peuvent toujours prêter à contestation même si le Conseil s'est accordé, en juin 1994, pour répartir les dépenses selon la clé du produit national brut.

2. Une remise en cause des équilibres institutionnels

Dans la pratique, la prise en charge des dépenses opérationnelles de la PESC est revenue principalement au budget communautaire. Sans doute, le principe d'un financement par les contributions nationales a-t-il connu quelques applications et a pu même se combiner avec un financement communautaire dans une formule mixte retenue, par exemple, pour la prise en charge de l'administration de Mostar par l'Union européenne.

Cependant, la réticence des Etats membres à engager des dépenses supplémentaires, le souci de ne pas ouvrir le débat sur une répartition « équitable » des charges liées à la PESC a conduit le Conseil à privilégier un financement communautaire des dépenses opérationnelles .

La France appuie cette positions dans la mesure où, d'après notre gouvernement, l'action commune doit permettre la mobilisation de l'ensemble des moyens disponibles, tant nationaux que communautaires.

Bien que le mode de financement communautaire ait pu se mettre en place, l'absence d'un réel accord inter-institutionnel fait peser sur la procédure une double hypothèque.

a) Les dépenses liées à la PESC : une définition difficile

La première, d'ordre juridique, a trait à la séparation entre les dépenses liées à la mise en oeuvre de la PESC proprement dite, d'une part, et les dépenses liées aux actions communautaires, d'autre part. La procédure budgétaire s'applique dans les deux hypothèses. Dans le premier cas de figure, il suffit qu'une position ou une action commune aient été décidées par le Conseil, les dépenses afférentes s'imputent alors sur les crédits PESC du budget. Dans le second cas -la mise en oeuvre d'actions communautaires en complément d'une décision prise dans le cadre de la PESC-, la procédure de décision communautaire retrouve tous ses droits : la dépense repose sur un acte communautaire dont l'initiative appartient exclusivement à la Commission qui en assure également l'exécution.

Dans les faits, la distinction entre le financement d'un objectif de politique étrangère commune, par les dépenses opérationnelles de la PESC ou par les crédits liés aux politiques communautaires n'apparaît en rien évident. Un même type d'opération, comme le déminage, pouvant entrer dans le cadre des crédits PESC ou des crédits des politiques communautaires, au titre, dans ce cas précis, des actions de développement.

Le COREPER a recommandé que la source de dépenses soit indiquée au moment même de la définition d'une position commune ou de l'adoption d'une action commune. Le plus souvent, cependant, la mise au point des mécanismes de financement demande de patientes négociations au cours desquelles chaque institution entend préserver ses droits et son autonomie. Inutile de souligner combien cette procédure répond peu aux nécessités de l'urgence.

b) Le rôle accru du Parlement européen

Le financement des dépenses opérationnelles ne soulève pas seulement, à travers cette répartition comptable des crédits, le problème du partage des pouvoirs entre la Commission et le Conseil, il pose aussi la question du rôle du Parlement européen. En effet, on s'en souvient, les dépenses opérationnelles de la PESC ont été considérées comme des dépenses non obligatoires . Le Parlement européen peut dès lors fixer le cadre budgétaire de leur financement ainsi d'ailleurs que les montants à prévoir. On ne s'étonnera pas qu'il ait fait usage de ses facultés. Il a ainsi arrêté à la faveur de la deuxième lecture du budget 1995 une structure complète pour le financement de la PESC 11 ( * ) . Par ailleurs, le Parlement européen n'a pas hésité, de sa propre initiative, à abonder les crédits destinés à l'administration de Mostar . Cette institution s'est octroyée de la sorte la capacité d'influencer la politique étrangère commune bien au-delà des attributions qui devaient lui revenir au terme de l'esprit initial du traité. Cette évolution liée à l'imprécision du texte sur les modalités de financement ne contrarie pas seulement une organisation institutionnelle où le rôle éminent revient en principe au Conseil. Elle pourrait également conduire au paradoxe de conférer au Parlement européen un rôle plus grand dans la politique extérieure que celui dévolu aux parlements nationaux.

Sans doute une diplomatie commune plus réactive que dynamique s'accommode sans trop de difficulté d'une procédure de financement caractérisée par sa complexité et sa lourdeur. A l'inverse, une politique étrangère commune plus active impliquerait une clarification et une simplification des mécanismes actuels.

TROISIÈME PARTIE :
FONDER LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE COMMUNE
SUR DE NOUVELLES BASES

Les instruments prévus par le traité pour mettre en place une politique étrangère commune ont révélé des faiblesses. Aussi votre rapporteur s'attachera-t-il maintenant à avancer quelques propositions qui pourraient contribuer à remédier à ces défaillances et préparer les voies d'une diplomatie européenne plus efficace.

Trois préoccupations d'ordre différent ont guidé votre rapporteur dans les suggestions présentées.

En premier lieu il convient de ne pas oublier les réactions de nos partenaires européens ; trop souvent le souci d'apporter des solutions efficaces aux lacunes du dispositif actuel conduit à présenter des idées séduisantes certes, mais inacceptables pour certains pays. On peut certes vouloir réduire le poids des « petits pays » que certains jugent, non sans raison, excessifs, mais comment espère-t-on obtenir leur adhésion à ce diminis capitio . La réforme de la PESC, ne l'oublions pas, s'inscrit dans un processus de négociation dont la conférence intergouvernementale fixe le cadre. Il ne faut pas perdre de vue cet arrière-plan qui détermine les chances de succès des propositions avancées.

En second lieu, l'analyse des instruments de la politique étrangère commune l'a montré, toutes les possibilités inscrites dans le second pilier n'ont pas été utilisées, ou l'ont été fort mal. Que l'on songe par exemple au vote à la majorité qualifiée, prévu dans le cadre de la mise en oeuvre des actions communes, et resté lettre morte. Aussi faut-il se garder de propositions novatrices que leur ambition même condamnerait à l'échec.

Enfin, si efficaces que soient les dispositions institutionnelles, leur portée resterait illusoire si la volonté politique indispensable à une réelle coopération dans le domaine de la politique étrangère commune continuait à manquer. Car cette volonté des Etats membres apparaît en dernier ressort la vraie condition d'une politique étrangère commune plus efficace. Aussi votre rapporteur tentera-t-il, au-delà des propositions destinées à améliorer l'instrument PESC, de préciser les conditions nécessaires à la naissance d'une réelle volonté politique qui jusqu'à présent, a fait défaut à l'Europe dans le domaine de la politique étrangère.

I. LA NÉCESSAIRE ADAPTATION DES INSTRUMENTS DE LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE COMMUNE

Comment donner à l'Union les moyens d'exercer sur la scène internationale une influence à la mesure des moyens financiers qu'elle consacre à son action extérieure ? L'Union souffre aujourd'hui d'un double handicap : un présence internationale qui n'a ni la visibilité, ni la continuité nécessaires ; un processus de décision peu compatible avec une diplomatie d'initiative.

A. CONFÉRER UNE MEILLEURE VISIBILITÉ À LA POLITIQUE EXTÉRIEURE DE L'UNION

Pour assurer et conforter sa crédibilité dans les relations internationales, l'Union européenne manque d'une autorité capable de s'exprimer au nom des quinze Etats membres. Que peut-elle opposer aux chefs d'Etat ou de gouvernement ou aux ministres des affaires étrangères des grandes puissances ? Une diplomatie à plusieurs voix : celle de la présidence du Conseil, souvent mêlée aux deux autres voix des partenaires de la troïka. Encore ces intervenants suivent-ils en principe une même partition. Mais ils doivent compter également avec le président de la Commission auquel son mandat assure une certaine stabilité et avec les différents commissaires dont les compétences intéressent les relations extérieures.

L'efficacité et à coup sûr la visibilité de la politique extérieure commune gagneraient à ce qu'elle soit exprimée par une seule voix et une seule autorité.

Dans cette perspective, plusieurs solutions ont été avancées. Les premières préconisent le renforcement des institutions existantes. Les secondes prônent la création d'une autorité nouvelle. Ni les unes, ni les autres, votre rapporteur tentera de le montrer, n'emportent vraiment l'adhésion.

1. La création d'un haut représentant pour la PESC

La création d'une nouvelle instance, idée sans doute séduisante, se heurte à plusieurs objections et suscite un certain scepticisme.

a) Les avantages

Comment pourrait se présenter cette autorité ? La seule hypothèse aujourd'hui retenue porte sur la création d'un haut représentant pour la PESC. Il s'agit d'une idée française que notre pays défendra dans le cadre de la CIG de Turin.

Les traits de ce Monsieur -ou Madame- PESC se sont précisés au cours des derniers mois.

Dans l'esprit de ces initiateurs le haut représentant sera nommé pour trois ou cinq ans par le Conseil européen ou le Conseil des ministres pour accomplir les tâches qui lui auront été assignées par les Etats membres. De façon générale il sera investi d'un rôle de représentation et d'animation. Aussi pourra-t-il soumettre des propositions aux Quinze afin de faciliter l'émergence d'une politique commune. A cette fin il devrait disposer des structures d'analyse nécessaires sous la forme d'un secrétariat général du Conseil renforcé.

La proposition française présente un double mérite. D'une part, elle peut s'appuyer sur les précédents constitués par la nomination de hauts représentants de l'Union pour gérer des aspects particuliers de la politique étrangère notamment pour l'ancienne Yougoslavie. Ces nominations ont d'abord montré l'existence d'une impossibilité et d'un besoin : l'impossibilité de participer à Quinze à la négociation, doublée de la nécessité pour l'Union d'être représentée dans un processus où elle engage des fonds considérables. L'expérience en second lieu, a donné satisfaction, malgré les inévitables accrocs liés au caractère inédit de l'opération. Ainsi la mise en place d'un haut représentant généraliserait-elle une expérience qui a paru s'imposer d'elle-même dans l'ancienne Yougoslavie.

Mais l'initiative française présente un autre avantage car au-delà d'une représentation unifiée, l'institution d'un haut représentant favoriserait incontestablement l'unification du processus de décision dont votre rapporteur a souligné combien il apparaissait pour l'heure, fragile.

b) Les inconvénients

Cependant l'initiative française soulève plusieurs interrogations. En premier lieu, elle se heurte à l'opposition générale de nos partenaires. Les partisans d'une coopération plus étroite dans le domaine de la PESC tendent en effet à privilégier le renforcement du rôle de la Commission destinée de par ses compétences et son expérience acquise dans l'action communautaire extérieure à jouer un rôle éminent d' « animation » de la diplomatie européenne.

L'idée de haut représentant heurte également les tenants de la coopération intergouvernementale classique. La notion, on l'a vu, emporte au-delà de la simplification du mode de représentation de l'Union sur la scène internationale une dynamique d'unification du processus de décision. L'évolution possible de l'action du Monsieur PESC pourrait s'inscrire dans un schéma fédéral que personne n'envisage sérieusement pour le moment.

L'option française a semblé cependant recevoir l'agrément de l'Allemagne. En effet la déclaration franco-allemande de Fribourg du 27 février 1996 rendue publique, à l'issue d'une rencontre entre les ministres des affaires étrangères, plaide pour la création d' « une nouvelle fonction qui contribue à une meilleure visibilité et à une meilleure cohérence de la PESC ». La formulation relativement vague en témoigne, la France s'est acquis le soutien allemand au prix d'une ambiguïté. Quelle sera la nature de l'autorité ainsi instituée ? En d'autres termes, s'agira-t-il d'une personnalité politique ou d'un haut fonctionnaire ? Les Français songent à la première hypothèse tandis que les Allemands penchent pour la seconde. La question toutefois n'est pas seulement d'ordre symbolique et risque donc de décider du succès de cette proposition. En effet un haut représentant doté d'une réelle stature politique comme par exemple le Secrétaire général de l'OTAN, paraît seul en mesure d'exercer les missions que la France entend assigner à cette fonction.

Nos partenaires ne sont pas aujourd'hui prêts à cette solution trop audacieuse. Le ministre allemand des affaires étrangères, en craignant que le haut représentant ne s'érige en instance concurrente des ministres des affaires étrangères, et en réaffirmant le rôle déterminant que le Conseil devait continuer de jouer dans l'exercice de la PESC, ne s'est pas fait seulement l'écho des préoccupations allemandes mais aussi du sentiment dominant des Etats-membres.

Faut-il conférer au haut représentant pour la PESC une dimension seulement administrative ? Cette solution modeste dans son ambition et susceptible de constituer une formule de compromis n'est guère satisfaisante. La fonction ainsi créée redoublera les instances compétentes dans le domaine de la politique étrangère sans bénéficier de l'autorité -que seule une stature politique lui conférerait- nécessaire à la coordination et la capacité d'initiative requises pour la politique étrangère.

Aussi bien, si votre rapporteur appuie la position française, il craint qu'une solution de compromis ne vienne encore compliquer une structure de décision déjà bien lourde et peu efficace.

2. Les autres solutions possibles

Quelles sont, dès lors, les autres solutions capables de satisfaire l'objectif auquel devait répondre le haut représentant : donner un visage à la diplomatie européenne ?

Parmi les différents dispositifs envisagés, trois retiennent spécialement l'attention. Ils visent chacun à renforcer le rôle de trois institutions européennes : la Commission, le Conseil, le secrétariat général.

a) Faut-il renforcer le rôle de la Commission ?

Il peut paraître en premier lieu judicieux de confier à la Commission, ou plutôt à son représentant, le rôle d'exprimer d'une seule voix le point de vue des Quinze et d'animer la politique étrangère commune. Trois raisons plaident dans ce sens.

Le président de la Commission doté d'un mandat de quatre ans renouvelable et fort de l'autorité internationale que lui ont conférée ses titulaires successifs, remplit manifestement les conditions de visibilité et de notoriété requises pour affirmer la présence de l'Union sur la scène internationale.

En outre le rôle éminent joué par la Commission dans l'action communautaire extérieure (relations commerciales, aide au développement, aide aux pays d'Europe orientale et centrale) permettrait au président, s'il était investi d'une nouvelle responsabilité politique, de veiller à la meilleure coordination entre les orientations politiques fixées par le Conseil et la mise en oeuvre des politiques communautaires.

Enfin, le président de la Commission disposerait dans l'exercice de cette mission de représentation, de la capacité d'expertise et d'évaluation que lui procurent les directions générales de la Commission et ses délégations à l'étranger.

Cette solution pourtant n'est ni souhaitable, ni possible. Ni souhaitable parce que même encadré par un mandat précis du Conseil et investi de la seule fonction de représentation, le président de la Commission sera toujours soupçonné de vouloir déterminer la diplomatie européenne à la place du Conseil. Compte tenu de la stabilité de la fonction et des moyens dont dispose le président, ce soupçon pourrait à la longue se justifier quelles que soient les bonnes intentions du titulaire du mandat.

Or cette évolution n'est guère acceptable car elle reviendrait à remettre en cause le cadre intergouvernemental choisi par les Etats-membres pour la PESC et en dernier ressort, l'existence d'un second pilier. Inutile de souligner combien cette évolution et les conséquences limitatives qu'elle emporterait sur la souveraineté des Etats apparaissent aujourd'hui très éloignées des objectifs des Quinze.

En second lieu, cette évolution n'apparaît guère possible du fait de la dispersion des compétences liées à la politique étrangère entre quatre commissaires différents 12 ( * ) . La logique institutionnelle qui conduit à représenter les Etats-membres par un ou deux commissaires apparaît incompatible avec le souci d'efficacité et de cohérence qui doit présider à la définition de la politique étrangère commune.

b) Les moyens de conforter le rôle du Conseil

Faut-il dès lors revenir à l'autre pôle du pouvoir dans les instances européennes, le Conseil, et en renforcer la présidence ? On le sait, le système d'une présidence tournante tous les 6 mois n'est guère compatible avec la continuité et la visibilité nécessaires à la PESC. Le principe de la troïka n'a que partiellement remédié à ces faiblesses. Une double orientation permettrait de donner à la présidence l'autorité nécessaire à la représentation de l'Union dans les relations internationales : l'allongement de la durée de la présidence d'une part, le renforcement du rôle des « grands pays » d'autre part.

La première réforme n'est concevable que si la seconde est mise en oeuvre. En effet cette proposition dans ses deux aspects s'inscrit dans la perspective d'un élargissement rapide de l'Union. Dans un ensemble élargi à plus de vingt Etats, les grandes puissances européennes dotées des moyens suffisants pour représenter l'Union sur la scène internationale forment un club étroit et minoritaire. De nombreux Etats appelés pendant 6 mois à donner une impulsion décisive à la politique étrangère commune n'ont pas toujours ni les moyens nationaux nécessaires, ni même l'ambition d'assumer ce rôle.

Toutefois il ne peut être question d'exclure un Etat de la présidence de l'Union. Cette perspective n'aurait aucune chance de l'emporter dans le processus de réforme institutionnelle engagé à Turin.

Serait-elle d'ailleurs souhaitable ? Ce n'est pas si sûr. L'existence de la présidence constitue en effet, notamment pour les nouveaux Etats-membres un exercice très utile d'intégration européenne . La préparation des Conseils, le rôle de coordination qu'elle implique, favorisent en effet une prise de conscience par l'Etat assurant la présidence, des responsabilités européennes. Les présidences espagnoles et leur succès reconnu, en apportent un témoignage significatif.

Sans doute une solution mixte, une présidence exercée par un grand Etat chef de file, associé à un groupe limité d'autres Etats comme l'a suggéré M. Yves Guéna 13 ( * ) , apparaît-elle plus adaptée. Mais pour réunir l'accord de tous les Etats-membres, cette proposition devrait s'inscrire dans une modification de l'actuel équilibre institutionnel. Elle impliquerait sans doute en contrepartie que les « grands Etats » renoncent à désigner, chacun, deux représentants au sein de la Commission. Au terme de la CIG, le compromis institutionnel se fera sans doute, sur des bases plus modestes et des modifications plus limitées.

En dernier ressort, la voie la plus satisfaisante, celle qui a également le plus de chance de recevoir l'accord de l'ensemble des pays de l'Union, invite à renforcer le rôle du secrétaire général du Conseil. Cette solution présente pour votre rapporteur trois mérites essentiels : elle s'inscrit d'abord dans le prolongement d'une coopération intergouvernementale dont le secrétariat général du Conseil constitue le support administratif. Elle utilise ensuite une instance existante, bien placée au coeur de la préparation des travaux du Conseil pour jouer non seulement le rôle de porte-parole du Conseil, mais aussi donner l'impulsion nécessaire à la PESC et en assurer le suivi. Enfin, nommé par le Conseil européen à l'unanimité, le secrétaire général dispose de l'autorité requise pour donner à la PESC la visibilité et la continuité qui lui font aujourd'hui défaut.

Cette proposition pourra paraître limitée au regard de l'institution d'un haut représentant disposant d'une stature politique et destiné à se consacrer entièrement à la politique étrangère commune. Mais les esprits ne sont pas encore mûrs pour cette avancée décisive dans la mise en oeuvre d'une diplomatie européenne. Aussi, dans l'immédiat, la modestie apparaît-elle à la fois nécessaire et suffisante. Nécessaire car il vaut mieux utiliser une instance existante, le secrétariat général du Conseil, plutôt que d'accepter en guise de compromis la création d'une entité au profil administratif nécessairement redondant. L'habitude française de résoudre un problème en superposant les institutions les unes aux autres plutôt qu'en cherchant à élaguer ou améliorer le fonctionnement des institutions existantes nous est trop familière pour que nous puissions nous rallier à une demi-mesure.

En second lieu, à trop se concentrer sur la question de la représentation de la politique étrangère on perd de vue le problème de fond de la mise en place d'une politique étrangère commune : l'accord indispensable des Etats membres. Continuité et visibilité sont sans doute indispensables mais croit-on remplir ces conditions par l'institution d'une autorité nouvelle ou le renforcement d'une instance existante ? Quelle que soit la solution retenue, l'institution chargée de représenter les Quinze sera condamnée à l'impuissance si les Etats-membres apparaissent incapables de dégager une attitude commune. Inversement une réelle détermination de l'Union lui conférera influence et autorité sur la scène internationale, que cette volonté s'exprime à plusieurs voix ou comme il est certes préférable, à une seule.

Aussi convient-il de ne pas inverser l'ordre des priorités, le problème de la représentation de l'Union apparaît second par rapport aux moyens de favoriser l'émergence d'une volonté commune.

B. AMÉLIORER L'EFFICACITÉ DE LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE COMMUNE

Aussi votre rapporteur tentera-t-il d'examiner les adaptations requises pour rendre le dispositif consacré à la politique étrangère commune plus efficace.

L'efficacité dépend d'une double condition. Il faut d'abord donner à l'Union la capacité d'agir et non pas seulement de réagir dans le domaine de la politique étrangère commune. Il convient ensuite de mobiliser avec une rapidité accrue les moyens indispensables à la mise en oeuvre des orientations des Quinze.

1. Favoriser la capacité de décision

Pour donner à l'Union européenne une réelle capacité d'initiative, il faut d'une part encourager la concertation le plus tôt possible, et d'autre part empêcher que la capacité d'action de l'Union ne soit bloquée par l'opposition d'un Etat-membre. Comment adapter le processus de décision dans ce sens ?

a) Unifier le processus de décision en amont

Dans un monde en changement, où la nécessité d'agir rapidement et même d'anticiper l'événement s'impose avec une particulière acuité, les procédures liées à la préparation de la PESC paraissent inadaptées. Il convient d'une part de simplifier les différents mécanismes existants mais d'autre part, et surtout, de donner plus de densité à la coopération politique.

La multiplicité des instances compétentes dans la préparation du Conseil ralentit la prise de décision sans garantir par ailleurs une concertation suffisante. La simplification des procédures répond au double objectif de rationalisation et de cohésion. Elle suppose en premier lieu que soient conduits à leur terme le processus d'unification des groupes de travail et la réduction de leur nombre.

Enfin l'articulation des compétences entre le comité politique et le comité des représentants permanents mériterait d'être précisée, quitte à confier à la première instance la responsabilité principale pour la préparation du Conseil quand il s'agit de trancher des questions relevant de la politique étrangère.

Cependant le comité politique ne se réunit qu'une fois par mois, les groupes de travail, nombreux, trop nombreux, se tiennent de façon épisodique. Les mécanismes institutionnels de coopération ont privilégié le nombre plutôt que la densité.

Aussi apparaît-il indispensable de mettre en place une instance de concertation permanente entre les Etats membres . Trop souvent en effet les représentants des Etats membres se réunissent à Bruxelles pour discuter de points de vue arrêtés par chacun des gouvernements. L'élaboration d'une politique commune s'inscrit dès lors dans un processus classique de négociation et supporte une double contrainte : le temps -souvent long de la discussion- et le compromis -l'alignement sur le plus petit dénominateur commun. L'impuissance de l'Union observée dans l'ancienne Yougoslavie doit nous tenir lieu de leçon : la concertation au sein des instances de l'Union arrivait trop tard, après que chaque gouvernement eut élaboré dans le secret des cabinets ministériels des positions difficilement conciliables.

Il importe de préparer un accord le plus tôt possible dans les étapes de la décision et de favoriser en conséquence l'émergence d' une analyse commune de la situation internationale . A cet égard la « cellule d'analyse commune » présentée pour la première fois par le gouvernement italien et soutenue par l'ensemble des Etats-membres et la Commission constituerait une avancée très prometteuse. Elle reste cependant en-deçà du rôle dont cette instance de concertation devrait être chargée.

Cette entité doit pouvoir en effet lancer les initiatives communes que lui inspirera son analyse de la situation internationale. Elle posera ainsi les bases d'un futur accord que devront parfaire les groupes de travail, le comité politique puis le Conseil.

Mais pour jouer ce rôle d'initiateur, l'instance de concertation permanente ne doit pas réunir de simples experts qui, si compétents soient-ils dans les domaines de l'analyse et de la prospective, n'auraient pas d'influence sur leurs administrations nationales respectives, mais des diplomates de haut rang, entourés le cas échéant, par une équipe de collaborateurs.

Structure d'analyse et de proposition de première instance associant également des représentants de la Commission et du secrétariat général du Conseil, cet organe ne trancherait naturellement pas toutes les oppositions, mais il clarifierait les positions et faciliterait les conditions dans lesquelles l'arbitrage pourrait être rendu à un niveau supérieur.

b) Les conditions de vote

Si les conditions d'émergence d'une volonté majoritaire -plutôt que de l'impossible volonté commune- peuvent être favorisées, encore faut-il qu'elles ne soient pas paralysées au stade du Conseil par les mécanismes de décision. Dans cette perspective les règles de vote devraient être assouplies.

Il convient de concilier le principe d'efficacité avec le respect de la souveraineté des Etats qui doit continuer à présider à l'élaboration de la politique étrangère commune. Aussi faut-il distinguer deux plans dans l'élaboration de la PESC : les décisions de principe, les décisions d'application. Les premières continueront à relever d'un vote à l'unanimité. L'abstention d'un ou de plusieurs Etats-membres ne doit toutefois pas faire obstacle à une initiative pour laquelle un très large accord s'est fait. Dans cette hypothèse, l'abstention constructive (« opting out » en anglais) permet à un Etat de ne pas s'associer à une entreprise commune, sans toutefois en interdire la mise en oeuvre. Ainsi l'abstention constructive ménage une voie intermédiaire entre le veto toujours possible et le consentement.

L'assouplissement des conditions de vote doit aller au-delà. Sur ce plan, le vote à la majorité qualifiée doit pouvoir se généraliser pour la mise en oeuvre des orientations du Conseil.

Le vote à la majorité, prévu par le traité n'a jamais été utilisé. Le dispositif actuel en verrouille l'usage puisque le Conseil décide à l'unanimité des mesures d'application qui seront adoptées à la majorité qualifiée.

La règle devrait être inverse : le Conseil décidant à la majorité que certaines modalités d'application seront adoptées à l'unanimité.

Comme d'ailleurs le préconisait le rapport précité de M. Guéna, sans doute serait-il souhaitable que la majorité qualifiée prenne en compte un double critère : pourcentage des voix et seuil démographique, les décisions n'étant acquises qu'à condition de recueillir l'approbation des Etats représentant les deux tiers de la population de l'Union.

L'assouplissement des règles de vote conduira-t-il à un changement réel des pratiques ? On le sait, la faculté de recourir au vote à la majorité n'a jamais été utilisée et plus encore, la procédure de vote elle-même s'est effacée au profit du consensus. Deux observations paraissent ici s'imposer. En premier lieu, même si la pratique du consensus devait perdurer, la menace d'un recours au vote -et notamment au vote à la majorité- aujourd'hui trop strictement encadrée, peut avoir un effet dissuasif pour certains Etats et les conduire plus rapidement à un accord.

La pérennisation d'habitudes anciennes ne serait toutefois guère satisfaisante, aussi la deuxième observation portera-t-elle sur la nécessité de fixer un cadre général favorable à la procédure du vote à la majorité. Il semble indispensable à cette fin de mieux délimiter le champ d'action de la politique étrangère commune. Les interventions de l'Union apparaissent en effet aujourd'hui beaucoup trop dispersées. Dans la perspective d'une réforme du second pilier, la CIG offre pour les Quinze l'occasion de déterminer les régions et les domaines d'action pour lesquels ils entendent conduire une politique commune. En ce qui concernent ces orientations du reste, l'expérience des quatre années écoulées permet d'en fixer les grands traits. La Méditerranée, les pays d'Europe orientale et centrale et la CEI présentent du point de vue de la sécurité et de l'économie, des enjeux communs à l'ensemble des pays membres. Par ailleurs, de façon générale, les questions de sécurité sont de celles où les Quinze ont le plus grand intérêt à agir de concert. En conséquence les Etats-membres devraient s'entendre pour fixer ces priorités dans le traité lui-même. L'unanimité ayant été dégagée sur ces principes d'action, le recours au vote et en particulier au vote à la majorité, présenterait sans doute moins de difficulté.

2. La mise en oeuvre des décisions : une cohérence à rétablir

Améliorer l'efficacité du processus de décision resterait toutefois inutile si la mise en oeuvre des orientations du Conseil devait continuer à pâtir des conflits entre le Conseil et la Commission et des ambiguïtés du mode de financement. Il importe d'améliorer les modalités d'application de la PESC dans cette double dimension institutionnelle et financière. La réforme envisagée reste commandée par le souci de conforter le Conseil dans son rôle directeur pour la PESC en tenant compte cependant des prérogatives de la Commission et du Parlement européen. Les propositions de votre rapporteur, sans transiger sur le souci prioritaire d'efficacité, s'efforcent de ménager ces deux institutions.

a) La coordination Conseil-Commission

L'Union européenne dispose dans les moyens communautaires d'un puissant levier pour exercer une réelle influence sur la scène internationale. Encore doit-elle se trouver en mesure d'agir efficacement sur ces instruments dont l'utilisation, certes placée sous l'autorité du Conseil, relève du droit d'initiative exclusif de la Commission. Or la Commission s'est montrée très attentive au respect de ses compétences, et a même tendu à privilégier la sauvegarde de son autonomie au détriment de la cohésion de la politique extérieure de l'Union. Plusieurs arrangements ont tenté d'établir le moyen de porter remède à cette faiblesse. Mais ces obstacles d'ordre institutionnel ne peuvent être levés de l'avis de votre rapporteur que par une modification du traité lui-même.

Au terme d'une nouvelle rédaction, la Commission doit concourir aux décisions fixées par le Conseil et proposer les mesures qu'implique la mise en oeuvre de ces principes . Le droit d'initiative de la Commission est préservé mais doublement contraint : il devient une obligation dans le cadre de la PESC et le contenu des propositions apparaît prédéterminé par les orientations du Conseil. Ce nouveau dispositif implique en contrepartie de la part du Conseil une discipline accrue dans la formulation de ses décisions : définition d'objectifs précis et le cas échéant des moyens subséquents, dans l'ordre communautaire notamment.

Certes, objectera-t-on, voilà la capacité d'initiative de la Commission réduite, dans ce contexte, à un faux-semblant. L'argument appelle trois remarques. Il mérite en premier lieu d'être nuancé, en effet l'initiative de la Commission est encadrée pour les seules mesures de mise en oeuvre de la politique étrangère commune. Dans tous les domaines où elle dispose d'un droit d'initiative exclusif la Commission peut continuer d'agir sans décision préalable de la PESC. Ainsi, elle peut adopter dans l'ordre commercial les dispositions qui lui paraissent propres à répondre à ses objectifs (contre-mesures prises au titre de la politique commerciale).

Par ailleurs si la Commission est liée par les orientations du Conseil dans ce domaine, elle conserve à l'instar de chacun des Etats-membres, la capacité de proposer à l'Union d'intervenir sur la scène internationale.

Enfin la Commission, précisément pour jouer conjointement ce rôle d'impulsion avec chacun des Etats-membres, doit être associée étroitement à l'ensemble des travaux du Conseil dans le cadre de la « cellule d'analyse et de proposition » dont votre rapporteur préconise la mise en place. Dans la mesure où la Commission aura ainsi accompagné dès l'origine le processus de décision, les dispositions prises par le Conseil ne pourront être perçues comme imposées par une instance à l'autre.

b) Les modalités de financement

Si la mise en oeuvre de la PESC mérite ainsi davantage de cohésion, le mécanisme de financement doit lui aussi, être clarifié. Trois cas de figure apparaissent concevables. Les Quinze peuvent s'accorder sur une simple déclaration sans aucune implication concrète. L'Union, on le sait, a plutôt abusé de cette diplomatie déclaratoire.

La mesure adoptée peut en second lieu impliquer la mise en oeuvre de moyens communautaires classiques. Dans cette hypothèse et sous réserve d'une coordination améliorée selon les termes qui viennent d'être indiqués, la question du financement est automatiquement réglée. Les fonds sollicités (FED, TACIS ou autres) étant par hypothèse pourvus.

Mais dans un troisième cas de figure, la PESC peut requérir des actions qui ne relèvent pas du champ communautaire classique. Dans cette dernière hypothèse, le traité a prévu deux possibilités alternatives : un financement par contributions nationales, un financement sur le budget communautaire. On l'a vu dans ce dernier cas, les dépenses considérées comme non obligatoires relèvent d'une procédure budgétaire au terme de laquelle le Parlement européen a le dernier mot. Par ce biais cette institution a gagné un pouvoir d'influence dans le domaine de la politique étrangère, peu conforme à l'esprit même du traité. Il importe de mettre fin à cette dérive.

Deux solutions apparaissent ici possibles. Le principe des contributions nationales peut être, seul, retenu. La pratique toutefois l'a montré, les Etats se montrent réticents à recourir à ce système. Deux raisons l'expliquent. D'une part ce financement suppose un effort supplémentaire par rapport à la contribution versée au budget communautaire, alors même que la quasi-totalité des Etats membres affichent aujourd'hui, et sans doute encore pour longtemps, un souci de rigueur budgétaire.

D'autre part le système de contributions nationales suppose que soit définie une clef de répartition entre les Etats-membres avec toutes les difficultés que peut susciter ce genre d'exercice. Exercice encore plus délicat si l'on admet les possibilités pour un Etat, en vertu du droit à l'abstention constructive, de ne point s'engager en faveur d'une initiative de l'Union. Le principe d'une coopération unitaire conduirait sans doute, dans cette hypothèse, à imposer une contribution à tous les Etats, mais dans la pratique, cette solution n'apparaît guère réaliste.

Aussi convient-il de conserver l'option possible entre contributions nationales et financement communautaire. Cette dernière alternative présente en effet l'avantage d'un financement déjà assuré sans les interrogations que suscite la mise au point d'une clef de répartition ad hoc. Il importe toutefois d'inscrire ce financement dans le cadre des dépenses obligatoires de la communauté. Le Parlement européen ne dispose pas du dernier mot pour cette catégorie de dépenses.

Sans doute la Commission exerce-t-elle dans le cadre de la procédure budgétaire la plénitude de ses attributions. Certains pourront la soupçonner de vouloir reprendre dans ce domaine une responsabilité excessive dans la définition de la PESC. Mais dans le cadre institutionnel proposé par votre rapporteur, où la Commission apparaît strictement liée par les décisions du Conseil, ce risque éventuel paraît conjuré.

Du reste, ce n'est pas en terme d'opposition mais plutôt d'association qu'il convient d'envisager les rapports entre ces deux instances, le Conseil conservant la primauté dans un domaine qui touche si étroitement la souveraineté des Etats.

Mais le Parlement européen ? Se résignera-t-il à cette modification de nomenclature budgétaire qui, au-delà de son aspect technique, remet en cause la capacité d'influence qu'il avait su gagner ? Il faut ici apporter trois remarques. En premier lieu, soulignons-le encore, cette capacité d'influence résulte d'une évolution sans doute permise par certaines imprécisions du traité, mais nullement prévue par le texte et encore moins conforme à son esprit.

Ensuite il serait paradoxal que le Parlement européen puisse, par le biais budgétaire, commander la politique étrangère de l'Union, alors que cette prérogative dévolue à l'exécutif dans un certain nombre de pays membres n'est pas reconnue aux parlements nationaux. Enfin sans doute serait-il opportun d'organiser au sein du Parlement européen, à échéance régulière (tous les six mois par exemple) un débat sur les orientations adoptées par le Conseil dans le domaine de la politique étrangère commune.

Sans doute ces propositions, modestes dans leur formulation, conduisent à un réaménagement de l'équilibre des pouvoirs entre les différentes institutions. Le champ du dispositif reste toutefois strictement borné à la politique étrangère commune. La primauté reconnue au Conseil ne fait que tirer les conséquences de la logique de coopération intergouvernementale reconnue et admise par tous les Etats membres.

Toutefois, et paradoxalement le souci de ménager, au moins sur la forme, les Etats membres, traditionnellement les plus favorables à la dynamique communautaire, avait conduit, au moment de la rédaction du traité, à des ambiguïtés, source de difficultés peu compatibles avec la mise en oeuvre d'une la diplomatie européenne efficace. Aussi les modifications proposées par votre rapporteur entendent-elles clarifier et expliciter toutes les implications juridiques du principe de coopération intergouvernementale retenu pour la politique étrangère commune.

S'il apparaît aujourd'hui nécessaire de tenir compte de l'expérience de quatre années de mise en oeuvre de la PESC et de corriger, à la faveur de la CIG, les lacunes ou les obscurités du traité, cette démarche ne saurait suffire.

La logique instrumentale à l'oeuvre dans les dispositions initiales du traité de Rome -aujourd'hui regroupées dans le premier pilier- ne peut s'appliquer pour la politique étrangère. Votre rapporteur ne croit pas inutile de le rappeler, il est vain d'espérer qu'un dispositif juridique ingénieux et l'habitude de travailler ensemble, finiront par produire une volonté commune. Sans volonté politique préalable, le traité restera une coquille vide.

Faut-il se résigner cependant à invoquer la nécessité d'une volonté politique et s'en remettre au hasard des circonstances et à la bonne fortune pour que se réalisent les conditions propres à décider l'Union à agir de concert ? Votre rapporteur ne le croit pas. Cependant avant de mieux préciser les moyens qui permettront de « forcer » l'avènement d'une volonté commune, il convient de prendre une juste mesure des difficultés de l'entreprise.

II. LA VOLONTÉ POLITIQUE : CONDITION D'UN NOUVEL ÉLAN POUR LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE COMMUNE

A. LE JEU AMBIGU DES DIPLOMATIES NATIONALES

Chacun des Etats-membres stigmatise régulièrement l'impuissance de l'Union à affirmer une présence forte sur la scène internationale et proteste de son attachement à la coopération à Quinze ; il rejette avec non moins de régularité le défaut de progrès sur la mauvaise volonté de ses autres partenaires. Ce leitmotiv, devenu une rhétorique familière dans les enceintes européennes, masque mal aujourd'hui malentendus, et même opposition entre les Quinze. Quant à la France, son engagement en faveur d'une politique étrangère commune ne ferait pas de doute s'il ne s'accompagnait d'ambiguïtés qu'il importe de lever.

1. Des volontés hétérogènes

L'Union certes ne constitue pas un ensemble homogène. Dans l'ordre économique les différences touchent au degré de développement. Les politiques communautaires mises en place notamment par le biais des fonds structurels ont d'ailleurs réussi à corriger en partie les inégalités de départ. Cependant en matière de politique étrangère ce ne sont pas des différences de degré mais des différences de nature qui séparent les Etats-membres. L'inégalité flagrante des réseaux diplomatiques de chacun des Etats-membres atteste cette disparité des ambitions diplomatiques au sein même de l'Union.

La volonté et la capacité de conduire une diplomatie sur un plan réellement international signalent la principale ligne de partage entre deux groupes de pays au sein de l'Union. Leur démographie, le poids de leur économie, mais aussi une longue tradition diplomatique, autant d'éléments qui destinent la France, l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie, le Royaume-Uni à assumer des responsabilités à l'échelle du monde. Mais cette première ligne de partage est encore trop schématique et paraît loin d'épuiser l'infinie variété des sensibilités au sein de chacun des deux groupes de pays.

a) Un premier groupe de pays : des diplomaties spécialisées

Ces pays n'ont certes pas renoncé à des ambitions internationales mais leur champ d'intérêt a tendu à se spécialiser à un domaine particulier ou une zone géographique circonscrite. Ainsi les anciennes puissances coloniales continuent de porter un intérêt marqué pour leurs anciens territoires émancipés.

Un passé commun, la présence sur le sol national de communautés étrangères issues de ces anciennes possessions, expliquent sans doute au-delà de la période de l'indépendance, la pérennité de liens parfois, d'ailleurs, tendus. Que l'on songe par exemple aux relations entre les Pays-Bas et l'Indonésie ou entre la Belgique et le Zaïre.

L'héritage colonial constitue sans doute pour l'Union un facteur d'ouverture mais il peut également présenter le risque de concentrer la politique étrangère sur un problème particulier au risque de borner trop étroitement le champ d'horizon de la diplomatie européenne. Ainsi la question, certes préoccupante, de Timor mise en avant par les Portugais à la veille du Sommet Europe-Asie de Bangkok n'apparaissait pas à la mesure des enjeux que présentait le succès de cette réunion. Dans la circonstance les Européens ont su cependant conjurer le risque d'une désaffection de l'Indonésie.

Tropisme des relations avec les anciennes colonies pour certains Etats-membres, priorité accordée aux droits de l'homme pour les autres.

Cette préoccupation caractérise plus particulièrement la diplomatie des pays scandinaves. Sans doute l'attachement aux droits de l'homme et aux libertés constitue le bien commun le plus précieux de l'Union. Ces valeurs partagées forment avec le maintien de la paix les ressorts ultimes de la construction européenne. La défense des droits de l'homme devait nécessairement, dans cette perspective, occuper un volet conséquent de la diplomatie européenne.

Mais votre rapporteur l'a déjà beaucoup souligné, la mise en avant des valeurs et droits fondamentaux s'inscrit trop souvent dans une vision excessivement réductrice des relations internationales. La traduction sur le terrain de cette diplomatie par ailleurs essentiellement déclaratoire, l'intervention humanitaire, apporte le meilleur témoignage de cette ambiguïté. L'exemple yougoslave l'a montré, l'humanitaire peut servir de caution à l'inaction en portant remède à un mal que la communauté internationale n'a pas su ou voulu prévenir. Aussi, une réelle politique étrangère commune ne saurait-elle se réduire au seul volet humanitaire.

b) Les ambiguïtés des ambitions européennes des « grands » pays de l'Union

Incontestablement les pays du second groupe placent leurs préoccupations internationales sur une échelle plus large. Mais ici encore les champs d'intérêt paraissent loin de former un ensemble homogène. Par ailleurs si ces cinq pays disposent pour conduire une politique internationale, tantôt des moyens adéquats, tantôt d'une réelle volonté, ils ne conjuguent pas forcément la seconde aux premiers.

Sans doute retrouve-t-on dans les priorités des politiques étrangères de ces pays, les tropismes des liens tissés avec les anciennes colonies : la France et l'Afrique, le Royaume-Uni et le Commonwealth, l'Espagne et l'Amérique latine. Ces rapports, malgré leur force, n'ont toutefois pas revêtu un caractère exclusif.

De façon plus préoccupante au regard de la mise en oeuvre d'une politique étrangère commune, les Etats n'ont pas toujours su accorder leurs moyens et leur volonté. Ainsi le poids économique et le rayonnement culturel de l'Allemagne lui permettraient de peser de façon décisive sur la scène diplomatique. Cependant, malgré quelques avancées, les réticences de ce pays à s'engager résolument dans le cadre d'opérations de maintien de la paix conduites sous l'égide des Nations Unies, restent un frein à l'exercice d'une réelle influence mondiale.

Pour le Royaume-Uni la situation semble plus complexe et presque inversée par rapport à l'Allemagne ; Londres n'a pas renoncé à jouer un rôle sur la scène internationale mais ne dispose pas toujours des moyens financiers et militaires à la mesure de ses ambitions. Par ailleurs le Royaume-Uni se montre régulièrement hostile à une coopération politique européenne plus poussée.

L'Italie, l'Espagne ne paraissent pas très éloignées de la situation britannique mais ces pays affichent quant à eux leur attachement à une politique étrangère commune. La France s'inscrit, elle aussi sur une même ligne. Mais sa position n'est pas toujours sans ambiguïté et éveille parfois les soupçons de nos partenaires.

Aussi convient-il de s'interroger maintenant sur l'attitude de notre pays à l'égard de la politique étrangère commune.

2. La position de la France : toutes les ambiguïtés n'ont pas été levées

A vrai dire, si les progrès accomplis dans la mise en oeuvre d'une politique étrangère commune doivent beaucoup à la France et s'inscrivent d'ailleurs dans une action poursuivie de longue date, les intentions de notre pays mériteraient sans doute d'être clarifiées et l'adaptation de notre dispositif diplomatique, amélioré.

a) Les incertitudes

Sans doute la France conserve-t-elle encore aujourd'hui une capacité d'initiative décisive pour le renforcement de la coopération européenne. Cependant les propositions françaises ne sont pas toujours très bien perçues par nos partenaires. D'une part la volonté européenne de la France n'est pas toujours exempte d'une certaine ambiguïté. D'autre part notre pays n'apparaît plus aujourd'hui, comme il l'a longtemps été, au coeur de la majorité européenne.

L'ambiguïté de la position française, si l'on veut bien y revenir un instant, se manifeste dans les motivations souvent invoquées dans le débat national pour justifier l'intérêt d'une politique étrangère commune. Ne s'agit-il pas d'abord d'utiliser le levier européen, et la puissance financière qu'il confère, pour redonner à la France l'influence qu'elle ne peut plus exercer seule ?

Votre rapporteur n'aura certes pas la naïveté de discuter la pertinence de ce puissant ressort du soutien que notre pays apporte à l'Europe. Toutefois, trop souvent l'Europe se voit assigner une fonction purement instrumentale ; on attend de nos partenaires qu'ils cautionnent et soutiennent des vues élaborées dans l'ombre des cabinets ministériels français. Du moins est-ce souvent ainsi que sont perçues les positions françaises. Les clichés ont la vie dure et le soupçon d'un retour à l' « impérialisme » français peut se rallumer sans mal.

Cette caricature injuste est souvent le fait de pays pour qui l'inaction tient lieu de méthode dans le domaine de la politique étrangère. Encore faut-il ne pas y donner prise et pratiquer davantage la concertation . L'analyse de nos intérêts nationaux doit mieux prendre en compte les perspectives européennes et les positions de nos partenaires ; cette démarche certes est engagée dans de nombreux pans de notre action diplomatique mais il faut la conforter et la poursuivre.

Une évolution apparaît d'autant plus souhaitable que l'effet démultiplicateur dont notre action diplomatique peut bénéficier à travers une politique étrangère commune, se justifie de moins en moins aujourd'hui. En effet l'influence française a longtemps reposé sur notre capacité à fédérer autour de nos positions une majorité d'Etats-membres.

La France ne figure plus désormais aussi souvent au coeur de la majorité européenne . Tandis que, comme l'ont montré les difficultés d'application des accords de Schengen, certains contentieux sur des questions essentielles (et notamment la politique à adopter sur les problèmes de la drogue) nous opposent à certains de nos voisins, la réprobation par une majorité d'Etats-membres des essais nucléaires français a souligné les limites d'une solidarité européenne.

La France doit cependant conjurer toute tentation de repli sur soi et retrouver les conditions de son rayonnement en Europe. Il en va des progrès de la coopération au sein de l'Union. L'histoire en porte en effet le témoignage : la capacité d'initiative française reste le ressort essentiel de la construction européenne.

b) Jouer le jeu de la coopération européenne et améliorer notre dispositif diplomatique

Comment la France peut-elle regagner cette position décisive au centre de la construction européenne ? Sans doute, notre pays doit-il en premier lieu jouer pleinement le jeu de la coopération au sein des instances de l'Union. Sans doute encore, faut-il mieux adapter notre dispositif diplomatique aux nécessités d'une politique étrangère commune. Cette double orientation n'est pas hors de portée ; il appartient en effet à la France, sous sa seule responsabilité, de la mettre en oeuvre.

La France n'exerce pas encore toute l'influence dont elle pourrait disposer au sein des institutions européennes. Un exemple, seulement, permettra de le montrer. Sait-on ainsi que le Royaume-Uni est le seul pays de l'Union à communiquer une part substantielle de ses télégrammes diplomatiques au secrétariat général du Conseil ? Apparent paradoxe pour un Etat membre qui s'est rarement signalé par sa ferveur européenne : les Britanniques influencent en amont avec discrétion mais efficacité le travail du secrétariat du Conseil et, partant, les positions de la présidence. En effet, les documents fournis ne constituent pas seulement une précieuse source d'information pour le secrétariat, ils orientent ainsi, dans une certaine mesure, son analyse de la situation internationale. Or, les notes préparées par cet organe servent souvent de base à la position défendue par le pays assurant la présidence de l'Union et à la discussion au sein du Conseil.

Une attitude moins restrictive de la France dans la diffusion de l'information lui permettrait peut-être de peser davantage sur les travaux du Conseil.

En second lieu, le dispositif diplomatique français appellerait sans doute quelques adaptations. Les structures du ministère des Affaires étrangères reproduisent en effet la dualité consacrée par le traité de Maastricht entre politiques communautaires extérieures et politique étrangère commune avec les problèmes de coordination et de cohérence que l'on a déjà soulignés. Il existe en effet aux côtés de la direction des Affaires économiques et financières compétentes pour le premier pilier un service de la PESC rattaché à la direction des affaires politiques. Tandis que le SGCI 14 ( * ) assure la coordination interministérielle des positions françaises en matière communautaire, il n'existe pas, au sein même du Quai, une véritable instance coordinatrice entre questions politiques et questions économiques européennes. Dans la pratique, les inconvénients de cette lacune ont pu être surmontés ; mais au moment où dans le cadre de la Conférence de Turin, les Quinze s'efforcent d'améliorer la cohérence de la politique étrangère de l'Union, le dispositif interne français pourrait être revu.

B. LES CONDITIONS D'ÉMERGENCE D'UNE VOLONTÉ COMMUNE

La volonté française, si elle apparaît décisive, ne saurait suffire, cela va de soi, à créer les conditions d'une politique étrangère commune européenne. Dans quelle mesure peut naître une volonté politique commune ? S'en remettre pour l'émergence d'une diplomatie européenne à la seule pratique institutionnelle, même dans le cadre d'un dispositif rénové, apparaît bien aléatoire, votre rapporteur croit l'avoir suffisamment montré. Dès lors deux options fondamentales restent ouvertes : la première invite à une coopération pragmatique (dans la mise en place du groupe de contact dans l'ancienne Yougoslavie) ; la seconde s'efforce à une démarche plus institutionnalisée que votre rapporteur tentera de préciser.

1. L'approche pragmatique

La première option s'écarte de la logique institutionnelle esquissée dans le traité sur l'Union européenne. Elle repose sur l'idée sous-jacente que seule une coopération entre un nombre limité de pays sur un problème déterminé peut produire des résultats. Cette démarche ne s'oppose certes pas à l'amélioration de la PESC mais elle la voue en fait à l'échec car elle pose les bases d'une coopération parallèle et restreinte jugée seule efficace.

Cette orientation a pour principal mérite le pragmatisme mais elle présente aussi le risque de ne pas couvrir l'ensemble des situations où une intervention de l'Union serait nécessaire.

a) Le mérite de la souplesse

L'approche pragmatique est-elle le seul moyen de faire progresser la coopération européenne dans le domaine de la politique étrangère ? Pour les Britanniques qui défendent cette analyse, la réponse est naturellement positive. La méthode présente en effet trois avantages : son réalisme, son absence de formalisme, son efficacité enfin.

Son réalisme d'abord, parce que la démarche empirique se fonde sur une analyse juste des faiblesses de l'Union et des différences de nature qui séparent les pays membres dans leur vision de la politique étrangère. Seuls quatre ou cinq des Etats de l'Union possèdent une vision réellement mondiale de leur diplomatie ; un nombre encore plus réduit dispose de moyens financiers mais aussi militaires à la mesure de leurs ambitions. Encore ces puissances parviennent-elles de plus en plus difficilement à faire entendre leur voix sur une scène que dominent les Etats-Unis. De cette analyse découle une double conséquence : la coopération est nécessaire pour préserver ou reconquérir une influence mais elle ne peut être que réduite à un petit nombre de pays européens.

Or, ce type de coopération ne s'inscrit pas dans la logique communautaire : l'objectif d'intégration heurte le principe, primordial en politique étrangère, de souveraineté, tandis que les règles institutionnelles ne permettent pas la reconnaissance, ici pourtant indispensable, du rôle éminent accordé à un nombre réduit de pays. Demeurer dans le cadre institutionnel classique c'est donc vouer la coopération politique à l'insuccès.

Le deuxième mérite de l'approche empirique réside dans son absence de formalisme. La souplesse de la formule permet en effet à certains pays d'aller de l'avant sans heurter les susceptibilités des autres Etats membres.

Cette souplesse, elle-même, apparaît en dernier ressort la condition de l'efficacité de la coopération. Aucun objectif général n'est fixé par avance : les Etats européens s'associent en fonction de leurs intérêts du moment et s'impliquent dans l'action commune avec d'autant plus de force que leur engagement dépendra de leur seule initiative. Coopération à format variable selon les situations, elle évite ainsi la paralysie d'un débat théologique sur les intérêts de chacun des Etats.

b) Une coopération trop aléatoire

Le pragmatisme pourrait se prévaloir d'un précédent : le groupe de contact mis en place dans le cadre de la recherche d'un règlement pour mettre fin au conflit dans l'ancienne Yougoslavie. Cependant, cette expérience a montré les deux principales limites de l'approche.

La coopération souple ne permet pas en premier lieu l'émergence d'une réelle diplomatie européenne. Le groupe de contact l'a d'ailleurs parfaitement montré : il associait aux trois pays européens (France, Royaume-Uni, Allemagne) la Russie et les Etats-Unis.

Un cadre de concertation aussi élargi n'apparaît pas compatible avec la défense d'une vision européenne des problèmes et des solutions à apporter.

En réalité plaider pour une coopération informelle, c'est plaider pour le statu quo. Le groupe de contact apparaît comme une nouvelle manifestation de cette diplomatie des grandes puissances qui, certes, s'était un peu effacée au moment de la confrontation bipolaire mais devait nécessairement reprendre vie avec l'effondrement du bloc socialiste. Au sein du groupe de contact, les Etats européens ont pu faire entendre leur voix mais ils n'ont pas forcément fait prévaloir leurs vues. Ainsi, la position britannique ne résout en rien le problème essentiel : comment accorder l'influence politique de l'Union à sa puissance économique et financière ? Comment faire émerger l'Union européenne comme un acteur à part entière sur la scène internationale ?

Mais, l'approche pragmatique présente une autre limite ; elle ne permet pas en effet de prendre l'initiative, elle apparaît principalement réactive.

Il suffit du reste pour s'en convaincre d'observer la situation présente où, répétons-le, se manifestent au jour le jour cette démarche pragmatique et ses limites. L'exemple du conflit entre la Turquie et la Grèce sur un rocher de la mer Egée apparaît particulièrement significatif. Si les chancelleries européennes ont agi en coulisse, les Etats-Unis ont paru seuls jouer un rôle de médiateur entre les deux parties. Certes, objectera-t-on, l'exercice se révélait difficile pour l'Union car il mettait en cause un Etat-membre et un autre pays étroitement lié à l'Europe. Mais ces caractéristiques mêmes donnaient à l'Union les moyens d'influence nécessaires et l'invitaient précisément à agir.

En fait, l'approche pragmatique laisse entier le problème de l'émergence d'une volonté politique commune ; elle se borne à fixer le cadre -pour les Britanniques le seul possible- où les pays qui le souhaitent peuvent se concerter et éventuellement agir. Mais cette méthode empirique, à l'oeuvre d'ailleurs aujourd'hui, apparaît bien en-deçà des ambitions que l'Union peut s'assigner sur la scène internationale.

2. Fonder de nouveau la coopération politique autour du couple franco-allemand

Une volonté commune ne peut naître de la seule pratique des instruments juridiques créés dans le traité. Elle ne peut pas davantage se confondre avec l'expression concertée des volontés des puissances européennes dans le cadre trop aléatoire d'une coopération concertée. Faut-il dès lors se résigner à l'échec ? Ne peut-on pas au contraire chercher une autre voie, une option qui allie concertation à un nombre restreint de pays et institutionnalisation minimale ? Il faut en effet tenir compte de la difficulté d'animer d'un seul mouvement la volonté de l'ensemble des Etats-membres, difficulté qui s'aiguisera nécessairement avec l'élargissement. Il convient également, et la démarche se distingue ici d'une approche purement empirique, de ne point s'en remettre au seul hasard des circonstances pour guider la volonté commune.

a) La relation franco-allemande dans le domaine de la politique étrangère commune

Pour votre rapporteur il importe de fonder de nouveau la politique extérieure commune sur le couple franco-allemand. Cette relation ne doit pas être exclusive ; elle n'en reste pas moins la source qui viendra irriguer l'ensemble du dispositif dont on a vu comment il pouvait être amélioré.

Pourquoi la France ? Pourquoi l'Allemagne ? L'expérience fructueuse de notre coopération dans le domaine communautaire, dans la mise en place de l'Union monétaire n'apparaît pas forcément exemplaire pour la politique étrangère. Après tout, dans la crise yougoslave la France s'est sentie souvent plus proche du Royaume-Uni que de l'Allemagne. Le tropisme croate de notre voisin d'outre-Rhin ne rencontrait chez nous, faut-il le rappeler, que fort peu d'écho. Sans doute les points de vue se sont-ils ensuite notablement rapprochés. Mais les Allemands ont été presque absents de la force de réaction rapide dont l'initiative et la mise en place ont entièrement reposé sur la coopération entre la France et le Royaume-Uni.

Cependant la France et l'Allemagne partagent une volonté commune et réelle de faire avancer l'Europe. Les intentions britanniques apparaissent à cet égard moins assurées. Aussi la coopération franco-allemande exerce-t-elle une force d'entraînement au sein même de l'Union. Le couple franco-britannique vaudra, quant à lui, pour lui-même, sans créer de dynamique auprès des autres Etats membres. Une évolution plus favorable au renforcement de la coopération se dessinera peut-être à Londres, mais cette perspective reste à court terme peu probable.

L'entente franco-allemande apparaît donc comme un nécessaire préalable. Elle a déjà montré son rôle moteur en de nombreuses occasions. Elle le peut ici encore, au moment où s'esquisseront de nouveaux équilibres institutionnels à la faveur de la CIG. Certes on vient de le voir, les conditions d'une meilleure coopération dans le domaine de la politique étrangère ne sont pas nécessairement acquises. Toutefois, les atouts ne manquent pas, au premier rang desquels l'engagement européen des deux pays . Mais il existe d'autres facteurs de rapprochement. D'une part chacun des Etats dispose de la stabilité institutionnelle intérieure qui lui confère la capacité -indispensable dans l'ordre de la diplomatie- de conduire des actions sur le long terme.

D'autre part les intérêts des deux pays restent plus complémentaires que contradictoires : le souci de la France de développer les liens entre l'Union et la Méditerranée équilibre la priorité que manifeste l'Allemagne pour les relations avec l'Europe orientale et la CEI. Sur le plan de la sécurité, la France peut également beaucoup apporter à l'Allemagne et cette dimension pourrait jouer un rôle décisif dans le rapprochement des deux pays pour une politique étrangère commune.

Sans doute le tableau doit-il être nuancé. Le dialogue franco-allemand n'est pas toujours exempt d'ambiguïtés : nos partenaires nous ont reproché l'absence de concertation notamment au moment où s'est décidé le choix de la professionnalisation de notre armée. L'Allemagne, pour sa part, marquée par le poids de l'histoire, témoigne encore de beaucoup de prudence pour assumer ses responsabilités sur la scène internationale.

Cependant ces difficultés ne sont pas insurmontables. La position allemande elle-même évolue, notamment au regard de l'engagement de forces militaires dans le cadre des opérations de maintien de la paix.

Du reste la déclaration de Fribourg témoigne d'un rapprochement très encourageant des positions entre nos deux pays. Cependant la concertation franco-allemande n'est pas seulement décisive pour permettre à la CIG d'aboutir à des progrès substantiels dans la mise en place d'instruments efficaces au service de la PESC. Elle doit, par la suite, constituer le ferment d'une volonté commune qui puisse susciter l'adhésion des autres Etats-membres. Aussi cette coopération pour se pérenniser suppose-t-elle une forme d'institutionnalisation.

b) Une nécessaire institutionnalisation

L'instance de concertation permanente que votre rapporteur appelait de ses voeux pour l'Union pourrait d'abord se mettre en place et le plus tôt possible entre l'Allemagne et la France. Elle serait destinée à développer des analyses communes de la situation internationale et pourrait servir de base à des initiatives proposées à l'Union ou conduites à deux dans le cas d'un refus.

Cette structure aurait vocation à s'ouvrir à tous les pays qui le souhaiteraient à condition qu'ils en acceptent les règles, et notamment la possibilité de mener dans un cadre restreint des opérations limitées impliquant, le cas échéant, la mise en oeuvre de moyens financiers propres. Ce schéma de coopération s'inscrit tout à fait dans le cadre d'une Europe à plusieurs cercles ou même d'une Europe à géométrie variable. Votre rapporteur a toutefois une préférence pour la première hypothèse : dans ce scénario les pays appelés à unir leur voix dans le domaine de la politique étrangère seraient également ceux qui auraient décidé d'aller plus avant dans d'autres domaines.

Comment ce dispositif restreint pourrait-il s'articuler avec le dispositif commun aux Quinze puis à une Europe élargie ? Si la CIG se conclut par des réformes importantes, les mécanismes qui viennent d'être décrits pourront se fondre avec les instruments d'une politique étrangère à Quinze rénovée. Si au contraire la négociation devait aboutir à des résultats décevants, la coopération se poursuivra dans un cadre restreint selon les méthodes qui n'auront pas pu être étendues à l'ensemble de l'Union et aura valeur exemplaire pour tous les Etats membres. Dans cette hypothèse il sera toujours possible de redéfinir les relations avec la Commission sans l'exclure, bien au contraire, des travaux conduits dans un cercle.

Dans les deux cas de figure, la concertation entre la France et l'Allemagne constituera le moteur d'une politique étrangère européenne.

RÉSUMÉ DES PROPOSITIONS DE VOTRE RAPPORTEUR

I - L'adaptation du dispositif consacré à la politique étrangère commune dans le traité de Maastricht

1) Comment conférer une meilleure visibilité à la politique étrangère commune ?

La représentation des intérêts de l'Union dans le domaine de la politique étrangère commune devrait revenir principalement au secrétaire général du Conseil . Les moyens humains et matériels nécessaires à l'exercice de cette responsabilité seront affectés au secrétariat général du Conseil.

2) Comment renforcer l'efficacité du processus de décision ?

a) Mettre en place une cellule d'analyse et de proposition commune . Il importe en effet de favoriser un accord entre les Etats-membres le plus tôt possible dans le processus de décision et créer à cette fin une capacité commune d'évaluation de la situation internationale. Cette instance ne sera pas seulement chargée de produire des analyses communes, elle doit également jouer un rôle important dans le processus de décision et constituer un pôle d'initiative et de proposition. La cellule d'analyse et de proposition commune a vocation à fédérer les travaux des différents groupes de travail. Elle associera également les représentants de la Commission et le secrétariat général du Conseil.

b) élargir les conditions d'application du vote à la majorité . Les décisions de principe doivent continuer à relever du vote à l'unanimité, l'abstention d'un ou de plusieurs Etats-membres ne pouvant faire obstacle à leur adoption. Les décisions de mise en oeuvre des positions de principe doivent, quant à elles, relever du vote à la majorité qualifiée (prise en compte du nombre de voix et des critères démographiques), le Conseil pouvant toutefois décider à la majorité qualifiée que certaines décisions liées à la mise en oeuvre de la politique étrangère commune relèvent d'un vote à l'unanimité.

c) Déterminer précisément dans le traité les champs d'exercice de la politique étrangère commune.

De l'avis de votre rapporteur, l'ensemble des relations avec les pays d'Europe centrale et orientale, la communauté des Etats indépendants et les pays méditerranéens justifient une approche commune de l'Union. Un accord ayant été acquis dans le traité sur les matières à aborder en commun, les conditions de mise en oeuvre d'une diplomatie européenne devraient s'en trouver facilitées.

d) Lier la Commission aux décisions adoptées par le Conseil et en contrepartie l'associer davantage au processus de décision.

e) Classer les dépenses opérationnelles relevant de la politique étrangère commune dans la catégorie des dépenses obligatoires afin d'éviter le dernier mot dont dispose le Parlement européen sur l'ouverture des crédits nécessaires. En contrepartie, organiser à échéance régulière (par exemple tous les semestres) un débat sur la politique étrangère commune devant le Parlement européen.

II - Donner les gages d'une réelle volonté politique

a) Conforter le rôle moteur de la France dans la mise en place d'une politique étrangère commune et à cette fin lever certaines ambiguïtés de notre diplomatie :

- en prenant davantage en compte les réactions de nos partenaires dans la définition de notre politique étrangère ;

- en jouant davantage le jeu de la coopération dans les instances de l'Union et notamment dans les relations avec le secrétariat général du Conseil ;

- en s'interrogeant sur l'adaptation des structures du ministère des affaires étrangères aux nécessités d'une politique étrangère commune.

b) Fonder une véritable politique étrangère commune sur la relation franco-allemande .

Cette relation doit reposer sur une base institutionnelle et notamment sur la mise en place d'une instance de concertation permanente d'analyse et d'initiative sur le modèle de celle qui pourrait prendre place dans le cadre d'une refonte des instruments de la politique étrangère commune. Cette initiative aurait un double mérite : elle resterait ouverte à l'adhésion d'autres Etats-membres, elle pourrait s'intégrer le cas échéant, au futur dispositif institutionnel. Dans tous les cas, elle doit permettre au couple franco-allemand de jouer un rôle moteur dans la mise en place d'une politique étrangère commune même si cette entreprise doit s'inscrire, d'abord, dans le cercle d'une coopération restreinte à quelques Etats.

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du jeudi 2 mai 1996, la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées a procédé à l'examen du présent rapport.

A la suite de l'exposé de M. Xavier de Villepin, président, M. Jacques Genton a souhaité qu'une question orale européenne avec débat puisse donner la publicité souhaitable aux arguments qui venaient d'être présentés et dont il approuvait la teneur. Il a manifesté son scepticisme à l'égard de l'idée d'un Haut représentant pour la PESC et a souhaité que soit privilégié le renforcement du secrétaire général du Conseil entouré, le cas échéant, par deux secrétaires généraux adjoints. M. Xavier de Villepin, président, a souhaité que, si cette hypothèse devait se concrétiser, la fonction de secrétaire général puisse échoir à un Français.

M. Jean Clouet a souligné que dans le domaine commercial, l'action extérieure de l'Union s'était révélée fructueuse, notamment dans le cadre de la négociation du GATT, parce que les Etats-membres avaient su, sur le plan intérieur, conduire des politiques communes dans ce domaine. Il a relevé que cette condition n'était pas réunie pour la politique étrangère commune. M. Jean Clouet s'est enfin interrogé sur l'utilité même pour l'Europe d'une politique étrangère commune.

M. Xavier de Villepin, président, a rappelé que les Etats-Unis avaient su conjuguer leur politique commerciale et leur diplomatie, au service de leur puissance dans le monde. Il a par ailleurs souligné l'impérieuse nécessité d'une approche commune pour affronter les tensions auxquelles l'Europe pouvait être confrontée, du fait par exemple de la montée de l'intégrisme musulman dans le bassin méditerranéen.

M. Claude Estier s'est interrogé sur l'efficacité de la politique commerciale extérieure de l'Union européenne compte tenu des rivalités qui opposaient les Etats-membres pour conquérir les marchés extérieurs. Revenant sur les dysfonctionnements de l'Union européenne dans la mise en oeuvre d'une politique étrangère commune, il a indiqué qu'ils s'expliquaient en partie par la multiplicité des intervenants au processus de décision. Il a observé à cet égard qu'une réduction du nombre des membres de la Commission constituait sans doute une voie à suivre. Il a souligné par ailleurs les problèmes soulevés par une présidence tournante tous les six mois. Il a reconnu à cet égard la nécessité de conférer une meilleure visibilité à la PESC en indiquant toutefois que cette responsabilité devait revenir à une personnalité dotée d'une réelle stature politique. Il a craint cependant que la désignation d'une personnalité française à cette fonction ne recueille pas l'assentiment de nos partenaires.

M. Christian de La Malène a indiqué que la défense constituait une dimension essentielle de la politique étrangère commune. D'après lui, la mise en oeuvre d'une telle coopération prendra nécessairement du temps et l'institution d'une cellule d'analyse et d'initiative conforme à la proposition avancée par M. Xavier de Villepin, président, permettrait sans doute, à terme, de rapprocher les points de vue. Il a souligné que, dans l'attente de la mise en oeuvre d'une politique commune, les Etats-membres devaient évidemment maintenir une politique étrangère et de défense nationale. Enfin, il a approuvé le souci manifesté par M. Xavier de Villepin, président, de renforcer l'autorité du Conseil dans la mise en oeuvre de la politique étrangère commune.

M. Xavier de Villepin, président, a souligné les mérites d'une approche diplomatique qui dépasse le cadre des simples relations bilatérales. A cet égard, il a relevé l'intérêt du rapprochement effectué par l'Allemagne et la France dans le cadre des relations triangulaires entretenues avec la Pologne. Il a souhaité que ce type d'approche, placé sous le sceau d'une coopération plus étroite entre certains des Etats-membres de l'Union, puisse être élargi à d'autres pays.

M. Hubert Durand-Chastel a approuvé la nécessité rappelée par M. Xavier de Villepin, président, de fonder une coopération plus étroite dans le domaine de la politique étrangère commune sur la relation franco-allemande. Il a manifesté son espoir que le Royaume-Uni, dont la politique étrangère s'inscrit également dans une dimension mondiale, puisse se joindre, dans la mesure du possible, à cette coopération.

Mme Danielle Bidard-Reydet s'est étonnée de la priorité accordée à la relation franco-allemande. M. Xavier de Villepin, président, a précisé que cette coopération ne devait, à ses yeux, en aucun cas revêtir un caractère exclusif.

M. Paul d'Ornano a fait part d'un certain scepticisme à l'égard de l'action extérieure de l'Union et relevé en particulier l'absence de convergence entre les Etats-membres dans le domaine des intérêts économiques.

La commission a autorisé la publication de l'étude de M. Xavier de Villepin, président, consacrée à la politique étrangère commune de l'Union européenne sous la forme d'un rapport d'information.

* 1 A cette fin, la pratique associant un membre de la Commission aux travaux de la coopération politique reçoit dans le cadre de l'Acte unique européen une reconnaissance juridique.

* 2 Méthodes de travail du Conseil dans le domaine des relations extérieures de l'Union, document adopté par le Conseil « Affaires générales » le 12 juin 1995.

* 3 L'abréviation PESC sera utilisée ici par commodité bien que ce rapport s'intéresse principalement au volet « politique étrangère ».

* 4 Décision 94/697/PESC du 24 octobre 1994 fixant les « objectifs et priorités de l'Union européenne à l'égard du Rwanda, parmi lesquels figurent la réconciliation nationale, l'élargissement de l'assise du nouveau gouvernement et le retour des réfugiés ».

* 5 La déclaration de Venise reconnaissait le droit à l'existence et à la sécurité d'Israël mais aussi les droits légitimes du peuple palestinien représenté notamment par l'OLP.

* 6 Le Conseil « Affaires générales » associe en principe les ministres des Affaires étrangères des Etats membres.

* 7 Mise au point par le Conseil des "méthodes de travail dans le domaine des relations extérieures de l'Union"

* 8 Innovation qui résulte de la référence de l'article J 8 paragraphe 5 à l'article 151 du traité CE

* 9 Ainsi l'article J 11 TUE mentionne les articles 137, 138, 139 à 142 (dispositions relatives à la composition et au fonctionnement du Parlement), 146, 147, 150 à 153 (dispositions sur la composition et le fonctionnement du Conseil à l'exception de celles qui concernent la procédure de vote), 157 à 163 (dispositions relatives à la Commission dont les pouvoirs sont diminués du fait de l'absence de référence aux articles 145 et 155).

* 10 Article 155 paragraphe 1 CE.

* 11 Une nouvelle sous-section budgtéaire -la B8 dans le jargon communautaire- comprend ainsi une ligne générale pour les actions en préparation ou les nouvelles actions ; plusieurs lignes spécifiques pour des actions en cours -« Mostar », « pacte de stabilité » ...- ; une réserve globale destinée en principe aux politiques extérieures de la communauté.

* 12 Au 1er janvier 1995 les compétences dans le domaine des relations extérieures se trouvaient réparties de la façon suivante : les relations extérieures avec la Méditerranée-Sud, le Moyen et le Proche-Orient, l'Amérique latine, l'Asie -à l'exception de l'Asie orientale- constituent le secteur de compétences du vice-président de la Commission, M. Manuel Marin (Espagne) ; les relations extérieures avec l'Amérique du Nord, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, le Japon, la Chine, la Corée du Sud, Hong-Kong, Taïwan relèvent du vice-président de la Commission, Sir Leon Brittan (Royaume-Uni) ; les relations extérieures avec les pays d'Europe centrale et orientale et les pays issus de l'ancienne Union Soviétique, la Turquie, Chypre, Malte relèvent de M. Hans Van den Broek (Pays-Bas) ; les relations extérieures avec les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique et l'Afrique du Sud constituent le secteur de compétences de M. João de Deus Pinheiro (Portugal).

* 13 Voir Y. Guéna, La réforme de 1996 des institutions de l'Union européenne. Rapport d'information n° 224, Sénat.

* 14 Secrétariat général du Comité interministériel pour les questions de coopération économique européenne.

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