II. LES PROPOSITIONS DE RÉFORME

A. LA PROPOSITION DE DIRECTIVE DE LUTTE CONTRE LA CORRUPTION

La Commission européenne et le Haut représentant de l'Union européenne pour la politique européenne de sécurité étrangère et de sécurité commune (PESC) ont présenté, le 3 mai 2023, un paquet relatif à la lutte contre la corruption comprenant à la fois une communication et une proposition de directive. La communication préconise l'adoption d'une stratégie européenne contre la corruption, souhaite le renforcement du réseau européen des services et agences chargés de cette lutte, et demande à la Commission européenne de travailler à une cartographie du risque de corruption dans l'Union européenne.

La proposition de directive constitue, quant à elle, l'une des réformes majeures proposées par la Commission européenne depuis 2019.

1. Un texte recherchant la simplification et l'actualisation du droit existant
a) Un effort de simplification

Conformément à la stratégie affirmée dans la communication conjointe précitée, la proposition de directive a un premier objectif : harmoniser les modalités de la lutte contre la corruption dans l'Union européenne en réunissant les dispositions relatives aux agents publics et au secteur privé dans un seul acte juridique, sur la base de définitions actualisées (article premier).

Son adoption impliquerait donc la suppression de la convention de 1997 sur les fonctionnaires et de la décision-cadre 2003/568/JAI relative au secteur privé (article 27).

b) Une volonté claire d'élargir le champ d'application des dispositifs anticorruption

La proposition aurait un champ d'application plus large que le droit en vigueur.

Pour y parvenir, elle reprend les définitions de la convention de l'ONU contre la corruption.

Ainsi, loin de viser les seuls « fonctionnaires », elle serait applicable aux « agents publics » (déclinés ensuite dans les catégories suivantes : « agent de l'Union (européenne) », « agent national », « agents de haut niveau »).

Au sens de la convention, ce terme vise non seulement toutes les catégories d'agents publics tels que nous les concevons en France (agents titulaires, stagiaires, fonctionnaires, personnels contractuels..., qu'ils soient employés par les États membres ou leurs collectivités territoriales, ainsi que ceux travaillant pour l'Union européenne et pour les organisations internationales) mais également l'ensemble des membres des organes de contrôle et d'audit (ex : Cour des comptes), des magistrats (siégeant dans les juridictions des États membres, dans les juridictions européennes et dans les juridictions internationales), l'ensemble des parlementaires (siégeant dans les parlements des États membres ou au Parlement européen), ainsi que les membres des gouvernements et chefs d'État des États membres et les « têtes » de l'exécutif européen (commissaires européens ; président du Conseil européen)...

Cette définition englobe donc en réalité, au sens français, l'ensemble des responsables publics et des agents publics.

2. Une proposition qui relève les exigences européennes en matière de prévention de la corruption
a) Une nécessaire mobilisation des États membres pour mieux prévenir la corruption

Le deuxième objectif de la proposition est de relever les exigences minimales de la prévention de la corruption (article 3). Les États membres doivent ainsi prendre les mesures appropriées :

- pour encourager les travaux de recherche sur la corruption et les programmes d'éducation contre cette dernière ;

pour assurer « le plus haut degré de transparence et de responsabilité de l'administration et des responsables publics afin de prévenir la corruption ». À cet égard, ils doivent adopter des règles efficaces pour garantir à la fois le libre accès aux informations d'intérêt public, la détection et la gestion des conflits d'intérêts, la vérification du patrimoine des agents publics et la régulation des mobilités entre le secteur public et le secteur privé (contre le phénomène de « pantouflage ») ;

- pour veiller particulièrement à assurer l'intégrité des « agents de haut niveau », des membres des forces de l'ordre et des magistrats ;

- pour évaluer, au moins une fois par an, les dispositifs précités, et, sur la base de cette évaluation, mener des actions de sensibilisation, le cas échéant, en impliquant la société civile (associations anticorruption...).

Ce dispositif a été inspiré par la HATVP, qui sert de référence pour les autorités européennes compétentes et qui a été consultée par la Commission européenne.

b) L'institution d'organismes spécialisés pour prévenir et combattre la corruption

La proposition de directive prend acte du fait que, dans certains États membres, la stratégie de lutte contre la corruption repose sur divers services répressifs, autorités et juridictions, qui peuvent avoir à assumer d'autres missions simultanément, qui peuvent être de facto en situation de subordination par rapport au pouvoir politique en place et qui ne disposent pas toujours des moyens nécessaires à l'accomplissement de leurs tâches.

Elle demande donc aux États membres de désigner un ou plusieurs organes spécialisés, d'une part, dans la prévention de la corruption et, d'autre part, dans la lutte contre cette dernière (article 4).

Elle exige que ces organes soient fonctionnellement indépendants du Gouvernement et connus du public, qu'ils puissent assurer le libre accès du public aux informations pertinentes relatives à leur activité, et qu'ils soient en capacité de prendre des décisions transparentes afin de garantir l'intégrité et la responsabilisation de leurs destinataires.

En complément, elle impose aux États membres de faire bénéficier leurs autorités nationales combattant la corruption, des moyens humains et financiers nécessaires à « l'accomplissement efficace » de leurs missions et d'assurer la formation de leurs agents publics sur les formes et les risques de la corruption. À cet égard, elle précise que des formations « anticorruption » spécialisées doivent être organisées régulièrement en faveur des membres des forces de l'ordre et des magistrats qui mènent les enquêtes, poursuites... contre des délits et crimes entrant dans son champ d'application.

3. La définition d'infractions pénales et l'établissement d'un quantum de peines minimal au niveau européen
a) Une mise à niveau des infractions pénales au niveau européen

La proposition de directive confirme, tout en la clarifiant, la définition de la corruption posée par la convention de 1997 et la décision-cadre de 2003 précitées, et le principe de sa sanction pénale.

Pour la France, qui dispose déjà d'un dispositif complet de prévention et de répression des atteintes à la probité, cette harmonisation « par le haut » est une bonne nouvelle car la fin des divergences entre le droit des États membres doit non seulement permettre une lutte plus efficace contre la corruption mais aussi - ne le cachons pas - mettre fin à des distorsions de concurrence intra-européennes inacceptables.

La corruption active est ainsi définie comme « la promesse, la proposition ou l'octroi, directement ou par interposition d'un tiers, d'un avantage de quelque nature que ce soit » à un agent public ou à une personne travaillant pour une entité du secteur privé, pour lui ou pour un tiers, afin qu'il « accomplisse ou s'abstienne d'accomplir un acte », en violation de ses obligations (ou, pour l'agent public, dans l'exercice de ses fonctions). La corruption passive est caractérisée si l'agent public ou la personne précitée recherche ou sollicite cet avantage.

Pour être caractérisées, ces infractions doivent être intentionnelles.

Elle étend en outre la liste des infractions pénales relevant du manquement au devoir de probité au niveau européen (voir le tableau ci-dessous) : ainsi, le « détournement », le « trafic d'influence », « l'abus de fonctions », « l'entrave au bon fonctionnement de la justice », et « l'enrichissement lié aux infractions de corruption »99(*) seraient désormais qualifiés pénalement au niveau européen. Ce faisant, la proposition de directive reprend explicitement les infractions ciblées par la convention de l'ONU contre la corruption et s'inspire aussi du droit pénal français.

Sont également visées toutes incitations à commettre ces infractions, ou tentatives d'infraction, et tout acte de complicité ou tentative d'un tel acte. Il s'agit d'une avancée majeure.

b) Une volonté forte d'harmonisation de la sanction des faits de corruption en Europe

La proposition de directive « guide » le choix des peines applicables par les États membres aux infractions liées à la corruption en fixant un quantum des peines maximales. Tout en rappelant que ces peines doivent être « efficaces, proportionnées et dissuasives ». En pratique, ce quantum serait fixé à un emprisonnement d'une durée de 4 ans (enrichissement lié à une infraction de corruption), 5 ans (corruption dans le secteur privé ; détournement ; trafic d'influence) ou 6 ans (corruption dans le secteur public ; entrave au bon fonctionnement de la justice).

Elle prévoit également les peines complémentaires pouvant être établies par les juridictions compétentes des États membres (voir ci-dessous).

Peines prévues par la proposition de directive pour sanctionner une infraction liée à la corruption

Infractions pénales

Récapitulatif du montant minimal des peines maximales possibles

Article de la proposition

Corruption dans le secteur public

6 ans d'emprisonnement

Article 7

Corruption dans le secteur privé

5 ans d''emprisonnement

Article 8

Détournement

5ans d'emprisonnement

Article 9

Trafic d'influence

5 ans d'emprisonnement

Article 10

Abus de fonction

5 ans d'emprisonnement

Article 11

Entrave au bon fonctionnement de la justice

6 ans d'emprisonnement

Article 12

Enrichissement à partir d'infractions de corruption

4 ans d'emprisonnement

Article 13

Incitation, complicité et tentatives

Peines maximales similaires à celles encourues en cas d'accomplissement de l'infraction

Article 14

La proposition de directive prévoit également que les peines complémentaires suivantes peuvent être prévues par les États membres :

-Amendes ;

-révocation, suspension et réaffectation d'un mandat public ;

-déchéance/exclusion d'un mandat public ;

-interdiction d'exercer une fonction publique ;

-interdiction d'exercer une activité commerciale dans le cadre de laquelle l'infraction a été commise ;

-privation des droits civiques, proportionnée à la gravité de l'infraction commise ;

- retrait du permis/de l'autorisation d'exercer les activités dans le cadre desquelles l'infraction a été commise ;

-exclusion de l'accès aux financements publics, y compris les procédures d'appel d'offres, les subventions et les concessions.

c) Une extension de la responsabilité pénale des personnes morales

La proposition de directive confirme ensuite l'application de ces infractions pénales aux personnes morales et étend les conditions de mise en cause de leur responsabilité pénale. Comme dans le code pénal français, cette responsabilité pourrait être engagée dès lors qu'une infraction a été commise pour son compte et par l'un de ses organes ou représentants100(*).

Cependant, à la différence du code pénal français mais suivant une tendance forte dans les derniers textes européens adoptés en matière pénale, cette responsabilité pourrait également être caractérisée lorsque le défaut de surveillance ou de contrôle a rendu possible la commission de l'infraction par une personne relevant de son autorité.

Signalons que la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation a déjà étendu les possibilités de recherche de la responsabilité pénale des personnes morales101(*).

Peines applicables aux personnes morales condamnées pour corruption

- Amendes, dont le montant maximal serait égal à 5% de leur chiffre d'affaires mondial au cours de l'année précédente ;

- Exclusion du bénéfice des subventions publiques et aides d'État ;

- Exclusion temporaire ou permanente des procédures d'appel d'offres ;

- Interdiction, temporaire ou définitive, d'exercer une activité commerciale ;

- Retrait de l'autorisation de poursuivre les activités dans le cadre desquelles l'infraction pénale a été commise ;

- Possibilité pour les autorités publiques d'annuler un contrat public dans le cadre duquel l'infraction pénale a été commise ;

- Placement de la personne morale sous tutelle judiciaire ;

- Liquidation judiciaire de la personne morale ;

- Fermeture, temporaire ou définitive, des établissements de la personne morale qui ont été mis en cause dans l'accomplissement de l'infraction pénale.

Enfin, la proposition de directive fixe les circonstances susceptibles d'aggraver102(*) ou d'atténuer103(*) la sanction pénale de ces infractions et établit des délais de prescription assez étendus afin de garantir l'effectivité des poursuites.

4. Des garanties procédurales précisées, un principe de coopération entre autorités compétentes réaffirmé

En premier lieu, la proposition de directive demande aux États membres de prévoir la possibilité de lever les privilèges ou immunités d'enquête et de poursuites accordés à leurs responsables publics et agents publics pour les infractions visées dans la présente directive selon une procédure objective, impartiale, efficace et transparente, préétablie par la loi, fondée sur des critères clairs, et conclue dans un délai raisonnable.

En deuxième lieu, la proposition impose aux États membres d'appliquer le régime de protection des « lanceurs d'alerte » prévu par la directive (UE) 2019/1937104(*) et, plus généralement, d'assurer la protection et le soutien des personnes ayant coopéré aux enquêtes et poursuites judiciaires.

En troisième lieu, elle rappelle que les États membres doivent faire bénéficier les services et autorités en charge de la lutte contre la corruption de moyens d'investigation leur permettant d'agir efficacement et énonce les conditions de saisine des juridictions des États membres sur les infractions énoncées. La juridiction d'un État membre serait compétente pour juger une telle infraction :

- si cette infraction a été commise en totalité ou en partie sur le territoire de cet État membre ;

- si l'accusé est un citoyen ou un résident habituel de cet État membre ;

- si l'infraction a été commise au bénéfice d'une personne morale établie dans cet État membre.

Et, dans l'hypothèse où l'infraction serait manifestement susceptible de relever de la compétence des juridictions de plusieurs États membres, la proposition leur enjoint de coopérer pour déterminer celle qui aurait alors la charge de mener la procédure pénale. En cas de nécessité, dans ce cadre, l'agence Eurojust serait saisie du dossier105(*).

En quatrième lieu, le principe d'une coopération entre autorités compétentes des États membres, l'agence européenne de coopération policière (Europol), l'agence européenne de coopération judiciaire (Eurojust), le Parquet européen, l'Office européenne de lutte antifraude (OLAF) et la Commission européenne serait rappelé en vue de lutter contre les infractions liées à la corruption, sans préjudice des règles existantes de coopération transfrontière et d'assistance mutuelle en matière de procédure pénale.

Enfin, la directive (UE) 2017/1371 relative à la lutte contre la fraude aux intérêts financiers de l'Union européenne serait actualisée pour prendre en considération ces nouveaux dispositifs (article 28).

Les États membres devraient transposer la présente proposition de directive dans leur droit national au plus tard dix-huit mois après son entrée en vigueur (article 29).


* 99 Signalons que cette infraction correspond à l'infraction de blanchiment prévue par l'article 324-1 du code pénal.

* 100 Article 121-2 du code pénal. Signalons toutefois que la Cour de cassation a assoupli les conditions de mise en cause de cette responsabilité. À titre d'exemple, la Cour de cassation a reconnu la responsabilité pénale d'une société holding du fait de l'intervention de trois salariés, représentants de fait de la « société mère » (Crim., 16 juin 2021, n°20-83-098).

* 101 À titre d'exemple, la Cour de cassation a reconnu la responsabilité pénale d'une société holding du fait de l'intervention de trois salariés représentants de fait de la « société mère » (Crim., 16 juin 2021, n°20-83-098).

* 102 Infraction commise : par un « agent de haut niveau » ; par une personne déjà condamnée pour atteinte à la probité ; ayant donné lieu à un avantage considérable pour son auteur ou cause un préjudice considérable ; au profit d'un pays tiers ; par une personne exerçant des fonctions d'enquête, de poursuite ou de jugement ; dans le cadre d'une organisation criminelle ; par une entité assujettie au sens de le directive 2015/849 du Parlement européen et du Conseil (personne morale devant suivre des règles spécifiques afin de lutter contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme).

* 103 L'auteur de l'infraction : fournit aux autorités compétentes des informations qu'elles n'auraient pu obtenir autrement et qui les aident à identifier ou à traduire en justice les autres auteurs ou à trouver des preuves ; est une personne morale qui a mis en oeuvre des « programmes efficaces de contrôle interne, de sensibilisation à l'éthique et de conformité » ; est une personne morale qui a révélé rapidement l'infraction aux autorités compétentes et a pris des mesures correctives.

* 104 Directive (UE) 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2019. Elle protège les personnes qui signalent des violations du droit de l'Union européenne.

* 105 Décision 2009/948/JAI du 30 novembre 2009 sur la prévention et le règlement des conflits de juridiction dans les procédures pénales.

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