B. UN BILAN SIGNIFICATIF EN TERMES DE RÉALISATIONS

1. Une longue tradition en matière de coopération patrimoniale

L'action de la France a longtemps pris exclusivement la forme de coopérations : missions archéologiques françaises à l'étranger, missions de sauvegarde du patrimoine ou d'aide à la restauration et à la conservation préventive auprès des pays en développement ou des pays frappés par des catastrophes naturelles2(*) ou des conflits, coopérations professionnelles, accueil et envoi de chercheurs ou de spécialistes, déploiement d'experts techniques financés par la France... Dans le domaine muséal, cette coopération prend également la forme de prêts d'oeuvres. Le Centre Pompidou indique ainsi être le premier prêteur au monde.

Ces actions sont portées par un grand nombre d'acteurs : le ministère de l'Europe et des affaires étrangères ; le ministère de la culture ; les établissements publics culturels intervenant, soit à la demande des ministères, soit de façon directe et autonome ; et, depuis 2016, l'Agence française de développement (AFD), qui intervient sous la forme de prêts et de subventions pour la mise en oeuvre de projets dans le domaine patrimonial, ainsi qu'Expertise France, membre du groupe AFD, qui intervient en tant qu'ensemblier d'expertises, opérateur ou assistant à maîtrise d'ouvrage dans le cadre de projets généralement financés par des bailleurs (France, Union européenne, Unesco).

Elles se déploient prioritairement sur le continent africain, dans le bassin méditerranéen et dans la zone Indopacifique, avec une importance particulière accordée aux pays membres de l'Organisation internationale de la francophonie et à ses partenaires.

Certaines de ces actions de coopération sont conduites dans le cadre de l'UNESCO, dont l'implantation, à Paris, favorise le recours à l'expertise française. La France s'implique dans plusieurs projets de gestion, de préservation, de restauration et de valorisation de sites inscrits sur la liste du patrimoine mondial, qui revêtent pour elle une importance symbolique et politique, comme en témoignent sa participation depuis 1993 à la coopération internationale organisée sur le site d'Angkor, sa collaboration avec l'Éthiopie pour la sauvegarde du patrimoine des églises creusées de Lalibela ou encore son engagement dans la restauration des palais royaux d'Abomey au Bénin.

Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères dispose de plusieurs outils destinés spécifiquement à l'action internationale dans le domaine du patrimoine, en particulier plusieurs programmes de bourses destinées à faciliter l'accès d'étudiants et de professionnels du patrimoine étrangers aux formations supérieures dispensées en France dans le domaine du patrimoine.

La mission internationale de l'Institut national du patrimoine

Depuis 2018, les statuts de l'INP ont été modifiés pour confier à cet établissement d'enseignement supérieur spécialisé dans la formation des professionnels du patrimoine une mission en matière de coopération internationale, compte tenu de la demande croissante exprimée par les partenaires étrangers en matière de formation.

Au-delà d'accueillir des stagiaires étrangers et d'organiser des sessions de formation à l'étranger, l'INP a conclu un partenariat avec l'École du patrimoine africain instituant une double formation, et accompagne des pays comme le Liban ou l'Éthiopie pour la création de lieux de formation initiale. L'INP a également été sollicité par les Émirats arabes unis pour former l'ensemble de leurs professionnels du patrimoine dans le cadre du partenariat institué autour du Louvre Abou Dhabi.

Il chapeaute par ailleurs la commission consultative des recherches archéologiques à l'étranger, dite « commission des fouilles », qui soutient 167 missions archéologiques en 2023 déployées dans soixante-quinze pays pour un budget d'1,9 million d'euros. Il peut mobiliser plusieurs autres instruments financiers dans le cadre de la coopération patrimoniale, notamment :

- le fonds de solidarité pour les projets innovants, la société civile, la francophonie et le développement humain (FSPI), qui finance en 2023-2024, neuf nouveaux projets patrimoniaux à hauteur de 5,3 millions d'euros (Afrique du Sud, Bénin, Cameroun, Côte d'Ivoire, Mozambique, Rwanda, Sénégal, Tunisie et Sri Lanka) ;

- le fonds Équipe France, destiné au financement de grands projets à forte valeur politique dans neuf pays d'Afrique francophone, qui pourraient comprendre des dossiers patrimoniaux en Côte d'Ivoire et au Congo Brazzaville.

L'attachement de la France aux actions de solidarité dans le domaine du patrimoine s'est de nouveau incarné, en 2017, avec la création, aux côtés des Émirats arabes unis, de l'Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones de conflit (ALIPH), qui apporte financements et expertise scientifique dans les situations dans lesquelles le patrimoine est menacé, soit du fait d'une urgence (conflit, catastrophe naturelle), soit du fait d'une menace identifiée justifiant un appel à projets (par exemple, changement climatique en Afrique). La création de cette fondation fait suite au rapport de 2015 de Jean-Luc Martinez, rédigé à la demande du Président de la République, consacré à la protection du patrimoine en cas de conflit armé. Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères et le ministère de la culture contribuent tous deux au fonctionnement d'ALIPH. Les grands musées participent très largement à la réalisation de ces actions de solidarité.

L'action internationale du musée du Louvre

Le musée du Louvre se montre très actif sur la scène internationale. Au-delà de son action de prêts, il peut être sollicité à la fois pour des demandes ponctuelles, en matière d'archéologie, de muséologie, de mise en valeur des collections, de formation, et pour des projets globaux, à l'instar du Louvre Abou Dhabi. Il mène à l'heure actuelle des projets internationaux avec plus de 75 pays :

- collaborations archéologiques : le musée du Louvre compte aujourd'hui huit chantiers de fouilles actifs, en Italie, en Bulgarie, au Liban, sur deux sites en Égypte, au Soudan, au Bahreïn et en Ouzbékistan ;

- organisation d'expositions et actions de valorisation des collections du musée du Louvre à l'étranger (exposition « Peindre l'amour » à Tokyo de juin à septembre 2023) ;

- actions de coopération et de solidarité dans les cas de patrimoine en péril : interventions récentes en Ukraine pour l'évacuation de plusieurs chefs-d'oeuvre du musée de Kiev, en Irak pour la réhabilitation du musée de Mossoul, et au Liban pour la réhabilitation du musée national de Beyrouth, dans le cadre d'opérations financées par l'ALIPH.

2. Des succès récents remarquables sur le nouveau marché de l'ingénierie culturelle

Depuis quelques années, notre pays tente de vendre également son expertise et de valoriser ses marques culturelles en profitant du développement d'un marché international de l'ingénierie culturelle alimenté par une explosion de la demande en provenance des pays émergents, en particulier au Moyen-Orient, en Asie et en Afrique.

Cette tendance s'observe principalement dans le domaine muséal : développement de coproductions et d'expositions clés en main ou sur mesure, prestations ponctuelles de conseil et de formation, association à l'ouverture de nouveaux établissements à l'étranger. Il s'agit d'un enjeu important pour les établissements culturels dans l'objectif d'accroitre et de diversifier leurs ressources propres, de renforcer leur attractivité auprès du public international et d'attirer de nouveaux mécènes venus de l'étranger. La commission des finances du Sénat s'est penchée sur cet enjeu, avec un premier rapport en 2017 consacré à l'expérience de France-Muséums3(*), puis un second en 2019 relatif à la valorisation de l'ingénierie et des marques culturelles par les musées nationaux4(*), enrichi par une enquête préalablement commandée à la Cour des comptes5(*).

Les opérations les plus abouties de valorisation de l'ingénierie des établissements culturels restent la création de musées ex nihilo à la demande d'un État étranger, dont l'exemple le plus emblématique est à ce jour le Louvre Abou Dhabi, qui repose sur la collaboration de seize musées et établissements culturels réunis au sein de l'agence France-Muséums (AFM), structure porteuse du projet auprès des Émiriens, pour des contreparties financières de l'ordre d'un milliard d'euros. Le Centre Pompidou a lui aussi essaimé sur trois continents, avec quatre antennes à l'étranger : le Centre Pompidou Malaga (2015), le Kanal-Centre Pompidou à Bruxelles (2018), le Centre Pompidou Shangai (2019) et le Centre Pompidou Jersey City, dont l'ouverture est prévue en 2024. Au-delà des enjeux financiers majeurs que revêt ce type de projets, ils contribuent au rayonnement de la culture française et de ses valeurs, ainsi qu'à l'attractivité de la France. Ils constituent donc un intérêt stratégique majeur.

La reconnaissance du savoir-faire français et sa capacité, par rapport à beaucoup de ses concurrents, à savoir s'adapter aux contextes locaux, expliquent sans doute le choix de l'Arabie saoudite de faire appel à la France pour l'accompagner dans la conception et le développement du projet pour AlUla, destiné à transformer cette région en une destination touristique et culturelle mondiale, autour de plusieurs sites archéologiques de la période pré-islamique, dont celui d'Hégra mis au jour par une mission archéologique franco-saoudienne qui a débuté en 2002. Le projet saoudien prévoit la construction de huit musées sur l'ensemble de la zone. La France a créé une agence spécifique, l'agence française pour le développement d'AlUla (AFALULA), financée par le partenaire saoudien, pour mener à bien cette mission. L'opération pourrait rapporter plus de deux milliards d'euros de contrats à la France. L'accord intergouvernemental prévoit par ailleurs la création d'un fonds de dotation par l'Arabie saoudite, doté de 900 millions d'euros, en faveur de la restauration du patrimoine français. Celui-ci n'a, à ce stade, toujours pas été mis en place.


* 2 Une délégation de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication avait pu mesurer le rôle joué par les experts français auprès des autorités mexicaines pour la restauration de plusieurs édifices endommagés lors des séismes de septembre 2017, à l'occasion d'un déplacement au Mexique effectué en septembre 2019, ayant donné lieu à la publication du rapport d'information n° 327 (2019-2020).

* 3 Rapport d'information n° 628 (2016-2017) du 12 juillet 2017, intitulé « France-Muséums : une expérience unique ? », fait au nom de la commission des finances, par MM. Vincent Éblé et André Gattolin.

* 4 Rapport d'information n° 568 (2018-2019) du 12 juin 2019, intitulé « La valorisation internationale de l'ingénierie et des marques culturelles : le cas des musées nationaux », fait au nom de la commission des finances, par MM. Vincent Éblé et Julien Bargeton.

* 5 Rapport d'enquête de la Cour des comptes, de mars 2019, consacré à « La valorisation internationale de l'ingénierie et des marques culturelles : le cas des musées nationaux ».

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