B. AMÉLIORER LA COLLECTE, DANS ET EN DEHORS DU FOYER, ET L'ADAPTER À LA RÉALITÉ DES TERRITOIRES

Parallèlement à l'amélioration du geste de tri, une amélioration de la collecte est indispensable à l'atteinte des objectifs que notre pays s'est fixés.

1. MIEUX COLLECTER À DOMICILE : faire monter en puissance le bac jaune

Il convient de manière prioritaire d'adapter les schémas de collecte aux objectifs.

Tout d'abord, une amélioration de collecte en porte-à-porte doit être engagée, particulièrement dans les territoires dont les performances ne sont pour l'heure pas suffisantes (soit dans les territoires en porte-à-porte ayant des faibles performances - 12,4 millions d'habitants - ou des performances moyennes - 20 millions d'habitants19(*)).

Cela peut notamment reposer sur une augmentation de la fréquence des collectes en porte-à-porte, de la taille des bacs jaunes dans les logements collectifs ou encore d'une amélioration du service dans les zones moins bien desservies.

En contrepartie, la fréquence des collectes et la taille des bacs d'ordures ménagères résiduelles pourraient être réduite, afin de rendre la collecte sélective plus incitative ou au moins équivalente à la collecte des OMR.

Par ailleurs, dans le cadre de la collecte par apport volontaire, une densification des points d'apport (conteneurs, bornes, colonnes semi-enterrées ou aériennes) devra être engagée, particulièrement dans les territoires dont les performances ne sont pour l'heure pas suffisantes (soit dans les territoires en apport volontaire ayant des faibles performances - 2,2 millions d'habitants - ou des performances moyennes - 4,1 millions d'habitants20(*)).

Enfin, dans le cadre du passage en porte-à-porte ou de l'apport volontaire, la collecte multimatériaux semble par ailleurs devoir être privilégiée, compte tenu des meilleures performances de cette modalité de collecte du « bac jaune ».

Les schémas principaux d'organisation de la collecte des recyclables (source : Ademe, « Consigne pour réemploi et recyclage des bouteilles de boissons », 2021)

Il existe trois schémas principaux d'organisation de la collecte des recyclables :

• Multimatériaux, qui correspond à une collecte en bi-flux : verre d'un côté/papier et emballages hors verre d'un autre côté ;

• Emballages/papiers, qui correspond à une collecte en tri-flux : verre/papier/emballages hors verre ;

• Papier-carton/Plastiques-métaux, qui correspond à une collecte en tri-flux : verre/papier carton/plastiques-métaux.

Le schéma « mixte » correspond à des organisations où il existe au moins deux des trois schémas principaux, chacun représentant plus de 10 % des tonnages.

Dans son rapport sur l'organisation de la collecte des emballages et papiers graphiques dans le service public de prévention et de gestion des déchets, l'Ademe indique que, en porte-à-porte, les quantités collectées sont en moyenne plus importantes dans le schéma multimatériaux par rapport aux deux autres schémas tri-flux.

Proposition n° 18 : Adapter les schémas de collecte aux objectifs : augmentation de la fréquence des collectes et de la taille des bacs dans les habitations lorsque cela est possible, densification des points d'apport volontaire, passage à une collecte multimatériaux...

Le surcoût induit par le renforcement de la collecte sélective devra majoritairement être pris en charge par les producteurs, plutôt que par les contribuables locaux. À cet égard, l'augmentation du taux de couverture des coûts du service public de gestion des déchets (SPGD) par la filière de responsabilité élargie des producteurs (REP) emballages ménagers et papiers semble inévitable.

En effet, le principe de REP - qui fait reposer les coûts afférents à la prévention et à la gestion des déchets sur les metteurs sur le marché - ne s'applique aujourd'hui que partiellement dans le champ de cette filière.

Jusqu'en avril 2023, et la promulgation de la loi portant fusion des filières REP d'emballages ménagers et des producteurs de papier21(*), l'article L. 541-10-18 du code de l'environnement prévoyait en effet que le niveau de prise en charge des coûts supportés par le SPGD - calculés en fonction des coûts de référence d'un SPGD optimisé tenant compte de la vente des matières traitées - était fixé à 80 % pour les déchets d'emballages ménagers et à 50 % pour les déchets d'imprimés papiers et de papiers à usage graphique.

Ces taux réduits constituaient une dérogation au principe, posé par l'article 8 bis de la directive-cadre « déchets » européenne22(*), d'une couverture intégrale des coûts par les producteurs assujettis à la REP.

À l'initiative du Sénat, la loi du 24 avril 2023 a modifié l'article L. 541-10-18 du code de l'environnement afin de renvoyer au pouvoir réglementaire le soin de déterminer le niveau de prise en charge des coûts supportés par le SPGD par la nouvelle filière, issue de la fusion entre la REP « emballages ménagers » et la REP « papiers ».

La rapporteure invite donc le pouvoir réglementaire à se saisir de l'opportunité offerte par ce texte pour augmenter ce taux de couverture et renforcer, par là même, la prise en charge financière de la prévention et de la gestion des déchets par les producteurs.

Proposition n° 19 : Pour financer l'adaptation des schémas de collecte, augmenter le taux de couverture des coûts du SPGD.

Le taux de couverture des coûts du SPGD pourrait de surcroît constituer un excellent levier incitant les collectivités territoriales à développer un programme de collecte ambitieux, compatible avec nos objectifs nationaux.

Ainsi, en sus de l'augmentation « de base » du taux de couverture précédemment proposé, un bonus incitatif pourrait être instauré pour tendre vers une prise en charge intégrale des coûts - soit 100 % des coûts supportés par le SPGD calculés en fonction des coûts de référence d'un service optimisé tenant compte de la vente des matières traitées.

Ce bonus incitatif pourrait être attribué pour récompenser les collectivités territoriales menant et programmant des actions compatibles avec la « trajectoire ambitieuse, sans consigne » de l'Ademe (mise en place d'une tarification incitative, renforcement des contrôles des ordures ménagères résiduelles, augmentation de la fréquence des collectes et de la taille des bacs, densification des points d'apport volontaire, déploiement du tri à la source des biodéchets...).

Proposition n° 20 : Instaurer un bonus tendant vers une couverture intégrale des coûts (100 %), pour récompenser les collectivités territoriales menant et programmant des actions visant à améliorer le taux de collecte.

2. MIEUX COLLECTER EN DEHORS DU FOYER : systématiser le tri dans l'espace public et dans les entreprises

Comme elle l'avait souligné lors des débats sur la loi « AGEC », le rapporteure estime nécessaire d'améliorer les performances de la collecte sélective pour les produits consommés hors du foyer (dans la rue, dans les établissements recevant du public, en entreprise et administration...).

Si les quantités concernées - 1,6 kilogramme par habitant et par an (kg/hab/ab) d'emballages et de papiers dans les corbeilles de rue, selon Citéo - sont bien plus modestes que le gisement encore présent dans les ordures ménagères résiduelles - 54 kg/hab/an - un meilleur tri « hors foyer » présente un enjeu fort en termes de cohérence du geste de tri. Assurer une continuité de ce geste, c'est ancrer la pratique du tri dans le quotidien des Français, dans et en dehors de leur foyer.

À cette fin, la loi « AGEC » a prévu que les éco-organismes de la REP « emballages » prennent en charge les coûts afférents à la généralisation d'ici au 1er janvier 2025 de la collecte séparée pour recyclage des déchets d'emballages pour les produits consommés hors foyer, notamment par l'installation de corbeilles de tri permettant cette collecte séparée.

Cette généralisation pourrait être anticipée, en fixant, dans le cahier des charges de la REP « emballages ménagers », des objectifs d'installation de corbeilles de rue par habitant et par commune, compatibles avec nos cibles de collecte triée. Le cahier des charges devra également identifier les modalités de financement de cette nouvelle obligation par les éco-organismes.

Proposition n° 21 : Anticiper dès à présent la généralisation, d'ici au 1er janvier 2025, de la collecte séparée pour recyclage des déchets d'emballages pour les produits consommés hors foyer. Dans le cahier des charges de la REP « emballages ménagers », fixer des objectifs d'installation de corbeilles de rue par habitant et par commune. Identifier également des financements dédiés au sein du cahier des charges.

L'amélioration du tri « hors foyer » passera également par un développement ponctuel de dispositifs de collecte séparée avec gratification, de manière préférentielle dans des lieux publics à forte affluence ou dans les zones où les performances sont particulièrement faibles, pour éviter un détournement des flux actuellement collectés dans le « bac jaune » ou les autres dispositifs « hors foyer ».

À l'inverse de la consigne - impliquant un versement direct du consommateur au moment de l'acte d'achat du produit - la gratification suppose un financement par le ou les acteurs la mettant en place (par exemple un hyper ou supermarché) (cf encadré).

Le développement ponctuel de dispositifs de collecte séparée avec gratification dans des lieux publics à forte affluence impliquera donc un soutien financier des éco-organismes.

Qu'est-ce que la gratification ?

La consigne est à distinguer de la gratification. Dans le cadre d'un dispositif de gratification, aucune somme d'argent n'est versée par le consommateur au moment de l'achat du produit, mais une somme d'argent (sous forme de bons d'achat, bons de réduction, dons à des associations, etc.) lui est attribuée lorsqu'il retourne l'emballage vide et intègre à un point de collecte dédié. À la différence de la consigne, la gratification n'implique donc aucune somme d'argent supplémentaire dans le prix de vente du produit.

À date, la collecte par gratification des bouteilles en plastiques de boisson peut être réalisée principalement selon deux modalités différentes :

via des automates de collecte de type RVM (reverse vending machine) ;

via des plateformes collaboratives de récupération des bouteilles ou d'autres dispositifs de collecte innovante venant se greffer sur le dispositif actuel de collecte sélective (par exemple, projet basé sur le scan du code-barre de la bouteille via une application mobile et dépôt dans le bac de collecte sélective auquel a été ajouté une surcouche technologique permettant d'identifier automatiquement la typologie de l'emballage).

Sources : Ademe, Consigne pour réemploi et recyclage des bouteilles de boissons, 2021.
Ademe, Prospective sur les leviers d'amélioration des performances de la collecte sélective, 2023.

La rapporteure estime que de tels dispositifs pourront opportunément être expérimentés à l'occasion de grands événements sportifs que la France s'apprête à accueillir (Mondial de rugby, Jeux olympiques et paralympiques de 2024).

Le développement de dispositifs de collecte séparée avec gratification devra se faire en lien avec les collectivités territoriales, compte tenu notamment du taux de « cannibalisation » du « bac jaune » par les machines installées sur le domaine public, c'est-à-dire de la part des flux qui étaient initialement collectés sélectivement par les collectivités territoriales (environ 65 % selon l'étude de l'Ademe)23(*). Une part des tonnages collectés via les mécanismes de gratification devra donc être intégrée dans le calcul de la performance de la collectivité.

Selon l'Ademe, il existait, en 2021, 1 000 machines permettant d'effectuer une collecte avec gratification. La trajectoire « ambitieuse » de l'étude implique un déploiement de 800 machines supplémentaires d'ici la fin de la décennie24(*).

Proposition n° 22 : Développer ponctuellement des dispositifs de collecte séparée avec gratification, financés par les éco-organismes, en lien avec les collectivités territoriales. Expérimenter ces dispositifs à l'occasion de grands événements (Mondial de Rugby, Jeux Olympiques de 2024).

Mieux collecter en dehors du foyer, c'est enfin et surtout mieux appliquer les obligations s'appliquant aux professionnels (tri 7 flux et obligations de collecte séparée dans les établissements recevant du public (ERP)).

Tri 7 flux et obligations de collecte séparée dans les établissements recevant du public

- le tri 7 flux : Cette obligation consiste en un tri à la source et une valorisation des 5 flux de déchets non dangereux de papiers/cartons, plastiques, métaux, verre et bois, ainsi que, depuis la loi « AGEC », des fractions minérales (béton, briques, tuiles et céramiques, pierres) et du plâtre (article L. 541-21-2 du code de l'environnement). À compter du 1er janvier 2025, l'article 74 de la loi AGEC élargit l'obligation de tri à un 8eme flux : les textiles.

Cette obligation s'impose à tout professionnel produisant ou détenant des déchets non dangereux - à l'exception des professionnels qui ont recours au service public de prévention et de gestion des déchets (SPPGD) et qui produisent moins de 1 100 litres de déchets par semaine, qui doivent trier leurs déchets conformément aux consignes de tri édictées par la collectivité compétente. L'obligation de tri des fractions minérales et du plâtre s'impose à tout producteur ou détenteur de déchets de construction et de démolition - sauf si sur l'emprise du chantier, il n'est pas possible d'affecter une surface au moins égale à 40 m2 pour le stockage des déchets ou si le volume total de déchets produits (tous déchets confondus) est inférieur à 10 m3 sur l'ensemble de la durée du chantier.

l'obligation de collecte séparée dans les établissements recevant du public (ERP) : l'article 74 de la loi AGEC a introduit une nouvelle obligation de collecte séparée dans les ERP (article L. 541-21-2-2 du code de l'environnement), produisant plus de 1 100 litres de déchets, tous déchets confondus, par semaine. Cet article dispose ainsi que les exploitants des ERP doivent organiser la collecte séparée des déchets du public reçu dans leurs établissements ainsi que des déchets générés par leur personnel. Pour cela, ils mettent à la disposition du public des dispositifs de collecte séparée des déchets d'emballages ménagers constitués majoritairement de plastique, acier, aluminium, papier ou carton ainsi que des déchets d'imprimés papiers et de papiers à usage graphique, d'une part, et des biodéchets, d'autre part.

Tout producteur ou détenteur de déchets ne respectant pas ses obligations de tri 7 flux ou de collecte séparée dans les ERP encourt des sanctions administratives définies par l'article L. 541-3 du code de l'environnement, comme une astreinte journalière allant jusqu'à 1 500 euros ou une amende pouvant atteindre 150 000 euros, ainsi que des sanctions pénales, avec une amende du montant prévu pour les contraventions de la 4e classe (art. R. 541-78 du code de l'environnement).

Le non-respect du tri 7 flux est même passible d'une peine de deux ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende (L. 541-46 du code de l'environnement).

Au terme de ses auditions, la rapporteure est convaincue que d'importantes marges de manoeuvre existent quant au respect de ces règles de collecte triée. Elle invite donc l'État à massifier le contrôle ces obligations et à en sanctionner systématiquement le non-respect.

Proposition n° 23 : Massifier le contrôle du tri 7 flux et du tri au sein des établissements recevant du public et sanctionner systématiquement le non-respect de ces obligations.

3. ADAPTER la collecte : déployer des moyens adaptés dans les territoires urbains, touristiques et ultra-marins

Améliorer la collecte, c'est enfin l'adapter à la réalité des territoires assujettis à des contraintes limitant structurellement leur performance.

En particulier, l'efficacité du geste de tri diffère très largement selon la nature de l'habitat : plus il est dense, moins la collecte sélective y est performante (cf schéma ci-après).

Source : Citéo

Une adaptation des schémas de collecte est donc particulièrement nécessaire dans les zones urbaines. L'augmentation du taux de couverture des coûts du SPGD préconisée par la mission d'information (cf supra) contribuera à amortir les surcoûts associés pour les collectivités territoriales.

Une attention particulière devra être portée aux quartiers prioritaires de la politique de la ville, au regard des caractéristiques qui leur sont propres - logements plus souvent surpeuplés et plus petits, prépondérance des logements collectifs. Des dispositifs incitatifs et innovants - fondés par exemple sur des systèmes de gratification et adossés à une sensibilisation renforcée par des « ambassadeurs de tri » - pourraient y être déployés.

Proposition n° 24 : Dans les zones urbaines, adapter les schémas de collecte à la nature de l'habitat ; déployer des dispositifs incitatifs dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville.

Les territoires à forte activité touristique connaissent également des problèmes spécifiques pour adapter leurs fréquences de collecte à la variation parfois très importante des populations les fréquentant.

Source : Cour des comptes

La rapporteure fait sienne la recommandation de Cour des comptes tendant à affecter une part additionnelle à la taxe de séjour - réglée par les vacanciers en plus du prix de l'hébergement au logeur, à l'hôtelier ou propriétaire - afin de permettre la couverture des charges supplémentaires du service public des déchets générés spécifiquement par la fréquentation touristique.

Proposition n° 25 : Dans les zones touristiques, mobiliser des moyens complémentaires financés par une part additionnelle à la taxe de séjour payée par les usagers à l'origine de ces surcoûts.

Enfin, dans la continuité des travaux de la délégation sénatoriale aux outre-mer - dont le rapport de décembre 202225(*) dépeignait le retard alarmant de la collecte et du traitement des déchets et plaidait pour un rattrapage massif par rapport à l'Hexagone - la rapporteure juge essentiel de calibrer des dispositifs à même de répondre à l'urgence écologique des territoires ultra-marins. Des mécanismes de gratification, financés par les éco-organismes, pourraient y être plus largement déployés pour encourager la collecte sélective dans les zones les plus défavorisées ou isolées.

Proposition n° 26 : Dans les territoires ultra-marins, développer les dispositifs de gratification pour encourager la collecte sélective dans les zones les plus défavorisées ou isolées.


* 19 Ademe, Prospective sur les leviers d'amélioration des performances de la collecte sélective, p. 29.

* 20 Ademe, Prospective sur les leviers d'amélioration des performances de la collecte sélective, p. 27.

* 21 Loi n° 2023-305 du 24 avril 2023 portant fusion des filières à responsabilité élargie des producteurs d'emballages ménagers et des producteurs de papier.

* 22 Directive (UE) 2018/851 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 modifiant la directive 2008/98/CE relative aux déchets.

* 23 Ademe, Prospective sur les leviers d'amélioration des performances de la collecte sélective, 2023, p. 41.

* 24 Ibid.

* 25 Rapport d'information n° 195 (2022-2023) de Mmes Gisèle Jourda et Viviane Malet, fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer, « La gestion des déchets dans les outre-mer », 8 décembre 2022.

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