III. RÉÉVALUER EN 2026 L'OPPORTUNITÉ DE LA MISE EN PLACE D'UNE CONSIGNE POUR RECYCLAGE SUR LES EMBALLAGES DE BOISSON, DONT LE BILAN COÛT-AVANTAGE SEMBLE AUJOURD'HUI NÉGATIF, D'UN POINT DE VUE ENVIRONNEMENTAL, SOCIAL ET ÉCONOMIQUE

A. LA CONSIGNE POUR RECYCLAGE : UN DISPOSITIF SÉDUISANT, AUX NOMBREUX EFFETS PERVERS

Améliorer nos performances en matière de collecte et de tri pour recyclage implique-t-il de mobiliser, en complément des nombreux outils déjà identifiés, une consigne pour recyclage sur les emballages de boissons, notamment sur les bouteilles plastiques, voire sur les canettes en aluminium ?

Pour la rapporteure, cela ne fait pas de doute : à ce stade, la consigne pour recyclage ne constitue pas un levier pertinent d'un point de vue environnemental et économique : séduisant au premier abord, le dispositif est en réalité porteur de nombreux effets pervers.

1. Un dispositif moins performant qu'il n'y paraît

Aujourd'hui, des dispositifs de consigne pour recyclage des bouteilles en PET - et plus rarement d'autres résines de plastique - ainsi que pour les canettes en aluminium, sont utilisés dans plusieurs pays européens, en particulier en Allemagne depuis 2003.

Les résultats de collecte et de recyclage atteints par ces pays sont, en première analyse, très satisfaisants.

Si on s'arrête aux seules bouteilles plastiques, selon l'étude comparative réalisée par l'Ademe, le taux de collecte pour recyclage des bouteilles en PET est d'au moins 85 % dans les pays ayant mis en place un dispositif de consigne pour recyclage26(*), contre seulement 58 % en moyenne dans l'Union européenne (données 2018)27(*).

Le taux de collecte dépasse dans certains pays l'objectif fixé par l'Union européenne de collecter 90 % des bouteilles plastiques en vue de leur recyclage en 2029. Ainsi, en Allemagne, par exemple, le taux de collecte pour recyclage de toutes les bouteilles en PET est d'environ 98 %28(*).

Comme l'avait estimé le Gouvernement lors de l'examen de la loi « AGEC » en 2019 et 2020, la consigne pour recyclage pourrait alors apparaître comme la solution miracle pour atteindre l'objectif de 90 % de collecte pour recyclage des bouteilles en plastique pour boisson d'ici 2029, fixé par le droit de l'Union européenne et le droit national.

Toutefois, le système est moins performant qu'il n'y paraît.

a) CAR les bouteilles à considérer ne sont pas seulement les bouteilles en PET, mais l'ensemble des bouteilles plastiques

Les excellents résultats de l'Allemagne en matière de collecte pour recyclage des bouteilles plastiques, fréquemment mis en avant, concernent uniquement les bouteilles en PET.

Or, l'atteinte de l'objectif de 90 % nécessite également de collecter les bouteilles fabriquées avec d'autres résines plastiques, comme le PEHD. Celui-ci est pourtant exclu la plupart du temps du périmètre de la consigne29(*) - notamment pour des raisons sanitaires dans la mesure où il est surtout utilisé pour la fabrication des bouteilles de lait. En France, le PEHD est utilisé pour fabriquer 45 % des bouteilles de lait, qui sont également concernées par l'objectif d'une collecte pour recyclage de 90 % d'ici 202930(*).

L'atteinte de l'objectif de 90 % pour l'ensemble des bouteilles plastiques pour boisson suppose donc :

soit, de capter, via le SPGD, au moins 90 % des bouteilles non consignées fabriquées à partir d'autres résines, ce qui soulève la question de la pertinence de créer un deuxième système parallèle exclusivement pour les bouteilles en PET ;

soit, de mettre en place un système de consigne sur toutes les bouteilles plastiques indépendamment de leur résine. Mais dans la majorité des cas européens recensés par l'Ademe, la consigne pour recyclage ne porte que sur les bouteilles en PET. En tout état de cause, une consigne généralisée à l'ensemble des bouteilles plastiques supposerait, en termes d'organisation, que les bouteilles collectées par cet intermédiaire soient sur-triées. Là encore, le caractère opportun de la mise en place d'un nouveau système parallèle n'est pas une évidence.

b) CAR les situations en Europe sont plus diverses que ce que les défenseurs de la consigne pour recyclage laissent penser

Certains pays qui ont mis en place un dispositif de consigne pour recyclage n'atteignent pas encore l'objectif de collecte de 90 % pour les bouteilles de PET. C'est par exemple le cas de la Suède, où il est de 86 %31(*) et de la Croatie, où il est de 88 %32(*).

En tout état de cause, en raison de l'hétérogénéité des modèles de collecte et de tri des déchets, la comparaison européenne présente d'évidentes limites.

La France se caractérise par une place historique du SGPD dans la gestion des déchets : les éco-organismes y jouent un rôle plus limité, avant tout financier. Ce n'est pas le cas de tous les pays européens, où la REP « emballages » s'articule souvent autour d'un ou de plusieurs éco-organismes « opérationnels ».

Ce dernier modèle - impliquant une gestion quasiment directe du flux de déchets par son metteur sur le marché - semble plus à même de s'articuler avec un système de consigne pour recyclage qu'une REP « à la française », finançant un service public géré localement.

En outre, il est difficile de transposer les résultats de pays qui sont très souvent plus petits et plus denses que la France. À titre d'exemple, si la France avait le même maillage de points de reprise que le Danemark au kilomètre carré, il en faudrait environ 70 000, rien que sur le territoire métropolitain33(*), contre 58 000 dans le scénario de base de l'Ademe34(*).

À cet égard, il semble difficile de tirer les leçons des éventuels succès étrangers, qui pourraient être complexes de transposer dans notre pays.

c) CAR l'atteinte de l'objectif de 90 % avec un dispositif de consigne repose sur un ensemble de conditions, dont rien n'indique qu'elles puissent être remplies

Selon l'étude de l'Ademe de 2023, l'atteinte de l'objectif de 90 % de collecte pour recyclage des bouteilles en plastique pour boisson en 2029 en cas de mise en place d'un dispositif de consigne pour recyclage n'est pas garantie.

Un dispositif de consigne pour recyclage des bouteilles en plastique performant reposerait donc en effet sur plusieurs conditions, dont rien n'indique qu'elles puissent être remplies :

- un montant de la consigne suffisamment incitatif35(*) ;

- un système de marquage suffisamment facile à comprendre pour le consommateur, afin d'assurer une bonne compréhension du dispositif et une simplicité d'utilisation ;

- une communication et une sensibilisation efficace à comprendre pour le consommateur, afin de faciliter l'adhésion et la compréhension du dispositif, et de limiter l'effet potentiel de la consigne sur le geste de tri en collecte sélective ;

- la mise en place d'un maillage plus fin de points de reprise des emballages consignés comprenant non seulement les commerces de grande et moyenne surface, mais aussi les supérettes et les autres petits commerces. À cet égard, la situation française peut difficilement être comparée à celle de nombreux pays où la consigne a été mise en place, plus petits et plus denses. Or, pour les petits commerces, la collecte est plus difficile à mettre en place - en raison du manque de place - et coûte plus cher - en raison des coûts de personnel élevé en cas de déconsignation manuelle ;

- la mise en place d'une collecte et d'un traitement performant des emballages consignés non repris et des bouteilles plastiques dont les résines pourraient ne pas être couvertes par la consigne (comme les bouteilles de lait). Il serait donc nécessaire d'améliorer, dans le même temps, l'efficacité du bac jaune. Il est paradoxal que l'efficacité du dispositif censé pallier les insuffisances du bac jaune repose sur la performance de ce dernier.

Il convient de noter que certaines de ces conditions impliquent des coûts élevés, aussi bien d'investissement que de fonctionnement.

2. La consigne pour recyclage : une « fausse bonne idée » environnementale

Derrière des atours attrayants, la consigne pour recyclage est susceptible d'induire des effets pervers environnementaux, qui rendent son choix discutable. Aussi, le dispositif a tout de la « fausse bonne » idée verte.

a) CAR loin de lutter contre le plastique, la consigne pour recyclage en pérennise la production et la consommation !

Il convient tout d'abord de rappeler que le processus de recyclage du plastique n'est pas un mécanisme de « résorption des déchets ». Il ne peut pas fonctionner en boucle parfaitement fermée, en raison de la dégradation progressive de la qualité des polymères. Cela implique d'une part la production inévitable de déchets ultimes non recyclables, et d'autre part un usage persistant d'énergies fossiles pour intégrer du plastique primaire dans les nouvelles bouteilles. Le recyclage est un « amortisseur temporel »36(*) de la production de déchets, pour reprendre l'expression du rapport de 2020 de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) d'Angèle Préville et Philippe Bolo. Il ne fait que prolonger la durée de vie d'une matière qui reste, in fine, un déchet à éliminer.

Nécessaire à la bonne gestion d'un déchet déjà produit, le recyclage n'en demeure pas moins inopérant pour atteindre les objectifs de réduction de la consommation plastique.

La consigne pour recyclage sur les bouteilles plastiques pourrait même être un frein à l'atteinte des objectifs de réduction spécifiques fixés par la loi sur ce gisement - division par deux d'ici 2030 et disparition complète en 2040.

Elle pourrait tout d'abord entraîner un « effet rebond »37(*). Le dispositif ancre en effet dans la durée la consommation des plastiques à usage unique dans les habitudes des consommateurs. Rendre la bouteille consignée donne immanquablement l'impression illusoire que le « devoir écologique » est accompli, et cela, qui plus est, par un geste qu'on pourrait qualifier de « ludique ». La consigne détournerait donc l'attention du consommateur des objectifs prioritaires en matière de déchets.

La consigne pour recyclage sur les bouteilles en plastique induit également un risque « d'effet verrou »38(*) : les investissements nécessaires pour mettre en place le dispositif peuvent détourner des politiques de réduction du volume des déchets afin de s'assurer de l'équilibre économique du système de consigne. Certains acteurs de l'industrie plastique interrogés par la rapporteure dans le cadre de la mission d'information ont d'ailleurs souligné que l'objectif de réduction de la consommation de bouteilles pourrait difficilement s'articuler avec les investissements qui devraient être consentis pour développer la consigne pour recyclage.

Proportion de boissons vendues dans des emballages réutilisables en Allemagne de 2004 à 2020 (en pourcentage)

Ministère fédéral allemand de l'Environnement, de la Protection de la nature, de la Sécurité nucléaire et de la Protection des consommateurs

En Allemagne, on observe ainsi une corrélation forte -- certes sans lien de causalité strictement démontré -- entre la mise en place de la consigne pour recyclage des bouteilles en PET et l'intensification de leur consommation. En 2004, au moment où une telle consigne a été mise en place, la part des bouteilles réutilisables était de 66,3 %. Elle est descendue jusqu'à 41,2 % en 201839(*). Cela représente une diminution de l'usage des bouteilles réutilisables de 38 %. Au sein des emballages pour boisson à usage unique, la part des briques en carton par rapport aux bouteilles en plastique a également décru sur la période.

L'étude « consommateur » de l'Ademe relève certes qu'une partie des Français estiment qu'ils achèteront moins de bouteilles en plastique pour boisson en cas de mise en place de la consigne pour recyclage, avec un baisse de la consommation des boissons non consignées (entre un cinquième et un tiers des Français)40(*) ou vers l'eau du robinet (pour un tiers des Français)41(*).

Néanmoins, l'Ademe reconnaît que « ces résultats doivent (...) être exploités avec prudence dans la mesure où il s'agit de comportements anticipés par le consommateur qui dépendent de sa capacité à se projeter dans un dispositif qui n'existe pas à date »42(*).

Par ailleurs, et surtout, ces résultats ne prennent pas en compte l'effet « verrou » de la consigne sur l'offre, précédemment décrit.

Pour la rapporteure, les études de l'Ademe ne contredisent donc pas l'analyse faite par la commission : la consigne pour recyclage risque de pérenniser la production et la consommation de plastique.

b) CAR la consigne complexifie le geste de tri, alors qu'il venait tout juste d'être simplifié !

La consigne pour recyclage est également source d'une complexification du geste de tri. L'extension des consignes de tri (voir supra), généralisée à la quasi-totalité du territoire en début d'année, visait pourtant le contraire !

Il pourrait donc sembler contradictoire d'exiger du citoyen-consommateur un geste de tri spécifique reposant sur la consigne pour une partie des déchets - bouteilles plastiques ou canettes en aluminium - alors même que lui demander un geste de tri unique a été identifié ces dernières années comme un moyen pivot afin d'assurer une collecte efficace des déchets ménagers recyclables.

Le moment choisi est particulièrement inopportun puisque cette politique de simplification engagée depuis maintenant huit ans vient tout juste d'être généralisée et n'a toujours pas déployé tous ses effets.

Selon l'étude « consommateur » réalisée par l'Ademe, les Français déclarent certes ne pas envisager de moins trier en cas de mise en place de la consigne pour recyclage43(*).

Cependant, l'agence appelle, encore une fois, à utiliser ces résultats avec prudence, « dans la mesure où il s'agit de comportements anticipés par le consommateur qui dépendent de sa capacité à se projeter dans un dispositif qui n'existe pas à date »44(*).

c) CAR les bouteilles en plastique ne sont que la partie visible de la pollution plastique et des enjeux d'économie circulaire !

Le choix d'une consigne pour recyclage pour les bouteilles en plastique pourrait également être paradoxal puisqu'il reviendrait à mettre en place un dispositif de collecte spécifique pour un gisement secondaire. Les bouteilles en plastique pour boisson représentent 1 % des déchets ménagers45(*), 2,8 % des déchets d'emballages46(*) et 15,4 % des déchets emballages en plastique47(*). Quel que soit le référentiel choisi, les bouteilles en plastique représentent une très faible part des gisements de déchets.

Il en est de même avec les « dépôts sauvages ». Contrairement à un préjugé largement répandu sur la consigne pour recyclage48(*), celle-ci ne peut qu'avoir un impact marginal sur leur résorption car les bouteilles en plastique ne représentent que 1 % des déchets non collectés et abandonnés49(*).

Les bouteilles en plastique pour boisson sont aussi bien mieux recyclées que la plupart des déchets. Elles sont collectées pour recyclage à hauteur de 60,3 % en 202250(*) alors que le taux de recyclage des emballages plastiques est de 21,4 %51(*). Il est donc peu rationnel de concentrer les efforts sur le gisement sur lequel les progrès seront, par définition, les plus faibles.

Une consigne pour recyclage, si elle devait être mise en place, devrait donc porter sur plusieurs gisements, et inclure notamment les canettes en aluminium, qui ont un taux de recyclage très inférieur à celui des bouteilles plastiques : deux canettes sur trois ne sont pas recyclées.

L'Ademe souligne à ce propos que « tous les scénarios modélisés avec consigne présentent, en moyenne, des taux de collecte pour recyclage des emballages légers inférieurs à celui de la trajectoire ambitieuse de la collecte sélective sans consigne »52(*).

La consigne ne couvre qu'entre 11 % et 18 % des emballages légers, mais le choix de la mettre en place ou non a des effets d'entraînements forts sur la collecte du reste de ceux-ci53(*). Un écart compris entre 3 et 4,2 points de la performance de la collecte pour recyclage des emballages légers apparaît entre les scénarios avec consigne pour recyclage et du scénario sans consigne en faveur de ce dernier54(*).

Source : Ademe

Contrairement au dispositif de consigne pour recyclage, les solutions proposées dans le présent rapport d'information pour un bac jaune ambitieux améliorent le recyclage de l'ensemble des déchets d'emballages, tout en incitant, pour certaines de ces solutions, au tri à la source des biodéchets, aujourd'hui très peu valorisés alors qu'ils représentent un tiers des ordures ménagères résiduelles.

À cet égard, la rapporteure ne souscrit pas au parti-pris méthodologique de l'Ademe55(*), qui associe au dispositif de consigne une activation « intermédiaire » des autres leviers d'amélioration du bac jaune. Déployer un dispositif spécifique et coûteux pour certains emballages ne peut pas être une justification pour mettre en place une collecte au rabais, et donc moins performante, pour l'ensemble des emballages légers !

« Des milliers de RVM [reverse vending machine /automate] ne remplaceront jamais des millions de bacs jaunes »56(*).

3. Un dispositif économiquement irrationnel, socialement et territorialement injuste
a) CAR l'efficacité du dispositif implique de faire coexister deux systèmes de collecte...au mépris de la rationalité économique

Les scénarii élaborés par l'Ademe dans lesquels la consigne pour recyclage permet d'atteindre l'objectif de 90 % de collecte des bouteilles plastiques pour boisson impliquent des coûts trop souvent sous-estimés dans le débat public.

L'Ademe rappelle également la nécessité d'un maillage fin de points de déconsignation, notamment dans les petits commerces. Or, la collecte manuelle a un coût deux à trois fois plus élevé que la collecte mécanique57(*).

Aussi, le succès du système de consigne suppose, en parallèle, la mise en place d'une collecte performante des emballages consignés non repris et des bouteilles plastiques dont les résines pourraient ne pas être couvertes par la consigne (comme le PEHD).

Une fois l'ensemble de ces coûts pris en compte, il est possible de comparer le coût annuel des trajectoires avec consigne pour recyclage et de la trajectoire bac jaune ambitieux sur l'ensemble des emballages légers. À horizon 2029, selon l'Ademe, une trajectoire de bac jaune ambitieux aurait un coût net total de 1,834 milliard d'euros par an contre 2,015 milliards à 2,063 milliards58(*) pour les scénarios qui incluent dans le champ de la consigne au moins les bouteilles en PET et les canettes contre 1,126 milliard d'euros par an aujourd'hui59(*). Ce montant ne prend pas en compte les consignes non retournées, qui ne doivent pas être considérées comme une source de financement du dispositif.

Si l'on exclut le scénario de la consigne à périmètre réduit au PET clair et foncé, le surcoût des scénarios avec consigne pour les citoyens-contribuables peut donc être évalué à un montant compris entre 181 et 229 millions d'euros par an à partir de 202960(*).

Ce chiffre pourrait même être sous-estimé en raison du parti-pris méthodologique de l'étude de l'Ademe, qui fait associer au dispositif de consigne pour recyclage une simple « trajectoire intermédiaire » pour le bac jaune. Or, la rapporteure estime que les mesures du scénario « bac jaune ambitieux » sont nécessaires, à long terme, pour atteindre les objectifs de recyclage de tous les emballages61(*).

En somme, la consigne n'est absolument pas efficiente au regard des moyens engagés : il semble économiquement irrationnel d'investir dans un dispositif si coûteux - particulièrement dans des machines de déconsignation, dont le coût est estimé par l'Ademe à 1,2 milliard d'euros - dans l'hypothèse retenue d'un gisement devant être divisé par deux d'ici 2030 et complètement disparaître d'ici 2040.

Dans le contexte économique et social actuel, il serait pour le moins préjudiciable d'alourdir encore plus la facture du contribuable.

Il serait à l'inverse plus pertinent d'améliorer les performances de la collecte issue du bac jaune, qui bénéficie à tous les types de matériaux.

b) CAR l'irrationalité économique de la consigne devra être compensée, par les collectivités territoriales, et donc par le contribuable local

Le surcoût de la trajectoire avec consigne par rapport à la trajectoire ambitieuse sans consigne devra être financé.

C'est d'abord les collectivités territoriales, et donc le contribuable qui devra absorber ce surcoût. Les collectivités ont en effet engagé des investissements élevés pour moderniser et augmenter leurs capacités de collecte et leurs centres de tri. Depuis 2015, ces investissements sont estimés à environ 1,5 à 2 milliards d'euros par le Cercle national du recyclage. Il est donc paradoxal de ne pas se saisir de ces infrastructures de qualité qui sont disponibles pour collecter et trier tous les déchets, dont les bouteilles en plastique.

En outre, pour répondre à la nécessité de mieux collecter et trier le reste du bac jaune, ces investissements devraient s'intensifier dans les prochaines années, non seulement dans les centres de tri, mais surtout dans les dispositifs de collecte.

Si une consigne pour recyclage aboutit à retirer du bac jaune les bouteilles en plastique et les canettes en aluminium, alors le coût de traitement des déchets à la tonne augmenterait mécaniquement pour les collectivités territoriales, puisque les coûts liés au traitement des déchets sont majoritairement fixes. Les collectivités territoriales devraient alors prendre en charge au moins 20 % de ce surcoût62(*).

L'étude de l'Ademe va, certes, à rebours de ce raisonnement, en estimant que les coûts de gestion des emballages légers pour le service public de gestion des déchets seront les mêmes avec ou sans consigne pour recyclage63(*).

Ce résultat est toutefois biaisé par le parti-pris méthodologique de l'étude, qui fait coexister le dispositif de consigne pour recyclage avec une simple « trajectoire intermédiaire » pour le bac jaune. Or, cette trajectoire intermédiaire se traduira par une moindre performance de collecte sur les emballages légers, comme le reconnaît au demeurant l'Ademe (cf supra).

On peut donc déduire de l'étude de l'Ademe, qu'à performance égale, sur l'ensemble des emballages, le scénario avec consigne est plus coûteux pour les collectivités qu'un scénario ambitieux sans consigne.

Un énième dispositif de compensation par l'État ne règlerait rien au problème. Outre sa complexité évidente et son effectivité incertaine, il ne ferait que transférer le coût exorbitant de la consigne du contribuable local au contribuable national...qui sont en définitive la même et unique personne !

c) CAR la consigne pour recyclage se finance « sur le dos » des consommateurs

La seconde partie du surcoût de la consigne sera supportée par les consommateurs de bouteilles - mais également par ceux qui n'en achètent pas !

Les consommateurs de bouteilles seront les premiers pénalisés puisque le système sera en partie financé par le non-remboursement des bouteilles non reprises. Dans les scénarios comprenant une consigne pour recyclage s'étendant au moins au périmètre des bouteilles en PET et aux canettes de l'Ademe, le montant des consignes non rapportées est estimé à une somme comprise entre 161 à 252 millions d'euros en 2029, dans l'hypothèse d'un taux de reprise d'au moins 90 % et d'une division par deux de la quantité de bouteilles mises sur le marché64(*). Cela représente une taxe annuelle déguisée allant de 2,40 à 3,70 euros par an et par Français.

Mais la ponction pourrait être bien plus élevée les premières années de mise en place du dispositif, car le taux de collecte initial sera plus faible - au mieux égal à 80 % - et le gisement de bouteilles plastiques ne sera pas immédiatement divisé par deux. Cette taxe déguisée pourrait ainsi être multipliée par quatre !

Or, l'enquête de l'Ademe sur la perception par les consommateurs des dispositifs de consigne pour recyclage fait apparaître que « le coût financier est assez largement redouté par les répondants », en particulier les jeunes et les plus modestes65(*).

Par ailleurs, l'augmentation du coût du traitement des déchets du bac jaune consécutive au détournement des flux d'emballages consignés pourrait être compensée par une hausse des contributions financières payées par les entreprises restant assujetties à la REP au titre des emballages mis sur le marché et ne faisant pas l'objet d'un dispositif de consigne pour recyclage. Cela aura évidemment un effet inflationniste, supporté in fine, par le consommateur66(*).

Dans la période actuelle d'inflation et de contraction du pouvoir d'achat, ce surcoût pour le consommateur est peu acceptable. Au demeurant, celui-ci devrait quoiqu'il arrive supporter, lors de la mise en place d'un tel dispositif, une avance de frais même quand il rapporte sa bouteille dans la machine à déconsigner. Or, pour être efficace, selon l'Ademe, la consigne devrait être d'au moins 15 centimes67(*) voire 2068(*) pour les bouteilles en PET. Ce niveau peut apparaître très élevé pour de nombreux consommateurs : l'acceptabilité sociale de la consigne est donc loin d'être garantie.

d) CAR la consigne pour recyclage présente un risque de rupture d'égalité territoriale

Dans les territoires ruraux, avec un maillage prévu dans tous les scénarios, sauf dans le scénario maillage dense, de 1 point de reprise pour 1 168 habitants69(*), les points de collecte seront plus éloignés du domicile des habitants et plus fréquemment manuels, ce qui est plus contraignant, que dans les autres territoires.

Cette forte contrainte -- loin d'être vertueuse d'un point de vue environnemental est d'autant plus problématique qu'elle porterait sur les habitants des territoires qui ont actuellement les taux de recyclage des bouteilles les plus élevés, et qui pourraient sans difficulté se passer de la consigne pour atteindre l'objectif de collecte pour recyclage de 90 % en 2029.

Cette situation impliquerait aussi une concurrence déséquilibrée entre commerces en fonction de leur surface. La présence de machines de déconsignation orienterait mécaniquement la population vers les grandes surfaces de périphérie au détriment des petits commerces et accentuerait donc la dévitalisation des centres-villes et centres-bourgs.

En outre, même en cas de mise en place d'une consigne pour recyclage avec un maillage plus fin du territoire - qui ne ferait qu'atténuer, mais pas disparaître les inégalités territoriales - la présence de points de déconsignation manuelle dans les petits commerces serait une contrainte bien plus difficile à gérer pour eux, vu le peu d'espace dont ils disposent, que dans les plus grandes surfaces. Cette contrainte supplémentaire semble donc peu opportune au regard de la déprise commerciale observée dans les territoires ruraux et de la situation dégradée des commerces en milieu rural70(*).

En définitive, la consigne pour recyclage :

- n'est pas aussi performante qu'il n'y paraît ;

- est une « fausse bonne » idée environnementale, s'inscrivant à contre-courant de la « marche de l'histoire » tendant à réduire les déchets, en particulier plastiques ;

- est un gouffre financier qui sera supporté par les contribuables et les consommateurs.


* 26 Ademe, 2023, Benchmark européen des dispositifs de consigne pour réemploi et/ou recyclage des emballages, p. 18.

* 27 Cour des comptes européenne, Les mesures prises par l'UE pour lutter contre le problème des déchets plastiques, 2020, p. 30.

* 28 Ademe, 2023, Benchmark européen des dispositifs de consigne pour réemploi et/ou recyclage des emballages, p. 19.

* 29 Ademe, 2023, Benchmark européen des dispositifs de consigne pour réemploi et/ou recyclage des emballages, pp. 21 et 23.

* 30 Ministère de la transition écologique, Stratégie nationale « 3r » pour les emballages en plastique à usage unique, Annexe 7, Fiches sectorielles, 2022, p. 37.

* 31 Ademe, 2023, Benchmark européen des dispositifs de consigne pour réemploi et/ou recyclage des emballages, p. 19.

* 32 Ademe, 2023, Benchmark européen des dispositifs de consigne pour réemploi et/ou recyclage des emballages, p. 19.

* 33 Calcul réalisé à partir des données contenues dans : Ademe, 2023, Benchmark européen des dispositifs de consigne pour réemploi et/ou recyclage des emballages, p. 40.

* 34 Ademe, 2023, Scénarios avec et sans consigne pour recyclage des emballages de boisson, p. 150.

* 35 Ademe, 2023, Scénarios avec et sans consigne pour recyclage des emballages de boisson, pp. 81-85. L'Ademe précise également que « le montant de la consigne constitue le principal facteur explicatif des performances pouvant être atteintes en termes de taux de reprise au regard des corrélations observées à l'international » (ibid. p. 24).

* 36 Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, 2020, Pollution plastique : une bombe à retardement ?, p. 221.

* 37 Ibid.

* 38 Ibid.

* 39 BMUV, Anteile der in Mehrweg-Getränkeverpackungen abgefüllten Getränke.

* 40 Ademe, 2023, Enquête sur les perceptions et pratiques des consommateurs en cas de mise en place de la consigne pour recyclage sur les emballages de boisson en France, Rapport de résultats, p. 41.

* 41 Ibid, p. 46.

* 42 Ademe, 2023, Scénarios avec et sans consigne pour recyclage des emballages de boisson, p. 57.

* 43 Ademe, 2023, Enquête sur les perceptions et pratiques des consommateurs en cas de mise en place de la consigne pour recyclage sur les emballages de boisson en France, Rapport de résultats, p. 52.

* 44 Ademe, 2023, Scénarios avec et sans consigne pour recyclage des emballages de boisson, p. 58.

* 45 33,5 millions de tonnes de déchets ménagers ont été produites en France en 2020 selon le Bilan environnemental de la France - Édition 2022, p. 99.

* 46 12,7 millions de tonnes de déchets d'emballages sont produites en France en en 2020 selon l'Ademe (Ademe, 2022, La valorisation des emballages en France, données 2020, p. 6).

* 47 2,4 millions de tonnes de déchets d'emballages sont produites en France en 2020 selon l'Ademe (ibid).

* 48 Plus de 70 % des Français croient ainsi que la consigne « permettra de réduire le nombre de déchets jetés dans la nature » (Ademe, 2023, Enquête sur les perceptions et pratiques des consommateurs en cas de mise en place de la consigne pour recyclage sur les emballages de boisson en France, Rapport de résultats, p. 30).

* 49 Ademe, 2023, Scénarios avec et sans consigne pour recyclage des emballages de boisson, p. 40.

* 50 Ademe, 2023, Évaluation du taux de collecte des bouteilles en plastique de boisson pour 2021 et 2022, p. 21.

p. 24

* 51 Ademe, 2022, La valorisation des emballages en France, données 2020, p. 6.

* 52 Ademe, 2023, Scénarios avec et sans consigne pour recyclage des emballages de boisson, p. 22.

* 53 Ademe, 2023, Scénarios avec et sans consigne pour recyclage des emballages de boisson, p. 22.

* 54 Ademe, 2023, Scénarios avec et sans consigne pour recyclage des emballages de boisson, p. 22.

* 55 Ademe, 2023, Scénarios avec et sans consigne pour recyclage des emballages de boisson, p. 15.

* 56 Citation d'un représentant de l'UFC que Choisir entendu par la rapporteure.

* 57 Ademe, 2021, Consigne pour réemploi et recyclage des bouteilles de boissons, p. 97.

* 58 Ademe, 2023, Scénarios avec et sans consigne pour recyclage des emballages de boisson, p. 31.

* 59 Ibid, p. 36.

* 60 Ibid, p. 31.

* 61 En application de la directive « emballages », ceux-ci doivent être recyclés à 70 % d'ici le 31 décembre 2030.

* 62 À l'heure actuelle, les collectivités reçoivent une compensation par les éco-organismes dans le cadre de la REP « emballages ménagers » à hauteur de seulement 80 % d'un coût net optimisé de gestion des déchets d'emballages ménagers. Le taux réel moyen de prise en charge est par conséquent inférieur à 80 %.

* 63 Ademe, 2023, Scénarios avec et sans consigne pour recyclage des emballages de boisson, pp. 59-60.

* 64 Ademe, 2023, Scénarios avec et sans consigne pour recyclage des emballages de boisson, p. 31.

* 65 Ademe, 2023, Enquête sur les perceptions et pratiques des consommateurs en cas de mise en place de la consigne pour recyclage sur les emballages de boisson en France, Rapport de résultats, pp. 23-24.

* 66 Voir sur ce point Ademe, 2023, Scénarios avec et sans consigne pour recyclage des emballages de boisson, p. 65.

* 67 Ademe, 2023, Scénarios avec et sans consigne pour recyclage des emballages de boisson, p. 24.

* 68 Ademe, 2023, Scénarios avec et sans consigne pour recyclage des emballages de boisson, p. 25. Selon l'Ademe, une consigne à un niveau aussi élevé est nécessaire car « le montant de la consigne constitue le principal facteur explicatif des performances pouvant être atteintes en termes de taux de reprise au regard des corrélations observées à l'international » (ibid., p. 24).

* 69 Ademe, 2023, Scénarios avec et sans consigne pour recyclage des emballages de boisson, p. 17.

* 70 Rapport d'information n° 577 (2021-2022) de MM. Bruno Belin et Serge Babary, « Soutenir le commerce en milieu rural : 43 mesures déclinées en 10 axes », fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et de la commission des affaires économiques, déposé le 16 mars 2022.

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