IV. COMPTE RENDU DE LA RÉUNION DU 16 FÉVRIER 2023 D'EXAMEN DU RAPPORT

M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. Chers collègues, nous nous retrouvons ce matin pour l'examen du rapport de Catherine Procaccia sur l'évolution de la contamination des Antilles par la chlordécone. Je voudrais commencer par remercier notre collègue, et cela pour trois raisons. La première est son souci d'effectuer un suivi approfondi d'un travail qu'elle avait mené pour l'Office avec Jean-Yves Le Déaut, dès 2009, il y a donc bientôt 14 ans.

Le rapport de l'époque avait eu un très fort impact dans la communauté scientifique et aux Antilles, ainsi que dans les sphères gouvernementales. Malheureusement, il a mis beaucoup de temps à être suivi d'effets. Il était donc très important d'en faire le bilan aujourd'hui et surtout de voir où en sont la contamination, la prise en charge des populations et les recherches sur cette molécule bien particulière. Cette action de suivi doit être un modèle pour les rapports de l'Office.

La deuxième raison de vous remercier tient aux deux très intéressantes auditions publiques que vous avez organisées devant l'Office, en février et octobre dernier, avec des interlocuteurs de grande qualité, certains connectés depuis les Antilles, où ces auditions ont d'ailleurs été très remarquées.

Enfin, la troisième est votre participation au colloque scientifique, consacré à la chlordécone, qui s'est tenu, en Guadeloupe, au mois de décembre. Je sais que votre participation a été très appréciée, qu'elle a donné, à travers vous, une excellente image de l'Office. Je tiens donc à vous en remercier. Sans aller plus loin, je vous laisse la parole pour nous présenter votre rapport.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur. Merci, Monsieur le Président. C'est moi qui dois remercier l'Office de m'avoir permis de suivre ce dossier depuis autant d'années et d'avoir mis en place ce suivi.

La chlordécone est un pesticide, qui a été notamment utilisé en Guadeloupe et en Martinique, entre 1972 et 1993, pour lutter contre le charançon, un insecte qui détruisait les plantations de bananes. Trente après son interdiction, en raison de sa rémanence, cette molécule contamine toujours les deux départements. La découverte de son impact sur les sols, sur l'eau, sur la flore, sur la faune, sur l'Homme et sur ses activités ont fait de la lutte contre cette pollution un enjeu majeur, mais seulement depuis la fin des années 2000.

À l'époque, avec Jean-Yves Le Déaut, alors président de l'Office, nous avions établi un premier rapport. Nous qualifiions alors la chlordécone d'alien chimique. Nous évoquions un accident environnemental susceptible de s'étendre sur plusieurs siècles, mais nous précisions bien que ce n'était qu'en poursuivant des études scientifiques et médicales que nous pourrions mesurer l'impact sanitaire sur la population.

Treize ans après la publication de notre rapport, j'ai souhaité faire le point sur les études scientifiques et médicales qui ont été menées et évaluer les progrès des connaissances, particulièrement sur les possibilités de dépollution des sols, de sécurisation des ressources agricoles et sur les conséquences sanitaires et sociales.

J'ai organisé deux auditions publiques sous forme de tables rondes, avec des chercheurs, les services de l'État, des représentants politiques et des associations locales de citoyens. La première, le 17 février, a permis de faire le point sur les recherches en matière de dépollution et sur les conséquences environnementales et agricoles de cette contamination ; la seconde, en octobre, sur ses conséquences sanitaires et ses répercussions sociales.

Je me suis également rendue en Guadeloupe pour les rencontres Chlordécone 2022, qui ont rassemblé l'ensemble de la communauté des chercheurs engagés sur cette thématique, une communauté relativement réduite. Au cours de ces trois jours très denses, les chercheurs nous ont présenté leurs derniers résultats et les recherches qui restent à mener. J'ai complété ces travaux par cinq auditions rapporteur auxquelles j'avais convié mes collègues et certains ont pu y assister. Je précise que les procédures judiciaires en cours n'ont jamais interféré avec nos travaux.

Dans un premier temps, je vous présenterai l'état des connaissances sur la contamination aux Antilles, puis les solutions qui ont été développées et je terminerai par la mise en oeuvre des actions de l'État.

En 2009, lors de la publication de notre premier rapport, les études indiquaient une faible dégradation de la molécule en conditions naturelles et l'impossibilité technique de la détruire. L'élimination de la chlordécone ne reposait que sur sa diffusion dans l'environnement. Alors, les prédictions évaluaient une durée de contamination des sols antillais pouvant aller jusqu'à sept siècles, avec une rémanence dépendant fortement des types de sols, qui sont volcaniques aux Antilles. C'est donc avec autant d'étonnement que de satisfaction que j'ai appris que les perspectives avaient évolué.

Plusieurs travaux ont mis en évidence une dégradation naturelle de la chlordécone et ont montré que sa concentration dans les sols diminuait plus rapidement qu'escompté. Les sols antillais pourraient ainsi présenter, d'ici la fin du siècle, des taux inférieurs aux limites de détection actuelles. Pour autant, ces travaux doivent être appréciés avec prudence. Comme j'ai pu le mesurer lors du colloque scientifique, il n'existe pas vraiment un consensus clair, dans la communauté scientifique, sur ce sujet. Seules des études complémentaires pourront confirmer ces résultats et j'espère, ne pas les infirmer.

En 2009, nous avions insisté sur la cartographie des sols. Malheureusement, ce travail indispensable n'a pas été effectué en totalité. Celle qui a été réalisée à ce jour ne couvre qu'une faible partie des territoires antillais. Cela s'explique par le choix de faire reposer les cartographies sur les seules analyses gratuites de sols, proposées aux agriculteurs et non imposées, et aux propriétaires de jardins familiaux, dans le but qu'ils adaptent leurs pratiques agricoles à un éventuel taux de contamination des terres.

À l'époque, nous avions aussi un autre sujet de préoccupation. Nous avions découvert que la chlordécone utilisée aux Antilles ne représentait qu'une faible part de la production de cet insecticide. Interdit sur le sol américain, après un accident industriel, cet insecticide a cependant continué à être fabriqué et utilisé ailleurs dans le monde. Une proportion très importante avait été transformée et vendue dans différents pays du bloc communiste contre le doryphore de la pomme de terre.

Malgré nos recommandations et le souhait d'une coopération scientifique internationale, aucune enquête n'a été conduite à l'étranger et en Europe. Seulement très récemment, une étude, menée par l'Union européenne, a étudié 3 431 échantillons de sol et n'a pas trouvé de trace de chlordécone. En 2009, des traces avaient été trouvées dans l'eau en Allemagne.

J'en viens aux modalités de contamination des milieux par la chlordécone, d'abord à la contamination de l'eau.

Bien que la chlordécone présente une forte affinité pour la matière organique et soit peu soluble dans l'eau, elle peut être lessivée à petites doses par les flux pluviométriques. Elle est alors majoritairement transférée vers les aquifères, qui se retrouvent fortement contaminées. Ceux-ci contribuant au débit des rivières, ces dernières se trouvent également touchées, de même que les eaux de source.

De récents travaux ont montré que le temps de résidence des eaux au sein des aquifères, aux Antilles, pouvait être de plusieurs dizaines d'années. Aussi, même après la disparition de la chlordécone contenue dans les sols, la pollution des eaux se poursuivra pendant plusieurs dizaines d'années, le temps d'épuiser les stocks contenus dans les aquifères.

Naturellement, cette contamination se répercute dans les eaux marines. Elle diminue avec l'éloignement de la côte. Elle varie en fonction des saisons, les apports de chlordécone étant forcément plus importants en période pluvieuse. Les espèces marines sont alors impactées au travers de deux mécanismes. D'une part, le mécanisme de balnéation, qui représente la source majeure de contamination à proximité de la côte, dans la mangrove et les herbiers, et qui dépend de la concentration de chlordécone dans l'eau. D'autre part, par voie trophique, du fait de l'ingestion des proies contaminées, ce qui explique la contamination d'espèces dans des milieux éloignés, même si l'eau est faiblement polluée.

J'ai été particulièrement interpellée par la découverte de chlordécone dans plusieurs poissons, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et à Wallis. Jamais cela n'avait été évoqué jusqu'à présent. Même si les concentrations sont faibles, cette contamination interroge, puisque la chlordécone n'a a priori jamais été utilisée dans ces territoires et qu'elle est interdite depuis plus de 30 ans.

Concernant la contamination des végétaux, la chlordécone, présente dans le sol, se transfère dans les racines et tubercules qui poussent dans le sol et, dans une moindre mesure, dans les légumes qui poussent en contact avec la terre, comme les cucurbitacées et les salades. La contamination varie selon le type de sol et la nature de la plante. En revanche, un fruit ou un légume, qui pousse en hauteur, même en terre contaminée, ne l'est pas. Je rappelle que les terres contaminées sont celles sur lesquelles poussaient les bananiers où la chlordécone était déposée à leurs pieds, mais la banane, puisqu'elle pousse en hauteur, n'a jamais été contaminée.

Après la contamination de l'eau et des végétaux, j'en viens à celle des animaux. Ils peuvent être naturellement contaminés par l'eau ou par l'ingestion d'aliments eux-mêmes contaminés, mais aussi et surtout par l'ingestion involontaire de terres polluées. Cette contamination varie en fonction des espèces. Le comportement exploratoire des poules et l'activité de fouissage des porcs entraînent une ingestion particulièrement élevée, mais cela concerne aussi les bovins, qui peuvent ingérer de la terre en broutant.

Il faut noter que les effets de la contamination sur la biodiversité n'ont été jusqu'à présent quasiment pas étudiés. Ce domaine me paraît devoir être investi à l'avenir, dans une approche One Health , la santé des humains, des animaux, des écosystèmes étant liée et interdépendante.

En mangeant des légumes racines, des viandes, des oeufs ou des poissons contaminés, ou en buvant des eaux polluées, les Hommes se trouvent eux-mêmes contaminés par la chlordécone, sans oublier les travailleurs des bananeraies, qui, jusqu'en 1993, manipulaient cette poudre sans protection.

Après vous avoir exposé les mécanismes de cette pollution, je vais vous présenter les pistes qui ont été développées pour y faire face. En 2009, un consensus existait sur la très grande difficulté de dégrader la chlordécone. Diverses équipes de recherche ont continué à travailler sur plusieurs méthodes pour la détruire.

Les nouvelles recherches qui nous ont été présentées ont montré que dans des conditions de laboratoire spécifiques, plusieurs souches de bactéries pouvaient dégrader la chlordécone. Les molécules formées au cours de ces dégradations en laboratoire sont également présentes dans des échantillons de sols et d'eaux aux Antilles, prouvant l'existence d'une certaine dégradation naturelle de la chlordécone. Des travaux complémentaires sont en cours et ils sont indispensables, afin de déterminer s'il est possible de stimuler cette dégradation dans les conditions réelles de terrain.

Une seconde méthode repose sur l'ajout de réducteurs chimiques dans les sols, en l'occurrence du fer zéro valent. Cela permet de réduire de manière relativement importante la concentration en chlordécone du sol et cette méthode a montré son efficacité en conditions réelles. C'est en quelque sorte une chimiothérapie du sol. Cependant, la dégradation n'a lieu que dans la couche superficielle du sol, dans les quarante premiers centimètres. Aussi, cette technique réduit le transfert de la chlordécone vers les cultures, ce qui est une bonne chose, mais elle est peu efficace pour les transferts vers l'hydrosphère. De plus, les résultats obtenus sur les sols de type andosols sont plus modestes, alors qu'ils représentent la moitié des sols contaminés. Enfin, le coût associé est important, 160 000 euros par hectare, soit 3,2 milliards d'euros, dans l'hypothèse de 20 000 hectares contaminés.

Les recherches sont donc encore nécessaires avant de disposer d'une réelle solution de dépollution. Lorsque des résultats de laboratoire sont prometteurs, il me paraît essentiel de faciliter et de financer la mise en place des études en conditions réelles de terrain. Il apparaît aussi indispensable que les produits de transformation issus de ces méthodes soient analysés. Naturelle ou artificielle, la dégradation de la chlordécone entraîne la formation de produits de transformation, dont certains présentent une structure relativement similaire à celle de la chlordécone. La toxicité de ces produits et leurs propriétés doivent être étudiées, afin d'évaluer leur rémanence et leur transfert vers l'eau et les plantes. À l'heure actuelle, les informations disponibles sur ces composés sont relativement succinctes.

Pour la pollution de l'eau, les filtres à charbon actif sont assez efficaces. Ils assurent une décontamination des eaux de consommation. Même si quelques non-conformités continuent d'être constatées, probablement en raison d'un retard dans le remplacement de ces filtres, cette technique est efficace. Les efforts doivent être faits par les autorités pour éviter des restrictions d'usage ou interdictions temporaires de l'usage de l'eau, qui ont des incidences, notamment sur les personnes les plus vulnérables qui ne peuvent pas aller acheter de l'eau en bouteille, et pour éviter que les Antillais utilisent les eaux de source qui, elles, sont polluées et ne sont pas systématiquement contrôlées.

Face à la difficulté de dégrader la chlordécone présente dans les sols, une alternative est de séquestrer la molécule dans les sols, afin de réduire son transfert vers les plantes. Les recherches ont montré que les amendements de compost permettent de réduire de plus de 50 % la contamination de légumes, comme les radis qui sont dans le sol ou les concombres qui affleurent le sol. L'inconvénient est que le compost doit être renouvelé régulièrement et que la chlordécone est seulement immobilisée et non détruite.

Une piste pleine d'espoir repose sur l'utilisation de charbons d'origine végétale, dénommés biochars, notamment issus des sargasses pyrolysées. Ce serait une merveilleuse solution pour résoudre deux problèmes antillais.

Il n'y a sans doute pas une solution unique pour réduire la contamination liée à la chlordécone, mais diverses méthodes de dépollution. En attendant, des conseils permettent de vivre en évitant aux populations d'ingérer de la chlordécone. Les consommateurs sont invités à laver minutieusement et à éplucher généreusement leurs légumes, afin de réduire leur exposition. Agriculteurs et jardiniers sont invités à adapter leurs cultures en fonction de la contamination de leurs parcelles, puisque les plantes ne sont pas toutes impactées par un sol contaminé.

Les bonnes pratiques sont diffusées depuis 2010, au travers d'un programme appelé Jafa, qui propose aux Antillais propriétaires de jardins familiaux de bénéficier de l'analyse gratuite de leurs sols et de conseils agricoles et nutritionnels pour limiter leur exposition.

En matière d'élevage, la décontamination de l'animal, avant son abattage et sa consommation, est possible en le déplaçant sur des sols non pollués ou dans des élevages hors-sol. La faisabilité pratique dépend de la durée d'élevage de l'animal et de la durée nécessaire pour la décontamination. Pour les bovins, un outil d'aide à la décision permettant d'estimer la durée de décontamination à partir d'une simple prise de sang a été mis au point. Cette technique doit être développée plus largement parmi les agriculteurs aux Antilles.

Pour les produits de la pêche, des zones de restriction et d'interdiction, tant en milieu marin qu'en eau douce, ont été élaborées. Un dispositif de macaron a été mis en place pour les pêcheurs professionnels engagés dans une démarche de traçabilité de leurs produits.

Des campagnes de contrôle et des études ont montré que les risques étaient relativement limités pour les produits alimentaires issus des circuits officiels. En revanche, les auto-consommateurs de poissons, de crustacés, de tubercules et d'oeufs, résidant en zone contaminée, sont beaucoup plus exposés. Il est à déplorer que le contrôle des produits issus des circuits informels soit quasi inexistant et que les études leur étant consacrées soient très limitées. J'ai d'ailleurs positivement noté que les recommandations alimentaires émises par l'AFSSA, dès 2007, sont efficaces pour réduire le niveau d'exposition.

J'en viens à l'exposition de la population et aux effets sanitaires. D'après les prélèvements réalisés dans le cadre de l'étude Kannari, en 2013-2014, la molécule était détectée dans le sang de plus de 90 % des Antillais. 14 % des adultes guadeloupéens et 25 % des adultes martiniquais dépassaient le seuil de 0,4 microgramme par litre, récemment établi par l'ANSES comme la valeur toxicologique de référence en-dessous de laquelle, sur une longue période, le risque d'apparition d'effets néfastes dans la population est jugé négligeable.

Il faut préciser qu'en l'état actuel des connaissances, une chlordéconémie élevée ne signifie pas nécessairement des impacts futurs sur la santé et que ce dosage ne peut être considéré comme un outil de médecine prédictive. C'est d'ailleurs grâce à un amendement sénatorial de notre collègue Victoire Jasmin que chaque habitant antillais a dorénavant la possibilité de se faire doser gratuitement la chlordécone dans le sang. Cela va permettre aux scientifiques de mieux suivre l'imprégnation de la population, avec des éléments récents, puisque les chiffres que j'ai cités tout à l'heure sont tirés d'études menées il y a dix ans. Nous pourrons sans doute engager des actions de prévention, en fournissant des conseils adaptés aux personnes dont l'imprégnation est élevée.

J'en viens aux effets sanitaires, qui sont le coeur du sujet de la pollution à la chlordécone. Des études menées depuis 2004 établissent une forte présomption entre l'exposition à la chlordécone et la survenue de cancers de la prostate, même si le taux d'incidence de ce cancer est plus élevé chez les populations d'origine subsaharienne et ce, quel que soit le pays dans lequel elles vivent. Le cancer de la prostate a donc été inscrit au tableau des maladies professionnelles pour les agriculteurs et salariés des bananeraies. Cependant, seules quarante demandes ont été déposées, à ce titre, depuis la fin de l'année 2021.

Il est à regretter que peu d'études sur d'autres formes de cancer aient été conduites jusqu'à présent, malgré le rôle de promoteur tumoral de la chlordécone. Des travaux sont en cours sur un éventuel lien avec la survenue de myélomes multiples ou de lymphomes non hodgkiniens et sur d'éventuels effets hépatiques.

Par contre, des études avaient été lancées très rapidement sur les effets de la chlordécone sur la grossesse et le développement de l'enfant. La cohorte mère-enfant, appelée Timoun, avait montré que l'exposition à la chlordécone était associée à un risque accru de prématurité, mais également que l'enfant, exposé dans le ventre de sa mère et post-natalement, pouvait connaître des impacts hormonaux, ainsi que sur son développement staturo-pondéral et sur son neuro-développement. Cette étude se poursuit maintenant sur la même cohorte à l'âge péri-pubertaire.

Concernant la fertilité, qui avait été montée en épingle, il y a une dizaine d'années, aucun impact chez l'homme n'a été mis en évidence. Des études sont enfin en cours chez la femme.

Comment l'État a-t-il géré la situation ? Il l'a gérée à travers des plans chlordécone, qui se succèdent depuis 2008. Dans les trois premiers plans, les aspects environnementaux et économiques ont été négligés. Les instances de gouvernance et les dispositifs de financement ont été trop complexes, trop administratifs et peu efficaces, la communication envers les populations particulièrement défaillante. Ne parlons pas du pilotage de la recherche, inefficace au regard de l'ampleur des enjeux.

Des recherches ont certes permis de réduire l'exposition des populations, grâce à l'appréhension de la contamination des écosystèmes et des conseils alimentaires, mais les effets sanitaires de cette exposition, comme je l'ai expliqué tout à l'heure, restent mal connus, après pourtant tant d'années de pollution. Ce n'est pas moi qui l'affirme seule, mais les évaluations administratives des plans I, II et III, qui ont estimé que les actions de l'État ont été tardives, inadaptées à l'ampleur de la pollution, et qu'elles auraient nécessité une stratégie à longue échéance.

S'agissant de la recherche, un véritable appel à projets a enfin été lancé l'année dernière. Ce n'est pas faute de l'avoir régulièrement demandé personnellement aux différents ministres, au titre de l'Office ou au titre du Sénat. Ces différentes défaillances confortent le sentiment de colère et de défiance de la population antillaise qui vit la situation comme un scandale. Cela se traduit par des difficultés d'adhésion aux dispositifs et aux recommandations émis par les services de l'État et par extension, par une défiance envers les institutions et le personnel politique de tous niveaux. Nous pouvons comparer les difficultés d'adhésion aux recommandations nutritionnelles permettant de réduire l'exposition à la chlordécone au refus de se faire vacciner aux Antilles.

Pour reconstruire cette confiance, les sciences humaines et sociales, qui ont été jusqu'à présent oubliées, doivent maintenant être mobilisées. Elles devraient nous permettre d'augmenter l'adhésion aux recommandations alimentaires qui, bien qu'efficaces et connues depuis plus d'une dizaine d'années, peinent à être pleinement adoptées par la population. Elles devraient indiquer une nouvelle manière de communiquer envers la population et faire accepter l'idée que l'on peut vivre sur des terres polluées à la chlordécone, tant que la science n'a pas trouvé une solution pour la dépollution.

Le plan chlordécone IV, lancé l'année dernière, semble tirer un certain nombre d'enseignements des plans précédents. Il a été, pour une fois, construit en associant les services de l'État, les collectivités locales, les représentants de la société civile, les organisations professionnelles et a permis aux citoyens de s'exprimer sur le projet de plan, à travers une consultation publique. Les instances de gouvernance intègrent, en plus du comité de pilotage stratégique national, des comités de pilotage locaux, présidés par les préfets et associant l'ensemble des parties prenantes : élus, professionnels agricoles, professionnels de santé, experts, associations environnementales et consommateurs. Un poste de directeur de projet chargé de la coordination interministérielle a été créé pour assister les directeurs généraux des outre-mer et de la santé.

Le budget annuel de ce plan 4 est supérieur de 20 % à celui du premier plan chlordécone. La recherche bénéficie aussi d'une nouvelle structuration et de près d'un tiers du budget prévisionnel du plan. Il a permis de lancer ce premier appel à projets, déjà évoqué, soutenu par l'ANR mais aussi par la collectivité territoriale de Martinique et la région Guadeloupe, que nous appelions, scientifiques et Office, de nos voeux, depuis de nombreuses années. Enfin, les sciences humaines et sociales y trouvent leur place.

Un bilan du plan, indiquant l'avancement des différentes mesures, leur exécution budgétaire et les résultats des analyses conduites, sera publié annuellement. Des ateliers et des activités pédagogiques, destinés à sensibiliser les populations aux problématiques liées à la chlordécone et aux méthodes pour se prémunir d'une contamination, commencent à être mis en place, ainsi que des actions de formation déployées auprès des professionnels de santé, des enseignants et des éco-délégués, qui pourront prendre le rôle de relais de confiance, qui n'existe pas pour l'instant auprès de la population.

J'en viens à mes conclusions et mes recommandations. Le rapport en comporte 24 ; je ne vais pas toutes les citer. Je les ai regroupées autour de quatre axes : la recherche, la communication, la chlordéconémie et le suivi.

Du point de vue de la recherche, je suis satisfaite de constater des progrès depuis 2009, mais les résultats ne sont pas à la hauteur de la situation et des attentes de la population, sans compter que certaines études, en particulier sanitaires, s'appuient sur des résultats d'il y a dix ans. Il est primordial d'obtenir une vision plus complète des risques auxquels la population est exposée, y compris concernant les effets cocktails de la chlordécone avec d'autres pesticides, et de tenter, puis de développer, des solutions de remédiation et de réduction de l'exposition.

Des appels à projets entièrement consacrés à cette thématique doivent être lancés régulièrement. On ne peut pas se limiter à un seul appel à projets d'envergure, ce qui, en 13 ans, ne fait pas beaucoup. Sincèrement, je félicite les chercheurs, peu nombreux sur ce créneau qui, pendant toutes ces années, n'ont pas abandonné leurs travaux. Aujourd'hui, je crois essentiel que les résultats de laboratoire prometteurs soient appliqués aux conditions réelles de terrain, afin de valider les solutions de dépollution, puis leur utilisation comme outil, pour mieux protéger la population, qui verra ainsi que les choses évoluent enfin dans le bon sens.

En attendant, les connaissances actuelles fournissent d'ores et déjà de nombreux outils pour prévenir la contamination et minimiser les risques. Il est essentiel que les solutions existantes puissent être pleinement appliquées, car si elles ne le sont pas, c'est parce que la communication a été déficiente, tout comme la crédibilité de l'État. Toute la population doit être informée et s'approprier les solutions et les dispositifs existants. Pour cela, la communication doit être repensée. Elle doit être construite avec les acteurs locaux, qui sauront tenir compte des réalités socioculturelles des Antilles. Elle doit surtout sortir du cadre très limitatif qui était le sien et s'appuyer sur ceux qui pourront servir de médiateurs de confiance.

Les données obtenues via les analyses de chlordéconémie doivent pouvoir être utilisées par la recherche pour acquérir de nouvelles connaissances sur les liens entre exposition alimentaire et imprégnation et étudier les déterminants de cette imprégnation et de la variabilité interindividuelle qui existe. Il faut en faire un outil de dialogue avec la population, afin de mieux diffuser les recommandations alimentaires, tout en rassurant les Antillais. J'ai par exemple suggéré de suivre une cohorte d'étudiants qui viennent en métropole, afin de confirmer que la disparition de la chlordécone, en ne mangeant plus d'aliments contaminés, est effective.

Enfin, compte tenu de la durée du plan chlordécone IV, de sept ans, une évaluation externe à mi-parcours devra être conduite, pour effectuer les réorientations nécessaires à temps et non pas attendre la fin du plan, comme auparavant.

En conclusion, je dirais que ce qui est arrivé aux Antilles doit servir de modèle afin que l'État apprenne à gérer les pollutions que nous ne manquerons pas de découvrir en France, sur des territoires plus ou moins étendus. Jusqu'à présent, la liste des erreurs était plus longue que celle des actions efficaces. Une vision globale à long terme, associant tous les acteurs et la population, est nécessaire. La recherche, qui est la seule façon de trouver des solutions, doit être soutenue sans arrêt.

M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. Merci, chère collègue, pour cette présentation très complète qui vient parachever un travail de longue haleine et qui permet véritablement de faire un point d'évaluation et un point de situation. Je suppose que cette présentation appelle un certain nombre d'interrogations et de questions.

M. Hendrik Davi, député. Merci pour ce travail remarquable et très intéressant. Je voulais rebondir sur quelques aspects.

En premier lieu, ce cas d'étude mérite d'être analysé pour voir comment nous pourrions faire mieux dans le futur. Combien de temps s'est écoulé entre le lancement de l'alerte, le moment où nous avons su que ce produit était dangereux, et le moment où l'État a agi pour l'interdire ? Ensuite, est-ce qu'il existe encore des risques que ce produit soit utilisé sur le territoire français, bien qu'il soit interdit ? Le deuxième point, qui me semble important en termes de cas d'étude, concerne le pilotage de la recherche. Ce sujet est le deuxième sur lequel nous discutons et sur lequel ceux qui travaillent dans le domaine nous disent que le pilotage de la recherche, en France, ne fonctionne pas. Sur la rénovation thermique des bâtiments, on nous avait dit qu'à l'ANR, les chercheurs avaient quitté ce domaine parce qu'il n'était pas assez attractif. Vous savez que je défends la suppression de l'Agence nationale de la recherche, mais un débat est rouvert, avec la ministre, sur le rôle des instituts de recherche. Le Président avait parlé d'agences de moyens ou d'agences de pilotage. Je crois que ce débat est de nouveau sur la table. Pour ma part, je reste persuadé que le meilleur pilotage est au niveau des instituts de recherche finalisée, qui ont la capacité de savoir comment faire ces recherches. Il convient de renforcer, au fil des appels d'offres, les communautés scientifiques qui travaillent spécifiquement sur ces questions, par des embauches, etc. Au sein des instituts de recherche, nous pouvons avoir des champions. C'est assez facile sur ces questions environnementales, en matière de sols, pollutions, etc. parce qu'on a l'Inrae qui peut faire office de leader et peut organiser la recherche sur ces questions. Je pense qu'il faut leur redonner le rôle de pilotage et la confiance pour piloter ces sujets.

Ce peut être par ailleurs un problème plus global de recherche sur la santé environnementale. Nous n'avons jamais été très bons, sur ces sujets, en France. Il faut peut-être réfléchir entre l'Inserm, les CHU. Sur de nombreuses questions liées à la cancérologie, nous manquons de données.

Je finirai juste par une question plus scientifique sur la bioaccumulation qui est l'un des problèmes essentiels et l'un des principes forts, en éco-toxicologie. Parfois, un polluant qui n'est pas présent en très grande quantité va se bio-accumuler dans certains tissus et s'y retrouver très concentré. Je n'ai pas entendu parler de bioaccumulation dans le cadre de la chlordécone. Je voulais savoir si des recherches avaient été faites en la matière.

Merci pour ce travail, qui sera utile à tous les acteurs.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur . La chlordécone a été interdite en 1990 sur le sol français, sauf aux Antilles, qui a pu l'utiliser trois ans de plus, parce qu'à l'époque, il n'existait aucune méthode pour lutter contre le charançon qui détruisait les bananeraies. Or à l'époque - et encore maintenant -, les bananes étaient l'essentiel de la production et de la richesse. Détruire les bananeraies signifiait détruire des emplois. Différents ministres ont ainsi accordé des dérogations. Ces trois ans avant l'interdiction sont critiqués. Compte tenu de tout ce que j'ai appris depuis dix ans, trois ans de plus ou trois ans de moins n'auraient rien changé à la pollution des sols, puisque les sols étaient pollués depuis le début de l'utilisation de la chlordécone et que, 40 ans plus tard, elle est encore dans le sol. Par contre, les premières inquiétudes ne se sont manifestées qu'à la fin des années 1990 et les premières études ont été lancées au début des années 2000. Le délai a été tout de même très long.

Il faut aussi tenir compte de l'état des connaissances. À la fin du XX e siècle, nous n'avions pas les connaissances que nous avons maintenant. Vous avez parlé tout à l'heure, par exemple, d'écotoxicité. Dans les années 2000, très peu de spécialistes, de chercheurs, s'intéressaient à cette notion. Concernant la bioaccumulation, elle est particulièrement visible chez les animaux marins. Les connaissances ont beaucoup évolué. Pendant les auditions, l'année dernière, j'ai entendu parler pour la première fois des oeufs, alors que jusqu'à présent, aucun conseil alimentaire ne recommandait de ne surtout pas en manger. Aux Antilles, l'alimentation est pour beaucoup une auto-alimentation, avec des poules qui se promènent partout. Toutes les terres ne sont pas polluées, mais dans les régions où les terres sont polluées, cela est une difficulté.

Comme je le disais, il est problématique de ne pas avoir fait la cartographie de l'ensemble de la pollution des sols. Si elle avait été faite, nous saurions qu'à tel endroit, il est possible de manger des oeufs et d'autres aliments. Cette cartographie est uniquement basée sur le volontariat, sans compter qu'une parcelle peut contenir de la chlordécone à un endroit et pas à un autre, parce qu'un bananier était planté à tel endroit. C'est une vraie préoccupation. Nous avons la carte des bananeraies de l'époque ; beaucoup d'entre elles ont disparu et ont été remplacées par des immeubles, avec au pied, des jardins familiaux. Les mesures sont assez difficiles à réaliser.

Concernant l'ANR, je ne vais pas prendre position, mais j'ai toujours considéré qu'au sujet de la chlordécone, il y avait une dichotomie complète entre les appels d'offres de l'ANR et les préoccupations de l'État, qui lançait des plans chlordécone, mais qui ne donnait pas les moyens. L'ANR répond qu'ont toujours été financés des petits bouts de programme sur la chlordécone. Nous ne savons pas pourquoi tel programme était choisi. Quelques années plus tard, des chercheurs me contactaient en me disant qu'il leur manquait 20 000 euros pour avoir tel instrument pour approfondir une piste de dépollution et qu'ils n'arrivaient pas à les obtenir. J'avais beau écrire, nous n'avons jamais pu les obtenir.

Le taux de succès à l'ANR a légèrement augmenté, même s'il reste bien moindre que dans d'autres États. Depuis 10 ou 15 ans, l'État a toujours déclaré que la chlordécone, aux Antilles, était une priorité. Désormais, il existe un véritable appel à projets sur la chlordécone, mais j'estime qu'il y a un réel écart entre les grandes options de l'État et les choix qui ont été faits.

L'ANR était présente en Guadeloupe et nous avons pu échanger lors du colloque de décembre. J'ai l'impression que sur la chlordécone, ils souhaitent envisager les choses différemment. Certains projets ont été retenus, d'autres retoqués. Naturellement, les chercheurs retoqués ne comprennent pas toujours pourquoi, mais l'ANR va réétudier les dossiers et peut-être leur redonner une chance, parce que la recherche doit partir tous azimuts. Cette pollution concerne tout le monde, tous les secteurs. Il faut donc que les recherches puissent continuer et non pas, ce que je crains, après le grand appel à projets de l'année dernière, retourner vers des petits bouts de programme. Il y a vraiment un suivi à faire. J'ai eu le sentiment d'une prise de conscience un peu plus importante. Les chercheurs avec lesquels je me suis entretenue étaient plutôt contents, certains même surpris de l'ampleur du financement de leur projet. Pourvu que cela dure ! Nous avons déjà eu, par le passé, à l'Office, un débat sur le fonctionnement de l'ANR et les appels à projets.

S'agissant de la santé environnementale, l'approche plus globale commence tout juste d'être évoquée. Au début, la chlordécone était uniquement dans la terre, pour se rendre compte, quelques années plus tard, qu'elle était dans l'eau, quelques années plus tard, qu'elle allait jusque dans les mers, quelques années plus tard, qu'elle touchait des poissons, y compris en pleine mer et non pas seulement au bord des embouchures.

Ces études ont permis de montrer que l'on peut vivre sur une terre avec de la chlordécone, avec un certain nombre de précautions et de conseils. Les précautions alimentaires pour les Hommes ont été édictées dès 2007. Il était notamment demandé de ne pas manger plus de deux à trois fois par semaine des légumes racines. Ceux qui ont suivi ces recommandations se retrouvent avec un taux de chlordécone bien moindre. Néanmoins, nous ne savons pas, en matière sanitaire, quels sont les réels impacts de la chlordécone. Aux Antilles, la population accepte difficilement que les impacts de la chlordécone puissent être inférieurs à ceux de n'importe quelle autre pollution. Or en prenant ces précautions alimentaires, la population pourrait avoir moins de soucis, mais toute la culture antillaise et les circuits d'autoconsommation et informels font qu'il reste encore beaucoup de chlordécone. Je trouve que les chercheurs ont fait des progrès en matière de remédiation des sols, mais il faut que ces progrès soient validés à l'épreuve de la réalité du terrain et sortent des laboratoires. Ces recherches donnent des espoirs, mais si ces espoirs ne se concrétisent pas, la situation sera encore pire pour la population.

M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office . Merci Catherine, de ton engagement, de ton travail et de l'indépendance d'esprit qui te caractérise et qui permet d'avoir un document qui, je crois, fera autorité et honorera le travail collectif de l'Office parlementaire. J'ai une question technique. Tu as évoqué, pour le traitement des sols pollués, l'utilisation du biochar. Comme ce sujet m'intéresse, je voulais savoir de quoi il s'agissait exactement en ce qui concerne la chlordécone et comment le lier à la pyrolyse ou à la torréfaction des sargasses.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur . Les sargasses sont pyrolysées et sont déposées ensuite comme amendement. Le biochar absorbe la chlordécone. Des recherches et des expériences ont été faites sur le terrain. Maintenant, il faudrait que cela puisse être fait à grande échelle. Mais je ne sais pas si la pyrolyse des sargasses peut être faite localement à grande échelle et si ces îles disposent des équipements nécessaires.

M. Gérard Leseul, député, vice-président de l'Office. Merci pour ce rapport très intéressant. Nous savons combien ce sujet est important pour nos amis ultramarins. Il existe aujourd'hui une défiance très importante de la population ultramarine vis-à-vis de la sincérité et de l'engagement de l'État. Nous l'avons constaté à travers le faible taux de personnes vaccinées et un refus massif, lié à cette défiance. Vous avez évoqué la faiblesse des financements, la lenteur des recherches, les tergiversations et l'insuffisance de la cartographie. Est-ce que le plan 4, qui est présenté, vous semble de nature à rassurer sur l'engagement de l'État et à permettre de retrouver une confiance républicaine de la part de la population ? Est-il de nature à calmer et à rassurer ? La question essentielle est de savoir comment éviter de nouvelles catastrophes et comment faire mieux dans le futur, mais avant de parler de futur et d'ailleurs, comment aujourd'hui, ici et maintenant, aux Antilles, ce plan chlordécone IV peut-il rassurer ?

Est-ce que vous pouvez nous éclairer, même si vous avez donné déjà des éléments importants d'appréciation, tout en sachant que j'ai été surpris par le très faible nombre de personnes ayant saisi les autorités médicales pour le cancer de la prostate, une quarantaine, alors que nous pouvions nous attendre, la porte étant ouverte, à un nombre beaucoup plus important de dossiers. Merci de ce retour de terrain.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur. Le plan 4 me paraît, sur le papier et en présentation, enfin, un peu plus complet, un peu plus engageant de la part de l'État et avec surtout une meilleure coordination des services. La faillite des précédents plans, bien que faillite soit peut-être un mot excessif, s'explique par le fait que chacun des secteurs de l'État faisait ses recommandations et prenait ses décisions. Ce plan 4 permet une coordination. J'espère que celle-ci sera un peu plus efficace et que l'État travaillera enfin avec les acteurs locaux et avec les collectivités.

Je crois que l'efficacité viendra si les acteurs locaux sont des relais. Ces relais ne sont pas les politiques sur place, mais plutôt des associations. Je suis allée à des réunions d'agriculteurs et j'ai vu l'engagement des équipes agricoles locales. Je pense que c'est par l'engagement des acteurs locaux que nous réussirons à convaincre. Par exemple, sur la chlordéconémie, j'ai demandé à mes collègues d'outre-mer sénateurs, s'ils s'étaient fait tester et ils m'ont répondu qu'ils n'avaient pas eu le temps. Il faut qu'ils s'engagent. Ils pourraient montrer qu'ils se sont fait tester, qu'ils n'ont pas de chlordécone dans le sang ou, s'ils en ont un peu, refaire un test six ou huit mois plus tard, en disant qu'ils ont évité de manger trop d'igname, ou qu'ils n'ont acheté que du poisson dont ils connaissaient la provenance et qu'ils n'ont plus de chlordécone dans le sang. Il faut que l'engagement des acteurs locaux soit vraiment réel.

Concernant les cancers de la prostate, la chlordécone expliquerait entre 5 et 7 % de cancers supplémentaires de la prostate. Le cancer de la prostate ne survient pas à 30 ou 40 ans et l'indemnisation est limitée aux travailleurs des bananeraies. Si le travailleur avait 20 ans quand la chlordécone a cessé d'être utilisée, il a tout juste 50 ans aujourd'hui. Le cancer de la prostate va peut-être se développer plus tard, à l'âge où les hommes déclarent, en métropole ou ailleurs, des cancers de la prostate. Ce peut être une explication. Par ailleurs, la communication sur la possibilité de bénéficier d'une indemnisation et d'une prise en charge du cancer de la prostate n'a sans doute pas été très efficace.

Nous allons peut-être découvrir que l'alerte, qui avait été faite en 2009, sur le cancer de la prostate, n'est pas la conséquence la plus importante et que d'autres maladies et d'autres cancers peuvent être liés, non seulement à la chlordécone, mais à l'effet cocktail de plusieurs pesticides dont parlent de plus en plus les chercheurs et médecins. Lorsque la chlordécone a été interdite, d'autres pesticides, qui n'étaient pas très efficaces contre le charançon, ont été utilisés. Depuis maintenant une quinzaine d'années, sont utilisées des méthodes très naturelles, avec des phéromones, pour attirer le charançon. D'autres maladies vont peut-être découler de la chlordécone.

Il est effarant que l'on se soit préoccupé, en ciblant les travailleurs des bananeraies, d'abord du cancer de la prostate et de la fertilité des hommes, et que l'on ne commence que maintenant à s'occuper des problèmes des femmes. Dès 2004, on s'est tout de même préoccupé de la femme enceinte, puisque l'on trouvait de la chlordécone dans le cordon ombilical et dans le lait. Comme la chlordécone a une durée de vie de trois mois dans l'organisme humain, en faisant attention à l'alimentation, le taux de chlordécone diminue très vite. Si les conseils alimentaires et sanitaires avaient été appliqués et suivis par la population, la situation serait plus favorable.

Mme Angèle Préville, sénatrice, vice-présidente de l'Office. Merci pour ce rapport très instructif et absolument nécessaire pour montrer que l'on se préoccupe de ce qui s'est passé en Guadeloupe et en Martinique. Je me sens particulièrement concernée puisque j'ai été nommée professeure en Guadeloupe, en septembre 1981, je n'y suis restée que six mois et j'étais enceinte. Ce sujet me préoccupe aussi parce que même si je suis partie très tôt de Guadeloupe, j'habitais très près des bananeraies. J'habitais à Capesterre-Belle-Eau, en plein coeur des bananeraies et je me suis promenée dans ces bananeraies. J'avais déploré à l'époque de trouver, dans les magasins, beaucoup de légumes qui venaient des États-Unis et que nous ne pouvions pas nous fournir suffisamment en légumes locaux.

Les recommandations sont vraiment exhaustives et très bien faites, avec notamment une approche exposome, que je trouve très intéressante, sur l'ensemble des produits phytosanitaires. Sur la confiance que nous pourrions rétablir avec ces départements, vous le mentionnez dans la recommandation n°20 par exemple : mettre en place des actions afin d'assurer l'utilisation et le renouvellement des filtres à charbons actifs. Je me demande si l'État ne devrait pas davantage se préoccuper d'être très présent, de fournir, surveiller, etc. pour renouer cette confiance perdue maintenant. Pour moi, c'est très important parce que la prise en compte trop lente et mal menée de ce sujet aura des conséquences à long terme sur les populations antillaises. Comme vous le mentionnez également, il est très important d'accroître la surveillance des circuits de consommation informels, parce que là-bas, les gens vivent avec leur jardin, leur poulailler, etc. Il faut absolument être très près d'eux, les accompagner. Je trouve que l'Office envoie un signal très fort vers ces populations, pour montrer que l'on se préoccupe du sujet et les recommandations sont vraiment très intéressantes.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur. Je crois surtout que l'administration a fait au plus facile, dans les plans qui ont été faits. La cartographie concerne ceux qui veulent bien faire cartographier leurs sols et les analyses ne vont pas plus loin. Il n'y avait peut-être pas les financements nécessaires. On continue à nous dire que le contrôle des produits informels n'est pas possible et que la surveillance ne concerne que les produits officiels. Or les produits officiels sont tous surveillés, contrôlés et la conformité est quasiment totale. La population a encore de la chlordécone parce que beaucoup de produits ne sont pas conformes. C'est une vraie difficulté, tout comme le problème des eaux de source. On surveille bien l'eau de consommation, l'eau du robinet, et il n'y a quasiment aucun problème, mais culturellement, on va boire l'eau de source. En 2009, je me souviens que certaines sources de bord de route avaient été fermées, pour que les populations n'en consomment pas. On nous répond que les habitants n'accepteraient pas culturellement que nous fermions les sources. Si ces eaux de source sont les plus polluées, nous devons pouvoir les clôturer, mettre une chape en béton et détourner l'eau. Nous n'avons pas tout fait. Il existe maintenant une telle méfiance de la population vis-à-vis des décisions gouvernementales et des administrations que la population risque de le prendre très mal. Je conçois qu'elle puisse se dire que la chlordécone est interdite depuis 30 ans et qu'en 30 ans, peu de choses ont été faites. Nous avons fait un certain nombre de choses ces dix dernières années, mais nous aurions pu le faire auparavant et la population n'y croit pas.

M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. Le tableau est donc gris, ce qui ne veut pas dire qu'il soit noir, mais il n'est pas blanc non plus. Un grand merci encore pour ce rapport excellent. Au vu de l'ensemble des interventions et des remarques, je pense que nous pouvons le valider tel qu'il nous a été présenté, avec encore une fois toutes nos félicitations pour ce travail acharné, qu'il faudra poursuivre, notamment si nous voulons tenter de continuer à donner de la confiance à nos concitoyens d'outre-mer, qui attendent que nous soyons à la hauteur de ces enjeux.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur. Il est important que l'Office continue à suivre les plans et les budgets relatifs à la chlordécone.

M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. Nous allons veiller à ce qu'il y ait un suivi continu.

L'Office adopte le rapport sur l'actualisation des données scientifiques sur l'impact de la chlordécone aux Antilles françaises.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page