IV. ÉVALUATION DE L'ACTION DE L'ÉTAT ET CONSÉQUENCES SOCIALES

A. ÉVALUATION DES TROIS PREMIERS PLANS CHLORDÉCONE

Depuis la publication du premier rapport de l'OPECST en 2009, peu de temps après la mise en place du premier plan chlordécone (2008-2010), deux évaluations administratives ont été conduites 126 ( * ) : une évaluation ex post du premier plan 127 ( * ) et une évaluation in itinere du troisième (2014-2020) 128 ( * ) .

Ces évaluations ont permis de souligner plusieurs échecs et écueils. Tout d'abord, la réaction tardive de l'État : malgré plusieurs alertes antérieures, il a fallu attendre la fin des années 1990 pour que la pollution soit étudiée et mise en évidence, puis 2008 pour que le premier plan d'action structuré soit mis en place 129 ( * ) . En outre, le premier plan n'a apporté que des réponses de court terme, alors que l'ampleur de la pollution nécessitait une stratégie à longue échéance. Les mesures étaient principalement consacrées au volet sanitaire et négligeaient par conséquent les aspects environnementaux et économiques, largement sous-estimés. Malgré la priorité sanitaire, une insuffisance de la surveillance médicale des professionnels et anciens professionnels du secteur bananier était déplorée 130 ( * ) . Les instances de gouvernance et les dispositifs de financement mis en place ont été jugés trop complexes et peu efficaces, conduisant notamment à l'interruption de certaines actions et à un bilan qualifié de « globalement mitigé ». Enfin, la communication envers les populations concernées a elle aussi été jugée défaillante, étant à la fois « tardive, mal clarifiée et souvent différée » ainsi que « finalement peu crédible ».

Si certains progrès ont été constatés dans les plans postérieurs, la commission d'enquête de l'Assemblée nationale de 2019 et l'évaluation administrative du troisième plan chlordécone publiée en 2020 constataient toujours un volet sanitaire privilégié par rapport aux volets environnementaux et économiques, un pilotage trop vertical avec un éclatement des compétences et un manque de coordination, une sous-utilisation des crédits disponibles et une communication encore difficile avec les populations.

Sur le volet gouvernance des actions de recherche, l'existence d'un Comité de pilotage spécifique semble essentielle pour définir la programmation scientifique et pour suivre et évaluer la qualité et la cohérence des projets. Pourtant, à l'instar de la gouvernance globale, le pilotage de la recherche au cours des premiers plans chlordécone s'est montré peu efficient. Lors du premier plan chlordécone, un Conseil scientifique avait été mis en place dans l'objectif de proposer des axes de recherches, de renforcer la veille sanitaire et d'améliorer la surveillance de l'impact des pesticides. Dans le deuxième plan chlordécone (2011-2013), ce Conseil scientifique a été remplacé par un Groupe d'orientation et de suivi scientifique (Goss), ayant un rôle de suivi et d'appui aux projets de recherches et incluant les aspects environnementaux. Cependant, le rapport d'évaluation du troisième plan chlordécone a souligné plusieurs dysfonctionnements dans la conception du Goss : un manque de moyens en matière de soutien logistique, une implication trop peu importante dans le Comité national de pilotage du plan et une composition non optimale pour assurer un lien avec les opérateurs et les financeurs.

Les imperfections de ces différentes instances ont logiquement eu un impact sur la conception et le positionnement des différents volets recherche des plans chlordécone successifs, conduisant à un bilan insuffisant au regard de l'ampleur des enjeux. Si les recherches conduites ont permis de mieux appréhender la contamination des écosystèmes et de réduire l'exposition des populations, les effets sanitaires de cette exposition restent encore mal connus.


* 126 Ces évaluations ont été conduites par l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), le Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) et l'Inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche (IGAENR, pour la première évaluation) et l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR, pour la seconde évaluation).

* 127 P. Blanchard, A. Femenias, H. Gillet, A. Renucci, « Rapport d'évaluation des plans d'action Chlordécone aux Antilles (Martinique, Guadeloupe) », CGEDD (rapport n°007645-01), IGAS (rapport n°RM2011-184P), CGAAER (rapport n°11075), IGAENR (rapport n°2011-10), 2011 ( https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/124000126.pdf ).

* 128 C. Branchu, M.-E. Oppelt, C. Mir, A. Renucci, H.-L. Thibault, « Évaluation du troisième plan chlordécone et propositions », CGEDD (rapport n°012862-01), IGAS (rapport n°2019-053R), CGAAER (rapport n°19051), IGESR (rapport n°2020-011), 2020 ( https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/275533.pdf ).

* 129 Entre 1999 et 2008, on peut noter la mise en place d'un plan interministériel d'évaluation et de gestion des risques en 2003 et le lancement des études de suivi médical Timoun et Karuprostate en 2004.

* 130 Dans le cadre du plan chlordécone IV, un rapport a été demandé à l'Institut national de médecine agricole afin de formuler des recommandations pour le suivi médical des travailleurs exposés. Voir : Institut national de médecine agricole, « Suivi médical et prise en charge des professionnels des bananeraies exposés aux pesticides et en particulier la chlordecone dans les départements français des Antilles » 2022 ( https://www.inma.fr/wp-content/uploads/2022/03/INMA-Rapport_VDEF.pdf ).

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