C. UNE HIÉRARCHIE DES MODES DE TRAITEMENT À QUESTIONNER

1. La valorisation énergétique : un mode de traitement incontournable à soutenir
a) Les atouts de la valorisation énergétique outre-mer

En application des textes européens et du code de l'environnement, la valorisation énergétique est le moins bon mode de traitement, juste après l'enfouissement.

La TGAP sur les déchets tend d'ailleurs à taxer la valorisation énergétique, y compris les installations d'incinération des résidus de tri à haut rendement énergétique.

Cette hiérarchie peut se justifier dans le contexte national et européen où des filières nombreuses et rentables peuvent se mettre en place plus facilement et où une moindre part des produits consommés est importée.

Néanmoins, cette approche doit être questionnée pour les outre-mer . Lors des auditions, la valorisation énergétique a été très largement mise en avant par les représentants des territoires, mais aussi les éco-organismes. L'État accompagne d'ailleurs ce mouvement en accordant une aide importante à certains projets d'UVE (à La Réunion notamment). Le règlement du FEDER pour la période 2021-2027 a aussi acté cette spécificité en dérogeant pour les RUP à l'exclusion de financement d'installations de valorisation énergétique des déchets.

Les avantages de la valorisation énergétique outre-mer sont multiples.

Le manque de foncier rend de plus en plus compliqué l'extension des ISDND ou leur création. Il faut compacter les déchets produits, et l'incinération permet de réduire le volume d'un facteur 9.

Les outre-mer ont aussi un défi énergétique à remplir et l'incinération des déchets peut compléter le mix.

Surtout, à moyen terme, le réalisme oblige à constater qu'il ne sera pas aisé de pousser aussi loin l'économie circulaire outre-mer . Les filières locales de recyclage n'ont pas encore prouvé leur pérennité. Le modèle économique et technologique est fragile. Même dans l'Union européenne, la valorisation énergétique demeure indispensable , notamment dans les pays du nord de l'Europe. Les outre-mer ne font que rattraper le retard dans ce domaine aussi. À ce jour, l'incinération n'existe pas dans les outre-mer, à l'exception de la Martinique et de Saint-Barthélemy, alors qu'au niveau national, plus de 30 % des déchets ménagers sont brûlés .

Par ailleurs, le coût et les aléas du transport maritime depuis deux ans ont souligné la dépendance des outre-mer aux exportations de déchets, y compris les déchets non dangereux.

Au demeurant, dans son rapport de septembre 2022 sur la gestion des déchets ménagers en France, la Cour des comptes considère que la valorisation énergétique est un mode de traitement à assumer pour les déchets non recyclables, sans laquelle les objectifs ne pourront pas être atteints.

b) Quel mode de traitement privilégié pour les plastiques ?

La quasi-totalité des déchets plastiques sont exportés vers l'Europe. À ce stade, les projets de valorisation du plastique dans les outre-mer sont en phase d'étude. Le dernier appel à manifestation d'intérêt de Citéo a retenu plusieurs lauréats en mai 2022 qui doivent encore finaliser leur étude de faisabilité d'ici la fin de l'année. La phase industrielle est donc encore loin et hypothétique.

Or, la faculté d'exporter les déchets plastiques est remise en cause , en particulier pour La Réunion et Mayotte, depuis la fermeture des pays asiatiques au recyclage des plastiques importés depuis 2018-2019. Surtout, depuis mai 2022, l'exutoire vers l'Hexagone et l'Union européenne est à son tour menacé.

En effet, le 13 mai 2022, la compagnie maritime CMA-CGM annonçait sa décision de ne plus transporter de déchets plastiques à bord des navires du groupe, à compter du 1 er juin 2022. La compagnie précisait qu'une exception pourrait être accordée aux exportateurs des collectivités d'outre-mer, dans certaines conditions. Après concertation avec le Gouvernement, CMA-CGM est finalement revenue sur sa décision pour les outre-mer français.

Néanmoins, cette annonce a renchéri le coût du transport des déchets plastiques par les autres compagnies. Surtout, elle jette un froid sur les opportunités d'exportation des plastiques à long terme.

Plus incertaine et plus compliquée, l'exportation des déchets plastiques pour recyclage à l'autre bout du monde pose la question du bilan carbone de la filière. En l'absence de filières locales de recyclage à ce jour, la valorisation énergétique du plastique ou de certains plastiques est une alternative à envisager .

C'est par exemple le choix opéré par la collectivité de Saint-Barthélemy. Le tri sélectif ne s'étend pas aux plastiques qui sont collectés avec les ordures ménagères et incinérés.

De ce fait, il serait souhaitable que les déchets recyclables sur les territoires ne soient pas forcément destinés à l'export, pour respecter la hiérarchie classique des modes de traitement, mais puissent faire l'objet d'une valorisation énergétique qui soit reconnue dans les cahiers des charges des filières REP.

c) Soutenir la valorisation énergétique via le prix de rachat de l'électricité

Plusieurs territoires ont décidé ou envisagent sérieusement de se doter d'unités de valorisation énergétique, avec ou sans CSR : La Réunion, Mayotte, la Guadeloupe, la Guyane ou la Nouvelle-Calédonie. La Martinique doit mettre aux normes et augmenter la capacité des unités existantes.

Pour consolider l'équilibre économique de ces projets, outre les aides diverses de l'Ademe ou du FEDER, le prix de rachat de l'électricité produite est un point clef.

Or, le dernier exemple récent, celui du projet Run Eva porté par le syndicat mixte Ileva à La Réunion, a montré que la Commission de régulation de l'énergie (CRE) ne traitait pas rapidement ces dossiers complexes. Par ailleurs, les conditions de détermination du prix de rachat de l'électricité produite demeurent incertaines.

Les projets de valorisation énergétique, en particulier ceux à partir de CSR, sont complexes, requièrent des investissements lourds et ont une double dimension. Ils s'intègrent dans le mix énergétique. Mais surtout ils sont des équipements structurants de la politique des déchets. L'équilibre et la pérennité des projets de valorisation énergétique vont donc bien au-delà de la seule politique énergétique, en particulier dans des systèmes insulaires où les alternatives à l'incinération des déchets sont limitées.

La CRE joue donc un rôle central et ne doit pas traiter ces projets comme des projets classiques de production d'électricité à partir d'intrants extérieurs. Le prix de rachat de l'électricité devrait rémunérer favorablement l'impact environnemental et territorial de ce type de projets .

L'urgence pour les outre-mer devrait conduire la CRE à donner de la visibilité sur les prix de rachat et à se prononcer rapidement sur les demandes, afin de ne pas allonger le calendrier des nombreux projets attendus dans les prochaines années.

Proposition n° 22 : Soutenir la valorisation énergétique des déchets dans les outre-mer, notamment en obtenant de la commission de régulation de l'énergie (CRE) un cadre clair, pérenne et favorable au prix de rachat de l'électricité ainsi produite.

2. L'exportation des déchets dangereux vers l'Union européenne : Kafka et Ubu
a) La crise à La Réunion et à Mayotte : la prise de conscience

Depuis 2020, La Réunion et Mayotte font face à une crise de la gestion des déchets dangereux sans précédent.

La saturation du transport maritime international, conjuguée au durcissement de la réglementation sur le transport international des déchets dangereux et à son application extrêmement précautionneuse par les compagnies maritimes, ont fait que ces deux territoires se sont retrouvés face à un mur de déchets dangereux non exportables.

Les stocks se sont accumulés, au point que des dérogations ont dû être accordées pour relever les plafonds autorisés sur des sites saturés et qu'il a été demandé aux producteurs ou récupérateurs de ces déchets de les conserver. Certaines collectes ont même été interrompues, comme celle des piles.

Alors qu'habituellement les exportations se font au fil de l'eau, il a fallu stocker l'équivalent de plus d'une année de déchets dangereux (environ 5 000 tonnes pour La Réunion dont 2 500 tonnes de batteries, 900 tonnes d'huiles minérales usagées et 400 tonnes de boues chargées en hydrocarbures).

Après de longues négociations avec les compagnies maritimes 89 ( * ) , au niveau ministériel, des solutions ont été trouvées pour assouplir les procédures administratives excessives des compagnies acceptant encore de transporter des conteneurs de déchets dangereux. Toutefois, cette reprise des exportations au fil de l'eau à partir de la fin du premier semestre 2022, ne permettait pas de résorber les stocks accumulés.

C'est la raison pour laquelle l'idée d'une liaison directe exceptionnelle (bateau affrété uniquement pour cette mission) entre La Réunion-Mayotte (qui fait face aux mêmes difficultés) et la métropole pour apurer le stock, a émergé.

Le Syndicat de l'importation et du commerce de La Réunion (SICR) - qui gère la plateforme multifilières REP pour les deux îles - a été mandaté pour fédérer les producteurs de déchets pouvant potentiellement contribuer au chargement de ce navire.

Finalement, un bateau affrété spécialement est parti pour le Havre en direct fin octobre avec 5 00 tonnes de déchets à son bord provenant de Mayotte 90 ( * ) et de La Réunion. Le coût est très élevé : 2,6 millions d'euros. Un surcoût d'environ 800 000 euros par rapport au coût des exportations au fil de l'eau sur les lignes régulières 91 ( * ) . Ce surcoût a été pris en charge par la Région, en partie sur fonds FEDER.

Cette solution a permis d'apurer la situation, de mettre fin au sur-stockage qui posait des problèmes de sécurité et de reprendre des collectes mises à l'arrêt. Par exemple, pour les piles, consignes avaient été passées aux particuliers de les conserver chez eux.

Cette crise a contribué à la prise de conscience de la faible résilience de La Réunion et de Mayotte en matière de gestion des déchets dangereux : le seul exutoire est l'exportation vers l'Europe, soumise à la bonne volonté des compagnies maritimes qui prennent en charge ces déchets et des nombreux pays de transit.

À plus long terme, cette crise pose la question du développement d'outils locaux pour le traitement des déchets dangereux, en recyclage et valorisation ou en stockage .

Au-delà de ces deux îles, des questions identiques se posent pour les autres territoires ultramarins, quand bien même ils souffrent moins de liaisons maritimes erratiques et sont plus proches géographiquement de pays membres de l'OCDE 92 ( * ) .

Enfin, quelques territoires sont quasiment privés de moyens d'exportation des déchets dangereux. À Saint-Pierre-et-Miquelon, il faut parfois attendre l'escale d'un bateau militaire pour évacuer les piles usagées, les médicaments périmés...

b) Une règlementation internationale vertueuse, mais excessive pour les outre-mer

Parmi les causes de cette crise, outre la saturation des navires dans la phase de redémarrage post-covid de l'économie mondiale, il faut souligner la complexité de la réglementation internationale sur les exportations de déchets dangereux.

La convention de Bâle 93 ( * ) , ainsi que la réglementation européenne 94 ( * ) et de l'Organisation de coopération et développement économiques (OCDE) 95 ( * ) , imposent des règles strictes pour s'assurer que les pays membres de l'OCDE exportent leurs déchets dangereux à des fins de traitement vers des pays de l'OCDE.

Les compagnies maritimes ont sur-interprété des textes déjà complexes, notamment :

- en ajoutant des pays de transit, pour faire face à l'hypothèse où les navires seraient déroutés (concrètement, le nombre d'autorités compétentes auprès desquelles les autorisations de transit des déchets dangereux doivent être demandées ont doublé) ;

- en exigeant des consentements explicites de certains pays hors OCDE (comme Madagascar, Île Maurice ou Afrique du Sud) pour éviter tout risque d'immobilisation de container dans ces pays de transit, alors que le consentement peut être considéré favorable tacitement (notamment par le dépassement du délai réglementaire de 60 jours de traitement des notifications par ces pays) ;

- en réduisant la durée de validité des consentements, du fait de la demande des compagnies de disposer de notifications encore valables au moins un mois après le départ des containers depuis La Réunion, et non au moment du départ du bateau.

La règlementation internationale et européenne a été conçue pour s'appliquer à de grandes économies développées fortement connectées : l'Union européenne, le Japon, les États-Unis, l'Australie...

Mais elle est inadaptée et surdimensionnée pour des petits territoires insulaires, éloignés des principales routes commerciales et produisant des quantités infinitésimales de déchets dangereux.

c) Les déchets non dangereux bientôt touchés ?

Si le chemin des exportations de déchets dangereux ressemble à un parcours du combattant, celui des exportations de déchets non dangereux n'est pas une promenade de santé.

En effet, l'exportation de certains déchets recyclables n'est pas forcément aisée. C'est en particulier le cas des plastiques. De nombreux pays, notamment asiatiques, les acceptent de moins en moins. Et la compagnie CMA-CGM a failli bannir les déchets plastiques de ces navires en juin dernier, avant d'accepter de continuer à les transporter pour les outre-mer français vers l'Union européenne.

Plus inquiétant encore, la Commission européenne travaille actuellement sur la révision du règlement sur les transferts de déchets qui tend à durcir, voire interdire les exportations de déchets hors de l'Union européenne, dangereux ou non. Les petits États membres « isolés » de l'Union européenne ont d'ailleurs manifesté leurs vives craintes face à ces projets (Malte, Chypre, l'Estonie notamment).

d) Faire usage de l'article 349 du TFUE

Les contraintes très particulières des outre-mer doivent conduire à adapter les textes européens, voire internationaux.

Le Gouvernement doit donc peser de tout son poids pour que, d'une part, les textes en cours de négociation n'alourdissent pas les règles actuelles pour les outre-mer et, d'autre part, les textes déjà en vigueur puissent faire l'objet d'un avenant ou d'un addendum pour permettre les exportations de déchets des outre-mer dans leur environnement régional.

Pour rappel, les textes et les déclarations politiques ouvrent la voie à de telles adaptations.

Suivant la convention de Bâle, des accords régionaux peuvent être signés entre États tant qu'ils sont compatibles avec la gestion écologiquement rationnelle des déchets (dangereux et autres).

L'article 209 de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte dispose que « dans les départements et les collectivités d'outre-mer, [...], l'utilisation des matières premières recyclées issues des déchets est facilitée, en recourant notamment aux démarches de sortie du statut du déchet, mentionnées à l'article L. 541-4-3 du code de l'environnement. Celles-ci portent, en particulier, sur les déchets des ménages et sont élaborées de façon à faciliter la recherche de débouchés dans les pays limitrophes [...] ».

En mars 2017, le mémorandum conjoint des régions ultrapériphériques pour un nouvel élan dans la mise en oeuvre de l'article 349 du TFUE présenté lors de la 4 ème édition du Forum des RUP déclarait :

« Dans la mesure où la gestion des déchets dans les RUP s'avère plus complexe que sur le continent européen, en raison des contraintes liées à l'ultra périphérie, l'émergence d'une véritable économie circulaire représente un défi pour lequel elles ont besoin d'être soutenues. [...]

- En matière de déchets (exportation, transfert, importation), les textes à portée européenne et internationale (convention de Bâle, règlement CE N° 1013/2006, le code maritime international des marchandises dangereuses s'appliquent. Ces textes restent inadaptés à la réalité des RUP et génèrent des angles morts au niveau des accords commerciaux ;

- Concernant les déchets non dangereux, la problématique des petits gisements a été soulevée avec notamment l'absence de stratégie interrégionale pour les déchets valorisables [...] ;

- il est demandé que l'UE doit faciliter, par une réglementation adaptée, basée sur l'article 349 du TFUE, et un soutien financier suffisant, la mise en place de filières de gestion des déchets (collecte, transports, valorisation...), y compris avec les pays tiers environnants . »

Cette position de négociation n'est pas contradictoire avec la stratégie de développement de filières locales de traitement . Il serait irresponsable de fermer des exutoires potentiels pour les déchets des outre-mer. Des crises imprévues peuvent survenir à tout moment, qui exigeront d'exporter les déchets - sous réserve de s'assurer que les conditions de traitement dans les pays tiers satisfont à des conditions équivalentes à celle de l'Union européenne - au lieu de les conserver sur des territoires contraints.

Proposition n° 23 : Pour permettre de développer une stratégie régionale de gestion des déchets :

- Faire application de l'article 349 du TFUE pour obtenir l'adaptation du règlement européen sur les transferts de déchets, en cours de révision, aux contraintes particulières des outre-mer ;

- Ouvrir des discussions dans le cadre de la convention de Bâle afin de conclure des accords régionaux pour le traitement des déchets des outre-mer français.

3. Priorité aux filières locales de recyclage

Les initiatives locales de recyclage, quasi-inexistantes il y a quelques années 96 ( * ) , ne cessent de se multiplier et certaines passent à la phase industrielle.

Les avantages sont multiples :

- réduire les déchets enfouis ou incinérés ;

- relocaliser de la valeur ajoutée sur les territoires ;

- changer le regard sur les déchets, qui peuvent devenir des ressources ;

- créer de l'emploi ;

- diminuer la dépendance aux exportations.

a) Une floraison de projets dans tous les territoires

Les projets se multiplient avec le soutien de l'Ademe, des éco-organismes, des autorités régionales, des EPCI et des groupements.

Un éco-système se met progressivement en place avec des projets innovants.

À Mayotte , plusieurs porteurs de projets ont été rencontrés par la délégation. Certains sont encore au stade des études ou des prototypes. Le projet Ulalusa consiste ainsi à créer une fonderie aluminium pour valoriser les canettes et autres déchets de l'île sous forme de lingots afin de les exporter. Le prototype a permis d'estimer à 180 tonnes par an le volume minimum pour atteindre l'équilibre économique.

D'autres projets s'intéressent au plastique comme Habit'Ame ou celui de LVD Environnement Mayotte. Ce dernier projet combine à la fois un volet collecte innovant (voir le II.B.3) et un volet valorisation. Ce second volet doit à terme fournir la matière première plastique à l'industriel Mayco (producteur et distributeur de boissons en bouteille plastique localement), afin de fabriquer des préformes. L'objectif est de fournir jusqu'à 285 tonnes de préformes. Pour simplifier le process , l'industriel Mayco devrait réduire son offre au seul PET transparent et abandonner le PET foncé, ce qui facilitera aussi le tri.

L'éco-organisme Citéo a récemment lancé un appel à manifestations d'intérêts pour des projets de valorisation locale des déchets outre-mer. 17 lauréats , répartis dans les cinq DROM, bénéficieront d'un accompagnement technique et financier.

Cet appel à manifestations d'intérêts traduit assez bien l'impression de vos rapporteures d'un foisonnement de projets dans les outre-mer.

Un autre éco-organisme semble aussi vouloir réorienter sa stratégie vers la valorisation locale. Cyclevia , qui a été agréé en mars 2022, se substitue à l'Ademe qui assumait depuis 2012 la responsabilité de la filière des huiles et lubrifiants usagés dans les DROM. Conformément à la loi Agec, Cyclevia doit élaborer sur chaque territoire des plans de rattrapage en trois ans. Surtout, conformément au cahier des charges défini par arrêté du 27 octobre 2021, l'éco-organisme doit réaliser dans les trois ans de son agrément une étude sur des solutions de traitement local des huiles usagées dans les territoires d'outre-mer. Il faudra suivre les conclusions de cette étude et les suites concrètes.

Le recyclage du verre est très probablement la filière locale la plus mature dans les outre-mer 97 ( * ) . La phase industrielle est désormais aboutie. À La Réunion par exemple, la société STS 98 ( * ) traitera la totalité du gisement collecté 99 ( * ) par le syndicat Ileva (60 % de la population) pour fabriquer de la poudre de verre pour le béton ou du sable de filtration. Un projet similaire couvrira les besoins de l'autre partie de l'île.

Toujours à La Réunion, plusieurs unités de valorisation matière ont vu le jour :

- pneumatiques usagés (en chip's et granulats avec utilisation en local) ;

- plâtre (utilisation en substitut d'importation du gypse) ;

- déchets du BTP (utilisation locale) ;

- prochainement ouverture d'une unité de traitement des batteries au plomb et unité de valorisation des cartons (pulpe de pâte à papier)...

Même les territoires les plus petits commencent à monter des projets locaux. Ainsi à Wallis-et-Futuna , un projet-pilote de valorisation des déchets métalliques a été proposé par le Service Territorial de l'Environnement (STE) et sélectionné par le projet SWAP. Le projet SWAP est un projet régional financé par l'AFD à hauteur de 3 millions d'euros et mis en oeuvre dans le cadre du Programme Régional Océanien pour l'Environnement (PROE) qui couvre 7 pays et territoires du Pacifique : Fidji, Polynésie française, Samoa, îles Salomon, Tonga, Vanuatu et Wallis-et-Futuna.

Ce projet-pilote de valorisation des déchets métalliques consiste à produire localement des lingots de métaux, mieux valorisés pour l'exportation, en capitalisant sur le dispositif de l'écotaxe (voir I.C.5.c)).

b) Structurer et soutenir impérativement les solutions locales

Un mouvement fort est en train d'émerger dans les outre-mer autour d'une multitude de projets.

L'Ademe, l'AFD, les collectivités et certains éco-organismes soutiennent ces projets dans leur phase de conception et de démarrage. Les crédits sont là .

Quelques propositions pourraient être de nature à accélérer le passage à la phase industrielle, afin de traiter des gisements entiers, comme celui du verre à La Réunion pour prendre cet exemple.

En premier lieu, de nombreux projets similaires émergent dans plusieurs outre-mer, sans que des collaborations ou partages d'expérience s'organisent. Par exemple, les projets-pilotes Ulalusa à Mayotte et SWAP à Wallis-et-Futuna, qui consistent à fondre les métaux pour les valoriser sous forme de lingots à l'exportation, ont certainement beaucoup de choses en commun.

Il manque une plateforme de partage des expériences ultramarines qui permettraient aux porteurs de projet ou aux acteurs existants d'échanger rapidement et d'aller plus vite. L'Ademe pourrait facilement développer un outil dédié.

En deuxième lieu, tous les cahiers des charges des filières REP devraient comporter, à l'instar de celui relatif aux huiles usagées, une disposition obligeant l'éco-organisme à réaliser dans les trois ans de son agrément une étude sur des solutions de traitement local.

En troisième lieu, en prévision des discussions à venir sur une éventuelle réforme de la défiscalisation outre-mer , il paraît indispensable de prioriser les investissements dans ces filières locales de recyclage. Les projets locaux ont besoin d'investissements lourds en chaînes de traitement sur-mesure, dimensionnés à l'échelle des gisements des territoires.

En quatrième lieu, la région qui a la double casquette de responsable du développement économique et de planificateur de la gestion des déchets doit favoriser l'émergence d'écopoles qui rapprochent les entreprises de recyclage , idéalement à proximité des centres de tri. La société STS, à La Réunion, est ainsi implantée à quelques centaines de mètres du futur centre multifilière Run Eva.

En dernier lieu, comme le relevait Hervé Mariton, président de la FEDOM, un enjeu est le développement de filières de traitement ou d'outils de production miniaturisés , à l'échelle des gisements limités des outre-mer, tout en conservant une rentabilité économique.

Cet enjeu dépasse la seule question des déchets outre-mer. Il demande beaucoup d'innovation. Des appels à projet comme France 2030 devraient comporter un volet ultramarin, avec des seuils adaptés, afin de ne pas exclure de facto les projets émanant des outre-mer.

Proposition n° 24 : Accélérer sur la création de filières locales de valorisation :

- en créant une plateforme de partage des expériences ultramarines ;

- en renforçant la défiscalisation ;

- en structurant des écopoles de la valorisation à proximité des centres de tri multifilières ;

- en rendant obligatoire pour tous les éco-organismes agréés la réalisation d'études sur les solutions locales de traitement dans les outre-mer ;

- en soutenant la recherche et l'innovation en faveur de filières industrielles miniaturisées.

4. La coopération régionale est-elle une utopie ?

La quasi-totalité des acteurs de la gestion des déchets dans les outre-mer plaide pour le développement de la coopération régionale. Les avantages seraient multiples :

- massification des gisements permettant de mettre en oeuvre des solutions industrielles plus efficaces et rentables ;

- moindre dépendance aux exportations transocéaniennes ;

- maintien de la valeur ajoutée dans l'environnement régional ;

- bilan carbone améliorée ;

- dynamique régionale...

Cette coopération pourrait se développer d'abord entre les outre-mer français. Par exemple entre la Guadeloupe et la Martinique pour prendre l'exemple le plus fréquemment cité. Ensuite, au niveau de chaque bassin. Par exemple entre La Réunion, l'île Maurice, Madagascar et Mayotte. Ou bien les Antilles françaises avec la Dominique, Sainte-Lucie ...

La région Guadeloupe soutient l'idée d'un développement régional des filières de recyclage au sein du bassin des départements français d'Amérique. Par exemple, en répartissant « la gestion et le traitement du textile en Marinique, les ampoules en Guyane, les DEEE en Guadeloupe et pourquoi pas le mobilier à Saint-Martin ».

Toutefois, cette forme d'évidence n'a encore jamais pu se concrétiser. Quelques tentatives 100 ( * ) ont eu lieu, notamment entre la Guadeloupe et la Martinique, mais elles ont échoué, dissuadant par contrecoup de nouvelles initiatives 101 ( * ) .

a) Une coopération qui bute sur le coût du fret

Le principal obstacle avancé est celui du coût du transport maritime .

En effet, les tarifs du fret maritime intra-régional sont prohibitifs par rapport à ceux des lignes internationales. Le tarif d'une liaison Martinique-Guadeloupe est identique, si ce n'est supérieur, à une liaison entre Fort-de-France et Le Havre.

Unanimement, les acteurs plaident pour une augmentation des aides au fret et pour un portage politique fort du dossier . Certains évoquent même la création d'une compagnie maritime publique pour développer les échanges inter-îles. La question du transport inter-îles et des aides au fret excède la seule gestion des déchets.

Les aides au fret

L'article 71 de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer a modifié le régime de l'aide au fret : « Une aide au fret au bénéfice des entreprises situées dans les départements d'outre-mer, les collectivités territoriales de Guyane et de Martinique et à Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Wallis-et-Futuna, destinée à abaisser le coût du fret :

1° des matières premières ou produits [...] ;

3° des déchets importés dans ces départements et ces collectivités depuis l'Union européenne ou les pays tiers ou acheminés depuis ces départements et ces collectivités aux fins de traitement, en particulier de valorisation ;

4° des déchets expédiés vers l'Union européenne, y compris vers certains de ces départements ou collectivités, aux fins de traitement et en particulier de valorisation . »

Les déchets sont donc spécialement ciblés par l'aide au fret. Tous les outre-mer en bénéficient à l'exception de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie.

Le projet de loi de finances pour 2023 prévoit pour l'aide au fret (matières premières et déchets confondus) 8,3 millions d'euros en autorisation d'engagement (montant inchangé par rapport à la loi de finances pour 2022) et 5,85 millions en crédit de paiement (contre 7 millions en loi de finances pour 2022).

Cette aide nationale s'articule avec des aides européennes « jumelles » en provenance du fonds FEDER, lequel est géré par les régions (pour les RUP, les PTOM ne bénéficiant pas de ces fonds).

La base éligible de l'aide est égale au coût prévisionnel annuel hors taxes des dépenses de transport le plus économique, maritime ou aérien, incluant les assurances, les frais de manutention et de stockage temporaire avant enlèvement et, s'agissant des déchets, les coûts spécifiques de conditionnement, de contrôles de sûreté et de sécurité d'affrètement.

le montant des aides apporté par l'État varie en fonction des combinaisons :

- en l'absence d'aide additionnelle, le montant de l'aide apportée par l'État peut être porté à 50 % de la base éligible ;

- en présence d'une aide additionnelle, notamment de l'aide au titre du FEDER, le montant de l'aide apportée par l'État ne peut pas dépasser 25% de la base éligible.

L'ensemble des aides financières ne peut avoir pour effet de porter le niveau de compensation des coûts de transport au-delà de la base éligible.

Entre 2018 et 2022, la région Guadeloupe a par exemple programmé 8,7 millions d'euros au titre de l'aide au fret pour le transport des déchets, et 3,7 ont été payés.

Source : DSOM

Les acteurs ultramarins de la gestion des déchets ont tous plaidé pour une forte revalorisation de l'aide au fret national , d'autant plus que les aides au fret du FEDER sont extrêmement complexes à mobiliser. Certains bénéficiaires préféreraient renoncer à ces aides, ainsi qu'à l'aide nationale, devant la complexité administrative des dossiers.

Le syndicat martiniquais des déchets, le SMTVD, plaide pour une augmentation de la part État dans les dispositifs d'aide au fret, ainsi que pour une simplification des demandes d'aide, voire un appui au montage des dossiers pour les TPE et PME.

Quelques filières montrent qu'une coopération n'est pas un utopie .

Ainsi, les DEEE de Martinique sont actuellement regroupés et expédiés chez la société AER en Guadeloupe dans une installation agréée par les éco-organismes pour démantèlement et export des matières valorisables majoritairement vers l'Europe. Les coûts de transport inter-îles étant importants, de l'aide au fret avait été envisagée initialement sur ce projet. Cependant les territoires ne souhaitant pas mobiliser cette aide pour des transports relevant de la filière REP, ces coûts sont supportés par les éco-organismes. Par ailleurs, une nouvelle ligne maritime venant d'être mise en place entre la Guadeloupe et la Guyane, un flux de DEEE de Guyane pourrait être mis en place dans un futur proche.

b) Un déficit de financement et de gouvernance

Pour réussir, la coopération régionale doit donc tenir compte de très nombreux paramètres et les solutions valables dans la Caraïbe ne le sont pas forcément dans l'océan Indien ou Pacifique.

Il faut tenir compte des gisements disponibles, des marchés d'écoulement, des gains réciproques, de la volonté de maintenir les transports malgré le coût, des ressources des entreprises, de la diversité des cadres juridiques, de la stabilité politique et économique des territoires partenaires s'agissant de projets de long terme... La massification des flux n'est pas toujours la bonne réponse .

Outre un renforcement de l'aide au fret, il paraît indispensable d'insister sur la gouvernance de ces projets de coopération . Dans un premier temps, une coopération entre des territoires ultramarins français relativement proches permettrait d'initier des filières, sur lesquelles d'autres partenaires régionaux pourraient s'agréger dans un second temps. Les aides au fret pourraient être plus importantes pour le fret régional entre les outre-mer français.

Proposition n° 25 : Augmenter et simplifier l'aide au fret, en particulier pour les liaisons entre les outre-mer français.

5. Relancer la consigne

Comme évoqué précédemment en matière de financement (voir I.C.5.d)) ou de gratification du tri (II.B.3.), la consigne peut être une solution efficace pour améliorer la collecte de certains déchets bien identifiés.

La loi Agec a notamment mis sur la table l'idée d'une consigne sur les emballages de boissons en plastique avec une clause de revoyure en 2023 au niveau national. Dans ce contexte, la Guadeloupe avait été désignée comme territoire d'expérimentation d'un système de consigne sur ce type de déchet. Toutefois, à ce jour, il semblerait que rien de concret n'ait encore été lancé, malgré les annonces faites en 2021.

La consigne pourrait surtout se développer sur d'autres types de déchets.

À La Réunion, un système de consigne subsiste par exemple pour les bouteilles de la bière locale Dodo et fonctionne parfaitement bien. Il fournit un revenu complémentaire à certaines personnes et évite que des tonnes de bouteilles en verre finissent dans les bacs.

Ces initiatives pourraient être facilement dupliquées pour toutes les productions locales de boisson.

De manière générale, la promotion des contenants en verre devrait s'accompagner d'un essor simultané de la consigne. C'est notamment le sens du projet REUNIVERRE précité (II.A.3.).

Sur certains déchets particulièrement délicats, des dispositifs inspirés de la consigne pourraient aussi être testés.

À Mayotte, on estime à 35% 102 ( * ) la part des déchets dangereux traités et expédiés vers l'Hexagone. Les deux tiers du gisement échappent donc aux flux de collecte. C'est en particulier le cas des batteries usagées.

Pour rester sur cet exemple, la création d'une consigne sur les batteries pourrait inciter les usagers à rediriger les batteries vers les filières légales de traitement.

Pour enclencher un essor de la consigne et du réemploi, la proposition n° 17 tendant à habiliter les outre-mer à adopter leurs propres normes en matière d'interdiction de mise sur le marché de matériaux polluants ou difficiles à recycler est évidemment un levier important. Les territoires pourraient définir localement leur stratégie en matière de réemploi et accélérer leur transition.


* 89 Le PNTTD (pôle national des transferts transfrontaliers de déchets) a apporté son appui pour répondre aux attentes des compagnies maritimes et des autorités des pays de transit (pour la délivrance des consentements).

* 90 330 tonnes.

* 91 Pour le surcoût incombant au « détour » par Mayotte, l'État a versé une aide de 130 000 euros.

* 92 Les Antilles bénéficient de lignes quasi-directes et très régulières vers la France et l'Union européenne. Les États-Unis sont également proches.

* 93 La convention de Bâle , adoptée le 22 mars 1989 et entrée en vigueur le 5 mai 1992, encadre et limite ces mouvements. Elle appelle les 184 Parties à observer les principes fondamentaux tels que la proximité de l'élimination des déchets, leur gestion écologiquement rationnelle, la priorité à la valorisation, le consentement préalable en connaissance de cause à l'importation de substances potentiellement dangereuses, etc.

Au 1er janvier 2021, la modification de la convention de Bâle décidée lors de la COP14 en mai 2019 est entrée en vigueur. Seuls les déchets de plastique non dangereux facilement recyclables, c'est-à-dire triés et non contaminés par d'autres déchets, peuvent désormais être exportés vers des pays tiers pour recyclage.

* 94 Le règlement (CE) n° 1013/2006 du 14 juin 2006 concernant les transferts de déchets met en oeuvre les dispositions de la convention de Bâle ainsi qu'un amendement à cette convention (amendement portant interdiction) adopté en 1995 et non encore entré en vigueur qui interdit les exportations de déchets dangereux vers les pays non-membres de l'OCDE. Le règlement (CE) n° 1013/2006 intègre la décision C(2001)107/final de l'OCDE.

* 95 La décision C(2001)107/final du Conseil de l'OCDE concernant la révision de la décision C(92)39/final sur le contrôle des mouvements transfrontaliers de déchets destinés à des opérations de valorisation s'applique à l'intérieur de la zone de OCDE

* 96 Des échecs ont également découragé durablement des filières, comme un projet industriel de recyclage des plastiques PET en Guadeloupe et Martinique il y a quelques années qui fut mal dimensionné et qui a dû s'arrêter prématurément faute d'équilibre économique.

* 97 En Guyane, la société EIGGAGE broie aussi le verre pour le réutiliser dans les bétons. La capacité du broyeur est très largement supérieure aux besoins liés au broyage du verre seul (5 à 10% de la capacité du broyeur). Le broyeur peut être utilisé pour d'autres déchets en particulier pour les déchets inertes du BTP.

* 98 La société a investi 7 millions d'euros. Elle a reçu une aide de 1 millions d'euros de l'Ademe et a eu recours à la défiscalisation.

* 99 Le verre industriel, notamment le verre feuilleté, est également traité. Seuls les verres médicaux ne le seront pas.

* 100 Les flux de pneus martiniquais étaient exportés vers E CODEC en Guadeloupe pour la réalisation de revêtement sportif et de dalles de stabilisation de terrain. Cependant, l'exiguïté des marchés d'écoulement pour ce type de produit, les coûts d'export important ont eu raison de ce modèle.

* 101 L'exemple de la Société Industrielle de Recyclage et de Production, la SIDREP, spécialisée dans le recyclage des bouteilles en plastique en PET Clair. Cette entreprise s'est installée en Martinique. L'usine représentait un investissement de 11 millions d'euros financé par l'Union européenne (pour plus de 4 millions), l'État, la collectivité territoriale de Martinique. En 2014, dès sa création, Citeo a livré à des prix préférentiels toutes les tonnes de PET clair collectées par les collectivités de Martinique, de Guadeloupe et de Guyane. En effet, l'unité industrielle était dimensionnée pour être à l'équilibre financier avec 4 500 tonnes de PET par an. Les apports se sont révélés insuffisants et l'exploitant n'est pas parvenu à diversifier ses approvisionnements pour atteindre le seuil de rentabilité. La SIDREP a été liquidée fin 2019. Le président de la SIDREP, Christian Torres, avait fait part de sa situation alarmante devant la délégation lors d'un colloque le 21 juin 2018 portant sur l'ancrage local des économies ultramarines. Voir le rapport d'information n° 597 (2017-2018).

* 102 Sous toutes réserves.

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