II. POUR UNE MÉTROPOLE SOUCIEUSE D'UN DÉVELOPPEMENT ÉQUILIBRÉ DU TERRITOIRE RÉGIONAL

Au-delà des difficultés que la métropole rencontre dans l'association des maires sur son territoire, elle est aussi souvent décriée pour son insertion limitée dans le territoire régional . La création de la métropole a donné naissance à une collectivité très forte, qui ne peut faire abstraction des obligations en termes de solidarité qu'une telle position entraîne .

La métropole, collectivité bien insérée dans le tissu économique européen et mondial, doit mieux emmener son hinterland dans son sillage . Devenue une collectivité exerçant les compétences départementales, elle doit faire usage , sur son territoire et en lien, dans la mesure du possible, avec les autres collectivités situées dans son environnement immédiat, des compétences qui lui reviennent en matière de développement des solidarités territoriales .

Selon les membres de la mission, ce déficit de solidarité explique en large part pourquoi l'exemple lyonnais ne fait pas autant école qu'il l'a un temps été pensé . L'insertion de la métropole de Lyon dans le tissu de solidarité qu'elle doit former avec les autres collectivités, sur son territoire comme en dehors de celui-ci, est très largement perfectible en l'état .

A. LA COOPÉRATION ENTRE LA MÉTROPOLE ET LES AUTRES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES EST AUJOURD'HUI PERFECTIBLE

Les personnes entendues par la mission représentant les collectivités limitrophes de la métropole de Lyon ont convergé dans la critique du mode de fonctionnement de celle-ci. Elles ont souligné le risque d'un rôle anti-péréquateur joué par la métropole. À cet égard, force est de constater que le rapport de 2020 de Cécile Cukierman présentait déjà les risques que posait la création de la métropole en la matière.

La création de la métropole de Lyon : un effet anti-péréquateur ?
Extraits du rapport de Cécile Cukierman

« Reste la question la plus sensible et peut-être la plus importante, celle de la solidarité entre la métropole et son environnement .

« Les métropoles ont d'abord été conçues comme une « locomotive » pour leur territoire, dont le développement accéléré, en réseau avec les autres métropoles mondiales, devait profiter à leur arrière-pays. Cette idée n'a jamais été corroborée, et l'on peut craindre au contraire un assèchement des forces vives et de l'activité économique des villes petites et moyennes, ainsi que du monde rural. Toujours est-il que le département du Rhône, dans son ancienne configuration, contribuait par son pouvoir fiscal et ses choix budgétaires à la redistribution des richesses et au rééquilibrage des services et des équipements. Cette politique se traduisait en particulier dans l'attribution de subventions aux communes pour le financement de leurs projets d'investissement, dans le cadre de la compétence de solidarité territoriale.

Or, comme le relevaient nos collègues Charles Guené et Claude Raynal, « le montant total des aides versées aux communes situées hors du territoire métropolitain a fortement diminué après la création de la métropole de Lyon », passant de 31 millions d'euros en 2014 à 25 millions en 2018. « Alors que le département du Rhône utilisait sa surface géographique et financière pour réaliser une péréquation entre les territoires urbains, périurbains et ruraux, le Nouveau Rhône a réduit ses interventions ) . »

« Cet effet contre-péréquateur est atténué, dans le Rhône, par les conditions financières assez favorables au département dans lesquelles a eu lieu la création de la métropole. Toutefois, la rapporteure a pu constater que certaines voix s'élèvent aujourd'hui pour les remettre en cause , notamment pour revoir à la baisse le montant de la dotation de compensation métropolitaine due, chaque année, par la métropole au département et destinée à assurer la neutralité financière des transferts de produits et de charges tout en prenant en compte les effets redistributifs de la politique antérieure du département. »

Source : rapport n° 706, (2019-2020) précité.

1. Une relation paradoxalement faible avec le département du Nouveau Rhône

Certains interlocuteurs ont fait valoir les difficultés qu'ils éprouvaient pour entretenir toute forme de relation avec la métropole. Le président du conseil départemental du Rhône , Christophe Guilloteau, a ainsi estimé que sa collectivité n'entretenait pas de mauvaises relations avec la métropole, car il ne considérait pas réellement qu'une relation entre les deux collectivités existât à proprement parler .

Cette situation paraît d'autant plus problématique qu'elle ne permet pas de régler certains problèmes de gestion concertée des compétences détenues par ces deux collectivités territoriales mais n'ayant pas fait l'objet d'une mutualisation , les problématiques rencontrées sur chacun des deux territoires ne cessant pas d'être imbriquées parce qu'une séparation administrative est intervenue.

À titre d'exemple, la chambre régionale des comptes relevait dans son rapport de 2020 que les difficultés de frontière administrative s'agissant de la compétence de gestion des collèges n'étaient pas entièrement réglées . Elle soulignait notamment qu'un « nombre important de collégiens du nouveau Rhône sont accueillis dans les établissements de la métropole », ce qui a conduit à « réduire le nombre de collégiens extérieurs accueillis dans les établissements, ce qui peut poser question en matière de service rendu à l'usager (rattachement de certains collégiens à des établissements plus éloignés, bien que situés sur leur territoire ) 271 ( * ) . » Elle a en conséquence considéré « le développement de toute forme de coopération entre les deux collectivités en matière d'éducation [comme] une nécessité 272 ( * ) ».

De façon analogue, lors de son audition par les membres de la mission, le président du département du Nouveau Rhône a estimé que l'exercice insuffisamment efficace de certaines compétences identifiées (accueil des jeunes enfants ou prise en charge des mineurs non accompagnés en particulier) pourrait se traduire par un surcroît de charges pour sa collectivité .

2. Des liens distendus avec la région Auvergne-Rhône-Alpes

Au-delà des limites territoriales de l'ancien département du Rhône, les relations de la métropole de Lyon avec les autres collectivités alentour, à commencer par le conseil régional d'Auvergne-Rhône-Alpes, pâtissent d'un évident défaut de fluidité .

Auditionné par les membres de la mission, le président du conseil régional, Laurent Wauquiez, a estimé que le cas lyonnais constituait un exemple des critiques qui peuvent être formulées à l'ensemble des métropoles sur le défaut d'entraînement de leur hinterland ; il a en particulier alerté sur le risque d'un « pays à deux vitesses, faisant coexister des métropoles qui attirent l'économie du 21 ème siècle et, de l'autre côté, des territoires perdus, loin des îlots de prospérité ». Il a ainsi jugé que la métropole constituait une « force centripète », concentrant les ressources sans qu'une redistribution péréquatrice efficace soit opérée au profit des territoires voisins . Il a également estimé que les métropoles constituaient « un outil d'égoïsme territorial, là où les départements et régions sont un outil d'aménagement du territoire ».

La difficulté pour les deux collectivités à coopérer s'exprime tout particulièrement dans leur coopération dans l'exercice de leurs compétences économiques , notamment dans le cadre de l'adoption par la région de son schéma régional de développement économique d'innovation et d'internationalisation (SRDEII) . En effet, l'article L. 4251-15 du code général des collectivités territoriales prévoit que les orientations de ce document structurant pour la politique régionale en matière économique sont « élaborées et adoptées conjointement par le conseil de la métropole concerné et le conseil régional ». Néanmoins, en cas de désaccord, la métropole est libre d'élaborer son propre document d'orientations stratégiques, qui n'est plus lié au document d'orientations élaboré par la région par le lien de la conformité - voire de l'identique - mais par celui d'une simple « prise en compte », plus souple.

Or, comme le rappelle la Cour des comptes dans son rapport de 2020 relatif à la mise en place des métropoles, la métropole de Lyon a fait pour le SRDEII 2016-2021 le « choix d'émancipation par rapport à la région » 273 ( * ) ce qui l'a conduit à élaborer un document d'orientations stratégiques distinct. Quant à l'élaboration du SRDEII pour 2022-2026 , récemment adopté par la région Auvergne-Rhône-Alpes, elle n'a pas été l'occasion d'un travail conjoint entre les deux collectivités et a au contraire constitué un point nodal de tension entre les deux collectivités : le président de la métropole a informé le président du conseil régional au mois de juin 2022 que, faute d'une communication de documents jugée insuffisante, la métropole ne se prononcerait pas formellement sur le projet de SRDEII 274 ( * ) ; le président du conseil régional a jugé pour sa part que la métropole de Lyon n'avait pas répondu aux échanges engagés.

De façon analogue, la coopération entre les deux collectivités pour l'élaboration du contrat de plan État-région (CPER) ne semble pas fluide . Lors de son audition par les membres de la mission, le président du conseil régional a ainsi précisé que la métropole avait transmis avec retard ses projets dans le cadre de l'élaboration par l'État et la région du CPER .

Il semble ainsi, aux yeux des membres de la mission, que la métropole et la région ne soient pas encore parvenues à tisser un lien de coopération confiante s'agissant de la gestion des compétences économiques qu'elles ont en partage, pourtant nécessaire à leur bon exercice tant pour les élus locaux que pour les citoyens .


* 271 Chambre régionale des comptes d'Auvergne-Rhône-Alpes, rapport précité, p. 94.

* 272 Chambre régionale des comptes d'Auvergne-Rhône-Alpes, rapport précité, p. 95.

* 273 Cour des comptes, Les finances publiques locales 2020, fascicule 3, « La mise en place des métropoles : un premier bilan peu convaincant », p. 67, consultable à l'adresse suivante : https://www.ccomptes.fr/fr/publications/les-finances-publiques-locales-2020-fascicules-2-et-3 .

* 274 La publication dans la presse d'extraits du courrier en question a été largement reprise dans la  presse locale, notamment par un article du Progrès en date du 29 juin 2022.

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