D. UN « CHANGEMENT D'ÉCHELLE » QUI N'A PAS EU LIEU, NOTAMMENT DU FAIT DES DIFFICULTÉS DE RECRUTEMENT RENCONTRÉES PAR LES ENTREPRISES ADAPTÉES

1. L'ambition de doublement du nombre des effectifs de travailleurs handicapés en entreprise adaptée n'a pas connu un début de réalisation

L'engagement « Cap vers l'entreprise inclusive » portait une ambition de doublement des effectifs de salariés reconnus travailleurs handicapés éligibles aux aides au poste en entreprise adaptée, pour atteindre un total de 80 000 ETP à l'horizon de la fin de l'année 2022. Force est de constater que cette ambition n'a pas été réalisée, puisqu'on constate au contraire une relative stabilité, et même une légère baisse, de ces effectifs sur la période.

Bien que l'objectif ait été abaissé à 53 000 ETP dans le contexte de la crise sanitaire, l'atteinte de cette nouvelle cible semble hautement improbable .

Évolution des effectifs éligibles aux aides en entreprises adaptées depuis 2018 par comparaison aux cibles fixées

(en ETP)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

2. Un résultat notamment lié aux considérables difficultés de recrutement rencontrées par les entreprises adaptées

Si la crise sanitaire a pu contribuer à la non-réalisation de cette ambition de « changement d'échelle », elle ne saurait en être le principal et encore moins le seul facteur , compte tenu notamment de la forte reprise des créations d'emplois dans l'ensemble de l'économie depuis 2021.

Interrogée sur ce point par le rapporteur spécial, la DGEFP a indiqué en premier lieu qu'en posant cet objectif, l'État n'avait pas pris toute la mesure de l'hétérogénéité des entreprises adaptées . Celles-ci comprennent des entreprises adoptées qui, souvent adossées à des ESAT dans une approche conservatrice du modèle de structure, proposent des emplois durables et protégés sans vocation de retour vers le marché « classique » mais également des structures en demande de performance, davantage tournées vers la croissance et la création d'emploi, au risque cependant de sélectionner des publics ne se distinguant pas des travailleurs reconnus handicapés embauchés par des employeurs « classiques ». Dans l'ensemble, les entreprises adaptées étaient manifestement dans les faits loin d'être prêtes pour un tel changement d'échelle, à plus forte raison dans un contexte de transformation de leur modèle

L'UNEA met également en avant dans les considérables difficultés de recrutement rencontrées par les entreprises adaptées, déplorant un accompagnement insuffisant du service public de l'emploi à cet égard (Pôle emploi, Cap emploi et missions locales), alors même que la dynamique des offres d'emploi déposée est soutenue.

Une enquête de l'UNEA menée en décembre 2021, dont les résultats ont été communiqués au rapporteur spécial, illustre bien l'ampleur du phénomène :

- 75 % des entreprises adaptées déclaraient alors rencontrer de fortes difficultés de recrutement ;

- 51 % d'entre elles déclaraient avoir déposé des offres d'emploi auprès des trois acteurs du service public de l'emploi mais aucun candidat ne leur avait été proposé.

Le service public de l'emploi

Le service public de l'emploi, en application de l'article L. 5311-1 du code du travail, a pour mission l'accueil, l'orientation, la formation et l'insertion. Il comprend le placement, le versement d'un revenu de remplacement et l'accompagnement des demandeurs d'emploi et l'aide à la sécurisation des parcours professionnels de tous les salariés. Il est mis en oeuvre par les représentants de l'État et les principaux opérateurs chargés de la mise en oeuvre des politiques de l'emploi au niveau territorial, soit :

- Pôle emploi , qui est le principal organisme et opérateur de droit commun du service public de l'emploi. Ses missions, listées par l'article L. 5312-1 du code du travail, comprennent notamment le conseil aux employeurs, l'accueil et l'accompagnement des personnes en recherche d'un emploi ou d'une formation, la tenue de la liste des demandeurs d'emploi, le service des allocations du régime de l'assurance chômage ;

- les missions locales , conformément à l'article L. 5314-2 du code du travail, ont pour objet d'aider les jeunes de 16 à 25 ans à résoudre l'ensemble des problèmes que pose leur insertion professionnelle et sociale en assurant des fonctions d'accueil, d'information, d'orientation et d'accompagnement à l'accès à la formation professionnelle initiale ou continue, ou à un emploi. Elles sont notamment en charge du déploiement des parcours contractualisés d'accompagnement vers l'emploi et l'autonomie (PACEA) et du contrat d'engagement jeune (CEJ) ;

- les Cap emploi sont des organismes de placement spécialisés exerçant une mission de service public. Ils sont en charge de la préparation, de l'accompagnement, du suivi durable et du maintien dans l'emploi des personnes en situation de handicap. Depuis 2018, un rapprochement a été décidé entre les Cap emploi et Pôle emploi, qui s'est notamment traduit par la mise en place d'une offre de service intégrée et commune et des lieux uniques d'accompagnement (LUA) au sein des agences Pôle emploi.

Une précédente enquête, datant de novembre 2020, relative au déploiement des CDD Tremplin, avait déjà mis en évidence certaines limites de l'offre d'accompagnement du service public de l'emploi, et notamment la faiblesse de la coopération avec les missions locales . À titre d'exemple, 25 % des entreprises adaptées interrogées considéraient que leur conseiller de mission locale n'avait aucune connaissance du dispositif, cette proportion restant toutefois élevée s'agissant des conseillers Pôle emploi (19 %) et tombant à 12 % s'agissant des conseillers Cap emploi, spécialisés sur les problématiques d'accès à l'emploi des travailleurs handicapés. De même, moins de la moitié des entreprises adaptées (49 %) déclaraient déposer systématiquement leurs offres auprès des missions locales. Elles le font en revanche à 65% auprès de Pôle emploi et à 89 % auprès des Cap emploi.

Des efforts ont pourtant été entrepris par la DGEFP et les acteurs du service public de l'emploi pour remédier à cette situation, avec la constitution dès 2019 d'un groupe de travail dédié, mais dont les résultats sont à ce jour insuffisants.

Le principal enjeu identifié par les acteurs du service public de l'emploi est celui de la mise en visibilité des offres d'emploi sur leurs plateformes respectives . Si Pôle emploi a récemment mis en place un système de « tag » de ces offres et réalise des formations auprès des dirigeants d'entreprises adaptées visant à professionnaliser la présentation de leurs offres, l'ensemble des acteurs a convenu, lors de leur audition, de la nécessité d'aller encore plus loin. L'UNEA déplore notamment l'inadaptation aux spécificités des entreprises adaptée du site Internet de la « Plateforme de l'inclusion » lancée en 2020 par le Gouvernement pour mettre en relation les employeurs solidaires avec les candidats éloignés du marché du travail, qui serait principalement formatée pour répondre aux besoins des structures de l'insertion par l'activité économique (SIAE). Des travaux ont cependant été engagés début 2022 pour rendre son utilisation davantage compatible avec les exigences et les règles de recrutement en entreprise adaptée.

Il existe un consensus entre les acteurs sur la nécessité d'intensifier les relations entre le service public de l'emploi et les entreprises adaptées afin de dynamiser les procédures de recrutement. Le partage de données et l'interconnexion de leurs systèmes d'information respectifs a été identifié par l'UNEA comme un enjeu décisif , afin de simplifier le suivi des parcours et de pouvoir réaliser des tableaux de bord partagés de suivi des offres d'emploi postées par les entreprises adaptées et des propositions de candidatures transmises en retour par le service public de l'emploi.

On peut regretter que la fusion - aboutie en 2020 - des systèmes d'information de Pôle emploi et de Cap emploi, à rebours de cet objectif de suivi renforcé, s'est traduite par une perte d'information à cet égard : s'il reste possible pour ces opérateurs de mesurer le taux de satisfaction des offres d'emploi déposées par les entreprises adaptées, il n'est désormais plus possible de suivre, comme le faisaient les Cap emploi, la part des travailleurs handicapés orientés vers un emploi en entreprise adaptée.

Le rapporteur spécial considère donc que cette coopération doit être approfondie, en particulier avec les missions locales.

Recommandation n° 5 : renforcer les coopérations et le partage de données entre le service public de l'emploi et les entreprises adaptées dans l'objectif de dynamiser leurs processus de recrutement (Pôle emploi, Cap emploi, missions locales, UNEA).

3. La nécessité de renforcer la transparence des données relatives à la politique de soutien aux entreprises adaptées

Le rapporteur spécial a pu constater, au cours de ses travaux, la faiblesse de la donnée publique disponible quant à la politique de soutien aux entreprises adaptées et en particulier des effectifs éligibles aux aides au poste, qui se limite aux informations contenues dans les documents budgétaires.

Auditionnée sur ce point, la Dares a mis en évidence ses moyens humains contraints, avec seulement 1,5 ETP dédié au suivi des données relatives aux travailleurs handicapés, ce qui l'a conduit à privilégier le suivi de la mise en oeuvre de l'OETH. Elle n'a en outre conduit aucune enquête sur les entreprises adaptées dans les années récentes.

En particulier, le nombre d'emplois financés par les aides au poste n'est pas intégré au tableau de bord des politiques de l'emploi (PoEm) consultable en ligne et mis à jour mensuellement par la direction de l'animation de la recherche et des études statistiques (Dares). Cet outil permet le suivi fin du déploiement de nombreux dispositifs (contrats aidés, insertion par l'activité économique, apprentissage, emplois francs, garantie jeunes) et l'accès à l'emploi en entreprises adaptées y aurait pourtant toute sa place.

Une publication des données relatives à la politique de soutien aux entreprises adaptées, comprenant a minima les stocks et les flux de recrutement de salariés éligibles aux aides au poste et éventuellement le nombre de postes financés dans le cadre des expérimentations se justifierait pourtant pleinement eu égard à l'enveloppe budgétaire conséquente consacrée à cette politique (plus de 400 millions d'euros annuels).

Recommandation n° 6 : assurer une publication régulière des données relatives à la politique de soutien aux entreprises adaptées, comprenant a minima les stocks et les flux de recrutement de salariés éligibles aux aides au poste et éventuellement les postes financés dans le cadre des expérimentations (Dares).

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