EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 28 septembre 2022 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de M. Thierry COZIC et Mme Frédérique ESPAGNAC, rapporteurs spéciaux, sur la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

M. Claude Raynal , président . - Mes chers collègues, les rapporteurs spéciaux de la mission « Économie », Thierry Cozic et Frédérique Espagnac, ont mené un contrôle budgétaire sur la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

M. Thierry Cozic , rapporteur spécial . - L'idée de ce contrôle nous est venue à l'occasion de l'audition de la DGCCRF dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances pour 2022.

Si des enjeux importants concernant cette administration étaient apparus au cours de cette audition, tels que la réduction des effectifs ou les questions d'organisation, c'est en réalité au cours des auditions et déplacements conduits dans le cadre du contrôle que la profondeur de certains enjeux s'est révélée.

La DGCCRF dispose d'importants atouts et fait preuve d'une véritable capacité d'adaptation et de modernisation. Pour autant, elle apparaît affaiblie, d'abord en raison des réductions significatives d'effectifs qu'elle a connues depuis 2007, ensuite par la succession de réformes et de projets avortés de réformes la concernant. Ce double contexte déstabilise en outre les agents de la DGCCRF, qui nous ont souvent fait part d'un sentiment de « fatigue » et ont déploré la « perte de sens » de leur métier.

Or la DGCCRF accomplit de manière très concrète des missions qui sont indispensables au bon fonctionnement de l'économie et à la protection du consommateur. Cette utilité est structurelle, mais elle l'est encore davantage aujourd'hui du fait du contexte économique. En effet, l'inflation, l'explosion des coûts de l'énergie ou encore le contexte économique international augmentent aussi bien les risques de fraude que l'importance de la protection des consommateurs et de leur pouvoir d'achat.

Attendre beaucoup d'une administration affaiblie et à laquelle l'on donne de moins en moins, c'est le dilemme auquel est confrontée la DGCCRF. Dans ce contexte, nous formulons des recommandations qui nous semblent pouvoir renforcer cette administration, au service de l'économie et des consommateurs.

Mme Frédérique Espagnac , rapporteure spéciale . - Je commencerai par détailler les missions de la DGCCRF, ainsi que ses atouts et sa capacité d'adaptation et de modernisation.

Depuis sa création en 1985, la DGCCRF est chargée de trois grandes missions : elle s'assure du respect des règles de concurrence, de la protection économique des consommateurs et de la sécurité des produits et des services.

Dans ces domaines, elle n'est pas le seul acteur administratif à intervenir. D'autres administrations et autorités administratives sont compétentes, parmi lesquelles les douanes, la direction générale des finances publiques (DGFiP), l'Autorité de la concurrence et les autorités de régulation sectorielles, comme l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep).

Dans ces conditions, une coordination entre ces autorités administratives est indispensable. En effet, si leur nombre contribue à une spécialisation fructueuse, il crée mécaniquement un risque de chevauchement et un risque d'impasses. Il est aussi susceptible de conduire à une utilisation des informations et des données en silo.

Nous avons constaté que la coopération entre ces acteurs s'est significativement accrue, en particulier ces dernières années. Toutefois, des marges d'amélioration existent et nous considérons que des efforts doivent encore être fournis pour que ces institutions forment un front commun contre la fraude. C'est pourquoi nous formulons deux recommandations, qui visent l'approfondissement de la coopération entre ces acteurs publics, avec un point d'attention spécifique concernant le partage de données.

Mais si la DGCCRF n'est pas la seule autorité administrative à intervenir en matière de concurrence et de protection du consommateur, elle en est l'acteur central.

D'une part, ses compétences ne sont pas spécifiques à un secteur ou à un domaine, contrairement à ce qu'il en est pour les autres acteurs administratifs. Elles touchent tous les champs de la consommation, que ce soit les produits ou les services, tous les stades de l'activité économique et toutes les formes de commerce.

D'autre part, ses pouvoirs sont importants, que ce soit ses pouvoirs d'information, de contrôle et d'enquête ou sa capacité à sanctionner les manquements et fraudes.

La DGCCRF est en outre une administration très active et inscrite dans le concret. En 2021, elle a mené près de 135 000 contrôles, dans plus de 90 000 établissements. Elle a adressé près de 25 000 avertissements, émis 8 000 injonctions, conduit à l'ouverture de 4 000 dossiers pénaux et prononcé 1 300 amendes.

Pour exercer ses missions, la DGCCRF sait, par ailleurs, faire évoluer ses priorités. Depuis 2019, sur le fondement de son plan stratégique 2020-2025, elle se fixe trois priorités : préférer l'enquête au contrôle routinier, se concentrer sur les risques les plus importants, et investir les nouvelles formes de l'économie et les nouveaux risques.

La DGCCRF apporte donc une plus forte valeur ajoutée à son travail en privilégiant l'enquête sur le contrôle « standard ». Elle peut ainsi s'attaquer aux risques forts et aux fraudes les plus préjudiciables. En 2022, elle a par exemple identifié les enjeux de la transition écologique et de l'économie numérique pour guider le choix de ses enquêtes.

Nous estimons que ce recentrage sur les enquêtes constitue une bonne stratégie, a fortiori dans un contexte d'effectifs contraints. Néanmoins, nous émettons une réserve. En effet, il est important qu'en parallèle de ces enquêtes, un certain nombre de contrôles routiniers soient maintenus. Sans eux, la « peur du gendarme » ne serait plus garantie.

Ensuite, la DGCCRF s'adapte aux évolutions de l'économie en s'intéressant aux nouveaux modèles économiques. Elle investit ainsi en particulier le domaine du numérique, en traitant du commerce en ligne ou des pratiques des influenceurs par exemple. Elle identifie et lutte contre les risques émergents, par exemple sur l'origine des produits et les allégations environnementales ou nutritionnelles.

En parallèle, la DGCCRF adapte ses outils et moyens d'action avec une célérité qu'il convient de souligner. En moins de trois ans, elle a mis en place un logiciel d'enquête perfectionné nommé « Sesam », utilisable par les agents lors de leurs déplacements, une structure centralisée et spécialisée d'échanges avec les consommateurs baptisée « Réponse Conso », un site internet interministériel centralisant les alertes sur les produits dangereux (https ://rappel.conso.gouv.fr), une plateforme de signalement par les consommateurs de fraudes ou manquements d'entreprises, nommée « Signal Conso », et, enfin, une cellule de renseignement antifraude économique (la CRAFE) pour mieux détecter et enquêter sur les fraudes les plus complexes et les plus préjudiciables.

En outre, elle s'appuie sur des pratiques et pouvoirs élargis et modernisés, parmi lesquels la transaction pénale et administrative pour simplifier la procédure de sanction, le déréférencement de sites internet pour lutter contre les pratiques illégales sur internet, et la politique du name and shame pour les entreprises les plus indélicates.

Enfin, la plus grande force de la DGCCRF que nous ayons identifiée à l'occasion de notre contrôle est peut-être la qualité et l'implication de ses agents, dont le mode de recrutement et de formation spécifique a fait ses preuves. La DGCCRF peut donc s'appuyer sur des atouts importants et une véritable capacité d'adaptation et de modernisation.

Pour autant, le contrôle a été l'occasion de constater que la DGCCRF est également une administration affaiblie.

M. Thierry Cozic , rapporteur spécial . - Affaiblie, la DGCCRF l'est tout d'abord et surtout du fait de la baisse de ses effectifs. En quinze ans, depuis 2007, ses effectifs ont été réduits d'un quart. Alors que 3 723 équivalents temps plein travaillé (ETPT) avaient été consommés en 2007, 2 812 ETPT devraient l'être au maximum en 2022, soit une diminution de 911 ETPT. C'est considérable pour une petite administration avec des missions étendues. Une part de la baisse des effectifs est certes liée à des transferts de compétences, notamment vers l'Autorité de la concurrence ou le service commun des laboratoires, mais la réduction nette d'effectifs concerne près de 400 ETPT.

Dans ces conditions, nous avons constaté sans surprise que les équipes étaient mises sous tension, et que la bonne exécution des missions de la DGCCRF était parfois menacée. C'est a fortiori le cas dans les territoires peu dotés en personnels. Pour vous donner une idée, en 2010, dans l'Hexagone et en Corse, aucun département ne comptabilisait moins de 8 ETPT. En 2021, quatorze départements disposaient de 5 ETPT ou moins. Au-delà de ces chiffres, un exemple montre la gravité de la situation dans certains territoires : dans le Lot, le nombre très faible d'agents, auquel il faut ajouter les congés et départs, a abouti à ce que les services de la répression des fraudes n'aient temporairement qu'un seul agent en poste pour tout le département au cours de l'année 2022...

Or les réductions d'effectifs conduisent mécaniquement, in fine , à limiter le nombre des enquêtes et des opérations de contrôle. En outre, en dessous d'un certain seuil d'agents, ceux-ci perdent en spécialisation et les enquêtes et contrôles baissent en qualité. Et si les mutualisations interdépartementales mises en place dans les territoires les moins dotés peuvent être utiles, elles ne suffiront absolument pas à répondre à la baisse des effectifs.

Face à cette situation, nous estimons qu'il est indispensable de réagir, afin de donner à la DGCCRF les moyens d'exercer ses missions sur l'ensemble du territoire.

Nous proposons donc l'établissement d'un effectif « socle » de 7 ETPT par département. Ce seuil a été identifié comme un plancher garantissant un minimum de spécialisation des équipes. Nous rappelons de nouveau, pour ceux qui s'inquiéteraient de la légitimité d'une telle hausse, qu'en 2010 tous les départements de l'Hexagone disposaient d'au moins 8 ETPT.

La mise en place de ce socle ne pourra raisonnablement se faire par le biais du redéploiement d'agents au niveau national. En effet, la tension sur les effectifs est une réalité sur tout le territoire et à tous les échelons de la DGCCRF. Il faudra donc prévoir de recréer quelques postes : moins de 50 ETPT selon notre estimation sur les 911 ETPT qui ont été supprimés au cours des quinze dernières années. Nous notons d'ailleurs que, dans le dossier de presse du projet de loi de finances pour 2023, le Gouvernement annonce des renforts d'effectifs pour l'année prochaine. Si nous n'en connaissons pas le détail exact, nous nous félicitons de cette évolution.

La deuxième raison pour laquelle la DGCCRF est affaiblie tient à la succession des réformes l'affectant, qu'elles soient d'ailleurs mises en oeuvre ou finalement avortées. La DGCCRF a d'abord connu d'importantes modifications de son organisation déconcentrée depuis 2009. Depuis cette date, les services déconcentrés sont en effet rattachés à des directions départementales ou régionales interministérielles. Depuis 2021, les services régionaux sont ainsi rattachés au pôle « concurrence, consommation et métrologie », dit « pôle C », des nouvelles directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Dreets). Les services départementaux dépendent quant à eux soit d'une direction départementale de la protection des populations (DDPP), soit d'une direction départementale de l'emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations (DDETS-PP), selon la taille de la population.

Le rattachement à un directeur départemental interministériel, lui-même soumis au préfet, en lieu et place de l'ancienne ligne hiérarchique directe de la DGCCRF, a déstabilisé les agents départementaux. Ces derniers continuent de s'en plaindre aujourd'hui, pour diverses raisons, parmi lesquelles ce qu'ils estiment être une dilution de leurs compétences spécifiques et un manque de lisibilité de la ligne hiérarchique.

Un certain nombre de réformes ont également concerné ses compétences, parmi lesquelles le transfert en cours de la police de sécurité sanitaire des aliments vers le ministère de l'agriculture. Au demeurant, nous considérons que cette réforme est opportune. En premier lieu, elle simplifie utilement l'organisation administrative des compétences dans un domaine aussi stratégique. En second lieu, elle recentre la DGCCRF sur ses compétences premières, la protection économique du consommateur et l'ordre public économique.

Nous formulons toutefois une recommandation, qui vise à préserver la compétence du service commun des laboratoires s'agissant des analyses sanitaires des aliments qui relevaient de la compétence de la DGCCRF. Cela permettra à la fois d'assurer la qualité des analyses et de préserver le savoir-faire du service commun des laboratoires.

Plus largement, cette réforme, même opportune, appelle à la vigilance. Elle ne doit en aucun cas conduire à une dispersion progressive généralisée des compétences de la DGCCRF vers d'autres administrations. Son positionnement administratif et son rattachement direct au ministère de l'économie ne doivent pas non plus être mis en cause.

Enfin, l'hypothèse d'une fusion avec l'administration des douanes est évoquée depuis de nombreuses années, y compris au niveau du Gouvernement. Elle suscite à la fois intérêt et inquiétudes.

En définitive, au-delà de l'opportunité ou non de ces réformes ou projets de réformes, il faut reconnaître que le climat général a causé chez les agents, confrontés à une « perte de sens », un sentiment de « fatigue » assez fort - ce sont des termes qui sont revenus très souvent lors de nos échanges. Ces changements ont mis sous tension, plus généralement, l'ensemble de la DGCCRF.

Dans ce contexte, nous estimons qu'il est temps que cette dernière et ses agents puissent se focaliser sur leurs missions. Il est donc nécessaire de s'abstenir de toute réforme d'ampleur concernant l'organisation de la DGCCRF à moyen terme. Une hypothétique fusion avec les douanes doit ainsi être écartée, même si des coopérations concrètes renforcées entre ces deux administrations peuvent être développées. Cette fusion se heurterait en effet, en dépit de certains avantages, à de sérieux obstacles, que nous décrivons dans notre rapport. Surtout, elle créerait davantage d'instabilité au détriment du travail des agents, déjà trop peu nombreux. Nous le répétons : il faut aujourd'hui donner la priorité à la stabilité et laisser les agents de la DGCCRF se concentrer sur leurs missions.

Mme Frédérique Espagnac , rapporteure spéciale . - Les relations de la DGCCRF avec les entreprises constituent ce que l'on pourrait considérer comme sa troisième faiblesse.

Certes, cette administration garantit une information satisfaisante des consommateurs et des entreprises sur leurs droits et devoirs, quand bien même il existe malgré tout des marges d'amélioration dans ce domaine, exposées dans notre rapport. Nous recommandons notamment de maintenir l'accueil physique des consommateurs et de rapprocher la DGCCRF de ces derniers par le biais du réseau France Services.

Mais ce qui pêche surtout, malgré des efforts tangibles en ce sens, c'est l'établissement d'une relation de confiance avec les entreprises et d'une logique d'accompagnement de ces dernières. Nous avons ainsi constaté que la DGCCRF ne produit pas un effort pédagogique suffisant vis-à-vis des professionnels, sans doute parce qu'elle se définit dans le fond avant tout comme une administration de contrôle.

Or nous considérons que pour garantir l'ordre public économique et la protection du consommateur, la prévention, la pédagogie et l'accompagnement des professionnels doivent primer sur la répression. De manière générale, nous invitons la DGCCRF à adopter cette logique de prévention et d'accompagnement, y compris à l'occasion des contrôles.

Nous formulons à cet égard deux recommandations concrètes. D'une part, nous estimons que la DGCCRF doit davantage adopter une position de conseil vis-à-vis des entreprises : il faut donc notamment envisager l'élargissement aux professionnels du service « Réponse Conso », actuellement chargé de répondre aux sollicitations des consommateurs. D'autre part, il est indispensable de renforcer la confiance des entreprises, même celles qui ont été sanctionnées : il convient donc notamment que la DGCCRF adopte une approche proportionnée de sa politique de communication autour de ses sanctions, notamment dans le cadre du name and shame .

À l'issue de ce contrôle, nous estimons que la DGCCRF est bien un acteur central du bon fonctionnement de l'économie et de la protection des consommateurs. Elle est en outre efficace et s'inscrit dans le réel. Toutefois, elle est affaiblie par la réduction continue de ses effectifs, la succession des réformes mises en oeuvre et avortées et le manque d'accompagnement des entreprises. Nos recommandations concrètes visent à lui donner les outils, les moyens et l'approche nécessaires pour retrouver son efficacité, au moment où l'on a le plus besoin d'elle.

M. Claude Raynal , président . - Je laisse la parole à Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour avis de la mission « Économie » pour la commission des affaires économiques.

Mme Anne-Catherine Loisier , rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques . - Je suis particulièrement intéressée par le rapport de nos deux collègues, dans la mesure où la commission des affaires économiques, dans le cadre du suivi de la loi Égalim, s'interroge sur un certain nombre de dispositions.

Je pense tout d'abord à l'encadrement du régime des pénalités logistiques, car on constate divers abus sur le terrain, notamment le fait que certains acteurs économiques utilisent ces pénalités comme des sources de trésorerie auprès de leurs fournisseurs.

J'évoquerai ensuite le dispositif de relèvement du seuil de revente à perte, prévu par la loi Égalim 1 en 2018, qui avait pour objet de favoriser un meilleur ruissellement, et donc une meilleure rémunération des agriculteurs en fonction des coûts de production. La DGCCRF est censée remettre un rapport sur cette question le 1 er octobre prochain au plus tard : qu'en est-il ? Nous avons hâte de savoir si l'administration conclut à un processus de ruissellement effectif au bénéfice des agriculteurs, ce dont nous doutons.

Enfin, Daniel Gremillet et moi-même sommes les auteurs d'un récent rapport sur les négociations commerciales et l'inflation, qui met en évidence l'absence d'une hausse massive, généralisée et suspecte des tarifs de la part des fournisseurs. Or la DGCCRF a lancé une plateforme de signalement des pratiques contestables : comment ces phénomènes sont-ils suivis dans le contexte d'inflation que nous connaissons ?

M. Claude Raynal , président . - Avant de donner la parole au rapporteur général, je tiens à vous faire part de mon propre sentiment : la situation dans laquelle se trouve la DGCCRF aujourd'hui traduit, selon moi, un mal typiquement français, à savoir une absence de prise de décisions au niveau de notre administration.

Au fond, on a créé des autorités administratives indépendantes à qui l'on a demandé d'assumer une partie des missions qu'exerçait déjà l'administration, ce qui a conduit à une baisse des effectifs et à une confusion générale. La preuve en est que, bien souvent, tout cela se termine en réunions de concertation au niveau des préfectures pour tenter d'y voir clair dans ce maelstrom et parvenir à coordonner les actions des uns et des autres.

Ne serait-il pas plus simple de clarifier le rôle de chacun, et de décider, par exemple, que les autorités administratives indépendantes ne devraient pas être chargées de la répression des fraudes ?

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Le rapport de nos collègues est un peu le symbole du grand flou de certaines réformes.

D'un côté, depuis 2010, quelle que soit la majorité au pouvoir, plus de 900 ETPT ont été supprimés. De l'autre, les missions de l'administration ne sont plus menées avec efficacité, ce que veulent pourtant avant tout les Français.

Je partage l'idée selon laquelle il faudrait un redéploiement des personnels et leur interdépartementalisation mais, en l'absence de pilotage, je crains un émiettement des effectifs et une perte de repères. On assiste actuellement à une sédimentation des structures et des compétences sans stratégie ni réflexion globale. Résultat : une baisse des effectifs qui s'accompagne d'une perte d'efficacité, et cela coûte toujours beaucoup d'argent !

La proposition des rapporteurs spéciaux d'un effectif socle de 7 ETPT par département permettrait de redonner du sens aux missions exercées par la DGCCRF.

À ce jour, l'échelon départemental reste le plus pertinent. L'interdépartementalisation est utile, mais il est indispensable de désigner un pilote, de fixer un périmètre, et de se doter des effectifs suffisants.

Ce contrôle est évidemment très utile, notamment en vue du prochain projet de loi de finances.

M. Claude Nougein . - En tant qu'ancien vice-président du conseil départemental de Corrèze chargé de l'économie - c'était il y a vingt ans environ -, je souhaite témoigner des difficultés que la DGCCRF causait à tout le monde. Si elle subit aujourd'hui une baisse de ses effectifs, de ses compétences et de son efficacité, elle l'a bien cherché !

J'ai pu constater que les contrôles étaient parfois menés à charge contre certaines entreprises, selon le bon vouloir d'agents tout-puissants. J'ai aussi assisté à plusieurs échanges entre le directeur départemental de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de l'époque et le préfet, qui montraient bien que cette administration ne tenait aucunement compte des messages de prudence et de prévention du représentant de l'État.

J'ai connu un directeur départemental, en poste pendant huit ans, qui a coûté 500 emplois à mon territoire ! J'ai également vu des agents de la DGCCRF se comporter comme des cow-boys dans les entreprises. C'est pourquoi j'adhère aux propos de Frédérique Espagnac sur la nécessité pour la DGCCRF de faire preuve de davantage de pédagogie, car une autorité disproportionnée, une répression déséquilibrée et discrétionnaire posent problème.

Dernière remarque, je considère que l'on devrait pouvoir faire appel des décisions de ces agents avant d'en arriver à une action en justice.

M. Vincent Capo-Canellas . - Les rapporteurs spéciaux ont évoqué l'hypothèse d'une fusion de la DGCCRF avec l'administration des douanes. On comprend bien les risques et inconvénients d'un tel rapprochement, mais pouvez-vous nous dire ce qui explique qu'un tel scénario ait été mis en avant ?

D'une certaine façon, votre communication conduit à rejeter ce scénario, tout autant que celui d'une hausse des effectifs : dans ces conditions, comment envisagez-vous l'avenir ?

M. Jean-Marie Mizzon . - Dans notre pays, les associations de consommateurs sont très bien organisées et plutôt efficaces. J'observe que les usagers et les clients, quand ils rencontrent un problème, se tournent naturellement vers ces associations, parce qu'elles ont pignon sur rue. La DGCCRF, de son côté, a-t-elle entrepris des actions de communication pour se faire connaître ?

Autre question : est-on en mesure d'évaluer le volume des affaires traitées par la DGCCRF qui n'aboutissent pas à une action en justice ?

M. Marc Laménie . - Je partage la position des rapporteurs spéciaux.

Cela étant, je m'interroge comme Claude Nougein sur le lien hiérarchique auquel sont soumis les agents de la DGCCRF : ces agents sont-ils réellement sous l'autorité des représentants de l'État, préfets et sous-préfets ?

Je me demande également s'il est réellement possible de renforcer la communication et la pédagogie au sein de la DGCCRF.

M. Thierry Cozic , rapporteur spécial . - Je comprends les remarques de Claude Nougein ; nous avons d'ailleurs entendu durant ce contrôle des représentants d'entreprises nous indiquer ce type de préoccupations, que nous développons dans le rapport. Nous considérons que la DGCCRF fait un travail sérieux auprès des entreprises, mais que cette administration doit adopter une démarche plus pédagogique.

Sur le sujet de l'autorité du préfet sur le directeur départemental, je peux vous assurer que ce dernier agit bien aujourd'hui, en droit et dans les faits, sous l'autorité du préfet. C'est un sujet qui fait l'objet de développements dans le rapport.

Autre point sur lequel je souhaite rassurer nos collègues Claude Nougein et Marc Laménie : les décisions de la DGCCRF concernant une entreprise, a fortiori s'agissant des sanctions administratives, peuvent faire l'objet d'un recours administratif hiérarchique ou gracieux, ou d'un recours devant le juge administratif. Par ailleurs, les sanctions administratives se sont pour une part substituées à ce qui relevait auparavant du pouvoir du juge : 1 300 amendes administratives ont par exemple été prononcées en 2021. Mais encore une fois, celles-ci peuvent faire l'objet de recours.

À toutes fins utiles, je tiens à préciser que, fidèles à la culture du compromis du Sénat, nos recommandations traduisent la recherche d'un certain équilibre entre la nécessité de renforcer la DGCCRF, notamment au service de ses enquêtes et contrôles, et la nécessité de la mettre également au service d'un accompagnement des entreprises.

Mme Frédérique Espagnac , rapporteure spéciale . - Nous sommes nombreux ici à connaître des entreprises mises au pilori, parfois à plusieurs reprises, à la suite de contrôles de la DGCCRF.

C'est l'une des raisons pour lesquelles nous avons estimé que son rôle ne pouvait se cantonner à celui de gendarme : elle doit également accompagner les entreprises et faire preuve de pédagogie. C'est le sens de notre rapport.

Pour répondre à Jean-Marie Mizzon et Marc Laménie, nous estimons effectivement que la DGCCRF doit encore communiquer de façon plus efficace notamment à destination des consommateurs. De même, une coordination plus forte doit être opérée avec les associations de consommateurs sur ce point. Nous développons ces éléments dans le rapport. Nous recommandons en outre que l'accueil physique des consommateurs soit maintenu et développé, notamment dans le cadre du Réseau France Services.

M. Thierry Cozic , rapporteur spécial . - Pour répondre à M. Vincent Capo-Canellas, la fusion de la DGCCRF avec les Douanes (DGDDI) est évoquée depuis longtemps, y compris au niveau gouvernemental.

Cette idée résulte sans doute du fait que les deux administrations sont rattachées à un même ministère, que certaines de leurs compétences sont proches et que leurs agents ont une culture du contrôle partagée. Cette fusion présenterait en effet quelques avantages, développés dans le rapport.

Mais, il existe de sérieux obstacles concrets à cette réforme hypothétique. En voici quelques uns.

Tout d'abord, il y a des différences très importantes entre les catégories de personnels, les agents de la DGCCRF appartenant pour leur grande majorité à la catégorie A quand ceux des douanes peuvent majoritairement des catégories B et C. J'ajoute que les personnels de catégorie A de la DGCCRF ne sont pas formés pour encadrer une équipe mais pour mener des enquêtes. Il y aurait donc de lourds problèmes catégoriels et de perspectives de carrière à gérer en cas de fusion des deux administrations.

Ensuite, on observe une différence de taille : la DGCCRF est petite par rapport à l'administration des douanes. La fusion pourrait donc se transformer en absorption, ce qui déstabiliserait encore davantage les agents de la DGCCRF, au détriment de l'exercice des missions.

En outre, l'implantation territoriale de ces deux administrations est très différente. Les services des douanes ne sont pas présents de façon permanente dans tous les départements. En effet, leur travail dépend des frontières nationales. A l'inverse, la DGCCRF est présente dans tous les départements.

Surtout, il s'agirait d'une réforme lourde à négocier et mettre en place, qui déstabiliserait encore la DGCCRF et ses agents.

En définitive, nous considérons qu'il est préférable de tendre vers une meilleure coordination entre ces deux structures, en excluant leur fusion. Il y a beaucoup à gagner à améliorer les échanges d'informations, d'autant que les administrations - j'ai découvert cela durant le contrôle - sont encore trop cloisonnées. Ainsi, le partage d'informations et de données, qui s'est amélioré, doit encore être largement développé.

Enfin, je précise que l'établissement d'un effectif socle de 7 ETPT par département conduit à une hausse d'effectifs de la DGCCRF de 49 ETPT selon notre estimation. Nous estimons qu'une telle hausse permettra de renforcer la DGCCRF.

Le président Claude Raynal et le rapporteur général Jean-François Husson ont évoqué la création des autorités administratives indépendantes et ses conséquences en termes de problèmes de coordination et de baisse d'effectifs des administrations. En ce qui concerne la protection du consommateur et le respect de la concurrence, il y a en effet plusieurs administrations et autorités administratives indépendantes. Le nombre d'acteurs publics génère effectivement mécaniquement des risques de chevauchements voire d'impasses. Une meilleure coordination est donc indispensable. Mais je veux préciser que le nombre d'acteurs publics présente aussi des avantages, en particulier la spécialisation de certaines autorités ou administrations sur certains secteurs ou activités spécifiques, que les agents généralistes de la DGCCRF aborderaient moins efficacement.

Mme Frédérique Espagnac , rapporteure spéciale . - J'indique, pour répondre à notre collègue Anne-Catherine Loisier, que le rapport attendu sur le dispositif de relèvement du seuil de revente à perte qu'elle évoque n'a pas été abordé par nos interlocuteurs durant le contrôle. Par conséquent, je m'engage à discuter de ce point précis avec la DGCCRF lors de son audition prochaine dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023. Nous aborderons également le sujet des pénalités logistiques. Par ailleurs, la plateforme Signal Conso est un outil dont nous saluons l'utilité dans le rapport ; il peut permettre de signaler des manquements de toutes sortes et est de plus en plus utilisé.

J'ajouterai que l'augmentation des effectifs annoncée dans le dossier de presse du PLF pour 2023 concernant la DGCCRF, dont je parlais dans mon intervention liminaire, prendrait la forme de renforts en vue des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 et viserait également à renforcer le contrôle de l'accessibilité des biens et services pour les personnes porteuses de handicap. C'est une bonne nouvelle mais cela ne suffira pas à répondre aux enjeux qui pèsent sur la bonne exécution des missions de la DGCCRF dans tous les territoires.

M. Thierry Cozic , rapporteur spécial . - Comme le rapporteur général Jean-François Husson, j'estime que l'échelon départemental est le plus pertinent pour la DGCCRF, même si les mouvements d'inter-départementalisation, présentés dans le rapport, sont utiles. Je pense notamment à l'exemple vertueux du rapprochement entre les services des départements du Doubs, de la Haute-Saône et du Territoire de Belfort.

Nous remercions le rapporteur général pour son soutien à nos recommandations, notamment celle sur l'établissement d'un effectif socle par département de 7 ETPT.

La commission a adopté les recommandations des rapporteurs spéciaux et a autorisé la publication de leur communication sous la forme d'un rapport d'information.

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